II. La mobilisation du capital - le capital fictif

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Chapitre VII. La société par actions[modifier le wikicode]

1. Dividende et bénéfice des fondateurs[modifier le wikicode]

L'économie politique classique a cherché la différence existant entre l'entreprise individuelle et la société par actions avant tout dans la différence de leur forme d'organisation et les conséquences qui en découlent. Elle a montré le « bon » et le « mauvais » côté des deux formes d'entreprise et souligné comme autant de marques distinctives, tantôt des facteurs subjectifs (participation et responsabilité plus ou moins grande des directeurs, contrôle plus ou moins facile de l'entreprise), tantôt des facteurs objectifs (possibilité plus ou moins grande de réunir les capitaux, pouvoir plus ou moins grand d'accumulation). Mais elle a oublié d'étudier en détail les différences économiques fondamentales entre les deux formes d'entreprise, bien qu'elles soient d'une importance décisive pour la compréhension du développement capitaliste moderne, compréhension impossible sans la victoire de la société par actions et les causes qui l'ont provoquée[1].

La société industrielle par actions, que nous avons étudiée, signifie tout d'abord une modification de la fonction du capitaliste. Car elle a pour conséquence fondamentale ce que l'entreprise individuelle ne peut apporter que fortuitement, à savoir la libération du capitaliste industriel à l'égard de la fonction de l'entrepreneur industriel. Ce changement de fonction donne au capital investi dans la société par actions, pour le capitaliste, la fonction de pur capital-argent. De même que le capitaliste prêteur d'argent n'a, en tant que créancier, rien à voir avec la façon dont son capital est utilisé dans le processus de production, même si cette utilisation est en réalité la condition nécessaire du rapport de prêt, dans la mesure où son rôle consiste uniquement à prêter son capital pour qu'il lui revienne au bout d'un certain temps majoré de l'intérêt, sa fonction étant ainsi épuisée dans une transaction juridique, de même l'actionnaire fait fonction de simple capitaliste prêteur. Il donne de l'argent afin qu'il lui rapporte, dirons-nous pour employer une expression tout à fait générale. Mais il peut fixer lui-même la somme et n'est engagé que pour cette somme, de même que le capitaliste prêteur ne met en jeu qu'une somme dont il a fixé le montant. Mais il y a déjà ici une différence. L'intérêt pour le capital-argent mis à disposition sous forme d'action n'est pas fixé d'avance comme tel, mais il n'existe que comme un droit sur le profit d'une entreprise déterminée. Une autre différence par rapport au capital de prêt consiste en ceci que le reflux du capital au capitaliste prêteur d'argent ne se fait pas directement, n'est pas stipulé à la conclusion de l'accord, comme conséquence naturelle de l'accord lui-même.

Considérons d'abord le premier de ces deux points. Il faut constater avant tout que le rapport d'un capital-argent mis à disposition sous forme d'action n'est pas du tout complètement incertain. Une entreprise capitaliste est fondée pour qu'elle donne du profit. L'obtention du profit et même, dans des conditions normales, l'obtention du profit moyen est le but de la fondation de l'entreprise. En tout cas, l'actionnaire est ici dans une situation analogue à celle du capitaliste prêteur d'argent, qui doit compter lui aussi sur la mise en valeur productive de son capital pour que son débiteur ne devienne pas insolvable. En général, l'insécurité peut-être un peu plus grande de l'actionnaire par rapport au capitaliste prêteur d'argent lui rapportera une certaine prime de risque. Mais il ne faut pas s'imaginer que cette prime apparaît d'une façon quelconque fixée et comme une revendication consciente et surtout mesurable de l'actionnaire. Plus exactement, elle résulte du fait que l'offre de capitaux-argent - et c'est au capital-argent libre que s'adressent les fondateurs - en vue d'un placement en actions sera, dans des conditions par ailleurs semblables, plus petite que pour les placements à intérêts fixes et particulièrement sûrs. C'est d'une façon générale cette différence de l'offre qui explique la différence des taux d'intérêt, de même que celle des cours des valeurs portant intérêt. La sécurité plus ou moins grande agit comme motif de l'offre plus ou moins grande. Mais c'est uniquement de cette différence dans le rapport de l'offre et de la demande qu'il résulte une différence du taux d'intérêt. Le rendement probable de l'action est par conséquent déterminé par le profit industriel et celui-ci, toutes choses égales d'ailleurs, par le taux de profit moyen.

Mais l'actionnaire n'est pas un entrepreneur industriel (capitaliste). Il n'est avant tout que capitaliste prêteur d'argent. Ce qui le distingue essentiellement du précédent, c'est qu'il dispose de son capital d'une tout autre façon. Le capitaliste industriel investit en tant que tel tout son capital dans une entreprise déterminée. La condition en est que son capital soit suffisant pour pouvoir fonctionner d’une façon indépendante dans cette branche d’industrie. L’actionnaire en revanche n'a besoin de disposer que d’un capital d'un montant tout à fait infime. L'entrepreneur industriel a investi son capital dans son entreprise, il n'agit que d'une façon productive dans cette entreprise et lui est intimement et durablement lié. Il ne peut pas le retirer, sinon par la vente de l'entreprise, ce qui signifie seulement un changement de personne, le remplacement d'un industriel par un autre. Il n'est pas capitaliste prêteur d’argent, mais capitaliste productif. Le revenu de l'entreprise - le profit industriel – lui appartient. Mais, si nous considérons l'actionnaire comme un simple capitaliste prêteur d’argent, le fait pour lui d'obtenir un intérêt sur son capital suffirait pour qu'il le mette à disposition. Pour que l'actionnaire devienne capitaliste prêteur d'argent, il est nécessaire qu'il puisse reprendre à tout moment le capital-argent qu'il a prêté. Mais son capital apparaît comme celui du capitaliste individuel fixé dans l'entreprise, Et c'est en fait le cas. L'argent a été cédé et a servi à l'achat de machines, de matières premières, au paiement des ouvriers, etc., bref il s'est transformé, de capital-argent en capital productif. A<Mp/F, pour entreprendre son mouvement circulaire en tant que capital industriel. Ce capital, une fois cédé, l’actionnaire ne peut plus le reprendre. Il n'a plus sur lui aucun droit, mais seulement sur une part déterminée du revenu. Toutefois, dans la société capitaliste, chaque somme d'argent a la capacité de produire un intérêt et, réciproquement tout revenu régulier, qui est transférable (et c'est le cas dans la mesure où il n'est pas lié à une condition purement personnelle et par conséquent passagère, indéterminable comme le salaire ouvrier, etc.) est considéré comme intérêt d'un capital et acquiert un prix égal au montant capitalisé au taux d'intérêt en vigueur[2]. Cela s'explique sans plus par le fait que des sommes d'argent de plus en plus grandes sont disponibles pour être mises en valeur et trouvent cette mise en valeur dans le droit à ce revenu. C'est pourquoi l'actionnaire est en mesure de reprendre à tout moment son capital au moyen de la vente de ses actions, de son droit à sa part de profit, et se trouve ainsi dans la même situation que le capitaliste prêteur d'argent. Cette possibilité de vente est fournie par un marché spécial, la Bourse des valeurs. C'est la création de ce marché qui donne au capital-actions, lequel devient dès lors à tout moment « réalisable » pour l'actionnaire individuel, le caractère de capital-argent. Réciproquement, le capitaliste prêteur d'argent conserve son caractère même quand il investit son capital sous forme d'actions. Le capital-argent libre est par conséquent comme tel, c'est-à-dire en tant que capital portant intérêt, en concurrence pour le placement en actions, de même que dans sa fonction propre de capital de prêt il est en concurrence pour le placement en prêts portant intérêt. La concurrence autour de ces différentes possibilités de placement rapproche le prix de l'action de celui des placements portant intérêt et ramène pour l'actionnaire le revenu sur le profit industriel à l'intérêt.

Cette réduction à l'intérêt est par conséquent un processus historique qui va de pair avec le développement du système des actions et de la Bourse des valeurs. Aussi longtemps que la société par actions n'est pas la forme dominante et que la négociabilité de l'action n'est pas développée, le dividende comprendra non seulement l'intérêt, mais aussi le bénéfice de l'entrepreneur.

Par conséquent, dès qu'apparaît la société par actions, l'entreprise industrielle fonctionne avec un capital-argent dont la transformation en capital industriel ne produit plus le profit moyen, mais seulement l'intérêt moyen.

Toutefois, il semble qu'ici apparaît une contradiction manifeste. Le capital-argent mis à disposition en tant que capital-actions est transformé en capital industriel. Qu'il fonctionne pour son propriétaire - donc subjectivement - tout à fait à la manière du capital de prêt ne peut sûrement avoir aucune influence sur le revenu de l'entreprise industrielle. Celle-ci produira tout comme avant, dans des conditions normales, le profit moyen. Que la société par actions vende sa marchandise au-dessous du profit moyen, qu'elle renonce volontairement à une partie de son profit, pour répartir un revenu qui ne rapporte que l'intérêt aux actionnaires, est une hypothèse tout à fait improbable. Car chaque entreprise capitaliste cherche à obtenir le plus haut profit possible, et c'est précisément cet effort qui a pour résultat la vente au coût de production, c'est-à-dire à un prix égal au prix de revient, plus le profit moyen. Il semble par conséquent que les facteurs susmentionnés, qui donnent subjectivement au capital-argent placé sous forme d'actions le caractère de capital de prêt, donc de capital portant intérêt, ne suffisent pas pour expliquer que le revenu de l'action se ramène à l'intérêt. Car il resterait à expliquer où est passée l'autre partie du profit, à savoir le profit moyen moins l'intérêt, cette autre partie du profit qui constitue précisément le bénéfice de l'entrepreneur. Voyons cela d'un peu plus près.

La transformation de l'entreprise privée en une société par actions peut créer l'illusion que le capital a doublé. Mais le capital initial avancé par les actionnaires est définitivement transformé en capital industriel, continue d'exister en réalité comme tel. L'argent a servi à l’achat de moyens de production, a été dépensé dans ce but et par là a disparu définitivement du processus de circulation de ce capital. C'est seulement la transformation des moyens de production en marchandises et la vente de ces marchandises qui fait refluer de l'argent, mais un tout autre argent, de la circulation. Par conséquent, l'argent payé pour les futurs achats d'actions ne sera pas du tout le même que celui qui a été avancé par les premiers actionnaires et consommé; ce n'est pas une partie intégrante du capital de la société par actions, du capital de l'entreprise. C'est de l'argent supplémentaire, nécessaire pour la circulation des coupons capitalisés. De même, le prix de l'action n'est en aucune façon déterminé en tant que partie du capital, mais en tant que part du revenu capitalisé, par conséquent non une grandeur relativement fixe, mais une grandeur qui varie selon le taux d’intérêt en vigueur. C'est pourquoi le prix de l’action ne dépend pas de la valeur (ou du prix) du capital industriel fonctionnant vraiment, car l'action n'est pas un bon sur une partie du capital fonctionnant en fait dans l’entrepris, mais seulement sur une partie du revenu et par conséquent indépendant, premièrement de la grandeur du profit (c'est-à-dire d'une grandeur beaucoup plus variable que ne serait le prix des éléments de production du capital industriel), et deuxièmement du taux d’intérêt en vigueur[3] .

L'action est par conséquent un titre de revenu, titre de créance sur une production future, bon de revenu. Du fait que ce revenu est capitalisé et constitue le prix de l'action, un second capital semble exister dans ces prix des actions. Mais il est purement fictif. Ce qui existe vraiment, c'est seulement le capital industriel et son profit. Cela n'empêche pas que ce capital fictif existe sous forme de comptes et est mentionné comme « capital actions ». En réalité, ce n'est pas un capital, mais le prix d'un revenu, un prix qui n'est possible que parce qu'au sein de la société capitaliste chaque somme d'argent donne un revenu et que, réciproquement, chaque revenu apparaît comme le fruit d'une somme d'argent. Si pour l'action industrielle cette illusion est encore facilitée par le fait qu'il existe un capital industriel fonctionnant vraiment, le caractère fictif, purement comptable, de ce capital en papier est tout à fait certain pour d'autres titres de revenus. Des bons d'Etat n'ont besoin en aucune façon de représenter un capital existant. L'argent prêté par les créanciers de l'Etat peut s'être évanoui en fumée depuis longtemps, ces bons ne sont rien d'autre que le prix pour une part sur le produit des impôts, qui sont le revenu d'un tout autre capital que celui qui a été auparavant dépensé d'une façon improductive quelconque.

Les achats et ventes d'actions ne sont pas des achats et des ventes d'un capital, mais des achats et ventes de titres de rentes; les oscillations de leurs prix n'affectent en rien le capital industriel fonctionnant vraiment, dont ils représentent le revenu et non la valeur. Leur prix ne dépend pas seulement du revenu, mais du taux de l'intérêt auquel ils sont capitalisés. Mais ce dernier, dans ses mouvements, est tout à fait indépendant du sort du capital industriel individuel. Il en résulte déjà qu'il ne convient pas de considérer le prix de l'action comme une partie déterminée du capital industriel individuel.

