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Introduction et préface
Introduction - Yvon Bourdet[modifier le wikicode]
Quelques mois après la parution, à Vienne, du Capital financier, Jean Jaurès, à la fin d'un grand discours devant les députés français, en présentait ainsi la thèse principale :
« il y a dans le monde, aujourd'hui, une autre force de paix, c'est le capitalisme le plus moderne à l'état organisé.
« (...) Dans la première période d'expansion coloniale de l'Europe, comme c'est la propriété foncière qui était d'abord le tout, puis l'essentiel de la vie économique des nations, c'est sur le type de la propriété foncière, de la propriété exclusive et immobile, que se construisait la politique coloniale de ce temps (interruptions), et l'ambition naturelle, nécessaire des peuples, c'était de façonner les pays lointains conquis par eux, sur le type de ce qui était chez eux la forme dominante de la propriété. Et alors, coloniser signifiait acquérir de la terre, avoir sur les pays lointains un monopole territorial qui servait de face à un monopole de commerce.
« Peu à peu, la propriété se mobilise ; la propriété industrielle se superpose à la propriété foncière, la propriété industrielle nominative et enracinée, individualisée, se transforme en propriété par actions. La propriété a la rapidité de mouvement, la liberté de coups d'ailes des grands oiseaux migrateurs (mouvements divers). Un même capital passe d'une entreprise à une autre et les associations s'étendent, s'élargissent.
« ( ... ) Par-dessus les frontières des races et par-dessus les frontières des douanes travaillent les grandes coopérations du capitalisme industriel et financier (« Très bien! Très bien ! ») et les banques, les grandes banques s'installent derrière les entreprises, elles les commanditent, elles les subventionnent, et en les commanditant, en les subventionnant, elles les coordonnent ; et comme elles subventionnent en même temps les succursales lointaines dans tous les pays et par-delà les mers, voilà que la puissance des banques se dresse, coordonnant les capitaux, enchevêtrant les intérêts de telle sorte qu'une seule maille de crédit déchirée à Paris, le crédit est ébranlé à Hambourg, à New York, et qu'il se fait ainsi un commencement de solidarité capitaliste, redoutable quand elle est manœuvrée par des intérêts inférieurs, mais qui, sous l’inspiration de la volonté commune des peuples, peut devenir à certaines heures une garantie pour la paix. »
(Vifs applaudissements à l'extrême- gauche.)
M. Jules CELS.- « Vous voilà capitaliste, alors ? »
M. JAURÈS. - « Oh, comme vous nous connaissez mal, comme vous ne savez rien de nos doctrines, rien !
(Applaudissements à l'extrême-gauche.)
Ce que je vous dis là, c'est le résumé affaibli des doctrines toujours par nous formulées[1], c'est le résumé affaibli de l'œuvre magistrale que publiait, il y a quelques mois, un disciple de Marx, Hilferding, dans une œuvre de premier ordre sur le capital et la finance. Il montrait que la banque, la grande banque, coordonnant et organisant les capitaux, permettait, par cette action internationale, de répartir entre les divers pays producteurs, en proportion de leur production et de leur puissance de travail, les grands débouchés économiques du monde. Et c'est là qu’est le principe d’une expansion économique sans monopole territorial, sans monopole industriel, sans monopole de douane.
« ( ... ) Il y a là une puissance nouvelle formidable qui, si elle n'est pas contrôlée par l'opinion, si elle n’est pas contrôlée par des gouvernements indépendants d’elle (vifs applaudissements à l'extrême-gauche), si elle n'est pas contrôlée par des démocraties éclairées et autonomes, peut prostituer des prétextes de paix à des combinaisons misérables, mais qui, si elle est éclairée, contrôlée, surveillée par des grandes nations indépendantes et fières, peut ajouter à certaines heures, dans l’équilibre instable du monde, aux chances de la paix[2]. »
Nous laissons de côté, pour l’instant du moins, la question de savoir si ce résumé est tout à fait fidèle ; puisque le lecteur français a maintenant la possibilité d’en juger par lui-même grâce à l'excellente traduction de Marcel Ollivier. Le fait est que le Capital financier fut interprété autrement par Lénine. Lorsque, quelques années plus tard, en 1916, celui-ci écrivit l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, il cita, à la première page de son livre, les deux ouvrages dont il s'était inspiré : l’Imperialisme de l'économiste anglais J. A. Hobson (1902) et le Capital financier « du marxiste Autrichien Rudolf Hilferding » dont il signale la traduction en russe, parue dès 1912. Selon Lénine, « au fond, ce qu'on a dit de l'impérialisme pendant ces dernières années - notamment dans d'innombrables articles de journaux et de revues, ainsi que dans les résolutions, par exemple, des congrès de Chemnitz et de Bâle en automne 1912 - n'est guère sorti du cercle des idées exposées ou, plus exactement, résumées par les deux auteurs précités »... Plus précisément il ajoute en ce qui concerne le Capital financier, que cet ouvrage constitue une analyse théorique éminemment précieuse de « "la phase la plus récente du développement du capitalisme" comme l'indique le sous-titre du livre ». Lénine cite plusieurs fois le texte de Hilferding, le plus souvent d'ailleurs pour critiquer les thèses de Kautsky, assez semblables selon lui à celles de Hobson. sur le caractère pacifique du développement du capitalisme : « Ce raisonnement de Kautsky ( ... ) mérite un examen plus détaillé. Commençons par une citation de Hilferding ( ... ) : « Ce n'est pas l'affaire du prolétariat. écrit Hilferding, d'opposer à la politique capitaliste plus progressive la politique dépassée de l'époque du libre-échange et de l'hostilité envers l'Etat. La réponse du prolétariat à la politique économique du capital financier, à l'impérialisme, ne peut être le libre-échange, mais seulement le socialisme. Ce n'est pas le rétablissement de la libre concurrence, devenu maintenant un idéal réactionnaire, qui peut être aujourd'hui le but de la politique prolétarienne. mais uniquement l'abolition complète de la concurrence par la suppression du capitalisme. » Un peu plus loin. Lénine utilise de nouveau Hilferding contre Kautsky par une citation d'une grande page ainsi introduite : « Hilferding note très justement la liaison entre l'impérialisme et le renforcement de l'oppression nationale[3] »
Certes, après la révolution russe, Hilferding et Lénine deviendront des ennemis politiques, et, dans la préface de 1920 de l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Hilferding n'est plus qu'un « ancien « marxiste », aujourd'hui compagnon d'armes de Kautsky ». Mais c'est là une autre histoire. Par ces citations. nous entendons seulement souligner l'importance du livre de Hilferding. Nous ne prétendons pas, en effe, dans cette introduction, séparer le bon grain de l'ivraie pour dire ce qui a vieilli et ce qui reste valable au tribunal d'aujourd'hui. Pour qu'un tel tri soit possible, il faudrait supposer, à chaque époque, l'unité des théories et des « vérités » économiques. Comme on donne encore des mêmes phénomènes des explications diverses, voire opposées, toute appréciation sur l'actualité ou le caractère périmé du Capital financier révèle surtout les opinions et les valeurs de celui qui la formule. On sait par exemple que, dans leurs comptes rendus, pour l'essentiel très élogieux, Karl Kautsky[4] et Otto Bauer[5] critiquèrent les analyses de Hilferding concernant le rôle de la monnaie ; or, en 1961 dans la préface à l'édition italienne, Giulio Pietranera écrit : « A la lumière de l'expérience contemporaine, l'étendue des erreurs de Hilferding en ce qui concerne l'économie monétaire semble bien moindre qu'elle ne pouvait le sembler au début du siècle[6]. » Pietranera ajoute que le Capital financier n'est pas une œuvre strictement organique, où tout s'enchaîne inexorablement et que, de ce fait, les « erreurs » des deux premières parties - si erreurs il y a - ne se répercutent pas sur toutes les autres thèses du livre. Quoi qu'il en soit, comme on peut le voir, rien ne vieillit plus vite que la succession des « jugements définitifs » sur les grandes œuvres. Ces dernières offrent, à chaque génération, quelque chose de neuf et instruisent même par leurs « erreurs» ; surtout, par leur problématique, correcte ou non, et par les solutions préconisées, adéquates ou non, elles éclairent ce que les hommes ont pensé des problèmes de leur époque ; et la façon dont ils les ont perçus contribue à éclairer les énigmes de notre temps. Il ne s'agit donc pas pour nous de juger mais simplement de contribuer à faire comprendre l'étude de Hilferding par son histoire.
« Le Capital financier » et l'austromarxisme[modifier le wikicode]
En matière d'économie, la littérature marxiste n'a été, la plupart du temps, qu'une vulgarisation ou une apologie des œuvres de Marx. Le Capital financier de Hilferding, en revanche, a été considéré dès sa parution et reste considéré comme une des rares[7] contributions originales qui, prenant en compte des phénomènes nouveaux, a fait progresser la théorie marxiste. Une telle œuvre était le fruit de l'attitude consciente d'un certain nombre de théoriciens qui formaient, au début de ce siècle, l'école marxiste de Vienne, plus tard désignée par le nom d'austromarxisme[8]. Il paraît donc opportun de décrire, dans ses grandes lignes, le milieu intellectuel qui a rendu possible le Capital financier. On ne considère souvent Hilferding que comme un socialiste allemand qui a été épisodiquement ministre des Finances sous la République de Weimar[9]. Or, on le verra, il a composé l'essentiel de son principal et presque unique ouvrage à Vienne, et il ne s'agit pas là d'une simple domiciliation : Hilferding était un membre actif du parti socialiste autrichien, en liaison permanente avec les autres théoriciens du parti, dont les plus connus étaient Max Adler, Karl Renner. Gustav Eckstein. Otto Bauer et Friedrich Adler. La preuve en est que la première publication austromarxiste. le premier volume des Marx-Studien[10], est précédée d'une préface conjointement signée par Max Adler et Rudolf Hilferding et qui, non sans quelque solennité, définit les intentions des jeunes théoriciens viennois.
La tâche à laquelle Max Adler et Rudolf Hilferding veulent se consacrer est double : d'une part, comme le nom de Marx-Studien l'indique, il s'agit d'abord d'une étude approfondie et systématique de la doctrine de Marx et d'Engels « pour en faire ressortir, par un acte de recréation consciente, le contenu complet dans le contexte d'ensemble de la pensée des créateurs ». En second lieu, ils ont l'ambition de faire évoluer la doctrine de Marx « en enchaînant et en confrontant sans cesse ses acquis avec ceux des études philosophiques et scientifiques » de leur époque. Si on se réfère ensuite aux œuvres publiées dans les Marx-Studien, on peut dire que Max Adler se chargea davantage de la première partie de ce programme et Hilferding de la seconde. Toutefois, les deux auteurs se rendaient bien compte que la quasi-dualité de leur entreprise soulevait quelques problèmes. Certes, ils espéraient bien que les œuvres qu'ils publiaient et publieraient[11] justifieraient leur dessein mieux qu'une préface ne pouvait le faire. Cependant, étant donné l'importance qu'avaient alors les polémiques entre Bernstein et Kautsky, ils croyaient de leur devoir de dire s'ils étaient des marxistes orthodoxes ou des révisionnistes. Mais, à cause des simplifications déformantes de la polémique, il leur était impossible de répondre sèchement qu'ils optaient pour l'un des deux partis. Bien sûr, ils reconnaissaient que le titre de leur publication les désignait déjà comme des orthodoxes, mais ils ajoutaient aussitôt que l'« orthodoxie » ne devait pas se confondre avec le « dogmatisme ». Mieux, c'était leur fidélité à Marx qui les préservait du dogmatisme. Et ils rappelaient que Marx avait écrit dans sa jeunesse : « Je ne suis pas pour que nous arborions un drapeau dogmatique, au contraire. (...) Nous ne nous présentons pas au monde comme des doctrinaires avec un nouveau principe : C'est ici qu'est la vérité, agenouillez-vous devant elle[12] ! » Il faut néanmoins ajouter que, s'ils répudiaient ainsi le sectarisme, Max Adler et Hilferding ne voulaient pas pour autant ressembler à ces essayistes brillants qui n'ont aucune peine à échapper au dogmatisme du fait de leur absence de doctrine. Ils n'acceptaient donc que « leur cohérence scientifique » pût passer pour une tare aux yeux de ceux dont « la liberté d'esprit brille à bon marché », car elle n'est autre chose qu'une « agilité incapable de se fixer ou une largeur de vues apparente qui témoigne de l'incertitude des principes ». Ils ne craignaient pas non plus de se réclamer du nom de Marx : ceux qui le leur reprocheraient montreraient par là qu'ils ne savent pas voir que « les grands noms dans l'histoire des idées ne sont jamais de simples noms », mais qu'ils impliquent un programme et une action. Max Adler et Rudolf Hilferding se rendaient bien compte de l'ambiguïté de leur position et ils paraissaient irrités qu'on ne sait quelle « bonne conscience de greffier » voulût à tout prix étiqueter leurs publications pour les ranger, soit dans le tiroir du révisionnisme, soit dans celui de l'orthodoxie. C'est que, d'un côté, ils se réclamaient de Marx et de la cohérence de sa doctrine et, de ce fait, apparaissaient comme des dogmatiques ou, du moins, des orthodoxes ; mais, en même temps, ils ne cessaient de répéter que leur marxisme n'avait rien de rigide, qu'il était un « marxisme en évolution », de telle maniere qu'on était tout de même en droit de les « accuser d'une sorte de révisionnisme » (einer Art des Revisionismus beschuldigen). Pour essayer de faire admettre que leur marxisme évolutif restait orthodoxe, nos deux auteurs en étaient réduits à s'exprimer par métaphores. Leur conception du marxisme pouvait être représentée par « un grand fleuve qui se répand dans le vaste champ des activités intellectuelles » et qui, par tous les affluents qu'il reçoit en cours de route, s'élargit, s'approfondit, s'enrichit et accroît sa puissance. Adler et Hilferding voulaient sans doute suggérer par là que le marxisme est un sens : l'affluent, quelle que soit l'originalité de son apport, ne peut remonter le courant, tout au plus peut-il provoquer quelques remous. Ils voulaient accueillir la nouveauté au sein d'une structure dynamique et, emportés par leur imagination, voici qu'ils évoquaient la mer : le « drapeau dogmatique » qu'on leur supposait ne devait pas être compris comme une borne à la recherche, mais comme un signe d'orientation pour ceux qui « dans l'immense mer de la pensée luttent avec les vagues qui se dévorent les unes les autres ». Ce « signal » indiquait à ceux qui la cherchent de quel côté se trouve la terre ferme, non point « pour qu'ils viennent s'y reposer» mais pour qu'ils viennent y chercher des forces nouvelles afin d'aller plus loin, car, concluaient-ils, leur projet n'était pas d'atteindre à quelque chose qui vaudrait pour tous les temps[13].
