Chapitre V : Les premières phases du capitaliste dans l'industrie

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Sommaire[modifier le wikicode]

I. L'industrie à domicile et les métiers

- Les vestiges de l'industrie à domicile - Degré de développement du métier, ses traits principaux

II. Les petits producteurs de marchandises dans l'industrie. L'esprit de corps dans les petites industries

- Evolution du métier vers la production marchande - Crainte de la concurrence

III. Les progrès des petites industries depuis l'abolition du servage. Les deux formes de ce processus et son importance

- Pourquoi se développent les petites industries - Emigration des producteurs vers les provinces frontières - Progrès des petites industries chez la population locale - Déplacement de capitaux - Liaison entre la croissance des petites industries et la décomposition de la paysannerie

IV. La décomposition des petits producteurs de marchandises. Les données des recensements par foyer des «koustaris» de la province de Moscou

- Position du problème - Méthode de traitement des données - Tableau récapitulatif et diagramme - Conclusions: travail salarié, productivité du travail, revenus - Régime petit-bourgeois des petites industries

V. La coopération capitaliste simple

- Son rôle et son influence sur la production - Artels

VI. Le capital commercial dans les petites industries paysannes

- Les conditions favorisant l'apparition du revendeur - Les marchandes dans l'industrie de la dentelle - Exemples d'organisation de la vente - Les vues des populistes - Les formes du capital commercial

VII. «La petite industrie et l'agriculture»

- Données du tableau - Agriculture des ouvriers salariés - «Ouvriers terriens» - Autres données sur la petite industrie et l'agriculture - Longueur de la période de travail - Résumé

VIII. "La combinaison de la petite industrie et de l'agriculture»

- Théorie populiste - Formes de combinaison de la petite industrie avec l'agriculture et leur importance

IX. Quelques remarques sur l'économie précapitaliste de nos villages


Nous allons maintenant nous occuper de l'industrie. Comme pour l'agriculture, il faudra analyser quelles sont les formes de l'industrie russe depuis l'abolition du servage, c'est-à-dire étudier notre régime de rapports économiques et sociaux dans l'industrie de transformation, ainsi que le caractère de l'évolution de ce régime. Commençons par les formes les plus simples et les plus primitives et observons de près la marche de leur développement.

I. L'industrie à domicile et les métiers[modifier le wikicode]

Il y a industrie à domicile quand la transformation des matières premières a lieu dans l'exploitation même (la famille paysanne) qui les produit. Ce genre d'industrie est un attribut nécessaire de l'économie naturelle, dont on trouve des vestiges presque partout où il existe une petite paysannerie. Il est donc absolument normal que dans la littérature russe on trouve toute une série de références à des industries de ce type (fabrication domestique d'articles de lin, de chanvre, de bois, etc., destinés à la consommation de la famille). A l'heure actuelle, cependant, il n'y a que de rares endroits particulièrement reculés, comme par exemple, jusqu'à ces derniers temps la Sibérie, où l'industrie domestique connaît une extension relativement importante. Sous cette forme, l'industrie en tant que profession n'existe pas encore dans ces régions, petites industries et agriculture sont indissolublement liées l'une à l'autre et forment un tout.

La première forme d'industrie qui se sépare de l'agriculture patriarcale est le métier, c'est-à-dire la fabrication d'objets sur commande du consommateur[1],[2]. Dans ce cas la matière première peut appartenir soit au consommateur-client, soit à l'artisan, et le travail est payé soit en espèces, soit en nature (locaux, entretien de l'artisan, remise à celui-ci d'une partie du produit obtenu s'il s'agit de farine, par exemple, etc.). Les métiers, qui sont une partie intégrante de la vie urbaine, sont également assez répandus dans les villages où ils servent de complément à l'économie paysanne. Une certaine portion de la population rurale est formée d'artisans spécialistes s'occupant (parfois exclusivement, parfois en même temps que d'agriculture) de tannage, de la confection de chaussures, de vêtements, exécutant des travaux de forge, la teinture des tissus domestiques, le finissage du drap paysan, la transformation du grain en farine, etc. Etant donné l'extrême insuffisance de nos statistiques économiques, nous n'avons aucune donnée précise sur l'extension que les métiers ont prise en Russie. Cependant, on peut trouver des indications partielles sur cette forme d'industrie dans presque toutes les descriptions de l'économie paysanne, dans les enquêtes sur ce qu'on appelle l'industrie «artisanale»[3] et même dans la statistique des usines et des fabriques[4]. Il arrive que les statistiques des zemstvos en enregistrant les industries paysannes classent les «artisans» dans un groupe à part (Cf. Roudnev, 1. c.). Mais, dans ce groupe, elles rangent également tous les ouvriers du bâtiment. Au point de vue de l'économie politique, une telle confusion est absolument erronée car, dans leur masse, les ouvriers du bâtiment sont des salariés employés par des entrepreneurs et non des artisans autonomes travaillant pour une clientèle. Certes, il n'est pas toujours facile de distinguer l'artisan rural du petit producteur de marchandises ou de l'ouvrier salarié; pour y arriver, il faut une analyse économique des données concernant chaque petit industriel. Une remarquable tentative pour dégager strictement les métiers des autres formes de petite industrie a été faite à l'occasion du recensement artisanal de Perm, en 1894-1895[5]. Selon les estimations de ce recensement, les artisans ruraux représentent environ 1% de la population paysanne et, comme il fallait s'y attendre, c'est dans les districts où l'industrie est le moins développée qu'ils sont le plus nombreux. Ils sont plus attachés à la terre que les petits producteurs de marchandise: sur cent artisans ruraux, en effet, on trouve 80,6 agriculteurs (pour les autres «koustaris», cette proportion est plus faible). Ils emploient le travail salarié mais sur une moins grande échelle que les autres artisans. Leurs entreprises sont généralement très peu importantes (d'après le nombre d'ouvriers qu'elles occupent ). Alors que le gain moyen d'un artisan non agriculteur est estimé à 102,9 roubles par an, celui d'un artisan agriculteur est estimé à 43,9 roubles.

Nous nous contenterons de ces brèves indications car l'analyse détaillée des métiers ne fait pas partie de notre tâche. Dans cette forme d'industrie, en effet, il n'y a pas encore de production marchande; on y voit simplement apparaître la circulation des marchandises quand l'artisan est payé en argent ou quand il vend sa part de produit reçue en échange de son travail pour acheter des matières premières et des instruments de production. Le produit du travail de l'artisan ne dépasse guère le cadre de l'économie paysanne naturelle[6] et, de ce fait, il n'apparaît pas sur le marché. Il est donc normal que les métiers se caractérisent par une routine, un morcellement et une étroitesse identiques à ceux de la petite agriculture patriarcale. Le seul élément d'évolution propre à cette forme d'industrie est l'exode des artisans en quête de travail vers d'autres contrées. Cette pratique était assez répandue, autrefois surtout, dans nos campagnes; elle avait généralement pour conséquence la création d'entreprises indépendantes aux lieux d'arrivée des artisans.

II. Les petits producteurs de marchandises dans l'industrie. L'esprit de corps dans les petites industries[modifier le wikicode]

Nous avons vu que lorsque l'artisan fait son apparition sur le marché, ce n'est pas pour y vendre son produit. Mais il est naturel qu'une fois qu'il a pris contact avec le marché, il en vienne peu à peu à produire pour celui-ci et qu'il se transforme en producteur de marchandises. Cette transformation est graduelle et, au début, elle a un caractère expérimental: les produits que l'artisan met en vente sont ceux qui lui restent par hasard ou qu'il fabrique à temps perdu. Ce caractère graduel est encore renforcé du fait que, primitivement, les marchés où ces produits sont écoulés sont très restreints: de la sorte, la distance entre le consommateur et le producteur n'augmente que très peu, le produit continue à passer directement du producteur au consommateur et, de plus, il arrive parfois qu'avant d'être vendu, il soit échangé contre des denrées agricoles[7]. Au stade suivant, le développement de l'économie marchande se traduit par une extension du commerce et par l'apparition de marchands revendeurs: ce n'est plus le petit marché paysan ou la foire[8], qui servent de débouché au produit, mais une région entière, puis l'ensemble du pays et parfois même d'autres pays. A partir du moment où les produits industriels deviennent des marchandises, la voie est ouverte pour la séparation de l'agriculture et de l'industrie et pour les échanges mutuels entre les deux branches. Fidèle à ses poncifs et à ses conceptions abstraites, M. N.-on se borne à déclarer que «la séparation de l'industrie et de l'agriculture» est caractéristique du «capitalisme» en général, sans se donner la peine d'analyser ses différentes formes ni les divers stades du capitalisme. C'est pourquoi il importe de noter que l'industrie commence à se séparer de l'agriculture quand la production marchande en est encore à son stade le plus bas, au stade des petits métiers paysans, à un moment où, dans la majorité des cas, l'industriel ne se distingue pas encore de l'agriculteur. Dans la suite de notre exposé, nous verrons de quelle façon les entreprises industrielles sont amenées à se séparer des entreprises agricoles et les ouvriers d'industrie des agriculteurs quand le capitalisme atteint un niveau de développement plus élevé.

Tant que la production marchande en est à un stade embryonnaire, la concurrence entre les «koustaris» reste très faible, mais au fur et à mesure que le marché s'élargit et englobe des régions plus étendues, elle devient de plus en plus violente et ruine la prospérité patriarcale du petit producteur qui reposait sur le monopole de fait dont il jouissait. Le petit producteur de marchandise sent que ses intérêts, contrairement à ceux du reste de la société, exigent le maintien de ce monopole et c'est pourquoi il craint la concurrence. Individuellement ou en collectivité, il fait tout ce qu'il peut pour l'entraver, pour «ne pas admettre» les concurrents dans sa région, pour renforcer sa situation prospère de petit patron disposant d'une clientèle bien déterminée. Cette peur de la concurrence est si caractéristique de la véritable nature sociale du petit producteur que nous devons nous arrêter un peu plus longuement sur les faits qui s'y rapportent. Voici tout d'abord un exemple concernant les métiers. Les apprêteurs de peau de mouton de Kalouga, dont le métier est tombé en décadence depuis l'abolition du servage et qui partent l'exercer dans d'autres provinces, devaient autrefois payer, pour pouvoir embrasser cette profession, une énorme redevance à leurs seigneurs. Ces derniers veillaient soigneusement à ce que chaque apprêteur connaisse «le territoire qui lui était dévolu» et interdisaient à d'autres apprêteurs d'exploiter ces territoires. Grâce à cette organisation, le métier était si avantageux que le titulaire demandait de 500 à 1000 roubles pour céder sa place et que l'arrivée d'un apprêteur étranger provoquait parfois de sanglants conflits. L'abolition du servage a ruiné cette prospérité moyenâgeuse et «la concurrence a également été favorisée par les chemins de fer qui facilitent les déplacements»[9]. Dans le même ordre d'idées, on a relevé chez les artisans de toute une série de métiers une tendance (tendance ayant positivement le caractère d'une règle générale) à dissimuler les inventions et les améliorations techniques et à tenir secrètes les occupations lucratives afin d'éviter une «concurrence ruineuse». Quand un individu fonde une petite industrie nouvelle ou quand il introduit un perfectionnement dans un métier, il s'efforce par tous les moyens de dissimuler à ses voisins les avantages qu'il en retire (pour détourner l'attention, par exemple, il conserve l'ancien aménagement de son entreprise), il ne permet à personne de pénétrer dans son atelier, il travaille sous les combles, il n'en dit rien, même à ses enfants[10]. On sait que dans la région de Moscou la fabrication des pinceaux se développe très lentement. «Cette lenteur s'explique généralement par le fait que les producteurs refusent les nouveaux concurrents. On dit que dans la mesure du possible ils s'efforcent de ne pas montrer leur travail aux étrangers, si bien que parmi eux, il n'y en a qu'un seul qui prenne des apprentis venus d'ailleurs[11].» A propos du village de Bezvodnoïé dont les habitants sont réputés pour les objets de métal qu'ils fabriquent, nous lisons; «Il est à noter que les habitants de Bezvodnoïé dissimulent soigneusement à présent encore (au début des années 80; leur industrie existe depuis les années 50) leur savoir-faire aux paysans voisins. Ils ont essayé à plusieurs reprises d'obtenir que l'administration cantonale prenne un arrêté stipulant que ceux qui transmettraient un secret professionnel à un autre village seraient passibles d'une punition. L'arrêté n'a pas été pris, mais moralement il pèse sur chacun des habitants de Bezvodnoïé qui ne marient pas leurs filles dans les villages voisins et qui, dans la mesure du possible, évitent d'y prendre femme[12]

Les économistes populistes ont passé sous silence le fait que, dans leur masse, les petits artisans paysans sont des producteurs de marchandises. Ils ont même créé toute une légende selon laquelle il existe un profond antagonisme entre l'organisation économique des petits métiers paysans et celle de la grosse industrie. Les données que nous venons de citer montrent bien à quel point cette thèse est inconsistante. S'il est vrai que le gros industriel ne recule devant aucun moyen pour s'assurer un monopole, à cet égard, le paysan-«koustar» est son cousin germain. Avec les faibles moyens dont il dispose, le petit bourgeois cherche à défendre des intérêts de classe qui, au fond, sont identiques à ceux que le gros fabricant s'efforce de sauvegarder pour le protectionnisme, les primes, les privilèges, etc.[13]

III. Les progrès des petites industries depuis l'abolition du servage. Les deux formes de ce processus et son importance[modifier le wikicode]

De l'exposé que nous venons de faire, nous pouvons conclure que la petite production a encore d'autres caractères qui méritent notre attention. Comme nous l'avons vu, l'apparition d'un nouveau métier est l'indice d'un progrès de la division sociale du travail. Ce progrès doit donc se retrouver dans toutes les sociétés capitalistes, dans la mesure où elles conservent plus ou moins une paysannerie et une agriculture semi-naturelle, dans la mesure où diverses institutions et traditions anciennes (liées au mauvais état des moyens de communication, etc.) empêchent la grande industrie mécanique de succéder directement à l'industrie domestique. Dès que l'économie marchande fait un pas en avant, on voit inévitablement de nouveaux petits industriels surgir de la paysannerie; en quelque sorte, ce processus prépare la conquête par le capitalisme de nouvelles régions qui se trouvent dans les parties les plus retardataires du pays ou de nouvelles branches industrielles. Dans d'autres parties du pays ou dans d'autres branches ce développement du capitalisme prend une forme absolument différente: il provoque en effet non pas un accroissement mais une diminution du nombre des ateliers artisanaux et des ouvriers à domicile qui sont absorbés par les fabriques. On conçoit par conséquent que si on veut étudier le développement du capitalisme dans l'industrie d'un pays donné, il faille distinguer ces deux processus de la façon la plus rigoureuse; si on les confond, en effet, on est inévitablement amené à tout embrouiller[14].

Dans la Russie d'après l'abolition du servage, le développement de l'artisanat, qui représente les premiers pas du développement du capitalisme, s'est manifesté et continue à se manifester de deux manières: 1) par l'émigration des petites industries et des artisans des régions centrales peuplées depuis longtemps et économiquement avancées vers les provinces périphériques, 2) par l'apparition de nouveaux métiers et par l'extension de ceux qui existent déjà parmi la population locale.