Il n'est donc pas nécessaire que le montant total du capital-actions, autrement dit la somme des prix des titres de revenus capitalisés, coïncide avec le capital-argent initialement transformé en capital industriel. La question qui se pose est seulement de savoir d'où vient cette différence et quelle est son importance. Prenons une entreprise industrielle au capital de 1 million de marks. Supposons que le taux de profit moyen est de 15 %, le taux d'intérêt en vigueur de 5 %. L'entreprise donnera un profit de 150 000 marks. Mais cette somme de 150 000 marks, capitalisé en tant que revenu annuel à 5 % aura un prix de 3 millions de marks. A 5 %, le capital-argent préférerait peut-être recevoir des titres plus sûrs portant intérêt. Mais ajoutons à cela une haute prime de risque, disons de 2 %, tenons compte en outre des frais d'administration tantièmes, etc., qu'il a fallu retirer du profit de l'entreprise et qui étaient épargnés à l'entreprise privée, contrairement à la société, par actions, soit une diminution du profit disponible d’environ 20 000 marks : on pourra distribuer 130 000 marks, qui donneront aux actionnaires un intérêt de 7 %. Le prix des actions sera alors de 1 857 143 marks, disons 1 900 000 marks en chiffres ronds. Mais, pour donner un profit de 150 000 marks, il ne faut qu'un capital de 1 million de marks, ce qui fait que 900 000 sont libres, et ces 900 000 marks sont le produit de la transformation du capital rapportant un profit en capital portant intérêt (dividendes). Ils sont, si nous faisons abstractions des frais d'administration élevés qui découlent de la forme de la société par actions et diminuent le profit, égaux à la différence entre le montant capitalisé à 15 % et celui capitalisé à 7 %, par conséquent entre le capital qui donne le taux de profit moyen et le capital qui rapporte l'intérêt moyen. C'est cette différence qui apparaît comme « bénéfice des fondateurs », source de gain qui découle uniquement de la transformation du capital rapportant du profit en capital porteur d'intérêt.

La conception dominante, qui souligne avec tant de zèle le coût élevé de l’administration de la société par actions par rapport à l'entreprise privée, n'a pas vu ni expliqué ce problème étonnant : comment un gain peut-il provenir de la transformation d'une forme d'entreprise produisant à bon marché en une autre plus chère, mais s'est contentée de simples phrases sur le coût et le risque. Le bénéfice de fondation n'est ni du brigandage, ni une indemnité, ni un salaire, mais une catégorie économique spéciale.

Les économistes, dans la mesure où ils distinguent l'intérêt du bénéfice de l'entrepreneur, en général, conçoivent le dividende simplement comme intérêt, plus bénéfice de l'entrepreneur, c'est-à-dire exactement comme le profit de l'entrepreneur individuel. Qu'en cela on ne voit pas ce qu'a de spécifique la société par actions est clair. C'est ainsi que par exemple Rodbertus écrit : « Je veux encore ajouter, pour qu'on soit d'accord sur la terminologie, que le dividende d'une action comprend non seulement l'intérêt, mais aussi le bénéfice d'entreprise, ce qui n'est pas le cas de l'intérêt d'un titre d'emprunt[4]. » Ce qui rend impossible une explication du bénéfice des fondateurs. « C'est ... un bénéfice d'entreprise, qui, dans la forme d'activité[5] de la société par actions, revient encore au propriétaire du capital (lequel, s'il avait prêté son capital à un entrepreneur privé, n'aurait reçu que l'intérêt courant) et même lui revient aussi facilement que l'aurait fait l'intérêt, ce qui explique pourquoi la société par actions exerce sur nos capitalistes un tel pouvoir de séduction et pourquoi il est probable que cette forme d'entreprise par actions s'emparera de plus en plus du domaine industriel. Ce qu'on appelle brigandage financier n'est que simple écume, écume de l'affaire réelle[6]. » Abstenons-nous de toute condam­nation morale pour expliquer le bénéfice des fondateurs, qui n'est pas en lui-même une escroquerie, mais ne fait que rendre l'escroquerie possible. Rodbertus conçoit la chose d'une façon unilatérale et par conséquent fausse quand il écrit : « Le capital de prêt initial cesse donc, sous la forme d'actions, d'être du capital de prêt et augmente lui-même de valeur dans les mains de ses propriétaires et cela d'une façon qui ajoute encore aux délices divines de la vie des capitalistes de prêt en leur accordant presque toute la rente du capital[7] , par quoi Rodbertus entend le bénéfice d'entreprise, plus l'intérêt. Rodbertus ne voit que le contenu du processus, mais il ne s'aperçoit pas que la forme de la transformation est ici essentielle, du fait que le capital-argent devient en même temps capital fictif, tout en gardant pour ses propriétaires la forme de capital-argent[8].

Si nous considérons maintenant la forme de circulation propre du capital fictif, nous trouvons ce qui suit : les actions (A) sont émises, par conséquent vendues contre de l'argent (Ar). Cet argent se divise en deux parties : l'une (ar 1) constitue le bénéfice des fondateurs, appartient aux fondateurs, par exemple la banque d'émission, et sort de la circulation; l'autre (Ar 1) se transforme en capital productif et décrit le mouvement circulaire, déjà connu de nous, du capital industriel. Les actions sont vendues; pour qu'elles circulent elles-mêmes de nouveau, il faut de l'argent supplémentaire (Ar 2) comme moyens de circulation. Cette circulation (A-Ar2-A) se fait sur son propre marché, la Bourse.

Nous avons par conséquent la figure de circulation suivante :

A<Ar1— M <Mp .... P.... M' — Ar'1
ar1F
|

|

Ar2

|

|

A

Une fois émise, l'action n'a plus rien à voir avec le mouvement véritable du capital industriel qu'elle représente. Les heurs et malheurs qui l'attendent dans sa circulation propre n'affectent en rien le mouvement circulaire du capital productif.

Le commerce des actions, plus généralement des titres de capital fictif, nécessite un nouvel argent - argent liquide et argent de crédit -, par exemple des traites. Mais tandis que la traite était précédemment couverte par la valeur de la marchandise, elles l'est maintenant par la « valeur de capital » de l'action, laquelle dépend du revenu. Ce dernier à son tour dépend de la vente des produits que fabrique la société par actions, donc de la vente des marchandises à leur valeur, c'est-à-dire à leur coût de production. Ainsi cet argent-crédit est couvert indirectement par la valeur des marchandises. En outre, tandis que le mouvement des paiements dans le commerce est déterminé dans ses dimensions par la valeur des marchandises, cette valeur est déterminée par le montant du revenu. D'autre part, l'argent vraiment nécessaire est limité ici par le fonctionnement de ce papier.

Si nous considérons maintenant la formule pour le bénéfice des fondateurs (Aa), nous obtenons ce qui suit, en posant que le profit moyen = p, le dividende = d et que le revenu de l'entreprise = R et en tenant compte que le capital est égal à cent fois l'intérêt, divisé par le taux de ce même intérêt :

Aa =100 R100 R
——————
DP


Si l'on voit le revenu de la société par actions diminué par suite du coût élevé de l'administration, il faut remplacer E par E-n. On voit que la séparation de la fonction d'entrepreneur, que l'économie politique classique constate d'une façon purement descriptive, est en même temps une transformation du capitaliste industriel en actionnaire, en une sorte particulière de capitaliste prêteur d'argent, avec la tendance consistant à faire de plus en plus de l'actionnaire un simple capitaliste prêteur d'argent, tendance complétée par la négociabilité constante de l'action à la Bourse.

Notre conception de la société par actions va plus loin que celle développée par Marx. Dans son esquisse générale (l'étude approfondie lui en a été malheureusement interdite) du rôle du crédit dans la production capitaliste[9], Marx a considéré la création de sociétés par actions comme conséquence du système du crédit et caractérisé comme son résultat :

« 1) Un élargissement considérable de l'échelle de la production et des entreprises, qui était impossible pour les capitaux privés. De telles entreprises, qui étaient autrefois des entreprises gouvernementales, deviennent sociales.

« 2) Le capital, qui en soi repose sur un mode de production sociale et suppose une concentration sociale de moyens de production et de forces de travail, reçoit ici directement la forme de capital social (capital d'individus directement associés), contrairement au capital privé, et ses entreprises se présentent comme des entreprises sociales, contrairement aux entreprises privées. C'est la suppression du capital en tant que propriété privée à l'intérieur des frontières du mode de production capitaliste lui-même.

« 3) La transformation des capitalistes productifs en un simple directeur-administrateur d'un capital étranger et des propriétaires de capitaux en simples propriétaires, simples capitalistes prêteurs d'argent. Même si les dividendes qu'ils reçoivent comprennent l'intérêt et le bénéfice de l'entrepreneur, c'est-à-dire le profit total (car le traitement des directeurs est ou doit être simple salaire d'une certaine sorte de travail qualifié, dont le prix est réglé sur le marché du travail comme celui de tout autre travail) ce profit total n'est encore tiré que sous la forme de l'intérêt, c'est-à-dire en tant que simple indemnité de la propriété du capital, qui est maintenant tout à fait sépare de la fonction dans le processus de reproduction véritable, comme cette fonction est séparée en la personne du directeur de la propriété du capital. Le profit se présente ainsi (et non plus seulement une partie de ce profit, l'intérêt, qui voit sa justification dans le profit du prêt) comme simple appropriation de surtravail étranger, provenant de la transformation des moyens de production en capital, c'est-à-dire de son aliénation à l'égard des véritables producteurs, de son antagonisme en tant que propriété étrangère à l'égard de tous les individus vraiment occupés dans la production, depuis le directeur jusqu'au dernier manœuvre. Dans les sociétés par actions la fonction est séparée de la propriété du capital, par conséquent aussi le travail complètement séparé de la propriété des moyens de production et du surtravail. C'est là le résultat du plus haut développement de la production capitaliste, un point de passage nécessaire vers la retransformation du capital en propriété privée de producteurs, non pas en tant que propriété privée de producteurs isolés, mais en tant que propriété de leur production sociale, associée, directe. C'est d'autre part un point de passage vers la transformation de toutes leurs fonctions dans le procès de reproduction, jusqu'ici encore liées à la propriété du capital, en simples fonctions des producteurs associés, en fonctions sociales.

« Avant d'aller plus loin, il faut encore faire cette remarque importante au point de vue économique. Comme le profit prend ici purement la forme de l'intérêt, de telles entreprises sont encore possibles quand elles donnent un simple intérêt, et c'est là une des raisons qui retardent la baisse du taux de profit général, du fait que ces entreprises où le capital constant est dans une si immense proportion par rapport au capital variable ne consentent pas nécessairement à l'égalisation du taux de profit général. »

Ce que Marx considère ici, ce sont les conséquences éco­nomiques des sociétés par actions. Il ne considère pas encore le dividende en tant que catégorie économique spéciale et laisse par conséquent aussi en dehors de son étude le bénéfice des fondateurs. En ce qui concerne sa dernière remarque sur l'influence exercée sur la formation du taux de profit moyen et la baisse du taux de profit, il est clair qu'avec l'extension des sociétés par actions le profit de ces sociétés doit, tout comme celui des entreprises privées, consentir à l'égalisation du taux de profit général. Marx avait en vue les compagnies de chemin de fer de son époque et sous ce rapport sa remarque peut être partiellement juste, mais seulement partiellement, pour cette raison que dans ces compagnies également le bénéfice des fondateurs avait déjà englobé une partie du profit, lequel devait se répercuter dans le prix des voyages en chemin de fer.

2. Financement des sociétés par actions, sociétés par actions et banques[modifier le wikicode]

Lors de la fondation d'une société par actions, le capital-actions est par conséquent calculé de telle sorte que le profit de l'entreprise suffise pour distribuer sur ce capital un dividende qui donne aux différents propriétaires d’actions l'intérêt du capital investi par eux[10].

Si une haute conjoncture se présente ou si des circonstances favorables permettent de distribuer ensuite un dividende plus élevé, le cour des actions montera. En supposant que les actions d’une entreprise soient à 100 avec un dividende de 6 %, elles monteront à 150 si le dividende est de 9 %. Dans la différence des dividendes se reflètent par conséquent les hauts et les bas que connaissent les entreprises individuelles dans leur cours ultérieur. D’un autre côté, ces différences sont effacées pour les nouveaux acquéreurs d’actions dans la hausse ou la baisse des cours[11].

Dans la vie d'une société par actions, la différence entre le capital fonctionnant véritablement et le capital-actions (fictif) peut continuer à croître. Si l'entreprise donne un intérêt beaucoup plus élevé que l'intérêt moyen et qu'il en résulte la nécessité ou même seulement l'occasion d'une augmentation de capital, ce revenu plus élevé servira de base à la nouvelle capitalisation et le capital-actions nominal dépassera de beaucoup le capital fonctionnant dans l'entreprise. Ce sera le cas par exemple si le bénéfice est employé, totalement ou en partie, à la marche de l’entreprise. Comme un tel emploi promet une augmentation du revenu futur, il se produira en même temps une hausse du cours du capital-actions.

Abstraction faite de ce qui précède, des modifications du cours des actions se produiront, indépendamment des modifications dans le revenu et dans l'accroissement ou la diminution du capital fonctionnant véritablement, à la suite de changements dans le taux d'intérêt moyen. Un intérêt bas pendant une longue période de temps fait monter, toutes choses égales d'ailleurs, le cours du capital-actions, un intérêt élevé le fait baisser.

De la formation du dividende, il ressort déjà qu'il n'y a pas de dividende moyen, ni à la façon du taux d'intérêt, ni à celle du taux de profit. Le dividende est initialement égal à l'intérêt, plus une prime de risque, mais peut, au cours du développement, augmenter ou diminuer, et rester à ce niveau, car l'égalisation se fait ici par la concurrence, non dans le revenu, comme pour le taux d'intérêt et de profit, mais seulement dans le cours des actions.

La valeur du cours capital-actions est par conséquent toujours plus grande que celle du capital fonctionnant dans des conditions normales, c'est-à-dire rapportant le profit moyen. D'un autre côté, le revenu de l'entreprise et l’intérêt étant donnés, la valeur du cours du capital-actions dépend de la quantité des actions émises. La totalité du capital-actions d'une entreprise où le capital productif est d'un million de marks et rapporte 200 000 marks de profit aura une valeur de cours de 4 millions de marks si l'intérêt est de 5 %. Mais le cours d'une action de 1 000 marks de valeur nominale sera de 4 000 marks, si l'on a émis pour un million de marks d'actions, de 2 000 marks si l'on en a émis pour 2 millions, de 1 000 marks si l'on en a émis pour 4 millions, et de 500 marks si l'on en a émis pour 8 millions.