Quelques années plus tard, dans un article publié dans la Neue Zeit à l'occasion du quarantième anniversaire de la parution du premier livre duCapital, Otto Bauer définissait, sans images, et avec plus de netteté, la position des austromarxistes à l'égard du « marxisme ». Il décrivait la façon dont l'ouvrage de Marx avait été reçu et diffusé. Etant donné la difficulté des analyses du Capital, il avait d'abord « fallu qu'une pléiade d'excellents vulgarisateurs convertisse les lingots d'or de la pensée de Marx en monnaie courante[14]. Engels, en tant qu'auteur de l'Anti-Dühring, était, selon lui. le premier de ces grands vulgarisateurs. C'était là une étape nécessaire. Une théorie cesse d'être abstraite lorsqu'elle est comprise par un grand nombre d'hommes. La vulgarisation du Capital était donc la condition nécessaire à « sa progression vers une validité universelle ». Il reste « qu'aucune science ne peut être vulgarisée sans perdre en même temps une grande partie de ce qu'elle a de meilleur ». C'est ainsi que l'œuvre de Marx devint un corps de doctrines, une série de thèses ; on se mit à répéter des formules définitives. « Les masses, écrit Otto Bauer, s'en tenaient aux résultats. Elles ne pouvaient comprendre les thèses ou Marx résume les résultats de ses recherches dans leur dépendance réciproque au sein du système et dans leur interrelation avec l'ensemble du mouvement de la vie sociale ; au contraire, elles juxtaposaient arbitrairement les thèses[15]. » Or, c'est à partir de phrases réunies ainsi un peu au hasard que le grand public se faisait une idée du marxisme et que naissait la « Vulgate ». Assurément, une telle Vulgate pouvait être utile aux masses ouvrières ; elle les aidait à mettre en question les « évidences » naïves et les « certitudes » subtilement imposées par la classe dominante ; elle orientait leur volonté en leur donnant une tâche à remplir qui résultait de la prise de conscience du caractère historique - et donc modifiable - de leur situation sociale. Mais, en même temps, ces thèses isolées les unes des autres prêtaient le flanc à la critique des spécialistes à l'extérieur et bientôt, avec Bernstein, à l'intérieur du marxisme. Les uns purent ainsi facilement exercer leur ironie dans de nombreuses « réfutations du marxisme », les autres entreprirent de la réviser. « La théorie révisionniste, poursuit Otto Bauer, n'est pas autre chose que la contrepartie du marxisme vulgaire, la conséquence nécessaire du non moins nécessaire abâtardissement de la doctrine de Marx au cours de sa première propagation dans de larges couches sociales encore peu formées[16]. » Il convenait donc de retourner aux sources pour savoir si ces prétendues réfutations et révisions étaient véritablement fondées ou, plus précisément, puisque les résultats étaient contestés, il fallait examiner si la méthode qui avait permis de les établir était valable ou non. Si cette méthode d'analyse était correcte, la contestation des résultats ne pouvait signifier qu'une chose : de nouveaux phénomènes s'étaient produits qui exigeaient une nouvelle étude. Il ne fallait donc pas répéter les résultats établis par Marx, mais utiliser sa méthode pour faire progresser le socialisme scientifique qui, comme toute science, ne peut être qu'une recherche continue et infinie. Telle fut la « conversion » opérée par la jeune génération de l'école marxiste de Vienne. Le changement de la situation historique entraîna ainsi un changement dans le mode de travail ; il ne suffisait plus de vulgariser : « Nous nous mîmes au travail avec une tout autre disposition d'esprit que nos maîtres il y a un quart de siècle[17]. »
Ainsi, la mutation entre les deux générations se manifesta à un double point de vue :
1° Comme les thèses de Marx, isolées et incomprises quant au fond, étaient exposées aux critiques, il fallait d'abord les repenser en profondeur dans leur enchaînement systématique, ce qui est le contraire de leur vulgarisation : « Si nous voulions répondre aux questions qui, de tous côtés, nous assaillaient, nous devions achever notre propre prise de conscience à l'aide de toute la richesse de la science nouvelle exposée pour la première fois dans l'œuvre même de Marx. » Il faut souligner qu'Otto Bauer dit : « exposée pour la première fois » et non « définitivement » comme pouvait le laisser supposer le comportement de ceux qui se bornaient à une activité de vulgarisation et d'apologie. Otto Bauer reconnaît, en même temps, qu'une telle prise de conscience, que cette « re-pensée » est une entreprise difficile et de longue haleine ; elle présuppose la connaissance directe de toute la philosophie allemande, de l'économie et de l'histoire du mouvement ouvrier. Encore ne suffit-il pas de restituer la nébuleuse conceptuelle qui rendit possible l'œuvre de Marx ; il faut tenir compte de ce que cette œuvre maintenant existe. On peut, dés lors, d'une part étudier sa genèse et, d'autre part, ré-interpréter à sa lumière les œuvres antérieures en y découvrant ce que Marx n'y avait pas vu et ce que n'y voient pas les historiens classiques. Telle fut principalement la tâche que s'imposa Max Adler à l'égard de Kant. C'était la seule façon d'invalider l'effort des néo-kantiens ; il devenait en effet dérisoire de vouloir contre Marx revenir à Kant si on montrait pas exemple que Kant allait à Marx.
2° Toutefois, ce travail de haute marxologie ne pouvait suffire ; s'il fallait relire en philosophe Le Capital, il était tout aussi important de savoir comprendre, grâce à la méthode scientifique inaugurée par Marx, les phénomènes sociaux, économiques et politiques du XXe siècle. Depuis la parution du Capital, le capitalisme a créé un nouvel univers. « Que représentent les filatures du Lancashire décrites dans le premier volume du Capital face aux entreprises géantes de notre industrie sidérurgique, qui combinent en un tout prodigieusement organisé les mines de charbon et les hauts-fourneaux, les aciéries et les laminoirs ? demande Otto Bauer en 1907. Que représentent les capitalistes de Marx, maîtres de quelques centaines d'ouvriers, comparés aux magnats des cartels et des trusts modernes qui dominent des branches entières de l'industrie, avec leurs centaines de milliers d'ouvriers, face aux grandes banques modernes[18] ? » Pendant qu'Otto Bauer écrit cet article, Rudolf Hilferding met la dernière main au Capital financier qui est écrit pour répondre à ces questions. Comme on voit, il ne s'agit plus simplement de répéter Marx ni de simplifier les phénomènes nouveaux pour les faire entrer dans les catégories historiques de Marx, qu'on veut faire ainsi fonctionner comme la table a priori de Kant. Il convient d'étudier les diverses formes changeantes de la concentration du capital, mais tout autant les conséquences de ces transformations du capitalisme sur les relations entre nations au sein des empires multinationaux[19] ou coloniaux sur les multiples formes de dépendance des petits commerces et de l'artisanat, sans compter les profonds bouleversements de la structure des entreprises agricoles[20] et la formation de nouvelles classes sociales au sein des nations industrielles hautement développées[21]. « Nous devions, avertit Otto Bauer, assimiler tout cela intellectuellement ; avant même de pouvoir nous réclamer de l'école marxiste, il nous fallait (...) comprendre, dans leur enchaînement nécessaire, les relations économiques des hommes, rapports infiniment enchevêtrés » ; nous devions, sous peine de « les laisser se dessécher », découvrir les lois de ces phénomènes, au lieu de borner notre activité à « une vaine prophétie des transformations purement superficielles[22] ».
Nous espérons que ces que quelques indications permettront de replacer le Capital financier dans son contexte historique et contribueront à faire comprendre l'intention de son auteur. On aura vu, en même temps, que seul le hasard et les retards des traductions et de la diffusion des idées en France au cours des deux dernières décennies a pu faire qu'on ait attribué au Lukács d'après la première guerre mondiale une interprétation du marxisme comme méthode scientifique de recherche, qui fut explicitement formulée et pratiquée à Vienne dès le début de notre siècle.
Biographie de Hilferding (1877-1941)[modifier le wikicode]
Pour comprendre une œuvre, il n'est jamais indifférent de connaître l'histoire de celui qui l'a écrite ; lorsqu'il s'agit d'un homme qui. comme Hilferding, a milité toute sa vie pour ses idées, cette connaissance devient encore plus nécessaire. Dans ce cas, en effet, quelle que soit l'indépendance de la « pratique théorique» en matière d'économie, les événements historiques auxquels l'auteur a été mêlé lui donnent certes une nouvelle matière à interpréter mais risquent surtout d'avoir une incidence sur l'interprétation elle-même ; il s'arrangera par exemple, d'une façon plus ou moins consciente, pour qu'apparaisse la justesse de ses prévisions ou de ses actions. Et ce danger est encore plus grand si l'auteur a vécu une période marquée par deux guerres mondiales, l'effondrement de l'empire austro-hongrois, la séparation en deux camps de l'Internationale ouvrière après la révolution russe et le fascisme, qui l'acculera à un exil terminé par la mort violente. Malheureusement, même en langue allemande, aucune biographie scientifique n'a encore été établie[23] et les documents sont épars et peu nombreux ; les émigrés ne songeaient pas principalement à emporter leurs archives. qui furent aussitôt mises à sac par les nazis. Ainsi nous n'avons pu guère tirer parti que des quatre-vingt-quatorze lettres écrites à Karl Kautsky de 1902 à 1931. Pour la fin de la vie de Hilferding notamment, nous utiliserons les mémoires de Léon Blum et de Vincent Auriol ainsi que quelques témoignages inédits.
Rudolf Hilferding est né le 10 août 1877 à Vienne, dans une famille juive ; son père n'était pas, comme on l'a écrit[24], un riche commerçant, mais employé dans une compagnie d'assurances. Après le lycée, il fit des études de médecine, mais il ne s'adonna guère à sa profession et consacra le meilleur de son temps à l'étude de l'économie politique et des problèmes financiers. D'ailleurs, bien avant la fin de ses études, il avait adhéré dès l'âge de quinze ans à l'Association des étudiants socialistes[25]. Il n'est pas possible de connaître exactement les circonstances de cette adhésion. On peut seulement observer qu'à la même époque d'autres jeunes étudiants, tels Otto Bauer ou Gustav Eckstein, suivirent le même chemin. Dans la Vienne de la fin du siècle dernier, capitale d'un grand empire multinational, la vie intellectuelle et la circulation des idées étaient intenses, comme en témoignent de nombreux « cercles » ou écoles qu'on a pu considérer comme « le creuset du XXe siècle». D'autre part, sous l'impulsion de Victor Adler, le mouvement ouvrier possédait une organisation dynamique depuis le congrès d'unification de Hainfeld (1889). Hilferding devait y avoir milité activement et s'être déjà fait connaître puisque, à vingt-deux ans, ses articles étaient traduits en français dans Le Mouvement socialiste[26] 26. Toutefois, sa collaboration à la célèbre Neue Zeit, dirigée par Kautsky, ne commence qu'en 1902, par un article sur la tendance moderne de la politique commerciale. A partir de cette date, il est un peu plus facile de suivre l'évolution de Hilferding grâce à la correspondance échangée avec Karl Kautsky. Hilferding se montre naturellement très heureux que Kautsky ait apprécié son envoi, car l'article d'un « auteur inconnu » perdrait toute efficacité s'il n'était pas publié dans la Neue Zeit et il promet, comme on l'y invite, de collaborer régulièrement ; déjà il manifeste son intention de ne pas se contenter d'une pure tactique défensive du marxisme. Certes. il croit toujours que la critique de la critique est elle-même critique, puisqu'il publiera bientôt son « Anti-Böhm-Bawerk[27] »), mais, dès sa seconde lettre à Kautsky[28], il juge « stérile ») la critique de Böhm-Bawerk et pense qu'il vaut mieux étudier les phénomènes que Marx ne connaissait pas, du moins sous leur forme actuelle, comme par exemple l'évolution du capitalisme concurrentiel. Un tel projet sera réalisé par le Capital financier, qu'on peut donc supposer en chantier dès 1902.
L'année suivante, Hilferding participe activement au grand débat sur la grève générale et, dans sa lettre du 31 août 1903[29], il commente longuement son article de la Neue Zeit[30], qui sera suivi d'autres études sur le même sujet[31]. Il s'oppose à la fois à ceux qui, comme Bebel, ne veulent pas entendre parler de la possibilité de la grève générale et à ceux qui, suivant Rosa Luxemburg, cherchent à user et abuser de la grève générale, qu'ils conçoivent comme une tactique éducative de la classe ouvrière. Hilferding s'affirme résolument « parlementariste », mais ce n'est pas pour cela qu'il faut renoncer à l'arme de la grève générale ; celle-ci doit demeurer la menace réelle qui rend possible l'exercice du suffrage universel. Si la bourgeoisie s'apercevait que l'exercice légal du droit de vote risquait de la déposséder, elle serait tentée de supprimer le suffrage universel ; alors la grève générale deviendrait l'ultima ratio du prolétariat ; il se moque de ceux qui tremblent à la seule évocation d'un affrontement violent contre la bourgeoisie.
En même temps, Hilferding annonce et justifie la parution à Vienne des Marx-Studien[32]. La Neue Zeit, publication bihebdomadaire, garde un peu l'allure d'un journal ; les articles ne peuvent guère s'y étendre sur plus de quelques pages et la même étude doit souvent être découpée en trois. voire quatre livraisons, ce qui est gênant pour les lecteurs ; cela pose également des problèmes aux collaborateurs et à la rédaction ; le plus grave, c'est que ce manque de place dans l'unique organe marxiste de langue allemande est une entrave à l'approfondissement et au développement de la théorie. Toutefois, dans cette justification par Hilferding de la nouvelle publication viennoise, il faut faire la part de la courtoisie envers Kautsky et on peut estimer, avec Georg Lukács[33], que le besoin ressenti par les jeunes théoriciens viennois d'avoir leurs propres publications marque en réalité le début de l'austromarxisme. De fait, la critique de Böhm-Bawerk, en tête du premier volume des Marx-Studien (1904), fit de Hilferding une étoile parmi les jeunes théoriciens marxistes de Vienne. « Que penses-tu du jeune Hilferding? » écrivit Karl Kautsky à Victor Adler, le 18 octobre 1904. « Il me fait à moi la meilleure impression[34]. » N'ayant reçu aucune réponse sur ce point, Kautsky renouvelle sa question le 8 décembre, car Hilferding lui a demandé conseil ; il est à la croisée des chemins : doit-il exercer la médecine ou non? Ce qui est sûr, c'est que Hilferding a « un grand talent pour l'économie théorique» et qu'il est un élément de valeur au sein du petit groupe de la nouvelle génération des théoriciens marxistes. Kautsky ajoute qu'il ignore si Hilferding serait ou non un médecin remarquable, mais, en toute hypothèse, il faut se dire qu'il y a davantage de bons médecins que de bons marxistes. Enfin, Kautsky estime qu'il faut trancher, car il lui paraît impossible d'être à la fois un médecin scrupuleux et un théoricien original en économie[35]. Pourtant, pendant deux ou trois ans encore, à Vienne, Hilferding exerça la profession de médecin tout en poursuivant ses recherches en économie. Dans une lettre datée du 10 mars 1906, il devra de nouveau dissiper les craintes de Kautsky, qui redoutait de le voir se consacrer entièrement à la médecine. Quelques mois plus tard, il est appelé à Berlin par August Bebel comme professeur d'économie politique et d'histoire de l'économie à l'école du parti, qui groupait trente fonctionnaires, mais la police prussienne lui interdit bientôt cette activité, aucun étranger ne devant être chargé de fonctions d'enseignement. Hilferding fut remplacé par Rosa Luxemburg. Toutefois Hilferding put rester à Berlin jusqu'en 1915 comme « rédacteur» du Vorwärts, tout en continuant à collaborer à la Neue Zeit et, plus tard, à la nouvelle publication mensuelle des austromarxistes, Der Kampf, parfois sous le pseudonyme de Karl Emil. Cependant, ni le nom ni le pseudonyme de Hilferding n'apparaissent dans les premières livraisons du Kampf[36] et, lorsqu'on sait que le Capital financier a paru en 1910, on peut se demander dans quelle mesure son auteur. installé à Berlin depuis quatre ans, doit encore être rattaché à l'école de Vienne. Certains semblent même en conclure que Hilferding n'est pas à compter parmi les austromarxistes[37]. Mais il s'agit là d'une conclusion hâtive. En effet, à la fin de la préface du Capital financier, datée de Noël 1909. Hilferding écrit : « Le présent travail était déjà, il y a quatre ans, terminé dans ses grandes lignes (Die vorliegencle Arbeit war in ihren Grundzügen schon vor vier Jahren im wesentlichen fertig). Des circonstances extérieures en ont seules retardé l'achèvement. » Il donne cette précision pour expliquer qu'il n'ait pas pu tenir compte de livres récemment parus sur les problèmes de l'argent par exemple[38] ; comme le texte des chapitres concernant ces questions était déjà établi, il a dû se contenter de quelques « modifications sans importance, ainsi que de notes critiques[39] ». On pourrait supposer que Hilferding - qui passait pour indolent - a surtout voulu ainsi s'excuser de n'avoir pas assez tenu compte de la littérature récente sur son sujet. C'est pourquoi les lettres écrites de Vienne à Kautsky apportent un témoignage décisif. Le 11 mars 1905, après avoir rendu visite à Kautsky, Hilferding écrit qu'il aimerait bien s'installer définitivement à Berlin. mais qu'il vaut mieux pour le moment qu'il reste à Vienne pour des raisons familiales[40] et surtout parce qu'en Allemagne il se lancerait dans la politique et n'aurait pas le loisir de continuer ses travaux théoriques. A ce propos, il ajoute qu'il est en train d'étudier ce qui a trait à l'argent et aux banques (Geld- und Bank-literatur) et qu'il s'occupera ensuite des cartels et de la Bourse pour arriver à une description du capitalisme moderne[41]. Un mois plus tard, il ne fait plus preuve du même optimisme et se sent plutôt écrasé par l'énormité de la tâche qu'il a entreprise, mais il pense en même temps qu'en matière de théorie toute tentative est utile, au moins à celui qui l'entreprend[42]. Le 27 mai, on apprend qu'il a changé d'appartement et qu'il a eu de la peine à l'aménager « à cause de la grève des menuisiers » ; il vient tout de même de commencer à rédiger le Capital financier, mais ajoute, sans doute avec humour. qu'il n'a encore guère écrit autre chose que le titre[43]. Le 4 juillet, il se plaint que la chaleur et ses occupations de médecin l'empêchent de travailler ; quelque temps après, il est reçu par la famille Kautsky à Saint-Gilgen[44]. Le 24 octobre il manifeste la ferme intention de continuer à rédiger le Capital financier au cours de l'hiver qui approche. Il ajoute qu'il se réjouit beaucoup du retour de Gustav Eckstein et, en post-scriptum, annonce qu'Otto Bauer a passé ses examens avec les félicitations du jury, mais que cela ne lui a pas tourné la tête le moins du monde[45]. Ces notations, ainsi que les commentaires et les explications que donne Hilferding à Kautsky sur de multiples aspects de l'action du parti animé par Victor Adler, montrent, s'il en était besoin, que Hilferding ne s'était pas enfermé dans une tour d'ivoire pour rédiger son livre mais qu'il était en liaison constante avec les autres membres du groupe. On sait que les intellectuels marxistes de Vienne siégeaient presque en permanence au fameux Café central qui fut aussi assidûment fréquenté par Trotsky de 1908 à 1914.