Le premier de ces processus constitue un des aspects de la colonisation des provinces frontières, dont nous avons déjà parlé (chapitre IV, § 2). Le paysan-artisan des provinces de Nijni-Novgorod, Vladimir, Tver, Kalouga, etc., sent que l'augmentation de la population et le développement des manufactures et des fabriques capitalistes menacent la petite production et renforcent la concurrence, et il part vers le sud où les «gens de métier» sont encore rares, les bénéfices élevés et la vie bon marché. Là, il fonde un petit établissement qui donne naissance à une industrie paysanne nouvelle et par la suite cette industrie se répand dans le village où elle a été implantée et dans les environs. De la sorte, les régions centrales qui possèdent une culture industrielle séculaire ont aidé cette culture à se développer dans les régions nouvelles en voie de peuplement, et les rapports capitalistes (qui, ainsi que nous le verrons par la suite, se retrouvent dans les métiers paysans) ont gagné l'ensemble du pays[15].

Examinons maintenant les faits relatifs au deuxième processus. Notons tout d'abord que pour le moment, lorsque nous constatons un développement des petites entreprises et des métiers paysans, nous ne nous occupons pas de leur organisation économique. Nous verrons par la suite que ces métiers amènent la formation d'une coopération capitaliste simple et d'un capital commercial ou bien qu'ils sont partie intégrante d'une manufacture capitaliste.

Les pelleteries du district d'Arzamas, province de Nijni-Novgorod, sont d'abord apparues dans la ville même d'Arzamas et peu à peu elles ont gagné les localités voisines, englobant ainsi une région de plus en plus étendue. Au début, les pelletiers étaient peu nombreux dans les villages, mais chacun d'entre eux employait un grand nombre d'ouvriers salariés; en effet, la main-d'œuvre était bon marché, car les ouvriers s'embauchaient pour apprendre le métier. Une fois instruits, ils se dispersaient et s'établissaient à leur compte, préparant ainsi un terrain plus vaste pour la domination du capital, auquel est maintenant soumise la majeure partie des artisans[16] Notons d'ailleurs que lorsqu'un nouveau métier fait son apparition, il arrive très fréquemment que la main-d'œuvre soit abondante dans les premières entreprises et que ces ouvriers salariés se transforment par la suite en petits patrons: il s'agit là d'un phénomène extrêmement répandu qui a le caractère d'une règle générale[17]. Il va sans dire qu'il serait profondément erroné d'en conclure qu'«en dépit de diverses considérations historiques .. , ce ne sont pas les grandes entreprises qui absorbent les petites, mais les petites qui sont engendrées par les grandes[18]». Le fait que les premières entreprises aient des dimensions importantes ne signifie nullement qu'il y ait concentration de la production; il vient de ce que ces entreprises se comptent par unités et de ce que les paysans des environs aspirent à y travailler pour y apprendre un métier lucratif. Pour ce qui est de la diffusion des petites industries paysannes au-delà des anciens centres, dans les localités avoisinantes, c'est là un phénomène que l'on observe dans de nombreux cas. C'est ainsi, par exemple, qu'après l'abolition du servage, on a pu assister au développement (dans trois directions: augmentation du nombre des localités où ces métiers sont implantés, du nombre des artisans et du montant de la production) de métiers aussi importants que la serrurerie sur acier de Pavlovo, la tannerie et la cordonnerie de Kimry, le tressage des chaussures d'Arzamas et des environs[19], la fabrication des objets de métal de Bourmakino, la chapellerie de Molvitino et de son district, la verrerie, la chapellerie, la dentellerie de la province de Moscou, la joaillerie de la région de Krasnoïé Sélo, etc.[20]. L'auteur de l'article sur les petites industries de sept cantons du district de Toula constate que «l'augmentation du nombre des artisans après l'abolition du servage et l'apparition de «koustaris» et d'artisans dans des localités qui autrefois n'en comprenaient aucun[21] constituent un phénomène général. On trouve une opinion analogue chez les statisticiens de Moscou[22]. Nous pouvons d'ailleurs confirmer ces appréciations en citant les statistiques suivantes qui portent sur la date à laquelle sont apparues dans la province de Moscou 523 entreprises artisanales englobant 10 métiers[23].

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Que l'époque postérieure à l'abolition du servage se caractérise par un développement particulièrement rapide des petites industries, - c'est là un point qui ressort également du recensement de l'industrie artisanale de la province de Perm (ce recensement nous donne la date à laquelle ont été créées 8884 petites entreprises d'artisans et de «koustaris»). Il est intéressant d'examiner plus en détail ce processus de formation des petites industries nouvelles. Dans la province de Vladimir, la production des lainages et des soieries mélangées n'est apparue qu'en 1861. Au début, il s'agissait d'une occupation annexe, exercée hors de la communauté, mais par la suite, on a vu apparaître dans les villages des «maîtres artisans» fournissant le fil. Un des premiers «fabricants» avait pendant un certain temps fait le commerce du gruau qu'il achetait en gros dans les «steppes» de Tambov et de Saratov. Mais comme la construction des chemins de fer provoquait un nivellement des prix et une concentration du commerce des blés entre les mains de quelques millionnaires, notre marchand décida d'engager son capital dans une entreprise de tissage, il entra dans une fabrique, apprit le métier et se fit «maître-artisan»[24]. On voit que, dans cette région, l'apparition d'un nouveau «métier» est due au fait que le capital a été évincé du commerce et orienté vers l'industrie par le développement général du pays[25]. L'auteur qui a étudié le métier que nous venons de citer à titre d'exemple affirme que ce cas est loin d'être unique: les paysans qui faisaient vivre des métiers auxiliaires exercés au-dehors «sont à l'origine de toute une série de petites industries; ils ont ramené dans leur village les connaissances techniques qu'ils avaient acquises, poussé d'autres paysans à partir avec eux, échauffé l'imagination des paysans riches par leurs récits sur les bénéfices fabuleux réalisés par les tisseurs en chambres ou les maîtres-artisans. Captivé par ces récits, le moujik riche qui mettait son argent dans un bas de laine ou faisait le commerce du blé, a décidé de se lancer dans les entreprises industrielles» (ibid.). Dans plusieurs endroits du district d'Alexandrov, province de Vladimir, la cordonnerie et le foulage sont apparus de la façon suivante: le tissage à main étant tombé en décadence, les propriétaires des petits ateliers familiaux et des petits comptoirs qui distribuaient l'ouvrage ont monté des ateliers destinés à une autre production, et, dans ce but, ils ont embauché des spécialistes pour qu'ils leur apprennent leur métier à eux et à leurs enfants[26]. A mesure que la grosse industrie évince d'une branche industrielle le petit capital, celui-ci est donc réinvesti dans une autre branche dont il stimule le développement dans un sens analogue.

Ces conditions générales de l'époque postérieure à l'abolition du servage, qui ont provoqué le développement des petites industries à la campagne sont très bien mises en évidence par les enquêteurs de la région de Moscou. «D'une part, pouvons-nous lire dans la description qu'ils nous donnent de l'industrie de la dentelle, les conditions de vie des paysans ont considérablement empiré au cours de cette période, mais d'autre part, les besoins de la population - de la partie de la population qui se trouve placée dans les conditions les plus favorables - se sont beaucoup accrus[27].» A partir des données concernant la région qu'ils ont choisie, les auteurs constatent une augmentation du nombre des paysans qui n'ont pas de cheval et qui ne s'occupent pas d'agriculture, augmentation qui s'accompagne d'un accroissement du nombre des paysans qui ont plusieurs chevaux et de l'effectif total du bétail paysan. Cela veut dire d'une part que le nombre de ceux qui ne peuvent se passer d'une «gagne-pain auxiliaire» et qui cherchent à louer leurs bras dans une petite industrie s'est accru et, d'autre part, qu'une minorité de familles aisées s'est enrichie, a fait des «économies» et «a dorénavant la possibilité d'embaucher un ou deux ouvriers ou de distribuer de l'ouvrage à domicile aux paysans pauvres». «Bien entendu, expliquent les auteurs, nous négligeons les cas où dans ces familles on voit apparaître des individus connus sous le nom de koulaks, de requins, et nous ne nous occupons que des phénomènes les plus courants dans la population paysanne.»

On voit que pour les enquêteurs locaux, il existe une liaison entre la décomposition de la paysannerie et le développement des petites industries paysannes. Cela est absolument normal. Les données que nous avons citées au chapitre II nous montrent en effet que la décomposition de la paysannerie agricole devait nécessairement s'accompagner d'un développement des petits métiers paysans. Au fur et à mesure que l'économie naturelle tombait en décadence, les traitements auxquels les matières premières étaient soumises se sont transformés les uns après les autres en branches industrielles indépendantes; la formation d'une bourgeoisie paysanne et d'un prolétariat rural augmentait la demande de produits livrés par les petites industries paysannes, en même temps qu'elle fournissait à ces industries la main-d'œuvre et les moyens financiers disponibles dont elles avaient besoin[28].

IV. La décomposition des petits producteurs de marchandises. Les données des recensements par foyer des «koustaris» de la province de Moscou[modifier le wikicode]

Voyons maintenant quels sont les rapports économiques et sociaux qui s'établissent dans l'industrie entre les petits producteurs de marchandises. Pour déterminer le caractère de ces rapports, nous nous heurtons à un problème analogue à celui que nous avons eu à résoudre au chapitre II pour les petits agriculteurs. Nous devons prendre pour base non plus l'étendue de l'exploitation agricole mais celle des métiers auxiliaires: classer les petits producteurs d'après le volume de leur production et examiner quel est le rôle du travail salarié, le niveau de la technique, etc., dans chacun des groupes[29]. Pour procéder à cette analyse, nous disposons des recensements par foyer des «koustaris» de la province de Moscou[30]. Les enquêteurs nous fournissent pour toute une série de métiers des données extrêmement précises portant sur la production et parfois même sur l'exploitation agricole de chaque «koustar» pris isolément (date de la fondation de l'établissement, nombre des ouvriers familiaux ou salariés, montant de la production annuelle, nombre des chevaux, mode de culture du sol, etc.). Mais ils ne donnent pas de tableaux par groupes. Il nous a donc fallu établir ces tableaux nous-mêmes et pour ce faire, nous avons réparti les «koustaris» en trois groupes (I - inférieur, Il - moyen, III - supérieur) selon le nombre des ouvriers (familiaux ou salariés) employés dans l'entreprise, parfois selon le volume de la production, l'équipement technique, etc. En général, nous avons établi notre classification à partir d'une base qui tient compte de toutes les données fournies par la description du métier. Mais cette base ne pouvait pas être la même pour tous les métiers. Quand nous avions affaire à de très petites industries, par exemple, il a fallu que nous fassions entrer dans le groupe inférieur les entreprises qui avaient un ouvrier, dans le groupe moyen, celles qui en avaient deux et dans le groupe supérieur, celles qui en avaient trois. Par contre. quand il s'agissait d'industries plus importantes, nous avons dû classer dans le groupe inférieur les entreprises qui avaient de 1 à 5 ouvriers, dans le groupe moyen, celles qui en avaient de 6 à 10, etc. Si nous n'avions pas employé ces différents procédés, il nous aurait été impossible de fournir des données sur les entreprises de différentes grandeurs existant dans chacune des industries. Nous donnons en annexe le tableau ainsi obtenu (voir annexe I). On y verra d'après quels indices les «koustaris» exerçant différents métiers sont répartis en catégories; nous indiquons également quel est le nombre absolu d'entreprises, d'ouvriers (familiaux et salariés), le volume de la production et le nombre d'entreprises employant des ouvriers salariés, ainsi que le nombre de ces ouvriers, pour chacune des catégories de chaque industrie. Les indices dont nous nous sommes servis pour caractériser l'exploitation agricole des «koustaris» de chacun des groupes sont la moyenne des chevaux par exploitant et le pourcentage de ceux qui emploient des ouvriers agricoles. Au total, le tableau porte sur 37 industries, 22278 entreprises, 11833 ouvriers et une production brute dépassant 5 millions de roubles. Déduction faite de 4 métiers, que nous avons exclus du relevé à cause de l'insuffisance des données ou en raison de leur caractère exceptionnel[31], il reste 33 industries, 2085 entreprises, 9427 ouvriers et une production brute de 3466000 roubles ou, après rectification (pour deux métiers) 3750 000 roubles environ.

Il est inutile (et beaucoup trop compliqué) d'étudier ces 33 industries dans leur totalité. Nous les avons donc divisées en 4 catégories, ce qui nous donne: 1) 9 métiers avec un chiffre moyen de 1,6 à 2,5 ouvriers (familiaux ou salariés) par entreprise; 2) 9 métiers avec un chiffre moyen de 2,7 à 4,4 ouvriers; 3) 10 métiers avec un chiffre moyen de 5,1 à 8,4, et 4) 5 métiers, avec un chiffre moyen de 11,5 à 17,8 ouvriers. On voit que dans chacune de ces catégories sont groupées des industries assez voisines les unes des autres pour ce qui est du nombre des ouvriers employés par entreprise. Dans la suite de notre exposé, nous nous limiterons aux données qui portent sur ces quatre catégories. Ces données, nous allons maintenant les reproduire in extenso.

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Ce tableau nous donne sur les rapports existant entre les groupes supérieurs et les groupes inférieurs des «koustaris» toutes les données essentielles dont nous aurons besoin pour nos conclusions ultérieures. Pour illustrer les chiffres globaux des quatre catégories, nous pouvons établir un diagramme semblable à celui que nous avons utilisé au chapitre II pour illustrer la décomposition de la paysannerie agricole. Nous déterminerons quelle est la part du nombre total des entreprises, des ouvriers familiaux, des entreprises employant des ouvriers salariés, des ouvriers (familiaux et salariés), du volume total de la production et du nombre total des salariés, qui revient à chaque groupe et nous porterons ces pourcentages sur le diagramme selon la méthode que nous avons décrite au chapitre II.

