Chapitre VI : La manufacture capitaliste et le travail à domicile pour le capitaliste

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Sommaire[modifier le wikicode]

I. Naissance de la manufacture et ses traits essentiels

- La manufacture, sa double origine et son rôle

II. La manufacture capitaliste dans l'industrie russe

1). Le tissage

2). Autres branches de l'industrie textile. Le foulage

3). La chapellerie, la production du chanvre et la corderie

4). Industries du bois

5). Les industries de traitement des produits animaux. L'industrie des cuirs et peaux

6). Autres industries de transformation des produits d'origine animale

7). Industries de traitement des produits minéraux

8). Industries des traitements des métaux. Les industries de Pavlovo

9). Autres industries de traitement des métaux

10). Bijouterie. La fabrication des samovars et des accordéons

III. La technique dans la manufacture. La division du travail et son importance

- Production manuelle, apprentissage - La division du travail comme phase préparatoire de la grande industrie mécanique; son influence sur les ouvriers

IV. La division territoriale du travail et la séparation de l'agriculture et de l'industrie

- Opinion de M. Kharizoménov - Centres non agricoles - Caractère transitoire de la manufacture - Elévation du niveau de culture de la population

V. Le régime économique de la manufacture

- Etat de la production - Appréciation de MM. Ovsiannikov et Kharizoménov

VI. Le capital commercial et industriel dans la manufacture. Le «revendeur» et le «fabricant»

- Liaison des grands et petits établissements - Erreur des populistes

VII. Le travail à domicile pour le capitaliste comme appoint de la manufacture

- Son degré de développement, ses traits caractéristiques, condition de sa diffusion, son importance dans la théorie de la surpopulation

VIII. Qu'est-ce que l'industrie artisanale?

- Certaines données de la statistique relatives aux «koustaris» - Prédominance des ouvriers employés de façon capitaliste - Caractère indéterminé de la notion «koustar» et abus de ce terme

I. Naissance de la manufacture et ses traits essentiels[modifier le wikicode]

Nous savons que par manufacture on entend la coopération basée sur la division du travail. Par son origine la manufacture touche de près aux «premières phases du capitalisme dans l'industrie», que nous venons d'étudier. D'une part, les ateliers employant un nombre plus ou moins important d'ouvriers introduisent peu à peu la division du travail, et, de ce fait, la coopération capitaliste simple évolue vers la manufacture capitaliste. Les statistiques concernant les petites industries de la province de Moscou, reproduites au chapitre précédent, mettent ce processus bien en évidence: elles montrent que dans tous les métiers de quatrième catégorie, ainsi que dans un certain nombre de métiers de troisième catégorie et dans quelques métiers de deuxième catégorie, les plus gros ateliers appliquent la division du travail de façon systématique et sur une grande échelle et doivent, par conséquent, être considérés comme des manufactures capitalistes. Nous citerons par la suite des chiffres plus détaillés sur la technique et l'économie de quelques-unes de ces petites industries.

Nous avons vu d'autre part que lorsque le capital commercial atteint, dans les petites industries, un niveau supérieur de développement, il réduit les petits producteurs à l'état d'ouvriers salariés transformant pour un salaire déterminé une matière première qui ne leur appartient pas. Si le développement ultérieur aboutit à une application systématique de la division du travail et, par là même, à une transformation de la technique utilisée par le petit producteur; si le «revendeur» charge des ouvriers salariés d'effectuer un certain nombre d'opérations de détail dans son propre atelier; si, à côté de la distribution du travail à domicile et indissolublement liés à elle, on voit apparaître de grands ateliers (qui souvent appartiennent à ces mêmes revendeurs), dont l'organisation interne repose sur la division du travail, on est alors en présence du processus d'apparition de la manufacture capitaliste de nature différente.[1],[2],[3].

Dans le développement des formes capitalistes de l'industrie, la manufacture a une très grande importance car elle constitue le maillon intermédiaire entre le métier, la petite production marchande aux formes primitives de capital et la grande industrie mécanique (la fabrique). Comme la manufacture continue à être basée sur la technique manuelle et que, de ce fait, les grosses entreprises sont dans l'impossibilité d'évincer radicalement les petites et de détacher complètement les artisans de l'agriculture, elle se rapproche des petites industries. «La manufacture ne pouvait ni s'emparer de la production sociale dans toute son étendue, ni la bouleverser dans sa profondeur (in ihrer Tiefe). Comme œuvre d'art économique, elle s'élevait sur la large base des corps de métiers de villes et de leur corollaire, l'industrie domestique des campagnes[4],[5].» Mais, par la formation d'un marché important, de grosses entreprises employant des ouvriers salariés et d'un capital considérable auquel la masse des ouvriers non possédants se trouve entièrement soumise, elle se rapproche de la fabrique.

Le préjugé selon lequel la production «en usine» est séparée par un abîme de la production «artisanale» et selon lequel la première a un caractère «artificiel» opposé au caractère «populaire» de la seconde, ce préjugé est si répandu dans la littérature russe que nous estimons indispensable d'examiner en détail les données concernant toutes les branches essentielles de l'industrie de transformation et de montrer quelle a été leur organisation économique entre le moment où elles ont dépassé le stade de la petite industrie paysanne et celui où elles ont été transformées par la grande industrie mécanique.

II. La manufacture capitaliste dans l'industrie russe[modifier le wikicode]

Commençons par l'industrie textile.

1. Le tissage[modifier le wikicode]

Chez nous, avant l'apparition de la grande industrie mécanique, la fabrication des tissus de toile, de laine, de coton et de soie; de la passementerie, etc., était partout organisée de la façon suivante: à la tête d'une industrie, on trouvait de grands ateliers capitalistes employant des dizaines et des centaines d'ouvriers salariés. Les propriétaires de ces ateliers, qui disposaient de capitaux considérables, achetaient de grosses quantités de matières premières. Ils en traitaient une partie dans leurs propres entreprises et ils en distribuaient une autre partie (les fils, la chaîne) à de petits producteurs (ouvriers à domicile, ouvriers en chambre[6], maîtres-artisans, paysans - «koustaris», etc.), qui effectuaient le tissage chez eux ou dans de petits ateliers pour un salaire déterminé, à la pièce. La production reposait sur le travail manuel et était divisée en opérations séparées les unes des autres que l'on répartissait entre les ouvriers. Il y avait 1) la teinture du fil; 2) le dévidage (qui, souvent, était réservé aux femmes et aux enfants); 3) l'ourdissage (dont se chargeaient les ouvriers «ourdisseurs»); 4) le tissage; 5) le bobinage (le plus souvent effectué par des enfants). Dans certains grands ateliers on trouve encore des ouvriers dont la tâche consiste à faire passer les fils de la chaîne dans les peignes et les lames[7]. En règle générale, la division du travail porte non seulement sur les opérations à effectuer mais également sur la marchandise, c'est-à-dire que les tisserands se spécialisent dans la production d'une qualité déterminée de tissus. Le fait que certaines opérations sont effectuées à domicile ne change absolument rien au régime économique de ce type d'industrie. Les sviétiolkis (c'est-à-dire les maisons où travaillent les tisserands) ne sont pas autre chose que des dépendances de la manufacture. Le travail à la main et une division du travail systématique, appliquée sur une vaste échelle, telle est donc la base technique de cette industrie; au point de vue économique, nous voyons se former des capitaux énormes qui organisent l'achat des matières premières et l'écoulement des produits sur un vaste marché (un marché national) et auxquels la masse des tisserands prolétaires est entièrement soumise; un petit nombre de grosses entreprises (des manufactures au sens étroit du terme) exerce leur domination sur la masse des petites. La division du travail aboutit à la formation d'ouvriers spécialisés au sein de la paysannerie; on assiste à la création de centres manufacturiers non agricoles, comme, par exemple, le bourg d'Ivanovo dans la province de Vladimir (depuis 1871, la ville d'Ivanovo-Voznessensk qui, actuellement, est un centre de grande industrie mécanique), le bourg de Vélikoïé dans la province de Iaroslavl, ainsi qu'un grand nombre d'autres villages des provinces de Moscou, Kostroma, Vladimir, Iaroslavl qui se sont maintenant transformés en agglomérations industrielles[8]. En règle générale, notre littérature économique et nos statistiques divisent les industries organisées sur ce modèle en deux parties: les paysans qui travaillent à domicile ou en chambre, dans des petits ateliers, etc., sont classés dans les «industries artisanales»; les sviétiolkis et les ateliers plus importants sont rangés dans la catégorie des «usines et fabriques» (d'ailleurs, ce classement est effectué de façon absolument arbitraire, car il n'existe aucune règle générale et bien déterminée permettant de séparer les petites entreprises des grosses, les sviétiolkis des manufactures, les ouvriers travaillant à domicile de ceux qui travaillent dans l'atelier du capitaliste)[9]. Il n'est pas difficile de voir qu'au point de vue scientifique, une telle classification qui place d'un côté des ouvriers salariés et de l'autre les patrons qui les emploient (sans compter ceux qui travaillent dans leurs entreprises), que cette classification, donc, n'a absolument aucun sens.

Pour illustrer ce que nous venons de dire, prenons des données détaillées qui portent sur une des «industries textiles artisanales», à savoir sur le tissage de la soie dans la province de Vladimir[10],[11]. L'industrie de la soie est le type même de la manufacture capitaliste. Le travail à la main y est prédominant. Les petites entreprises y sont majoritaires (sur 313 entreprises, on en compte 179, soit 57%, qui ont de 1 à 5 ouvriers), mais dans la plupart des cas, elles ne sont pas indépendantes et la place qu'elles occupent dans l'ensemble de l'industrie est très inférieure à celle des grandes. Alors qu'elles ne constituent que 8% du total (25), les entreprises employant de 20 à 150 ouvriers rassemblent en effet 41,5%, des ouvriers et fournissent 51% du volume total de la production. Sur 2823 ouvriers, 2092, soit 74,1%, sont des salariés. «La division du travail porte à la fois sur les opérations à effectuer et sur les marchandises» car il est rare que les tisserands sachent travailler à la fois le «velours» et le «tissu lissé» (qui sont les deux articles principaux produits par cette industrie). «La division détaillée des opérations à l'intérieur de l'atelier n'est pratiquée de façon rigoureuse que dans les grandes fabriques qui emploient des ouvriers salariés», (c'est-à-dire dans les manufactures). On ne trouve que 123 patrons complètement indépendants qui achètent eux-mêmes la matière première et écoulent leurs produits. Ils emploient 242 ouvriers familiaux et «2498 salariés, le plus souvent payés aux pièces», soit un total de 2740 représentant 97% des ouvriers travaillant dans cette industrie. Il est donc clair que lorsque ces manufactures distribuent du travail à domicile à des ouvriers en chambre, il ne s'agit nullement d'une forme d'industrie particulière mais tout simplement d'une des opérations du capital dans la manufacture. M. Kharisoménov remarque d'ailleurs à juste titre que «le véritable caractère de la production est dissimulé par le fait qu'il existe une masse de petites entreprises (57%), alors que les grosses sont très peu nombreuses (8%), et par le fait qu'en moyenne le nombre d'ouvriers par entreprise est très peu élevé (7,5) » (1. c. 39). La spécialisation propre à la manufacture se manifeste de façon très nette dans l'abandon de l'agriculture par ceux qui s'occupent d'industrie (la terre est abandonnée d'une part par les tisserands ruinés et d'autre part par les gros manufacturiers) et dans la formation d'une population industrielle de type nouveau, qui vit beaucoup plus «convenablement» que la population agricole et qui considère le moujik avec condescendance (1. c. 106). Les renseignements que nous fournit notre statistique des usines et des fabriques portent toujours sur de toutes petites parties de cette industrie, détachées au hasard[12].

On retrouve la manufacture capitaliste dans l'«industrie de la passementerie» de la province de Moscou[13] et dans l'industrie de la toile dite «sarpinka» du district de Kamychine, province de Saratov, qui sont organisées de façon absolument analogue. Selon l'Index de 1890, on dénombrait dans l'industrie de la «sarpinka» 31 «fabriques» employant 4250 ouvriers et ayant une production totale de 265000 roubles. Mais selon la Liste, il y avait un «comptoir de distribution» avec 33 ouvriers travaillant dans cette entreprise et une production de 47000 roubles (ce qui signifie qu'en 1890, on avait confondu les ouvriers employés à l'intérieur de l'entreprise avec ceux qui travaillaient au-dehors). En 1888. les enquêteurs locaux dénombraient environ 7000 métiers à tisser la «sarpinka»[14] et chiffraient la production à environ 2000000 de roubles. Selon ces enquêteurs, «l'industrie se trouvait entre les mains de quelques fabricants, pour le compte desquels travaillaient des «koustaris», et en particulier des enfants de 6 à 7 ans payés de 7 à 8 kopecks par jour (Comptes rendus et recherches, t. I )[15]. Etc.

2. Autres branches de l'industrie textile. Le foulage[modifier le wikicode]

A en juger d'après les statistiques officielles des fabriques et usines, le «capitalisme» est très peu développé dans l'industrie du feutre: dans toute la Russie d'Europe, il n'y avait en effet que 55 fabriques, employant 1212 ouvriers et produisant pour 454000 roubles de marchandises. (Index, 1890.) Mais ces chiffres ne portent que sur une toute petite partie détachée par hasard d'une industrie capitaliste largement développée. C'est dans la province de Nijni-Novgorod que la production du feutre «en usine» connaît le plus grand développement avec comme centre principal la ville d'Arzamas et son faubourg de Vyezdnaïa Sloboda (8 «fabriques» employant 278 ouvriers et produisant pour 120000 roubles de marchandises; en 1897, cette agglomération comptait 3221 habitants et le bourg de Krasnoïé, 2835). Aux alentours de ces centres, on trouve également une production artisanale très importante: 243 entreprises, 935 ouvriers, 103847 roubles de marchandise (Travaux de la commission artisanale, tome V). Pour bien montrer quelle est l'organisation économique de cette industrie dans cette région, nous utiliserons un graphique sur lequel les producteurs seront désignés par des signes différents selon la place qu'ils occupent dans le cadre général de la production.

Les sources sont indiquées dans le texte. Le nombre des entreprises représente à peu près la moitié de celui des ouvriers indépendants (52 entreprises à Vassiliev Vrag, 5 + 55 +110 à Krasnoïé et 21 dans 4 petits villages). Par contre pour la ville d'Arzamas et le faubourg de Vyezdnaïa Sloboda le chiffre 8 indique le nombre des «fabriques» et non celui des ouvriers.

Il est évident que la séparation entre la production «en usine» et la production artisanale est purement artificielle et que nous avons affaire à une seule et même organisation industrielle à laquelle le concept de manufacture capitaliste[16] s'applique sans aucune restriction. Au point de vue technique, c'est une production manuelle. Le travail repose sur la coopération, basée sur deux formes de division du travail: la première porte sur les marchandises (certains villages fabriquent du feutre, d'autres des bottes, des chapeaux, des semelles, etc.) et la seconde sur les opérations à effectuer (par exemple, toute la population du bourg de Vassiliev Vrag se consacre au foulage des chapeaux et des semelles tandis que les gens de Krasnoïé se chargent de la finition). Il s'agit d'une coopération capitaliste car à sa tête on trouve le gros capital auquel la masse des petites entreprises est subordonnée (par tout un réseau de rapports économiques). Dans leur immense majorité, les producteurs se sont d'ores et déjà transformés en ouvriers effectuant des opérations de détail pour le compte des entrepreneurs, dans des conditions qui, souvent, sont tout à fait antihygiéniques[17]. Cette industrie est installée depuis longtemps et les rapports capitalistes y sont solidement implantés. De ce fait, ceux qui s'en occupent se détachent de l'agriculture: dans le bourg de Krasnoïé, cette dernière est en complète décadence, et les gens ont un mode de vie différent de celui des agriculteurs[18].

Il existe toute une série d'autres régions où l'industrie du foulage est organisée de façon absolument analogue. En 1889, elle était pratiquée dans 363 communautés du district Sémionovski (province de Nijni-Novgorod) par 3180 foyers avec 4038 ouvriers. Sur 3946 ouvriers, il n'y avait que 752 qui travaillaient pour la vente; 576 étaient des salariés et 2618 travaillaient pour des patrons surtout avec du matériel appartenant à ces derniers; 189 foyers distribuaient du travail dans 1805 maisons. Les gros patrons possèdent des ateliers où ils emploient jusqu'à 25 salariés et ils achètent pour environ 10000 roubles de laine par an[19] On les appelle les tyssiatchniki[20], leur chiffre d'affaires oscille entre 5000 et 100000 roubles. Ils ont leurs propres dépôts de laine et leurs propres boutiques où ils écoulent les produits finis[21]. Dans la province de Kazan; la Liste dénombre 5 «fabriques» de foulage produisant pour 48000 roubles de marchandises et employant 122 ouvriers sur place et 60 au-dehors. Selon toute vraisemblance, ces derniers sont également classés parmi les «koustaris» dont on nous dit que souvent ils travaillent pour des «revendeurs» et chez lesquels on trouve des entreprises employant jusqu'à 60 ouvriers[22]. Dans la province de Kostroma, on trouve 29 «fabriques» de feutre dont 28 sont installées dans le district de Kinechma et emploient 593 ouvriers en usine et 458 au-dehors (Liste, pages 68-70; il y a deux entreprises qui n'emploient que des ouvriers travaillant au-dehors; on note d'autre part que le moteur à vapeur est déjà utilisé). Sur les 3908 arçonneurs et fouleurs habitant cette province, 2008 sont installés dans le district de Kinechma (Travaux de la commission, XV). La majorité d'entre eux se trouvent dans une situation dépendante ou travaillent comme salariés dans des ateliers où les conditions d'hygiène sont extrêmement précaires[23]. On retrouve le travail à domicile pour des «fabricants» (Liste, page 113) dans le district de Kaliasine (province de Tver). D'autre part, ce district est un véritable nid de fouleurs: il en sort en effet jusqu'à 3000 qui passent par le domaine abandonné de «Zimniak» (dans les années 60, c'est là qu'était installée la fabrique de drap d'Alexéiev) pour former un «énorme marché de main-d'œuvre»[24]. Dans la province de Iaroslav, la situation est analogue: d'une part, on a le travail à domicile pour des «fabricants» (Liste, page 115) et d'autre part, des «koustaris» qui travaillent pour des patrons-marchands avec de la laine fournie par ces derniers.

3. La chapellerie, la production du chanvre et la corderie[modifier le wikicode]

Nous avons déjà cité les statistiques concernant l'industrie de la chapellerie de la province de Moscou[25]. Ces statistiques montrent que les 2/3 de la production et des ouvriers sont concentrés dans 18 entreprises qui emploient en moyenne 15,6 salariés chacune[26]. Les «koustaris» n'effectuent qu'une partie des opérations: ils fabriquent les carres qu'ils vendent à des marchands de Moscou qui possèdent leur propre «atelier de finition». A leur tour, les «koustaris» emploient des «tondeuses» (femmes qui tondent le duvet). Dans l'ensemble, nous avons donc affaire à une coopération capitaliste basée sur la division du travail avec les formes les plus diverses de dépendance économique. Dans le centre de cette industrie (bourg de Klenovo, district de Podolsk) ceux qui travaillent dans la chapellerie sont complètement détachés de l'agriculture[27] (surtout les salariés) et on observe une élévation du niveau de leurs besoins: ils vivent beaucoup plus «convenablement», ils portent des vêtements d'indienne et même de drap, ils achètent des samovars et abandonnent les anciennes coutumes, provoquant ainsi les doléances amères des admirateurs locaux du bon vieux temps[28]. On a même vu apparaître des chapeliers qui partent chercher du travail hors de leur contrée.

L'industrie de la chapellerie du bourg de Molvitino, district de Bouï, province de Kostroma, nous fournit un exemple typique de manufacture capitaliste[29]. «La principale activité de ce bourg et de 36 villages environnants est la fabrication des chapeaux.» L'agriculture est délaissée. Après 1861, l'industrie s'est beaucoup développée et on s'est mis à utiliser les machines à coudre sur une vaste échelle. A Molvitino même, on compte 10 ateliers qui travaillent d'un bout de l'année à l'autre. Ils emploient de 5 à 25 ouvriers et de 1 à 5 ouvrières. «Le meilleur atelier a un chiffre d'affaires d'environ 100000 roubles par an[30].» On pratique également la distribution du travail à domicile; par exemple pour la préparation des matériaux destinés à la calotte des chapeaux, qui est exécutée à domicile par les femmes). La division du travail provoque des mutilations chez les ouvriers qui se trouvent placés dans des conditions extrêmement antihygiéniques et chez qui les cas de tuberculose sont très nombreux. Ce métier existe depuis une longue période (plus de 200 ans) et de ce fait, les artisans sont d'une très grande habileté: ceux de Molvitino sont renommés dans les deux capitales et dans les provinces les plus éloignées.

Le centre de l'industrie du chanvre du district de Médyne (province de Kalouga) est le bourg de Polotniany Zavod. C'est un gros village (on y a recensé 3685 habitants en 1897) dont la population n'a pas de terre et est très industrielle (plus de 1000 «koustaris»). C'est le centre des industries «artisanales» du district de Médyne[31]. L'industrie y est organisée de la façon suivante: les gros patrons (ils sont 3 et plus important est Iérokhine) ont des ateliers avec des ouvriers salariés et un capital circulant plus ou moins considérable pour l'achat des matières premières. Le peignage du chanvre, de même que l'ourdissage a lieu à la «fabrique»; le filage est effectué à domicile par des femmes, le tordage et le tissage se font à la fabrique et à domicile. En 1878, on comptait 841 «koustaris». Iérokhine qui employait 94 ouvriers en 1890, 64 en 1894-1895, et qui, selon les Comptes rendus et recherches (t. II. page 187), fait travailler des «centaines de paysans», est classé à la fois parmi les «koustaris» et parmi les «fabricants».