Quand le capital-actions est si grand que son cours, lors de l'émission, baisse au-dessous de sa valeur nominale, au-dessous du pair, on parle de délayage du capital-actions. Il est clair que ce délayage n'a au début qu'un caractère purement comptable. Le revenu une fois donné détermine le cours de la totalité du capital-actions; plus celles-ci sont nombreuses, plus est petite la part de ce revenu qui revient à chacune d'elles. Mais le délayage n'a rien à voir avec le bénéfice des fondateurs, qui naît bien plutôt, à chaque fondation de sociétés par actions, de la transformation de capital productif, rapportant du profit, en capital fictif portant intérêt. En fait, ce délayage ne représente rien d’essentiel et peut normalement être empêche par une loi, contrairement au bénéfice des fondateurs. La prescription de la législation allemande sur les sociétés par actions aux termes de laquelle l'agio de l'action doit être porté aux réserves a seulement eu pour résultat que les actions au pair ou bénéficiant d'un petit agio sont remises à un consortium bancaire qui les vend avec bénéfice (le bénéfice des fondateurs) au public.

Mais le délayage est parfois un bon moyen de technique financière pour accroître encore le bénéfice des fondateurs. Aux Etats-Unis, par exemple, à l'occasion des grandes fondations, on remet ordinairement deux sortes d'actions : les preferred shares (actions préférentielles) et les common shares (actions ordinaires). Les premières ne donnent qu'un intérêt limité, qui ne dépasse pas 5 à 7 %. Elles sont aussi souvent cumulatives, c'est-à-dire que si, au bout d'un an, tout le dividende auquel elles ont droit n'a pas été versé elles peuvent rattraper le retard sur le revenu des années suivantes. Ce n'est qu’une fois payées les actions préférentielles qu’on peut distribuer des dividendes sur les actions ordinaires. Le montant des actions préférentielles est, lors de la fondation de la société, fixé d'ordinaire de telle sorte qu'il est plus élevé que le capital vraiment nécessaire à la production. Ces actions englobent déjà la plus grande partie du bénéfice des fondateurs. Ensuite viennent les actions ordinaires, d'un montant presque toujours sensiblement égal. Leur valeur de cours est d'ordinaire très faible au début; actions préférentielles et actions ordinaires sont la plupart du temps un peu au-dessus du pair. Mais les actions ordinaires restent pour une bonne part entre les mains des fondateurs, ce qui leur permet de s'assurer la majorité[12]. D'un autre côte, les actions préférentielles ont la plupart du temps un intérêt fixe, tandis que celui des actions ordinaires est complètement indéterminé et dépend de la conjoncture. Leur revenu oscille extraordinairement, ce qui fait qu'elles offrent prise à la spéculation, car les fluctuations de cours peuvent être utilisées par les gros actionnaires particulièrement initiés, à qui elles n'ont rien coûté, en vue de fructueuses opérations. Mais, troisièmement, cette méthode de financement assure aux fondateurs, aux possesseurs d'actions ordinaires, le surprofit que la fondation de la société doit leur apporter et le revenu de toutes les innovations et conjonctures favorables futures, tandis que le bénéfice du public, qui possède les actions préférentielles, ne consiste qu'en une limite fixe, ne dépassant guère l'intérêt. Enfin, cela sert à masquer jusqu'à un certain point la véritable situation de l'entreprise, et cette obscurité peut être utilisée facilement en vue d'opérations frauduleuses[13]. Cependant, la surcapitalisation n'a aucune influence sur les prix. C'est une erreur de croire que, parce que le capital fictif à été nominalement gonflé on peut violer les lois des prix. Qu’un grand capital-actions fasse souhaiter que des prix élevés permettent le paiement des intérêts est tout à fait compréhensible. Mais, même si le capital était inscrit pour zéro, aucun capitaliste ne pourrait vendre à meilleur marché qu’il ne doit, serait-il maître d'une entreprise privée, d'une simple société par actions ou d'un trust.

La société par actions est une société de capitalistes. Elle est constituée par le versement d'un capital; la mesure dans laquelle chaque capitaliste participe à cette constitution de société est donnée par l'importance de sa contribution au capital de la société; c'est pourquoi son droit de vote, c'est-à-dire son pouvoir de décision, dépend naturellement de l'importance de sa contribution. Le capitaliste n'est tel que dans la mesure où il a un capital, et il ne se distingue de tout autre capitaliste que quantitativement. Mais, par là, le pouvoir de disposition sur l’ensemble de l'entreprise est entre les mains des détenteurs de la majorité du capital-actions. Pour pouvoir disposer de la société par actions, il ne faut posséder par conséquent que la moitié du capital, et non la totalité comme pour une entreprise privée. Cela double la puissance des gros capitalistes. Un capitaliste qui transforme son entreprise privée (abstraction faite du crédit) en société par actions n'a besoin, pour conserver son pouvoir de décision sur l'entreprise, que de la moitié de son capital. L'autre moitié devient libre et peut être retirée de cette entreprise. Certes, il perd son dividende sur cette moitié. Mais le pouvoir de décision sur le capital étranger est beaucoup plus important et la domination de l'entreprise, abstraction faite de tout le reste, est de la plus haute importance en ce qui concerne le mouvement des actions en Bourse.

En fait le montant du capital qui suffit pour contrôler la société par actions est d'ordinaire encore plus faible, et va d'un tiers à un quart du capital et même moins. Mais celui qui contrôle la société par actions a sur le capital étranger le même pouvoir de décision que sur le sien propre. Cette sorte de disposition n'a rien à voir avec la disposition du capital étranger en général. Si dans la société capitaliste développée chaque capital propre est, grâce au développement du crédit, en même temps représentant de capital étranger prêté - et de l'importance de ce capital propre dépend, toutes proportions gardées, l'importance du crédit, lequel croît encore plus rapidement que le capital propre -, celui des gros actionnaires en est doublement le représentant. Ce capital a donc un pouvoir de décision sur celui des autres actionnaires et tout le pouvoir de capital de l'entreprise exerce à son tour une attraction sur le capital étranger, capital de prêt que reçoit l'entreprise.

Mais un gros capital contrôlant une société par actions aura un poids beaucoup plus grand encore s'il ne s'agit plus d'une seule société, mais de tout un réseau de sociétés dépendant les unes des autres. Supposons que le capitaliste N contrôle avec un paquet d'actions de 5 millions la firme A, dont le capital-actions est de 9 millions. Supposons que cette société fonde une filiale B, un capital-actions de 30 millions, dont elle conserve 16 millions en portefeuille. Pour pouvoir payer ces 16 millions, A émet pour 16 millions d'obligations à intérêt fixe, qui ne possèdent pas le droit de vote. N contrôle maintenant avec ses 5 millions deux sociétés, par conséquent un capital de 39 millions. A et B peuvent, sur la base des mêmes principes, fonder de nouvelles sociétés, de sorte que N obtient avec un capital relativement faible le contrôle de capitaux étrangers énormes. Avec le développement du système se forme une technique financière particulière, dont la tâche est d'assurer à un capital extrêmement faible le contrôle d'un capital étranger considérable. Cette technique a trouvé sa perfection dans le financement du réseau ferroviaire américain[14].

Avec le développement des sociétés par actions, d'une part, la concentration croissante de la propriété, de l'autre, croît le nombre des gros capitalistes qui placent leur capital dans différentes sociétés par actions. Mais un gros paquet d'actions donne la possibilité de se faire représenter dans la direction de la société. En tant que membre du conseil d'administration, le gros actionnaire reçoit sous forme de tantièmes, premièrement, une participation au profit[15], deuxièmement, la possibilité d'exercer une influence sur l'administration de l'entreprise ou d'utiliser les renseignements qu'il a sur la marche de cette entreprise, soit pour des opérations spéculatives, soit pour toutes sortes de transactions ordinaires. Il se crée ainsi un cercle de personnes qui, grâce à leur propre puissance de capital ou en tant que représentants de la puissance concentrée de capitaux étrangers (directeurs de banques), font partie des conseils d'administration d'un grand nombre de sociétés par actions. Il se forme ainsi une sorte d'union personnelle[16], d'abord entre les différentes sociétés, ensuite entre celles-ci et les banques, union qui exerce une très grande influence sur la politique de ces sociétés du fait qu'il se crée entre elles un intérêt de propriété commun.

Pour réaliser la concentration des capitaux dans une entreprise, la société par actions rassemble son capital à l'aide de capitaux isolés, dont chacun est peut-être trop faible pour fonctionner industriellement, soit d'une façon générale, soit dans les branches d'industrie dont le domaine est la société par actions. Mais il faut tenir compte qu'à l'origine ce rassemblement se fait principalement par un appel aux capitaux individuels. Dans la suite du développement, les capitaux isolés sont déjà rassemblés et concentrés dans les banques. C'est pourquoi l'appel au marché de l'argent se fait par l'intermédiaire des banques.

Aucune banque ne peut penser fournir à elle seule le capital d'un entrepreneur privé. Elle ne peut lui apporter en règle générale que du « crédit de paiement ». Il en est autrement des sociétés par actions. Ici, fournir le capital signifie pour la banque rien d'autre que l'avancer, la diviser en parts et reprendre le capital au moyen de la vente de ces parts, par conséquent réaliser, dans la forme, une pure affaire d'argent A-A1. C'est la transmissibilité et la négociabilité de ces parts de capital qui constituent l'essence de la société par actions, qui donne alors à la banque la possibilité de la « fondation », et, par là, de la domination finale sur la société. De même ici la possibilité de contracter des dettes auprès des banques est plus grande que dans l'entreprise privée. Celle-ci doit en général pouvoir couvrir ses dettes au moyen du revenu et c'est pourquoi elles ne peuvent dépasser une certaine limite. Mais c'est précisément à cause de leur faiblesse relative qu'elles laissent le propriétaire privé assez indépendant. Dans la société par actions, la possibilité existe de couvrir ces dettes bancaires non seulement au moyen des revenus courants mais par l'augmentation du capital, l'émission d'actions et d'obligations, opération qui procure encore à la banque le bénéfice des fondateurs. C'est pourquoi la banque peut accorder à la société par actions, avec une plus grande sécurité qu'à l'entreprise privée, un crédit plus important, mais surtout un crédit d'un autre genre, crédit non pour effectuer des paiements, ce qui serait un crédit de circulation, mais pour compléter un capital d'entreprise insuffisant, c'est-à-dire un crédit de capital. Car la banque peut, si cela lui parait nécessaire, réduire ces allocations de crédit en apportant un nouveau capital grâce à une nouvelle émission d'actions ou d'obligations[17].

Mais la banque, non seulement peut accorder davantage de crédit à la société par actions qu'à l'entreprise privée, mais peut aussi placer une partie de son capital en actions pour une durée plus au moins longue. Dans tous les cas, la banque prend un intérêt durable à la société par actions, qu'elle doit, d'une part, contrôler pour assurer le bon emploi de son crédit et, de l'autre, dominer le plus possible en vue de s'assurer toutes les transactions financières qui rapportent des bénéfices.

Tout cela explique l'effort que font les banques pour exercer une surveillance constante sur les sociétés par actions auxquelles elles sont intéressées, et cela en se faisant représenter au conseil d'administration. Cette représentation assure en même temps la garantie que la société laisse faire par la banque toutes les autres transactions financières en rapport avec les émissions. D'un autre côté, la banque s'efforce, pour répartir le risque et élargir son cercle d'affaires, de travailler avec le plus grand nombre de sociétés possible. D'où la tendance à cumuler de tels postes de membres des conseils d'administration[18].

Les représentants de l'industrie dans les conseil d'administration jouent encore un autre rôle : nouer des relations d'affaires entre deux sociétés. Ainsi quand le représentant d'une compagnie de chemins de fer siège au conseil d'administration d'une société exploitant une mine de charbon et obtient que la ligne de chemin de fer de la compagnie reçoive son charbon de la mine en question.

Cette union personnelle, qui est aussi un cumul de sièges de conseils d'administration entre les mains d'un petit nombre de gros capitalistes, devient importante dès qu'elle annonce au amorce une liaison organique plus étraite entre les sociétés jusque-là indépendantes les unes des autres[19].

3. Société par actions et entreprise individuelle[modifier le wikicode]

Ainsi la société par actions ne fait pas appel, à sa fondation, à la couche relativement mince des capitalistes pro­ductifs, qui doivent unir la fonction de propriété à celle d'entrepreneur. Elle est d'avance indépendante de ces qualités personnelles et le reste pour toute la durée de son existence. La mort, le partage de la succession, etc., de ses propriétaires n'ont sur elle aucune influence. Mais ce n'est pas là une différence essentielle entre l'entreprise individuelle, qui, à partir d'un certain degré de développement, peut remplacer les qualités personnelles qui font défaut à son propriétaire par des employés appointés. De même sans importance pratique est une autre opposition qui est faite dans la littérature entre société par actions et entreprise privée, et selon laquelle, dans ce dernier cas, celui qui dirige est un entrepreneur tout à fait indépendant et pleinement responsable, mais aussi pleinement intéressé, tandis que dans le premier le commandement appartient à une masse d'entrepreneurs (actionnaires) peu informés, sans influence, qui ne sont que partiellement intéressés et ne connaissent rien à la marche de l'affaire. Car les sociétés par actions, et précisément les plus importantes, celles qui donnent le plus de bénéfices et font preuve de plus d'initiative, sont dirigées par une oligarchie et parfais même un seul gros capitaliste (ou une banque) qui en réalité sont aussi pleinement intéressés et indépendants de la masse des petits actionnaires. A quoi il faut ajouter que les directeurs, le sommet de la bureaucratie industrielle, sont intéressés non seulement par les tantièmes, mais aussi et avant tout par un paquet d'actions, généralement important, de l'entreprise.