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Voyons maintenant quelles conclusions nous pouvons tirer de ces données. Commençons par le travail salarié: dans les 33 métiers, il l'emporte sur le travail familial: 51% des ouvriers sont des salariés. Pour les «koustaris» de la province de Moscou, ce pourcentage est même inférieur à la réalité. Pour cette province, en effet, nous avons des données précises sur les ouvriers de 54 métiers. On obtient les chiffres suivants: sur 29446 ouvriers, 17566 soit 59,65% du total sont des salariés. Dans la province de Perm, la proportion des salariés par rapport à l'ensemble des «koustaris» et des petits artisans est de 24,5% et de 29,4 à 31,2% par rapport aux seuls producteurs de marchandises. Mais nous verrons par la suite que ces chiffres d'ensemble englobent non seulement les petits producteurs de marchandises mais également les manufactures capitalistes. C'est pourquoi la conclusion suivante est beaucoup plus intéressante: le rôle du travail salarié est de plus en plus important au fur et à mesure que les entreprises s'agrandissent. C'est là un phénomène que l'on peut observer quand on compare les différentes catégories et les différents groupes d'une catégorie. Le pourcentage des entreprises employant des ouvriers salariés et celui de ces derniers sont d'autant plus élevés que les entreprises sont plus importantes. En règle générale, les économistes populistes se bornent à déclarer que parmi les «koustaris», c'est la petite entreprise à main-d'œuvre exclusivement familiale qui domine et, pour appuyer leurs dires, ils citent souvent des chiffres «moyens». Les données que nous venons de citer montrent que de telles «moyennes» ne peuvent en aucun cas servir à caractériser le phénomène qui nous occupe; d'autre part, la prédominance des petites entreprises à main-d'œuvre familiale n'élimine en rien ce fait capital, à savoir que la petite production marchande tend à l'emploi toujours plus fréquent du travail salarié, à la création d'ateliers capitalistes. En outre, une thèse assez largement répandue des populistes affirme que dans la petite production artisanale le travail salarié est utilisé non pas dans un but lucratif mais pour «compléter» le travail familial[32]. C'est ce que réfutent également les données que nous avons citées. La vérité, c'est que chez les petits artisans, tout comme chez les petits agriculteurs, le travail salarié est d'autant plus employé que la main-d'œuvre familiale est plus nombreuse. Dans la plupart des métiers, en effet, nous pouvons constater que le travail salarié est de plus en plus utilisé au fur et à mesure que l'on s'élève vers les catégories supérieures bien que ce soit précisément dans ces catégories que le nombre des ouvriers familiaux s'accroît par entreprise. Loin d'atténuer les différences dues au fait que l'effectif familial des «Koustaris» n'est pas partout le même, l'emploi du travail salarié les renforce. Alors que la catégorie supérieure est celle qui est la mieux pourvue en main-d'œuvre familiale, c'est elle qui emploie la grande majorité des salariés: sur le diagramme, cette caractéristique générale des petites industries apparaît avec beaucoup de netteté. «La coopération familiale» est donc la base de la coopération capitaliste[33]. Il va sans dire que cette «loi» n'est valable que pour les plus petits producteurs de marchandises, que pour la phase embryonnaire du capitalisme; elle prouve que la tendance des paysans est de se transformer en petits bourgeois. Dès qu'il a été créé des ateliers occupant un nombre assez important d'ouvriers salariés, le rôle de la «coopération familiale» doit inévitablement diminuer. Et de fait, nos données montrent que cette loi ne s'applique pas aux groupes les plus importants des catégories supérieures. Quand un «koustar» devient un véritable capitaliste occupant de 15 à 30 ouvriers, le travail familial ne joue plus qu'un rôle infime dans ses ateliers (dans le groupe supérieur de la plus haute catégorie, par exemple, les ouvriers familiaux ne représentent que 7% du nombre total des ouvriers). En d'autres terme, on peut dire que lorsqu'une industrie artisanale est assez petite pour que la coopération familiale y joue le rôle essentiel, cette coopération est le gage le plus sûr d'un développement de la coopération capitaliste. On voit que la dialectique de la production marchande, qui transforme «la vie reposant sur son propre travail» en une vie basée sur l'exploitation du travail d'autrui, se manifeste ici avec une très grande netteté.

Voyons maintenant les données relatives à la productivité du travail. Si on examine les chiffres concernant le volume de la production par ouvrier dans chacun des groupes, on s'aperçoit que plus les entreprises sont grandes, plus la productivité est élevée. On retrouve ce phénomène dans l'immense majorité des métiers et dans toutes les catégories, sans exception. En montrant que la part de la production totale fournie par le groupe supérieur est plus grande que la part des ouvriers qui lui revient, le diagramme donne de cette loi une confirmation éclatante; dans le groupe inférieur, en revanche, nous avons le rapport inverse. Le volume de production d'un ouvrier travaillant dans une entreprise de catégorie supérieure, est de 20 à 40% plus élevé que celui fourni par un ouvrier dans une entreprise de la catégorie inférieure. Il est vrai qu'au cours de l'année, les grandes entreprises ont une période de travail plus longue que les petites et que parfois elles ont affaires à des matériaux plus précieux. Il n'en reste pas moins que la productivité du travail y est beaucoup plus élevée[34]. D'ailleurs, il ne pourrait en être autrement. Les grosses entreprises ont de trois à cinq fois plus d'ouvriers (familiaux et salariés) que les petites et le fait que la coopération soit appliquée sur une plus large échelle ne peut pas ne pas influer sur l'élévation de la productivité. Au point de vue technique les grands ateliers sont toujours mieux équipés et emploient toujours des outils, des machines, des dispositifs d'une qualité supérieure, etc. Dans la brosserie, par exemple, un «atelier bien organisé» doit avoir jusqu'à 15 ouvriers et dans la crocheterie il doit en avoir jusqu'à 9-10. Dans l'industrie du jouet, les riches «koustaris» disposent de fours spéciaux pour faire sécher leurs marchandises, les plus grandes entreprises ont même des séchoirs, installés dans des bâtiments particuliers, alors que la majorité des «koustaris» doivent se contenter de fours ordinaires. Dans l'industrie des jouets métalliques, 8 patrons sur 16 possèdent des ateliers spéciaux. Ils sont répartis de la façon suivante: 0 parmi les 6 du groupe I, 3 parmi les 5 du groupe II et 5 sur les 5 du groupe III. Pour les miroitiers, la proportion est la suivante: 18 ateliers spéciaux pour 142 artisans, soit 3 pour les 99 du groupe I. 4 pour les 27 du groupe II et 11 pour les 16 du groupe III. Dans la fabrication des cribles, dans le groupe I le tressage se fait à la main, mais à la machine dans les groupes II et III. Chez les tailleurs, alors que dans le groupe I, chaque tailleur possède en moyenne 1,3 machine à coudre, dans le groupe II, il en possède 2,1 et dans le groupe III, 3,4. Dans une enquête sur l'industrie du meuble, M. Issaïev est amené à constater que les exploitations individuelles présentent un certain nombre d'inconvénients: 1) il leur est impossible d'avoir un outillage complet; 2) elles ne peuvent avoir une production variée car les objets encombrants ne peuvent pas être entreposés dans une isba; 3) les matières premières, quand elles sont achetées au détail, reviennent de 30 à 33% plus cher; 4) le petit artisan n'inspire pas confiance et d'autre part, il a souvent de pressants besoins d'argent, il est donc obligé de vendre sa marchandise à plus bas prix[35]. De tels phénomènes ne sont pas spécifiques de l'industrie du meuble, on les retrouve également dans l'écrasante majorité des petites industries paysannes. Pour terminer, il faut ajouter qu'on observe une augmentation des prix de revient des objets fabriqués par ouvrier non seulement quand on s'élève du groupe inférieur au groupe supérieur, mais également quand on passe des petites industries aux grandes. Alors que dans les métiers de première catégorie, un ouvrier produit en moyenne pour 202 roubles, dans les métiers de deuxième et de troisième catégorie, il produit pour 400 roubles et dans ceux de quatrième catégorie, pour plus de 500 roubles (nous avons vu que le chiffre de 381 devait être multiplié par 1,5). C'est là un point qui montre bien la liaison existant entre le renchérissement des matières premières et le processus d'éviction des petites entreprises par les grosses. Chaque fois que le développement de la société capitaliste fait un pas en avant, cela entraîne inévitablement une augmentation du prix de produits comme le bois, etc., et du même coup, cela provoque une accélération de la ruine des petites entreprises.

On voit par conséquent que même dans la petite industrie paysanne, ce sont les entreprises capitalistes relativement importantes qui jouent le rôle essentiel. Tout en étant très minoritaires, elles emploient une part extrêmement importante des ouvriers et fournissent une part de la production plus importante encore. Dans 33 industries de la province de Moscou, par exemple, les entreprises du groupe supérieur qui ne représentent que 15% du nombre total fournissent 45% de la production. Par contre, les entreprises du groupe inférieur n'en fournissent que 21%, alors qu'elles représentent 53% du nombre total des entreprises. Ceci étant, il va de soi que la répartition des revenus nets doit être encore beaucoup plus inégale. Le recensement des industries artisanales de la province de Perm vient d'ailleurs nous le confirmer de façon éclatante. En groupant à part les plus grosses entreprises de 7 métiers, on obtient le tableau suivant des rapports entre petites et grandes entreprises[36].

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On voit que les 2/5 environ du revenu total (salaire des ouvriers et revenu des patrons) sont concentrés par moins de 10% des entreprises qui emploient environ 1/5 des ouvriers et qui fournissent près de la moitié de la production. Le revenu net des petits patrons est bien inférieur au salaire des ouvriers travaillant dans les grosses entreprises. Comme nous l'avons montré ailleurs, il ne s'agit pas là d'une exception mais d'une règle générale pour toutes les petites industries paysannes[37].

En résumé, nous pouvons dire que le régime économique des petites industries paysannes est un régime petit-bourgeois typique semblable à celui que nous avons déjà rencontré quand nous nous sommes occupés des petits agriculteurs. Dans ce climat économique et social, les petites industries paysannes ne peuvent s'agrandir, se développer, s'améliorer qu'en donnant naissance, d'une part, à une minorité de petits capitaliste; et, d'autre part, à une majorité d'ouvriers salariés ou de «koustaris indépendants» vivant encore plus mal que les salariés. Nous pouvons donc observer dans les plus petits métiers paysans les germes les plus évidents du capitalisme, de ce capitalisme dont les économistes à la Manilov[38] voudraient nous faire croire qu'il n'a rien de commun avec la «production populaire». Les faits que nous venons d'analyser ont également une grande importance pour la théorie du marché intérieur. Par suite du développement des petits métiers paysans, on assiste à un accroissement de la demande des artisans les plus aisés en force productive et en main-d'œuvre qu'ils vont puiser dans le prolétariat rural. Etant donné que dans la seule province de Perm, on compte près de 6500 ouvriers salariés qui travaillent pour des artisans ruraux ou des petits industriels, il doit y en avoir un nombre assez considérable dans l'ensemble de la Russie[39].

V. La coopération capitaliste simple[modifier le wikicode]

La formation d'ateliers relativement importants par les petits producteurs de marchandises marque le passage à une forme supérieure d'industrie. De la petite production morcelée naît la coopération capitaliste simple. «La production capitaliste ne commence en fait à s'établir que là où un seul maître exploite beaucoup de salariés à la fois, où le procès de travail exécuté sur une grande échelle, demande pour l'écoulement de ses produits un marché étendu. Une multitude d'ouvriers fonctionnant en même temps sous le commandement du même capital, dans le même espace ( ou si l'on veut sur le même champ de travail), en vue de produire le même genre de marchandises, voilà le point de départ historique de la production capitaliste. C'est ainsi qu'à son début la manufacture proprement dite se distingue à peine des métiers du moyen âge, si ce n'est par le plus grand nombre d'ouvriers exploités simultanément. L'atelier du chef de corporation n'a fait qu'élargir ses dimensions» (Das Kapital, I2, S. 329)[40].

C'est donc précisément à ce point de départ du capitalisme que se trouvent nos petites industries paysannes («artisanales»). Quand la conjoncture historique n'est pas la même (absence ou faible développement des corporations), seule la façon dont ces rapports capitalistes se manifestent, est modifiée. Au début, un atelier capitaliste ne diffère d'un atelier artisanal que par le nombre des ouvriers qu'il emploie simultanément. Aussi les premières entreprises capitalistes étant minoritaires, elles semblent se perdre dans la masse des petites entreprises. Mais le fait d'employer un plus grand nombre d'ouvriers amène inévitablement des changements successifs dans la production elle-même, une transformation graduelle de la production. Avec une technique manuelle primitive, les différences entre les ouvriers (pour ce qui est de la force physique, de l'habileté, de la maîtrise, etc.) sont toujours très marquées. Ne serait-ce que pour cette raison la situation du petit industriel est extrêmement précaire et sa dépendance à l'égard des oscillations du marché extrêmement pénible. Par contre, dès que l'entreprise emploie plusieurs ouvriers, les différences individuelles qui existent entre eux s'estompent au niveau même de l'atelier; «la journée d'un assez grand nombre d'ouvriers exploités simultanément constitue une journée de travail social, c'est-à-dire moyen»[41], ce qui permet à l'atelier capitaliste d'avoir une production et des débouchés infiniment plus stables et plus réguliers. Pour les plus grands ateliers, il devient possible d'utiliser à plein les bâtiments, les dépôts, les outils et les instruments de travail, etc., dont ils disposent, et d'abaisser ainsi les frais de production[42]. L'organisation de la production sur une plus large échelle et l'emploi simultané d'un grand nombre d'ouvriers exigent l'accumulation d'un capital relativement important, qui souvent se constitue non dans la sphère de la production mais dans celle du commerce. La forme que prend la participation personnelle du patron à l'entreprise dépend de la grandeur de ce capital: quand le capital est très restreint, le patron est lui-même ouvrier; dans le cas contraire, il renonce à travailler personnellement et il se spécialise dans des fonctions commerciales et d'entrepreneur. «On peut établir un rapport entre la situation du patron et le nombre des ouvriers qu'il emploie», pouvons-nous lire dans une description de l'industrie du meuble. «Quand un patron a 2 ou 3 ouvriers, ses bénéfices sont si maigres qu'il doit travailler avec ceux qu'il emploie... 5 ouvriers lui rapportent déjà suffisamment pour lui permettre de se libérer dans une certaine mesure du travail manuel, de prendre des loisirs et surtout de remplir les deux dernières fonctions patronales» (c'est-à-dire l'achat du matériel et la vente des marchandises). «Dès que le nombre de ses ouvriers atteint ou dépasse 10, non seulement il abandonne le travail manuel, mais il cesse quasiment de surveiller ceux qu'il emploie: cette tâche, il la confie dorénavant à un contremaître. Il devient dès lors un petit capitaliste, un véritable «patron» de bonne souche. (Issaïev, Les petites industries de la province de Moscou, t. I, pp. 52-53.) En montrant que le nombre des ouvriers familiaux diminue aussitôt qu'apparaît un nombre important d'ouvriers salariés, les données que nous avons citées viennent confirmer de façon éclatante cette description.

L'auteur du Capital définit de la façon suivante le rôle général de la coopération capitaliste simple dans le développement des formes capitalistes de l'industrie:

«Dans l'histoire, elle se développe en opposition avec la petite culture des paysans et l'exercice indépendant des métiers, que ceux-ci possèdent ou non la forme coopérative ... Si la puissance collective du travail développée par la coopération apparaît comme force productive du capital, la coopération apparaît comme mode spécifique de la production capitaliste. C'est là la première phase de transformation que parcourt le procès de travail par suite de sa subordination au capital... Sa base, l'emploi simultané d'un certain nombre de salariés dans le même atelier, est donnée avec l'existence même du capital et se trouve là comme résultat historique des circonstances et des mouvements qui ont concouru à décomposer l'organisme de la production féodale.

Le mode de production capitaliste se présente donc comme nécessité historique pour transformer le travail isolé en travail social; mais entre les mains du capital, cette socialisation du travail n'en augmente les forces productives que pour l'exploiter avec plus de profit.

Dans sa forme élémentaire considérée jusqu'ici, la coopération coïncide avec la production sur une grande échelle. Sous cet aspect elle ne caractérise aucune époque particulière de la production capitaliste, si ce n'est les commencements de la manufacture encore professionnelle.» (Das Kapital, 12, 344-345.)[43]

Dans la suite de notre exposé, nous verrons qu'en Russie les petits établissements «artisanaux» qui emploient des ouvriers salariés sont étroitement liés aux formes les plus développées et les plus répandues du capitalisme. Pour ce qui est du rôle que ces établissements jouent dans les petites industries paysannes, nous avons déjà montré, chiffres à l'appui, qu'à la place de l'ancien morcellement de la production, ils créaient une coopération capitaliste relativement large et qu'elles provoquaient une élévation considérable de la productivité du travail.