La corderie de la province de Nijni-Novgorod a son centre dans les bourgs industriels non agricoles de Nijni et Verkhni Izbyletz, district de Gorbatov[32]. Selon les données de M. Karpov (Travaux de la commission, fascicule VIII), la région de corderie et de câblerie de Gorbatov-Izbyletz forme un tout: une partie des habitants de Gorbatov travaille dans la corderie et les bourgs de Verkhni et Nijni Izbyletz «font quasiment partie de la ville de Gorbatov». Les gens y vivent comme des citadins, ils boivent du thé tous les jours, achètent des habits, mangent du pain blanc. Dans un ensemble de 32 villages, près des 2/3 de la population (4701 personnes, 2096 hommes et 2605 femmes) sont employés dans l'industrie. La production est d'environ 1500000 roubles. Cette industrie est implantée depuis deux cents ans, mais à l'heure actuelle elle est en décadence. Elle est organisée de la façon suivante: tous ceux qui y sont employés travaillent pour 29 patrons avec du matériel fourni par ces derniers. Ils sont payés à la pièce, se trouvent «sous la dépendance absolue des patrons» et font des journées de 14 à 15 heures. Selon la statistique des zemstvos (1889) le nombre des ouvriers du sexe masculin est de 1699 (auquel il faut ajouter 558 femmes et enfants). Sur 1648, il n'y en a que 197 qui travaillent pour la vente; 1340 travaillent pour le compte d'un patron[33] et 111 sont employés comme salariés dans les ateliers de 58 patrons. Sur 1288 foyers qui disposent d'un lot concédé, il n'y en a que 727, soit un peu plus de la moitié, qui cultivent ce lot en entier et sur 1573 ouvriers pourvus d'un lot, on en recense 306, soit 19,4% qui ne s'occupent pas du tout d'agriculture. Si nous voulons parler des «patrons» il nous faut abandonner la catégorie de l'«industrie artisanale» et aborder celle des «usines et fabriques». En 1894-95, la Liste relevait en effet deux fabriques de cordes qui employaient 231 ouvriers sur place et 1155 au-dehors, avec une production de 423000. Elles avaient fait l'acquisition de moteurs mécaniques (en 1879 et en 1890, elles n'en avaient encore aucun). Il est donc évident que ces deux fabriques sont en train de passer du stade de la manufacture capitaliste à celui de l'industrie mécanique capitaliste et que les «koustaris» et les revendeurs qui distribuent le travail sont en train de se transformer en véritables fabricants.

Dans la province de Perm, le recensement artisanal de 1894-95 a enregistré 68 corderies et câbleries paysannes occupant 343 ouvriers (dont 143 salariés) et produisant pour 115000 roubles de marchandises[34]. A la tête de ces petits établissements, on trouve de grosses manufactures qui ont été groupées ensemble par le recensement : 6 patrons occupent 101 ouvriers (dont 91 salariés) et ont une production de 81000 roubles[35]. La façon dont la production est organisée dans ces entreprises nous donne un magnifique exemple de ce que Marx appelle la «manufacture sérielle»[36], c'est-à-dire d'une manufacture où les différentes opérations successives de la transformation de la matière première sont effectuées par des ouvriers différents: 1° écangage de la fibre de chanvre, 2° peignage, 3° filage, 4° bobinage, 5° goudronnage, 6° dévidage sur le touret. 7° passage des fils dans les lames ou 8° dans une filière en fonte, 9° toronnage, torsion et commettage des câbles[37].

L'industrie du chanvre de la province d'Orel est organisée de façon analogue: on y retrouve un nombre important de petits établissements d'où l'on voit se détacher de grosses manufactures, principalement dans les villes, qui sont classées parmi les «usines et fabriques». (En 1890, l'Index recensait dans la province d'Orel 100 fabriques employant 1671 ouvriers et produisant pour 795000 roubles de marchandises.) Les paysans travaillent à la pièce pour des «marchands» (ce sont probablement les manufacturiers dont nous venons de parler) avec du matériel appartenant à ces derniers. Le travail est divisé en opérations spécialisées: les «broyeurs» écanguent la fibre, les «fileurs» s'occupent du filage, d'autres ouvriers enlèvent la chènevotte, d'autres encore tournent les rouets. Ce travail est très pénible et de nombreux ouvriers attrapent la tuberculose ou des hernies. II y a une telle poussière que «si on n'est pas habitué on ne peut pas tenir plus d'un quart d'heure». Le travail s'effectue du lever au coucher du soleil, dans de simples hangars, de mai à septembre[38].

4. Industries du bois[modifier le wikicode]

Dans cette branche, c'est l'industrie des coffres qui fournit l'exemple le plus typique de la manufacture capitaliste. A en juger, par exemple, d'après les données des enquêteurs de Perm, «cette industrie est organisée de la façon suivante: un certain nombre de gros patrons qui possèdent des ateliers et qui emploient des ouvriers salariés achètent des matières premières. Une partie des articles est fabriquée chez eux, mais pour l'essentiel, ils distribuent les matières premières à de petits ateliers de détail, puis ils assemblent les diverses pièces et les ajustent dans leurs propres ateliers. Quand l'article est terminé, ils l'envoient au marché. La division du travail ... est appliquée ici sur une vaste échelle; la fabrication d'un coffre nécessite en effet 10-12 opérations et chacune de ces opérations est exécutée par un artisan parcellaire. On voit que l'organisation de l'industrie réside dans la réunion des ouvriers parcellaires (Teilarbeiter, pour reprendre la terminologie du Capital) sous la direction du capital[39]. Il s'agit là d'une manufacture hétérogène (heterogene Manufaktur), comme dit Marx[40] où les différents ouvriers exécutent non pas les opérations successives nécessaires à la transformation de la matière première en produit, mais les diverses parties de ce produit qui sont rassemblées ultérieurement. Si les capitalistes préfèrent le travail à domicile des «koustaris», cela s'explique en partie par le caractère de cette manufacture et en partie (et pour l'essentiel) par le fait que le travail à domicile est moins payé[41]. Notons que les plus gros ateliers sont parfois classés dans la catégorie des «usines et fabriques»[42].

Il est fort probable que l'industrie des coffres du district de Mourom, province de Vladimir, où la Liste recense 9 «fabriques» (dans toutes, le travail se fait à la main) employant 89 ouvriers sur place et 114 à l'extérieur, avec une production de 69810 roubles, est organisée de façon analogue.

On retrouve une organisation semblable dans l'industrie de la carrosserie de la province de Perm: de la masse des petits établissements, on voit se détacher des ateliers d'assemblage qui emploient des salariés; les petits «koustaris» sont des ouvriers parcellaires fabricant des pièces de carrosserie avec du matériel qui leur appartient ou qui leur est fourni par les «revendeurs» (c'est-à-dire par les propriétaires des ateliers d'assemblage)[43]. Pour ce qui est de la province de Poltava, on relève dans le bourg d'Ardon, des ateliers qui emploient des salariés et qui distribuent du travail à domicile (les plus gros patrons occupent jusqu'à 20 ouvriers au-dehors)[44]. Dans l'industrie des voitures de ville de la province de Kazan, la division du travail porte sur les articles: certains villages ne fabriquent que des traîneaux, d'autres ne produisent que des charrettes, etc. «Les voitures sont assemblées au village (mais sans les ferrures, les roues et les brancards) et livrées sur commande à des marchands de Kazan qui les donnent à ferrer à des artisans forgerons. De là, elles sont renvoyées aux boutiques et ateliers de la ville, où a lieu la finition, c'est-à-dire le capitonnage, la peinture ... Autrefois, les voitures étaient ferrées à Kazan, mais ce travail a été peu à peu abandonné à des «koustaris» qui travaillent pour des salaires moins élevés que les artisans de la ville...»[45] Si le capital a une préférence pour la distribution du travail à domicile, c'est donc parce qu'elle lui permet de diminuer le prix de la main-d'œuvre. Il ressort donc de ces données que dans la majorité des cas l'organisation de l'industrie de la carrosserie se présente comme un système d'artisans parcellaires soumis au capital.

Dans le district de Pavlovo (province de Voronèje), on trouve le gros bourg industriel de Vorontsovka (9541 habitants, en 1897) qui, pour ainsi dire, constitue à lui seul toute une manufacture d'articles en bois. (Travaux de la commission, fascicule IX, article du prêtre M. Popov.) L'industrie y occupe plus de 800 foyers (sans compter un certain nombre de foyers du faubourg d'Alexandrovka où vivent plus de 5000 habitants). On y fabrique des télègues, des tarantass, des roues, des coffres, etc., pour une somme totale de 267000 roubles. Les patrons indépendants représentent moins d'un tiers des personnes employées dans l'industrie. Dans les ateliers les ouvriers salariés sont rares[46]. La plupart des gens travaillent sur commande des paysans marchands de la localité et sont payés à la pièce. Les ouvriers ont contracté des dettes envers les patrons; ils doivent s'épuiser au travail et s'affaiblissent. Le faubourg a une population de type industriel, non rural; elle ne s'occupe quasiment pas d'agriculture (mis à part le jardinage) , et ses lots de terre sont insignifiants. L'industrie est établie ici depuis longtemps; elle ne cesse de détacher les gens de l'agriculture et d'approfondir le fossé entre les riches et les pauvres. La population est mal nourrie. Les gens s'habillent avec «plus de recherche qu'autrefois» mais au-dessus de leurs moyens (tous leurs habits sont achetés). «L'esprit industriel et commercial s'est emparé de la population.» «Ceux qui ne connaissent pas de métier sont presque tous commerçants ... Sous l'influence du commerce et de l'industrie, les paysans ont pris des manières plus dégagées, ils sont plus cultivés, plus débrouillards qu'autrefois...[47]»

De par son organisation, la célèbre industrie des cuillers de bois du district Sémionov (province de Nijni-Novgorod) se rapproche de la manufacture capitaliste. Certes, on n'y trouve aucun gros atelier émergeant de la masse des petits et la dominant. Par contre, la division du travail y est profondément enracinée et la masse des ouvriers parcellaires est entièrement soumise au capital. Avant d'être terminé, la cuiller doit passer par 10 personnes au minimum. Les revendeurs confient certaines opérations à des ouvriers salariés ou ils les distribuent à des spécialistes (c'est le cas, par exemple. pour la teinture) ; certains villages sont spécialisés dans des opérations bien déterminées (c'est ainsi, par exemple, que les habitants de Diakovo se chargent du tournage, ils exécutent les commandes des revendeurs et sont payés à la pièce, ceux de Khvostikova, de Dianova, de Joujelki se chargent de la teinture, etc. . Les revendeurs achètent du bois en gros dans diverses provinces: Samara, etc., où ils envoient des artels d'ouvriers salariés; ils possèdent leurs propres dépôts où ils stockent les matières premières et les produits fabriqués; ils confient les matériaux les plus précieux aux «koustaris». etc. La masse des ouvriers parcellaires forme un mécanisme de production complexe, entièrement soumis au capital. «Que les ouvriers travaillent dans l'atelier des patrons pour un salaire où qu'ils peinent dans leurs isbas, pour eux cela revient exactement au même car dans cette industrie, comme dans les autres, tout est pesé, compté, mesuré d'avance. Et de toutes façons, les ouvriers ne recevront jamais que le strict minimum vital[48].» Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les capitalistes qui dominent l'ensemble de l'industrie ne soient pas pressés d'installer des ateliers et que ce métier, fondé sur le travail à la main et la division traditionnelle du travail, reste figé dans son immobilisme et soit laissé à l'abandon. Les «koustaris» sont attachés à la terre et semblent somnoler dans leur routine: tout comme en 1879, en 1889, ils comptaient la monnaie à l'ancienne manière, non pas en roubles-argent mais en roubles-assignat.

On retrouve des entreprises appartenant au type de la manufacture capitaliste à la tête de l'industrie du jouet de la province de Moscou[49]. Sur 481 ateliers, il y en a 20 qui emploient plus de 10 ouvriers. La division du travail, par article et par spécialité, est pratiquée sur une vaste échelle, ce qui provoque une élévation considérable de la productivité (acquise au prix de la mutilation des ouvriers). On estime, par exemple, que le revenu d'un petit atelier équivaut à 26% du prix de vente et celui d'un gros atelier, à 58% de ce prix[50]. Il va de soi que les gros patrons ont un capital fixe beaucoup plus important que les petits; chez eux, notamment, on trouve des innovations techniques (des séchoirs, par exemple). Le centre de l'industrie se trouve à Serguéievski Possad, qui est un bourg non agricole. Sur les 1398 ouvriers, 1055 y sont installés, et sur une production totale de 405000 roubles, 311000 sont fournis par cette localité où on a recensé, en 1897, 15155 habitants. Faisant allusion à la prédominance des petits ateliers, etc., l'auteur estime qu'il y a des chances que cette industrie évolue vers la manufacture (plus que vers la fabrique) mais que tout compte fait, ces chances ne sont pas tellement grandes. «Dans l'avenir, écrit-il, les petits producteurs auront toujours la possibilité de concurrencer, avec plus ou moins de succès, la grosse production» (l.c., page 93). Ce faisant, il oublie que le travail à la main que l'on trouvait dans les petites industries reste toujours la base technique de la manufacture; que la division du travail ne peut en aucun cas constituer un avantage assez décisif pour éliminer complètement les petits producteurs, surtout si ces derniers ont recours à des moyens comme l'allongement de la journée de travail, etc., que la manufacture n'est jamais en mesure d'englober l'ensemble de la production et qu'elle reste une superstructure dominant la masse des petites entreprises.

5. Les industries de traitement des produits animaux. L'industrie des cuirs et peaux[modifier le wikicode]

Les plus vastes régions où l'on trouve une industrie des cuirs et peaux nous offrent des exemples particulièrement frappants de fusion complète entre l'industrie «artisanale» et l'industrie en usine et fabrique, de manufactures capitalistes extrêmement développées (tant en étendue qu'en profondeur). Il est également intéressant de noter que les provinces où la production «en usine» des cuirs et peaux prend les plus vastes proportions (Viatka, Nijni-Novgorod. Perm, Tver) sont celles où les petites industries «artisanales» connexes sont le plus développées.

En 1890, l'Index recensait dans le bourg de Bogorodskoïé, district de Gorbatov, province de Nijni-Novgorod, 58 «fabriques» employant 392 ouvriers et produisant pour 547000 roubles de marchandise: en 1894-95, la Liste y dénombrait 119 «usines» employant 1499 ouvriers sur place et 205 à l'extérieur avec une production de 934000 roubles (ces derniers chiffres ne concernent que le traitement des produits d'origine animale, principale branche de l'industrie locale). Mais ces données ne s'occupent que des entreprises dirigeantes de la manufacture capitaliste. En 1879, en effet, M. Karpov relevait dans ce bourg et dans la région environnante plus de 296 entreprises employant 5669 ouvriers (dont un grand nombre travaillaient à domicile pour les capitalistes). Il notait d'autre part que les industries du cuir, du collage, du tressage des corbeilles (pour les marchandises), de la bourrellerie, des harnais, des moufles et de la poterie (cette dernière industrie occupant une place à part) produisaient pour 1490000 roubles de marchandise[51]. En 1889, d'autre part, le recensement du zemstvo dénombrait 4401 personnes occupées dans l'industrie et, sur les 1842 ouvriers à propos desquels il nous fournissait des renseignements plus détaillés, 1119 sont des salariés travaillant chez des étrangers et 405 travaillaient à domicile pour des patrons[52]. «Avec ses 8000 habitants, Bogorodskoïé n'est qu'une immense usine de cuir où l'on ne chôme jamais[53].» Plus exactement, c'est une manufacture «sérielle» soumise à un petit nombre de gros capitalistes qui achètent les matières premières, travaillent les peaux, fabriquent divers articles, emploient plusieurs milliers d'ouvriers démunis de tout et se trouvent à la tête de petites entreprises[54]. Cette industrie existe depuis une très longue période (depuis le XVIIe siècle). Au début du XIXe siècle, la famille Chérémétiev (c'était une famille de gros propriétaires fonciers) y a joué un rôle considérable. Elle a beaucoup contribué à son développement et, entre autres choses, elle a défendu contre les richards locaux, le prolétariat qui s'était formé depuis déjà longtemps dans cette région. Après 1861, l'industrie s'est énormément développée et les grandes entreprises se sont multipliées aux dépens des petites; les siècles d'activité industrielle ont formé des ouvriers d'une grande habileté qui ont répandu le métier dans toute la Russie. Le renforcement des rapports capitalistes a provoqué la séparation de l'agriculture et de l'industrie: non seulement le bourg de Bogorodskoïé ne s'occupe quasiment pas d'agriculture, mais c'est à cause de lui que les paysans des alentours abandonnent la terre, parce qu'ils viennent s'installer dans cette «ville»[55]. A Bogorodskoïé, constate M. Karpov, «les habitants n'ont aucun des traits qui caractérisent les paysans» et on a «du mal» à s'imaginer qu'on se trouve non pas dans une ville mais dans un bourg». Ce bourg a une avance considérable sur Gorbatov et sur tous les autres chefs-lieux de district de la province de Nijni-Novgorod, à l'exception peut-être d'Arzamas. C'est «un des centres commerciaux et industriels les plus importants de la province; il produit et vend pour des millions de roubles». «La zone d'influence industrielle et commerciale de Bogorodskoïé est très étendue; mais avant toutes choses, il est uni par des liens très étroits à l'industrie de ses environs, qui s'étendent de 10 à 12 verstes à la ronde. Cette banlieue industrielle constitue en quelque sorte le prolongement de Bogorodskoïé.» «Les habitants de Bogorodskoïé ne ressemblent nullement aux moujiks incultes ordinaires: ce sont des petits bourgeois artisans, des gens débrouillards et avisés qui méprisent les paysans. Leur mode de vie et leur mentalité sont typiquement petit-bourgeois.» Il reste à ajouter que dans les bourgs industriels du district de Gorbatov, la population a un niveau d'instruction relativement élevé : à Pavlovo, Bogorodskoïé et Vorsma, on trouve en effet 37,8% des hommes et 20% des femmes qui savent lire et écrire ou qui vont à l'école, alors que dans le reste du district on n'en trouve respectivement que 21,5% et 4,4%. (Voir les Matériaux de la statistique des zemstvos.)

On retrouve des rapports absolument analogues (encore que sur une moins grande échelle) dans l'industrie des cuirs et peaux des bourgs de Katounki et de Gorodetz (district de Balakhna ), de Bolchoïé Mourachkino (district de Kniaguinine), de Iourino (district de Vassilsoursk), de Toubanaïevka, de Spasskoïé, de Vatras et de Latychikha (même district). Dans toutes ces localités, on a des centres non agricoles entourés d'agglomérations agricoles, des industries diverses et un grand nombre de petites entreprises ainsi que des ouvriers à domicile) soumises aux gros entrepreneurs dont les ateliers capitalistes sont parfois classés dans la catégorie des «usines et fabriques»[56]. Sans entrer dans les détails statistiques qui n'apportent rien de nouveau par rapport à ce que nous venons d'exposer, citons seulement cette très intéressante caractéristique du bourg de Katounki[57]:

«Dans ce bourg, le caractère artisanal de l'industrie est attesté par un certain esprit patriarcal, par la simplicité des rapports entre les ouvriers et les patrons, qui d'ailleurs ne sautent pas aux yeux à première vue et qui malheureusement (?) disparaissent chaque année un peu plus. C'est seulement ces derniers temps que l'industrie et la population ont commencé à prendre un caractère usinier, notamment sous l'influence de la ville avec qui les contacts ont été facilités grâce à l'instauration d'un service de bateaux à vapeur. A l'heure actuelle, le bourg prend tout à fait l'allure d'une agglomération industrielle: on n'y trouve aucune trace d'agriculture, les maisons sont rapprochées les unes des autres, presque comme dans une ville, les demeures en pierre des riches voisinent avec les misérables bicoques des pauvres et, en outre, on voit s'entasser les longs bâtiments de bois et de pierre des usines. Tout cela différencie nettement Katounki des villages avoisinants et montre bien la nature industrielle de sa population. D'ailleurs, par certains de leurs traits de caractère, les habitants rappellent le type de l'«ouvrier d'usine» qui s'est déjà constitué en Russie: leur ameublement, leurs vêtements et leurs manières présentent une certaine recherche, dans la plupart des cas ils mènent une vie déréglée, sans se soucier beaucoup du lendemain, ils ont un parler hardi, parfois même alambiqué, ils manifestent une certaine fierté devant les moujiks des campagnes. Ce sont là des traits que l'on retrouve chez tous les ouvriers de fabrique de Russie[58]

A Arzamas (province de Nijni-Novgorod), la statistique des «usines et fabriques» ne recensait, en 1890, que 6 tanneries avec 64 ouvriers (Index); mais ce chiffre ne représente qu'une toute petite partie de la manufacture capitaliste englobant la pelleterie, l'industrie de la chaussure, etc. Les propriétaires de ces entreprises emploient des ouvriers à domicile, aussi bien à Arzamas (en 1878, on en dénombrait environ 400) que dans 5 localités des environs où sur 360 foyers de pelletiers 330 travaillent pour les marchands d'Arzamas avec du matériel fourni par ces derniers. Ils font des journées de 14 heures et sont payés de 6 à 9 roubles par mois[59], ce qui explique leur pâleur, leur faiblesse et leur dégénérescence. Sur les 600 foyers de cordonnier du faubourg de Vyezdnaïa Sloboda, 500 travaillent pour des patrons qui leur livrent les bottes déjà coupées. L'industrie est ancienne (elle a environ 200 ans) et elle ne cesse de grandir et de se développer. Les gens ne s'occupent quasiment pas d'agriculture: ils ont un mode de vie typiquement urbain et vivent «dans le luxe». De même, dans les villages de pelletiers dont nous avons déjà parlé, «les gens considèrent avec mépris les paysans agriculteurs qu'ils traitent de «cul-terreux»[60].