Le 18 décembre 1915, Hilferding s'excuse auprès de Kautsky de n'avoir pas assez travaillé pour la Neue Zeit : les malades et le Capital financier lui prennent tout son temps[46]. La longue lettre du 7 février 1906, et surtout sa seconde partie, datée du 10 mars 1906, est très intéressante. Hilferding annonce qu'il a terminé, pour l'essentiel, le premier chapitre sur l'argent et qu'il étudie maintenant le rôle de l'argent dans le processus de la circulation du capital. A ce propos, il demande à Kautsky la permission de consulter le manuscrit des tomes II et III du Capital de Marx, car il soupçonne Engels de n'avoir pas toujours bien compris de quoi il s'agissait (Ich habe nämlich den Verdacht, dass Engels nicht immer gesehen hat, ,worum es sich handelt) ; il tient quelques-unes de ses polémiques contre Marx pour tout à fait contestables (einige seiner polemischen Bemerkungen gegen Marx halte ich direkt für unrichtig) et il pense qu'il serait intéressant de vérifier si Engels n'a pas « laissé de côté des passages qui seraient justement importants pour la compréhension des problèmes de la concurrence[47] ». Nous ignorons si Kautsky accéda à la demande de Hilferding, mais voici ce qu'écrit Maximilien Rubel qui a pu, quant à lui, « étudier, pendant plusieurs années », à l'Institut international d'histoire sociale d'Amsterdam, les manuscrits originaux des Livres II et III du Capital : « Engels a fait à la fois trop et trop peu pour le Livre II, comme d'ailleurs, pour le Livre III (...) : trop, en lui donnant l'apparence d'un ouvrage définitif ; trop peu, en écartant de son choix des manuscrits dont la publication intégrale eût révélé des aspects importants de l'entreprise scientifique de Marx, en même temps qu'elle eût mieux fait comprendre les raisons de son inachèvement[48]. »
Par la suite, il ne fut plus question du Capital financier dans les lettres de Hilferding à Kautsky. Hilferding se demandait surtout s'il devait ou non aller s'installer à Berlin. Les raisons qu'il donne. tantôt pour retarder, tantôt pour souhaiter ce départ, éclairent sa mentalité et laissent supposer chez lui une certaine vanité, confirmée d'ailleurs par le témoignage de ceux qui l'ont connu à cette époque. Dans une lettre à Kautsky, du 7 février 1906[49], il estime qu'il vaut mieux pour lui rester à Vienne pour « prendre de la bouteille » (ablagern) ou, si l'on préfère, pour « mûrir » (ausreifen). S'il partait maintenant à Berlin, il y serait considéré comme un « jeune qui manque de maturité» (als ein "junger", "unfertiger") et il devrait écouter respectueusement ses camarades pleins de tant d'expérience. S'il vient plus tard, lorsqu'il aura pu faire ses preuves, il aura plus de chances de réussir. Il ajoute toutefois une raison plus sérieuse : un théoricien marxiste ne doit pas se contenter de travailler en chambre, il doit intervenir pratiquement dans la politique du parti, autrement - sauf le cas exceptionnel de Kautsky, qu'il met courtoisement à part -, ce théoricien n'est qu'un simple employé du parti dont l'opinion a peu de poids. Or, comme Hilferding n'est pas citoyen allemand. il n'aura même pas la possibilité de participer aux élections ; c'est pourquoi il demande à Kautsky s'il ne pourrait se faire naturaliser en Allemagne. Il réalisera ce vœu en 1920, mais on assistera, dès lors, moins à une liaison entre théorie et pratique qu'à une absorption par la pratique. On sait, en effet, qu'après la guerre Hilferding, devenu en Allemagne un homme politique de premier plan, n'a plus écrit que des articles ou des discours. Cette activité pratique semble, au demeurant, concorder davantage avec son tempérament. Ceux qui ont connu Hilferding à l'époque où il écrivait le Capital financier[50] ont été frappés que cet homme jovial ait pu, avant l'âge de trente ans, écrire cet épais volume, technique, aride, froidement argumenté et dont, à s'en tenir aux apparences, ils auraient plus volontiers attribué la paternité à l'austère Otto Bauer. Hilferding était grand, très brun ; il avait une figure ronde et colorée. Bon vivant, voire viveur, il aimait dit-on les plaisirs de la table, le vin et les femmes. Dans cette ville de Vienne dont, selon Freud, la bonne société était hypocritement pudique et « refoulée », Hilferding, impulsif et extraverti, s'exprimait franchement et vivait sans distance les émotions et les passions de l'instant, tantôt fougueux, tantôt abattu[51]. Il s'était marié jeune, avant même la fin de ses études, avec Margarete, qui était un peu plus âgée que lui et à ce qu'on dit, peu jolie. C'était une femme d'une grande bonté et d'une grande intelligence, qui paraissait dominer son époux. Hilferding fait lui-même allusion à cette situation dans une lettre à Kautsky[52]. Margarete Hilferding était médecin et écrivit des comptes rendus dans la Neue Zeit et des articles dans le Kampf. Elle suivit son mari à Berlin, où naquit leur second fils, en 1908, mais, la même année. elle revint à Vienne ou elle s'installa définitivement avec ses deux enfants. Son divorce, par consentement mutuel, fut prononcé en 1923. Plus tard, elle fut déportée par les nazis. Hilferding se remaria ; les Viennois disent de sa seconde femme qu'elle jouait les grandes dames et qu'elle contribuait à faire évoluer Hilferding vers l'« embourgeoisement ». A Vienne, et pendant son premier séjour à Berlin, Hilferding était un socialiste de gauche : lorsque, le 4 août 1914, le groupe social-démocrate du Reichstag vota les crédits militaires, Hilferding fut de ceux qui, au sein du parti, s'opposèrent à ce vote[53]. Malgré cela, ses relations avec Rosa Luxemburg - qui dès 1907 avait pris sa succession à l'Ecole du parti - n'étaient pas bonnes. Gottschalch affirme que cet antagonisme était moins motive par de profondes divergences d'opinion que par une sorte d'incompatibilité d'humeur, Rosa Luxemburg reprochant à Hilferding son style de vie à la viennoise, nonchalant et jouisseur[54]. Il est vrai que les lettres des austro-marxistes conservées à l'Institut d'Amsterdam, notamment celles de Gustav Eckstein, témoignent d'une certaine animosité méprisante à l'égard de Rosa Luxemburg, couramment appelée « la Rosa ». Dans une lettre à Clara Zetkin, Rosa Luxemburg se plaint elle-même de ce que Hilferding s'était allié à Bebel pour retarder la parution de L'Accumulation du capital[55] et on sait que, par la suite, dans sa Critique des critiques, elle fait un sort particulier à Otto Bauer et relève les critiques sans indulgence de Hilferding et de Gustav Eckstein[56], Quoi qu'il en soit, ces intenses polémiques furent interrompues par la guerre.
Hilferding ne quitta pas tout de suite l'Allemagne ; il ne fut mobilisé dans l'armée autrichienne qu'en 1915, il avait trente-huit ans. Nous savons qu'il fut en poste à Steinach[57], à une quinzaine de kilomètres du col du Brenner, sur la route d'Innsbruck, Paul F. Lazarsfeld, alors à peine âgé d'une quinzaine d'années, et sa jeune sœur Elisabeth furent pendant deux semaines, confiés à sa garde, à Steinach. Cela peut laisser supposer que Hilferding était considéré comme étant plutôt à la campagne qu'en campagne, ce qui était bien naturel de la part d'un antimilitariste. Les lettres qu'il écrivit à Kautsky pendant la guerre sont laconiques et banales. Toutefois, on peut y lire qu'il considère l'assassinat du premier ministre de l'empereur par Fritz Adler comme une « folie pure[58] ». Cependant il reste à la gauche du parti et, lors d'une permission, rend visite à Fritz Adler dans sa prison ; il rapporte à Kautsky que cette rencontre avait été aussi libre et détendue qu'une « causerie dans un café[59] ». Après la révolution russe, le 3 décembre 1917, il écrit, toujours à Kautsky. que le parti socialiste autrichien, comme prévu, semble se ranimer sous l'influence d'Otto Bauer, rentré de captivité. Toutefois. il trouve les jugements de Bauer sur la Russie un peu trop optimistes et il redoute une déception[60].
La guerre finie, Hilferding retourne à Berlin et devient aussitôt rédacteur en chef de la Freiheit dont, en six mois, le tirage passe de 30 000 à 250 000 exemplaires. En même temps. il devenait membre du comité directeur du parti socialiste indépendant (U.S.P.D.). On sait qu'en avril 1917, à Gotha. une scission s'était produite ; la minorité de gauche s'était constituée en parti indépendant autour de Kautsky, Haase, Ledebour, Bernstein et Dittman. La fraction spartakiste, animée par Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Clara Zetkin et Franz Mehring, adhéra au nouveau parti. Mais des divisions ne tardèrent pas à apparaître. Le 15 décembre 1918, Hilferding fit approuver, par une majorité des trois quarts de l'assemblée générale des membres berlinois de l'U.S.P.D. la résolution suivante : « La tâche politique la plus importante de l'U.S.P.D est actuellement l'organisation des élections à l'Assemblée nationale[61]. » Opposée à l'adoption de cette voie parlementariste, Rosa Luxemburg tenta vainement de faire convoquer immédiatement un congrès du parti ; sa proposition ne recueillit que 195 voix contre 485. Ainsi, prisonniers d'un parti qu'ils ne pouvaient ni contrôler. ni même influencer, les spartakistes réunirent, le 29 décembre 1918, une conférence nationale de leurs partisans d'où allait sortir le parti communiste allemand.
Dès novembre 1918, Hilferding s'était prononcé pour la nécessité de remettre, par priorité, la production en marche, mais il tirait en même temps de ce louable souci la conclusion qu'il ne fallait socialiser qu'avec prudence et s'en tenir, pour le moment. aux industries « arrivées à maturité[62] ». Ces positions ne pouvaient que le conduire à s'opposer aux partisans de la IIIe Internationale, qui manifestaient moins le souci de remise en ordre de l'économie que celui de l'expropriation violente des expropriateurs. De fait, lors du congrès de Halle, du 12 au 17 octobre 1920, au cours duquel se produisit la scission de l'U.S.P.D., Hilferding fut le leader de la fraction minoritaire[63] 63 qui refusait d'adhérer à la IIIe Internationale ; le congrès fut marqué par le duel oratoire qui l'opposa à Zinoviev[64]. Mais les communistes n'avaient pas attendu ce congrès pour s'en prendre à Hilferding ; des le début de 1920, le comité exécutif de la IIIe Internationale reprochait à l'U.S.P.D de lui avoir confié la direction de la Freiheit[65] et, au cours du second congrès de l'Internationale communiste, le 29 juillet 1920, à Pétrograd, Zinoviev s'en prit particulièrement à Kautsky et à lui[66]. Toutefois, Hilferding restait fidèle à la tendance du Centre et participa aux activités de l'Union des partis socialistes pour l'action internationale (U.P.S.), dite aussi l'union de Vienne ou, par dérision « IIe Internationale et demie ». A la conférence préliminaire de Berne, du 5 au 7 décembre 1920, il représentait l'U.S.P.D avec Crispien, Ledebour et Rosenfeld. On le retrouve également à Vienne[67] en février 1921, pour la conférence constitutive. Il s'y fit remarquer par une intervention contre les « réparations » imposées à l'Allemagne, dans lesquelles il voyait une continuation de la guerre par des moyens économiques. Or, la guerre, c'est le désordre et l'injustice sur le plan international. Selon Hilferding, critiquer les réparations, ce n'était pas tomber dans le nationalisme et, à ce propos, il rappelait que lui-même et tous ceux qui se réunissaient pour fonder l'U.P.S. s'étaient toujours opposés à la guerre et au social-patriotisme. Mais, justement, d'un point de vue internationaliste, il était absurde d'obliger l'Allemagne à livrer par exemple le charbon - dont elle manquait - pour réduire au chômage des mineurs du pays de Galles ou de Belgique. De même, la livraison de bateaux provoquait une crise dans la construction navale des pays de l'Entente. Il montrait, d'un autre côté. la situation misérable du prolétariat allemand et combien il allait être vulnérable à la propagande des agitateurs nationalistes[68]. Les socialistes patriotes qui avaient approuvé, voire signé, les décisions de la « Conférence de la Paix » préparaient donc une nouvelle catastrophe ; mais les dirigeants de la IIIe Internationale allaient malheureusement dans le même sens en proposant à la bourgeoisie allemande une alliance avec la Russie soviétique. Cependant, l'U.P.S. n'eut qu'une vie brève, de 1921 à 1923, et, faute de pouvoir pratiquer sa doctrine, Hilferding en était réduit au rôle de Cassandre.
Ce fut sans doute, pour une part, le souci d'éviter l'inefficacité de ceux qui ont raison tout seuls qui incita Hilferding à rejoindre, en septembre 1922, au congrès de Nuremberg, le parti socialiste majoritaire et ses sociaux-patriotes. Ainsi, à la grande déception de ses amis restés à Vienne, Hilferding qui, selon une expression de Trotsky, était arrivé en Allemagne « en révolté[69] », évoluait de plus en plus vers la droite. Il entraîna avec lui la majorité de ce qui restait de l'U.S.P.D. Mais la gauche de ce parti, animée par Ledebour et par Théodore Liebknecht, refusa la fusion et lança un nouvel hebdomadaire dont le titre annonçait la couleur : Klassenkampf.