Beaucoup plus important est cette différence de fait : l'appel au marché de l'argent est un appel général à tous ceux qui en possèdent, l'argent étant pris ici également comme disposition sur le crédit. La société par actions est indépendante du montant du capital individuel, qui ne doit être réuni dans une seule main que pour pouvoir fonctionner en tant que capital industriel d'une entreprise privée. Non seulement le cercle des personnes est élargi - quiconque a de l'argent peut être capitaliste prêteur d'argent - mais maintenant chaque somme d'argent dépassant un certain minimum (lequel peut, comme on sait, ne comporter que quelques schilling) donne la possibilité d'être réunie avec d'autres dans une société par actions et employée comme capital industriel. Cela donne d'avance à la société par actions une tout autre facilité de fondation qu'à l'entreprise privée et à celle qui existe déjà une force d'expansion beaucoup plus grande.

Dans ce caractère de groupement de capital les sociétés par actions remplissent une fonction analogue à celle des banques. La différence est celle-ci : le capital rassemblé dans les banques conserve sa forme initiale de capital-argent et est mise par le crédit à la disposition de la production. Dans les sociétés par actions, le capital dispersé est rassemblé sous la forme de capital fictif. Il ne faut pas croire du reste que le groupement de ces petits capitaux, qui peuvent n'être que des morceaux d'un grand, est un phénomène du même genre que la participation de petits capitalistes. Les petits capitaux peuvent appartenir à de gros capitalistes. Les petits capitaux de petits capitalistes sont réunis davantage par les banques que par la société par actions.

A la facilité de l'acquisition du capital s'ajoute celle de l'accumulation. Dans l'entreprise privée, l'accumulation est obtenue par le profit. Une partie du profit qui n'est pas consommée, ce qui suppose déjà une certaine importance de l’entreprise, est rassemblée en tant que capital-argent latent, jusqu'à ce qu’elle soit suffisante pour une nouvelle installation ou un élargissement de cette entreprise. Par contre, dans la société par actions, le dividende est d'abord versé aux actionnaires. Mais ici aussi il est possible d'accumuler une partie du profit, notamment avec de hauts dividendes dépassant considérablement le taux moyen de l'intérêt. Toutefois, avant tout, l'extension est indépendante de l'accumulation provenant du revenu propre de l'entreprise et peut être réalisée directement au moyen d’une augmentation de capital. La barrière de l'accroissement de l'entreprise privée, à savoir l'importance du profit réalisée au sein de cette entreprise, est tombée. Le dynamisme de croissance de la société par actions est ainsi beaucoup plus grand que celui de l'entreprise privée. La société par actions a à sa disposition pour son agrandisse­ment, comme pour sa fondation, tout le capital-argent libre. Elle ne s'agrandit pas seulement par l'accumulation de son propre profit. Tout le capital-argent accumulé et désireux d'être mis en valeur est l'eau qu'elle peut amener à son moulin. Ses obstacles qui proviennent de la dispersion individuelle du capital entre ses porteurs indifférents et fortuits sont supprimés. La société par actions fait directement appel à tout le capital disponible de la classe capitaliste.

L'indépendance à l'égard du capital individuel rend la grandeur de l’entreprise indépendante de l'importance de la richesse déjà accumulée dans une seule main et permet à cette entreprise - sans tenir compte du degré déjà atteint de la concentration des fortunes - de s'élargir. C'est ainsi que grâce à la société par actions des entreprises deviennent possibles ou tout au moins dans les dimensions nécessaires, qui jusque-là, du fait de l'importance de leurs besoins de capitaux, étaient inaccessibles à l'entrepreneur privé et par conséquent restaient à l'état de projets ou devaient être réalisées par l'Etat donc soustraites à l'influence du capital. Le principal exemple en est fourni ici, comme on sait, par les chemins de fer, qui ont contribué le plus fortement à l'extension des sociétés par actions. Cette signification de la société par actions consistant a briser la barrière personnelle de la propriété comme à n'être limitée dans ses dimensions que par la grandeur, non du capital personnel, mais du capital social[20], est, tout au moins à ses débuts de la plus haute importance.

L'expansion de l'entreprise capitaliste, devenue la société par actions, peut maintenant, détachée du lien de la propriété privée, se poursuivre selon les seules exigences de la technique. L'introduction de nouvelles machines, l'annexion de branches de production apparentées, l'exploitation de brevets, ne se font plus désormais que du point de vue de leur utilité technique et économique. Le souci du rassemblement du capital nécessaire qui, pour les entrepreneurs privés, joue un rôle essentiel, réduit sa force d'expansion, diminue sa capacité d'utilisation immédiate et de combat, ce souci disparaît. Les conjonctures favorables peuvent être mieux, plus profondément et plus rapidement utilisées, ce qui est très important si ces conjonctures favorables sont de courte durée[21].

Ces facteurs susmentionnés sont de la plus haute importance dans la lutte pour la concurrence. Nous avons vu comment la société par actions se procure des capitaux beaucoup plus facilement que l'entreprise privée. Elle a ainsi la possibilité d'organiser son activité selon des considérations purement techniques, alors que l'entrepreneur individuel se heurte constamment à la barrière que lui opposent les limites de son capital. C'est vrai même quand il utilise du crédit, puisque l'importance de ce crédit est subordonnée à celle de son capital propre. La société par actions en revanche n'est liée, ni pour sa fondation, ni pour son extension et l'amélioration de ses entreprises, à cette barrière de la propriété personnelle. Elle peut donc s'approprier les meilleures et les plus récentes conquêtes de la technique et, même au moment où elle procède à de nouvelles installations, elle est beaucoup plus indépendante que l'entrepreneur privé, lequel doit attendre que son profit ait atteint une taille suffisante pour qu'on puisse l'accumuler. La société par actions peut par conséquent être organisée d'une façon techniquement supérieure et, ce qui est tout aussi important, maintenir constamment cette supériorité. Mais cela signifie aussi qu'elle est en mesure d'utiliser des améliorations techniques dont l'effet est d'épargner du travail avant qu'elles ne soient devenues générales. Elle peut ainsi, par rapport à l'entreprise privée, travailler d'abord sur une échelle plus vaste, ensuite avec une technique supérieure, ce qui lui permettra d'obtenir un surprofit.

A cela s'ajoute la grande supériorité que possède la société par actions sur l'entrepreneur privé en ce qui concerne l'utilisation du crédit, supériorité dont il nous faut encore parler brièvement.

L'entrepreneur privé ne peut, en règle générale, demander du crédit que pour le montant de son capital circulant. Toute allocation de crédit dépassant ce montant transformerait le capital emprunté en capital fixe et lui enlèverait ainsi, de facto, pour le capitaliste prêteur d'argent également, le caractère de capital-argent. Le capitaliste prêteur d'argent serait simplement transformé en un capitaliste industriel. C'est pourquoi le crédit accordé aux entrepreneurs privés ne peut l'être que par des personnes au courant de la marche des entreprises en question. Le crédit à l'entreprise privée relève donc uniquement des petites banques locales ou privées, qui connaissent exactement les relations d'affaires de leurs clients.

La société par actions obtient plus facilement du crédit parce que la façon dont elle est organisée facilite extraordinairement la surveillance par une simple délégation d'un homme de confiance de la banque. Ici, le banquier privé est remplacé par un simple employé de banque. Mais alors les allocations de crédit à la société par actions peuvent se faire à une beaucoup plus grande échelle, étant donné qu'elle peut se procurer plus facilement des capitaux. Le danger n'existe pas que le crédit demandé soit immobilisé. Même s'il est utilisé par la société par actions pour l'acquisition de capital fixe, celle-ci peut saisir une occasion favorable, et sans tenir compte du véritable reflux du capital fixe, mobiliser le capital par une émission d'actions et l'employer à rembourser les dettes bancaires. En fait, c'est ce qui se passe tous les jours. Mais ces deux circonstances : le contrôle plus facile et la suppression de la limitation de crédit au capital circulant, donnent à la société par actions la possibilité d'une utilisation de crédit beaucoup plus large et par là une nouvelle supériorité dans la lutte pour la concurrence.

Cette supériorité économique consistant à obtenir plus facilement des capitaux au moment de la fondation et à pouvoir s'étendre plus facilement entraîne ainsi une supériorité technique.

Mais la société par actions possède encore, du fait de sa constitution, une autre supériorité dans la lutte des prix.

Nous avons vu que l'actionnaire a le caractère d'un capitaliste prêteur d'argent et n'attend de son capital investi que l'intérêt. Malgré le bénéfice des fondateurs, la diminution du profit due aux frais d'administration élevés, tantièmes, etc., le revenu peut, dans une conjoncture favorable, dépasser considérablement l'intérêt.

Le revenu accru, nous l'avons vu, ne profite pas toujours à l'actionnaire. Une partie peut être employée au renforcement de l'entreprise, portée aux réserves, lesquelles procurent à la société par actions dans les périodes de crise, un soutien plus fort par rapport à l’entreprise privée. En outre, des réserves abondantes permettent une politique de dividendes plus constante, ce qui a pour résultat de faire monter le cours des actions. Ou encore une partie de ce revenu peut être accumulée et, par conséquent, le capital fonctionnant vraiment, producteur de profit, accru sans qu'il soit nécessaire d'accroître le capital nominal. Cela aussi augmente, et dans une mesure encore plus grande que la constitution de réserves, la valeur réelle de l'action. Cette augmentation, qui ne se manifeste peut-être qu'avec un certain retard, profite aux gros actionnaires lesquels ont conservé leurs titres, tandis que les petits, qui souvent les ont vendus dans l'intervalle, ont dû y contribuer par la perte d'une partie de leurs gains.

Mais, s'il se produit une conjoncture défavorable et que la lutte pour la concurrence s'aggrave, une société par actions où, par suite d'une telle politique de dividendes, la différence initiale contre le capital-actions et le capital fonctionnant vraiment a fortement diminué ou même complètement disparu, peut ramener ses prix au-dessous du coût de production (c + p) à un prix égal à pr + i (prix de revient, plus intérêt), ce qui lui permettra encore de distribuer un dividende égal ou légèrement inférieur à l'intérêt moyen.

La capacité de résistance de la société par actions est ainsi plus grande. L'entrepreneur individuel s'efforcera de réaliser le profit moyen. S'il produit moins, il veillera à retrouver son capital. Il en est différemment dans la société par actions, non seulement à la direction, mais aussi chez les actionnaires. L'entrepreneur a besoin de son revenu pour vivre. Si celui-ci baisse au-dessous d'un certain niveau, ses moyens d'activité lui échappent, étant donné qu'il consomme une partie de son capital pour sa propre subsistance, d'où la faillite. Il en est tout autrement de la société par actions. Elle s'efforce de fournir l'intérêt de son capital-actions. Mais elle peut tenir assez longtemps pour ne pas travailler à perte. L'obligation de travailler en obtenant un revenu net n'existe nullement pour elle[22], notam­ment celle, menant droit à la catastrophe, qui pour le producteur individuel aboutit à la diminution de son capi­tal du fait de sa consommation propre jusqu'au point où ce capital devient insuffisant pour la poursuite de son acti­vité. Cette obligation se fait peut-être sentir pour l'action­naire et le contrant a vendre son action. Mais cette vente laisse intact le capital fonctionnant vraiment. Si le bénéfice net n'a pas disparu, mais seulement diminué, la société par actions peut à la longue se maintenir. S'il est tombé au-dessous du niveau moyen du dividende, le prix de l'action baissera. Les nouveaux acheteurs, comme les anciens déten­teurs des actions, calculent maintenant le résultat sur un capital amoindri. La valeur d'achat de l'action a baissé mais l'entreprise, qui, du point de vue du capitaliste industriel, est devenue non rentable, du fait qu'elle ne donne plus le profit moyen, est pour les nouveau acheteurs tout à fait rentable, et les anciens détenteur d'actions perdraient encore plus en cas d'arrêt total de entreprise. Mais même la société par actions qui travaille à perte est capable de résistance. Alors que l'entrepreneur privé est dans ce cas ordinairement perdu et la faillite inévitable, la société par actions est assez facilement « réorganisée ». Car la facilité qu'elle a de se procurer des capitaux lui permet de réunir les sommes nécessaires à la poursuite de l'entreprise et l'assainissement de la situation. Les actionnaires doivent en règle générale donner leur approbation. Déjà dans le prix de l'action cet état de l'entreprise est exprimé. Ils ne doivent que reconnaître la perte réelle. On réduit le capital­-actions, c'est-à-dire que le revenu est distribué sur un capital amoindri, conforme alors à ce dernier. Ou, s'il n'y a aucun revenu, on réunit un nouveau capital, qui, ajouté à l'ancien, de moindre valeur, donne ensuite un revenu suffisant. Remarquons ici en passant que ces assainissements et réorganisations sont pour les banques d'une double importance : premièrement, en tant qu'affaires rapportant de gros bénéfices, et, deuxièmement, en tant qu'occasions de placer sous leur dépendance les sociétés en détresse.

La séparation entre la propriété du capital et sa fonction est également importante pour la direction de l’entreprise. Pour les directeurs de la société par actions, l’intérêt de l'entrepreneur à l'obtention d'un profit le plus grand et le plus rapide possible, la tendance à l'exploitation forcée qui sommeille dans l'âme de chaque capitaliste, peuvent jusqu'à un certain point reculer devant les nécessités purement techniques que pose l'entreprise. Ils pousseront d'une façon plus énergique que ne le fait l'entrepreneur privé le développement de l'entreprise, le renouvellement des installations, mèneront plus durement la lutte pour la conquête de nouveaux marchés, malgré les sacrifices que la satisfaction de leurs exigences entraînent pour les actionnaires. Dans la gestion du capital étranger une tendance plus énergique, plus hardie et plus rationnelle, plus dégagée de toute considération personnelle, se manifestera d'autant plus qu'une telle politique aura en général l'approbation des gros actionnaires, qui pourront supporter. facilement les limitations provisoires de leur profit, tandis que finalement ils cueilleront à un cours et avec un profit plus élevé les fruits des sacrifices que les petits actionnaires, qui ont depuis longtemps vendu leurs titres, ont dû supporter eux aussi.