On retrouve des phénomènes absolument analogues dans la province de Viatka où les districts de Viatka et Slobodskoï sont les centres d'une production de cuirs et peaux qui s'effectue de façon artisanale et «en usine». Dans le district de Viatka, les tanneries artisanales sont groupées aux environs de la ville et viennent «compléter» l'activité industrielle des grandes usines, par exemple, en travaillant pour le compte des gros patrons[61]. C'est également pour eux que travaille la majorité des artisans bourreliers et des fabricants de colle. Les gros pelletiers emploient des centaines d'ouvriers à domicile pour coudre les peaux de mouton, etc. Nous nous trouvons en présence d'une manufacture capitaliste comprenant diverses branches: tannage des peaux et confection des pelisses de mouton, bourrellerie et industrie du harnais, etc. Dans le district Slobodskoï (le centre de l'industrie se trouve dans le faubourg de Démianka) les rapports sont encore plus nets. A la tête des artisans corroyeurs (870 personnes), cordonniers et fabricants de moufles (855), tanneurs de peaux de mouton (940), tailleurs (309) qui confectionnent les demi-pelisses sur commande des capitalistes, on trouve un petit nombre de gros propriétaires d'usine[62]. D'une façon générale, ce type d'organisation semble extrêmement répandu dans la production des articles du cuir: c'est ainsi, par exemple, à Sarapoul (province de Viatka) la Liste recense 6 tanneries qui fabriquent également des chaussures et qui emploient 214 ouvriers sur place et 1080 au-dehors (page 495). Que resterait-il de nos «koustaris», ces représentants de l'industrie «populaire» tant vantés par les Manilov de tout acabit, si tous les marchands et les fabricants de Russie comptaient de façon aussi précise et aussi détaillée les ouvriers qu'ils font travailler à domicile![63]

Il convient encore de mentionner le bourg industriel de Raskazovo (province et district de Tambov). Ce bourg, qui comptait 8283 habitants en 1897, est un centre d'industries en «fabrique et usine» (drap, savon, cuirs et peaux, distillerie de vin) et d'industries artisanales, ces dernières étant étroitement liées aux premières. Les métiers pratiqués sont ceux du cuir, du feutre (environ 70 patrons; il existe des établissements employant de 20 à 30 ouvriers), de la colle, de la cordonnerie, du tricotage des bas (il n'y a pas un seul foyer où on ne tricote pas de bas avec de la laine distribuée au poids par les «revendeurs»). Non loin de là se trouve le faubourg de Bélaïa Poliana (300 foyers) qui est réputé pour des industries analogues. Dans le district de Morchansk, les petites industries artisanales ont leur centre au bourg de Pokrovskoïé-Vassilievskoïé, tout comme les usines et fabriques. (Voir l'Index et les Comptes rendus et recherches, t. III.) Dans la province de Koursk, les localités suivantes sont à la fois des agglomérations industrielles et des centres «artisanaux»: Véliko-Mikhaïlovka (district de Novy Oskol, 11853 habitants, en 1897), Borissovka (district de Graïvoron, 18071 habitants), Tomarovka (district de Biélgorod, 8716 habitants), Miropolié (district de Soudja, plus de 10000 habitants. Voir Comptes rendus et recherches, t. I, renseignements de 1888-1889). Dans toutes ces localités, on trouve également des «usines» de cuir (voir l'Index pour 1890). La principale industrie «artisanale» est celle du cuir et de la chaussure. Elle est apparue dès la première moitié du XVIIIe siècle et a connu son apogée vers les années 60 du XIXe où elle est devenue une «solide organisation de caractère strictement commercial». Elle avait été entièrement monopolisée par les entrepreneurs qui achetaient le cuir qu'ils donnaient à travailler aux «koustaris». Mais par suite de l'installation des chemins de fer, le capital a perdu ce caractère de monopole et les entrepreneurs capitalistes ont transféré leurs investissements dans des entreprises plus rentables. Actuellement, l'organisation est la suivante; on trouve environ 120 gros entrepreneurs qui possèdent des ateliers où ils emploient des salariés et qui, en plus, distribuent du travail à domicile; environ 3000 artisans indépendants (qui cependant doivent acheter leur cuir aux gros entrepreneurs) ; 400 travailleurs à domicile (pour les gros patrons) et 400 salariés, sans compter les apprentis, soit au total plus de 4000 cordonniers. A cela, il faut ajouter des potiers, des fabricants d'iconostases, de nappes, des imagiers, etc.

Dans le district de Kargopol (province d'Olonetz), l'industrie du petit-gris nous fournit un exemple de manufacture capitaliste tout à fait typique. Dans Les Travaux de la commission artisanal, (fascicule IV), on trouve une excellente description de cette industrie (qui existe depuis le début du XIXe siècle) faite par un maître-artisan qui évoque de façon saisissante toute la vie de la population industrielle. Selon cette description (datant de 1878), 8 patrons emploient 175 ouvriers, plus environ 1000 couturières à domicile et 35 familles de pelletiers dispersés dans plusieurs villages, soit un total de 1300 à 1500 personnes produisant pour 336000 roubles de marchandises. A titre de curiosité, notons que tant que cette industrie a été prospère, la statistique des «usines et fabriques» l'a ignorée (l'Index de 1879 ne la mentionne pas) et qu'elle ne s'en est occupée qu'à partir du moment où elle a commencé à péricliter. En 1890, l'Index recensait dans la ville et le district de Kargopol 7 usines employant 121 ouvriers et produisant pour 50000 roubles de marchandises. La Liste, quant à elle, dénombrait 5 usines avec 79 ouvriers (plus 57 travaillant à domicile) et une production de 49000 roubles[64]. L'organisation de cette manufacture capitaliste est riche d'enseignements car elle montre bien comment fonctionnent les «industries artisanales», traditionnelles, purement russes, qui sont perdues dans les coins les plus reculés de la Russie. Les ouvriers travaillent 15 heures par jour dans une atmosphère extrêmement insalubre pour un salaire de 8 roubles par mois, soit moins de 60-70 roubles par an. Les patrons ont un revenu annuel d'environ 5000 roubles. Les rapports entre patrons et ouvriers ont un caractère «patriarcal»: suivant la coutume ancienne, les patrons fournissent gratuitement aux ouvriers le kvass et le sel que ces derniers vont quémander à la cuisinière de la maison. Pour marquer leur reconnaissance envers le patron (pour le travail qu'il leur «donne»), les ouvriers viennent arracher les queues de petits-gris sans demander de salaire et restent après le travail pour nettoyer les fourrures. Ils vivent toute la semaine dans les ateliers où ils sont à la merci des caprices des patrons qui les battent (page 218, 1. c.) et leur font exécuter toutes sortes de travaux: remuer les foins, déblayer la neige, porter l'eau, laver le linge, etc. Le prix de la main-d'œuvre est extrêmement bas, même à Kargopol. Pour ce qui est des paysans des environs, «ils sont prêts à travailler quasiment pour rien». La production repose sur le travail à la main et une division systématique du travail avec une très longue période d'apprentissage (8 à 12 ans). On imagine sans peine quel est le sort des apprentis.

6. Autres industries de transformation des produits d'origine animale[modifier le wikicode]

La fameuse industrie de la chaussure de Kimry et des environs (district de Kortchéva, province de Tver) offre un exemple particulièrement remarquable de manufacture capitaliste[65]. C'est une industrie ancienne, qui remonte au XVIe siècle et qui a continué à se développer après l'abolition du servage. Alors qu'au début des années 70, Pletnev dénombrait 4 cantons où cette industrie était implantée, en 1888, on en dénombrait déjà 9. La production est organisée de la façon suivante: on trouve à sa tête des patrons de gros ateliers qui emploient des ouvriers salariés et qui distribuent le cuir découpé pour qu'il soit cousu à domicile. Selon les estimations de M. Pletnev, ces patrons sont au nombre de 20; ils font travailler 124 ouvriers et 60 jeunes garçons et ils produisent pour 818000 roubles de marchandises. De plus, ils emploient environ 1769 adultes et 1833 enfants travaillant à domicile. Ensuite. viennent 224 petits patrons qui emploient 460 ouvriers salariés (de 1 à 5 par patron) et 301 enfants (de 1 à 3 par patron), et produisent pour 187000 roubles de marchandises. L'essentiel de leur production est écoulé sur les marchés de Kimry. Il y a donc en tout dans cette industrie 244 patrons, 2353 ouvriers adultes (dont 1769 à domicile) et 2194 enfants (dont 1833 à domicile), avec une production totale de 1005000 roubles. A cela il faut ajouter divers ateliers qui exécutent toutes sortes d'opérations de détail: le raclage du cuir, le collage de déchets provenant du raclage; des camionneurs chargés de transporter la marchandise (4 patrons, 16 ouvriers, 50 chevaux environ) ; des menuisiers qui fabriquent les caisses, etc.[66]. M. Pletnev estime la production de toute la région à 4700000 roubles. En 1881, on recensait 10638 «koustaris» (en ajoutant ceux qui venaient de l'extérieur, leur nombre s'élevait à 26000) et on estimait leur production à 3700000 roubles. Pour ce qui est des conditions de travail, il faut noter que les journées durent de 14 à 15 heures, que l'hygiène est déplorable, que les salaires sont payés en nature, etc. Le bourg de Kimry, qui est le centre de l'industrie, «ressemble plutôt à une petite ville» (Comptes rendus et recherches, t. I, page 224). Ses habitants sont de mauvais cultivateurs et s'occupent d'industrie pendant toute l'année; seuls les «koustaris» quittent le métier pour la fenaison. Les maisons de Kimry sont de type urbain, et les habitants ont des habitudes de citadins (par exemple, par leurs prétentions à l'élégance). Jusqu'à ces derniers temps cette industrie ne figurait pas dans la «statistique des fabriques et usines» sans doute parce que les patrons «se disent volontiers petits producteurs autonomes» (ibid., p. 228). Pour la première fois, la Liste a mentionné 6 ateliers de chaussures dans le district de Kimry; employant de 15 à 40 ouvriers sur place et aucun à l'extérieur. Il va sans dire que dans ce relevé, les lacunes sont innombrables.

Parmi les manufactures. il nous faut classer également l'industrie des boutons des districts de Bronnitsy et de Bogorodsk, province de Moscou. Les boutons sont fabriqués à partir des sabots et des cornes de moutons. Cette industrie emploie 487 ouvriers dans 52 établissements avec une production de 264000 roubles. 16 entreprises ont moins de 5 ouvriers, 26 en ont 5 à 10 et 10 en ont 10 et plus. 10 patrons seulement n'emploient aucun ouvrier salarié: ils travaillent pour les gros entrepreneurs avec du matériel fourni par ces derniers. Seuls les gros entrepreneurs sont tout à fait indépendants (comme il ressort des chiffres cités, ils emploient de 17 à 21 ouvriers par établissement) et il y a tout lieu de penser que ce sont eux que l'Index classe dans la catégorie des «fabricants» (voir p. 291: 2 établissements avec 73 ouvriers et une production de 4000 roubles). C'est la «manufacture sérielle». Les cornes sont tout d'abord soumises à l'action de la vapeur dans une isba à fourneau appelée «forge», puis on les envoie à l'atelier. Là on les découpe à la presse, on exécute le dessin à l'estampeuse et on procède au montage et au polissage à la machine. Dans cette industrie, on trouve des apprentis. La journée de travail est de 14 heures et, en règle générale, les salaires sont payés en nature. Les rapports entre les ouvriers et les patrons sont de type patriarcal: le patron appelle ses ouvriers «mes enfants» et le livret de paie le «livre des enfants». Au moment de payer les ouvriers, il leur fait la morale et il ne satisfait jamais entièrement leurs «demandes» en argent.

L'industrie de la corne qui figure dans notre tableau des petites industries (annexe I du chapitre V, industries n°s 31 et 33) appartient à un type analogue. On y retrouve des «koustaris» qui emploient des dizaines d'ouvriers salariés et que l'Index classe parmi les «fabricants» (page 291) ainsi que la division du travail et la distribution du travail à domicile (aux polisseurs de peignes). Le centre de cette industrie se trouve à Khotéitchi, district de Bogorodsk. Il s'agit d'un gros bourg (2494 habitants, en 1897) où l'agriculture est déjà en train de passer au second plan. La publication du zemstvo de Moscou, Les industries artisanales du district de Bogorodsk, province de Moscou, en 1890, note avec raison que ce bourg «n'est qu'une vaste manufacture de peignes» (p. 24, souligné par nous). En 1890, on y recensait plus de 500 personnes qui étaient employées dans l'industrie et qui produisaient de 3500 000 à 5500 000 peignes. «La plupart du temps, les marchands de corne sont également revendeurs d'objets fabriqués et il arrive souvent qu'ils soient aussi de gros fabricants des peignes.» Les patrons qui sont obligés de prendre des cornes «a la pièce» se trouvent dans une situation particulièrement difficile: «en fait, ils vivent plus mal que les ouvriers qui travaillent dans les grandes entreprises». Ils sont contraints par la misère d'exploiter férocement toute leur famille, d'allonger leur journée de travail, de faire travailler leurs enfants. «En hiver, la journée commence à l'heure du matin et il est difficile de dire à quelle heure elle finit dans les isbas des petits producteurs «indépendants» qui travaillent aux pièces.» Le payement en nature est très répandu. «Ce système, qu'on a eu tant de peine à déraciner des fabriques, est encore florissant dans les petites entreprises artisanales» (p. 27). Il est probable que l'industrie de la corne que l'on trouve dans le bourg d'Oustié et dans 58 villages environnants (district de Kadnikov, province de Vologda) est organisée de façon analogue. Selon M. Borissov (Travaux de la commission artisanale, fascicule IX), cette industrie occupe ici 388 «koustaris» et produit pour 45000 roubles de marchandises. Tous les «koustaris» travaillent pour des capitalistes qui achètent la corne à Saint-Pétersbourg et l'écaille de tortue à l'étranger.

A la tête de l'industrie des brosses de la province de Moscou (voir annexe I au chapitre V, industrie n° 20), on trouve de grosses entreprises qui emploient un grand nombre d'ouvriers salariés et qui appliquent la division du travail de façon systématique[67]. Entre 1879 et 1895, l'organisation de cette industrie a connu de grands changements qu'il est intéressant de noter (voir la publication du zemstvo de Moscou sur l'Industrie des brosses d'après l'enquête de 1895). Un certain nombre d'entrepreneurs aisés se sont installés à Moscou pour s'adonner à cette industrie. Le nombre des personnes occupées dans l'industrie a augmenté de 70%: le nombre de femmes a surtout augmenté (+ 170%) et celui des jeunes filles (+ 159%). Le nombre des gros ateliers employant des ouvriers salariés a baissé: de 62%, ils sont passé à 39%. Ces phénomènes sont dus au fait que les patrons ont adopté le système de la distribution du travail à domicile. D'autre part, l'emploi des perceuses (qui servent à percer les montures de brosse) s'est généralisé et cela a provoqué une accélération et une simplification d'une des principales opérations de la fabrication des brosses. II y a eu accroissement de la demande en monteurs (ouvriers qui «plantent» le crin dans la monture) et comme ce travail se spécialisait de plus en plus, il a été confié à des femmes qui constituent une main-d'œuvre moins onéreuse et qui travaillent à la pièce à domicile. On voit que dans cette industrie, c'est le progrès de la technique (les perceuses), de la division du travail (les femmes sont chargées uniquement de fixer les crins) et de l'exploitation capitaliste (la main-d'œuvre féminine est moins onéreuse) qui a provoqué l'intensification du travail à domicile. Cet exemple montre très clairement que le travail à domicile n'est nullement incompatible avec le concept de manufacture capitaliste et que parfois, au contraire, il est même l'indice d'un développement de cette manufacture.

7. Industrie de traitement des produits minéraux[modifier le wikicode]

Pour l'industrie de la céramique, nous avons un exemple de manufacture dans la région de Gjel (25 villages des districts de Bronnitsy et de Bogorodsk, province de Moscou). Les industries de Gjel sont au nombre de trois: il y a celle de la porcelaine, celle de la poterie et celle de la peinture, et elles sont très différentes les unes des autres. Mais sur les statistiques concernant cette région (elles figurent d'après notre tableau, annexe I du chapitre V, industries n° 15, 28 et 37), on peut voir que les transitions existant entre les différents groupes d'entreprises de chaque industrie estompent ces différences et que nous obtenons toute une série d'ateliers dont les dimensions sont régulièrement croissantes. Voici quel est le nombre moyen des ouvriers employés par entreprise dans les diverses catégories des trois industries: 2,4 - 4,3 - 8,4 - 4,4 - 7,9 - 13,5 - 18 - 69 - 226,4. Comme on le voit, la série part de l'atelier le plus petit pour en arriver au plus grand. Il est absolument indubitable que les grosses entreprises sont à classer parmi les manufactures capitalistes (dans la mesure où elles n'ont pas introduit le machinisme et où elles ne se sont pas transformées en fabriques). Cela est important, certes. Mais ce qui l'est encore davantage c'est le fait que dans cette région, les petites entreprises sont liées aux grosses et que nous avons affaire à une seule et même structure industrielle et non à des ateliers séparés appartenant tantôt à un type d'organisation économique, tantôt à un autre. «Gjel forme un tout économique» (Issaïev, 1. c., p. 138) et les grands ateliers se sont formés à partir des petits, lentement et graduellement (ibid., page 121). La production repose sur le travail à la main[68] et la division du travail est appliquée sur une vaste échelle: chez les potiers, par exemple, on trouve des tourneurs (spécialisés dans une sorte d'article bien déterminée), des ouvriers chargés de la cuisson, etc.; parfois, il y a même un ouvrier qui s'occupe spécialement de la préparation des couleurs. Dans la porcelaine, la division du travail est poussée très loin; on a des broyeurs, des tourneurs, des ouvriers chargés d'enfourner, des chauffeurs, des peintres, etc. Les tourneurs sont spécialisés dans certaines variétés d'articles (Issaïev, 1. c., page 140; il y a un cas où a productivité a augmenté de 25%). Les ateliers de peinture travaillent pour les propriétaires d'usines de porcelaines et ne sont rien d'autre que des succursales de leurs manufactures, chargées d'exécuter certaines opérations de détail. La force physique elle-même devient une spécialité et cela est tout à fait caractéristique d'une manufacture capitaliste «adulte». C'est ainsi qu'il existe certains villages dont presque tous les habitants sont employés à l'extraction de la terre glaise et que pour les travaux pénibles qui ne demandent pas une habileté particulière (le travail de broyeur), on embauche presque uniquement des ouvriers venus des provinces de Toula et de Riazan qui sont plus forts et plus résistants que les chétifs habitants de Gjel. Le paiement en nature est très répandu. L'agriculture est en mauvais état. «Les habitants de Gjel sont en pleine dégénérescence» (Issaïev, p. 168) ; ils ont les épaules étroites, ils sont faibles de la poitrine, peu robustes; les peintres perdent la vue de bonne heure, etc. La division capitaliste du travail broie les hommes et les mutile. La journée de travail est de 12 à 13 heures.

8. Industrie de traitement des métaux. Les industries de Pavlovo[modifier le wikicode]

Les célèbres industries de la serrurerie sur acier de Pavlovo englobent toute une région du district de Gorbatov (province de Nijni-Novgorod) et du district de Mourom (province de Vladimir). Ces industries remontent à une date très ancienne. Selon Smirnov (qui cite les livres de cens)[69], Pavlova comptait 11 forges en 1621. Vers le milieu du XIXe siècle, elles formaient déjà un vaste réseau de rapports capitalistes parfaitement établis. Après l'abolition du servage, elles ont continué à se développer en étendue et en profondeur. En 1889, le recensement du zemstvo indiquait que dans 13 cantons et 119 villages du district de Gorbatov ces industries occupaient 5953 foyers, 6570 ouvriers du sexe masculin (soit 54% du nombre total des ouvriers de ces villages) et 2741 vieillards, femmes et enfants, en tout 9311 personnes. Pour ce qui est du district de Mourom, M. Grigoriev y relevait, en 1881, 6 cantons industriels avec 66 villages occupant 1545 foyers et 2205 ouvriers du sexe masculin (39% du total). On a vu se former de gros bourgs industriels (Pavlovo, Vorsma) qui ne s'occupent pas d'agriculture et même les paysans des environs ont été amenés à délaisser la culture du sol: dans le district de Gorbatov, en dehors de Pavlovo et de Vorsma, on trouvait 4492 ouvriers d'industrie dont 2357, c'est-à-dire plus de la moitié, ne s'occupaient pas d'agriculture. Dans les centres comme Pavlovo, la vie a pris un caractère tout à fait urbain et les gens ont de plus gros besoins, un niveau de culture plus élevé, une certaine recherche dans les habits et un mode de vie plus évolué que les paysans «incultes» des environs[70].

Quand on aborde le problème de l'organisation économique des industries de Pavlovo, il y a un fait indubitable que l'on doit constater avant tout: c'est qu'à la tête des «koustaris» se trouvent des manufactures capitalistes absolument typiques. Dans l'entreprise des Zavialov, par exemple (qui, dans les années 60, occupait dans ses ateliers déjà plus de 100 ouvriers et qui maintenant a acquis un moteur à vapeur), un canif avant d'être terminé doit passer par 8 ou 9 ouvriers différents: un forgeron, un affûteur, un fabricant de manches (qui, en règle générale, travaille à domicile), un trempeur, une polisseuse, un repasseur, un poinçonneur. Il s'agit donc d'une vaste coopération capitaliste qui repose sur la division du travail et où une partie importante des ouvriers parcellaires est employée à domicile. Selon les données que nous fournit M. Labzine (1866) sur les principales entreprises de Pavlovo, Vorsma et Vatcha dans toutes les branches industrielles, on trouvait 15 patrons qui employaient 500 ouvriers dans leurs entreprises et 1134 à domicile (soit 1634 au total) et qui produisaient pour 351700 roubles de marchandises. Le tableau suivant va nous montrer dans quelle mesure cette façon de caractériser les rapports économiques de l'ensemble de la région est encore valable à l'heure actuelle[71].

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On voit que c'est bien l'organisation industrielle dont nous venons de donner les traits essentiels qui prédomine dans toutes ces localités. Dans l'ensemble, environ trois cinquièmes des ouvriers se livrent à une occupation de type capitaliste. Cela veut dire que la manufacture tient une place prépondérante dans l'organisation générale de l'industrie[72], que la masse des ouvriers lui est soumise mais qu'elle n'est pas en mesure d'extirper radicalement la petite production. La relative vitalité de cette dernière s'explique parfaitement 1) du fait que certaines branches industrielles de Pavlovo (la serrurerie, par exemple) ne sont pas encore mécanisées et 2) du fait que pour se maintenir les petits producteurs n'hésitent pas à employer des moyens qui les placent dans une situation bien inférieure à celle des ouvriers salariés. Ces moyens sont la prolongation de la journée de travail, l'abaissement du niveau de vie et la diminution des besoins. «Dans le groupe des «koustaris» qui travaillent pour les patrons, les gains sont plus stables» (Grigoriev, 1. c., p. 65). Chez Zavialov, par exemple, les gens les moins payés sont ceux qui fabriquent les manches: «Il travaillent à domicile et par conséquent ils doivent se contenter d'une paye inférieure à celle des autres» (p. 68). Quand ils sont employés par un «fabricant», les «koustaris» ont la possibilité de gagner un salaire un peu supérieur au gain moyen de ceux qui vont porter leur produit au marché. Cette augmentation des gains est particulièrement sensible chez les ouvriers qui logent à l'intérieur même de la fabrique» (70)[73]. Alors que dans «les fabriques» la journée de travail est de 14 heures 1/2, 15 heures, 16 heures au maximum, «chez les «koustaris» qui travaillent à domicile, elle n'est jamais inférieure à 17 heures et parfois elle atteint 18 et même 19 heures». (Ibid.) Il ne serait pas étonnant que la loi du 2 juin 1897[74] provoque ici une intensification du travail à domicile. Il y a déjà longtemps que ce genre de «koustaris» aurait dû s'efforcer par tous les moyens d'obtenir que les patrons ouvrent des fabriques! Que le lecteur se rappelle aussi toutes les formes d'humiliation et de servitudes personnelles auxquelles sont soumis les soi-disant indépendants petits producteurs de Pavlovo: les fameuses «avances», l'«échange», la «mise en gage des femmes», etc.[75]. Par bonheur, la grosse industrie mécanique qui se développe à un rythme rapide ne s'accommode pas aussi facilement que la manufacture de formes d'exploitation aussi éhontée. Encore qu'elles empiètent sur la suite de notre exposé, voici des données concernant les progrès accomplis par la grosse production mécanique dans cette région[76].