En insistant sur le rôle énorme que joue la coopération capitaliste dans les petites industries paysannes, et sur sa signification progressiste, nous nous trouvons en contradiction absolue avec la théorie populiste si répandue selon laquelle le principe qui prédomine dans la petite industrie paysanne, sous les formes les plus diverses, est l'«artel». La vérité se trouve juste à l'opposé de cette doctrine populiste: c'est précisément dans la petite industrie (et le métier) que la dispersion des producteurs est la plus prononcée. A l'appui de la thèse opposée, les populistes n'ont pu fournir qu'un choix d'exemples isolés et dont l'immense majorité ne concerne en aucune façon la coopération, mais de minuscules associations temporaires de patrons et de petits patrons pour l'achat en commun de matières premières, la construction d'un atelier commun, etc. L'existence de ce genre d'artels ne modifie en rien le rôle prédominant de la coopération capitaliste[44]. Pour avoir une idée exacte de l'ampleur réelle des applications du «principe-artel», il ne suffit pas de prendre quelques exemples de ci de là; il faut se référer à des données concernant une région qui a été étudiée de façon exhaustive et examiner quelles sont l'importance et l'extension respectives des diverses formes de coopération. Le recensement des petites industries de Perm pour 1894-95 nous fournit des données de ce genre. Or, ce qui frappe quand on étudie ces données, c'est, ainsi que nous l'avons indiqué dans nos Etudes (pages 182-187)[45], l'extrême dispersion des petits artisans et le rôle énorme que joue une infime minorité de grandes entreprises. On voit que les conclusions que nous avons énoncées plus haut sur le rôle de la coopération capitaliste ne sont pas basées sur des exemples isolés mais qu'elles reposent sur des données précises qui nous sont fournies par les recensements par foyers et qui portent sur des dizaines de métiers et de localités extrêmement diverses.

VI. Le capital commercial dans les petites industries paysannes[modifier le wikicode]

On sait que, dans une multitude de cas, les petites industries paysannes donnent naissance à une espèce particulière de revendeurs qui s'occupent spécialement des opérations commerciales relatives à l'écoulement des produits et à l'achat des matières premières et auxquels, en règle générale, les petits artisans sont subordonnés d'une façon ou d'une autre. Voyons de quelle manière ce phénomène est lié au régime général des petites industries paysannes et quelle est son importance.

L'opération économique fondamentale du revendeur consiste à acheter une marchandise ( produit ou matière première) pour la revendre. En d'autres termes, le revendeur est le représentant du capital commercial. A l'origine de tout capital, qu'il soit industriel ou commercial, il y a toujours le fait que des particuliers se trouvent, à un certain moment, en possession d'une somme d'argent disponible (c'est-à-dire qu'ils n'ont pas besoin d'utiliser pour leur consommation personnelle). Les données concernant la décomposition de la paysannerie agricole et artisanale nous ont permis de voir comment s'effectuait cette différenciation économique dans nos campagnes. Elles ont également mis en évidence une des conditions de l'apparition des revendeurs: la dispersion et l'isolement des petits producteurs, leurs rivalités économiques et leurs luttes. Une autre condition a trait au caractère des fonctions exercées par le capital commercial, c'est-à-dire à l'écoulement des produits et à l'achat des matières premières. Quand la production marchande est très peu développée, le petit marché local suffit au petit producteur qui parfois même vend directement sa marchandise au consommateur. La production marchande en est alors à son stade le plus bas et se distingue à peine du métier. Mais, à mesure que le marché s'élargit, cet écoulement restreint et morcelé (qui convenait parfaitement à la petite production elle-même morcelée) devient impossible. Sur un grand marché, en effet, la vente doit se faire en grand, massivement. On voit donc apparaître une contradiction insurmontable entre la petite production et la nécessité d'un large débit et d'une vente en gros. Etant donné les conditions économiques et sociales, l'isolement et la décomposition des petits producteurs, cette contradiction ne pouvait être résolue que si les représentants de la minorité aisée s'emparaient des débouchés et les concentraient entre leurs mains. En faisant des achats massifs de produits fabriqués (ou de matières premières), les revendeurs ont réduit les frais d'écoulement et transformé le caractère de la vente qui a cessé d'être restreinte, accidentelle et irrégulière pour devenir une vente en gros et régulière. Par suite des avantages que comportait la vente en gros sur le plan strictement économique, le petit producteur devait inévitablement se trouver coupé du marché, sans défense contre le pouvoir du capital commercial. Ainsi, dans le cadre de l'économie marchande, du fait même que la vente en gros, pratiquée sur une large échelle, est supérieure à la vente au détail morcelée, et ce d'un point de vue purement économique, le petit producteur tombe nécessairement sous la dépendance du capital commercial[46],[47]. Il va sans dire que dans la pratique, il arrive souvent que les profits des revendeurs ne se limitent pas à la différence entre les prix de gros et les prix de détail; et il en va de même pour les bénéfices des capitalistes industriels qui comprennent fréquemment des prélèvements effectués sur le salaire normal. Cependant, pour expliquer le profit du capitaliste industriel, nous devons admettre que la force de travail est vendue à sa valeur réelle. Pour expliquer le rôle des revendeurs, il nous faudra procéder de façon analogue et admettre qu'ils effectuent l'achat et la vente des produits conformément aux lois générales de l'échange des marchandises. En effet, seules ces causes économiques de la domination du capital commercial peuvent nous faire comprendre les formes diverses que prend cette domination dans la réalité et parmi lesquelles on rencontre à tout moment (c'est là un fait indubitable) la plus banale escroquerie. Procéder autrement comme le font habituellement les populistes, c'est-à-dire se contenter de signaler les diverses exactions des «koulaks» et, de ce fait, éliminer totalement le problème de la nature économique du phénomène, c'est adopter le point de vue de l'économie vulgaire[48].

Nous affirmons donc que la petite production destinée au marché et la domination du capital commercial sont liées par un rapport nécessaire de cause à effet. Pour illustrer cette thèse, nous allons examiner en détail l'enquête sur l'industrie de la dentelle dans la province de Moscou (Les petites industries de la province de Moscou, tome VI, fascicule II) qui constitue une des meilleures descriptions de la façon dont apparaissent les revendeurs et du rôle qu'ils jouent. Les marchandes sont apparues de la façon suivante. Pendant les années 1820 au cours desquelles s'est constituée l'industrie de la dentelle et par la suite, tant que les dentellières étaient peu nombreuses, les principaux acheteurs étaient les seigneurs terriens, les «messieurs», et il n'y avait qu'une très faible distance entre producteur et consommateur. Mais à mesure que l'industrie s'est répandue, les paysans ont commencé à envoyer de la dentelle à Moscou, profitant pour cela des «occasions qui s'offraient à eux», par l'intermédiaire des fabricants de peignes, par exemple. Cependant, les inconvénients d'un procédé aussi primitif n'ont pas tardé à se faire sentir. «Comment les moujiks, dont ce n'était pas le métier, auraient-ils pu faire de porte à porte?» Une des dentellières, qui était dédommagée pour le temps qu'elle perdait, a donc été chargée d'écouler la marchandise et de «ramener le matériel nécessaire à leur métier». Par suite des inconvénients de la vente isolée, le commerce est donc devenu une fonction particulière remplie par une seule personne recueillant les produits de plusieurs ouvrières. Comme elles vivaient dans une intimité patriarcale (parenté, voisinage, appartenance à un même village), ces ouvrières ont d'abord essayé de s'associer pour la vente en chargeant l'une d'entre elles de s'en occuper. Mais l'économie monétaire a très rapidement ouvert une brèche dans les vieux rapports patriarcaux et on n'a pas tardé à voir apparaître les phénomènes que nous avons pu constater quand nous avons examiné les données d'ensemble sur la décomposition de la paysannerie. Quand on destine son produit à la vente, on apprend à évaluer le temps en argent. Il est donc devenu indispensable de dédommager l'intermédiaire pour son temps et sa peine. Celle-ci, d'autre part, s'est habituée à sa nouvelle occupation et a commencé à la considérer comme une profession. «Ce sont ces voyages répétés qui ont donné naissance au type de la marchande» 1.c., p. 30). La personne qui a l'habitude de se rendre à Moscou, y noue en effet des relations suivies sans lesquelles il ne peut y avoir de débouchés réguliers. «Elle prend l'habitude de vivre des commissions qu'elle touche sur la vente. D'ailleurs, cela devient pour elle une nécessité.» En plus de ces commissions, elle s'arrange pour «rabioter sur le prix des matières premières, du fil, du coton». Quand la dentelle lui est payée plus cher que le prix convenu, elle empoche la différence. D'autre part, elle déclare aux dentellières qu'elle n'a même pas obtenu ce prix et quand celles-ci protestent, elle se voient répondre que c'est «à prendre ou à laisser». «Les marchandes commencent à ramener de la ville des marchandises dont la vente leur rapporte de coquets bénéfices.» De la sorte, la commissionnaire se transforme en une commerçante indépendante qui commence déjà à monopoliser les débouchés et à se servir de ce monopole pour soumettre les dentellières à son pouvoir. Bientôt, elle ne se contente plus des opérations commerciales: elle se met à pratiquer l'usure, à accorder des prêts en argent aux ouvrières, à leur acheter leur marchandise à prix réduit, etc. «Les ouvrières paient une commission de 10 kopecks par rouble et elles se rendent parfaitement compte que la marchande vend la dentelle à un prix supérieur au prix indiqué et que par conséquent son bénéfice ne se limite pas à cette commission. Mais elles ne voient pas comment elles pourraient s'organiser autrement. Comme je leur disais d'aller elles-mêmes à Moscou à tour de rôle, elles m'ont répondu que cela serait pis, car elles ne savent pas à qui il faut s'adresser pour écouler la marchandise, alors que la marchande connaît déjà tous les endroits. Elle écoule le produit fini et rapporte ce qu'on lui a commandé, le fil, les canevas. De plus, elle est toujours prête à avancer de l'argent aux dentellières ou à leur accorder des prêts et en cas de besoin on peut toujours lui vendre une pièce de dentelle directement. On voit que d'une part, c'est une personne extrêmement utile dont il est impossible de se passer, et que de l'autre, elle se transforme peu à peu en une «femme koulak» exploitant sans pitié le travail d'autrui» (p. 32). A cela il faut ajouter que c'est au sein même des petits producteurs que se forment les types de ce genre. «Toutes les questions que j'ai posées à ce sujet ont toujours reçu la même réponse: les marchandes sont toutes d'anciennes dentellières connaissant bien la production; elles sont issues du même milieu que les dentellières; primitivement, elles ne disposaient d'aucun capital et ce n'est que peu à peu, à mesure qu'elles se sont enrichies grâce aux commissions qui leur étaient versées qu'elles ont commencé à faire commerce de l'indienne et d'autres marchandises»(31)[49]. Dans une économie marchande, il est donc absolument inévitable que les petits producteurs donnent naissance non seulement à des industriels plus riches, mais également à des représentants du capital commercial[50]. Dès que ces derniers ont fait leur apparition, l'éviction de la vente isolée, au détail, par la vente en gros devient inéluctables[51]. Voici quelques exemples qui montrent comment de gros producteurs autonomes, qui sont en même temps revendeurs, organisent la vente. Pour les bouliers-compteurs fabriqués par les artisans de la province de Moscou (voir les statistiques dans notre tableau, annexe 1), les débouchés se trouvent essentiellement dans les foires dispersées dans l'ensemble de la Russie. Mais pour vendre soi-même sa marchandise sur une foire il faut 1) posséder un capital considérable, car seul le commerce en gros est admis dans les foires, et 2) avoir un représentant qui achète les produits sur place et les expédie au marchand. Il n'y a «qu'un seul paysan marchand» qui satisfait à ces conditions. C'est un «koustar» qui détient un capital important et qui s'occupe du montage des bouliers (c'est-à-dire de l'ajustage des boules dans les cadres) et de leur vente; ses six fils «s'occupent exclusivement du commerce», de sorte qu'il est obligé d'embaucher deux ouvriers pour cultiver son lot de terre. «Il n'est pas étonnant, observe l'enquêteur, qu'il ait la possibilité de participer à toutes les foires, tandis qu'en règle générale les marchands de moindre importance écoulent leur marchandise dans le voisinage» (Les petites industries de la province de Moscou, t. VII, fasc. 1, 2e partie, p. 141). On voit que dans ce cas, le représentant du capital commercial s'est encore si peu différencié de la masse générale des «moujiks-laboureurs» qu'il a conservé son lot de terre communale et une nombreuse famille patriarcale. Les lunetiers de la province de Moscou dépendent entièrement de ceux à qui ils vendent leurs produits (montures de lunettes). Ces revendeurs sont eux-mêmes des «koustaris» possédant leur propre atelier; ils avancent la matière première aux «koustaris» pauvres qui sont tenus de leur remettre le produit, etc. A un moment, les petits producteurs ont essayé d'écouler eux-mêmes leur marchandise à Moscou, mais ils n'ont pas réussi car il était sans intérêt de faire des ventes au détail de 10-15 roubles (ibid., p. 263). Dans l'industrie de la dentelle de la province de Riazan, la commission que touchent les marchandes représente de 12 à 50% des gains des dentellières. Les marchandes «bien organisées» ont des relations suivies avec les centres d'écoulement et expédient la marchandise par la poste, ce qui leur épargne les frais de déplacement. Pour voir à quel point la vente en gros est devenue indispensable, il suffit de dire que les commerçants estiment qu'une vente de 150-200 roubles n'est pas rentable (Travaux de la commission artisanale, t. VII, page 1184). Pour les dentelles de Bélev l'écoulement est organisé de la façon suivante: il existe dans la ville trois catégories de marchandes: 1) les distributrices de petites commandes qui vont elles-mêmes trouver les dentellière et qui livrent la marchandise aux marchandes en gros. 2) marchandes-commanditaires qui font elles-mêmes les commandes ou qui achètent le produit des distributrices pour le transporter dans les capitales, etc., 3) les marchandes en gros (2 ou 3 «firmes») qui traitent déjà avec des commissionnaires, auxquels elles expédient la marchandise et dont elles reçoivent de grosses commandes. Les marchandes de province n'ont «quasiment aucune possibilité» de livrer elles-mêmes leur marchandise aux grands magasins car «ceux-ci préfèrent s'adresser à des grossistes qui sont en mesure de leur fournir la marchandise par lots entiers, sur les canevas les plus variés». Les marchandes doivent donc en passer par ces «fournisseuses» qui «leur apprennent tout ce qui a trait à la vente, qui fixent les prix et dont il est absolument impossible de se passer» (Travaux de la commission artisanale, t. X, pp. 2823-2824). On pourrait multiplier ces exemples à l'infini. Mais ceux que nous venons de citer suffisent à montrer que lorsque la production est destinée à des marchés importants, la vente isolée et au détail est absolument impossible. Etant donné la dispersion des petits producteurs et leur complète décomposition[52], les débouchés ne peuvent être organisés sur une large échelle que par le grand capital qui, de la sorte, réduit les «koustaris» à une impuissance et à une dépendance totale. Cela suffit à montrer à quel point sont absurdes les théories populistes courantes qui recommandent d'aider les «koustaris» en «organisant la vente». Au point de vue purement théorique, ce genre de théorie est à ranger parmi les utopies petites-bourgeoises qui ne voient pas qu'il existe une liaison indissoluble entre la production marchande et la vente capitaliste[53]. Pour ce qui est des données de la réalité russe, nos théoriciens les ignorent complètement: ils ignorent la dispersion et la complète décomposition des petits producteurs de marchandises; ils ignorent que ces petits producteurs ont donné et continuent à donner naissance à des «revendeurs», que dans une société capitaliste, seul le grand capital est en mesure d'organiser la vente. On conçoit qu'après avoir éliminé de leurs calculs tous ces aspects d'une réalité peut-être désagréable mais néanmoins incontestable, ils n'éprouvent aucune difficulté à laisser vagabonder leur imagination «in's Blaue hinein[54]»[55].