La société par actions est en cela supérieure à l'entreprise individuelle que chez elle les conditions et besoins purement économiques s'imposent également contre les conditions de la propriété individuelle qui peuvent, en certaines circonstances, entrer en conflit avec les nécessites technico-économiques.

Le mouvement de concentration du capital est constamment accompagné du détachement de morceaux de capital qui fonctionnent comme de nouveaux capitaux indépendants. « Ici joue un rôle important, entre autres, le partage de la fortune dans les familles capitalistes ... L'accumulation et la concentration qui l'accompagnent, non seulement sont donc divisées en de nombreux points, mais la croissance des capitaux fonctionnant est traversée par la formation de nouveaux capitaux et la division des anciens. C'est pourquoi l'accumulation se présente, d'une part, comme concentration croissante des moyens de produc­tion et du commandement sur le travail, de l'autre comme répulsion d'un grand nombre de capitaux individuels à l'égard les uns des autres[23]. »

Avec l'extension du système des actions, le développement économique se libère des hasards individuels du mouvement de la propriété, qui se manifeste dans le sort des actions, non de la société par actions. La concentration des entreprises peut donc se faire plus rapidement que celle de la propriété. Les deux mouvements ont leurs pro­pres lois. Mais la tendance à la concentration existe dans les deux. Dans le mouvement de la propriété elle paraît seulement plus fortuite et moins contraignante et elle est aussi en fait souvent contrariée par toutes sortes de hasards. C'est cette apparence qui amène certains à parler d'une démocratisation de la propriété par l'action. La séparation du mouvement de concentration industrielle et du mouvement de la propriété est importante parce qu'ainsi la pre­mière n'a plus besoin que d'obéir aux lois technico-écono­miques, indépendamment de la limite de la propriété individuelle. Cette concentration, qui n'est pas en même temps concentration de la propriété, doit être distinguée de la concentration et de la centralisation[24] qui se font par le mouvement de la propriété et avec lui.

Par la transformation de la propriété en propriété d'actions, le propriétaire devient propriétaire de moindre droit. En tant que détenteur d'actions, il dépend des décisions de tous les autres détenteurs d'actions. Il n'est que membre (quoique pas toujours précisément membre actif) d'une collectivité. Avec l'extension du système des actions, la propriété capitaliste se transforme de plus en plus en une telle propriété restreinte, qui ne donne au capitaliste qu'un simple titre de plus-value sans lui permettre d'exercer une influence quelconque sur la marche de la production. Mais cette limitation donne en même temps au détenteur de la majorité des actions un domination illimitée sur la minorité, et c'est ainsi que la propriété du plus grand nombre des petits capitaliste est de plus en plus limitée, la disposition illimitée sur la production supprimée, le cercle des maîtres de la production de plus en plus restreint. Les capitalistes forment une société dans la direction de laquelle la plupart d'entre eux n'ont pas voix au chapitre. La véritable disposition sur le capital productif est entre les mains de gens qui n'y ont contribué que pour une part seulement. Les propriétaires des moyens de production n'existent plus en tant qu'individus à part, mais ils forment une société, dont chaque membre isolé n'a droit qu'à une part correspondante du revenu.

4. L'activité d'émission[modifier le wikicode]

En tant qu'agents de la circulation des traites, les banques substituent au crédit commercial le crédit bancaire. En tant qu'agents de la transformation de l'argent inactif en capital-argent, les banques procurent aux capitalistes productifs un nouveau capital. Dans une troisième fonction, elles apportent également aux entrepreneurs du capital, non en le leur prêtant, mais en transformant du capital-argent en capital industriel et en capital fictif et en procédant elles-mêmes à cette transformation. D'une part, l'évolution a de plus en plus ce résultat de faire affluer tout l'argent dans les banques et de le faire transformer par leur seule entremise en capital-argent. De l'autre, le capital cesse du fait de la transformation du capital bancaire en capital industriel, d'exister sous forme d'argent et de faire partie intégrante du capital bancaire. Cette contradiction est résolue par la mobilisation du capital, sa transforma­tion en capital fictif, en titres de revenus capitalise. Mais comme en même temps avec cette transformation le marché de ces titres s'élargit, et qu'ils peuvent à tout moment être transformés en argent, ils peuvent devenir eux-mêmes partie intégrante du capital bancaire. La banque n'entre ici dans aucun rapport de crédit et n’obtient non plus aucun intérêt. Elle ne fait que mettre le capital-argent destiné à être transformé en capital industriel à la disposition du marché sous forme de capital fictif. Là, le capital fictif est vendu et la banque réalise le bénéfice des fondateurs qui découle de la transformation du capital industriel en capital fictif. L'expression « crédit d'émission » ne traduit par conséquent aucun rapport de crédit, mais signifie seulement la confiance plus ou moins fondée du public en l'honnêteté de la banque.

Cette fonction de la banque consistant à mobiliser le capital découle de son pouvoir de disposition sur tout l’argent de la société. Elle exige d'elle un important capital lui appartenant en propre. Le capital fictif, le titre de créance, est une marchandise sui generis, qui ne peut être retransformée en argent que par la vente. Pour cela, un certain temps de circulation est nécessaire, pendant lequel le capital de la banque reste fixe dans cette marchandise. En outre, on ne peut vendre à n'importe quel moment, alors que la banque doit toujours remplir ses obligations sous forme d'argent. C’est pourquoi elle doit toujours disposer d'un capital pour lequel elle n’a pas d’obligation, c'est-à-dire qui lui appartienne en propre. D'un autre côté, avec le développement de l'entreprise industrielle augmente l'importance des transactions et par là la nécessité d'une augmentation du capital bancaire[25].

Plus est grand le pouvoir de la banque, plus facilement elle réussit à ramener le dividende à l'intérêt et à s'approprier le bénéfice des fondateurs. Réciproquement, des entreprises solides réussiront, à l’occasion des augmentations de capital, à s'assurer à elles-mêmes une partie de ce bénéfice. Il se déroule alors une sorte de concurrence pour la répartition du bénéfice des fondateurs entre la société et la banque, ce qui constitue un nouveau motif pour la banque d'assurer sa domination sur l'entreprise.

II va de soi qu’un bénéfice de fondateurs pourrait être réalise, non seulement a l’occasion de fondations au sens propre du terme, qu'il s'agisse de fondations nouvelles ou de la transformations d'entreprises privées déjà existantes en sociétés par actions. De même, un bénéfice de fondateurs au sens économique du terme, peut être obtenu à chaque augmentation de capital des sociétés par actions existantes, à supposer que leur revenu dépasse le simple intérêt.

En partie, ce qui frappe en tant que baisse du taux d'intérêt n'est que la conséquence de la réduction croissante du dividende à l'intérêt, tandis que, dans le bénéfice des fondateurs, de plus en plus, tout le bénéfice d'entreprise est capitalisé, processus qui suppose un développement relativement élevé des banques et de leur liaison avec l'industrie, de même qu'un développement correspondant du marché du capital fictif, la Bourse. Si, dans les années 70 aux Etats-Unis, l'intérêt des obligations de chemins de fer était de 7 % contre 3,50 % aujourd'hui[26] c'est parce qu'aujourd'hui la partie contenue dans les 7 % en tant que bénéfice des fondateurs est capitalisée par ces derniers. Cela signifie que le bénéfice des fondateurs a tendance à augmenter parce que le revenu des actions et des obligations est ramené de plus en plus à l'intérêt. Cette tendance va à l'encontre de la baisse du taux de profit. Cependant il faut admettre que cette baisse si souvent interrompue, et à laquelle s'opposent tant d'influences contraires, ne pouvait, dans son résultat final supprimer cette tendance à l'augmentation du bénéfice des fondateurs, surtout dans les pays où le développement des banques et de la Bourse s'est poursuivi le plus rapidement et où l'influence des banques sur l'industrie a été la plus forte.

Tandis que le capitaliste prêteur d'argent reçoit l'intérêt en prêtant son capital, la banque, qui émet les actions et dans ce cas ne prête rien, n'en reçoit aucun. Cet intérêt, ce sont les détenteurs d'actions qui le reçoivent sous forme de dividende. La banque obtient le bénéfice de l'entrepreneur, non pas en tant que revenu annuel, mais capitalisé en tant que bénéfice des fondateurs. Le bénéfice de l'entrepreneur est un revenu constant, mais qui est versé une fois pour toutes à la banque sous forme de bénéfice des fondateurs. La banque a posé la répartition capitaliste de la propriété comme éternelle et immuable et escompté cette éternité dans le bénéfice des fondateurs. Elle s’en est contentée une fois pour toutes et n'exige aucun dédommagement pour la suppression de ce partage de propriété. Elle a déjà reçu son salaire.

Chapitre VIII. La bourse des valeurs[modifier le wikicode]

1. Les valeurs boursières. La spéculation[modifier le wikicode]

La Bourse est le marché des valeurs. Par là, nous entendons en premier lieu tous les « papiers de valeur » en général, qui représentent des sommes d'argent. Ils se divisent en deux groupes principaux : bons de paiement, qui ne sont rien d'autre que des titres de créance, par conséquent des papiers de crédit libellés pour la somme d'argent pour laquelle ils ont été établis, et dont le principal représentant est la traite. Le second groupe comprend les papiers qui ne représentent pas la somme d'argent, mais son revenu; ils se divisent eux aussi en deux sections : les papiers à intérêt fixe, bons d'Etat et obligations et les papiers à dividende, les actions. Mais, dans la société capitaliste, nous le savons, tout revenu versé à intervalles réguliers (annuel) s'entend comme revenu d'un capital, dont l'importance est égale au revenu capitalisé au taux d'intérêt en vigueur. Ainsi, ces papiers de valeur représentent également des sommes d'argent. Cependant, la différence par rapport au groupe précédent est celle-ci; pour les papiers de crédit, la somme d'argent constitue l'élément primaire; de l'argent ou une valeur de grandeur égale a vraiment été prêté et porte maintenant intérêt. Ces papiers ne circulent qu'un certain temps : ils trouvent leur fin quand le capital est remboursé. De ce fait la traite devient caduque. Que des traites soient constamment en circulation n'empêche pas que constamment certaines d'entre elles deviennent caduques et qu'ainsi le capital prêté retourne au prêteur. Ce dernier reçoit alors de nouveau la somme d'argent entre ses mains et peut la prêter de nouveau. L'échéance de la traite, par conséquent, le reflux constant du capital entre les mains de son propriétaire, est ici la condition du renouvellement constant du processus.

Il en est tout autrement dans le second groupe. Ici, l'argent a été cédé définitivement. Pour ce qui est des papiers d'Etat, il peut être depuis longtemps dépensé d'une façon improductive, c'est-à-dire avoir complètement disparu. En ce qui concerne les papiers industriels, il a été dépensé à l'achat de capital constant et de capital variable, il a servi comme moyen d'achat, sa valeur a été transférée dans les éléments du capital productif, la somme d'argent est dans les mains des vendeurs et ne revient plus à son point de départ. Les actions ne peuvent plus représenter cet argent pour la bonne raison qu'il est passé dans les mains des vendeurs des marchandises (les vendeurs des éléments du capital productif), dont il est devenu ainsi la propriété. Mais elles ne représentent absolument pas non plus le capital productif lui-même. Car, premièrement, les propriétaires d'actions n'ont aucun droit à une part quelconque du capital productif, mais seulement au revenu, et, deuxièmement, l'action ne représente pas une quelconque valeur d'usage concrète à la façon des warrants ou connaissements - ainsi que cela devrait être si l'action représentait vraiment une part du capital productif - mais elle ne donne droit qu'à une somme d'argent. C'est là le but précisément de la « mobilisation » du capital industriel. Mais cette somme d'argent n'est rien d'autre que le revenu capitalisé au taux d'intérêt en vigueur. Ici, par conséquent, le revenu, le revenu annuel, est le point de départ du mouvement du papier et c'est seulement d'après le revenu que la somme d'argent est calculée.

Il résulte déjà de ce qui précède que le nom généralement donné à la Bourse de « marché des capitaux » ne lui convient pas.

Les papiers du premier groupe sont des titres de créance. Ils proviennent dans leur immense majorité d'actes de la circulation, de transferts de marchandises sans l'intermédiaire de l'argent, lequel n'a fonctionné ici qu'en tant que moyen de paiement. Ils ont, en tant qu'argent de crédit, remplacé l'argent liquide. Leur commerce à la Bourse signifie seulement le transfert de l'allocation de crédit de l'un à l'autre. Mais la circulation du crédit-argent a, nous le savons, comme base et complément la circulation de l'argent véritable. Comme le crédit-argent qui circule ici réalise le mouvement des paiements, non seulement à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur, la Bourse ne doit pas avoir à sa disposition l'argent-crédit intérieur seulement, mais aussi l'argent-crédit et l'argent métallique étrangers. C'est pourquoi, en tant que complément de la circulation de l'argent-crédit, le commerce des devises étrangères comme de l'argent trouve aussi son centre à la Bourse. Là afflue le capital-argent disponible à tout moment à la recherche d'un placement, qu'il trouve dans les papiers de crédit. En cela la Bourse est en concurrence avec les instituts de crédit proprement dits, les banques. Mais la différence est à la fois quantitative et qualitative. Quantitative car ici ce n'est pas, comme pour les banques, le rassemblement des petites sources les plus diverses qui joue un rôle, mais de gros capitaux déjà rassemblés d'avance qui cherchent un placement. La concentration de l'argent, qui constitue pour les banques une si importante fonction, est ici déjà accomplie. Différence qualitative, en ce sens qu'il ne s'agit pas de différentes sortes d'allocation de crédit. Ici on ne met à disposition que l'argent nécessaire au maintien de la circulation de l'argent-crédit. L'argent est placé en montants importants, en traites de premier ordre. Tant à la demande qu'à l'offre, il s'agit de grosses sommes; l'offre et la demande se font face concentrées. C'est là que se forme le prix de marché du capital de prêt, le taux d'intérêt. C'est l'intérêt pur, libéré de toute prime de risque, car il s'agit des meilleurs papiers qu'on puisse posséder dans ce maudit monde capitaliste, des papiers dont l’excellence est encore moins douteuse que celle du bon Dieu. L'intérêt sur ces excellentes traites - excellentes naturellement pas dans le sens de leur méprisable valeur d'usage : même les meilleures traites ne sont pas écrites sur du papier à la cuve - paraît provenir directement de la simple propriété sur le capital-argent. L'argent ne semble pas avoir été cédé, car il peut être réalisé à tout moment par la négociation toujours possible de la traite. En tout cas il n'est placé que provisoirement, toujours prêt à une autre disposition. La sécurité et la courte échéance ont pour conséquence le bas niveau de l'intérêt pour ces placements, auxquels ne conviennent que de très gros capitaux qui ne sont libres que pour un temps souvent très court. Cet intérêt constitue le point de départ pour le calcul de l'intérêt pour les autres genres de placement. Son taux détermine aussi les déplacements des capitaux libres, flottants, d'une place boursière à une autre. Ces capitaux entrent dans des dimensions constamment changeantes dans la circulation, puis en ressortent.