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Comme on le voit, il y a de plus en plus d'ouvriers employés dans les grosses entreprises qui passent à l'emploi des machines[77]

9. Autres industries de traitement des métaux[modifier le wikicode]

Parmi les manufactures capitalistes, il nous faut classer également les industries du bourg de Bezvodnoïé, district et province de Nijni-Novgorod. Là encore, il s'agit d'un de ces bourgs industriels dont la majeure partie des habitants ne s'occupe absolument pas d'agriculture et qui constituent les centres d'une industrie englobant plusieurs villages environnants (Matériaux, fascicule VIII, N.-N. 1895). Selon le recensement du zemstvo, il y avait, en 1889, 67,3% des 581 foyers du canton de Bezvodnoïé qui n'ensemençaient pas, 78,3% qui n'avaient pas de cheval, 82,4% qui exerçaient un métier et 57,7% qui comptaient des membres sachant lire et écrire ou fréquentant l'école (pour l'ensemble du district, la moyenne était de 44,6%). L'industrie de Bezvodnoïé est celle des objets métalliques: chaînes, hameçons, toiles métalliques, etc. Selon les estimations, elle produisait pour 2500000 roubles de marchandises en 1883[78], et pour 1500000 en 1888-89[79]. Elle est organisée de la façon suivante: les patrons répartissent les matières premières entre des ouvriers parcellaires; une partie du travail est effectuée dans les ateliers du patron et une autre partie à domicile. La fabrication des hameçons, par exemple, nécessite plusieurs opérations qui sont exécutées par les «courbeurs», les «coupeurs» (qui travaillent dans un local spécial), les «appointeurs» (ce sont des femmes et des enfants employés à domicile). Tous ces ouvriers travaillent pour un capitaliste et sont payés aux pièces. Le courbeur remet de son côté le travail aux coupeurs et aux appointeurs. «De nos jours, l'étirage des fils de fer est effectué au moyen de treuils actionnés par des chevaux, mais auparavant, il était confié à des aveugles qui affluaient en masse dans la région ...» Voilà une des «spécialités» de la manufacture capitaliste! «De par les conditions de travail qui y règnent, cette branche, où les gens doivent travailler dans une atmosphère étouffante, empuantie par les émanations délétères du crottin de cheval, se distingue nettement des «autres»[80]. Dans la province de Moscou, on retrouve le type de manufacture capitaliste, que nous venons de décrire dans les industries des tamis[81], des épingles[82], de la cannetille[83]. Au début des années 80, on recensait, dans cette dernière; 66 entreprises qui employaient 670 ouvriers (79% d'entre eux étaient des salariés) et qui produisaient pour 368500 roubles de marchandises (il arrive parfois que certaines de ces entreprises capitalistes soient classées parmi les «usines et fabriques»)[84].

Il y a tout lieu de penser que c'est également sur ce modèle qu'est organisée l'industrie de la serrurerie du canton de Bourmakino (et des cantons environnants), province et district de Iaroslavl. Du moins retrouvons-nous dans cette industrie la même division du travail (forgerons, souffleurs. serruriers), le même développement intense du travail salarié (sur les 307 forges du canton de Bourmakino, 231 emploient des ouvriers salariés), la même domination du gros capital sur tous les ouvriers parcellaires (les revendeurs tiennent le haut du pavé, c'est pour eux que travaillent les forgerons qui font travailler les serruriers), la même combinaison des opérations des revendeurs et de la production d'articles dans les ateliers capitalistes dont certains sont parfois classés parmi les «usines et fabriques»[85].

Les données reproduites dans l'annexe au chapitre V et relatives aux industries de la chaudronnerie et des plateaux[86] de la province de Moscou (la chaudronnerie est concentrée dans la région de Zagarié) montrent que ces industries font une place considérable au travail salarié et qu'elles sont dirigées par de gros ateliers (chacun d'entre eux emploie en moyenne de 18 à 23 ouvriers salariés et a une production de 16000 à 17000 roubles). Si on ajoute à cela que la division du travail y est appliquée sur une très vaste échelle[87], il apparaîtra clairement que nous avons une fois de plus affaire à une manufacture capitaliste[88]. «Etant donné la technique et la division du travail qui existent dans ces industries, les petites unités industrielles y constituent une anomalie et ne peuvent se maintenir à côté des grands ateliers qu'en allongeant au maximum la journée de travail» (Issaïev, l.c., p. 33), par exemple, jusqu'à 19 heures chez les fabricants de plateaux. Alors que d'une façon générale, la journée de travail est de 13-15 heures, elle atteint 16-17 heures chez les petits patrons. Dans de nombreux cas, les salaires sont payés en nature (cela est valable pour 1890 comme pour 1876)[89]. Ajoutons que dans cette industrie qui existe depuis longtemps (elle est apparue avant le début du XIXe siècle), la spécialisation est très poussée et, de ce fait, les ouvriers y sont extrêmement habiles (ceux de Zagarié sont très renommés). Cependant, on y a également vu apparaître des spécialités qui ne nécessitent aucun apprentissage préalable et qui sont directement accessibles aux tout jeunes ouvriers. Comme le remarque justement M. Issaïev «le fait même qu'il est possible de devenir ouvrier dès l'enfance, sans préparation, et d'apprendre son métier sans avoir à étudier montre bien que l'«esprit artisanal» qui demande une main-d'œuvre spécialisée est en train de disparaître; la simplicité d'un grand nombre d'opérations marque le passage du métier à la manufacture» (l.c., page 34). Notons toutefois que la manufacture repose sur le travail à la main et que, de ce fait, l'«esprit artisanal» continue toujours à s'y manifester jusqu'à un certain point.

10. Bijouterie. La fabrication des samovars et des accordéons[modifier le wikicode]

Le bourg de Krasnoïé (province et district de Kostroma) est un de ces bourgs industriels qui, en règle générale, constituent les centres de nos manufactures capitalistes «populaires». C'est un gros village (2612 habitants en 1897) qui a un caractère purement urbain, les gens y vivent comme des petits bourgeois et, à quelques exceptions près, ne s'occupent pas d'agriculture. Ce bourg est le centre d'une industrie de joaillerie englobant 4 cantons, 51 localités (dont le canton de Sidorovskié, district de Nérekhta), 735 foyers et environ 1706 ouvriers[90]. «Il est indubitable, écrit M. Tillo, que les gros industriels de Krasnoïé, les Pouchilov, les Mazov, les Sorokine, les Tchoulkov et autres marchands doivent être considérés comme les principaux représentants de cette industrie. Ce sont eux qui achètent les matières premières (or, argent, cuivre), qui entretiennent les maîtres-ouvriers, qui accaparent les articles finis, qui passent les commandes à domicile, qui fournissent les modèles à exécuter, etc.» (2043). De même, ce sont eux qui possèdent les ateliers («les laboratoires») où sont fondus et forgés les métaux qui seront ensuite distribués à des «koustaris» pour être travaillés. Enfin, ils sont propriétaires de tout un outillage: presses, estampeuses (qui servent à découper les pièces), «frappeuses» (pour imprimer les dessins), «étireuses» (pour étirer les métaux), établis, etc. La division du travail est très poussée. «Les articles doivent presque tous passer par plusieurs ouvriers, selon un ordre fixé d'avance. Ainsi, par exemple, pour fabriquer des boucles d'oreilles, l'argent est d'abord traité dans l'atelier du patron (une partie de cet argent est lamée et une autre est étirée en fil), ensuite la matière première ainsi obtenue est remise à un artisan spécialiste. Si celui-ci possède une famille, il partage le travail qu'on lui a commandé entre plusieurs personnes: l'une donne à la plaque d'argent le dessin et la forme de la boucle d'oreille; une autre fabrique les anneaux qu'on passe dans l'oreille, une troisième est chargée de la soudure, une quatrième, enfin, doit polir la boucle quand elle est terminée. Le travail n'est pas difficile et ne demande pas un long apprentissage. Il arrive très souvent que la soudure et le polissage soient confiés aux femmes et aux enfants dès qu'ils atteignent l'âge de 7-8 ans» (2041)[91]. Là encore, la journée de travail est excessivement longue et atteint d'ordinaire 16 heures. Il est d'usage de faire le paiement en nature.

Les données statistiques suivantes (qui ont été publiées tout dernièrement par l'inspecteur du bureau local du titre) montrent clairement quelle est la structure économique de cette industrie[92]:

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«Plutôt qu'à des «koustaris», les artisans de deux premiers groupes (qui rassemblent les 2/3 environ des maîtres-ouvriers) doivent être assimilés à des ouvriers de fabrique travaillant à domicile.» Dans le groupe supérieur «le travail salarié est de plus en plus employé ... et les artisans commencent à acheter les articles fabriqués par d'autres». Dans les couches supérieures du groupe «ce sont d'ailleurs les achats qui prédominent et 4 revendeurs n'ont pas d'atelier»[93].

On retrouve un exemple tout à fait typique de manufacture capitaliste dans l'industrie des samovars et des accordéons de la ville de Toula et des environs. D'une façon générale, les industries «artisanales» de cette région se caractérisent par leur ancienneté: elles remontent au XVe siècles[94] et se sont particulièrement développées dans la seconde moitié du XVIIe siècle (selon M. Borissov, c'est à cette époque qu'a commencé la 2e période de leur développement). En 1637, le Hollandais Vinius construit la première fonderie. Les armuriers de Toula habitent un faubourg à part, forment une corporation particulière et bénéficient des droits et de privilèges spéciaux. En 1696, on voit apparaître à Toula la première fonderie équipée par un forgeron de la ville et l'industrie gagne l'Oural et la Sibérie[95]. Cela marque le début de la 3e période de l'histoire des industries de Toula. Les artisans se mettent à fonder leurs propres ateliers et apprennent le métier aux paysans des alentours. Entre 1810 et 1820 apparaissent les premières fabriques de samovars. «Dès 1825, on trouve à Toula 43 fabriques appartenant à des armuriers; à l'heure actuelle d'ailleurs, presque toutes les fabriques de la ville appartiennent à d'anciens armuriers devenus marchands» (l.c., 2262). On voit donc qu'il y a un lien de filiation direct entre les anciens membres des corporations et les maîtres actuels de la manufacture capitaliste. En 1864, les armuriers sont libérés du servage[96] et reclassés parmi les bourgeois des villes; les gains diminuent par suite de la forte concurrence des «koustaris» de la campagne (cette concurrence pousse les gens qui s'occupent d'industrie à abandonner la ville et à retourner vers les campagnes); les ouvriers se tournent vers les industries du samovar, vers la serrurerie, la coutellerie et l'industrie des accordéons (les premiers accordéons de Toula ont fait leur apparition en 1830-1835).

A l'heure actuelle, l'industrie des samovars est organisée de la façon suivante: on trouve à sa tête de gros capitalistes qui possèdent des ateliers employant des dizaines et des centaines d'ouvriers et qui, en plus, confient un grand nombre d'opérations parcellaires à des ouvriers travaillant à domicile, en ville ou à la campagne; il arrive parfois que ces exécutants possèdent eux-mêmes un atelier et emploient également des ouvriers salariés. Il va de soi qu'à côté des grands ateliers, il y en a de petits qui dépendent plus ou moins des capitalistes (on trouve tous les degrés de cette dépendance). La base générale de toute la production est la division du travail. La fabrication d'un samovar nécessite en effet les opérations suivantes: 1° la mise en tubes de la plaque de cuivre (ajustage); 2° la soudure; 3° le limage des soudures; 4° le raccord du fond; 5° le forgeage des détails (ce qu'on appelle l'«achevage»); 6° le nettoyage de l'intérieur; 7° le tournage du samovar et du col; 8° l'étamage; 9° le perçage mécanique des trous du fond et de la collerette; 10° le montage du samovar. A cela, il faut encore ajouter la fonte des petites pièces de cuivre, qui comprend: a) le moulage et b) la fonte proprement dite[97]. Quand le travail est distribué à domicile, chacune de ces opérations peut constituer une industrie «artisanale» distincte des autres. Dans le fascicule VII des Travaux de la commission artisanale, M. Borissov nous décrit une de ces «industries», la mise en tube, qui est la première des opérations de détail dont nous avons parlé plus haut. Les paysans qui en sont chargés travaillent avec du matériel fourni par les marchands et sont payés à la pièce. Après 1861, les «koustaris» ont quitté Toula pour s'installer à la campagne où la vie est moins chère et les besoins moins grands (l.c., page 893). M. Borissov note avec raison que cette vitalité des «koustaris» est due au fait que les samovars continuent à être forgés à la main: «Les fabricants qui passent les commandes auront toujours avantage à faire travailler les «koustaris» de la campagne qui sont payés de 10 à 20%. moins cher que ceux des villes» (916).

En 1882, selon M. Borissov, la production des samovars était d'environ 5 millions de roubles et occupaient de 4 à 5000 ouvriers («koustaris», si l'on veut). Une fois de plus, la statistique des fabriques et des usines ne porte que sur une toute petite partie de la manufacture capitaliste. En 1879, l'Index recensait dans la province de Toula 53 «fabriques» de samovars (fonctionnant toutes à la main) qui employaient 1479 ouvriers et produisaient pour 836000 roubles de marchandise. En 1890, il recensait 162 fabriques avec 2175 ouvriers et une production de 1100000 roubles, mais le relevé nominal n'en indiquait que 50 (dont 1 qui fonctionnait à la vapeur) avec 1326 ouvriers et une production de 698000 roubles. Il est donc évident que pour cette fois on a classé parmi les «fabriques» une centaine de petites entreprises. En 1894-95, enfin. la Liste relevait 25 fabriques (dont 4 fonctionnant à la vapeur) avec 1202 ouvriers (+ 607 à domicile) et une production de 1613000 roubles. Pour les raisons que nous avons indiquées plus haut et du fait que dans les années passées on a mélangé les ouvriers employés dans les entreprises et ceux qui travaillaient à domicile, ces données ne permettent de comparer ni les chiffres qui portent sur les fabriques ni ceux qui portent sur les ouvriers. La seule chose certaine, c'est que la manufacture est progressivement éliminée par la grosse industrie mécanique: en 1879, il y avait 2 fabriques qui employaient 100 ouvriers et plus, en 1890, on en trouvait 2 (dont une fonctionnait à la vapeur) et. en 1894-95, 4 (dont 3 à la vapeur)[98].

L'industrie des accordéons n'a pas encore atteint au stade de développement économique aussi élevé, mais est organisée de façon absolument analogue[99]. «La production des accordéons nécessite plus de dix spécialités.» (Travaux de la commission artisanale, IX, 236.) La fabrication des différentes pièces et un certain nombre d'opérations parcellaires ont donné naissance à des industries «artisanales» particulières, quasi-indépendantes. «Pendant les périodes d'accalmie, tous les «koustaris» travaillent pour des fabriques ou des ateliers plus ou moins importants avec du matériel fourni par les patrons; quand la demande s'accroît, on voit apparaître une masse de petits producteurs qui achètent les pièces détachées aux «koustaris», procèdent eux-mêmes à l'assemblage et livrent les instruments ainsi obtenus aux magasins de la localité qui les leur achètent sans faire aucune difficulté» (ibid.). En 1882, selon M. Borissov, cette industrie employait de 2000 à 3000 ouvriers et produisait pour environ 4000000 de roubles de marchandise. La Statistique des usines et fabriques, quant à elle, recensait, en 1879, deux «fabriques» avec 22 ouvriers et une production de 5000 roubles. En 1890, elle en relevait dix-neuf avec 275 ouvriers et une production de 82000 roubles et en 1894-95, une avec 23 ouvriers (plus 17 à domicile) et une production de 20000 roubles[100]. Les machines à vapeur sont absolument inconnues. Si ces chiffres sont tellement irréguliers, c'est parce qu'on a pris absolument au hasard tel ou tel établissement qui est partie intégrante de l'organisme complexe de la manufacture capitaliste.

III. La technique dans la manufacture. La division du travail et son importance[modifier le wikicode]

Il nous faut maintenant tirer les conclusions des données que nous venons d'exposer et voir si elles caractérisent vraiment une phase particulière du développement du capitalisme dans notre industrie.

Dans toutes les industries que nous avons étudiées, on retrouve les caractères suivants: la production continue à se faire à la main et la division systématique du travail est appliquée sur une vaste échelle. Le processus de la production est divisé en plusieurs opérations de détail exécutées par divers ouvriers spécialisés. Pour former ces spécialistes, un apprentissage relativement long est nécessaire et cet apprentissage est le corollaire naturel de la manufacture. Dans le cadre général de l'économie marchande et du capitalisme, ce phénomène aboutit aux pires formes de dépendance personnelle et d'exploitation[101]. Pour que l'apprentissage disparaisse, il faut que la manufacture atteigne un plus haut niveau de développement et qu'il se forme une grande industrie mécanique: à ce stade, en effet, les machines permettent de réduire au minimum la période d'apprentissage ou bien les opérations de détail deviennent si simples qu'elles peuvent être effectuées par des enfants (voir plus haut, l'exemple de Zagarié).

La manufacture se caractérise par un relatif immobilisme, particulièrement flagrant quand on la compare à la fabrique, et qui vient de ce que sa production continue à être basée sur le travail à la main. Le développement de la division du travail en étendue et en profondeur est extrêmement lent, si bien que lorsque la manufacture a pris une certaine forme elle la conserve pendant des décennies (et parfois même des siècles entiers): un grand nombre des industries que nous avons étudiées remonte à une date très ancienne, et malgré cela, nous avons pu voir que jusqu'à ces derniers temps aucun changement notable n'est intervenu dans le mode de production de la majorité d'entre elles.

Pour ce qui est du rôle de la division du travail dans le processus de développement des forces productives du travail, nous n'allons pas répéter les thèses de l'économie théorique que tout le monde connaît. Tant que la production repose sur le travail à la main, la division du travail est le seul progrès technique possible[102]. Nous nous contenterons donc de signaler les deux facteurs essentiels qui montrent que la division du travail est une nécessité en tant que phase préparatoire à la grande industrie mécanique. En premier lieu, on ne peut introduire les machines (au début elles ne sont employées que pour les opérations les plus simples et ce n'est que peu à peu qu'elles s'étendent à des opérations plus complexes) que si on divise le processus de la production en toute une série d'opérations purement mécaniques extrêmement simples. Dans l'industrie textile, par exemple, l'emploi des métiers mécaniques s'est depuis longtemps généralisé pour la production des tissus simples, mais les soieries continuent pour l'essentiel à être fabriquées à la main. Dans la serrurerie, les machines sont surtout utilisées pour le polissage qui est l'une des opérations les plus simples. Mais tout en étant une étape préparatoire sans laquelle la grosse production mécanique ne peut être introduite, ce morcellement de la production provoque un développement des petits métiers. Ces opérations de détail, en effet, peuvent être exécutées à domicile par la population des alentours, soit sur la commande des manufacturiers qui fournissent les matières premières (montage des crins dans la brosserie, confection des peaux de mouton, des pelisses, des moufles, des chaussures, etc., dans l'industrie des cuirs et peaux, finissage des peignes dans l'industrie du peigne, ajustage des samovars, etc.), soit même en achetant les matériaux «pour son propre compte» et en revendant aux manufactures les pièces détachées qu'elle a produites (chapellerie, carrosserie, accordéons. etc.). Cela peut sembler paradoxal mais c'est un fait: le développement des petits métiers (parfois même des petits métiers «indépendants») est l'indice d'un progrès de la manufacture. L'«indépendance» de ce genre de «koustaris» est absolument fictive puisque leur travail ne pourrait exister et que leur produit n'aurait aucune valeur d'usage s'ils étaient détachés des autres travaux de détails et des autres parties du produit. Or, seul le gros capital qui, sous une forme ou sous une autre, domine la masse des ouvriers de détails, est en mesure de les réunir[103]. En ignorant ou en dissimulant le fait que les producteurs parcellaires sont une partie intégrante de la manufacture capitaliste, les économistes populistes commettent une de leurs plus graves erreurs.

Le deuxième point qu'il faut souligner tout particulièrement, c'est que la manufacture forme des ouvriers extrêmement habiles. Si elle n'avait pas été précédée par une longue période pendant laquelle les ouvriers ont été formés par la manufacture, la grande industrie mécanique n'aurait pas pu connaître le développement rapide qu'elle a connu après l'abolition du servage. Ainsi, par exemple, l'enquête sur l'industrie textile «artisanale» du district de Pokrov, province de Vladimir, note que les tisserands du canton de Koudykino (s'est dans ce canton que se trouvent le bourg d'Orékhovo et les fameuses fabriques Morosov) «ont une très grande expérience et une remarquable habileté». «Jamais ... , ajoutent les enquêteurs, nous n'avons rencontré une telle tension dans le travail... Dans cette contrée, il existe une division du travail extrêmement rigoureuse entre les tisserands et les bobineurs ... Les ouvriers ont hérité du passé des procédés techniques perfectionnés ... l'aptitude à se tirer des difficultés les plus diverses[104].» «On ne peut installer n'importe quel nombre de fabriques dans n'importe quelle localité», pouvons-nous lire à propos de la soie. «La fabrique doit suivre les ouvriers et s'installer dans les endroits où l'exode industriel» (ou bien le travail à domicile, ajouterons-nous) «a entraîné la formation d'un contingent d'ouvriers expérimentés[105]» Des entreprises comme la fabrique de chaussures de Pétersbourg[106],[107] n'auraient pas pu se développer à la cadence où elles l'ont fait si dans la région de Kimry, par exemple, ne s'étaient pas formés au cours des siècles des ouvriers connaissant bien leur métier et qui, aujourd'hui, sont enclins à émigrer. Pour cette raison, entre autres, une très grande importance s'attache au fait que la manufacture donne naissance à toute une série de vastes régions spécialisées dans une production déterminée et où se sont formées des masses d'ouvriers expérimentés[108].