Dès lors, Hilferding fit carrière dans le grand parti socialiste. Naturalisé depuis 1920, il fit partie, de 1920 a 1925, du Reichswirtschaftrat et devint ministre des Finances dans le cabinet Stresemann constitué en août 1923 ; mais la bourgeoisie, effrayée par les mouvements de grève et plus généralement par ce qu'elle croyait être « le climat de novembre 1918 » (Novemberstimmung), exigea la démission de Hilferding, jugé par elle trop à gauche. On lui reprochait aussi de n'avoir présenté par écrit aucun projet précis ; il avait pourtant préparé soigneusement une réforme de la fiscalité et, entre temps. il avait vainement tenté de faire indexer le mark. Il fut remplacé, le 6 octobre 1923, par le populiste Luther. En 1921. Hilferding fut élu député au Reichstag et conserva cette fonction jusqu'à l'arrivée de Hitler au pouvoir. Cette même année 24, ayant dû abandonner la direction de la Freiheit en même temps qu'il rejoignait les rangs des socialistes majoritaires, il devint (et restera également jusqu'en 1933) directeur de la revue Die Gesellschaft[70]. Il semble toutefois que Hilferding épuisa rapidement les délices de l'activité politique pratique. Comme Kautsky avait quitté définitivement Berlin pour Vienne, il se sentait un peu isolé ; il souhaitait qu'Otto Bauer vint le voir à l'occasion d'un de ses déplacements et il regrettait de n'avoir plus assez de temps pour se livrer aux recherches théoriques ; il désirait reprendre et élargir sa théorie de l'argent (Geldtheorie) et étudier la signification des récentes crises financières aux U.S.A. et en Angleterre pour savoir quelles conclusions on pouvait en tirer en ce qui concernait l'influence de la Banque centrale sur la conjoncture[71]. On voit par là que Hilferding, une nouvelle fois. se montre bon disciple de Marx : pas plus que ce dernier ne considérait le Capital comme une œuvre définitive - puisqu'il aurait souhaité réviser le Livre I plutôt que d'écrire les suivants -, Hilferding ne prétend avoir « tout prévu », tout analysé ni encore moins avoir écrit une quelconque Bible. Il pense sans doute, comme Otto Bauer[72], que « chaque génération, chaque âge et chaque milieu culturel a son Marx », ou du moins qu'ils devraient l'avoir. Malheureusement, Hilferding ne semble pas avoir dépassé le stade du regret et on ne peut suivre concrètement l'évolution de sa pensée que par ses articles ou par ses discours. A ce propos, il convient de faire une place à part à son intervention au congrès du parti socialiste de Kiel, en mai 1927[73]. Examinant d'abord « le capitalisme après la guerre », il exprime l'opinion que l'effondrement du système capitaliste n'a rien de fatal, qu'on ne peut l'attendre de la contradiction de ses lois internes mais seulement de l'action consciente de la classe ouvrière. Les économistes bourgeois ont vu, poursuit-il, dans l'amélioration de l'économie, la preuve de l'erreur et de l'échec du marxisme, alors que le passage du capitalisme de la libre concurrence sous le règne des lois aveugles à un capitalisme organisé par le moyen des cartels et des trusts internationaux ne fait que hâter l'heure où un Etat démocratique pourra contrôler l'économie (ce qni est, pour Hilferding, le but pisé par les marxistes). Il n'est pas vrai que le capitalisme moderne ne soit pas en mesure d'augmenter réellement les salaires ; cette impossibilité n'était le fait que du capitalisme primitif. De même il n'est pas vrai que tout Etat doive être détruit : aux mains de la classe ouvrière, l'Etat peut être un instrument de direction de l'économie dans l'intérêt de tous. La force ne doit avoir qu'un rôle défensif et, pour se moquer des nostalgiques de la violence, il leur attribue ce mot d'Otto Bauer : « Le socialisme ne me plaît pas si je ne puis employer la violence pour le réaliser. » A un interrupteur qui lui demande : « A quoi sert le parti, alors? », il répond aussitôt : « Si vous n'avez pas compris que la sauvegarde de la démocratie et de la République est pour le parti la tâche la plus importante et la plus utile, vous n'avez pas compris l'A.B.C. de la politique. » Il rappelle qu'il a lutté, en son temps, contre la soumission aux vingt-et-une conditions de Moscou et, à ceux qui dénoncent « les illusions démocratiques »,il répond que ce qui est aujourd'hui dangereux, ce sont les illusions antidémocratiques, quand l'ensemble de la réaction en Allemagne est en train de s'unir contre la démocratie et pour le fascisme » (gegen die Demokratie und für Faschismus einigen). Les élections du 20 mai 1928 semblent donner raison aux partisans de la voie parlementaire : les sociaux-démocrates gagnent 1 300 000 voix, alors que les nationaux-socialistes, perdant 100 000 poix, n'en ont plus, en tout, que 810 000, contre 9 153 000 aux sociaux-démocrates. Après de longues négociations. Hermann Müller, qui avait déjà été chancelier en 1920, forme un cabinet de grande coalition. Hilferding occupe le ministère des Finances. Une nouvelle fois, le 6 décembre 1929, il devra démissionner. Il négociait, en effet, avec la banque américaine Dillon l'octroi d'un crédit à court terme pour assurer le traitement des fonctionnaires ; la banque américaine demanda à la Reichsbank si elle était d'accord pour ce crédit ; le directeur de la Reichsbank, Schacht, qui exigeait, avant tout nouvel emprunt, des mesures de déflation, répondit par la négative, et Hilferding ne put que s'effacer[74]. Cet incident permet de comprendre l'attitude étonnante de Hilferding lorsque en 1933 Hitler devint chancelier, Dans sa préface, Pietranera cite un témoignage, rapporté par P.M. Sweezy, qui nous montre un Hilferding gardant la tête froide, les pieds au chaud dans ses pantoufles ; selon lui, il ne s'agissait que d'un gouvernement de coalition comme un autre ; Hindenburg était toujours président de la République[75]. Mais c'est le professeur Paul F. Lazarsfeld qui nous donne, semble-t-il, la clé de cet étrange optimisme. Le 30 janvier, tandis que Lazarsfeld donnait une conférence, on vint annoncer l'arrivée de Hitler à Berlin ; de sept heures du soir à une heure du matin, les hommes du Casque d'Acier, noyés au milieu des sections d'assaut, dont les bataillons n'étaient séparés que par des cliques militaires, défilèrent en une immense retraite aux flambeaux[76]. Selon Lazarsfeld, Hilferding ne prit pas cette mascarade au sérieux. A son avis. le pouvoir de Hitler ne pouvait durer plus de six ou huit semaines : dès qu'il toucherait à la Reichsbank, il serait rejeté par la bourgeoisie capitaliste. On voit par là que Hilferding exagérait considérablement la signification de sa propre éviction du ministère des Finances par le directeur de la Reichsbank. Toutefois, il dut bientôt se rendre à l'évidence ; pour échapper à la Gestapo, il se cacha chez un ami et, à la fin de mars 1933, le député socialiste Otto Eggerstedt - qui devait plus tard être tué par les nazis - le fit passer au Danemark, d'où il rejoignit la Suisse. Il vécut à Zurich jusqu'en 1938. Il y vécut dans le dénuement, car au lieu de chercher un travail rémunéré comme professeur d'économie politique ou comme expert économique, il voulut consacrer tout son temps et toutes ses forces à la poursuite du combat politique. Il participa à l'activité de l'Internationale[77] et du parti socialiste allemand. dont la direction s'était réfugiée en Tchécoslovaquie ; il écrivit un grand nombre d'articles[78], parfois sous le pseudonyme de Kern. Herbert Marcuse, qui de 1930 à 1933 avait écrit un certain nombre d'importants articles dans la Gesellschaft[79], le rencontra à Zurich peu après la prise de pouvoir par Hitler. Ils eurent ensemble une longue conversation, au cours de laquelle Marcuse lui demanda si l'instauration du nazisme l'avait amené a mettre en question la justesse de la politique de la social-démocratie. Hilferding répondit par la négative[80]. D'après d'autres témoignages, au contraire, le succès de Hitler aurait incité Hilferding à changer toute la philosophie et les principes de la social-démocratie allemande. Il aurait pensé, en particulier, que seul un combat révolutionnaire pouvait renverser la dictature hitlérienne et empêcher la guerre. Il fit inscrire, en janvier 1934, dans le programme de Prague de la social-démocratie allemande, que « la classe ouvrière devait employer tous les moyens pour conquérir et pour conserver le pouvoir politique[81] ». C'était là répudier avec éclat le réformisme traditionnel de la social-démocratie allemande. Il se peut toutefois que cette « nouvelle ligne» ne comportât pas la condamnation de la politique passée qui s'exerçait dans d'autres conditions. Il n'y a pas de tactique valable pour tous les temps, et on ne trouvait guère de réformistes qui estimaient que le despotisme hitlérien pourrait être renversé sans violence. La grande victoire de Hitler ne fut pas tant de vaincre ses adversaires qu'en un sens de les vaincre dans leur doctrine même, de mettre en doute leur foi dans l'efficacité de la rationalité pacifique.
En 1938, Hilferding rejoignit à Paris son ami Breitscheid, avec qui, tout au long de sa carrière politique en Allemagne, bien que de tempérament différent, il s'était senti en accord ; ils avaient notamment pris les mêmes options au sein du parti socialiste indépendant d'Allemagne (U.S.P.D.). Breitscheid était très lié avec plusieurs socialistes français : il était l'ami de Léon Blum et Pierre Viénot lui laissait la disposition de son appartement, rue Cognacq-Jay[82]. On sait peu de choses de la vie de Hilferding à Paris. Le Populaire le cite parmi les socialistes allemands qui assistèrent aux obsèques d'Otto Bauer, au Père-Lachaise. le 6 juillet 1938[83].
En juin 1940, Breitscheid et Hilferding, comme le gouvernement et beaucoup de Français, fuirent vers le sud de la France. Ils étaient munis d'un visa exceptionnel tchèque qui, en temps normal, aurait dû leur permettre de partir pour les Etats-Unis, mais maintenant il y manquait un cachet (Sichtvermerk)[84] des autorités françaises et il leur était impossible de s'embarquer. Ils envisagèrent la possibilité de franchir illégalement[85] la frontière espagnole, mais ils y renoncèrent, craignant sans doute d'être immédiatement livrés par Franco à Hitler. Heinrich Mann se sauva pourtant de cette façon, mais le sort d'un homme politique aurait peut-être été différent. Ils tentèrent aussi de retourner en Suisse pour y prendre l'avion de Lisbonne, mais sans doute ne purent-ils atteindre cette frontière. En désespoir de cause, ils cherchèrent à obtenir un visa de sortie des autorités françaises par des démarches auprès de Vincent Auriol et de Léon Blum, qu'ils purent retrouver aux environs de Toulouse. Voici le récit de Vincent Auriol :
« Dans l'après-midi du 25 juin, mon secrétaire fait entrer dans mon cabinet[86] la fille d'Hermann Müller, ancien président du Conseil de la République allemande et signataire du traité de Versailles, Hilferding et Breitscheid, qui furent ses collaborateurs. Mme Breitscheid les accompagne.
« Un instant de surprise, non d'étonnement. Je comprends. J'ai lu cette clause de la convention d'armistice : « Le gouvernement français est tenu de livrer, sur demande, tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich et qui se trouveront en France ou dans les possessions françaises » (Art. 19).
« Breitscheid et Hilferding ne se font pas d'illusion. Hitler va les réclamer. Le gouvernement les lui livrera. Ils veulent aller en Amérique.
« ( ... ) C'est au cours des conférences socialistes internationales réunies pour étudier et essayer de résoudre le problème des réparations dans l'intérêt de la démocratie et de la paix que j'ai connu Müller, Breitscheid et Hilferding. Je peux porter témoignage de leur amitié pour la France[87]. Ils l'ont prouvé en méritant la haine du nationalisme et des magnats allemands. (...) Grand économiste, c'est par conviction républicaine et socialiste qu'Hilferding désirait une organisation démocratique de l'Europe. (...) Hilferding et Breitscheid se réfugièrent en France. Hitler les déclara déchus de la nationalité allemande. Il les fit condamner à mort par contumace. Depuis sept ans, ils vivaient péniblement à Paris[88].
« Aujourd'hui, le bourreau les réclame. Grâce au dévouement d'un fonctionnaire courageux, ils ont obtenu un laissez-passer pour aller de Bordeaux a Sète. On les a refoulés. Ils n'espèrent plus se sauver, mais ils ne veulent pas être livrés vivants : Breitscheid s'est procuré un poison, Hilferding un revolver.
« Après trois jours de démarches, d'inquiétudes et d'espoir, j'ai pu les faire conduire jusqu'à Marseille.
« A Vichy, pendant les séances de l'Assemblée nationale, Marx Dormoy essaiera d'obtenir de Marquet, qui les avait connus au temps où il était socialiste, les papiers nécessaires à leur départ de France. Rien ne fut fait[89].
Léon Blum écrit de son côté :
« Une clause de l'armistice (...) obligeait le gouvernement français à livrer aux mains de Hitler, sur simple réquisition, les ex-citoyens du Reich, même ceux que les nazis avaient fait déchoir, par décrets nominatifs, de la nationalité allemande. Cette clause infâme, qui suffirait au déshonneur des hommes qui y ont souscrit, était, en effet, l'une de celles que les plénipotentiaires français avaient accueillies avec un semblant de protestation. Mussolini y avait dédaigneusement renoncé, mais Hitler l'avait férocement maintenue, et le gouvernement de Pétain s'était incliné devant la volonté du vainqueur en feignant de tenir pour valable une très vague assurance donnée de vive voix, et à titre privé, par le maréchal Keitel[90]. Tous les exilés et proscrits allemands pouvaient donc tomber, d'un jour à l'autre, sous le coup de cet engagement qui subsistait dans sa teneur littérale. J'avais vu à L'Armurier[91] mes vieux amis Breitscheid et Hilferding. Passant de ville en ville avec leurs femmes, et aussi avec la fille d'Hermann Müller, que les Breitscheid avaient comme adoptée[92], ils s'étaient arrêtés pendant quelques jours prés de Toulouse, et Vincent Auriol les avait accueillis à Muret. Breitscheid, dont le fils unique était déjà prisonnier des nazis depuis leur entrée à Copenhague, m'avait dit : « Nous avons du poison, ma femme et moi. Sous ne tomberons pas sous leurs griffes... » Vincent Auriol et moi avions alors essayé de régler leur voyage par étapes jusqu'à Marseille puis leur embarquement pour les Etats-Unis, mais nous n'avions réussi à exécuter que la première partie du programme.
« Voilà de quoi Dormoy était allé s'entretenir avec Marquet. Si bas que fût tombé notre ancien camarade[93], l'idée de livrer aux bourreaux des hommes qui s'étaient confiés à l'hospitalité française lui faisait pourtant horreur : « Prenez les devants, lui répétait Dormoy ; faites-les filer en douceur avant que Hitler vous les réclame ; car il les réclamera un jour ou l'autre, les bons propos de Keitel ne l'engagent à rien. Délivrez bien vite les passeports ; au besoin, faites établir de faux états civils ; autorisez ou préparez les passages. Tout cela n'est qu'une très simple affaire de police... » Marquet avait promis, mais je doute que les promesses aient été entièrement tenues. Au moment où j'ai été arrêté[94] les Breitscheid, les[95] Hilferding, la petite Birmann - la fille d'Hermann Müller - n'avaient pas encore quitté la France[96]. »
En effet les Breitscheid, Erika Müller et Hilferding se trouvaient toujours à Marseille, attendant un visa. C'est là, en particulier, que Alexander Stein rencontra Hilferding, qu'il trouva très découragé. Ne comptant plus partir légalement, ils s'étaient laissés convaincre, par des amis américains qui appartenaient à un comité d'entr'aide aux juifs, de s'embarquer sur un bateau à destination de Casablanca ou (selon Kurt Kersten) d'Oran. Mais, la veille de l'arrivée de ce bateau, ils furent refoulés à Arles et consignés à l'hôtel Forum. Mlle Catherine Augier qui s'occupait à l'époque de l'hôtel avec son frère, se souvient encore bien de l'arrivée de Hilferding et même du numéro de la chambre qu'il habitait. Hilferding et ses compagnons menaient une vie très tranquille et parlaient peu. Ils travaillaient dans leurs chambres ; cependant ils étaient libres de sortir de l'hôtel à tout moment ; ils en profitaient pour faire de petites promenades et surtout pour fréquenter la bibliothèque d'Arles. M. Fernand Benoit[97], qui fut conservateur de cette bibliothèque pendant l'occupation de la zone nord, écrit qu'ils ne venaient qu'irrégulièrement, car le fonds de la bibliothèque n'était pas riche ; ils consultaient surtout des livres de littérature courante. Dans sa chambre, Hilferding travaillait à une étude sur la conception moderne de l'Etat[98]. Cependant sa situation était, comme on s'en doute, précaire : une première fois, le 17 décembre 1940, le gouvernement allemand demanda son extradition ainsi que celle de Breitscheid. Il semble que le gouvernement français fit la sourde oreille tant que Pierre-Etienne Flandin fut ministre des Affaires étrangères, du 13 décembre 1940 au 8 février 1941. En tout cas, la date de l'arrestation de Hilferding (8 février) concorde avec celle du remplacement de Flandin par l'amiral Darlan,. Kurt Kersten de son côté affirme que Breitscheid et Hilferding furent les premières victimes du renforcement de la politique de collaboration[99]. Cependant, durant leur séjour à Arles, Breitscheid et Hilferding - selon le témoignage du sous-préfet d'alors, M. Jean des Vallières[100] - n'étaient pas particulièrement inquiets et semblaient même avoir confiance en certaines assurances qui leur auraient été données. M. des Vallières leur fit savoir à plusieurs reprises, à titre privé, qu'il n'avait aucun moyen de les protéger et il insistait auprès d'eux pour qu'ils prennent le large à temps[101]. De son côté, un ami américain, du nom de Varion Bry, au début de février 1941, avait retenu pour eux des places sur un bateau en partance pour la Martinique. Il semble, d'après Kersten, que ce départ avait été autorisé, sinon préparé par Pierre-Etienne Flandin, qui cherchait à lutter contre l'ingérence de l'ambassadeur allemand Abetz dans les affaires françaises. La demande d'extradition du 17 décembre avait été renouvelée deux fois et il était urgent d'agir. Hilferding et ses compagnons purent aller à Marseille avec l'accord explicite du sous-préfet ; ils y firent tout ce qui était nécessaire pour leur voyage ; Erika Müller, qui put, elle seule, gagner les Etats-Unis, en guise d'adieu posta à l'adresse de M. Benoit, conservateur de la bibliothèque d'Arles, une carte postale non signée représentant un paquebot. Confiants, les réfugiés revinrent à Arles pour faire leurs bagages mais, à peine étaient-ils revenus qu'on leur demanda de rendre leurs passeports et leurs visas de sortie ; ils furent dès lors l'objet d'une surveillance sévère ; il est probable que les services allemands avaient eu vent de ce départ et avaient donné des ordres par-dessus la tête de Flandin, qui allait, en même temps, être destitué. Quoi qu'il en soit, dans la nuit du 8 février, deux inspecteurs français en civill[102] venus de Vichy se présentèrent a l'hôtel Forum et demandèrent aux deux hommes (Breitscheid et Hilferding) de les suivre au commissariat. Là, on leur fit savoir qu'on voulait les transférer en lieu sûr pour les soustraire à la Gestapo. Ce récit de Kersten est confirmé par Mme Viénot : « Lui-même (Hilferding) et Breitscheid ont en effet été arrêtés par la police française à l'hôtel Forum à Arles. J'y suis allée (...) pour voir Mme Breitscheid, qui m'a raconté toute la tragédie de cette arrestation, avec toute l'hypocrisie (ou la naïveté) des policiers leur assurant que jamais on ne les livrerait aux hitlériens. que c'était une insulte à la France que de supposer chose pareille[103]. » On peut, en effet, supposer que les policiers donnaient ces assurances pour se faciliter la tâche, ou bien que cette ruse était le fait des autorités responsables, en haut lieu, de l'arrestation, qui redoutaient peut-être que les policiers français ne s'arrangent pour laisser s'échapper les deux socialistes allemands. En fait, ils furent conduits à Vichy dans les locaux de la Sûreté nationale et on se contenta de hausser les épaules quand ils demandèrent quel allait être leur sort. Le 10 février, on leur fit connaître la demande d'extradition des autorités allemandes. Malgré les démarches de Mme Breitscheid, à laquelle, sur sa demande instante, les policiers avaient accordé, de mauvaise grâce, la permission de suivre son mari, Breitscheid et Hilferding furent remis, le même jour, au représentant de la police allemande auprès du gouvernement de Vichy, Hugo Geissler. Ce dernier s'écria en les voyant, vulgaire et méprisant : « Eh bien, les voilà, vos social-démocrottes[104]. » Sous les yeux de Mme Breitscheid, les deux hommes durent monter dans deux voitures séparées. A la prison de la Santé, ils se revirent un bref instant et Hilferding eut le temps de dire à Breitscheid que, durant le voyage, il avait été sauvagement frappé. Ils furent enfermés dans deux cellules différentes. Toutes les deux ou trois minutes, le veilleur regardait par le judas et éclairait violemment la pièce. Le lendemain matin, alors qu'il avait été conduit dans le bureau du directeur, Breitscheid entendit par hasard un employé dire à son collègue : « L'autre, je n'ai pu le mettre sur pied » (Den andern habe ich nicht hochgekriegt)[105]. Breitscheid[106] et Hilferding ne devaient plus se revoir.