La Bourse constitue ici le marché pour les mouvements d'argent des grandes banques et des grands capitalistes entre eux. Les traites dont il s'agit portent la signature d'une des premières maisons de banque. Les banques de l'intérieur et de l'étranger ou autres grands capitalistes placent dans ces traites des capitaux disponibles pour qu'ils soient employés de façon qu'ils portent intérêt et absolument sûre. Au contraire, les grands instituts de crédit portent ces traites à la Bourse pour se procurer les fonds nécessaires si les demandes qu'ils ont à satisfaire dépassent leurs disponibilités[27].

Les sommes d'argent qu'exigent ces mouvements s'élargissent et se contractent, mais elles existent toujours dans certaines dimensions minima. Elles servent à acheter les traites et on les rembourse quand celles-ci arrivent à échéance. Par ce retour constant de l'argent à son point de départ, par sa mission de simple intermédiaire dans le mouvement du crédit, la circulation de l'argent qui est investi dans ce premier groupe de valeurs boursières se distingue immédiatement de l'investissement de l'argent dans le second groupe, par exemple de l'investissement en actions. Ici l'argent est définitivement cédé, transformé en capital productif, et passe dans les mains des vendeurs de marchandises. Il ne revient pas, comme dans le premier cas, à la Bourse. Au lieu de l'argent, on a maintenant des titres d'intérêt capitalisés. Ici, de l'argent est vraiment retiré de la circulation.

Sur le marché des traites, la Bourse est en concurrence avec les banques. Le développement de ces dernières enlève à la Bourse une partie des traites; les relations entre les capitalistes industriels et la Bourse en tant que médiatrice du crédit de paiement, qui, à l'époque de l’apparition des banques, constituaient sa fonction la plus importante, lui sont enlevées en majeure partie par ces dernières. Il ne lui reste que le rôle d'intermédiaire entre les banques elles-mêmes et le commerce des devises qui permet les paiements étrangers et règle le cours des traites. Mais, ici aussi, une grande partie du trafic est assurée directement par les banques, qui entretiennent leurs filiales étrangères dans ce but. Le développement du système bancaire agit dans un double sens sur la limitation de cette partie du trafic boursier. D'abord directement, en ce sens qu'elles placent en quantités de plus en plus grandes leurs ressources sans cesse croissantes en traites, sans l'intermédiaire de la Bourse. Ensuite en ce sens que par suite du développement du système bancaire, le crédit de traites est remplacé en partie par d'autres formes de crédit.

La traite est du crédit accordé par un capitaliste productif (nous entendons par là tout capitaliste qui réalise du profit, par conséquent aussi le commerçant) à un autre au lieu de paiement. Le capitaliste qui le reçoit la fait escompter par la banque, laquelle prend ainsi le crédit à sa charge. S’ils ont tous les deux un dépôt ou un compte de crédit a la banque, ils peuvent, au lieu de la traite, régler leur paiement à l'aide d'un chèque sur la banque ou d'une inscription sur ses livres. La traite est ainsi devenue superflue. Elle a été remplacée par une transaction dans les livres de la banque, transaction qui, contrairement à la traite, qu'il faut négocier, n'apparaît pas du tout extérieurement. Du fait que les banques règlent dans une mesure toujours croissante les paiements de leurs clients, il en résulte une diminution du mouvement des traites, qui affecte également le marché boursier des traites. A cela s'ajoute, dans les pays où l'émission des billets constitue un monopole d'Etat, la position dominante de la banque d'émission sur le marché des devises, position qui n’est pas ébranlée en faveur de la Bourse, mais seulement des grandes banques. Ce domaine de la circulation de l'argent-crédit, ne donne pas lieu à une activité boursière spécifique, à l’exception de la spéculation sur les devises. La Bourse n'est ici que le marché central pour les sommes d'argent qui sont mises à la disposition de cette circulation de l'argent-crédit.

Ce qui constitue le domaine de l'activité boursière proprement dite est le marché des titres d'intérêt ou du capital fictif. Ici se fait en premier lieu le placement de l'argent en tant que capital-argent qui doit être transformé en capital productif. L'argent est définitivement cédé dans l'achat des titres d'intérêt et ne revient plus. Ne revient à la Bourse tous les ans que l'intérêt obtenu, par conséquent autrement que dans le placement des capitaux pour les papiers de crédit, où le capital lui-même revient. Au contraire, pour l'achat et la vente des titres d'intérêt, de nouvelles sommes d'argent sont nécessaires, qui servent a la circulation à la Bourse même. Par rapport aux sommes en circulation, elles sont relativement faibles. Comme les titres d'intérêt représentent des bons d'argent, ils peuvent se compenser mutuellement et il n'y a toujours qu'un petit solde à régler. Au moyen d'établissements spéciaux destinés au règlement de ces différences, on fait en sorte que seul le montant du solde est payé en argent liquide. Mais, pris absolument, les moyens de circulation nécessaires pour des buts boursiers, notamment en périodes de forte spéculation, sont considérables car, précisément dans ces périodes, la spéculation est presque toujours dirigée dans le même sens, ce qui fait que le solde restant à régler s'accroît fortement.

La question qu'il faut se poser maintenant est celle du genre de l'activité boursière et de sa fonction. Nous avons vu que cette activité sur le marché des traites coïncide avec celle des banques. De même, l'achat de valeurs à des fins de placement ne constitue pas une fonction spécifique de la Bourse : on peut acheter les valeurs à la banque aussi bien qu'à la Bourse, et c'est ce qui se fait d'ailleurs de plus en plus. L'activité boursière proprement dite est bien plutôt la spéculation.

Celle-ci apparaît tout d'abord en tant qu'achat et vente. Non de marchandises, mais de titres d'intérêt. Pour que le capitaliste productif réalise son profit, il faut que son capital-marchandises soit transformé en argent, que par conséquent sa marchandise soit vendue. Si cette fonction est assurée par un autre capitaliste, l'industriel doit lui céder une part de son profit. Tout le profit contenu dans la marchandise n'est réalisé définitivement que par la vente au consommateur. La marchandise va du producteur au consommateur, à propos de quoi il serait bien entendu absurde de penser à un simple mouvement local (comme par exemple l'achat de maisons) et de confondre le commerce avec le transport. Dans l'achat et la vente il ne s'agit pas d'affaires locales, mais de phénomènes économiques, de transferts de propriété. Dans les affaires banales, il s'agit aussi de changements dans l'espace. Mais qui voit l'essence du plaisir théâtral dans la recherche de l'emplacement du théâtre?

La marchandise échoit finalement à la consommation et disparaît ainsi du marché. Le titre d'intérêt, en revanche, est par nature éternel. Il ne sort jamais de la circulation comme la marchandise. Même quand il en est provisoirement retiré à des fins de placement, il peut revenir à tout moment sur le marché, et il revient en fait, après un temps plus ou moins long, en grandes ou petites quantités. Mais pour la circulation elle-même l'éloignement du titre d'intérêt du marché et, par là, de la circulation, n'est ni un but ni une conséquence. Le papier de spéculation proprement dit est constamment en circulation à la Bourse. C'est un va-et-vient continu, un mouvement circulaire et non un mouvement vers la sortie.

L'achat et la vente de marchandises sont des phénomènes socialement nécessaires. Ils constituent dans l'économie capitaliste la condition vitale de la société, sa condition sine qua non. Il n'en est pas de même de la spéculation. Celle-ci ne concerne pas l'entreprise capitaliste, ni la production, ni son profit. Le changement de propriété, la circulation permanente, est pour l'entreprise une fois fondée sans influence. La production et son revenu ne sont pas concernés par le fait que les assignations sur le revenu changent de mains, pas plus que la valeur du revenu n'est modifiée par les fluctuations de prix des actions. Au contraire, c'est, toutes proportions gardées, la valeur du revenu qui les détermine. L’achat et la vente des titres d'intérêt sont par conséquent des phénomènes purement économiques, un simple déplacement dans le partage privé de la propriété, sans aucune influence sur la production ou la réalisation du profit (comme pour la vente des marchandises). Les gains ou les pertes de la spéculation ne proviennent par conséquent que des différences des appréciations à chaque moment des titres d'intérêt. Ils ne sont pas du profit, une participation à la plus-value, mais ne proviennent que des différences d'appréciation concernant cette partie de la plus-value qui revient aux propriétaires d'actions, différences qui, nous le verrons, ne sont pas provoquées par des changements dans le profit vraiment réalisé. Ce sont de simples gains différentiels[28]. Tandis que la classe capitaliste en tant que telle s'appro­prie une partie du travail du prolétariat sans équivalent et obtient son profit de cette manière, les spéculateurs ne gagnent que les uns sur les autres. La perte de l'un est le bénéfice de l'autre. Les affaires, c'est l'argent des autres[Note de l'ED 1].

La spéculation consiste en l'utilisation du changement de prix. Mais non celui des marchandises. Contrairement au capitaliste productif, il est indifférent au spéculateur que les prix montent ou descendent. Il ne s'agit pas pour lui de prix de marchandises, auxquelles il ne s'intéresse pas, seulement des prix de ses titres d'intérêt. Mais ces derniers dépendent de la grandeur du profit, une grandeur qui peut augmenter ou diminuer, avec des prix, soit identiques, soit plus bas ou plus hauts. Car, pour le profit le facteur décisif, ce n'est pas le niveau absolu des prix de la marchandise vendue, mais le rapport de son prix de revient à son prix de vente. Pour le spéculateur, que le profit augmente ou diminue, cela lui est indifférent : ce qui compte, c'est le changement, et de le prévoir. Son intérêt est tout autre que celui du capitaliste productif ou du capitaliste prêteur d'argent, qui souhaite un revenu le plus stable possible et de préférence en augmentation constante. Les hausses des prix des marchandises n'ont alors d'influence sur la spéculation que s'ils sont l'indice d'un profit élevé. Ce sont les changements dans le profit, changements qu'il faut prévoir et attendre, qui sont à la base de la spéculation. Mais le profit qui a été produit est réparti sans tenir compte de la spéculation. Il est réparti entre les propriétaires du capital productif ou des titre de profit. Le spéculateur en tant que tel ne tire absolument pas son bénéfice du profit plus élevé; il peut tout aussi bien le tirer d'une baisse du profit. Il ne compte pas sur l'augmentation du profit, mais seulement sur les fluctuations des prix des titres de profit, comme conséquences de la hausse ou de la baisse du profit. Il ne conserve pas les titres de profit dans l'espoir d'obtenir un profit plus élevé, comme c'est le cas du capitaliste qui a placé son argent, mais cherche à obtenir un gain par l'achat et la vente de ses titres de profit. Ce gain ne consiste pas en une participation quelconque au profit, car il gagne même éventuellement avec un profit en baisse, mais au changement de prix, en ce sens qu'il peut à un moment donné acheter plus bas qu'il n'a vendu, ou vendre plus cher qu'il n'a acheté. Si tous ceux qui participent ; à la spéculation agissaient dans le même sens, fixaient au même taux la valeur des titres de profit[29], il ne pourrait y avoir aucun gain de spéculation. Ceux-ci ne naissent que parce que des appréciations opposées se forment, dont une seule apparaîtra comme juste. La différence qui se forme entre les appréciations des titres de profit à un moment donné de la part des acheteurs et des vendeurs constitue le gain spéculatif de l'un, la perte spéculative de l'autre. Le gain de l'un est ici la perte de l'autre, contrairement au profit du capitaliste productif, car le profit de la classe capitaliste n'est pas une perte de la classe ouvrière, qui, dans les conditions capitalistes normales, n'a rien de plus à recevoir que la valeur de sa force de travail.