La division du travail dans la manufacture capitaliste provoque des mutilations et des infirmités chez les ouvriers (et aussi chez les «koustaris» parcellaires) ; elle a ses virtuoses et ses victimes: les premiers sont extrêmement rares et provoquent l'admiration des enquêteurs[109]; les secondes forment la masse des «koustaris» faibles de poitrine, aux bras anormalement développés, aux «gibbosités unilatérales»[110], etc., etc.

IV. La division territoriale du travail et la séparation de l'agriculture et de l'industrie[modifier le wikicode]

Comme nous l'avons déjà noté, la division du travail en général est directement liée à la division territoriale du travail, au fait que certaines régions sont spécialisées dans la production d'un seul produit, parfois d'une seule variété ou même d'une seule partie précise du produit. La prédominance du travail à la main, le fait qu'il existe une masse de petites entreprises, que l'ouvrier continue à être lié à la terre, que les artisans sont rivés à une spécialité bien précise, tout cela conduit inévitablement à l'isolement de certains districts manufacturiers. Parfois cet isolement local est si grand que les districts sont complètement coupés du monde extérieur avec lequel seuls les patrons marchands ont des contacts[111].

Dans la tirade ci-dessous, M. Kharisoménov sous-estime l'importance de la division territoriale du travail. «L'empire russe est si vaste, écrit-il, que les richesses naturelles y sont extrêmement diverses: telle région est riche en forêts et en gibier, telle autre en bétail, telle autre encore en argile ou en minerai de fer. Ce sont ces caractères naturels qui ont déterminé le type de l'industrie. Les grandes distances et l'insuffisance des moyens de communication rendaient le transport des matières premières impossible ou extrêmement onéreux. De ce fait, les industries devaient obligatoirement s'installer dans les localités où se trouvaient les matières premières. C'est ce qui explique cette spécialisation de la production marchande par vastes régions d'un seul tenant, qui constitue le trait caractéristique de notre industrie.» (Iouriditcheski Vestnik, l.c., p. 440.)

La division territoriale du travail est caractéristique non pas de notre industrie, mais de la manufacture (et cela vaut pour la Russie comme pour les autres pays). Les petites industries n'avaient pas pu créer d'aussi vastes zones; la fabrique a brisé leur isolement et facilité le transfert des entreprises et des masses d'ouvriers vers d'autres endroits. Non seulement la manufacture crée des régions d'un seul tenant mais elle introduit la spécialisation au sein même de ces régions (la division du travail par marchandises). Pour qu'il y ait une manufacture, il n'est absolument pas obligatoire que les matières premières se trouvent dans la localité. Il arrive d'ailleurs très fréquemment qu'il n'en soit pas ainsi. S'il y a une manufacture, en effet, cela veut dire qu'il existe des relations commerciales assez étendues[112].

A ce stade de l'évolution capitaliste, la séparation de l'agriculture et de l'industrie prend une forme particulière déterminée par les caractères de la manufacture que nous venons de décrire. Le type que l'on rencontre le plus couramment dans l'industrie, n'est plus le paysan mais le «maître-ouvrier» qui ne s'occupe pas d'agriculture (et à l'autre pôle, le marchand et le patron d'atelier). Dans la majorité des cas, ainsi que nous l'avons vu plus haut, les métiers organisés sur le modèle de la manufacture ont des centres non agricoles: ce sont ou bien des villes ou bien (et plus fréquemment) des bourgs dont les habitants ne s'occupent presque pas d'agriculture et qui doivent être classés parmi les agglomérations de caractère industriel et commercial. Cette séparation de l'industrie et de l'agriculture a des causes profondes qui résident dans la technique de la manufacture, dans son régime économique, dans les particularités du mode de vie (ou de culture). La technique lie les ouvriers à une spécialité bien précise ce qui, d'une part, les rend inaptes à l'agriculture (manque de forces, etc.) et qui, d'autre part, demande une pratique du métier prolongée et ininterrompue. Dans le régime économique de la manufacture, la différenciation entre les ouvriers qui s'occupent d'industrie est infiniment plus profonde que dans les petites industries (nous savons que dans ces dernières, la décomposition agricole se poursuit, parallèlement à la décomposition industrielle). Du fait de cette paupérisation absolue des masses de petits producteurs, qui est la condition et la conséquence de la manufacture, celle-ci se trouve dans l'impossibilité de recruter son personnel parmi les agriculteurs plus ou moins aisés. Dans les particularités culturelles de la manufacture il faut ranger 1) le fait que ces métiers existent depuis très longtemps (parfois depuis plusieurs siècles), ce qui laisse une empreinte sur la population et 2) le fait que la population a un niveau de vie plus élevé que la moyenne[113]. Nous allons parler plus en détail de cette dernière particularité, mais tout d'abord, il nous faut noter que la manufacture ne réussit pas à séparer complètement l'agriculture de l'industrie. Tant que la technique repose sur le travail à la main, les grosses entreprises ne peuvent pas éliminer complètement les petites, surtout si les petits «koustaris» allongent leur journée de travail et abaissent le niveau de leurs besoins: nous avons vu que dans ces conditions, la manufacture provoquait même un développement des petites industries. C'est pourquoi il est tout naturel que dans la majorité des cas, les centres manufacturiers non agricoles soient entourés de localités agraires dont les habitants s'occupent également d'industrie. Ce phénomène montre clairement que la manufacture a un caractère de transition entre la petite production réalisée à la main et la fabrique. Si, même en Occident, la période manufacturière du capitalisme n'a pu détacher entièrement les ouvriers d'industrie de l'agriculture[114],[115] à plus forte raison en Russie où il existe toute une série d'institutions liant les paysans à la terre, cette séparation devait-elle nécessairement être retardée. C'est pourquoi dans la manufacture capitaliste russe, répétons-le une fois de plus, le phénomène le plus typique est le centre non agricole qui attire les populations mi-agraires-mi-industrielles des villages environnants, qu'il domine.

Il est particulièrement intéressant de noter que c'est dans ces centres non agricoles que le niveau de culture de la population est le plus élevé. En règle générale, les habitants de ces centres sont plus instruits et ont un niveau de vie et des besoins plus élevés que la «masse inculte des cul-terreux» dont ils se distinguent très nettement[116]. On conçoit l'extrême importance de ce fait qui montre clairement le rôle historique progressiste du capitalisme, d'autant plus qu'il s'agit là d'un capitalisme purement «populaire» que le populiste le plus enragé aurait bien du mal à qualifier d'artificiel puisque, dans leur écrasante majorité, les centres dont nous parlons appartiennent à l'industrie «artisanale». Là encore on voit apparaître le caractère transitoire de la manufacture: cette transformation morale de la population, en effet, la manufacture ne fait que l'amorcer et seule la grosse industrie mécanique pourra la mener à son terme.

V. Le régime économique de la manufacture[modifier le wikicode]

Dans toutes les industries organisées sur le modèle de la manufacture que nous avons examinées, la grande masse des ouvriers n'est pas indépendante mais soumise au capital. Elle ne reçoit qu'un salaire et ne possède ni les matières premières ni les produits finis. En fait, les ouvriers pratiquant ces «métiers» sont dans leur immense majorité des salariés, encore que dans la manufacture, le phénomène ne parvienne jamais aux formes pures et achevées qui sont propres à la fabrique. Dans la manufacture, le capital commercial vient se combiner au capital industriel sous les formes les plus variées et la dépendance de l'ouvrier à l'égard du capitaliste prend toute une série d'aspects et de nuances divers, qui vont du travail salarié en atelier à la dépendance pour ce qui est de l'achat des matières premières et l'écoulement des produits, en passant par le travail à domicile effectué pour un patron. A côté de la masse des ouvriers dépendants, il subsiste toujours dans la manufacture un nombre plus ou moins considérable de producteurs quasi indépendants. Mais cette diversité de formes ne fait que dissimuler le caractère essentiel de la manufacture, à savoir que sous ce régime, la rupture entre les représentants du travail et ceux du capital est entièrement consommée. Dans nos principaux centres manufacturiers, cette rupture était déjà réalisée depuis plusieurs générations au moment de l'abolition du servage. Dans tous les «métiers» que nous avons examinés, on trouve d'une part la masse de la population dont le seul moyen de subsistance est son travail qui dépend de la classe possédante et, d'autre part, une petite minorité d'industriels aisés qui, sous une forme ou sous une autre, détient presque toute la production de la région. C'est ce fait fondamental qui donne à notre manufacture ce caractère capitaliste fortement accusé que l'on ne trouvait pas au stade précédent. A ce stade aussi, la dépendance à l'égard du capital et le travail salarié existaient bien, mais ils n'avaient pas encore pris une forme définitive; ils ne portaient pas sur la masse des petits industriels et de la population, ils n'entraînaient pas la rupture entre les divers groupes participant à la production. Celle-ci gardait d'ailleurs des proportions réduites; il y avait peu de différences entre les patrons et les ouvriers, on ne trouvait presque pas de gros capitalistes (alors qu'on en trouve toujours à la tête des manufactures) et il n'y avait pas d'ouvriers parcellaires liés à une seule opération et, de ce fait, liés au capital qui réunit toutes les opérations en un seul mécanisme de production.

Voici le témoignage d'un vieil écrivain qui vient confirmer avec éloquence notre interprétation des données que nous avons citées plus haut. «A Kimry et dans d'autres bourgs de Russie réputés pour leur richesse, comme par exemple Pavlovo, la moitié de la population est composée d'indigents réduits à la mendicité. Si l'ouvrier tombe malade, et si en plus il est tout seul, il risque de se retrouver sans un morceau de pain la semaine d'après[117]

On voit que l'opposition entre la «richesse» de toute une série de «bourgs célèbres» et la prolétarisation complète de l'écrasante majorité des «koustaris», opposition qui constitue le trait essentiel du régime économique de notre manufacture, apparaissait en pleine lumière dès les années 60. A cela il faut ajouter (car les deux faits sont directement liés) que les ouvriers les plus typiques de la manufacture (c'est-à-dire ceux qui ont rompu entièrement ou presque avec la terre) sont attirés non plus vers le stade précédent mais vers le stade suivant du capitalisme et qu'ils sont plus proches des ouvriers de la grande industrie mécanique que de la paysannerie. Les données concernant le niveau de culture des «koustaris», que nous avons citées plus haut en témoignent d'ailleurs avec éloquence. Mais cela n'est pas valable pour tout le personnel ouvrier de la manufacture. Par suite du maintien d'une masse de petites entreprises et de petits patrons, du maintien des liens avec la terre et de l'extraordinaire développement du travail à domicile, pour toutes ces raisons il y a en effet un très grand nombre de «koustaris» de la manufacture qui continuent à pencher vers la paysannerie, à aspirer à se transformer en petits patrons, à être attirés non par l'avenir mais par le passé,[118]à se bercer de toutes sortes d'illusions sur les possibilités qu'ils ont de devenir des patrons indépendants (en intensifiant leur travail, en épargnant, en faisant preuve d'adresse)[119]. L'enquête sur les «industries artisanales» de la province de Vladimir nous donne sur ces illusions petites-bourgeoises une appréciation remarquable par sa justesse.

La victoire définitive de la grosse industrie sur la petite, qui réunira au sein d'une seule et même fabrique de soie la multitude des ouvriers disséminés dans les ateliers familiaux, n'est plus qu'une question de temps. Et plus tôt elle arrivera, mieux cela vaudra pour les tisserands.

Ce qui caractérise l'organisation de l'industrie de la soie, à l'heure actuelle, c'est l'imprécision et l'instabilité des catégories économiques ainsi que la lutte qui oppose la grosse production à la petite et à l'agriculture. Cette lutte place les patrons et les tisserands dans une situation, très instable, sans rien leur apporter. Elle les détache de l'agriculture, les oblige à s'endetter et elle est particulièrement pénible en période de stagnation. La concentration de la production ne provoquera pas la baisse des salaires des tisserands mais il ne sera plus nécessaire de tromper les ouvriers, de les faire boire, de leur consentir des avances d'argent sans proportion avec leurs gains annuels pour les attirer. A mesure que la concurrence s'affaiblit, les fabricants ont de moins en moins intérêt à dépenser des sommes importantes pour lier les tisserands par des dettes. Avec la grosse production, d'autre part, les intérêts des fabricants et ceux des ouvriers ainsi que la richesse des uns et la misère des autres sont si évidemment opposés, que le tisserand ne pourra jamais imaginer qu'il puisse devenir fabricant. La petite production n'apporte au tisserand rien de plus que la grosse, mais comme elle est plus instable, et de ce fait le pervertit beaucoup plus. De fausses perspectives s'ouvrent à lui, il attend le moment où il pourra avoir une installation lui appartenant en propre. Pour réaliser cet idéal, il ne recule devant aucun effort, il s'endette, il vole, il ment, il considère ses camarades non plus comme des compagnons d'infortune mais comme des ennemis, des concurrents pour la conquête de cette misérable installation qu'il a l'espoir d'obtenir dans un avenir lointain. Le petit patron ne se rend pas compte de son insignifiance économique; il cherche à se faire bien voir des revendeurs et des fabricants, il refuse de dire à ses camarades à quel endroit et à quelles conditions il achète ses matières premières et écoule ses produits. Tout en imaginant être un patron indépendant, il devient de son plein gré un misérable instrument, un véritable jouet entre les mains des gros marchands. A peine a-t-il réussi à sortir de sa crasse et à acquérir 3 ou 4 métiers qu'il commence à parler de la dure condition des patrons, de la paresse et de l'ivrognerie des tisserands, de la nécessité d'assurer les fabricants contre le non-remboursement des dettes. De même qu'au bon vieux temps le majordome et l'homme de charge étaient l'incarnation vivante de la servilité féodale, de nos jours, le petit patron est l'incarnation vivante de la servilité industrielle. Tant que les moyens de production ne sont pas entièrement détachés des producteurs et que ces derniers gardent l'espoir de devenir des patrons indépendants, tant que les fabricants, les petits patrons et les koulaks qui dirigent et exploitent les catégories économiques inférieures et qui sont exploitées par les catégories supérieures continuent à masquer l'abîme économique qui sépare les tisserands des revendeurs, la conscience sociale des travailleurs est mystifiée et leur imagination est le jouet des fictions. Là où il devrait y avoir la solidarité, on voit apparaître la concurrence, alors que des groupes économiques qui, en réalité, sont opposés les uns aux autres, unissent leurs intérêts. Actuellement, l'organisation de l'industrie de la soie ne se contente pas de la seule exploitation économique. Elle recrute ses agents parmi les exploités eux-mêmes, qui sont chargés par elle de mystifier la conscience et de corrompre le cœur des travailleurs... ( Les petites industries de la province de Vladimir, fasc., III, pp. 124-125).

VI. Le capital commercial et industriel dans la manufacture. Le « revendeur » et le « fabricant »[modifier le wikicode]

Les données que nous avons analysées plus haut montrent qu'à côté des gros ateliers capitalistes on trouve toujours, à ce stade de développement du capitalisme, un nombre considérable de petites entreprises. En règle générale, ces petites entreprises sont même prédominantes au point de vue numérique, mais elles ne jouent qu'un rôle entièrement subalterne dans le volume total de la production. Dans la manufacture, ce maintien (et même, comme nous l'avons vu plus haut, ce développement) des petites entreprises est un phénomène absolument normal. Tant que la production reste basée sur le travail à la main, les grands établissements n'ont pas un avantage décisif sur les petits; de plus, en créant des opérations de détail extrêmement simples, la division du travail favorise l'apparition de petits ateliers. C'est pourquoi la coexistence d'un petit nombre d'entreprises relativement importantes et d'un nombre considérable de petites est un phénomène typique de la manufacture capitaliste. Existe-t-il un lien entre ces deux sortes d'entreprises? Les données que nous avons examinées ne laissent planer aucun doute à ce sujet: il y a effectivement un lien et ce lien est extrêmement étroit; ce sont précisément les petits établissements qui donnent naissance aux grands; il arrive que les petits ateliers ne soient pas autre chose que des filiales extérieures de la manufacture; dans la grande majorité des cas la liaison est assurée par le capital commercial qui appartient aux gros patrons et auquel les petits sont subordonnés. Les patrons des grandes entreprises se trouvent dans l'obligation d'acheter les matières premières et d'écouler les produits en grande quantité. Plus leur chiffre d'affaires est important, moins ils ont de frais d'achat, de vente, de triage, d'entrepôt, etc., etc. (par unité de produit). Ensuite, ils revendent au détail les matières premières aux petits patrons, dont ils rachètent le produit fini qu'ils écoulent comme le leur[120]. Si, à ces opérations de vente de matières premières et d'achat du produit fini viennent s'ajouter (comme c'est souvent le cas) l'asservissement et l'usure, si le petit patron prend du matériel à crédit et livre ses produits pour payer ses dettes, le gros manufacturier retire de son capital des profits si importants comme il n'aurait jamais pu en obtenir avec des ouvriers salariés. La division du travail donne une nouvelle impulsion au développement de ces rapports de dépendance qui lient les petits patrons aux gros. De deux choses l'une: ou bien ces derniers distribuent les matières premières à domicile pour qu'elles soient traitées (ou pour que soient réalisées certaines opérations parcellaires) ou bien ils achètent aux «koustaris» certaines parties du produit, certaines variétés particulières du produit, etc. En un mot, le capital commercial est lié au capital industriel de la façon la plus étroite et la plus indissoluble et cette liaison constitue l'une des particularités les plus typiques de la manufacture. Dans presque tous les cas, le revendeur ne fait qu'un avec le manufacturier (ou avec le «fabricant», pour reprendre l'expression erronée employée couramment, qui classe abusivement parmi les «fabriques» tous les ateliers plus ou moins importants) . Cela explique que dans l'écrasante majorité des cas, les données concernant le volume de la production des grosses entreprises ne donnent aucune idée de leur rôle véritable dans nos «industries artisanales»[121]. Leurs patrons, en effet, exploitent non seulement le travail des ouvriers qu'ils emploient dans leurs propres ateliers, mais également celui de la masse des ouvriers à domicile et même (de facto) des petits patrons quasi indépendants à qui ils servent de «revendeurs»[122]. On voit que les données concernant la manufacture russe viennent confirmer de façon éclatante la loi découverte par l'auteur du Capital, selon laquelle le niveau de développement du capital commercial est inversement proportionnel au niveau de développement du capital industriel[123]. Et effectivement, nous pouvons caractériser toutes les petites industries que nous avons décrites au paragraphe II de la façon suivante: «la revente» y est d'autant plus développée que les gros ateliers y sont moins nombreux et vice versa; la seule chose qui change c'est la forme du capital qui joue le rôle dirigeant dans un cas comme dans l'autre, et qui place le «koustar» «indépendant» dans une situation souvent infiniment plus mauvaise que celle de l'ouvrier salarié.

Les économistes populistes ignorent ou dissimulent la liaison qui existe d'une part entre les petites et les grosses entreprises et d'autre part entre le capital industriel et le capital commercial. C'est là une de leurs erreurs fondamentales. «Les fabricants de la région de Pavlovo, écrit M. Grigoriev (1. c., p. 119), ne sont rien d'autre qu'une variété de revendeur un peu plus complexe.» Cela est valable non seulement pour Pavlovo mais pour la majorité des industries organisées sur le modèle de la manufacture capitaliste; la proposition inverse est tout aussi exacte: dans la manufacture, le revendeur est une variété complexe de «fabricant»; cela constitue d'ailleurs une des principales différences entre le revendeur de la manufacture et celui des petites industries paysannes. Mais, c'est arriver à une conclusion absolument arbitraire et faire violence aux faits en faveur d'une idée préconçue que de voir (comme le font M. Grigoriev et de nombreux populistes) dans cette liaison entre le «revendeur» et le «fabricant» on ne sait quel argument en faveur de la petite industrie. Toute une série de données nous apprennent en effet que la réunion du capital commercial et du capital industriel provoque une aggravation considérable de la situation du producteur direct par rapport à celle de l'ouvrier salarié, qu'elle provoque un allongement de sa journée de travail, une diminution de ses gains et qu'elle entrave son développement économique et culturel.

VII. Le travail à domicile pour le capitaliste comme appoint de la manufacture[modifier le wikicode]

Au chapitre précédent, nous avons vu que le travail capitaliste à domicile - c'est-à-dire la transformation par des ouvriers travaillant chez eux et payés à la pièce des matières premières fournies par un entrepreneur - se rencontre déjà dans les petites industries paysannes. Au chapitre suivant, nous verrons qu'il subsiste également (et sur une vaste échelle) à côté des fabriques, c'est-à-dire de la grande industrie mécanique. On voit donc que le travail capitaliste à domicile est pratiqué à tous les stades du développement de l'industrie capitaliste. Cependant, c'est surtout de la manufacture qu'il est caractéristique. Les petites industries paysannes et la grande industrie mécanique peuvent très facilement s'en passer. Par contre, il est très difficile et même presque impossible d'imaginer la période manufacturière - avec le maintien de l'attachement des ouvriers à la terre et l'abondance des petites entreprises aux alentours des grandes qui la caractérisent - sans distribution de travail à domicile[124],[125]. Et en effet, les données russes que nous avons examinées montrent que dans les industries organisées sur le modèle de la manufacture capitaliste, la distribution du travail à domicile est particulièrement développée. C'est pourquoi nous pensons qu'il est juste que les particularités caractéristiques du travail capitaliste à domicile soient étudiées précisément dans le chapitre, encore que parmi les exemples que nous fournirons, il y en ait plusieurs qui ne sont pas spécialement applicables à la manufacture.