On ne sait rien de précis sur la mort de Hilferding. Si on se fonde sur la phrase entendue par Breitscheid, on incline à penser que Hilferding avait réussi à s'empoisonner avec un somnifère. C'est la version que retiennent notamment Kurt Kersten et Alexander Stein, lequel précise que Hilferding employa sans doute du véronal caché dans ses vêtements. Ensuite. ces auteurs pensent qu'il fut transporté dans un hôpital militaire où il fut laissé sans soins jusqu'à ce qu'il meure ; selon une autre version, il survécut à l'empoisonnement mais succomba à une pneumonie. De son côté, Vincent Auriol écrit que Hilferding se pendit dans sa prison[107] ; c'est également ce qu'a entendu dire Mme Viénot, mais cela parait peu vraisemblable si on tient pour vraie l'étroite surveillance dont les prisonniers firent l'objet à la Santé. Aufhäuser pense au contraire qu'Hilferding n'était pas homme à se suicider et retient le récit de Högner selon lequel il aurait été précipité par la Gestapo du haut d'une fenêtre et se serait écrasé dans la rue[108]. C'est également cette dernière version que Mme Zerner nous a dit avoir entendue, mais elle ne sait pas si Hilferding se jeta ou fut précipité d'une fenêtre ou dans une cage d'escalier. D'après Kersten, il fut enterré dans la division protestante du cimetière du Père-Lachaise. Or, il n'y a pas de division protestante au Père-Lachaise et, de toute façon, aucun Hilferding ne figure sur les registres du cimetière, ni parmi les enterrés ni parmi les incinérés. La prison de la Santé a, toutefois, conservé un registre dont le dépouillement a permis de relever, à la date du 10 février 1941, un acte d'écrou au nom de Rudolf Hilferding, et, à celle du 11 février, le transfert du même Hilferding à l'infirmerie spéciale des prisons de Fresnes où on perd sa trace, Ces derniers renseignements qui nous ont été communiqués par le ministère de la Justice semblent confirmer la version de l'empoisonnement.
Quelques semaines après l'arrestation, deux membres de la Gestapo accompagnés de deux policiers français en civil vinrent chercher à l'hôtel Forum d'Arles les vêtements d'hiver de Breitscheid. Ce fut seulement de cette façon indirecte que fut connue la mort de Rudolf Hilferding[109].
Situation du « Capital financier »[modifier le wikicode]
Dans les pays de langue allemande, l'ouvrage de Rudolf Hilferding a été souvent considéré comme le quatrième volume du Capital de Marx[110]. Certes, il ne faut pas prendre à la lettre une telle affirmation. En 1865, Marx avait signé un contrat qui l'engageait a livrer a Otto Meissner, éditeur à Hambourg, dans un délai de deux mois, les « quatre livres » du Capital[111]. En fait, le Livre IV, concernant l'Histoire de la théorie, ne fut publié qu'entre 1905 et 1910 par Kautsky en trois tomes. Mais Kautsky édita les Theorien Über Mehrwert (Théories sur la plus-value)[112] à part et non comme quatrième Livre du Capital. Aussi bien fut-il le premier à considérer le Capital financier de Rudolf Hilferding comme le véritable quatrième Livre du Capital de Marx[113]. Si l'on se reporte aux premiers plans généraux de « l'économie » établis par Marx[114], on constate en effet que l'ouvrage de Hilferding aborde un certain nombre de questions - par exemple des diverses formes du crédit et du rôle de l'Etat dans l'économie - que Marx avait primitivement envisagé d'étudier mais qu'il n'avait pu traiter à fond dans le Capital[115]. Cependant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que Hilferding a surtout cherché à refaire les Livres II et III du Capital de Marx en tenant compte de phénomènes économiques inexistants ou encore invisibles du temps de Marx. Il écrit en effet un peu plus loin dans son livre, avec la révérence qui convient : Marx « a prédit la domination des banques sur l'industrie, le phénomène le plus important des temps modernes, alors que les germes de cette évolution étaient il peine visibles[116] » Mais, comme bien l'on pense, il y a une différence entre « prédire » un phénomène et l'analyser concrètement comme une catégorie économique distincte. Marx avait écrit en effet : « (. .. ) Si derrière le producteur de marchandises, il y a un capitaliste financier qui avance au capitaliste industriel du capital-argent (au sens le plus strict du mot " de la naleur-capital sous la forme monétaire), le point de reflux de cet argent est la poche de ce capitaliste financier. Ainsi, quoique l'argent passe plus ou moins par toutes les mains. la masse de l'argent en circulation appartient à la section du capital monétaire qui est organisée et concentrée sous forme de banques, etc.[117]. » C'est justement cette organisation et cette concentration que Hilferding analyse en détail, mais, pour qu'on puisse mieux situer, l'une par rapport à l'autre, l'œuvre de Marx et celle de Hilferding, il est utile de les comparer d'abord dans leurs grandes lignes.
Dans une lettre à Lassalle, du 11 mars 1858, Marx explique très bien comment s'articulent les trois Livres du Capital : « Processus de production. Processus de circulation. Unité des deux. » Ce troisième Livre, Marx l'avait finalement intitulé : « Les formes du processus d'ensemble » ; Engels modifia légèrement la formulation : « Le processus d'ensemble de la production capitaliste. » Hilferding, quant à lui, ne reprend pas les analyses du premier Livre : « Ce qui nous intéresse ici, écrit-il, c'est seulement le changement de forme de la valeur, non sa formation. » Or le changement de forme est du domaine de la circulation tant de l'argent que des marchandises, ce qui pose le problème de leurs rapports, sinon de leur enchevêtrement, à mesure que se développent les sociétés par actions et les grandes banques. Ces derniers développements ne mettent nullement en question l'analyse de la plus-value (que Hilferding tient pour acquise), ni la description historique de l'accumulation primitive qui font l'objet du premier Livre du Capital, mais il n'en est pas de même pour « le mouvement circulaire du capital ». A ce niveau sont apparus de nouveaux phénomènes caractéristiques du capitalisme « moderne », notamment des phénomènes de concentration au moyen de cartels et de trusts, qui obligent à mettre en question « la libre concurrence », Cette concentration est, en même temps, cause et effet d'une liaison plus étroite entre capital bancaire et capital industriel, d'où résulte le « capital financier » que Hilferding conçoit comme la « manifestation la plus haute et la plus abstraite » du capital. Pour faire comprendre ce qu'il entend par « capital financier », Hilferding, dans la troisième partie de son livre, reprend une comparaison irrévérencieuse que Marx avait déjà utilisée pour symboliser l'union de la plus-value et du capital : « Le capital industriel est Dieu le Père qui a libéré le capital commercial et bancaire comme Dieu le Fils, et le capital-argent est le Saint-Esprit. Ils sont trois, mais pourtant un seul dans le capital financier. » Un peu plus loin, il abandonne l'image théologique et recourt à la triade dialectique de la logique hégélienne : « Un hégélien pourrait parler de négation de la négation - le capital bancaire était la négation du capital usuraire et lui-même à son tour est nié par le capital financier. Ce dernier est la synthèse du capital usuraire et du capital bancaire et s'approprie, à un niveau infiniment plus élevé du développement économique, les fruits de la production sociale. » Plus précisément, le capital financier est le capital bancaire en tant qu'il fait fonction de capital industriel.
Pour mener à bien l'étude de cette nouvelle catégorie économique, Hilferding devait donc analyser les formes juridiques des entreprises industrielles modernes. Mais, pour décomposer, en ses éléments les plus simples, la société par actions, il devait. par une démarche régressive, décrire les formes du crédit et élaborer une théorie monétaire, d'où son plan en cinq parties : 1) Théorie de l'argent. 2) Analyse des sociétés par actions. 3) Les limitations de la libre concurrence par les cartels, trusts et monopole. 4) L'étude des crises qui surviennent malgré la réglementation monopolistique de la production. 5) L'impérialisme. Cette dernière partie est différente des quatre premières, qui se situaient au niveau de l'analyse théorique. A la fin de son ouvrage, Hilferding veut montrer quelle influence les nouveaux phénomènes qu'il vient de décrire scientifiquement exercent sur la politique des grandes classes de la société bourgeoise. C'est cette cinquième partie qui fut la plus remarquée et approuvée à l'époque de la parution. Quoi qu'il en soit, on peut remarquer que l'ouvrage de Hilferding - même s'il déborde le champ d'étude de Marx, auteur du Capital - ne peut être considéré comme un quatrième volume mais bien plutôt comme une refonte des Livres II et III. Cette reprise de l'analyse du capitalisme ne se distingue pas seulement de celle de Marx parce que de nouveaux phénomènes sont étudiés, mais souvent par une autre conception de la réalité économique et par une contestation de quelques-unes des plus importantes conséquences des thèses de Marx.
En ce qui concerne d'abord la théorie de l'argent, Hilferding abandonne la thèse de la monnaie conçue comme une marchandise. Frappé par les variations, observées en Autriche, en Hollande et en Inde, entre le prix du métal-argent et celui des pièces d'argent, il en conclut que, par exemple, la valeur du florin est « le reflet de la valeur de la totalité des marchandises en circulation » (à vitesse de circulation égale) ou plus généralement que le « cours » de l'argent est déterminé par ce qu'il appelle « la valeur de circulation socialement nécessaire »[118]. Cela ne signifie pas, comme on l'a parfois cru[119], que le cours de l'argent soit une convention arbitraire : « Personne n'expliquera jamais », écrit Hilferding, « comment l'Etat peut donner, ne serait-ce que pour un centime, à un billet ou à un gramme d'argent un plus grand pouvoir d'achat par rapport aux vins, aux bottines, aux boîtes de cirage, etc., sans compter que, chaque fois qu'il a essayé, il n'a pas réussi. » En 1910, les critiques marxistes du Capital financier se concentrèrent sur la théorie monétaire de Hilferding, dans laquelle ils ne voulaient voir qu'une théorie autrichienne de la monnaie ou un retour à Ricardo. En revanche, dans la seconde partie, l'analyse économique et sociologique de la société par actions parut à tous et apparaît encore aujourd'hui comme une contribution importante et originale par rapport au Capital.
Assurément. la description de Hilferding semblera maintenant classique, sinon banale. C'est la rançon d'un succès dont Proust par exemple a finement démontré le processus à propos de la sonate de Vinteuil. Toute nouveauté est vue d'abord comme « anormale » au sens durkheimien du terme, mais, si elle a une valeur « normative », elle secrète bientôt son public, ses disciples et ses plagiaires. Dans les pays de langue anglaise et de langue française surtout, les épigones ont pris l'habitude de se citer les uns les autres sans plus jamais se référer au texte, non traduit, du Capital financier.
Hilferding était d'ailleurs conscient de son apport a la théorie marxiste et il écrivait sans fausse modestie : « Notre conception de la société par actions va plus loin que celle développée par Marx. » En effet, Marx n'avait pas considéré le dividende comme une catégorie économique spéciale et avait ainsi laissé en dehors de son étude le bénéfice des fondateurs (Gründergewinn). Hilferding explique les raisons de la tendance actuelle à substituer aux entreprises individuelles des sociétés par actions. Le capitaliste double son pouvoir en transformant sa société personnelle en société par actions puisqu'il lui suffit d'y conserver la moitié de son capital pour en garder l'entier contrôle. Avec le capital qu'il a ainsi retiré (et remplacé par la vente d'actions a des tiers), il peut fonder des filiales selon le même processus, étant entendu que souvent la possession d'un tiers et même d'un quart du capital suffit à lui assurer le contrôle total d'une société. En effet, on peut créer deux sortes de participation au financement : les actions et les obligations sans droit de vote. Le capitaliste établit ainsi un véritable pouvoir de décision sur le capital étranger. Ce pouvoir de décision sur le bien d'autrui est bien plus important qu'un titre de propriété, puisqu'il est une expropriation invisible[120] et que même les petits porteurs ont l'illusion de partager la propriété de la société par actions et de participer a sa gestion. De là vient qu'une société par actions trouve plus facilement à emprunter qu'un capitaliste individuel. Mais ce ne sont pas là les seuls avantages de la société par actions. Cette dernière permet en effet aux fondateurs de s'approprier une partie de la plus-value, après déduction des frais et le paiement d'un taux d'intérêt aux autres actionnaires. C'est le fameux « bénéfice des fondateurs », qui n'est, dit Hilferding, « ni du brigandage, ni une indemnité, ni un salaire, mais une catégorie économique spéciale ». Il naît, à chaque fondation de société par actions, de la transformation du capital productif rapportant du profit en capital fictif portant intérêt. Ainsi, l'analyse de cette nouvelle catégorie économique fait apparaître comme caduque la distinction établie par Marx entre le capitaliste qui prête du capital et « se contente d'un intérêt, tandis que le capitaliste industriel empoche le profit d'entrepreneur[121] ».
La description que fait ensuite Hilferding du fonctionnement de la Bourse et de la concentration industrielle au moyen des cartels et des trusts est également classique, mais la conclusion qu'il en tire peut être considérée comme une contestation radicale d'une des thèses fondamentales du Capital de Marx : celle de l'écroulement nécessaire du système capitaliste[122].
Toutefois, la conception de Hilferding est souvent présentée, d'une façon incorrecte, comme l'antithèse exacte de celle de Marx, comme si Hilferding prétendait que l'instauration du socialisme devait automatiquement résulter du développement graduel du capitalisme. Cette thèse - qui semble retenue par Jaurès dans le texte cité au début de cette introduction et qui sera celle de Kautsky, théoricien de l'ultra-impérialisme - a été ensuite accréditée par la pratique politique de Hilferding en Allemagne après la première guerre mondiale et surtout par les tenants de la IIIe Internationale, mais elle n'est pas celle du Capital financier, écrit tout à fait au début du siècle.
Dans le chapitre XX, intitulé « Changements dans le caractère des crises - Cartels et crises », Hilferding insiste bien sur le fait que les trusts ne peuvent empêcher les crises. Sur ce point, il reste en accord avec ce qu'avait écrit Marx en 1865 : « Toute idée d'un contrôle commun, général et prévoyant de la production des matières premières (...) est, dans l'ensemble, incompatible avec les lois de la production capitaliste et ne reste qu'un pieux désir ou se limite à des mesures communes prises exceptionnellement aux moments de péril extrême. » En publiant ce texte, dans le Livre III du Capital, Engels ajoute, en 1894, que les capitalistes sont devenus conscients des dangers de la concurrence, mais que les trusts ne peuvent réussir à réglementer la production et qu'ils ne peuvent avoir qu'une fonction : « veiller à ce que les petits soient mangés par les gros plus rapidement encore que par le passé[123]. » C'est exactement ce que soutient Hilferding[124]. Selon lui, les cartels ne suppriment pas les effets des crises, ils les modifient seulement (comme d'ailleurs l'indique le titre du chapitre : « Changements dans le caractère des crises ») en ce sens qu'ils rejettent tout le poids des crises sur les industries non cartellisées. La raison que Hilferding donne de cette incapacité des trusts est que les crises ne résultent pas simplement d'une surproduction de marchandises[125], mais aussi du capital. En d'autres termes, les crises sont consubstantielles au capitalisme en ce sens que les conditions de mise en valeur du capital entrent périodiquement[126] en contradiction avec les conditions de sa réalisation. Il s'agit d'un trouble spécifique de la circulation en régime capitaliste. L'accroissement de la consommation entre en contradiction avec la réalisation du profit[127], ou, si l'on veut, le groupe des capitalistes, de moins en moins nombreux mais de plus en plus puissants, s'oppose nécessairement à la classe ouvrière et aux couches en voie de prolétarisation qui lui sont liées.