Il faut maintenant examiner les facteurs dont la spéculation tient compte dans ses opérations. L'objet principal de la spéculation, ce ne sont pas les papiers portant intérêt fixe. Ici, les changements de prix dépendent principalement de deux acteurs : d'une part, du profit, et, de l'autre, du taux d'intérêt. Le premier est certes en général donné théoriquement par le taux de profit moyen. Mais celui-ci n'est que l'expression d'un nombre incalculable de profits individuels, dont le taux peut s'écarter considérablement du niveau moyen. Mais le taux du profit individuel est impossible à connaître pour les non-initiés. A côté des causes de détermination générale du taux de profit : grandeur de la plus-value et importance du capital prêté, tous les hasards des variations des prix du marché, de l'utilisation de la conjoncture par l'habileté individuelle des entrepreneurs, jouent ici un rôle décisif. Ce qui apparaît au dehors, c'est seulement le prix de la marchandise; le facteur décisif, à savoir le rapport du prix du marché au prix de revient reste inconnu au dehors, et n'est souvent connu des entrepreneurs eux-mêmes qu'à la fin d'une période de transformation et seulement après un calcul précis. Abstraction faite de la grandeur réelle du profit, toute une série de facteurs plus ou moins arbitraires exercent une influence sur le revenu qui parvient vraiment à être réparti sur les titres d'intérêt : amortissements, tantièmes, calcul des réserves, etc. Ces derniers facteurs donnent à la direction de l'entreprise le pouvoir de fixer arbitrairement le montant du revenu jusque dans certaines dimensions et d'influer ainsi sur les cours. Mais, en tout cas, c'est un facteur de détermination des prix, pratiquement décisif pour la masse des spéculateurs, absolument impossible à calculer. Étant donné les différences de prix infimes dont il s'agit parfois et l'importance de la poussée qu'une modification du profit par sa capitalisation déclenche dans les cours, une connaissance générale, plus ou moins superficielle, de l'entreprise, ne suffit encore pas. En revanche, la connaissance intime des initiés leur donne une grande sécurité et la possibilité de l'utiliser à peu près sans risque à des fins spéculatives.

Il en est autrement de la seconde cause de détermination des prix, le taux d'intérêt. Nous avons vu que, pour donner à la spéculation la possibilité de s'exercer, il faut qu'il existe une divergence d'opinions concernant l'évolution prévisible des cours, divergence provoquée par l'incertitude où l'on est touchant le futur profit. Le taux d'intérêt, en revanche, est, tout comme le prix de la marchandise sur le marché, une grandeur donnée à chaque moment, par conséquent connue de tous les spéculateurs. Mais ses variations aussi peuvent être prévues dans leur direction, tout au moins avec un certain degré de probabilité, abstraction faite de perturbations soudaines, plus ou moins, telles qu'en entraînent des événements qui exercent une influence directe sur les besoins d'argent, comme les guerres ou révolutions, les catastrophes, etc. A quoi s'ajoute l'intensité des répercussions des changements du taux d'intérêt sur les cours: ce taux baisse ordinairement dans les périodes de dépression, où la spéculation est faible, la confiance diminuée et où le niveau des cours des valeurs industrielles, malgré le faible taux d'intérêt, est au plus bas. Au contraire, aux époques de haute conjoncture et de spéculation déchaînée, le taux d'intérêt élevé est surmonté par l'attente de gains accrus sur les cours. Si, par conséquent, le taux d'intérêt et son évolution constituent un facteur plus sûr que l'évaluation par avance du profit, c'est essentiellement l'évolution de ce dernier qui donne à la spéculation sa direction et son intensité. Tel est par conséquent le facteur incertain, imprévisible, que les spéculateurs doivent faire entrer en ligne de compte. En d’autres termes, une prévision sûre est impossible à la spéculation ; elle tâtonne dans les ténèbres dans ses opérations. La spéculation boursière a le caractère d'un jeu et d'un pari. Mais ce pari est pour les initiés un pari à coup sûr.

Comme pour tous les prix, on peut aussi distinguer pour les cours, en dehors des causes de détermination propres des prix, ces causes occasionnelles qui s'expriment dans le rapport changeant de l'offre et de la demande. Pour la spéculation, qui ne s'occupe que du changement de prix et non de ses causes, celles-ci sont naturellement indifférentes. D'un autre côté, il est de l'essence de la spéculation, avec ses humeurs et espérances toujours changeantes - changement qui résulte nécessairement de leur incertitude -, de créer elle-même un rapport toujours changeant de l'offre et de la demande, qui agit à son tour comme facteur de changement de prix. Mais, dans ce domaine, chaque changement de prix est de nouveau une impulsion pour de nouvelles spéculations, de nouveaux engagements et changements de position, avec de nouveaux changements pour la demande et l'offre. Ainsi la spéculation crée pour les valeurs dont elle s'empare un marché toujours réceptif, donne ainsi la possibilité pour d'autres milieux capitalistes de transformer leur capital fictif en capital véritable, crée par conséquent le marché pour la circulation du capital fictif et par là la possibilité du changement constant des placements en capital fictif et de la transformation constante de ce dernier en capital-argent.

Mais l'incertitude de la spéculation crée encore un autre phénomène, à savoir la possibilité d'influencer la direction dans laquelle elle opère, l'entraînement des petits spéculateurs par les plus grands. Étant donné que le spéculateur ne sait rien (souvent en général, mais en tout cas en particulier)[30], il obéit à des signes extérieurs, à l'humeur générale du marché. Mais cette humeur peut être créée, et elle l'est en fait, par les gros spéculateurs, considérés, à tort ou à raison, comme bien informés. Leurs spéculations sont imitées par les petits. Ils renforcent par des achats importants le marché et font monter les cours, car leur demande accrue a pour résultat de faire monter les prix. Une fois le mouvement en marche, la demande s'accroît par les achats de ceux qui croient spéculer à leur suite, ce qui fait que les prix continuent de monter, bien que la participation des gros ait déjà cessé. Ceux-ci peuvent maintenant, selon le but qu'ils se sont fixé, réaliser peu à peu leur gain ou maintenir plus ou moins longtemps le niveau élevé des cours. Ici, la disposition de capitaux importants crée une supériorité sur le marché, car la direction dans laquelle ce dernier évolue est déterminée par la façon dont ces capitaux sont employés. Tandis que, dans le domaine de la production, l'avantage des plus grands capitaux consiste dans une production à meilleur marché, par conséquent dans la baisse des prix, ici le changement de prix est directement provoqué par l'action du capital. Cette circonstance est utilisée par les grands négociants en valeurs, les banques, pour pousser la spéculation dans une direction déterminée. Elles donnent à leurs clients des indications pour l'achat et la vente de certaines valeurs, provoquant ainsi une modification, d'ordinaire connue d'elles à l'avance, du rapport de l'offre et de la demande, d'où elles tirent bénéfice, comme c'est le cas de ceux qui prévoient la direction dans laquelle va s'engager la spéculation. Mais cela montre en même temps l'importance de ces suiveurs, de ces hommes isolés, du public. Pour la spéculation professionnelle, gains et pertes peuvent se compenser mais le grand public, qui suit seulement la direction (que leur montrent les gros spéculateurs et qui se maintient dans cette direction quand ceux-là se sont déjà retirés après avoir réalisé leurs gains, ces naïfs qui croient que maintenant le moment est venu de participer aux fruits de la haute conjoncture, ce sont eux qui ont à supporter les pertes et doivent, à chaque transformation de la conjoncture, ou même seulement à chaque saute d'humeur boursière, payer les différences, dont l'encaissement constitue l’« activité productive » de la spéculation.

Que celle-ci soit improductive, qu’elle ait le caractère d'un jeu et d'un pari - ce que l’opinion populaire voit en elle à juste titre - n'empêche pas qu’elle soit une nécessité en régime capitaliste ou tout au moins à une certaine étape du développement capitaliste. C’est une habitude courante, quoique abusive, de présenter tout ce qui est nécessaire dans la société capitaliste, comme ayant un caractère productif. Au contraire, la production capitaliste implique, du fait de son anarchie, de l'antagonisme entre les propriétaires des moyens de production et ceux qui les utilisent, dans son mode de distribution, toute une série de dépenses qui ne signifient pas un accroissement de la richesse, disparaissent dans une société organisée et sont en ce sens improductives[31]. Qu'elles soient nécessaires dans la société capitaliste, cela ne signifie pas qu'elles soient productives, mais porte seulement condamnation contre la façon dont cette société est organisée.

Certes, la spéculation est nécessaire, car elle permet à la Bourse de remplir ses fonctions, fonctions que nous allons maintenant examiner de près.

2. Les fonctions de la Bourse[modifier le wikicode]

La fonction de la Bourse change au cours du développement économique. A ses débuts, elle sert au mouvement des différentes sortes d'argent et des traites. Pour cela il ne fallait que le rassemblement de capitaux libres: investis dans les traites. Plus tard, elle devient le marché du capital fictif. Celui-ci se développe d'abord au fur et à mesure du développement du crédit d'Etat. La Bourse devient le marché des emprunts d'Etat. Mais un changement profond intervient avec la transformation du capital industriel en capital fictif, par conséquent la pénétration de plus en plus forte de la société par actions dans l'industrie. D'une part, s'étend ainsi rapidement et d'une façon illimitée le matériel mis à la disposition de la Bourse: de l'autre, l'existence de la Bourse en tant que marché toujours disponible est la condition de la transformation du capital industriel en capital fictif et de la réduction du dividende à l'intérêt.

C'est l'apparition de ce marché du capital fictif qui donne à la spéculation la possibilité de s’exercer. D’un autre côté, la spéculation est nécessaire pour que ce marché reste toujours ouvert et que par là le capital-argent ait la possibilité de se transformer à tout moment en capital fictif et à ce dernier celle de se transformer à nouveau en capital-argent. Car, du fait qu'au moyen d'achats et de ventes des gains peuvent être réalisés, le stimulant permanent pour les achats et les ventes est donné et par conséquent assurée l'existence stable d'un marché toujours ouvert. C'est la fonction essentielle de la Bourse de constituer ce marché destiné au placement du capital-argent. C'est seulement de cette façon que le capital peut se placer dans de vastes dimensions en tant que capital-argent. Car, pour qu’il puisse fonctionner en tant que capital-argent, il doit, premièrement, donner un revenu constant - l’intérêt - et, deuxièmement, pouvoir revenir à son propriétaire, ou, s’il ne revient pas effectivement, être remboursé à tout moment contre la vente des titres d'intérêt. C'est la Bourse qui seule a rendu possible la mobilisation du capital. Juridiquement, celle-ci n'est rien d'autre qu'une transformation et en même temps un doublement du droit de propriété[32]. La propriété sur les moyens de production passe des personnes privées à une société juridique, qui est formée à vrai dire de l'ensemble de ces personnes privées, mais où chacune d'elles en tant que telle n'a plus le droit de propriété sur son bien. Elle n'a plus droit qu'au revenu; sa propriété, qui signifiait autrefois un droit de disposition réel, illimité, sur les moyens de production et par là la direction de a production, est maintenant transformée en un simple titre revenu et son droit de disposition sur la production lui a été enlevé. Mais, au point de vue économique, la mobilisation du capital donne au capitaliste la possibilité de tirer à tout moment sous forme d'argent son capital investi et de le transférer dans d'autres domaines. Plus est élevée la composition organique du capital, moins ce changement pouvait s'accomplir par des changements réels du placement du capital productif dans ces éléments matériels. La tendance à l'égalisation du taux de profit se heurte de plus en plus à l'impossibilité croissante de retirer d'une branche de production le capital productif, dont la principale partie est formée de capital fixe. Le mouvement réel de l'égalisation ne s'accomplit que lentement, progressivement et d'une façon approximative, principalement par le placement de la plus-value à accumuler dans les sphères de placement à taux de profit élevé et la renonciation à de nouveaux placements dans celles où le taux de profit est bas. Le taux d'intérêt, lui, contrairement au taux de profit, est à tout moment donné, égal et général. L'égalité de tout le capital - et celle-ci ne consiste pas pour le capitaliste individuel dans l'égalité de la somme de valeur, mais dans celle du revenu de grandes valeurs - ne trouve son expression adéquate que dans la généralité et l'égalité du taux d'intérêt. L'indifférence du capitaliste à l'égard de la valeur d'usage, de la sphère de placement concrète de son capital, le fait que le capital n'est rien d'autre que de la valeur à la recherche de plus-value, n'entre en ligne de compte que dans ce rapport de quantité, n'est que titre de profit, ce fait conduit, avec une différence réelle du revenu (profit), à une mise en valeur différente des mêmes valeurs de capital. De deux capitaux d'une valeur de 100, dont l'un donne 10 de profit, l'autre 5, le premier est deux fois mieux mis en valeur que le second. La différence du profit que rapporte le capital individuel d'une part, mène, par la recherche à laquelle se livre le capitaliste individuel du plus grand profit possible pour son capital, à la concurrence des capitaux pour les sphères de placement et, par là, à la tendance à l'égalisation des taux de profit (et, auparavant, des taux de plus-value) et à l'établissement du taux moyen général de profit; mais, d'autre part, comme cette inégalité des taux de profit individuels est constamment créée à nouveau et provoque constamment le mouvement des capitaux, elle est constamment surmontée pour le capitaliste individuel par la mise en valeur de son capital d'après le revenu capitaliste au taux d'intérêt pour que cette mise en valeur soit pratique, que les capitalistes en tant que tels soient vraiment égaux, que l'égalité de tout ce qui rapporte un profit soit enfin réalisée, ce capital doit pouvoir également, à chaque instant, être réalisé d'après cette mesure de mise en valeur et cela dans la forme socialement valable, en tant qu'argent. C'est seulement à ce moment-là que l'égalité des taux de profit devient, pour chaque capitaliste individuel, une réalité. Celle-ci est souvent le résultat d'un renversement du rapport véritable. Le capital n'apparaît plus comme une grandeur déterminée et décisive pour la grandeur du profit. Au contraire, ce dernier apparaît fixé en tant que grandeur donnée et la grandeur du capital déterminée par lui, détermination qui, dans la fondation de la société par actions, devient pratique, permet l'obtention du bénéfice des fondateurs et en fixe le montant. Les rapports réels semblent renversés. Quoi d'étonnant qu'à ces économistes qui considèrent les conditions économiques avec des yeux de boursiers, l'exposé des conditions réelles apparaisse au contraire comme une absurdité ?