Avant toute chose, il faut noter que lorsqu'il y a travail à domicile, on trouve une multitude d'intermédiaires entre le capitaliste et l'ouvrier. Le gros capitaliste, en effet, se trouve dans l'impossibilité de distribuer lui-même la matière première à des centaines et des milliers d'ouvriers qui, parfois, sont disséminés dans différents villages; il est donc inévitable qu'apparaissent des intermédiaires (et dans certains cas une hiérarchie des intermédiaires) qui prennent le matériel en gros et le distribuent au détail. Il en résulte un véritable sweating system où l'on fait suer sang et eau aux exploités, où l'exploitation est poussée à l'extrême: le «maître-artisan» (ou l'«ouvrier en chambre» ou la «marchande» dans l'industrie de la dentelle, etc.) est placé tout près de l'ouvrier, et de ce fait, il peut profiter des moindres moments de gêne de ce dernier et trouver des méthodes d'exploitation qui seraient impensables dans une grande entreprise et qui excluent toute possibilité de contrôle et de surveillance[126].

Une des formes du sweating system est le truck-system qui consiste à payer les salaires en nature. Dans les fabriques, ce système est prohibé, mais dans les industries artisanales, il continue à régner, surtout quand il y a distribution du travail à domicile. En examinant plus haut les diverses industries, nous avons d'ailleurs cité plusieurs exemples de ce phénomène très répandu.

Poursuivons: le travail capitaliste à domicile implique nécessairement des conditions de travail extrêmement antihygiéniques. Le fait que les ouvriers se trouvent dans une misère absolue, qu'il est impossible de prendre la moindre mesure pour réglementer les conditions de travail, qu'un seul et même local sert à la fois d'atelier et d'habitation, toutes ces raisons font que du point de vue sanitaire les logements de ceux qui sont employés à domicile constituent un véritable scandale et deviennent des foyers de maladies professionnelles. Dans les grandes entreprises, il est encore possible de lutter contre de tels phénomènes, mais dans ce domaine, le travail à domicile constitue la forme la plus «libérale» d'exploitation capitaliste.

Un autre caractère inhérent au travail capitaliste à domicile et, d'une façon générale, aux petites industries est la longueur démesurée de la journée de travail. Nous avons d'ailleurs pu comparer, à l'aide de plusieurs exemples, la durée respective de la journée de travail chez les «fabricants» et chez les «koustaris».

Quand il y a travail à domicile, les femmes et les enfants en bas âge sont presque toujours amenés à participer à la production. A ce sujet, voici quelques données concernant les métiers féminins de la province de Moscou. 10004 femmes sont employées au dévidage des fils de coton, les enfants commencent à travailler dès qu'ils ont atteint 5 ou 6 ans (!), le salaire journalier est de 10 kopecks, le salaire annuel, de 17 roubles. D'une façon générale, la journée de travail dans les métiers féminins atteint 18 heures. Dans l'industrie du tricot, on commence à travailler dès l'âge de 6 ans, le salaire journalier est de 10 kopecks et le salaire annuel de 22 roubles. Au total, les métiers féminins emploient 37514 ouvrières, on commence à y travailler dès l'age de 5-6 ans (il en est ainsi dans 6 industries sur 19, ces 6 industries occupant à elles seules 32400 ouvrières), le salaire journalier y est en moyenne de 13 kopecks, le salaire annuel de 26 roubles 20 kopecks[127],[128].

Un des aspects les plus nuisibles du travail capitaliste à domicile est qu'il provoque un abaissement du niveau des besoins des travailleurs. Les entrepreneurs ont la possibilité de recruter leurs ouvriers dans les coins les plus reculés où le niveau de vie est particulièrement bas et où les liens qu'ils ont avec la terre permettent aux gens de travailler pour presque rien. Ainsi, par exemple, le patron d'une entreprise rurale fabriquant des bas explique qu'à Moscou, il faut payer des loyers élevés et «donner du pain blanc aux ouvrières . . . tandis qu'au village, les gens travaillent dans leur isba et se nourrissent de pain noir». Et il ajoute: «Comment Moscou pourrait-elle rivaliser avec nous?»[129]. Nous avons vu que dans l'industrie du dévidage du fil, les ouvrières sont extrêmement mal payées. Cela vient de ce que, pour les femmes, les filles, etc., de paysans, il ne s'agit là que d'un gain d'appoint. «Mais avec ce système, les gens qui n'ont pour vivre que le travail qu'ils fournissent à la fabrique voient leurs salaires abaissés à l'extrême, ce qui les oblige à réduire leurs besoins au-dessous du minimum ou du moins empêche ces besoins de s'accroître. En tout état de cause, cela crée des conditions absolument anormales[130].» «La fabrique cherche des tisserands bon marché, écrit M. Kharisoménov, et elle ne les trouve que dans leurs villages natals, loin des centres industriels ... Au fur et à mesure qu'on s'éloigne des centres et qu'on se rapproche de la périphérie, les salaires sont de plus en plus bas: c'est là un fait absolument indubitable[131].» Comme on le voit, les entrepreneurs savent profiter au maximum des conditions qui retiennent artificiellement la population dans les campagnes.

La dispersion des ouvriers qui travaillent à domicile est un autre aspect de ce système, non moins nuisible que les précédents. Voici d'ailleurs ce que les revendeurs nous disent eux-mêmes à ce propos: «Dans la province de Tver, toutes les opérations des revendeurs (petits ou gros revendeurs de clous fabriqués par les forgerons de Tver) reposent sur le principe suivant: quand on achète des clous à un forgeron, il faut payer une partie du prix en espèce et une partie en fer. D'autre part, il faut prendre soin à ce que tous les forgerons travaillent à domicile, de façon à ce qu'ils soient plus accommodants[132].» Quand on a lu ces mots, il n'est pas difficile d'expliquer la «vitalité» de nos industries «artisanales».

La dispersion des ouvriers et l'abondance des intermédiaires provoquent naturellement un énorme développement de la servitude et de toutes les formes de dépendance personnelle qui sont le corollaire habituel des rapports «patriarcaux» dans les coins perdus des campagnes. Les dettes, que les ouvriers contractent envers les patrons sont un phénomène extrêmement répandu dans les industries artisanales en général, et dans le travail à domicile en particulier[133]. Ordinairement, l'ouvrier est non seulement un Lohnsklave[134], mais aussi un Schuldsklave[135]. Nous avons d'ailleurs cité plusieurs exemples de la situation dans laquelle le «caractère patriarcal» des rapports ruraux place les ouvriers[136].

Laissons maintenant les caractéristiques du travail capitaliste à domicile et voyons quelles sont les conditions de son expansion. Tout d'abord, il faut noter que ce système est lié au fait que les paysans sont fixés à leur lot concédé. Le fait qu'on ne peut se déplacer librement, que parfois il est impossible de se débarrasser de sa terre sans subir des pertes d'argent (quand les impôts fonciers sont supérieurs à ce que rapporte le lot, de sorte que celui qui veut mettre son lot en location est encore obligé de verser de l'argent au locataire), l'isolement de caste de la communauté paysanne, tout cela élargit artificiellement le champ d'application du travail capitaliste à domicile, et lie artificiellement le paysan aux formes d'exploitation qui sont les plus pénibles. Comme on le voit, nos institutions surannées et noire régime agraire imprégné d'esprit de caste exercent une influence extrêmement nuisible sur notre agriculture comme sur notre industrie et permettent le maintien de formes de production techniquement périmées ou impliquent un développement inouï de la servitude, de la dépendance personnelle ainsi que la situation la plus désespérée pour travailleur[137].

D'autre part, il est indubitable que le travail capitaliste à domicile est lié à la décomposition de la paysannerie. Pour qu'il soit largement répandu, en effet, deux conditions sont nécessaires. Il faut qu'il existe 1) une masse de prolétaires ruraux contraints de vendre leur force de travail et de la vendre à bas prix; 2) des paysans aisés connaissant bien les conditions locales et susceptibles d'assumer le rôle d'agents dans la distribution du travail. Dans de nombreux cas (surtout lorsqu'il s'agit d'industries plus ou moins compliquées), un commis envoyé par le marchand ne pourrait pas remplir ce rôle et de toute façon, il est douteux qu'un tel commis puisse jamais se débrouiller aussi «artistement» qu'un paysan de la localité avec «ses frères»[138]. S'ils ne disposaient pas de toute une armée de petits entrepreneurs à qui ils peuvent confier la marchandise à crédit ou en commission et qui saisissent avidement toutes les occasions d'élargir leurs petits marchés, il est probable que les grands patrons ne pourraient même pas réaliser la moitié des opérations de distribution du travail à domicile qu'ils réalisent actuellement.

Pour terminer, nous devons absolument noter le rôle que joue le travail capitaliste à domicile dans la théorie relative à l'excédent de population créé par le capitalisme. Il n'est personne qui ait autant disserté que M. M. V. V., N.-on et autres populistes sur la «libération» des ouvriers par le capitalisme russe. Pourtant, aucun de ces théoriciens ne s'est jamais donné la peine d'analyser les formes concrètes que notre «armée de réserve» des ouvriers a prises et continue à prendre depuis l'abolition du servage. Aucun d'entre eux n'a remarqué ce petit détail, à savoir que les ouvriers à domicile constituent peut-être la majeure partie de l'«armée de réserve» du capitalisme russe[139],[140]. Grâce à la distribution du travail à domicile, les entrepreneurs ont la possibilité d'accroître très rapidement leur production jusqu'au volume souhaité, sans avoir à faire de gros investissements ni à perdre de temps pour construire des ateliers, etc. Or, il arrive très souvent qu'une telle augmentation rapide de la production soit rendue nécessaire par les conditions du marché, lorsque la demande s'accroît par suite de la reprise qui affecte une branche industrielle importante (comme la construction d'un chemin de fer) ou par suite d'une conjoncture telle que la guerre, etc.[141] C'est pourquoi l'immense développement qu'a connu après l'abolition du servage le travail capitaliste à domicile constitue, entre autres choses, le second aspect du processus de formation de millions de prolétaires agricoles, que nous avons mis à jour au chapitre II. «Où est donc passée la main-d'œuvre libérée de l'économie domestique naturelle, au sens strict du mot, qui ne travaillait que pour la famille du producteur et les quelques consommateurs du marché voisin? Les fabriques regorgeant d'ouvriers et l'extension rapide de la grande production à domicile fournissent la réponse à ces questions.» (Les petites industries de la province de Vladimir, tome III, page 20. Souligné par nous). A l'heure actuelle, quel est le nombre des ouvriers employés à domicile par des patrons d'industrie? Nous allons le savoir grâce aux chiffres que nous rapportons au paragraphe suivant.

VIII. Qu'est-ce que l'industrie artisanale?[modifier le wikicode]

Dans les deux chapitres précédents, nous avons eu affaire essentiellement aux industries que, chez nous, il est d'usage de qualifier d'«artisanales». Mais, qu'est-ce qu'une industrie artisanale? Nous pouvons maintenant essayer de répondre à cette question.

Parmi les industries que nous avons examinées plus haut, quelles sont celles que notre littérature économique classe dans la masse des «petites industries artisanales»? Pour pouvoir en juger, commençons par examiner un certain nombre de données statistiques.

Selon les statistiques de Moscou, qui, dans la conclusion de leur enquête sur les «petites industries paysannes», dressent un bilan de toutes les occupations non agricoles, quelles qu'elles soient, 141329 personnes sont employées dans les industries locales (qui fabriquent des marchandises, t. VII, fasc. III). Il faut noter toutefois que dans ce nombre ils font entrer des artisans (une partie des cordonniers, des vitriers et beaucoup d'autres) ainsi que des scieurs de long, etc., etc. D'après nos calculs, sur ces 141329 personnes, il y a au moins 87000 qui travaillent à domicile pour des capitalistes[142] . Dans les 54 industries pour lesquelles nous avons pu réunie des chiffres, 17566 personnes sur 29446, soit 59,65%, sont des salariés. Voici le bilan qui nous est fourni pour la province de Vladimir (par cinq fascicules des Petites industries de la province de Vladimir) : 18286 personnes travaillent dans 31 industries, dont 15447 sont employées dans des métiers où prédomine le travail capitaliste à domicile (ce nombre comprend 5504 ouvriers salariés qui, pour ainsi dire, sont embauchés de seconde main), 150 sont des artisans ruraux (sur ces 150, il y a 45 salariés) et 2689 sont des petits producteurs de marchandises (511 salariés). Nous avons donc 16003 ouvriers (15447 + 45 + 511), soit 87,5% du total, qui sont employés selon le mode capitaliste[143]. Selon les tableaux que nous fournit M. Tillo dans Les travaux de la commission artisanale, les industries locales de la province de Kostroma occupent 83633 personnes: 19701 sont des ouvriers forestiers (que l'on classe parmi les «koustaris»!), 29564 travaillent à domicile pour des capitalistes, 19954 environ sont employés dans des métiers où les petits producteurs de marchandises sont prédominants et environ 14414 sont des artisans ruraux[144]. Dans 9 districts de la province de Viatka, ces mêmes Travaux recensent 60019 personnes travaillant dans les industries locales: 9672 sont meuniers ou fabricants d'huile; 2032 sont de purs artisans (teinturiers); 14928 sont mi-artisans, mi-producteurs de marchandises et parmi eux on note une nette prédominance du travail indépendant; 14424 travaillent dans des industries qui sont partiellement soumises au capital et 14875 dans des industries qui lui sont entièrement soumises. Enfin, on en trouve 4088 qui sont employés dans des métiers où le travail salarié exerce une prédominance absolue. Pour les autres provinces, nous avons dressé un tableau des industries au sujet desquelles les Travaux nous fournissent des renseignements plus ou moins détaillés. Nous avons obtenu ainsi le chiffre de 97 industries employant 107957 ouvriers et produisant pour 21151000 roubles de marchandises. Ces chiffres se décomposent de la façon suivante: 70204 ouvriers sont employés dans des industries où prédominent le travail salarié et le travail capitaliste à domicile (production 18621000 roubles), 26935 le sont dans des industries où les salariés et les travailleurs à domicile pour le compte des capitalistes ne représentent qu'une minorité (production: 1706000 roubles) et enfin, 10818 le sont dans des industries où le travail indépendant exerce une prédominance presque absolue (production: 824000 roubles). Selon la statistique des zemstvos, on trouve dans 7 industries des districts de Gorbatov et de Sémionov (province de Nijni-Novgorod) 16303 «koustaris»: 4614 d'entre eux travaillent pour le marché, 8520 travaillent pour un «patron» et 3169 sont des ouvriers salariés. Au total il y en a donc 11689 qui sont employés selon le mode capitaliste. D'après le recensement de l'industrie artisanale de la province de Perm de 1894-1895, sur 26000 «koustaris» 6500 (25%) sont des ouvriers salariés et 5200 (20%) travaillent pour les revendeurs, soit 45% d'ouvriers soumis à l'exploitation capitaliste[145].

Si fragmentaires que soient ces données (nous n'en avons pas d'autres à notre disposition), elles montrent clairement que la masse des ouvriers employés selon le mode capitaliste est classée parmi les «koustaris». C'est ainsi que dans 50-60 districts (et pour un grand nombre d'entre eux nous sommes loin d'avoir des renseignements complets), les données que nous avons citées dénombrent plus de 200000 personnes travaillant à domicile pour des capitalistes. Cela veut dire que dans l'ensemble de la Russie, le nombre de ces ouvriers doit être d'environ deux millions[146]. Si on y ajoute les salariés qui travaillent chez les «koustaris» - les données nous montrent que leur nombre n'est pas aussi insignifiant qu'on le pense parfois - on doit reconnaître que ce chiffre de deux millions d'ouvriers industriels employés de façon capitaliste hors des «usines et fabriques» est plutôt un chiffre minimum[147],[148].

Comme on le voit, toutes ces données exposées dans les deux chapitres précédents, nous obligent à répondre que le concept «d'industrie artisanale» est absolument impropre à la recherche scientifique, car en règle générale, il englobe toutes sortes de formes industrielles, depuis les industries domestiques et les métiers jusqu'au travail salarié dans de très grosses manufactures[149]. Cette confusion des types d'organisation économique les plus divers, qui règne dans une masse de descriptions des «petites industries artisanales»[150], a été reprise sans la moindre critique ni le moindre sens par les économistes populistes qui, de la sorte, ont fait un gigantesque pas en arrière par rapport à des écrivains comme Korsak, par exemple, et ont profité de cet imbroglio idéologique pour échafauder les théories les plus curieuses. On nous a donc présenté l'«industrie artisanale» comme une forme économique homogène, toujours égale à soi-même et opposée (sic) au «capitalisme» qui était assimilée à l'industrie des «usines et fabriques». Prenons, par exemple, M. N.-on. A la page 79 de ses Essais, on trouve le titre suivant: «La capitalisation (?) des petites industries»[151], et immédiatement, sans la moindre réserve ou explication, on passe à des «données sur les usines et fabriques»... Comme on le voit, tout cela est d'une simplicité touchante: le «capitalisme», c'est «l'industrie des mines et fabriques» et l'industrie des usines et fabriques, c'est ce que les publications officielles classent sous cette rubrique. Et à partir de cette «analyse» si pénétrante, on élimine des calculs concernant le capitalisme les ouvriers employés de façon capitaliste qui sont classés parmi les «koustaris». A partir de cette «analyse», on élude entièrement le problème des différentes formes d'industrie existant en Russie. A partir de cette analyse enfin, on donne naissance à un des préjugés les plus nuisibles et les plus stupides, selon lequel notre industrie «artisanale» est opposée à notre industrie des «usines et fabriques», selon lequel cette dernière est «artificielle», est détachée de la première, etc., etc. Et il s'agit là d'un préjugé: personne en effet n'a jamais tenté ne fût-ce que d'effleurer les données qui montrent que dans toutes les branches industrielles, l'industrie «artisanale» est liée de la façon la plus étroite et la plus indissoluble à l'industrie des «usines et fabriques».

L'objet de ce chapitre était précisément de montrer en quoi consiste cette liaison et quels sont les traits particuliers qui distinguent, au point de vue technique, économique et culturel, la forme d'industrie qui, en Russie, se situe entre la petite industrie et la grande industrie mécanique.