Il nous est impossible de décrire en détail les différentes formes que prend le capital commercial dans ces industries artisanales et la situation lamentable et désespérée dans laquelle il place les petits producteurs. Dans le chapitre suivant nous aurons d'ailleurs à caractériser la domination de ce capital au stade suprême de son développement, au moment où il organise sur une vaste échelle le travail capitaliste à domicile (se faisant ainsi l'auxiliaire de la manufacture). Pour l'instant, nous nous bornerons donc à indiquer quelles sont les principales formes qu'il prend dans les petites industries. La première de ces formes et la plus simple est l'achat des produits des petits producteurs par les marchands (ou les patrons des gros ateliers). Quand les achats sont peu développés ou quand il y a une forte concurrence entre les marchands, il est possible que la vente des produits à un commerçant ne se distingue pas des autres sortes de vente; mais dans la majorité des cas, le revendeur local est la seule personne à qui le paysan peut écouler de façon permanente les articles de sa fabrication, et il jouit alors d'un monopole de fait qui lui permet d'abaisser démesurément le prix qu'il paie au producteur. La deuxième forme est la combinaison du capital commercial et de l'usure: le paysan qui a toujours besoin d'argent en emprunte au revendeur et doit le rembourser en produit. Avec ce système (extrêmement répandu) le prix de la marchandise est toujours artificiellement réduit et il arrive souvent que la somme qui reste entre les mains de l'artisan, une fois qu'il a écoule ses produits, soit inférieure à celle qu'aurait pu obtenir un ouvrier salarié. De plus, les rapports de créancier à débiteur aboutissent inévitablement à la dépendance personnelle et à l'asservissement de ce dernier qui se trouve à la merci des prêteurs quand ses besoins d'argent sont particulièrement pressants. La troisième forme du capital commercial, couramment utilisée par les revendeurs ruraux, est le paiement des produits artisanaux en nature. Cette forme a ceci de particulier qu'elle caractérise non seulement les petites industries mais en général tous les stades inférieurs de l'économie marchande et du capitalisme. Elle ne disparaît qu'avec la grande industrie mécanique qui socialise le travail, rompt de façon radicale avec toutes les survivances patriarcales et frappe d'interdiction cette forme d'asservissement dans toutes les grandes entreprises par voie législative. La quatrième forme du capital commercial est la suivante: pour payer le «koustar», le marchand lui cède les produits dont il a besoin pour la fabrication (matières premières, matières auxiliaires, etc.) La vente aux petits producteurs des matériaux nécessaires à la production peut d'ailleurs devenir pour le capital commercial une opération indépendante, parfaitement analogue à l'achat des produits fabriqués. Mais si les revendeurs qui achètent ces produits fabriqués commencent à payer les «koustaris» en matières premières, cela représente un très grand pas en avant pour le développement des rapports capitalistes. Après avoir coupé l'artisan du marché des produits fabriqués, le revendeur le coupe du marché des matières premières et le soumet définitivement à son pouvoir. Il ne reste plus qu'un pas à franchir pour atteindre la forme suprême du capital commercial, celle où le marchand distribue directement aux «koustaris» la matière première qu'ils ont à transformer pour un salaire déterminé. A ce stade, l'artisan devient de facto un ouvrier salarié travaillant à domicile pour un capitaliste: le capital commercial se transforme en capital industriel[56] et il y a création du travail capitaliste à domicile. Dans les petites industries, on rencontre ce travail plus ou moins sporadiquement. Au stade suivant, an stade suprême du développement capitaliste, par contre, il sera appliqué massivement.

VII. « La petite industrie et l'agriculture »[modifier le wikicode]

C'est là un titre de chapitre que l'on rencontre très souvent dans les descriptions des petites industries paysannes. Quand le capitalisme en est au stade primitif qui nous intéresse et que l'artisan se différencie à peine du paysan, les liens qui le rattachent à la terre constituent un phénomène extrêmement caractéristique qui nécessite une étude à part.

Pour définir l'exploitation agricole des «koustaris», commençons par examiner notre tableau (voir annexe 1), qui nous indique tout d'abord quel est le chiffre moyen des chevaux dans chacun des groupes de producteurs. Si on réunit les 19 métiers pour lesquels ces chiffres nous sont fournis, on obtient la moyenne générale de 1,4 cheval par artisan (patron ou petit patron), soit 1,1 dans le groupe I, 1,5 dans le groupe II et 2,0 dans le groupe III. On voit que plus l'entreprise industrielle de l'artisan est importante, plus son exploitation agricole est considérable. Les gros producteurs ont près de deux fois plus de bêtes de trait que les petits. Même les plus petits artisans (groupe I) ont une exploitation agricole supérieure à celle de la paysannerie moyenne. En 1877, en effet, la moyenne générale pour l'ensemble de la province de Moscou était de 0,87 cheval par foyer paysan[57]. Cela veut dire que pour être artisan (patron ou petit patron) il faut être un paysan relativement aisé. Quant aux paysans pauvres, ils fournissent non pas les patrons mais surtout les ouvriers (salariés chez les «koustaris», ouvriers travaillant à l'extérieur). Pour l'immense majorité des métiers de la province de Moscou, nous ne possédons malheureusement aucun renseignement sur les exploitations agricoles des ouvriers salariés travaillant dans les petites entreprises. La chapellerie constitue toutefois une exception (voir les données générales dans notre tableau, annexe I). Voici donc des chiffres très instructifs concernant l'exploitation agricole des patrons et des ouvriers chapeliers.

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On voit que les patrons sont des agriculteurs «très bien organisés», c'est-à-dire des représentants de la bourgeoisie paysanne et que les ouvriers salariés sont recrutés dans la masse des paysans ruinés[58]. Pour qui veut définir les rapports en question, les données concernant les méthodes employées par les patrons-artisans pour exploiter la terre sont encore plus importantes. Les enquêteurs de Moscou distinguent trois modes d'exploitation: 1° le travail personnel du patron; 2° le louage. Cette méthode est employée par les patrons «déchus», qui ont des difficultés d'argent, qui se trouvent au bord de la ruine. Elle consiste à embaucher un voisin qui vient travailler avec son propre matériel; 3° l'exploitation «par le travail des ouvriers», méthode qui a une signification opposée à celle de la précédente. Le patron embauche des ouvriers agricoles («terriens»), en règle générale pour tout l'été, et quand la saison bat son plein, il envoie les ouvriers de son atelier aider ceux qui travaillent aux champs. «De cette façon, ce mode d'exploitation par ouvrier «terrien» est assez avantageux» (Les petites industries de la province de Moscou, VI, I, p. 48). Les renseignements fournis par notre tableau sur ce procédé portent sur 16 métiers. Parmi ces 16 métiers, il y en a 7 où on ne trouve aucun patron embauchant des «ouvriers terriens». Pour l'ensemble des 16 métiers, les patrons qui emploient des salariés agricoles représentent 12% du total, soit 4,5% dans le groupe I, 16,7% dans le groupe II et 27,3% dans le groupe III. On voit que plus les artisans sont riches, plus on rencontre d'entrepreneurs ruraux parmi eux. L'analyse des données concernant la paysannerie artisanale fait donc apparaître, aussi bien dans l'agriculture que dans l'industrie, une décomposition parallèle à celle que nous avons pu observer au chapitre II, quand nous avons examiné les données concernant la paysannerie agricole.

D'une façon générale, l'emploi d'«ouvriers terriens» par les patrons-artisans est un phénomène extrêmement répandu dans toutes les provinces industrielles. On en retrouve les traces chez les riches nattiers de la province de Nijni-Novgorod. Les pelletiers de cette province embauchent ordinairement des ouvriers agricoles venant des villages voisins purement agricoles. Les «paysans communautaires du canton de Kimry» qui s'occupent de cordonnerie, «estiment qu'ils ont avantage à faire cultiver leurs champs par des ouvriers et des ouvrières qui arrivent en masse de la province de Tver et des localités voisines». Pendant la morte saison industrielle, les potiers de la province de Kostroma envoient leurs ouvriers salariés travailler la terre[59]. Dans la province de Vladimir, les «patrons indépendants» (il s'agit de doreurs) «ont des ouvriers qui s'occupent spécialement d'agriculture», ce qui leur permet d'avoir des champs bien entretenus quoique souvent «ils ne sachent eux-mêmes ni labourer ni faucher»[60]. Dans la province de Moscou, en plus des artisans qui figurent sur notre tableau, on trouve des épingliers, des feutriers et des fabricants de jouets qui envoient leurs ouvriers travailler la terre; des tailleurs de pierre, des doreurs, des fabricants de boutons, des casquettiers, des bourreliers sur cuivre ont des salariés agricoles, etc.[61] Le fait que des paysans industriels embauchent des ouvriers agricoles est extrêmement important. Il montre en effet que l'élévation du niveau de vie et des besoins de la population qui constitue un phénomène propre à tous les pays capitalistes et qui vient confirmer le rôle progressiste du capitalisme, commence à se faire sentir même dans les petites industries paysannes. L'artisan commence à regarder de haut le paysan patriarcal «barbare», et s'efforce de se libérer des travaux agricoles les plus durs et les moins rémunérateurs. Dans les petites industries où le capitalisme en est encore à un niveau extrêmement bas, ce phénomène reste très faible et l'ouvrier d'industrie commence à peine à se différencier de l'ouvrier agricole. Aux stades suivants du développement de l'industrie capitaliste, par contre, nous verrons que ce phénomène prend de vastes proportions.

Le problème des «liens existant entre l'agriculture et la petite industrie» est si important que nous devons examiner un peu plus en détail les données qui portent sur d'autres provinces que celles de Moscou.

Dans la province de Nijni-Novgorod la plupart des nattiers ont une exploitation agricole qui tombe en décadence et ils abandonnent la terre: environ 1/3 des champs destinés aux cultures d'hiver et la moitié des champs destinés aux cultures de printemps sont délaissés. Pour les «moujiks aisés, par contre, la terre n'est plus une marâtre, mais une mère nourricière»; ils ont du bétail en quantité suffisante, des engrais, ils prennent des fermages, ils font en sorte que leur lot ne soit plus redistribué et ils l'exploitent avec davantage de soin. «Le moujik riche est devenu un seigneur qui asservit son frère, le moujik pauvre» (Travaux de la commission artisanale, III, 65). Chez les pelletiers qui sont pourtant de «piètres laboureurs», les patrons les plus riches forment néanmoins une catégorie à part: ils «prennent en location la terre des pauvres de leur village», etc. Voici d'ailleurs quels sont les budgets typiques des pelletiers des différents groupes.

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Sur ce tableau, le parallélisme existant entre la décomposition des agriculteurs et celle des artisans apparaît avec une grande netteté. A propos des forgerons, l'auteur écrit qu'il y a deux catégories pour lesquelles «l'industrie est plus importante que l'agriculture». Ce sont, d'une part, les riches patrons et, d'autre part, les ouvriers «sans feu ni lieu» (ibid., IV, 168).

L'ouvrage sur les Petites industries de la province de Vladimir étudie le problème des rapports existant entre la petite industrie et l'agriculture, de façon beaucoup plus détaillée que les autres enquêtes. Il nous fournit des données exactes qui portent non seulement sur l'exploitation agricole des «koustaris» «en général» (comme il ressort de tout ce qui précède ces «moyennes» sont absolument fictives), mais également sur celles des «koustaris» des différents groupes et catégories: gros patrons, petits patrons, ouvriers salariés; propriétaires de petits ateliers de tissage et tisserands; patrons-artisans et autres paysans; familles employées dans les industries locales ou allant s'embaucher au-dehors, etc. De cet ensemble de données, M. Kharisoménov tire la conclusion suivante: si on divise les «koustaris» en 3 catégories: 1) gros producteurs; 2) producteurs petits et moyens; 3) ouvriers salariés, on constate que la situation de l'agriculture ne cesse d'empirer, que la superficie cultivée et le nombre du bétail diminue, que le pourcentage des exploitations «déchues» augmente, etc., au fur et à mesure que l'on descend de la première catégorie à la troisième[62]. Malheureusement, M. Kharisoménov considère ces données de façon trop unilatérale, sans tenir compte du processus parallèle et indépendant de décomposition de la paysannerie agricole. C'est pourquoi il n'en tire pas la conclusion qui en découle logiquement, à savoir que dans l'agriculture comme dans l'industrie, la paysannerie est en train de se scinder en petite bourgeoisie et en prolétariat rural[63],[64]. C'est pourquoi également il lui arrive souvent de tomber dans les raisonnements habituels des populistes sur l'influence qu'exerce le «métier» en général sur l' «agriculture» en général (voir, par exemple, les Petites industries de la prov. de Vladimir, II, 288; III, 91), c'est-à-dire d'ignorer volontairement les contradictions profondes qui existent au sein même de l'organisation sociale aussi bien de l'industrie que de l'agriculture, et dont il avait dû lui-même admettre l'existence. Pour les petites industries de la province de Vladimir, nous avons encore un enquêteur, M. Prougavine, qui est un représentant typique des conceptions populistes. Voici un exemple de ses raisonnements. D'une façon générale, écrit-il, il est impossible de considérer que l'industrie des cotonnades du district de Pokrov «constitue un principe nuisible (sic) pour la vie agricole des tisserands» (IV, 53). Toutes les données montrent que la masse des tisserands a des exploitations agricoles en mauvais état et que chez ceux qui ont de petits ateliers, par contre, le niveau de l'agriculture est bien supérieur au niveau moyen (ibid.); sur le tableau on peut d'ailleurs voir que parmi ces derniers certains embauchent des ouvriers agricoles. Conclusion: «les petites industries et l'agriculture marchent de pair, leur développement et leur prospérité sont interdépendants»(60). C'est là une de ces phrases qui servent à masquer le fait que la bourgeoisie paysanne est en train de se développer et de prospérer aussi bien dans l'agriculture que dans les petites industries[65].

Le recensement des industries artisanales de la province de Perm (1894-1895) nous fournit des renseignements absolument analogues: dans cette province, en effet, c'est chez les petits producteurs de marchandises (patrons et petits patrons) que la situation de l'agriculture est la meilleure et ils embauchent des ouvriers agricoles. Chez les artisans, elle est déjà moins bonne et chez les «koustaris» travaillant pour un revendeur, elle est la plus mauvaise (malheureusement aucune donnée ne nous est fournie sur l'exploitation agricole des ouvriers salariés et des patrons des différents groupes). Le recensement constate également que lorsqu'ils ne sont pas agriculteurs, les «koustaris» comparativement aux agriculteurs ont 1) une productivité du travail plus élevée, 2) un revenu net beaucoup plus important et 3) un niveau de culture et d'instruction plus élevé. Tous ces phénomènes viennent confirmer notre conclusion et suivant laquelle, même au premier stade du capitalisme, l'industrie a tendance à provoquer une amélioration du niveau de vie de la population (voir Etudes, pages 138 et suivantes)[66].