Néanmoins, le développement du capitalisme, malgré ses contradictions internes entre capitalistes et sa contradiction fondamentale entre le caractère social de la production et le caractère privé de l'appropriation, comporte selon Hilferding une tendance à l'organisation de la production par la suppression-dépassement (Aufhebung) de la concurrence. Ainsi le phénomène visible des crises dissimule le travail souterrain de la « vieille taupe » qui prépare les conditions d'une organisation rationnelle de l'économie mondiale d'où naîtrait une entente entre les nations.
Telle est la différence radicale entre Hilferding et ce que Raymond Aron a appelé « l'optimisme catastrophique » de Marx. Pour Hilferding, le socialisme s'obtiendra presque[128] par le passage à la limite d'une progression asymptotique, tandis que, pour Marx, il ne peut s'agir que de la brusque cassure d'un infini à l'autre.
L'explication économique de cette différence d'appréciation se trouve dans une différence d'analyse du taux de profit. Dans le Livre III du Capital, Marx établit, avec une certaine hésitation toutefois[129], ce qu'il appelle « La loi de la tendance à la baisse du taux de profit ». Ensuite, il analyse six ordres de phénomènes « contraires » à cette loi[130], qui, de ce fait, n'est plus présentée que comme une tendance (invisible). Hilferding, de son côté, insiste sur ce que Marx appelait les « influences contraires» : la diminution de la durée de la journée de travail, par exemple, est compensée par l'intensification du travail et, si la plus-value absolue baisse, la plus-value relative augmente. Dans certains secteurs de l'industrie de précision, la diminution du temps de travail était techniquement rentable pour le capitaliste, car l'attention des ouvriers a des limites. Il en résulte une conséquence qui n'est que rarement mise en évidence par les commentateurs : la vanité, d'après Hilferding, de la lutte syndicale en tant que telle[131]. Certes Hilferding sait visualiser la modification de la proportion entre capital constant (c) et capital variable (v), qui s'exprime par « le changement de l'image que présentaient la manufacture et la fabrique pré-capitaliste avec leurs groupes d'ouvriers serrés les uns contre les autres dans des ateliers exigus autour de quelques petites machines, en comparaison avec l'usine moderne où, derrière les immenses carcasses des automates, les petits hommes à peine visibles çà et là semblent toujours disparaître de nouveau ». Mais il remarque, en même temps. que la haute composition organique du capital (croissance de c par rapport à v) permet à l'entreprise moderne de mieux absorber une éventuelle hausse des salaires. D'un autre côté, la cartellisation rend les entreprises moins vulnérables aux grèves, auxquelles elles peuvent riposter par le lock-out, et leurs liens avec les banques peuvent leur permettre, pendant un certain temps, de tourner sans profit et même a perte. Enfin, le revenu des actions et des obligations étant ramené a un intérêt qui peut être faible, le bénéfice des fondateurs, quant à lui persiste sinon croît, ce qui va encore à l'encontre de la baisse du taux de profit. Ainsi, la lutte syndicale ne peut, dans les meilleures conditions, que ruiner une entreprise, non le capitalisme. En effet, une fois l'industrie cartellisée, une augmentation des salaires imposée par les syndicats est aussitôt compensée par une hausse des prix que la concurrence (supprimée par le trust) n'impose plus. De toute façon, ajoute Hilferding, comme le but de la production capitaliste est la production de profit par l'exploitation de la force de travail, la suppression de cette exploitation ferait apparaître à l'entrepreneur son activité comme absurde. Il arrêterait alors la production, transférerait ailleurs son activité et réduirait les ouvriers a la famine. « La lutte pour l'abolition complète de l'exploitation est ainsi en dehors du cadre des tâches proprement syndicales » et le « réformiste » Hilferding conclut, un peu plus loin, en affirmant que « la lutte à l'intérieur de la société bourgeoise passe par la lutte contre cette société elle-même » et que « la dictature des magnats du capital se transforme finalement en la dictature du prolétariat ».
Pour Hilferding, le capitalisme ne peut s'effondrer ni par l'action syndicale ni par ses prétendues contradictions internes, bien qu'il ne soit pas non plus capable d'éliminer ses crises périodiques. La tendance à l'effondrement établie par Marx serait plutôt selon Hilferding, nous l'avons déjà noté, une tendance à la rationalisation de l'économie. Mais la symétrie dans l'opposition n'est pas parfaite car, même si les lois économiques sont objectives, l'intervention politique des hommes n'en est pas moins possible, souhaitable et efficace. Toutefois, cette intervention ne peut se faire que de l'extérieur, par la médiation d'une puissance qui, dans l'état actuel du développement de la société, ne peut être que l'Etat. Pour Marx, l'Etat n'était qu'un instrument entre les mains de la classe bourgeoise et la libération de l'humanité passait par l'anéantissement de l'Etat ; il fallait briser cette machine pour qu'on puisse remplacer la domination sur les hommes par l'administration des choses. Pour Hilferding, au contraire, l'Etat tend à être une structuration rationnelle et consciente du corps social qui permettra une détermination dans l'intérêt de tous. L'action politique révolutionnaire consiste donc, non à détruire, mais à s'emparer de l'Etat pour réaliser une rationalisation de l'économie, que la cartellisation a préparée mais qu'elle ne saurait mener à terme.
Cette capacité organisationnelle de l'Etat, Hilferding ne la déduit pas d'une théorie abstraite : il l'a observée dans le développement impérialiste du capitalisme moderne.
A ce propos, il faut d'abord répondre à l'objection préjudicielle de ceux qui croient - ou qui feignent de croire, pour invalider à bon compte le marxisme - que Hilferding ou Lénine prétendent expliquer toutes les formes du colonialisme par le capitalisme. Ils sont alors à l'aise pour admirer cette évidence que l'ère des conquêtes coloniales s'étale sur une plus vaste période que celle du capitalisme monopolistique. Mais Lénine reconnaît tout le premier que « Rome, fondée sur l'esclavage, faisait une politique coloniale et pratiquait l'impérialisme[132] ». Il ajoute que les formes de cet impérialisme ont changé au cours même du XIXe siècle, et, si on lit le titre VII de sa brochure, on y voit qu'il ne veut définir qu'un « stade particulier » de l'impérialisme lié aux formes du capitalisme au début du XXe siècle. Car il faut noter, d'une part que le colonialisme ne s'explique pas uniquement par des causes économiques et que ces causes, lorsqu'elles existent, sont souvent invisibles, du moins pour la conscience des acteurs colonisants ; d'autre part, que l'« impérialisme » du capitalisme ne prend pas seulement, ni d'une façon privilégiée, les formes du colonialisme. Souvent il a paru plus sûr aux banques de jouer un simple rôle usuraire (commission de 8 à 10 %) en « plaçant» des emprunts étrangers auprès d'une clientèle qui supporte seule les risques ou d'investir directement[133] d'abord dans les pays « indépendants », quitte à remettre à plus tard (lorsque, par exemple, après la guerre de 14-18, le change sera défavorable) l'exploitation des terres coloniales (Zone franc) que l'on avait mises politiquement à l'abri de la convoitise des autres puissances par la conquête militaire.
Ce qui avait frappé Marx à l'époque du premier essor des entreprises concurrentielles, c'était que le capitalisme avait détruit toutes les valeurs « sacrées » pour ne laisser subsister que le froid calcul et le « paiement comptant[134] ». Si les prolétaires, ne possédant rien d'autre que leur force de travail, n'avaient pas de patrie, les capitalistes avaient leur patrie partout où ils avaient des intérêts ; à « l'internationalisme prolétarien » faisait pendant « le capitalisme apatride ». Or, bientôt les rigueurs et les dangers de la concurrence conduisirent les entrepreneurs capitalistes à s'organiser en cartels et les cartels à considérer que ce qui était bon pour eux était bon pour la nation entière et qu'en conséquence l'Etat devait être pour eux un moyen de protection et d'expansion[135].
Par l'établissement de droits de douane, l'Etat préserve le cartel « national » de la concurrence des entreprises étrangères et, à l'intérieur des frontières, il permet de vendre à des prix supérieurs aux cours mondiaux et de procurer ainsi aux entreprises un surprofit. Ce surprofit à l'intérieur permet, en outre, le dumping, c'est-à-dire après leur avoir fermé des débouchés - d'aller concurrencer chez elles les industries rivales en vendant des produits sans profit, voire à perte pendant le temps qu'il faut pour les asphyxier. Ainsi, remarque Hilferding, la protection douanière, « arme défensive du faible, devient l'arme offensive du fort ». En même temps, comme les idées et les valeurs sont, pour une large part, relatives aux nécessités économiques, se développent des sentiments nationalistes. Les peuples expansionnistes deviennent aussitôt dominateurs et se perçoivent vite comme « nations élues », chargées par surcroît d'apporter la civilisation au monde. Tel semble être le fondement de l'affirmation de Nietzsche qui « prévoit » que le XXe siècle sera l'ère des nationalismes, énoncé que Malraux rapporte comme si c'était une révélation qui pourrait justifier les épousailles en secondes noces d'une cause nationale à la place de celle, abandonnée, du prolétariat.
La politique offensive de la nation élue se manifeste encore par l'exportation des capitaux et la délimitation d'un champ clos le plus vaste possible, réservoir de matières premières et de main-d'œuvre bon marché qui peut prendre les formes de l'empire multinational d'un seul tenant comme l'empire austro-hongrois[136], celles de l'empire colonial au-delà des mers ou, un peu plus tard, celles de « l'espace vital ». Il est frappant de voir que, dans un livre écrit avant 1910, Hilferding expliquait que la liaison du cartel et de l'Etat ne pouvait manquer de développer, avec le nationalisme, non seulement l'impérialisme mais ce racisme qui lui vaudrait, trente ans plus tard, l'exil, la torture et la mort. Le nationalisme vit en effet de la conscience plus ou moins nette d'une supériorité qui ne se distingue que d'une façon modale du racisme, quelles que soient la mauvaise foi et les hypocrisies universalistes de son messianisme.
Il est vrai que l'événement dépassa largement les prévisions de Hilferding, qui n'avait pas cru au succès durable du nazisme, à une telle hypertrophie de l'Etat nationaliste. Il avait postulé une sorte de progrès parallèle de l'industrialisation, de la démocratisation et de la rationalisation, qui aurait assuré la révolution politique par le suffrage universel. Alors, le nouvel Etat réellement démocratique, en expropriant les cinq ou six banques nationales, qui avaient elles-mêmes exproprié toutes les autres entreprises, aurait réalisé la socialisation en profondeur de toute la société. Mais la réduction de la puissance capitaliste à quelques banques ne fait que rendre apparemment plus aisée l'expropriation des expropriateurs. Le « passage » des six plus grands établissements de crédit allemands au socialisme pourrait-il être autre chose qu'une rupture, un saut ?
Ce que Hilferding avait grandement sous-estimé, c'était la résistance et la puissance du capitalisme monopolisé, qui, en évitant la paupérisation absolue, se garde en même temps de perdre sa substance humaine, puisque, au contraire, il informe et réforme au point d'être devenu, dans les pays industriels développés, nombre d'autres circonstances aidant, l'espoir du grand nombre. Il est curieux de remarquer que, dans son livre, Hilferding avait justement décrit ces phénomènes, pourtant à peine visibles à l'époque : il avait souligné le développement, plus rapide que celui du prolétariat, du secteur tertiaire, de la « nouvelle classe moyenne » et d'une couche de dirigeants non propriétaires mais qui se révèlent les vrais maîtres de l'économie. Au lieu d'une paupérisation croissante et uniforme, il observait partout une différenciation hiérarchique « qui étouffe les sentiments de solidarité » ; chacun « espère grimper avant les autres et s'évader de sa condition semi-prolétarienne pour accéder au niveau d'un revenu capitaliste ». Il s'agissait là, un demi-siècle à l'avance, de la description, aujourd'hui fameuse, de l'intégration générale au système capitaliste, et on comprend que Marcuse puisse tenir Le Capital financier comme une grande œuvre prophétique[137].
Ces mêmes phénomènes incitèrent, plus tard, Otto Bauer à découvrir ce que nous avons appelé l'« aporie du réformisme » : la puissance dominante ne laisse la « révolution lente et pacifique » se développer que dans les limites de son innocuité. Ainsi, après tant de brillantes descriptions théoriques des dernières formes du capitalisme, Hilferding terminait son livre dans les perspectives d'une grande illusion[138]. Il avait su voir que le capitalisme n'était pas contradictoire au point de s'effondrer de lui-même ; en sens inverse, il savait aussi que le capitalisme ne pouvait dépasser par lui-même les violences et les contradictions de l'impérialisme pour réaliser la rationalisation de la société mondiale. Il avait pensé qu'il fallait, pour cela, que l'Etat devienne une force indépendante du capitalisme par l'action « des masses populaires exploitées par le capital financier, et, de ce fait, appelées par lui à la lutte », mais il ne sut pas mettre en œuvre les moyens d'atteindre ce but et les deux conflagrations mondiales qui suivirent la parution du livre de Hilferding semblèrent justifier l'appréciation de Lénine : « Les ententes entre impérialistes ne peuvent être que des trêves entre les guerres[139]. »
Le Capital financier n'en reste pas moins un grand classique qui - nous l'avons dit en commençant - enseigne aussi par ses erreurs[140]. Hilferding a su dominer et mettre en perspective son sujet. Malgré une absence totale de pédantisme, la culture économique, historique, humaniste de l'auteur affleure à chaque page. Ce livre, dont le style est parfois relâché et qui, de toute façon pourrait être d'une lecture de bout en bout aride, est, au contraire, émaillé de formules bien frappées[141], voire de comparaisons humoristiques. L'évolution accélérée de la société industrielle fait que les « heurs et les malheurs » y sont « encore plus changeants que ceux d'Ulysse », car, demande-t-il, « que signifie aujourd'hui Polyphème, avec son œil unique, à côté du douanier aux yeux d'Argus de New Port, ou la belle Circé à côté de la police vétérinaire allemande ? » Vers la fin du livre, il développe, non sans complaisance, l'allégorie de l'or sous les diverses variations d'une relation amoureuse. Plus brièvement, il réduit « la conscience du monde bourgeois au bulletin des halles » ; la Bourse lui parait avoir « perdu ses croyants et conservé uniquement ses prêtres, qui font leur affaire de la croyance des autres ». C'est que l'or, ajoute-t-il plus loin « n'a pas comme Peter Schlemihl vendu son ombre, mais qu'il achète avec son ombre ».
Bien que chacun ait intérêt à les connaître et à les méditer, les analyses de Marxne sont que des exemples et nous devons avoir, à l'égard du Capital financier, une attitude semblable a celle de Hilferding vis-a-vis du Capital[142]. Il ne s'agit pas de sauver les apparences par des habiletés apologétiques ou par les subtilités d'une relecture herméneutique, mais de se sauver des apparences par la découverte de leurs causes invisibles et simples, par la compréhension des lois qui permettent d'atteindre, par-delà le règne de la nécessité, celui de la liberté. Or, l'intelligence des faits économiques d'aujourd'hui ne peut résulter uniquement de la lecture des livres d'autrefois. Les arbres poussent vers le ciel mais ils n'ont pas leurs racines dans le ciel.
Préface[modifier le wikicode]
Nous nous proposons ci-dessous d'apporter une explication scientifique des phénomènes économiques du développement capitaliste moderne. Mais cela signifie tenter d'incorporer ces phénomènes dans le système théorique de l'économie politique classique, qui commence avec W. Petty et trouve sa plus haute expression chez Karl Marx. Ce qui caractérise le capitalisme « moderne », ce sont les phénomènes de concentration qui se manifestent, d'une part, dans la « suppression de la libre concurrence » au moyen de cartels et de trusts, de l'autre, dans une liaison de plus en plus étroite entre capital bancaire et capital industriel. Par cette liaison, le capital, nous le montrerons plus loin, prend la forme de capital financier, qui est sa manifestation la plus haute et la plus abstraite.
C'est ici que les apparences mystiques, dans lesquelles s'enveloppe, d'une façon générale, le système capitaliste, sont les plus difficiles à percer. Le mouvement propre du capital financier, qui paraît autonome, bien qu'il ne soit qu'un reflet, les formes variées dans lesquelles il s'accomplit, la façon dont il se détache et devient indépendant du mouvement du capital industriel et commercial, sont des phénomènes qui appellent d'autant plus l'analyse que son accroissement rapide et l'influence de plus en plus grande qu'il exerce dans la phase actuelle du capitalisme rendent impossible de comprendre les tendances économiques actuelles, comme aussi toute science économique, sans la connaissance des lois et de la fonction du capital financier.