  1. Pour ce processus d'apparition de la manufacture capitaliste, voir K. Marx, Das Kapital, III, pp. 318-320, trad. russe, pp. 267-270. «Ce n'est pas même dans le sein des anciennes corporations que la manufacture a pris naissance. Ce fut le marchand qui devint chef de l'atelier moderne en non pas l'ancien maître de corporations (Misère de la philosophie, p. 190). Nous avons eu l'occasion d'énumérer ailleurs les indices essentiels de la notion de la manufacture, d'après Marx. [Etudes, 179, (voir Lénine, œuvre, Paris-Moscou, t. 2, p. 445. - N. R.)] (Voir les notes suivantes).
  2. K. Marx, le Capital, livre III, tome I, Editions Sociales, Paris, 1960, pp. 342-345. [N.E.]
  3. K. Marx, Misère de la philosophie, Editions Sociales, Paris, 1961, p. 144. [N.E.]
  4. Das Kapital, I2, p. 383.
  5. K. Marx, le Capital, livre I, tome II, Editions Sociales, Paris, 1959, pp. 56-57. [N.E.]
  6. Les ouvriers en chambre étaient ceux qui étaient propriétaires d'un local (svétiolka). Ils louaient ce local à un fabricant qui y installait des métiers fonctionnant à la main. Les ouvriers en chambre travaillaient dans leur propre svétiolka et, par contrat avec le fabricant, ils se chargeaient de toute une série de fonctions intermédiaires: ils devaient chauffer l'atelier, le tenir en bon état, fournir la matière première aux tisserands, envoyer les produits finis au patron, surveiller les ouvriers, etc...[N.E.]
  7. Cf. Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VII, fasc. III, pp. 63-64 (Moscou 1883).
  8. Voir l'énumération des localité les plus importantes de ce genre au chapitre suivant.
  9. On trouvera des exemples de cette confusion au chapitre suivant.
  10. Voir Les petites industries de la province de Vladimir, III. Il serait superflu et même impossible de fournir des données détaillées sur tous les tissages décrits dans la littérature de l'industrie artisanale. De nos jours, d'ailleurs, la fabrique règne dans la plupart de ces industries. Pour le «tissage artisanal», voir encore le Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, tt. VI et VII. Les travaux de la commission artisanale. - Matériaux sur la statistique du travail manuel. - Comptes rendus et recherches. - Korsak, l.c. (Voir note suivante).
  11. Annuaire statistique de l'Empire de Russie, II. Fascicule trois. Matériaux pour l'étude de l'industrie artisanale et du travail manuel en Russie. Première partie. Editions du Comité central de la Statistique du ministère de l'Intérieur. St-Pétersbourg, 1872. [N.E.]
  12. Le Recueil de la statistique militaire a trouvé moyen de relever, en 1866, dans la province de Vladimir 98 fabriques de soie (!) avec 98 ouvriers et une production de 4000 roubles (!). En 1890, il y avait d'après l'Index 35 fabriques avec 2112 ouvriers et une production de 936000 roubles. La Liste pour 1894-1895 établit 98 fabriques avec 2281 ouvriers et une production de 1918000 roubles et encore 2477 ouvriers travaillant: «hors de l'établissement». Allez donc distinguer ici entre «koustaris» et ouvriers d'usine!
  13. D'après l'Index de 1890 on comptait, hors de Moscou, 10 fabrique de passementerie avec 303 ouvriers et une production de 58000 roubles. D'après le Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou (t. VI. fasc. II), il y avait 400 entreprises avec 2619 ouvriers (dont 72,8% d'ouvriers salariés) et une production de 963000 roubles.
  14. La Liste des comptes rendus des inspecteurs de fabriques pour 1903 (St-Pétersbourg 1906) estime qu'il y avait dans toute la province de Saratov 33 comptoirs de distribution avec 10000 ouvriers. (Notes à la 2e édition.)
  15. Le centre de cette industrie artisanale est le canton de Sosnovka, dans lequel le recensement des zemstvos comptait, en 1886, 4626 foyer, avec une population de 38000 individus des deux sexes, et 291 entreprises. On compte dans le canton 10% de familles sans maisons (contre 6,2% dans le district), 44,5% de familles sans emblavures (contre 22,8% dans le district). Voir le Recueil de renseignements statistiques pour la province de Saratov, t. XI. - On voit que, là aussi la manufacture capitaliste a créé des centres industriels qui détachent les ouvriers de la terre.
  16. Notons que ce tableau graphique donne une image typique de toutes les petites industries russes organisées sur le modèle de la manufacture capitaliste: nous voyons partout à la tête de l'industrie de grands établissements (qu'on range parfois parmi les «fabriques et usines») auxquels est soumise la masse des petits établissements; bref, une coopération capitaliste basée sur la division du travail et la production manuelle. Ce n'est pas seulement ici, mais dans la plupart des autres industries artisanales que la manufacture organise des centres non agricoles.
  17. Ils travaillent déshabillés, par une température de 22 à 24 degrés. L'atmosphère des «fabriques» est remplie de poussières, de brins de laines et toutes sortes de saletés. Le sol est en terre battue (notamment dans les buanderies), etc.
  18. L'argot spécial des habitants de Krasnoïe n'est pas sans intérêt, c'est un trait caractéristique du particularisme territorial propre à la manufacture. «A Krasnoïé les fabriques sont désignées sous le nom de povarnia, en matroï qui est une des nombreuses branches de l'argot des colporteurs (ofeni). Il y en a trois principales: le langage des ofeni proprement dit, en usage surtout dans la province de Vladimir, le galivon dans la province de Kostroma, et le matroï, dans celles de Nijni-Novgorod et de Vladimir» (Travaux de la commission artisanale, t. V, p. 465). Seule la grande industrie mécanique détruit complètement les liens sociaux basés sur l'origine et met à leur place des liens nationaux (et internationaux).
  19. Matériaux pour servir à l'estimation des terres de la province de Nijni-Novgorod, t. XI, Nijni-Novgorod, 1893, pp. 211-214.
  20. De «tyssiatcha», millier: «gens à milliasses»,. (N. R.)
  21. Travaux de la commission artisanale, t. VI.
  22. Comptes rendus et recherches, t. III.
  23. Les petites industries de la province de Vladimir, II.
  24. Ibid., II, p. 271.
  25. Voir l'Annexe I au chapitre V, industrie n° 27.
  26. Quelques-unes de ces entreprises ont parfois été classées parmi les "fabriques et usines». V., par exemple, l'Index pour 1879, p. 126.
  27. Voir plus haut, chapitre V, § VII.
  28. Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VI, fasc. 1, pp. 282-287.
  29. Voir Travaux de la commission artisanale, IX et Comptes rendus et enquêtes, III.
  30. Par un singulier hasard, ces ateliers n'ont pas figuré jusqu'ici parmi les «fabriques et usines».
  31. Travaux de la commission artisanale, II.
  32. D'après les données de la statistique des zemstvos (Matériaux, fasc. VII, Nijni-Novgorod 1892), on y comptait, en 1889, 341 et 119 foyers, avec une population de 1277 et 540 âmes. 253 et 103 de ces foyers avaient des lots de terre communautaire, 284 et 91 exerçaient des métiers et dans ce nombre 257 et 32 ne s'occupant pas d'agriculture. Il y avait 218 et 5 foyers sans chevaux et 237 et 53 qui donnaient leur lot en location.
  33. Cf. Recueil de Nijni-Novgorod, t. IV, article du prêtre Roslavlev.
  34. Esquisses sur l'état de l'industrie artisanale dans la province de Perm, p- 158; le bilan du tableau comporte une erreur ou une coquille.
  35. Ibid., p. 40 et tableau 188. Ces mêmes établissements paraissent figurer dans la Liste, p. 152. Pour pouvoir comparer les grandes entreprises avec les petites, nous avons mis à part les cultivateurs-producteurs de marchandises; voir Etudes, p. 136. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou. t. 2, pp. 416-417.- N. R.)
  36. K. Marx, le Capital, livre I, tome II, Editions Sociales, Paris, 1959, pp. 39-40. [N.E.]
  37. Les petites industries de la province de Perm à l'Exposition de la Sibérie et de l'Oural, fasc. III, pp. 47 et suivantes.
  38. Voir les recueils statistiques des zemstvos pour les districts de Troubtchevsk, Karatchev et Orel (province d'Orel). La connexion des grandes manufactures avec les petites entreprises paysannes ressort aussi du fait que ces dernières commencent à faire usage du travail salarié; ainsi, dans le district d'Orel, 16 paysans, propriétaires de filatures, emploient 77 ouvriers.
  39. V, Iline, Etudes, p. 176. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 441-442.- N. R.)
  40. K. Marx, le Capital, livre I, tome II, Editions Sociales, Paris, 1959, pp. 33-40. [N.E.]
  41. Voir là-dessus les chiffres précis du recensement de l'industrie artisanale de Perm, p. 177. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2. p. 442.- N. R.)
  42. Voir l'Index et la Liste pour cette même province de Perm et ce même «Névianski Zavod», bourg non agricole, qui est le centre de «l'industrie artisanales.
  43. Cf. nos Etudes, pp. 177-178. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 442-443. - N. R.)
  44. Comptes rendus et recherches, t, I.
  45. Comptes rendus et recherches, t. III.
  46. On compte quatorze gros marchands de bois. Ils ont des charronneries à vapeur (d'une valeur d'environ 300 roubles) ; il y en a 24 dans le bourg, occupant chacune 6 ouvriers. Les mêmes marchands distribuent de la matière première et asservissent les ouvriers par des avances en argent.
  47. Il y a lieu ici de rappeler en général comment le capitalisme évolue dans l'industrie du bois. Les marchands ne vendent pas le bois tel quel, mais embauchent des ouvriers pour le travailler et fabriquer divers objets qu'ils vendent ensuite. Voir Travaux de la commission ..., t. VIII, pp. 1268, 1314. Voir aussi Recueil de renseignements statistiques pour le district de Troubtchevsk, province d'Orel.
  48. Travaux de la commission artisanale, fasc. II, 1879. Voir aussi les Matériaux de la statistique des zemstvos pour le district Sémionov, fasc. XI, 1893.
  49. Les données statistiques que nous avons citées (ann. I au chapitre V, industries n°2, 7, 26) n'embrassent qu'une partie infime des artisans occupés à cette industrie; mais elles montrent qu'il existe déjà des ateliers de 11 à 18 ouvriers.
  50. Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VI, fasc. 2, p. 47.
  51. Travaux de la commission artisanale, IX.
  52. Matériaux relatifs à l'estimation des terres dans le district de Gorbatov.
  53. Travaux de la commission artisanale, IX.
  54. Ainsi, en tête de l'industrie des harnais se trouvent 13 grands patrons employant chacun de 10 à 30 ouvriers salariés et 5 à 10 travaillant au-dehors. Les gros fabricants coupent les moufles dans leurs ateliers (avec 2 ou 3 ouvriers salariés) et les donnent à coudre à 10 ou 20 femmes travaillant chez elles; ces dernières se divisent en doigtières et piqueuses. Les premières reçoivent le travail des patrons et le distribuent aux secondes qu'elles exploitent (renseignements pour 1879).
  55. En 1889, 1469 foyers sur 1812 (avec 9241 habitants) ne semaient pas (en 1897, 12342 habitants). Les villages de Pavlovo et de Bogorodskoïé se distinguent des autres villages du district de Gorbatov en ce que leurs habitants n'émigrent pas; au contraire, de la totalité des paysans absents dans le district de Gorbatov 14,9 % habitent Pavlovo et 4,9% Bogorodskoïé. De 1858 à 1889, la population dans le district a augmenté de 22,1%, tandis qu'à Bogorodskoïé, l'accroissement est de 42%. (Voir les Matériaux de la statistique des zemstvos).
  56. Voir les Matériaux de la statistique des zemstvos pour les districts indiqués. - Travaux de la commission artisanale, IX et VI. - L'Index et la Liste. - Comptes rendus et recherches, II.
  57. En 1889, il comptait 380 foyers (dont aucun n'ensemençait) avec 1305 habitants. Dans tout le canton de Katounki, 90,6% des foyers s'occupent d'industrie, 70,1% de travailleurs exercent exclusivement des métiers (c'est-à-dire ne font pas d'agriculture). Au point de vue de l'instruction, ce canton dépasse de beaucoup la moyenne du district, ne le cédant à cet égard qu'au canton de Tchernoretsk, également non agricole et ou les métiers activement exercés sont ceux des constructions fluviales. En 1887, le bourg de Bolchoïé Mourachkino comptait 856 foyers dont 853 ne semaient pas) avec 3473 habitants. Au recensement de 1897, Gorodetz a 6330 habitants, Bolchoïé, Mourachkino 5341, Iourino 2189, Spasskoïé 4494, Vatras 3012.
  58. Travaux de le commission art., IX, p. 2567. Renseignements de 1880.
  59. Comparativement, la situation des ouvriers des fabriques d'Arzamas est meilleure que celle de l'ouvrier rural. (Travaux de la commission art., III, p. 133)
  60. Travaux de la commission artisanale, III, p. 76.
  61. Travaux de la commission artisanale, fasc. XI, p. 3084 (cf. l'Index de 1890). Le paysan agriculteur Dolgouchine, possédant une usine avec 60 ouvriers, est classé parmi les «koustaris». Et des «koustaris» de ce genre, il y en a plusieurs.
  62. D'après l'Index de 1890, environ 27 patrons emploient plus de 700 ouvriers.
  63. Voir aussi la Liste, p. 489, sur le célèbre bourg artisanal de Dounilovo, district de Chouïa (province de Vladimir). L'Index de 1890 comptait ici 6 pelleteries avec 151 ouvriers, et d'après les Travaux de la commission artisanale (fasc. X) cette région occupe environ 2200 pelletiers et 2300 pelissiers. En 1877, on y comptait jusqu'à 5500 «koustaris». L'industrie des tamis de crin qui occupe dans le même district environ 40 villages et jusqu'à 4000 ouvriers, portant le nom local de «mardasstsy» (commun à toute la région) est probablement organisée sur un modèle analogue. Nous avons décrit dans nos Etudes, pp. 171 et suiv., une organisation analogue des industries du cuir et de la cordonnerie dans la province de Perm. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 435 et suivantes. - N. R.)
  64. Voici des renseignements sur les «koustaris» ayant trait à 1894. «Ce sont les femmes pauvres de la ville de Kargopol et les villageoises du canton de Pavlovo, qui cousent les peaux de petits-gris déjà apprêtées. Elles touchent un salaire dérisoire»: une couseuse gagne de 2 roubles 40 à 3 roubles par mois, son entretien étant à sa charge; pour cela elle doit travailler 12 heures par jour sans relever la tête (le travail étant payé à la pièce). «Le travail est exténuant par son intensité et son assiduité.» Le nombre des ouvrières s'élève maintenant à 200 (L'industrie artisanale dans la province d'Olonetz, esquisse de MM. Blagovéchtchenski et Gariazine, Pétrozavodsk 1895, pp. 92-93).
  65. Voir Annales statistiques de l'Empire russe, t. II, fasc. III, St-Pétersbourg, 1872, Matériaux pour l'étude de l'industrie artisanale et du travail manuel en Russie, rédigés par L. Maïkov. Article de V. Pletnev. Ce travail est le meilleur par la clarté avec laquelle est décrite toute l'organisation de l'industrie. Les travaux plus récents fournissent de précieuses données statistiques et ethnographiques, mais expliquent moins bien le régime économique de cette industrie complexe. Voir aussi les Travaux de la commission artisanale, fasc. VIII, article de M. Pokrovski. - Comptes rendus et recherches, t. I.
  66. Cf. Comptes rendus et recherches: 7 groupes d'industriels; 1° marchands d'articles de cuir; 2° revendeurs de chaussures; 3° propriétaire de grands atelier, (5 à 6 ouvr.) faisant l'empeigne et la donnant à coudre à domicile; 4° patrons de petits ateliers avec ouvriers salariés, distribuant également du travail à domicile; 5° ouvriers isolés travaillant seuls pour le marché ou pour les patrons (sub. 3 et 4); 6° ouvriers salariés (maîtres, compagnons, apprentis); 7° «fabricants de formes, faiseurs d'entailles, ainsi que patrons et ouvriers des ateliers de raclage, de graissage et de collage p. 227. l.c.). Le recensement de 1897 dénombre à Kimry 7017 habitants.
  67. Le «scieur» découpe à la scie les montures de brosses; le «perceur» y perce des trous; l'«apprêteur» lessive les crins; le «monteur» fixe les crins: le «planqueur» colle le placage (Recueil de rens. stat, pour la province de Moscou, t. VI, fasc. I, p. 18).
  68. Notons que dans cette industrie comme dans les industries textiles ci-dessus décrites, la manufacture capitaliste est, à proprement parler, un régime économique dépassé. L'époque d'après l'abolition du servage se caractérise par la transformation de cette manufacture en grande industrie mécanique. Le nombre des usines de Gjel qui emploient des machines à vapeur était de 1 en 1866, 2 en 1879, 3 en 1890 (d'après l'Annuaire du ministère des Finances, fasc. I, et l'Index pour 1879 et 1890).
  69. Les livres de cens étaient les documents utilisés pour déterminer à combien devait s'élever le cens pour les habitants des villes, des bourgs et des villages. Ils indiquaient les caractères des terres, les revenus de la population, décrivaient les rues, les faubourgs, les monastères; etc. Ces relevés étaient établis sur place par des commissaires venus du centre. Les plus anciens «livres de cens» dataient du XVe siècle. Mais la majorité de ceux qui ont été conservés ne remonte pas au-delà du XVIIe s. [N.E.]
  70. Voir plus haut sur le degré d'instruction plus élevé des habitants de Pavlovo et de Vorsma et sur l'émigration des paysans vers ces centres.
  71. Chiffres des Matériaux de la statistique des zemstvos et du Compte rendu de Annenski, ainsi que de l'enquête de A. Potressov (citée plus haut). Les chiffres pour la région de Mourom sont approximatifs. Le nombre des habitants, d'après le recensement de 1897, est de 4674 à Vorsma, et de 12431 à Pavlovo.
  72. Les chiffres cités sont loin d'exprimer pleinement cette prédominance: la suite du texte montre que les «koustaris» qui travaillent pour le marché, sont soumis bien plus au capital que ceux qui travaillent pour le compte des patrons, et que ceux-là à leur tour le sont encore plus que les ouvriers salariés. Les industries de Pavlovo montrent d'une façon particulièrement frappante la liaison indissoluble qui existe entre le capital commercial et le capital industriel, liaison propre en général à la manufacture capitaliste dans ses rapports avec les petits producteurs.
  73. Le lien avec la terre joue, lui aussi, un rôle important dans la diminution du gain. Les «koustaris» de la campagne «gagnent en moyenne moins que les serruriers de Pavlovo» (Annenski, Rapport, p. 61). Il est vrai qu'on doit tenir compte du fait que les premiers ont toujours leur pain; néanmoins «on ne saurait dire que la situation du simple «koustar» soit meilleure que celle d'un serrurier moyen de Pavlovo» (p. 61).
  74. La loi du 2 juin 1897 limitait la journée de travail à 11 heures et demie pour les ouvriers des entreprises industrielles et des ateliers de chemin de fer. Avant cette loi, rien ne limitait la journée de travail en Russie, qui atteignait 14, 15 heures et même davantage. Le gouvernement tsariste fut contraint de promulguer cette loi sous la pression du mouvement ouvrier dirigé par l'« Union pour la libération de la classe ouvrière» fondée par Lénine. Cette loi fut examinée en détail et critiquée par Lénine dans la brochure: La nouvelle loi ouvrière. (Voir Œuvres, Paris-Moscou, t. 2. pp. 269-320.) [N.E.]
  75. Il arrive pendant les crises que l'on travaille littéralement pour rien, on échange «le blanc contre le noir», c'est-à-dire le produit fini contre la matière première, et cela arrive «assez souvent» (Grigoriev, ibid., p. 93).
  76. Chiffres de l'Index et de la Liste pour l'ensemble de la localité y compris Sélitba et Vatcha, avec leurs environs. L'Index pour 1890 a sans doute inclut les ouvriers à domicile dans le total des ouvriers de fabriques et usines; nous avons établi le nombre des ouvriers à domicile approximativement, en nous bornant à faire la correction d'après les deux plus grands établissements (les Zavialov et F. Varypaïev). Pour pouvoir comparer le nombre des (fabriques et usines» figurant dans la Liste et dans les Index il ne faut prendre en considération que les entreprises avec 15 ouvriers et plus. (Voir là-dessus le détail dans nos Etudes, article: «A propos de notre statistique des fabriques et des usines».) (Voir Lénine, Oeuvre, Paris-Moscou, t. 4. - N. R.)
  77. Dans une des branches de l'industrie de Pavlovo, à savoir la fabrication des serrures, on observe au contraire une diminution du nombre des ateliers avec ouvriers salariés. A. Potressov (l.c.), qui a constaté ce fait avec force détails, en a également indiqué la raison: la concurrence de la fabrique de serrures dans la province de Kovno (fabrique des frères Schmidt, 500 ouvriers et une production de 500000 roubles en 1890, 625 ouvriers et une production de 730000 roubles en 1894-1895).
  78. Travaux de la comm. artisanale, t. IX. Le village de Bezvodnoïé comptait 3296 habitants en 1897.
  79. Comptes rendus et recherches, t. I. La Liste indique dans cette région 4 «fabriques» avec 21 ouvriers travaillant dans l'atelier et 29 ouvriers à domicile; prod. 68000 roubles.
  80. Comptes rendus et recherches, I, p. 186.
  81. Annexe I au chapitre V, industrie n° 29.
  82. Ibid., n° 32
  83. Recueil de rens. statistiques pour la province de Moscou, t. VII, fasc. 1, 2e partie et Ind. du district de Bogor. en 1890.
  84. Voir, par exemple, la Liste, n° 8819.
  85. Travaux de la commission artisanale, fasc. VI, enquête de 1880. - Comptes rendus et recherches, t. I (1888-1889), cf. p. 271: «presque toute la production... est concentrée dans les ateliers employant des ouvriers salariés». Cf. aussi la Revue de la province de Iaroslavl, fasc. II, laroslavl 1896, p. 8, 11. - La Liste, p. 403.
  86. Annexe I au chapitre V, industries n°s 19 et 30.
  87. Chez les chaudronniers, cinq opérations sont exécutées par des ouvriers différents; chez les fabricants de plateaux il y en a au moins 3, tandis qu'un «atelier normal» demande 9 ouvriers. «Dans les grands établissements» on emploie une «division (du travail) raffinée ayant pour but d'élever la productivité du travail» (Issaïev, l.c., pp. 27 et 31).
  88. L'Index de 1890 compte dans la région de Zagarié 14 usines avec 184 ouvriers et une production de 37000 roubles. La comparaison de ces chiffres avec ceux de la statistique des zemstvos, cités plus haut, montre que la statistique des fabriques et usines n'a enregistré, cette fois encore que les sommets de la manufacture capitaliste dans tout son développement,.
  89. Cf. L'industrie artisanale du district de Bogorodsk.
  90. Travaux de la commission artisanale, fasc. IX, l'article de M. Tillo.- Comptes rendus et recherches, t. III (1893). L'industrie ne cesse de se développer. Cf. La correspondance parue dans les Rousskié Viédomosti, n° 231, 1897. Le Messager des Finances, n° 42, 1898. Le montant de la production est supérieur à 1 million de roubles dont 200000 roubles environ couvrent les frais de la main-d'œuvre et près de 300000 roubles vont aux revendeurs et aux marchands.
  91. «Chaque variété et même chaque partie de l'objet chez les «koustaris» de Krasnoïé a ces spécialistes; c'est pourquoi il est très rare qu'on fasse par ex., dans une même maison les bagues et les boucles d'oreilles, les bracelets, les broches, etc. Ordinairement, les parties d'un article sont fabriquées par des ouvriers spécialistes habitant non seulement différentes maisons, mais même différents villages» (Comptes rendus et recherches, t. III, p. 76).
  92. Ce tableau a été établi à partir d'un tableau plus détaillé publié par le Messager des Finances (n° 42, 1898). [N.E.]
  93. Messager des Finances, 1898, n° 42.
  94. Voir l'article de M. V. Borissov dans les Travaux de la commission artisanale, fasc. IX.
  95. Le forgeron Nikita Démidov Antoufiev de Toula gagna la bienveillance de Pierre le Grand en construisant une usine en face de Toula et obtint, en 1702, l'usine de Néviansk. Ses descendants sont les fameux Démidov, maîtres de forges de l'Oural.
  96. Avant 1864, les ouvriers des manufactures d'armes de Toula étaient des serfs appartenant à l'Etat. Ils habitaient dans des faubourgs à part (celui des forgerons, etc.) et étaient répartis dans différents ateliers: canons des fusées, montures, culasses mobiles, garnitures, etc. Pour effectuer les travaux accessoires, on avait affecté aux usines de Toula les serfs de plusieurs villages. Ces paysans préparaient le charbon de bois, gardaient les forêts appartenant aux entreprises, travaillaient dans les cours des usines. Au moment de l'abolition du servage, on dénombrait à Toula près de 4000 armuriers dont 1276 travaillaient dans les usines et 2362 à domicile. Avec leurs familles, les armuriers formaient une population de plus de 20000 âmes. [N.E.]