Pour en terminer avec le problème des rapports entre les petites industries et l'agriculture, il nous faut noter enfin qu'en règle générale, ce sont les plus grosses entreprises qui ont la plus longue période de travail. Dans l'industrie du meuble de la province de Moscou, par exemple, la période de travail dure 8 mois pour les ouvriers en bois blanc (dans cette branche, l'effectif moyen des ateliers est de 1,9 ouvrier), 10 mois pour les ouvriers du meuble courbé (2,9 ouvriers par atelier) et il est de 11 mois pour ceux du gros meuble (effectif moyen: 4,2 ouvriers par entreprise). Dans l'industrie de la chaussure de la province de Vladimir, on trouve 14 petits ateliers (2,4 ouvriers par atelier en moyenne) où la période de travail est de 40 semaines et 8 grosses entreprises (9,5 ouvriers en moyenne) où elle est de 48 semaines, etc.[67]. Il est donc clair que ce phénomène est lié au fait que les grandes entreprises emploient plus d'ouvriers (familiaux, salariés industriels et salariés agricoles) que les petites et qu'il est l'indice d'une plus grande stabilité et d'une tendance à se spécialiser dans l'activité industrielle.

Faisons maintenant le bilan de toutes ces données sur les petites industries et l'agriculture. On s'aperçoit tout d'abord qu'au stade inférieur du capitalisme que nous sommes en train d'examiner, l'artisan est encore très peu différent de l'agriculteur. Les combinaisons métier-agriculture jouent un rôle très important dans le processus d'aggravation de la décomposition de la paysannerie: alors que les riches patrons ouvrent des ateliers, embauchent des ouvriers qu'ils recrutent dans le prolétariat rural et amassent de l'argent qu'ils utilisent pour des opérations commerciales ou d'usure, la paysannerie pauvre, elle, fournit les ouvriers salariés, les «koustaris» qui travaillent pour les revendeurs, et les patrons des groupes inférieurs qui sont les plus opprimés par le pouvoir du capital commercial. On voit que la combinaison du métier et de l'agriculture consolide et développe les rapports capitalistes et qu'elle les fait passer de l'industrie à l'agriculture et réciproquement[68]. A ce stade, la séparation de l'industrie et de l'agriculture qui caractérise la société capitaliste n'en est encore qu'à la phase embryonnaire, mais se manifeste déjà. Et, chose particulièrement importante, elle se manifeste tout autrement que ne le pensent les populistes. Quand ils disent que la petite industrie «ne porte pas préjudice» à l'agriculture, les populistes estiment que ce préjudice consisterait à abandonner l'agriculture pour une activité plus lucrative. Mais il s'agit là d'une fiction (et non d'une conclusion basée sur des faits), d'une fiction de mauvais aloi et qui ne tient aucun compte des contradictions que renferme le régime économique de la paysannerie. La séparation de l'industrie et de l'agriculture va de pair avec la décomposition de la paysannerie et suit des voies différentes à chacun des deux pôles de la campagne: la minorité aisée fonde des entreprises industrielles, les développe, améliore l'agriculture, embauche des ouvriers agricoles, consacre à l'industrie une partie toujours plus longue de l'année et (quand l'industrie en est arrivée à un certain stade), estime qu'elle a intérêt à séparer ses entreprises industrielles de ses exploitations agricoles, à céder ces dernières à d'autres membres de la famille ou bien à vendre les bâtiments, le bétail, etc., pour se faire inscrire comme bourgeois ou marchand[69]. Dans ce cas, la séparation de l'industrie et de l'agriculture est précédée par la création d'un régime d'entreprise dans l'agriculture. A l'autre pôle de la campagne, en revanche, la séparation provoque la ruine des paysans pauvres et leur transformation en ouvriers salariés ( agricoles ou industriels) A ce pôle de la campagne, ce qui pousse les paysans à abandonner non seulement la terre mais également leur métier indépendant ce n'est pas l'avantage que rapporte la petite industrie, mais le fait qu'ils sont ruinés et réduits à la misère. Ici, le processus de séparation de l'industrie et de l'agriculture se ramène à exproprier le petit producteur.

VIII. « La combinaison de la petite industrie et de l'agriculture »[modifier le wikicode]

C'est avec cette formule chère aux populistes que M.M. V .V., N.-on et compagnie pensent pouvoir régler le problème du capitalisme en Russie. Une bonne part de leurs «théories» réside dans cette antithèse simpliste: alors que le «capitalisme» sépare l'industrie de l'agriculture, la «production populaire» les réunit dans une exploitation paysanne normale et typique. Ayant analysé plus haut en détail les rapports typiques existant dans la paysannerie agricole et celle qui exerce un métier, nous sommes maintenant en mesure de conclure sur la manière dont en réalité notre paysannerie «combine les petites industries avec l'agriculture». Enumérons donc les différentes formes d'«union de la petite industrie et de l'agriculture» que l'on peut observer dans l'économie paysanne russe.

1) L'agriculture patriarcale (naturel) est combinée avec les petites industries domestiques (c'est-à-dire avec la transformation des matières premières destinées à la consommation personnelle) et avec la corvée au profit du gros propriétaire foncier.

Ce mode de combinaison des «petites industries» paysannes avec la culture de la terre est le plus typique du régime économique moyenâgeux dont il constitue une partie intégrante et nécessaire[70]. Les seuls vestiges de cette économie patriarcale - où il n'existe encore ni capitalisme, ni production marchande, ni circulation des marchandises - qui subsistent dans la Russie d'après l'abolition du sevrage sont les industries domestiques des paysans et les prestations de travail.

2) La combinaison de l'agriculture patriarcale et de la petite industrie prend la forme du métier. Cette forme est encore très proche de la précédente. Elle n'en diffère que par l'apparition de la circulation des marchandises, - dans le cas où l'artisan est payé en argent et où il fait son apparition sur le marché pour acheter des outils, des matières premières, etc.

3) L'agriculture patriarcale s'unit à la petite production des produits industriels destinés au marché, c'est-à-dire à la production industrielle marchande. Le paysan patriarcal devient alors un petit producteur de marchandises, qui, ainsi que nous l'avons vu, tend à utiliser le travail salarié, c'est-à-dire à adopter le mode de production capitaliste. Pour que cette transformation puisse se faire, il faut que la décomposition de la paysannerie ait atteint un certain stade: nous avons pu constater, en effet. que dans la majorité des cas, les patrons et les petits patrons appartenaient aux groupes riches ou aisés de la paysannerie. A son tour, le développement de la petite production marchande dans l'industrie donne une nouvelle impulsion à la décomposition des paysans agriculteurs.

4) L'agriculture patriarcale se combine au travail salarié dans l'industrie (et dans l'agriculture)[71].

Cette forme est le complément indispensable de la précédente: là c'est le produit qui devient une marchandise, ici, c'est la force de travail. Nous avons constaté que la petite production industrielle s'accompagne inévitablement de l'apparition d'ouvriers salariés et de «koustaris» travaillant pour le compte d'un revendeur. Cette forme d'«union de l'agriculture et des petites industries» se retrouve dans tous les pays capitalistes, et l'une des particularités les plus marquantes de la Russie d'après l'abolition du servage réside dans la rapidité avec laquelle elle s'y est développée et dans l'extraordinaire extension qu'elle y a prise.

5) L'agriculture petite-bourgeoise (commerciale) se combine aux petites industries petites-bourgeoises (petite production industrielle marchande, petit commerce, etc.). La différence entre cette forme et la troisième est que les rapports petits-bourgeois ne se limitera pas à l'industrie mais s'étendent à l'agriculture. Cette forme d'union de la petite industrie et de l'agriculture est celle qui est la plus typique dans l'économie de la petite bourgeoisie rurale. De ce fait, elle est inhérente à tous les pays capitalistes et les économistes populistes russes sont bien les seuls à pouvoir se vanter d'avoir découvert un capitalisme sans petite bourgeoisie.

6) Le travail salarié dans l'agriculture se combine au travail salarié dans l'industrie. Nous savons déjà comment cette combinaison s'effectue et ce quelle signifie.

On voit que dans notre paysannerie, l'«union de l'agriculture et des petites industries» prend les formes les plus diverses: dans certains cas, en effet. elle est l'indice d'un régime économique extrêmement primitif où prédomine l'économie naturelle; dans d'autres, au contraire, elle est l'indice d'un développement élevé du capitalisme. Et entre ces deux extrêmes, il existe toute une série de degrés intermédiaires. Si on se borne à des formules générales (comme l'«union de la petite industrie et de l'agriculture» ou «la séparation de l'agriculture et de l'industrie»), on ne peut avancer d'un pas dans l'explication du processus réel suivi par le développement capitaliste.

IX. Quelques remarques sur l'économie précapitaliste de nos villages[modifier le wikicode]

Chez nous, on pose souvent le problème des «destinées du capitalisme en Russie» comme si la question essentielle était celle de la rapidité (à laquelle s'effectue le développement capitaliste). En réalité, il est beaucoup plus important de savoir comment ce développement s'effectue et d'où il est parti (c'est-à-dire, quel était le régime économique de la Russie avant le capitalisme). Les principales erreurs des économistes populistes viennent de ce qu'ils n'ont pas su répondre à ces deux questions, de ce qu'ils n'ont pas su montrer comment le capitalisme se développait réellement en Russie, de ce qu'ils ont faussement idéalisé les régimes précapitaliste. Au chapitre II et dans celui-ci (ainsi que dans une partie du chapitre III), nous avons étudié les stades les plus primitifs du capitalisme dans la petite agriculture et dans les petites industries paysannes. Au cours de cette étude, nous avons eu à maintes reprises l'occasion d'indiquer quelles étaient les caractéristiques du régime précapitaliste. Si maintenant nous essayons de faire la synthèse de toutes ces indications, nous en arrivons à la conclusion suivante: la campagne précapitaliste se présentait (du point de vue économique) comme un réseau de petits marchés reliant de minuscules groupes de petits producteurs séparés les uns des autres par l'isolement de leur exploitation, par d'innombrables cloisonnements moyenâgeux et par les vestiges de la dépendance féodale.

Pour ce qui est du morcellement des petits producteurs, c'est dans la décomposition qu'il apparaît avec le plus de netteté, qu'il s'agisse de l'agriculture ou de l'industrie. Mais il ne se limite pas là, tant s'en faut. Groupés par la communauté rurale en de minuscules associations administratives, fiscales et détentrices de terres, les paysans sont divisés en une multitude de différents catégories et groupes d'après l'étendue de leur lot concédé, la proportion des payements à effectuer, etc. Prenons, par exemple, le recueil statistique de la province de Saratov. Dans cette province, on trouve les catégories suivantes: paysans jouissant gratuitement de leur terre, propriétaires, propriétaires complets, paysans d'Etat, paysans d'Etat détenteurs d'un lot concédé, paysans d'Etat ayant une propriété d'un tchetvert[72], paysans d'Etat seigneuriaux, paysans des apanages, locataires des terres domaniales, paysans sans terre, propriétaires ex-serfs privés, paysans ayant racheté leur enclos propriétaires ex-paysans des apanages, colons-propriétaires, émigrants, paysans à jouissance gratuite, ex-serfs privés, propriétaires-ex-paysans d'État, ex-serfs libérés, paysans exempts de redevances, laboureurs libres[73], paysans temporairement redevables, ex-paysans des fabriques, etc., sans compter les paysans affectés, les nouveaux venus, etc. D'une catégorie à l'autre, l'histoire des rapports agraires, l'étendue du lot concédé, les taux des payements, etc., etc., sont différents. Au sein même de chaque catégorie on retrouve une masse de distinction analogues: il arrive parfois que les paysans d'un seul et même village soient divisés en deux catégories complètement différentes: d'une part, il y a ceux qui, autrefois, «appartenaient à Monsieur N. N.» et d'autre part ceux qui «appartenaient à Madame M. M.». Au moyen âge, en des temps depuis longtemps révolus, cette disparité était naturelle et nécessaire. Mais à l'heure actuelle, le maintien des communautés paysannes de ce système de castes fermées constitue un criant anachronisme qui vient aggraver à l'extrême la situation des masses laborieuses sans leur donner aucune garantie contre les charges de la nouvelle époque capitaliste. Les populistes ont l'habitude de fermer les veux sur ce morcellement et de dissimuler le caractère fondamentalement erroné de leur conception du village précapitaliste en poussant des exclamations emphatiques contre les marxistes, «ces partisans de la dépossession foncière» qui déclarent que la décomposition de la paysannerie a un caractère progressiste. Mais il suffit de considérer cet extraordinaire morcellement des petits producteurs, conséquence inévitable de l'agriculture patriarcale, pour être persuadé du caractère progressiste du capitalisme qui détruit jusque dans leurs fondements les anciennes formes d'économie et de vie avec leur immobilisme et leur routine séculaires, qui met fin à la vie sédentaire des paysans figés dans leur cloisonnement moyenâgeux et qui crée de nouvelles classes sociales aspirant par la force des choses à s'unir et à participer activement à toute la vie économique (et pas seulement économique) de l'Etat et du monde.

Si on prend les paysans en tant qu'artisans ou petits fabricants, on retrouve un phénomène absolument analogue. Leurs intérêts ne vont pas au-delà des limites étroites des villages environnants. Etant donné les dimensions minimes du marché local, ils n'ont aucun contact avec les petits fabricants d'autres régions; ils craignent comme le feu la «concurrence» qui détruit impitoyablement leur Eden patriarcal dont rien ni personne ne vient troubler la stagnation. A l'égard de ces petits fabricants la concurrence et le capitalisme accomplissent une œuvre historiquement utile, en les tirant de leur trou de province et en leur posant toutes les questions déjà posées aux couches plus évoluées de la population.

Les formes primitives du métier ne sont pas les seuls attributs nécessaires des petits marchés locaux. Au nombre de ces attributs il faut compter également les formes primitives de capital commercial et usuraire. Le monopole des commerçants et des usuriers ruraux est d'autant plus accusé, les paysans lui sont d'autant plus asservis et cet asservissement prend des formes d'autant plus brutales que les villages sont plus reculés et plus éloignés de l'influence du nouveau régime capitaliste, des chemins de fer, des grandes fabriques et de la grande agriculture capitaliste. Le nombre de ces petites sangsues est extrêmement élevé (par rapport à la très petite quantité de produit dont disposent les paysans); et il existe d'ailleurs une quantité de termes locaux pour les désigner: «prassol», «chibaï», «chtchétinnik», «maïak», «ivache», «boulynia» etc., etc. Quand l'économie naturelle prédomine dans les campagnes, l'argent y est rare et cher et cela donne à tous ces koulaks une importance démesurée par rapport aux dimensions de leur capital. Les paysans dépendent de ceux qui détiennent l'argent et cette dépendance prend inévitablement la forme d'une servitude. De même qu'on ne peut concevoir un capitalisme évolué sans grand capital commercial et financier, de même on ne peut concevoir la campagne précapitaliste sans petits marchand, et sans revendeurs, «maîtres» des petits marchés locaux. Le capitalisme attire tous ces marchés les uns vers les autres et les réunit en un grand marché national, puis mondial. Il détruit les formes primitives de servitude et de dépendance personnelle. Il développe et approfondit les contradictions que l'on peut déjà trouver à un stade embryonnaire au sein de la paysannerie communautaire et dont il prépare ainsi la solution.