L'analyse théorique de ces phénomènes devait ainsi mener à l'étude des rapports qu'ils soutiennent entre eux et par là à une analyse du capital bancaire et de ses rapports avec les autres formes de capital. Il fallait examiner s'il convient d'accorder une importance économique spécifique aux formes juridiques sur lesquelles est fondée l'entreprise industrielle et ce qu'a à dire à ce sujet la théorie économique de la société par actions. Mais, dans les rapports entre capital financier et capital industriel on ne pouvait considérer que les rapports existant entre les formes élémentaires du capital-argent et du capital productif. Ainsi se posait la question du rôle et de l'essence du crédit, question à laquelle on ne pouvait répondre qu'en expliquant le rôle de l'argent. C'était d'autant plus important que, depuis qu'a été formulée la théorie marxienne de l'argent, toute une série de problèmes ont été posés par les formes que celui-ci revêt en Hollande, en Autriche et en Inde, problèmes auxquels la théorie de l'argent à jusqu'ici en vigueur n'apporte aucune solution, ce qui a amené Knapp à tenter de renoncer à toute explication économique pour y substituer une terminologie juridique qui paraissait offrir, sinon une explication scientifique, du moins la possibilité d'une description objective. Mais l'étude approfondie de ce problème de l'argent s'imposait d'autant plus que c'est seulement grâce à elle qu'on pouvait apporter la preuve de la justesse d'une théorie de la valeur constituant la base de toute doctrine économique et que seule une analyse correcte de l'argent permet de faire comprendre le rôle du crédit et, par là, les formes élémentaires des rapports entre le capital bancaire et le capital industriel.
Ainsi s'imposait d'elle-même la structure de cette étude. Après l'analyse de l'argent vient celle du crédit, suivie de la théorie des sociétés par actions et de l'analyse de la position que le capital bancaire occupe par rapport au capital industriel. Cela mène à l'étude de la Bourse des valeurs en tant que « marché des capitaux », à la suite de quoi un chapitre spécial doit être consacré à la Bourse des marchandises, à cause des rapports qu'elle incarne entre le capital-argent et le capital commercial. Avec le progrès de la concentration industrielle, les liens entre capital bancaire et capital industriel s'enchevêtrent de plus en plus et rendent nécessaire l'étude de ces phénomènes de concentration qui atteignent leur point culminant dans les cartels et les trusts, et celle de leurs tendances de développement. Les espoirs, liés à la formation des monopoles, en vue de la « réglementation de la production » et par là du maintien du système capitaliste, monopoles auxquels on a attribué une influence considérable sur les crises commerciales périodiques, imposaient une analyse des crises et de leurs causes, par quoi prenait fin la partie théorique. Mais, du fait que le développement, dont on a essayé de donner une explication scientifique, a des effets considérables sur la composition des classes au sein de la société, il paraissait opportun d'étudier dans une dernière partie les influences principales qui s'exercent sur la politique des grandes classes de la société bourgeoise.
On a souvent reproché au marxisme d'avoir négligé l'étude des théories économiques et ce reproche est justifié dans une certaine mesure. Mais il faut dire également que cette lacune n'est que trop explicable. L'économie politique, du fait de l'infinie complexité des phénomènes à étudier, est certainement l'une des entreprises scientifiques les plus difficiles. Et il se trouve que le marxiste est dans une situation toute particulière : exclu des universités, qui offrent le temps nécessaire à des recherches scientifiques, il ne peut consacrer à ce genre de travaux que les heures de loisir que lui laisse la politique. Exiger de combattants que leur contribution à l'édifice de la science progresse aussi rapidement que celui de travailleurs pacifiques serait injuste, si cela ne témoignait d'un certain respect pour leurs capacités. L'étude de la politique économique nécessite peut-être, après les nombreuses controverses méthodologiques de ces derniers temps, sinon une justification, du moins une courte explication. On a dit que la politique est un enseignement de règles, déterminées en dernière analyse par des jugements de valeur. Mais, comme de tels jugements ne sont pas objet de la science, il s'ensuit que le travail politique déborde le cadre de l'examen scientifique. Engager ici des discussions d'ordre méthodologique sur les rapports de la science normative et de la science des lois, de la finalité et de la causalité, est bien entendu hors de propos, et je dois y renoncer d'autant plus que, dans le premier tome de ses études sur Marx, Max Adler a longuement étudié le problème de la causalité pour la science sociale. Il nous suffira de dire ici que l'étude de la politique ne peut avoir pour le marxisme d'autre but que la révélation de rapports de causalité. La connaissance des lois de la société productrice de marchandises montre en même temps les facteurs essentiels qui déterminent la volonté des classes de cette société. Montrer la façon dont se détermine la volonté de classe est, selon la conception marxiste, la tâche de la politique scientifique, c'est-à-dire de la politique qui décrit des rapports de causalité. Tout comme sa théorie, la politique du marxisme ne comporte aucun jugement de valeur
Il est donc faux, quoique ce soit là une opinion très répandue, de confondre marxisme et socialisme. Car, considéré uniquement en tant que système scientifique, et abstraction faite par conséquent de ses effets historiques, le marxisme n'est qu'une théorie des lois du mouvement de la société, qui formule d'une façon générale la conception marxiste de l'histoire, tandis qu'elle applique l'économie marxiste à l'époque de la production de marchandises. La conséquence socialiste est le résultat des tendances qui se manifestent dans la société productrice de marchandises. Mais la compréhension de la justesse du marxisme, qui inclut la compréhension de la nécessité du socialisme, n'est absolument pas le produit de jugements de valeur, pas plus qu'une incitation à une conduite déterminée. Car reconnaître une nécessité est une chose et se mettre au service de celte nécessité en est une autre. On peut parfaitement être convaincu de la victoire finale du socialisme et se mettre au service de ceux qui le combattent. Mais la compréhension des lois du mouvement de la société qu'apporte le marxisme confère une supériorité à celui qui l'a faite sienne, et, parmi les adversaires du socialisme, les plus dangereux sont certainement ceux qui se la sont assimilée.
Mais d'un autre côté l'identification du marxisme avec le socialisme est facile à comprendre. Le maintien de la domination de classe est liée à la condition que ceux qui y sont soumis croient à sa nécessité. Reconnaître son caractère provisoire, c'est en préparer la chute. D'où la répulsion insurmontable qu'éprouve la classe dominante à accepter les résultats du marxisme. En outre, la complexité du système exige une étude que seul peut s'imposer celui qui n'est pas convaincu d'avance du caractère nuisible des résultats. C'est ce qui explique que le marxisme, qui est une science objective, exempte de tout jugement de valeur, reste nécessairement la propriété des porte-parole de la classe dont la victoire est pour lui le résultat de son étude. C'est dans ce sens seulement qu'il est la science du prolétariat, opposée à la science économique bourgeoise, tout en maintenant fermement la prétention qu'a toute science à la valeur objective de ses résultats..
>Le présent travail était déjà, il y a quatre ans, terminé dans ses grandes lignes. Des circonstances extérieures en ont seules retardé l'achèvement. Mais je me permettrai de faire remarquer que les chapitres traitant du problème de l'argent étaient déjà terminés avant la parution du livre de Knapp[143] , et je n'y ai apporté depuis que des modifications sans importance, ainsi que des notes critiques. Mais ces chapitres sont aussi ceux qui causeront le plus de difficultés au lecteur car, dans les questions d'argent, ce n'est pas seulement la bonne humeur qu'on perd facilement, mais aussi la compréhension théorique, ainsi que le reconnaissait Fullarton, qui écrivait mélancoliquement : « The truth is, this a subject on which there never can be any efficient or immediate appeal to the public at large. lt is a subject on which the progress of opinion always has been, and always must be, exceedingly slow. » Et cela ne s'est certainement pas amélioré depuis. C'est pourquoi nous nous hâtons d'assurer qu'une fois franchi le cap des premières discussions, le lecteur n'aura pas lieu de se plaindre de difficultés particulières.
- ↑ Il faut toutefois rappeler que, dans son fameux discours du 7 mars 1895, Jaurès avait développé un autre thème : la société capitaliste « porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l'orage ».
- ↑ Discours à la Chambre des députés, le 20 décembre 1911, séance du soir, in Œuvres de Jean Jaurès, publiées par Max Bonnafous, t. VII, pp. 430-431.
- ↑ « L'impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Œuvres, t. XXII. pp, 212, 312 et 320, A ces références, ou pourra ajouter les quatorze lettres envoyées par Trotsky à Hilferding et dont l'Institut international d'Amsterdam prépare la publication.
- ↑ Voir « Finanzkapital und Krisen », in Die neue Zeit, XXIXe année (1911), pp. 764-71 ; 787-804 ; 838-46 ;874-83.. Ces articles furent reproduits, la même année, en anglais, dans The Social-Democrat de Londres, puis traduits en japonais (1927) et en russe (1928). Voir également Nationalstaat, imperialistischer Staat und Staatenbund, Nuremberg, 1915.
- ↑ « Das Finanzkapital », in Der Kampf, juin 1910, pp. 391-397.
- ↑ Il capitale finanziario, Milan, Feltrinelli, 1961, p. XVII. Giulio Pietranera, quant à lui, consacre une part assez importante de sa préface à traiter de « la place qu'occupe la théorie du capital financier dans le développement de l'économie capitaliste contemporaine » (pp. LVII-LXV).
- ↑ On ne peut guère citer, en dehors de l'ouvrage de Hilferding, que L'Accumulation du capital de Rosa Luxemburg.
- ↑ Pour connaître certains aspects partiels de cette école, on peut se reporter à Max Adler, Démocratie et conseils ouvriers, Paris, Ed. Maspéro, 1967, et à Otto Bauer et la révolution, Paris, E. D.I., 1968.
- ↑ En Autriche, Norbert Leser, qui a écrit récemment un gros ouvrage sur l'austromarxisme, Zwischen Reformismus und Bolschewismus, ne cite Hilferding qu'en passant et ne se livre à aucune analyse du Capital financier.
- ↑ Marx-Studien, Blättern zur Theorie und Politik des wissenschaftlichen Sozialismus, herausgegeben von Dr. Max Adler und Dr. Rudolf Hilferding, premier volume, Vienne, 1904.
- ↑ Ce premier volume des Marx-Studien contenait la critique par Hilferding de Böhm-Bawerk, l'étude de Josef Karner (pseudonyme de Karl Renner) sur la Fonction sociale des institutions juridiques et l'ouvrage de Max Adler intitulé Le Conflit de la causalité et de la finalité dans la science.
- ↑ Annales franco-allemandes, 1844, Mega, I, 1, p. 573.
- ↑ « Denn das Fertigwerden für alle Zeiten ist auch unsere Sache nicht » qui évoque le χτήμα ές άεί des Grecs (op. cit., Préface, p. VIII).
- ↑ Otto Bauer « L'Histoire d'un livre », in Die Neue Zeit, XXVIe année, 1908, traduction française, in Economies et sociétés (Cahiers de l'I. S. E. A.), Série Etudes de marxologie. S. 11, juin 1967, p. 185.
- ↑ lbid., p. 186.
- ↑ lbid., p. 188.
- ↑ lbid., Otto Bauer établit ainsi une coupure entre l'austromarxisme et la première génération marxiste, à la tête de laquelle se trouvait Karl Kautsky et, en Autriche, Victor Adler en tant que praticien.
- ↑ Ibid., p. 182.
- ↑ Voir Karl Renner, Staat und Nation, 1899 (sous le pseudonyme de Synopticus) et Der Kampf der österreichischen Nationen um den Staat, 1902 (pseudonyme : Rudolf Spinger) - et Otto Bauer, Die Nationalitätenfrage und die Sozialdemokratie, 1907.
- ↑ Sur ce point, Kautsky a fait œuvre originale dans Die Agrarfrage, 1899. Voir aussi Otto Bauer, Der Kampf um Wald und Weide, 1925.
- ↑ Max Adler, Métamorphoses de la classe ouvrière, Paris, 1935.
- ↑ Histoire d'un livre, p. 189. Un peu plus loin, Otto Bauer conclura : « Chaque génération, chaque âge et chaque milieu culturel a son Marx » (p. 197).
- ↑ Les biographes et préfaciers se réfèrent jusqu'ici à un petit ouvrage écrit à New York par Alexander Stein, Rudolf Hilferding und die deutsche Arbeiterbewegung, Gedenkblätter, Hambourg, 1946, 44 p.
- ↑ On retrouve cette erreur. par exemple, dans Wilfried Gottschalch, Strukturveränderungen der Gesellschaft und politisches Handeln in der Lehre von Rudolf Hilferding, Berlin, 1962, p. 13 et dans Pietranera, Il Capitale finanziario, p. 11 : tous deux semblent se référer à la biographie de Stein précédemment citée.
- ↑ D'après Johann Fischart. Voir à ce propos l'ouvrage de Wilfried Gottschalch, p. 15, n. 5.
- ↑ Voir dans le n° 13, du 15 juillet 1899, « L'Inspection du travail en Autriche », trad. par Camille Polak, pp. 101-111 ; et, dans les numéros 35 et 36 des 1er et 15 juin 1900, « La Grève générale des mineurs autrichiens », trad. J. Rivière, pp. 650-657 et 730-743.
- ↑ « Bohm-Bawerk's Marx-Kritik », étude publiée dans le premier volume des Marx-Studien, Vienne, 1904.
- ↑ Lettre du 21 mai 1902 (K.D. XII, 581) conservée dans les Archives Karl Kautsky à l'Institut international d'histoire sociale à Amsterdam (I.I.S.G.).
- ↑ Amsterdam, I.I.S.G., K.D. XII. Voir aussi les lettres suivantes : 583, du 7 septembre, et 584, du 15 novembre 1903.
- ↑ Zur Frage des Generalstreiks, in N. Z., 22e année, t. 1, 1903-1904.
- ↑ Parlamentarismus und Massenstreik, in N. Z., 23e année, t. 2, 1904-1905, texte qui sera tiré à part.
- ↑ Lettre du 20 décembre 1903 (Amsterdam, I.I.S.G., K.D. XII, 585). Il fera d'ailleurs de même une peu plus tard lorsqu'il sera question de publier à Vienne une revue mensuelle, Der Kampf (Amsterdam, I.I.S.G. K.D. XII, 599, lettre à Kautsky du 10 mars 1906).
- ↑ Lettre de Lukács à l'auteur, Budapest, le 12 août 1961.
- ↑ Victor Adler, Briefwechsel mit A. Bebel und K. Kautsky, Vienne, 1954, p. 434.
- ↑ Ibid., p. 439.
- ↑ Le premier numéro est d'octobre 1901 et le premier article de Hilferding de décembre 1909.
- ↑ Voir plus haut, note 2.
- ↑ Il cite, à ce propos, le livre de Georg F. Knapp, Staatliche Theorie des Geldes, paru à Leipzig, en 1905, soit cinq ans avant le Capital financier.
- ↑ Dans ces notes, Hilferding utilise des revues et des journaux de 1907, de 1908 et de 1909 lorsqu'ils relatent des faits ou publient des chiffres qui appuient son texte.
- ↑ L'état de santé de sa mère s'est aggravé.
- ↑ Amsterdam, I.I.S.G., K.D. XII, 588.
- ↑ Lettre du 3 avril 1905, Ibid., 589.
- ↑ Ibid., 590.
- ↑ Ibid., 591 et 592.
- ↑ Ibid., 596.
- ↑ Ibid., 598.
- ↑ Ibid., 599.
- ↑ Karl Marx, Œuvres, Economie II, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1968, p. 502.
- ↑ Amsterdam, I.I.S.G., K.D. XII, 599.
- ↑ Nous pensons, en particulier, à Elisabeth Lazarsfeld, devenue Mme Zerner.
- ↑ Dans une lettre à Victor Adler, Karl Kautsky écrit le 26 juin 1913 : « Hilferding est surmené et flapi » (überarbeitet und matt). ln Victor Adler Briefwechsel..., p. 513.
- ↑ Lettre du 9 août 1905 (I.I.S.G. d'Amsterdam. K.D. XII, 592), Hilferding fait état des remarques d'Otto Bauer qui aurait prétendu que Margerete faisait l'éducation de Rudolf.
- ↑ On ne peut cependant dire, comme le fait Pietranera, qu'Hilferding a « voté contre les crédits de guerre » (« Nel 1914, pacifista convinto, oltre le sue convinzioni ufficiali di socialista tedesco, vota contra i crediti di guerra »). Voir Il Capitale finanziario, Introduction, p. 13. En effet, à cette époque, Hilferding n'était pas député, mais simple « rédacteur étranger », à ce propos, voir aussi la lettre de A. Südekum qui demande, le 29 juillet 1914, au chancelier Bethmann-Hollweg de ne pas expulser Hilferding (Europe, 2-421-22, 1964, p. 57).