  97. Tavaux de la commission artisanale, fasc. X, on y trouve une belle description de l'industrie du samovar à Souksoun (province de Perm) par M. Manokhine. L'organisation est la même que dans la province de Toula. Cf. ibid., fasc. IX, article de M. Borissov sur les petites industries à l'Exposition de 1882.
  98. Il y a visiblement des traits analogues dans l'organisation de la serrurerie de Toula et de ses environs. M. Borissov estimait, en 1882, que ces industries occupaient de 2000 à 3000 ouvriers produisant pour 2500000 roubles environ. La soumission de ces «koustaris» au capital commercial est très grande. Les «fabriques» de quincaillerie de la province de Toula emploient parfois aussi des ouvriers à domicile (cf. la Liste, pp. 393-395).
  99. L'évolution de l'industrie de l'accordéon est également intéressante en tant que processus d'éviction des instruments populaires primitifs et de formation d'un marché national étendu: en l'absence de ce marché il ne saurait y avoir de division du travail par opérations de détail et sans la division du travail le produit à bon marché serait impossible. «Grâce à leur prix bas les accordéons ont presque partout évincé l'instrument musical primitif à cordes, la «balalaïka». (Travaux de la commission artisanale, fasc. IX, p. 2276.)
  100. Le recensement de la ville de Toula du 29 novembre 1891 enregistre dans cette ville 36 établissements faisant le commerce d'accordéons et 34 ateliers d'accordéons (voir le Mémento de la province de Toula pour 1895, Toula 1895) .
  101. Bornons-nous à un exemple, Il existe dans le bourg de Borissovka (district de Graïvoron, province de Koursk) une industrie de peinture d'icônes qui occupe environ 500 personnes. Les artisans se passent le plus souvent d'ouvriers salariés, mais ils ont des apprentis qui travaillent de 14 à 15 heures par jour. S'ils se sont montrés hostiles au projet d'organiser une école de dessin dans le bourg, c'est par crainte de perdre la main-d'œuvre gratuite des apprentis (Comptes rendus et recherches, t. I, p. 333). La situation des enfants travaillant à domicile dans la manufacture capitaliste ne vaut pas mieux que celle des apprentis car l'ouvrier à domicile doit allonger nec plus ultra sa journée de travail et faire peiner toute sa famille.
  102. "La forme domestique de la grosse production et la manufacture sont une issue nécessaire et même jusqu'à un certain point désirable pour la petite industrie indépendante quand elle intéresse une vaste région» (Kharisoménov, dans Iouriditcheski Vestnik, 1883, n° 11, p. 435).
  103. Pourquoi seul le capital pouvait-il les réunir? Parce que la production marchande amène, comme nous l'avons vu, la dispersion des petits producteurs et leur complète décomposition; parce que les petites industries ont laissé en héritage à la manufacture les ateliers capitalistes et le capital commercial.
  104. Industries de la province de Vladimir, t. IV, p. 22.
  105. Ibid., t. III, p. 63.
  106. En 1890, 514 ouvriers, montant de la production 600000 roubles; en 1894-95, 845 ouvriers, production 1288000 roubles. (Voir note suivante).
  107. Il s'agit de la fabrique de la «Société de Saint-Pétersbourg pour la production mécanique des chaussures» (fondée en 1878). En 1894-95 la fabrique employait 845 ouvriers et produisait pour une somme atteignant 1287912 roubles (voir la Liste des fabriques et usines, Spb., 1897, n° 13450, pp. 548-549). [N.E.]
  108. Le terme «métiers de gros» caractérise fort bien ce phénomène. «Depuis le XVIIe siècle, lisons-nous chez Korsak, l'industrie rurale a commencé à se développer de façon appréciable: des villages entiers, situés notamment autour de Moscou, sur les grandes routes, se sont mis à pratiquer un métier déterminé; les habitants se sont faits ici corroyeurs, là tisserands, ailleurs teinturiers, carrossiers, forgerons, etc. A la fin du siècle dernier, ces métiers de gros, comme on les appelle quelquefois, se sont beaucoup répandus en Russie» (l.c., pp. 119-121).
  109. Bornons-nous à deux exemples: le fameux Klivorov, serrurier de Pavlovo, faisait 24 serrures par zolotnik; tels détails avaient à peine la grosseur d'une tête d'épingle (Labzine, l.c., p. 44). Un fabricant de jouets de la province de Moscou, après avoir passé presque toute sa vie à la finition des chevaux d'attelage, était arrivé à en livrer 400 par jour. (Rec. de renseign. stat. pour la province de Moscou, t. VI, fasc. II, pp. 38-39.)
  110. Voici comment M. Grigoriev caractérise les «koustaris» de Pavlovo. «J'ai rencontré un de ces ouvriers, qui travaille depuis six ans devant le même étau et dont le pied gauche nu avait laissé dans le plancher un creux plus profond que la demi-épaisseur de la planche; il se plaignait avec une ironie amère que son patron allait le mettre à la porte quand il aurait complètement troué la planche» (ouvrage cité, pp. 108-109).
  111. L'industrie des petits-gris dans le district de Kargopol, celle des cuillers dans le district de Sémionov.
  112. Ce sont des matières premières importées (c'est-à-dire non locales, qui sont traitées par les tissages, par les industries du cuir de Pavlovo, de Gjel, de Perm, etc. (Cf. Etudes, pp. 122-124.) (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 373-376. - N.R.)
  113. M. V.V. assure dans ses Essais sur l'industrie artisanale que "chez nous... existent très peu d'endroits où les «koustaris» ont complètement abandonné l'agriculture» (p. 36), - nous avons montré plus haut qu'il en existe au contraire un très grand nombre,- et que «les faibles traces de division du travail que nous observons dans notre pays doivent être attribuées moins à l'énergie du progrès industriel qu'à l'invariabilité des proportions de la propriété terrienne des paysans...» (40). M. V. V. ne remarque pas que les endroits dont il parle se distinguent par un régime spécifique de la technique, de l'économie et de la culture, qu'ils caractérisent une phase particulière du développement du capitalisme. Ce qui importe, c'est que les «bourgs industriels» ont pour la plupart reçu le «lot minimum» (p. 39) - (en 1861, quand leur vie industrielle datait de dizaines et parfois de centaines d'années !) - et, bien entendu, n'était cette tolérance des autorités, il n'y aurait pas eu de capitalisme.
  114. Das Kapital, I2, pp. 779-780. (Voir note suivante).
  115. K. Marx, le Capital, livre I, tome III, Editions Sociales, Paris, 1962, pp. 189-191. [N.E.]
  116. L'importance de ce fait nous oblige à compléter les données du paragraphe II. Le bourg de Boutourlinovka (district de Bobrov, province de Voronèje) est un des centres de l'industrie du cuir. Il compte 3681 foyers, dont 2383 ne s'occupent pas d'agriculture, et plus de 21000 habitants. Il y a 53% des foyers dont les membres savent lire et écrire alors que dans l'ensemble du district, il n'y en a que 38% (Recueil de la statistique des zemstvos pour le district de Bobrov). Le bourg de Pokrovskaïa et le village de Balakovo (province de Samara) ont chacun plus de 15000 habitants, dont beaucoup sont venus d'ailleurs. Le nombre de paysans sans exploitation est de 50% et 42%. Le nombre des personnes sachant lire et écrire dépasse la moyenne. D'une façon générale, la statistique établit que dans les localités commerciales et industrielles la proportion d'illettrés est moins grande qu'ailleurs et que l'on «voit apparaître une masse de foyers sans exploitation agricole» (Recueil de la statistique des zemstvos pour les districts de Novoouzensk et de Nikolaïev). Pour le niveau culturel plus élevé des «koustaris», cf. encore Travaux de la commission artisanale, t. III, p. 42; t. VII, p. 914; Smirnov, l.c., p. 59; Grigoriev, l.c., pp. 106 et suiv.; Annenski, l.c., p. 61; Recueil de Nijni-Novgorod, t. II, pp. 223-239; Comptes rendus et recherches, t. II, p. 243; t. III, p. 151. Ensuite, les Petites industries de la province de Vladimir, t. III, p. 109, où l'auteur M. Kharisoménov reproduit en termes vivants la conversation qu'il eut avec son postillon, tisserand de soie. Celui-ci critiquait durement et sans pitié la sombre existence du paysan, le bas niveau de ses besoins, son inculture, etc., et finit par cette exclamation: «Ah, mon Dieu, quand on pense au mal qu'on se donne pour vivre!» On a remarqué depuis longtemps que le paysan russe est surtout pauvre par la conscience de sa pauvreté. Quant à l'ouvrier de la manufacture capitaliste (sans parler de la fabrique), force est de dire que sous ce rapport, c'est un homme relativement très riche.
  117. N. Ovsiannikov, La Haute-Volga et la foire de Nijni-Novgorod. Article du Recueil de Nijni-Novgorod, t. II (N.-N., 1869). L'auteur s'appuie sur des chiffres de 1865 relatifs à Kimry. Dans son étude de la foire, il définit le régime économique et social des industries qui y sont représentées.
  118. Exactement comme leurs idéologues, les populistes.
  119. Pour certains héros solitaires du travail isolé (dans le genre des Doujkine des Esquisses de Pavlovo de V. Korolenko), une pareille métamorphose est encore possible en période manufacturière, mais elle ne l'est certainement pas pour la masse des ouvriers parcellaires ne possédant rien.
  120. Ajoutons un exemple de plus à ceux qui précèdent. Dans l'industrie du meuble de la province de Moscou (renseignements de 1876, empruntés au livre de M. Issaïev) les gros industriels sont les Zénine qui ont introduit la fabrication du meuble de luxe et «éduqué des générations d'habiles artisans». En 1845, ils ont monté une scierie (en 1894-1895, elle produisait pour 12000 roubles, employait 14 ouvriers et possédait une machine a vapeur). Notons que cette industrie totalisait, estimait-on, 708 établissements, 1979 ouvriers dont 846 (soit 42,7%) salariés et une production de 459000 roubles. Dès après 1860, les Zénine commencent à acheter la matière première en gros, à Nijni-Novgorod. Ils achètent les planches par wagons à raison de 13 roubles le cent et les revendent aux petits producteurs autonomes à raison de 18 à 20 roubles. Dans 7 villages (comptant 116 travailleurs), la plupart vendent leurs meubles à Zénine qui possède à Moscou un dépôt de meubles et de feuilles de placage (fondé en 1874), avec un chiffre d'affaires de 40000 roubles environ. Près de 20 producteurs isolés travaillent pour les Zénine.
  121. Voici un exemple pour illustrer ce qui est dit dans le texte. Il existe dans le bourg de Néguino, district de Troubtchevsk, province d'Orel, une huilerie avec 8 ouvriers et une production de 2000 roubles (Index, pour 1890). Cette petite usine paraîtrait indiquer que le rôle du capital dans l'industrie locale des huiles est très restreint. Mais un faible développement du capital industriel veut seulement dire qu'il y a un développement intense du capital commercial et usuraire. Le recueil de la statistique des zemstvos nous apprend que sur les 186 foyers de ce village, 160 sont complètement asservis par le patron de l'usine de l'endroit qui acquitte même pour eux tous les impôts, leur prête tout le nécessaire (et cela depuis de longues années) et prend en remboursement le chanvre à prix réduit. La masse des paysans de la province d'Orel se trouve dans le même état d'asservissement. Peut-on dans ces conditions se réjouir du faible développement du capital industriel?
  122. On peut se figurer quelle image on donne de l'organisation économique de ces «petites industries» si on met de côté les grands manufacturiers (quand il s'agit d'eux, ce n'est plus l'industrie artisanale, mais la fabrique et l'usine !), et si on présente les «revendeurs» comme un phénomène «au fond tout à fait superflu et dû uniquement à la mauvaise organisation de l'écoulement des produits» ( M. V.V. Essais de l'industrie artisanale, p. 150)!
  123. K. Marx, le Capital, livre III, tome II, Editions Sociales. Paris, 1957, pp. 336-338. [N.E.]
  124. On sait qu'en Occident également la période manufacturière du capitalisme s'est distinguée par un large développement du travail à domicile, par ex., dans le tissage. Il est intéressant de noter que Marx, en décrivant la fabrication des montres, comme un exemple classique de la manufacture, indique que le cadran, le ressort et le boîtier sont rarement fabriqués dans la manufacture même et que, d'une façon générale, l'ouvrier de détail travaille souvent à domicile (Das Kapital, I, 2-te Aufl., pp. 353-354). (Voir note suivante).
  125. K. Marx, le Capital, livre I, tome II. Editions Sociales, Paris. 1959, pp. 33-35. [N.E.]
  126. C'est une des raisons pour laquelle, entre autres, la fabrique lutte contre ces intermédiaires, par exemple, contre les «tâcherons», ouvriers qui emploient à leur compte des ouvriers auxiliaires. Cf. Kobéliatski: Mémento des fabricants, etc. St-Ptb. 1897, pp. 24 et suivantes. Toutes les publications relatives aux petites industries abondent en faits témoignant de l'exploitation inique des «koustaris» par les intermédiaires lors de la distribution du travail à domicile. A titre d'exemple, signalons l'opinion de M. Korsak, l. c., p. 258, les descriptions du tissage artisanal (citées plus haut), celles d'industries féminines dans la province de Moscou (Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, tt. VI et VII ) et beaucoup d'autres.
  127. Mme Gorbounova, qui a décrit les industries féminines, les évalue à tort à 18 kopecks et à 37 roubles 77; elle opère avec les seules données moyennes pour chaque industrie sans tenir compte du nombre des ouvrières, qui varie d'une industrie à l'autre. (Voir note suivante).
  128. M. K. Gorbounova: Les métiers féminins dans la province de Moscou, fascicule IV, (Recueil de renseignements statistiques sur la province de Moscou, section de statistique économique, t. VII, fascicule II. Moscou, 1882). Introduction, page IX. [N.E.]
  129. Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VII, fasc. II, p. 104.
  130. Ibid., p. 285.
  131. Les petites industries de la province de Vladimir, t. III, p. 63. Cf. ibid., p. 250.
  132. Comptes rendus et recherches, t. I, p. 218. Cf. ibid., p. 280: témoignage du fabricant Irodov, affirmant qu'il a plus d'avantage à distribuer le travail aux tisserands manuels à domicile.
  133. On trouvent des exemples de cet endettement des ouvriers envers les patrons dans la brosserie de la province de Moscou (Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VI, fasc. I, p. 32), dans la fabrication des peignes (ibid., p. 261), dans l'industrie du jouet (t. VI, fasc. II, p. 44), dans celle de la pierre, etc. Dans le soierie, le tisserand est complètement endetté vis-à-vis du fabricant qui paye pour lui les impôts et «loue le tisserand comme on loue la terre», etc. (Les petites industries de la province de Vladimir, t. III, pp. 51-55).
  134. Esclave du salaire. (N. R.)
  135. Esclave de sa dette. (N. R.)
  136. «Sans doute, lisons-nous à propos des forgerons de la province de Nijni-Novgorod, là aussi le patron exploite le travail de l'ouvrier, mais dans des proportions moindres (?), et de plus la chose se fait de façon patriarcale, avec l'assentiment général (!), sans malentendu d'aucune sorte.» (Travaux de la commission artisanale, t. IV, p. 199.)
  137. Sans doute, le prolétariat rural qui consent à exécuter le travail à domicile aux pires conditions, existera toujours dans toute société capitaliste; mais les institutions surannées agrandissent le champ d'application du travail à domicile et rendent plus difficile la lutte contre ce travail. En 1861, Korsak indiquait déjà le lien existant entre l'énorme extension qu'a prise chez nous le travail à domicile et notre régime agraire (1.c.)p. 305-307),
  138. Nous avons vu déjà les gros industriels, les revendeurs, les ouvriers en chambre, les maîtres-artisans sont en même temps des agriculteurs aisés. «Le maître-artisan, lisons-nous, par ex., dans la description de la passementerie de la province de Moscou (Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t, VI, fasc. Il, p. 147) n'est pas moins paysan que son tisserand; il possède seulement de plus que lui une isba, un cheval, une vache et peut-être le moyen de prendre le thé avec toute sa famille deux fois par jour.»
  139. Cette erreur des populistes est d'autant plus grave que la plupart d'entre eux veulent rester fidèles à la théorie de Marx qui souligne, dans les termes les plus catégoriques, le caractère capitaliste «du travail à domicile moderne», et qui a spécialement indiqué que les ouvriers à domicile représentent une des formes de surpeuplement relatif propre au capitalisme» (Das Kapital, I2, pp. 503 et suiv.; 668 et suiv.; chap. 23, notamment le paragraphe IV. (Voir note suivante).
  140. K. Marx, le Capital, livre I. tome II. Editions Sociales, Paris, 1959, pp. 157 et suivantes, t. III, pp. 85 et suivantes. [N.E.]
  141. Un petit exemple. La confection est très répandue dans la province de Moscou (après 1875 la statistique des zemstvos dénombrait dans cette province 1123 tailleurs locaux et 4291 venus d'ailleurs), la plupart des tailleurs travaillent pour les marchands de confection de Moscou. Cette industrie a pour centre le canton de Perkhouchkovo district de Zvénigorod (voir les chiffres à ce sujet à l'annexe I au chapitre V, industrie n° 36). Les affaires ont surtout été bonnes pendant la guerre de 1877; on confectionnait, en effet, des tentes militaires sur commande d'entrepreneurs spéciaux, et les maîtres-artisans avaient un «profit» journalier de 5 à 6 roubles, avec 3 machines à coudre et 10 ouvrières à la journée. Ces ouvrières touchaient 20 kopecks par jour. «On dit que pendant ces chaudes journées, il y avait à Chadrino (principal bourg du canton de Perkhouchkovo) plus de 300 journalières venues de différents villages des environs» (Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VI, fasc. II, l. c., p. 256). «A cette époque, les tailleurs de Perkhouchkovo, ou plutôt les propriétaires d'ateliers, ont réalisé des gains si importants qu'ils ont presque tous pu se faire construire de belles maisons» (ibid.). Ces centaines de journalières, qui trouvent peut-être une fois en 5-10 ans un travail d'urgence, pressé, doivent toujours rester disponibles dans les rangs de l'armée de réserve du prolétariat.
  142. Rappelons que M. Kharisoménov (article cité plus haut) estimait que sur 102245 travailleurs occupés dans 42 industries de la province de Moscou, 66% le sont dans des industries où le système domestique de la grande production exerce une prédominance absolue.
  143. Malheureusement, nous n'avons pas pu prendre connaissance de l'ouvrage récent sur l'industrie artisanale de la province de Iaroslavl (Les petites industries, Publication du Bureau statistique du zemstvo de la province de Iaroslavl, Iaroslavl 1904). A en juger par le compte rendu détaillé des Rousskié Viédomosti (1904, n° 248), c'est une étude de très grande valeur. Le nombre de «koustaris» dans la province s'élève à 18000 (en 1903, on y comptait 33898 ouvriers industriels). Les métiers dépérissent, 1/5 des entreprises emploient des ouvriers salariés. Les ouvriers salariés constituent un quart des «koustaris». Les établissements de 5 ouvriers et plus occupent 15% des «koustaris», 50% des «koustaris» travaillent pour le compte des patrons avec les matières de ces derniers. L'agriculture est en décadence: 1/6 des «koustaris» n'ont ni chevaux ni vaches; 1/3 engagent des ouvriers pour cultiver la terre; 1/5 n'ensemencent pas. Le gain d'un «koustar» est de 1 rouble 50 par semaine! (Note à la deuxième édition.)
  144. Tous ces chiffres sont approximatifs, la source ne fournissant pas de données précises. Parmi ces artisans ruraux, on trouve des meuniers, des forgerons, etc., etc.
  145. Voir Etudes, pp. 181-182. Au nombre des «koustaris» rentrent aussi les gens de métier (25%). En excluant ces derniers, on obtient 29,3% d'ouvriers salariés et 29,5% d'ouvriers qui travaillent pour les revendeurs (p. 122), soit 58,8% d'ouvriers employés de façon capitaliste (voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 447-448 et 374-375. - N.R.)
  146. Dans l'industrie de la confection, par exemple, le travail à domicile pour le capitaliste est particulièrement développé, et c'est une industrie qui progresse à pas rapides. «La demande de vêtements tout faits, article de première nécessité, augmente d'année en année (Messager des Finances, 1897, n° 52, aperçu de la foire de Nijni-Novgorod). Ce n'est que depuis 1880 que cette industrie a pris de vastes proportions. A l'heure actuelle, il se fabrique, rien qu'à Moscou, pour au moins 16 millions de roubles de vêtements, l'industrie occupant jusqu'à 20000 ouvriers. Pour toute la Russie, cette fabrication atteindrait les 100 millions de roubles. (Les progrès de l'industrie russe d'après les travaux des commissions d'experts, St-Ptb. 1897, pp. 136-137.) A St-Pétersbourg, le recensement de 1890 dénombrait dans la confection (groupe XI, classes 116-118) 39912 personnes, y compris les familles, dont 19000 ouvriers et 13000 personnes travaillant seules avec leurs familles (St-Ptb., d'après le recensement du 15 décembre 1890). Le recensement de 1897 dénombre en Russie 1158865 personnes occupées à la fabrication des vêtements, plus 1621511 membres de leurs familles, soit au total 2780365. (Note à la 2e édition.)
  147. Rappelons que nombre des «koustaris» de Russie est estimé à 4 millions au moins (chiffre de M. Kharisoménov. M. Andréev en comptait 7500000, mais ses estimations sont exagérées). Les totaux de notre texte embrassent donc environ 1/10 des «koustaris». (Voir note suivante).
  148. Voir E. N. Andréev: L'industrie artisanale en Russie d'après les renseignements fournis par «La commission d'enquête sur l'industrie artisanale en Russie» et d'autres sources. Saint-Pétersbourg, 1885 (le nombre de 7500000 personnes s'adonnant à des «métiers auxiliaires» est donné à la p. 69 de cet ouvrage). Voir également la brochure du même auteur: L'industrie artisanale en Russie, St-Pétersbourg, 1882, p. 12. [N.E.]
  149. Cf. les Etudes, pp. 179 et suivantes. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 446 et suivantes. - N.R. )
  150. Le désir de conserver le terme de "koustaris» pour la définition scientifique de formes d'industrie a abouti, dans notre littérature économique, à des dissertations et à des définitions purement scolastiques. Un savant «entendait» par «koustar» uniquement des producteurs de marchandises; un autre y faisait entrer les gens de métier; l'un pensait que le «koustar» devait être nécessairement lié à la terre, un autre admettait des exceptions; l'un excluait le travail salarié, un autre l'admettait jusqu'à seize ouvriers, par exemple, etc., etc. Il va de soi que de telles dissertations (au lieu d'étudier les différentes formes de l'industrie) ne pouvaient rien donner de bon. Notons que la vitalité du terme spécial de «koustaris» s'explique surtout par l'organisation de caste de la société russe: le «koustar», c'est un industriel des castes inférieures, qu'on peut prendre en tutelle, dont on peut sans trop se gêner, faire l'objet de projets fantaisistes. La forme d'industrie importe peu. Quant au marchand et au noble (même s'ils sont de petits industriels), on les range rarement parmi les «koustaris». Les industries artisanales, ce sont généralement toutes les industries paysannes et seulement les industries paysannes.
  151. Le terme de «capitalisation», si cher à M. V. V. et à M. N.-on, est admissible, en raison de sa brièveté, dans un article de journal, mais il est tout à fait déplacé dans une étude économique qui a pour seul objet d'analyser les différentes formes et phases du capitalisme, leur importance, leurs rapports mutuels, leur marche progressive. Par «capitalisation» on peut entendre n'importe quoi: aussi bien l'embauchage d'un seul ouvrier salarié que des achats en gros, une fabrique à vapeur. Allez donc vous débrouiller après cela, une fois que tout a été fourré dans le même sac!