  1. Kundenproduktion. Cf. Karl Bücher, Die Entstehung der Volkswirt-schaft. Tüb. 1893. (voir note suivante)
  2. Au chapitre VII du Développement du capitalisme en Russie, dans la note pp. 511-512, Lénine donne une appréciation des recherches de Bücher et de sa classification des stades et des formes de l'industrie. La partie la plus importante du livre de Bücher, qui est consacrée à l'origine de l'économie nationale, fut traduite en russe par Lénine, alors qu'il se trouvait en déportation à Chouchenskoïé. La traduction de Lénine n'a pas été publiée. [N.E.]
  3. Encore que selon la thèse généralement admise, les artisans ne fassent pas partie des «koustaris» (nous aurons maintes fois l'occasion de remarquer à quel point ce terme de «koustaris» est vague), les indications concernant l'artisanat, qui sont disséminées dans toutes les enquêtes sur l'industrie artisanale sont si nombreuses, qu'il n'est pas possible de donner des citations à l'appui de ce que nous venons de dire.
  4. Pour illustrer l'état chaotique de cette statistique, rappelons que jusqu'à ce jour elle n'a pas trouvé le moyen d'établir une distinction entre les établissements artisanaux et les établissements industriels. De 1860 à 1870, par exemple, on classait parmi ces derniers les teintureries villageoises de type purement artisanal (Annuaire du ministère des Finances. t. I, pp. 172-176; en 1890, on confondait les fouleries paysannes avec les fabriques de drap (Index des fabriques et usines d'Orlov, 3e éd., p. 21), etc. La récente Liste des fabriques et usines (St-Ptb., 1897) n'est pas non plus exempte de cette confusion. Voyez les exemples dans nos Etudes, pp. 270-271. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 4, pp. 19-21. - N. R.)
  5. Nous avons consacré à ce recensement un article dans nos Etudes, pp. 113-199, (voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 361-470. N. R.) Tous les faits relatés dans le texte sur les «koustaris» de Perm sont tirés de l'article en question.
  6. Cette proximité du métier et de l'économie naturelle des paysans porte parfois ces derniers à tenter d'organiser le travail des artisans pour tout le village: les paysans entretiennent l'artisan qu'ils obligent à travailler pour tous les habitants du village. Actuellement, on ne peut rencontrer ce régime d'industrie qu'a titre d'exception ou bien dans les provinces les plus reculées (c'est ainsi qu'est organisée, par exemple, la forge dans quelques villages de Transcaucasie. Voir les Comptes rendus et recherches sur l'industrie artisanale en Russie, t. II, p, 321).
  7. Par exemple, la poterie contre du blé, etc. Quand le prix des céréales était bas, on estimait parfois comme valeur équivalente d'un pot la quantité de grains qu'il pouvait contenir. Cf. Comptes rendus et recherches, t. I. p. 340. - Les petites industries de la province de Vladimir, t. V, p. 140. - Travaux de la commission artisanale, t. I, p. 61.
  8. L'étude d'une de ces foires rurales a montré que 31% de son chiffre d'affaires (environ 15000 roubles sur 50000) portent sur les produits d'artisanat. Voir les Travaux de la commission artisanale, t. I, p. 38. Le fait que les cordonniers de Poltava, par exemple, écoulent leurs produits dans un rayon de 60 verstes autour de leurs villages montre à quel point les débouchés des petits producteurs de marchandises sont primitivement restreints. Comptes rendus et recherches, t. I, p. 287.
  9. Travaux de la commission artisanale, t. II, pp. 35-36.
  10. Voir les Travaux de la commission artisanale. t. II, p. 81, t. V, p.460; t. IX. p. 2526. - Les petites industries de la province de Moscou, t. VI, fasc. 1, pp. 6-7, 253; t. VI, fasc. 2, p. 142; t. VII, fasc. 1. 2e partie, article sur le fondateur du «métier d'imprimeur». - Les petites industries de la province de Vladimir, t. I, pp. 145, 149. - Comptes rendus et recherches, t. I, p. 89. - Grigoriev: La production artisanale des serrures et couteaux du district de Pavlovo (suppléments à l'édition Volga, Moscou 1881), p. 39. - M. V. V. rapporte quelques-uns de ces faits dans ses Essais sur l'industrie artisanale (St-Pétersb., 1886), pp. 192 et suiv. Il en tire seulement cette conclusion que les «koustaris» ne sont pas hostiles aux innovations; il ne lui vient même pas à l'esprit que ces faits caractérisent la situation de classe des petits producteurs de marchandises dans la société contemporaine et leurs intérêts de classe.
  11. Les petites industries de la province de Moscou, t. VI, 2, p. 193.
  12. Travaux de la commission artisanale, XI, 2404.
  13. Sentant le danger de la concurrence, le petit bourgeois s'efforce de l'entraver, tout comme le populiste, son idéologue, qui sent que le capitalisme ébranle les «traditions» si chères à son cœur, fait tout son possible pour prévenir ce malheur, l'empêcher, le retarder. etc., etc.
  14. Exemple intéressant qui montre comment ces deux processus coexistent dans une même province et dans une même industrie. La fabrication des rouets (dans la province de Viatka) vient compléter la confection domestique des tissus. Le développement de cette industrie signifie qu'une production marchande est née comprenant la fabrication d'un des instruments de production des tissus. Or nous voyons que dans les endroits perdus de la province, dans le Nord, le rouet est presque inconnu (Matériaux pour servir à la description des petites industries de la province de Viatka, t. II, p. 27) et que là «le métier pourrait faire son apparition» et pratiquer une première brèche dans l'économie naturelle patriarcale des paysans. Mais ce même métier tombe déjà en décadence dans d'autres parties de la province, et les enquêteurs estiment que cette décadence est probablement due «à l'usage de plus en plus fréquent, dans les milieux paysans, des tissus de coton fabriqués par la grande industrie» (p. 26). Le progrès de la production marchande et du capitalisme se manifeste donc ici par l'éviction du petit métier par la fabrique.
  15. Voir, par exemple, dans S. Korolenko, 1. c., le mouvement des ouvriers industriels vers les provinces frontières, où une partie d'entre eux s'établit. Travaux de la commission artisanale, fasc. 1 (sur la prédominance dans la province de Stavropol des petits industriels venus des provinces centrales); fasc. 3, p. 34 (l'émigration des cordonniers de Vyïezdnaïa Sloboda, province de Nijni-Novgorod, dans les villes situées sur la Basse-Volga); fasc. 9 (les peaussiers du village de Bogorodskoïé, même province, ont monté des usines dans toute la Russie). Les petites industries de la province de Vladimir, t. IV, p. 136 (les potiers de Vladimir ont porté leur production dans la province d'Astrakhan). Cf, Comptes rendus et recherches, t. I. pp. 125, 210; t. II, pp. 160-165, 168, 222, remarque générale sur la prédominance «dans tout le Midi» de petits industriels venus des provinces de la Grande-Russie.
  16. Travaux de la commission artisanale, t. III.
  17. On constate, par exemple, le même phénomène dans l'industrie du coloriage de la province de Moscou (Les petites industries de la province de Moscou, t. VI, I. pp. 73-99), la chapellerie (ibid., t. VI, fasc. 1), la pelleterie (ibid., t. VII, fasc. 1, 2e partie), dans la serrurerie sur acier de Pavlovo (Grigorive, l.c., pp. 37-38), etc.
  18. Dans son livre Les destinées du capitalisme (pp. 78-79), M. V. V. n'a manqué de tirer d'un fait de ce genre une conclusion analogue.
  19. Au milieu du XIXe siècle, la fabrication des chaussons de laine brodés connut un grand développement dans la ville d'Arzamas et dans ses environs. Dans les années 60, on fabriquait annuellement à Arzamas, au monastère de Nikolskoïé et au bourg de Vyezdnaïa Sloboda, plus de 10000 paires de chaussons brodés qui étaient écoulés à la foire de Nijni-Novgorod et expédiés en Sibérie, au Caucase et dans d'autres régions de la Russie. [N.E.]
  20. A. Smirnov: Pavlovo et Vorsma, Moscou 1864. - N. Labzine: Enquête sur la coutellerie... St-Ptb., 1870. - Grigoriev. l. c. - N. Annenski. «Rapport ...» dans Messager de la navigation et de l'industrie de Nijni-Novgorod, 1891, - Matériaux de la statistique des zemstvos pour le district de Gorbalov, Nijni-Novgorod 1892, - A. Potressov, rapport à la succursale de St-Ptb., du Comité des sociétés d'épargne, en 1895. - Annales statistiques de l'Empire de Russie, t. II, fasc. 3, St-Ptb 1872. Travaux de la Commission artisanale, t. VIII. - Comptes rendus et recherches, I, III. - Travaux de la commission artisanale, t. VI, XIII. - Petites Industries de la province de Moscou, t. VI, fasc. 1, p. 111, ib., 177; VII, fasc. 2, p. 8. - Revue historico-statistique de l'industrie en Russie, II. VI. production I. - Messager des Finances, 1898, n° 42, Cf. Petites industries de la province de Vladimir, III, 18-19, etc.
  21. Travaux de la commission artisanale, IX, 2303-2304.
  22. Petites industries de la province de Moscou, VII, fasc. 1, 2e partie; p.196.
  23. Les chiffres concernant la brosserie, l'épinglerie, la crocheterie, la chapellerie, l'amidonnerie, la cordonnerie, la lunetterie, la bourrellerie sur cuivre, la passementerie et l'ameublement ont été tirés des artisanaux par foyer, cités dans les Petites industries de la province de Moscou, ainsi que dans le livre de M. Issaïev, portant le même titre.
  24. Les petites industries de la province de VIadimir, t. III, pp. 242-243.
  25. M. Tougan-Baranovski a montré dans son livre sur les destinées historiques de la fabrique russe, que le capital commercial était une condition historiquement nécessaire de la formation de la grande industrie. Voir son livre: La fabrique ... , St-Ptb., 1898.
  26. Les petites industries de la province de Vladimir, t. II, 25. 270.
  27. Les petites industries de la province de Moscou, t. VI, fasc. 2, pp. 8 et suivantes.
  28. Dans ses raisonnements sur la «capitalisation des petites industries», M. N.-on se refuse à considérer les premiers pas de la production marchande et du capitalisme dans leur phases successives. C'est en cela que réside sa principale erreur théorique. Il saute directement de la «production populaire» au «capitalisme» et, ensuite, il s'étonne avec une naïveté plaisante que son capitalisme soit artificiel, sans base, etc.
  29. M. Varzer, en décrivant l'industrie artisanale de la province de Tchernigov, constate la «variété des unités économiques» (d'un côté, des familles gagnant de 500 à 800 roubles; de l'autre, des familles réduites «presque à la mendicité») et fait remarquer ceci: «Dans ces conditions, le recensement des exploitations par foyer et leur regroupement en un certain nombre de types moyens d'exploitations, avec tout leur matériel est la seule façon de faire le tableau de l'état économique des «koustaris» dans toute son ampleur. Tout le reste ne sera que fantaisie fondée sur des impressions fortuites ou qu'arithmétique de cabinet, basée sur des moyennes de toutes sortes ...» (Travaux de la commission artisanale, fasc. V, p. 354).
  30. Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VI et VIl. Les petites industries de la province de Moscou et A. Issaïev: Les petites industries de la province de Moscou, Moscou 1876-1877, en deux volumes. Des renseignements identiques sont fournis pour un petit nombre de métiers, dans les Petites industries de la province de Vladimir. Il va de soi que nous nous bornons dans ce chapitre au seul examen des métiers dans lesquels les petits producteurs de marchandises travaillent, au moins dans la grande majorité des cas, pour le marché et non pour les revendeurs. Le travail pour ces derniers est un phénomène plus complexe, que nous étudierons par la suite. Les recensements par foyer des «koustaris» travaillant pour les revendeurs ne permettent pas de juger des rapports entre les petits producteurs de marchandises.
  31. Pour cette raison, nous avons exclu du relevé la «porcelainerie», qui compte 20 entreprises et 1817 ouvriers salariés. Le fait que les statisticiens de Moscou aient mis ce métier au nombre des petites industries (voir les tableaux récapitulatifs du tome VII, fasc. 3, l.c.) est caractéristique de la confusion des idées qui règnent chez nous.
  32. Voir, par exemple, le Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VI, fasc. 1, p. 21.
  33. La même conclusion découle des données relatives aux "Koustaris" de Perm: voir nos Etudes, pp. 126-128. Voir Lénine (Œuvres Paris-Moscou, t. 2, pp. 379-382. - N. R.)
  34. Pour l'amidonnerie, qui entre dans notre tableau, nous disposons de données sur la durée de la période de travail dans les entreprises de grandeur différente. Comme nous l'avons vu plus haut, un ouvrier d'une grande entreprise fournit, pendant une période égale, une plus grande quantité de produits qu'un ouvrier de petite entreprise.
  35. Le petit producteur lutte contre ces inconvénients en allongeant sa journée et en intensifiant le travail (l.c., p. 38). En économie marchande le petit producteur ne se maintient, dans l'agriculture comme dans l'industrie, qu'en restreignant ses besoins.
  36. Voir nos Études, pp. 153 et suivantes (voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2. pp. 414 et suivantes. - N. R.) , où nous fournissons les chiffres relatifs à chaque métier. Notons que tous ces chiffres concernent les «koustaris» agriculteurs travaillant pour le marché.
  37. Les chiffres que nous avons cités montrent que dans les petites industries paysannes les entreprises dont la production dépasse mille roubles jouent un rôle énorme et même prédominant. Rappelons que notre statistique officielle a toujours classé ces entreprises et continue de les classer dans la catégorie des «fabriques et usines». [Cf. Etudes, pp. 267, 270 (voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 4, pp. 14, 18. - N. R.). et le chapitre VII, § Il]. Si donc nous croyions permis à un économiste d'user de la terminologie traditionnelle courante, au-delà de laquelle nos populistes ne sont pas allés, nous serions en droit d'établir la «loi» suivante: les «fabriques et usines», qui ne figurent pas dans la statistique officielle à cause de son insuffisance, jouent un rôle prédominant parmi les entreprises artisanales paysannes.
  38. Manilov, personnage des Ames Mortes de Gogol. C'est le type même du rêveur sans volonté qui arrive à faire de belles phrases vides sans jamais agir. [N.E.]
  39. Ajoutons que les différentes données signalent des rapports absolument analogues parmi les petits producteurs de marchandises dans d'autres provinces que dans celles de Moscou et de Perm. Voir, par exemple, Les petites industries de la province de Vladimir, fasc. II, recensements par foyer des cordonniers et des fouleurs; Travaux de la commission artisanale, fasc. Il, sur les charrons du district de Médyne; fasc. II, sur les pelletiers du même district; fasc. III, sur les fourreurs du district d'Arzamas; fasc. VI, sur les fouleurs du district de Sémionov et les corroyeurs du district de Vassilsoursk, etc. Cf. Recueil de Nijni-Novgorod, t. IV, p. 137, où A. Gatsiski, dans un jugement général sur les petits métiers, constate qu'il y a formation de grands ateliers. Cf. le Compte rendu d'Annenski sur les "koustaris" de Pavlovo (mentionné plus haut), sur le groupement des familles d'après leur gain hebdomadaire, etc., etc., etc. Toutes ces indications ne se distinguent des chiffres des recensements par foyer que nous avons analysés, que par leur caractère fragmentaire et leur insuffisance. Mais le fond des choses est partout le même.
  40. K. Marx, le Capital, livre I, tome II, Editions Sociales, Paris, 1959, p.16. [N.E.]
  41. K. Marx, le Capital, livre I, tome II, Editions Sociales, Paris, 1959, p. 17. [N.E.]