- ↑ W. Gottschalch, op. cit., p. 15.
- ↑ Nous sommes redevable de cette information à Irène Petit.
- ↑ Voir, par exemple, l'Accumulation du capital, Paris, Ed. Maspéro, 1967, t. II, pp. 172-175.
- ↑ Ses lettres à Kautsky sont datées de Steinach jusqu'en octobre 1916. Ensuite Hilferding fait partie du Mobiles Epidemie-Spital n° 2.
- ↑ Lettre du 25 octobre 1916 (Amsterdam, I.I.S.G., K.D. XII, 620).
- ↑ Lettre du 31 janvier 1917 (Ibid., 628).
- ↑ Ibid., 636.
- ↑ Gilbert Badia, Histoire de l'Allemagne contemporaine, Paris, 1962. t. 1. p. 128.
- ↑ lbid., p. 115.
- ↑ On compta 236 délégués pour l'adhésion et 156 contre.
- ↑ Gilbert Badia, Le Spartakisme, Paris, 1967, p. 317.
- ↑ André Donneur, Histoire de l'Union des partis socialistes pour l'action internationale, Sudbury, Ontario. 1967, p. 35.
- ↑ Der zweite Kongress der Kommunistischen Internationale, Vienne, 1920, pp. 87-88.
- ↑ Où Le Capital financier venait d'être réédité.
- ↑ Voir l'analyse de ce discours dans la thèse d'André Donneur, op. cit., pp. 111-114.
- ↑ L. Trotsky, Terrorisme et communisme, Paris, 1963. p. 268.
- ↑ Die Gesellschatt, internationale revue für Sozialismus und Politik, herausgegeben von Rudolf Hilferding, Berlin, Dietz, 1924-1933.
- ↑ Lettre à Kautsky du 19 juillet 1924 (Amsterdam, I.I.S.G., K.D. XII, 636).
- ↑ Histoire d'un livre, p. 197.
- ↑ Die Aufgaben der Sozialdemokratie in der Republik.
- ↑ Badia, op. cit., t. I, p. 264.
- ↑ Pietranera, op. cit., p. 14.
- ↑ Badia, op. cit., t. I, p. 326.
- ↑ Il voulait, en particulier, que l'Internationale vienne en aide aux démocraties occidentales.
- ↑ Articles publiés dans le Kampf (Vienne), la Zeitschrift für Sozialismus (Karlsbad - aujourd'hui Karlovy Vary - en Tchécoslovaquie).
- ↑ Dans cette revue socialiste, dirigée par Hilferding, Marcuse écrivit notamment sur Marx Adler, sur Korsch et sur les manuscrits de 44.
- ↑ Lettre de H. Marcuse du 28 août 1968.
- ↑ Kampf und Ziel des revolutionären Sozialismus. Die Politik der Sozial-demokratischen Partei Deutschlands, Prague, janvier 1934. Cité par Gottschalch, op. cit., pp. 27 -28.
- ↑ Témoignage de Mme Andrée-Pierre Viénot, conseiller général des Ardennes, maire de Rocroi (lettre du 2 septembre 1968).
- ↑ Voir Le Populaire du 7 juillet 1938, p. 2.
- ↑ Sauf indications contraires. nous suivons, pour ces derniers mois de la vie de Hilferding, le récit détaillé et bien documenté de Kurt Kersten, « Das Ende Breitscheids und Hilferding » in Deutsche Rundschau, 84e année, Baden-Baden, sept. 1958, pp. 843-854.
- ↑ Selon André Blumel, qui les vit près d'Albi, Breitscheid et Hilferding répugnaient à une fuite illégale, qui les aurait obligés à se déguiser, à se grimer, etc.
- ↑ A. Muret.
- ↑ Pour mieux comprendre le style patriotique de ces mémoires, il faut se souvenir qu'ils parurent juste après la Libération.
- ↑ En ce qui concerne Hilferding, ce séjour en France ne durait que depuis 1938.
- ↑ Vincent Auriol, Hier Demain, Paris, 1945, t. I, pp. 85-88.
- ↑ Les archives allemandes et italiennes de l'Armistice ont, depuis, révélé que ce fut Badoglio qui renonça à cette clause ; Mussolini, au contraire, en fut irrité. D'autre part, tous les documents montrent l'acharnement de Keitel pour ]a faire admettre. Enfin, les plénipotentiaires français n'étaient pas à la merci des vainqueurs qui redoutaient, s'ils imposaient des conditions trop dures, la poursuite de la guerre en Afrique du Nord protégée par la marine de guerre. (D'après des remarques orales de M. Henri Michel, secrétaire général du Comité d'histoire de la seconde guerre mondiale.)
- ↑ Près de Toulouse.
- ↑ Mme Erika Müller était alors âgée d'une trentaine d'années ; elle était divorcée.
- ↑ Maire de Bordeaux. S'était séparé du parti socialiste, en même temps que Marcel Déat, lors du 30e congrès du parti (Mutualité, juillet 1933). Considérait déjà, à cette époque, que le fascisme était un stade nécessaire de l'évolution du monde. Son discours à la Mutualité comportait trois points : « Ordre, Autorité, Nation. » Léon Blum l'interrompit par son fameux : « Je suis épouvanté. » En 1940, il fut ministre de l'Intérieur du 21 juillet au 5 septembre.
- ↑ Septembre 1940.
- ↑ En fait, Rose, la femme de Hilferding, n'était pas avec son mari.
- ↑ Œuvres de Léon Blum. Paris, 1955, t. 5, pp. 127-128.
- ↑ Actuellement membre libre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, qui a bien voulu nous faire part de ses souvenirs à ce sujet (lettre du 6 novembre 1968).
- ↑ Texte publié, en 1954, avec une introduction de Benedikt Kautsky, sous le titre : « Das historische Problem », in Zeitschrift für Politik, 1954, 1re année de la nouvelle série. - La première partie de ce texte, traduite en français par Jean Gourdin, a été publiée dans la Nouvelle Réforme, n° 3, 1958, pp. 339-352.
- ↑ Kurt Kersten, op. cit., p. 851.
- ↑ M. des Vallières n'était pas un sous-préfet de carrière ; le maréchal Pétain était un grand ami de sa famille et lui avait demandé d'accepter ce poste. Nous le remercions d'avoir bien voulu nous recevoir.
- ↑ Kurt Kersten écrit de son côté : « Es ist wahr, dass der Souspräfekt Desallières (sic), ein Patenkind Petains, wiederholt versichert hatte, er wurde im Falle einer Gefahr einen Weg finden, um die Männer in Sicherheit zu bringen. » Op. cit., p. 851.)
- ↑ Selon M. des Vallières, au contraire, l'arrestation fut effectuée par des hommes de la Gestapo en uniforme. M. Benoit confirme : « L'arrestation fut faite par la Gestapo. » En revanche, tous les autres récits font état d'une première intervention des autorités françaises, notamment A. Stein et K. Kersten, qui parlent de la « Sureté nationale » ; Vincent Auriol de son côté écrit : « (...) En février 1941, j'ai appris, pendant mon internement à Vals, que les « collaborateurs français » d'Hitler avaient livré à la Gestapo les deux anciens leaders socialistes, amis de la France. » (Op. cit., p. 88). Cette version est également celle de l'hôtel Forum. Enfin Me Blumel a vu, au ministère de la Justice, après la Libération, un rapport concernant la livraison de Breitscheid et Hilferding aux Allemands.
- ↑ Lettre citée plus haut, du 2 septembre 1968.
- ↑ D'après K. Kersten. op. cit., p. 851. Le mot allemand utilisé par Geissler fut « Sozialdemokroten », soit littéralement : « Social-démo-crapauds ».
- ↑ Cette phrase fut rapportée par Mme Breitscheid à Rosa Hilferding.
- ↑ Breitscheid fut déporté à Buchenwald dans une baraque prévue pour deux prisonniers et entourée d'un haut mur. Léon Blum fut lui aussi enfermé non loin de là, mais il ignora toujours la présence de son ami Breitscheid, qui fut tué lors du bombardement par les Anglais des usines de V2, toutes proches, le 24 août 1944.
- ↑ Vincent Auriol, op. cit., p. 88. On a vu que, selon Vincent Auriol et Léon Blum, c'était les Breitscheid qui envisageaient de s'empoisonner, Hilferding avait un revolver.
- ↑ Témoignage reçu oralement de Aufhäuser par Wilfried Gottschalch, op. cit., p. 31.
- ↑ De là vient, sans doute, que certaines notices biographiques indiquent que Hilferding n'est mort qu'en 1944.
- ↑ Voir l'Introduction d'Eduard März à la dernière édition en langue allemande du Capital financier (Europäische Verlagsanstalt).
- ↑ Voir notice de M. Rubel in Karl Marx, Œuvres, Ed. de la Pléiade. t. II, p. 867 et passim d'après index, p. 1939.
- ↑ Traduction française par J. Molitor sous le titre : Histoire des doctrines économiques, Paris, 1924-25, 8 vol.
- ↑ Voir « Finanzkapital und Krisen » in Die Neue Zeit, 1911, t. l, pp. 765-883.
- ↑ Rubel, op. cit., pp. XCI-XCIV.
- ↑ « L'analyse du système de crédit et des instruments qu'il crée pour son usage (monnaie de crédit, etc.) n'entre pas dans le cadre de notre plan. Nous insisterons seulement sur quelques points indispensables pour caractériser le mode de production capitaliste en général. Seuls retiendront notre attention le crédit commercial et le crédit bancaire. Le lien entre l'évolution de celui-ci et celle du crédit public ne sera pas considéré ici. » (Le Capital, livre III, Bibl. de la Pléiade, t. II. p. 1157). Comme le fait remarquer M. Rubel, ce texte suffit à démontrer que le plan du Capital ne comprend pas toutes les questions que Marx avait projeté d'étudier dans ses premiers plans de l'« économie » (lbid., p. 1789).
- ↑ Première partie, chap. IV. n. 19.
- ↑ Livre II du Capital, Bibl. de la Pléiade, t. II, p. 782.
- ↑ « Der wirkliche Wertmesser ist nicht das Geld, sondern der 'Kurs' des Geldes wird bestimmt durch das, was ich den gesellschaftlich notwendiqen Zirkulationwert nennen möchte », p. 29. Hilferding ajoute que le papier-monnaie n'est pas, comme l'a dit Marx, un simple signe de l'or. Mieux, pour l'auteur du Capital financier, « la valeur de la monnaie fiduciaire doit pouvoir être déterminée sans référence à la monnaie métallique ».
- ↑ Et comme certains textes de Hilferding lui-même pourraient le laisser supposer, lorsqu'il est question par exemple de l'intervention de l'Etat, conçu comme une organisation consciente qui a pouvoir de contrainte à l'intérieur des frontières.
- ↑ Ce raisonnement poussé à sa limite pourrait, mutatis mutandis, faire comprendre la possibilité de la persistance de la société de classe après l'expropriation des capitalistes.
- ↑ Le Capital, Livre III, Bibl. de la Pléiade, II, p. 1023.
- ↑ Voir en particulier la fin du Livre I du Capital, chap. XXXII.
- ↑ Bibl. de la Pléiade, II, p. 931.
- ↑ Et, après lui, Lénine dans ce qu'il appellera lui-même un « essai de vulgarisation », écrit : « Que les cartels suppriment les crises, c'est une fable des économistes bourgeois. » (« L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme », Œuvres, Moscou, 1960, t. 22, p. 226.
- ↑ La preuve en est, observe Hilferding, que les crises apparaissent après une augmentation de la masse salariale, qui devrait éponger la surproduction. Même remarque dans le Livre II du Capital (BibI. de la Pléiade, II, p. 781).
- ↑ Comment, demande Hilferding, la périodicité des crises pourrait-elle être expliquée par un phénomène permanent comme la sous-consommation ?
- ↑ Reprise d'un thème développé par Marx dans le Livre III du Capital : " La véritable barrière de la production capitaliste, c'est le capital lui-même. Voici en quoi elle consiste : le capital et son expansion apparaissent comme le point de départ et le terme (...) ; la production est uniquement production pour le capital, au lieu que les instruments de production soient des moyens pour un épanouissement toujours plus intense du processus de la vie pour la société des producteurs. » (Bibl. de la Pléiade, II, p. 1032). Dans ce texte, la formulation mécaniste est moins nette que dans Le Manifeste communiste ou à la fin du Line II du Capital (Bibl. de la Pléiade, I, p. 173 et p. 1240).
- ↑ Nous disons « presque » car, pour l'auteur du Capital financier, le passage au socialisme, nous le verrons, se fera par une action politique, que l'évolution économique ne peut que rendre possible. Voir, à ce sujet, les dernières pages du livre.
- ↑ Comme le fait remarquer M. Rubel, Marx, à ce propos, parle tantôt de « possibilité » ", tantôt de « nécessité ». tantôt de « nécessité si » (Bibl. de la Pléiade. II, pp. 1006 et 1010, note 1).
- ↑ Ibid., pp. 1015-1024.
- ↑ Sur ce sujet, on se contente toujours de répéter les affirmations du Que faire ? de Lénine à propos du trade-unionisme, alors que Hilferding présente une démonstration économique de cette inefficacité fondamentale de la lutte syndicale.
- ↑ « L'impérialisme, stade suprême »..., p. 280. - De ce fait, Hilferding a été le premier marxiste à décrire l'impérialisme de l'époque du capitalisme. Jusqu'à lui les marxistes avaient traité la question nationale ou coloniale, mais pas de l'impérialisme. Le livre de Hilferding est ainsi à l'origine d'un important mouvement de pensée qui se développe encore aujourd'hui.
- ↑ Avec une conscience très nette des avantages de l'opération, l'industriel de Lille, Eugène Motte, déclarait à la Chambre des députés : « Je constate que ]lorsqu'on crée des usines à l'étranger, on vivifie la mère patrie : j'ai remarqué que tout établissement créé avec ces capitaux français met en marche du matériel français. (...) Les achats sont pratiqués en France, réglés dans des banques françaises, assurés par des compagnies françaises, transportées dans des ports français et sur des wagons français... » (Journal officiel du 12 décembre 1899).
- ↑ Voir, par exemple, la première partie du Manifeste communiste. Bibl. de la Pléiade. 1. pp. 165-66.
- ↑ Point de vue contesté par E. Bernstein (Sozialistische Monatshefte, 1911. II, p. 951) qui, par ailleurs, critique presque toutes les analyses de Hilferding (cf. la thèse de Pierre Angel, Eduard Bernstein et l'évolution du socialisme allemand, Paris, 1961).
- ↑ Voir à ce sujet, le grand ouvrage d'Otto Bauer que Hilferding cite : Die Nationalitätenfrage und die Sozialdemokratie, Vienne, 1907.
- ↑ « Let me just add that, in my view, the "Finanzkapital" still is one of the greatest and most "prophetic" documents of marxian theory. » (Lettre du 28 août 1968).
- ↑ Hilferding persista dans les mêmes sentiments jusqu'à l'avènement de Hitler. En 1925, il déclarait, au congrès international de Marseille : « La superstructure évolue sans cesse. Depuis la guerre, nous voyons la force du mouvement ouvrier progresser rapidement ; comme conséquence, les Etats capitalistes, sous la pression des ouvriers et en lutte contre eux, évoluent vers les formes de la république démocratique. Sous cet aspect de république, la superstructure est déjà partiellement influencée par la force, la conscience de classe et la puissance d'organisation du prolétariat. (...) Telle est la grande transformation, car la démocratie moderne se distingue de toutes les formes politiques précédentes en ce que la population laborieuse contribue à déterminer la politique. »
- ↑ « L'impérialisme, stade suprême... », Œuvres, t. 22, p. 319.
- ↑ Parmi ces dernières, on peut citer la prévision de la suppression de la distinction entre banques d'affaires et banques de dépôt ; celle de la diminution de l'importance du rôle de la Bourse (Lénine commet d'ailleurs la même erreur in Impérialisme, stade suprême... », Œuvres. t. 22, p. 236). Enfin, Hilferding n'a pas prévu une certaine diminution de la fonction des banques par le processus dit de l'auto-financement.
- ↑ Par exemple : « Faire une politique coloniale en évitant les méthodes de violence est aussi absurde que de vouloir abolir le prolétariat en conservant le capitalisme. »
- ↑ C'est une attitude de ce genre que semblent avoir adoptée Paul A. Baran et Paul M. Sweezy dans leur étude du capitalisme américain publiée en 1966 et récemment traduite en français, Le Capitalisme monopolistique, Paris, Maspéro éd., 1968, 344 p. Voir aussi la thèse de P. Boccara, in : Le capitalisme monopolistique d'Etat, 2 vol., Paris, 1958.
- ↑ *Georg F. Knapp, Staatliche Theorie des Geldes, Leipzig, 1905.