  42. Ainsi, en ce qui concerne les doreurs de la province de Vladimir, nous lisons, par exemple, ce qui suit: en employant un plus grand nombre d'ouvriers, on peut réaliser des économies importantes sur les dépenses: sur l'éclairage, les instruments, etc.» (Les petites industries de la province de Vladimir. III. p. 188.) Dans le travail du cuivre, province de Perm, un ouvrier seul a besoin d'un assortiment complet d'instruments (16 instruments); deux ouvriers n'ont besoin «de guère plus». «Pour un atelier de 6 à 8 ouvriers, la collection d'instruments doit être triplée ou quadruplée... On se sert toujours d'un seul tour, même quand l'entreprise occupe 8 ouvriers» (Travaux de la commission artisanale, X, p. 2939). Le capital fixe d'un grand atelier est estimé à 466 roubles, celui d'un atelier moyen à 294 et celui d'un petit atelier, à 80 roubles, pour une production de 6200 roubles, 3655 roubles et 871 roubles. Dans les petites entreprises, la valeur de la production est donc 11 fois supérieure à la somme du capital fixe; dans les entreprises moyennes, elle est 12 fois supérieure à cette somme et dans les grandes 14 fois.
  43. K. Marx, le Capital, livre I, tome II, Editions Sociales, Paris, 1959. p. 27. [N.E.]
  44. Nous croyons inutile d'appuyer ce qui a été dit dans le texte sur des exemples qu'on pourrait trouver en abondance dans le livre de M.V.V.: L'artel dans les petites industries artisanales (St-Ptb. 1895). M. Volguine a déjà analysé la véritable signification des exemples cités par M.V.V. (ouvrage cité, pp. 182 et suivantes) et montré le rôle infime du «principe-artels de notre industrie artisanale. Notons seulement l'assertion suivante de M.V.V.: «... l'association de plusieurs «koustaris» indépendants en une seule unité productive... n'est pas une conséquence nécessaire des conditions de la concurrence, comme le prouve l'absence, dans la majorité des métiers, d'ateliers de quelque importance avec ouvriers salariés» (p. 93). II est sans doute bien plus facile de poser ainsi dans le vide une thèse d'ordre général que d'analyser les données tirées des recensements par foyer.
  45. Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 449-455. (N. R.)
  46. Pour le rôle du capital commercial, marchand, dans le développement du capitalisme en général, nous renvoyons le lecteur au livre III du Capital. Voir notamment III, I, pp. 253-254 (trad. russe, p. 212) sur la nature du capital marchand-commercial; p. 259 (trad. russe, p. 21 sur la réduction des frais de vente par le capital commercial; pp. 278-279 (trad. russe, pp, 233-234) sur la nécessité économique du fait que «la concentration dans une entreprise commerciale devance celle qui se fait dans l'atelier industriel»; p. 308 (trad. russe, p. 259) et pp. 310-311( trad. russe, pp. 260-261) sur le rôle historique du capital commercial considéré comme «condition indispensable pour le développement du mode de production capitaliste». (voir note suivante).
  47. K. Marx, le Capital, livre III, tome. I, Editions Sociales, Paris, 1957, pp. 282, 287-288, 304, 333-338.
  48. L'idée préconçue des populistes qui idéalisaient les industries artisanales et présentaient le capital commercial comme une sorte d'anomalie regrettable, et non comme un attribut immanent à la petite production destinée au marché, s'est malheureusement répercutée sur les recherches statistiques. C'est pourquoi nous avons toute une série de recensements par foyer des petites industries artisanales (pour les provinces de Moscou, de Vladimir, de Perm) qui examinent attentivement l'exploitation de chaque petit fabricant, mais laissent de côté celle des revendeurs, la façon dont se constitue leur capital, ce qui détermine la valeur de ce capital, le montant de la vente et de l'achat du revendeur, etc. Cf. nos Etudes, p. 169. (Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, p. 432 - N. R.)
  49. Cette formation de revendeurs parmi les petits producteurs eux-mêmes est un phénomène général constaté presque toujours par les enquêteurs quand ils abordent la question. Voir, par exemple, la même remarque sur les «donneuses» dans la ganterie (Les petites industries de la province de Moscou, t. VII, fasc. II, pp. 175-176) sur les revendeurs de Pavlovo (Grigoriev, l.c., p. 92) et nombre d'autres.
  50. Korsak avait déjà indiqué très justement qu'il existait un lien entre le caractère onéreux de la vente au détail (et de l'achat au détail de la matière première) et «le caractère général de la petite production morcelée» (Korsak, Des formes de l'industrie, pp. 23 et 239).
  51. Très souvent, les «koustaris», les gros producteurs, dont nous avons parlé en détail plus haut, sont en même temps des revendeurs. C'est ainsi, par exemple, qu'il arrive très souvent que les gros fabricants achètent les produits des petits.
  52. M. V.V. affirme que le «koustar» soumis au capital commercial «subit, de par la nature des choses, des pertes absolument superflues» (Essais sur l'industrie artisanale, p. 150). M. V.V. ne croit-il pas que la décomposition des petits producteurs est «absolument superflue», «de par la nature des choses», c'est-à-dire de par la nature de l'économie marchande où vit le petit producteur?
  53. Ce qui est grave, ce n'est pas tant l'existence du koulak que le fait que les artisans manquent de capitaux, déclarent les populistes de Perm (Essais sur l'industrie artisanale de la province de Penn, p. 8). Mais qu'est-ce qu'un koulak, sinon un «koustar» possédant un capital? Le malheur est que les populistes se refusent à analyser le processus de décomposition des petits producteurs, qui donne naissance aux entrepreneurs et aux «koulaks».
  54. Dans le vide. (N. R.)
  55. Parmi les démonstrations pseudo-économiques des populistes, il faut citer leurs dissertations sur l'insignifiance du capital «fixe» et «circulant» nécessaire au «koustar». Le fil conducteur de ces raisonnements extrêmement répandus est le suivant. Les industries artisanales sont d'une grande utilité pour le paysan, il est donc désirable de les implanter. (Nous ne nous arrêtons pas à cette idée ridicule qu'on puisse venir en aide à la masse des paysans qui courent à leur ruine, en transformant un certain nombre d'entre eux en petits producteurs de marchandises.) Mais pour implanter ces métiers, il faut savoir quel est le «capital», dont le petit producteur a besoin pour exploiter une affaire. Voici un des nombreux calculs de ce genre. Le «capital» fixe nécessaire à un artisan de Pavlovo, nous apprend sentencieusement M. Grigoriev, se chiffre de 3 à 5 roubles, 10-13-15 roubles, etc., cette somme comprenant le coût des instruments de travail, quant au «capital» circulant, il se chiffre de 6 à 8 roubles, de même que les frais d'entretien et le coût de la matière première pour une semaine. «On voit que dans la région de Pavlovo, le capital fixe et circulant (sic) est si minime qu'il est très facile de se procurer les instruments et les matériaux nécessaires à une production indépendante (sic) (l.c., p. 75). En effet, rien de plus «facile» que de raisonner de la sorte. D'un trait de plume, le prolétaire de Pavlovo est métamorphosé en «capitaliste». Il a suffit pour cela de nommer «capital» son entretien d'une semaine et ses instruments de quatre sous. Quant au capital réel des gros revendeurs qui ont monopolisé la vente, qui sont les seuls à pouvoir être «indépendants» de facto et qui manient des capiteux se chiffrant par milliers de roubles, ce capital réel l'auteur en a tout simplement fait abstraction. Drôles de gens en vérité que ces habitants cossus de Pavlovo: de génération en génération ils ont accumulé et continuent à accumuler par toutes sortes de moyens inavouables des capitaux se montant à des milliers de roubles, alors que d'après les récentes découvertes il suffit d'un «capital» de quelques dizaines de roubles pour être «indépendant»!
  56. La forme pure du capital commercial consiste dans l'achat d'une marchandise pour revendre avec profit cette même marchandise. La forme pure du capital industriel consiste dans l'achat d'une marchandise pour la vendre transformée; donc, achat de matière première, etc., et achat de force de travail pour transformer cette matière.
  57. Voir Recueil de matériaux statistiques sur la situation économique de la population rurale. Editions du Comité des ministres. Annexe 1: Données des enquêtes des zemstvos par foyer, pp. 372-373.
  58. Il est caractéristique que l'auteur de la description du métier de la chapellerie «n'ait pas remarqué» là non plus, la décomposition de la paysannerie tant dans l'agriculture que dans l'industrie. Pareil à tous les populistes, il s'est borné, dans ses conclusions, à cette banalité absolument creuse: «Le métier n'empêche pas de s'occuper d'agriculture» (Les petites industries de la province de Moscou, t. VI, I, p. 231). Les contradictions économiques et sociales existant aussi bien dans le régime des petites industries que dans celui de l'agriculture ont été ainsi heureusement tournées.
  59. Travaux de la commission artisanale, III, 57, 112; VIII, 1354; IX, 1931, 2093, 2185.
  60. Les petites industries de la province de Vladimir, III, 187, 190.
  61. Les petites industries de la province de Moscou, l.c.
  62. Voir Iouriditcheski Vestnik, 1883, t. XIV, n°s 11 et 12.
  63. Il s'en est fallu de peu que M. Kharisoménov n'aboutisse à cette conclusion. Pour s'en rendre compte, il suffit de voir comment, dans sa description de l'industrie de la soie, il définit le développement économique depuis l'abolition du servage; «au point de vue économique, écrit-il, le servage nivelait la paysannerie, il liait les mains au paysan riche, soutenait le paysan pauvre, empêchait les partages entre membres d'une même famille. L'économie naturelle ne laissait qu'un champ bien étroit à l'activité commerciale industrielle. Le marché local ne donnait pas assez de champ à l'esprit d'entreprise. Le marchand ou le petit producteur paysan amassait de l'argent, sans risque il est vrai, mais très lentement et avec difficultés et le cachait dans son bas de laine. Après 1860 les conditions changent. Le servage est aboli; le crédit, les chemins de fer, en créant un marché vaste et lointain, donnent du champ au paysan industrieux, marchand ou fabricant. Tout ce qui dépassait le niveau économique moyen prend rapidement pied, agrandit son commerce ou son industrie, développe son exploitation quantitativement et qualitativement. Tout ce qui était au-dessous de ce niveau tombe, déchoit et va grossir les rangs des hommes sans terre, sans cultures, sans chevaux. La paysannerie se différencie en koulaks, en paysans d'aisance moyenne et en prolétaires sans exploitation rurale. L'élément koulak de la paysannerie acquiert bientôt toutes les habitudes du milieu cultivé; il vit en seigneur; il donne naissance à une classe, numériquement si importante en Russie, de gens à demi cultivés» (III, 20, 21). (voir note suivante).
  64. Les petites industries de la province de Vladimir, t. III, Enquête de S. Kharisoménov, Moscou 1882, pp. 20-21. [N.E.]
  65. C'est à des phrases de cette nature que M. V. V. se borne quand il traite cette question au chapitre VIII de ses Essais sur I'industrie artisanale. «L'agriculture ... soutient les petites industries» (205); «Les petites industries sont un des plus sûrs remparts de l'agriculture des provinces industrielles» (219). Les preuves Tant que l'on voudra: prenez. par exemple, les patron-corroyeurs, amidonniers, fabricants d'huile, etc. (ibid., 224), et vous verrez que chez eux l'agriculture se maintient à un niveau plus élevé que chez la masse des paysans!
  66. Voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2, pp. 394 et suivantes. (N. R.)
  67. Les sources ont été indiquées plus haut. Le même phénomène a été constaté lors des recensements par foyer des vanniers, des fabricants de guitare et des amidonniers de la province de Moscou. Le recensement artisanal de la province de Perm nous montre également que la période de travail est plus prolongée dans les grands ateliers (voir Essais sur l'industrie artisanale dans la province de Perm, p. 78. Malheureusement, on n'y trouve pas de chiffres précis).
  68. Dans l'industrie laitière de la province de Vladimir, par exemple, les gros «fabricants» et les maîtres-artisans se distinguent par le niveau supérieur de leur exploitation agricole. «Dans les moments de marasme industriel les maîtres-artisans cherchent à acheter un domaine, à s'occuper d'exploitation rurale et quittent tout à fait le métier» (Les petites industries de la province de Vladimir, t. II, p. 131). Cet exemple est à retenir, car des faits de ce genre offrent parfois aux populistes l'occasion d'en conclure que «les paysans reviennent à l'agriculture»; que «les exilés du sol lui doivent être rendus». (M. V. V. Vestnik Evropy, n° 7, 1884).
  69. «Les paysans ont. expliqué que ces derniers temps plusieurs «industriels» aisés se sont établis à Moscou pour y exercer leur métier.» La brosserie d'après l'enquête de 1895, p. 5.
  70. Au chapitre IV de l'ouvrage cité, Korsak apporte des témoignages historiques montrant, par exemple, que «le supérieur du couvent distribuait (aux paysannes) du lin à filer», et que les paysans devaient au propriétaire du sol «le Moissonnage et les travaux d'occasion».
  71. Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, il règne une telle confusion de termes dans notre littérature et nos statistiques économiques, qu'on classe parmi les «petites industries» paysannes, l'industrie à domicile, les prestations de travail, l'artisanat, la petite production marchande, le commerce, le travail salarié dans l'industrie, le travail salarié dans l'agriculture, etc. Voici un exemple de la façon dont les populistes profitent de cette confusion. En exaltant «la combinaison de la petite industrie avec l'agriculture», M. V. V. indique, à titre d'illustration, «l'industrie forestière» et «le travail du manoeuvre»: «il (le paysan) est fort et habitué au dur labeur; aussi est-il apte à n'importe quels travaux de manœuvre» (Essais sur industrie artisanale, p. 26). Et notre auteur d'utiliser ce fait, en même temps que d'autre, à l'appui de la conclusion suivante: «nous voyons là une protestation contre la spécialisation», «un indice de la stabilité du système de production qui s'est formé pendant la période de domination de l'économie naturelle»(41). Ainsi, même la transformation du paysan en bûcheron ou en manœuvre passe pour une preuve de la stabilité de l'économie naturelle!
  72. Dans la Russie tsariste, les paysans d'Etat avec une propriété d'un tchetvert étaient une catégorie d'anciens paysans d'Etat descendant des gens d'armes qui, aux XVe et XVIe siècles, s'étaient installés aux frontières de l'Etat moscovite. Ces gens d'armes (cosaques, streltsy, soldats) devaient garder les frontières et, en échange, ils recevaient en jouissance provisoire ou héréditaire de petits lots de terre qui se mesuraient en tchetverts(un tchetvert = une demi-déciatine). A partir de 1719, ces colons de l'Etat reçurent le nom d'odnodvortsy. Alors qu'auparavant ils jouissaient de divers privilèges et qu'ils avaient le droit de posséder des serfs, au cours du XIXe siècle leur situation fut peu à peu assimilée à celle des autres paysans. Le règlement de 1866 déclara que la terre des odnodvortsy (les tchetverts) était leur propriété personnelle et que les membres de leurs familles pouvaient en hériter. [N.E.]
  73. Laboureurs libres, catégorie de paysans libérés du servage en vertu de la loi du 20 février 1803 qui autorisait les propriétaires féodaux à libérer les paysans en leur donnant de la terre. Les conditions de cette libération étaient fixées par les propriétaires. [N.E.]