L'égalité de tout le capital se réalise ainsi dans son estimation d'après son revenu. Mais ces capitaux ainsi estimés ne sont réalisés et, par là, devenus véritables qu'à la Bourse, le marché des titres d'intérêt capitalisés, du capital fictif. Ainsi, si la loi interne du capitalisme, son besoin de mettre toutes les valeurs existant dans la société en tant que capital au service de la classe capitaliste et d'obtenir pour chaque fraction de capital le même revenu, pousse à la mobilisation du capital et, par là, à son estimation en tant que simple capital rapportant intérêt, la fonction de la Bourse est de rendre possible cette mobilisation en créant le lieu où s'opère le transfert et le mécanisme de ce dernier.

La mobilisation du capital transforme dans une mesure croissante la propriété capitaliste en titres de revenu et rend ainsi le processus de la production capitaliste, de plus en plus indépendant du mouvement de la propriété capitaliste. Car le commerce de ces titres de revenu, qui se fait à la Bourse, signifie un mouvement de propriété. Mais ce dernier peut se poursuivre maintenant indépendamment du mouvement de la production et sans exercer sur elle la moindre influence. Le mouvement de la propriété est devenu indépendant et n’est plus déterminé par la marche de la production. Alors qu'autrefois mouvement de propriété signifiait même transfert de la fonction capitaliste d'entrepreneur et que d'autre part un changement de la fonction d'entrepreneur entraînait un changement de propriété, il n'en est plus de même maintenant. Et alors qu'autrefois la principale cause du changement survenu dans le partage de la propriété était des changements survenus dans les résultats de la production, le partage de la propriété un produit de la concurrence industrielle, à cette cause s'en ajoutent maintenant d'autres qui découlent du mécanisme de la circulation des titres d'intérêt et peuvent provoquer des mouvements de propriété qui restent sans influence sur la production, de même qu'elles sont nées sans qu'un changement soit survenu dans les conditions de production.

Dans la circulation des marchandises, le transfert des biens va de pair avec le transfert de la propriété. Dans la simple production des marchandises, le transfert des biens apparaît comme l'essentiel, le facteur qui déclenche le processus de transfert de la propriété, ce dernier seulement comme le moyen de l'effectuer. Car le motif déterminant de la production est encore la valeur d'usage, la satisfaction de certains besoins. Dans la circulation capitaliste des marchandises, la circulation des biens signifie en outre la réalisation du profit né dans la production et constitue la force d'impulsion de l'activité économique. Au sein de la société capitaliste, le transfert de la marchandise force de travail au capitaliste signifie accroissement de la propriété capitaliste par la production de la plus-value. Mais, dans le circulation des valeurs, il s'agit de transfert de propriété, circulation de simples lettres de propriété sans transfert correspondant des biens. Ici, la propriété capitaliste a perdu tout lien avec la valeur d'usage. Le marché pour cette circulation de la propriété en soi est la Bourse.

La mobilisation elle-même, la création du capital fictif, est déjà en soi une cause importante de formation de propriété capitaliste en dehors du procès de la production. Si, autrefois, la propriété capitaliste se formait essentiellement par l’accumulation de profit, la création du capital fictif donne maintenant la possibilité du bénéfice des fondateurs. Par là, le profit est dirigé en grande partie entre les mains des grandes puissances d'argent qui seules sont en état de donner au capital industriel la forme du capital fictif. Cependant ce profit ne leur revient pas, comme le dividende des actionnaires, en tant que revenu annuel, dispersé, mais capitalisé sous forme de bénéfice des fondateurs, comme un somme relativement et absolument importante, qui dans sa forme d'argent peut fonctionner immédiatement en tant que capital. Chaque nouvelle entreprise paye ainsi d'avance un tribut à ses fondateurs, qui n'ont rien fait pour cela et n'auront peut-être jamais rien à faire avec elle. C'est un phénomène qui concentre de nouveau de grosses sommes d'argent entre les mains des grandes puissances d'argent.

Et un procès de concentration de la propriété indépendant du procès de concentration dans l'industrie se poursuit également à la Bourse. Ce sont les gros capitalistes au courant de la marche des sociétés par actions qui embrassent d'un coup d'œil le développement de l'affaire et peuvent prévoir l'évolution des cours. En outre, leur puissance de capital leur permet d'influencer, par des achats et des ventes appropriés, cette évolution même et d'en tirer bénéfice. Elle leur permet également les interventions pour lesquelles on leur fait encore tant d'éloges, à savoir les achats de valeurs dans les périodes de crise ou de panique, valeurs qu'ils peuvent ensuite, dès que le calme est revenu, revendre avec bénéfice[33]. Bref, ce sont eux qui sont au courant, et « toutes les fluctuations de la conjoncture sont avantageuses pour celui qui est au courant », comme disait le rusé banquier Samuel Gurney à la commission de la Chambre des lords[34].

Pour la fonction de la Bourse qui consiste à donner au capital industriel, par la transformation en capital fictif, pour le capitaliste individuel, le caractère de capital-argent, l'importance du marché est essentielle, car le caractère de capital-argent dépend du fait que les actions et obligations peuvent être vraiment vendues à tout moment et sans trop grande perte de cours. D'où la tendance à la plus grande concentration possible des affaires sur un seul marché. C'est ainsi que les affaires de banque et de Bourse sont de plus en plus concentrées au centre de la vie économique, dans la capitale, tandis que les Bourses régionales voient leur importance diminuer. En Allemagne, la Bourse de Berlin dépasse de beaucoup toutes les autres. A côté de Berlin, seules les Bourses de Hambourg et de Francfort jouent encore un rôle, mais elles perdent de leur importance.

Alors que, selon la théorie petite-bourgeoise, les actions signifient la « démocratisation du capital », la pratique petite-bourgeoise - toujours plus raisonnable - s'efforce de limiter aux seuls capitalistes la possession d'actions. Les représentants de la pratique du grand capitalisme se joignent très volontiers à ces avertissements, dans l'agréable certitude qu'ils ne seront pas trop mis à profit. « Qui a besoin d'un intérêt fixe pour vivre », dit l'expert Arnhold, « doit éviter d'acheter des actions[35] ». Les revenus changeants d'une action, explique-t-on ensuite, ne sont, pour celui qui a besoin de ses intérêts pour vivre, qu'une source de perte de capital, parce que de hauts dividendes l'entraînent la plupart du temps à un accroissement de son budget; il ne vend pas quand les cours sont élevés, mais ne le fait en général que quand la baisse des dividendes et celle des cours l'ont rendu craintif (et il le sera toujours, parce qu'il n'a pas la possibilité de connaître la véritable situation de l'entreprise et doit par conséquent se fier au cours, au « jugement » de la Bourse) ou qu'il est contraint de vendre pour tel ou tel motif.

3. Les affaires boursières[modifier le wikicode]

Les affaires boursières sont des affaires d'achat et de vente qui se distinguent essentiellement des autres par la marchandise qu'on échange et non la façon dont on le fait. Ce n'est pas la technique des affaires, mais leur contenu, qui est décisif au point de vue économique, et la description de ces détails techniques ressortit plus à un manuel pour commerçants pratiques qu’à une dissertation théorique. Ce n'est que dans la mesure où la façon dont ces affaires se déroulent facilite certains résultats découlant de leur contenu même qu'elle sera d'un quelconque intérêt.

Les règlements particuliers concernant le déroulement des opérations boursières - les usages de la Bourse - ont avant tout pour but de permettre la plus large utilisation du crédit, la limitation du risque et la plus grande rapidité des échanges.

L'utilisation du crédit est déjà en majeure partie rendue possible par la nature des « marchandises » dont on traite. Ces dernières sont des assignations d’argent, soit directes comme les traites, soit indirectes comme les titres de profit capitalistes. En tant qu'assignations d'argent, les valeurs boursières sont également entre elles et ne diffèrent que du point de vue quantitatif. Même des différences dites qualitatives des valeurs boursières, telles qu'elles existent entre les valeurs à revenu fixe et les actions, de même que celles qui concernent la sécurité de ces valeurs sont toujours transformées par le commerce boursier en différences quantitatives et ne peuvent pas non plus se manifester autrement que dans les différences d'appréciation. A cela près qu'ici la différence de prix ne s'explique pas, comme pour la qualité différente d'une marchandise, en premier lieu par la différence du coût de production, mais exclusivement par un rapport différent de la demande et de l'offre. Si, par exemple, une action d’une entreprise sucrière et une action d'une compagnie de chemin de fer donnent le même revenu le cours de cette dernière action peut être plus élevé parce qu'il y a davantage de gens qui veulent l'acheter, comme promettant à leur avis une plus grande stabilité dans son revenu. Ainsi la différence qualitative de la sécurité du revenu est exprimée quantitativement dans la différence du cours. Cette maniabilité des valeurs boursières offre la possibilité que les affaires d'achat et de vente soient réglées en majeure partie par compensation mutuelle, ne laissant à payer que les différences. La conclusion de l'affaire est ainsi liée à une allocation de crédit; l'argent ne fonctionne que comme argent de compte, et seule une petite partie doit être payée comptant. Pour que ces paiements puissent être réduits au maximum, il existe des établissements spéciaux destinés à la compensation des règlements exigés par les affaires d'achat et de vente[36]. Mais il faut pour cela que les prix auxquels se concluent les affaires boursières soient connus, et c'est pourquoi la fixation des cours est publique. C'est seulement par cette fixation publique des cours que la Bourse remplit sa fonction, qui consiste à être le marché où à tout moment ces valeurs boursières soient négociées à un prix connu. Comme ce prix à tout moment réalisable est fixé, cela facilite considérablement l'autre forme d'allocation de crédit, l'investiture proprement dite, contrairement à l'ancienne forme de compensation des paiements, du fait que le donneur de crédit connaît exactement le prix de l'objet qu'il investit. Le spéculateur donne en gage au donneur d'argent les titres, qu'il paye avec l'argent prêté. Il en résulte ainsi une forme nouvelle et sûre d'utilisation portant intérêt de capital-argent dans le prêt sur gages des valeurs boursières.

L'allocation de crédit permet au spéculateur d'utiliser de très petites fluctuations de prix, du fait qu'il peut ainsi étendre ses opérations très au-delà de ses propres moyens et tirer bénéfice, grâce à la dimension de ses affaires, de petites fluctuations de prix. Au contraire, encore une fois, du fait que le crédit permet à la spéculation d'utiliser à tout moment la situation du marché, elle a pour résultat, comme les opérations spéculatives sont toujours accompagnées d'opérations en sens inverse, d'atténuer ces oscillations de prix. L'utilisation du crédit accroît en outre la supériorité du gros spéculateur : la puissance du capital dont il dispose est multipliée par l'utilisation du crédit, qui croit beaucoup plus rapidement que ce captal.

Une autre caractéristique des affaires boursières est la rapidité avec laquelle elles se concluent et qui entraîne avec elle une certaine absence de formes. Cette rapidité découle essentiellement du besoin où se trouve la spéculation de pouvoir utiliser de petites et brèves oscillations de prix. Etant donné la rapidité des changements du rapport de l'offre et de la demande et celle des variations de cours, cette accélération des échanges est de la plus haute importance. Car, pour la spéculation, chaque nouvelle fluctuation de la cote signifie une nouvelle possibilité de gain. C'est pourquoi elle a horreur des formalités qui prennent du temps; ici vaut la maxime : le temps, c'est de l'argent. D'où sa répulsion à l'égard de toute fixation de délai, de toute intervention légale en général, qui signifie une perte de temps.

C'est par l'opération à terme que les avantages du crédit sont le mieux utilisés. L'opération à terme remet l'exécution de toutes les affaires à la même date: Etant donné qu'elles sont surtout le fait de la spéculation, celles qui portent sur l'achat et celles qui portent sur la vente s'opposent et se compensent en grande parti. L’argent n’est ici nécessaire que pour le règlement des différences (règlement qui se fait principalement au moyen d'argent-crédit ou de simple inscription dans les registres des banques) ou pour le paiement d'achats et de ventes faite unilatéralement, mais relativement faibles par rapport à la grande quantité des affaires qui se compensent. Ici aussi le crédit développe ses conséquences sur l'élargissement du marché. Le marché à terme permet une grande extension des opérations; les valeurs traitées à terme trouvent à tout moment leur marché, et c'est pourquoi Il est possible a tout moment de mettre fin, par l'achat ou la vente, à sa spéculation, de réaliser son bénéfice ou de limiter sa perte, sauf, bien entendu, en cas d'ébranlement catastrophique du marché. Etant donné, en outre, que ce qui importe dans ce genre d'opération, ce n'est pas la possession des titres, mais l'obtention du gain provenant de la différence des cours, et que les titres peuvent être vendus à tout moment, l'importance de l'engagement n'est pas limitée par le prix des titres, mais seulement par la somme des différences qui peuvent naître de la spéculation. D'un autre côté, les titres existant sur le marché ne sont nécessaires que dans la mesure où les affaires de spéculation - achat et vente - ne s'annulent pas réciproquement. L'importance des engagements contractés est par conséquent également indépendante de celle de la somme des prix des titres existants et peut même la dépasser plusieurs fois. En outre, le caractère particulier des conditions de conclusion assure de la façon la plus complète la rapidité du déroulement de l'affaire.

L'extrême simplification sur le marché à terme, la possibilité plus grande de la compensation, réduisent le capital nécessaire à la spéculation. Elles élargissent ainsi le cercle des personnes qui peuvent participer à la spéculation et accroissent le volume des différents engagements. Le marché à terme s'élargit par rapport au marché au comptant.

En même temps, il absorbe moins de moyens pour le maintien et la poursuite de la spéculation et agit par là d'une façon moins intensive sur l'intérêt du capital mis à la disposition de la spéculation. Mais comme toujours une grande partie de la spéculation est faite à l'aide de capital emprunté et que, pour la poursuite de la spéculation, l'intérêt sur ce capital exerce une influence déterminante, le marché à terme aura tendance en général à poursuivre de plus en plus la spéculation. Il en résulte en retour une moindre variation dans le rapport de l'offre et de la demande et par là une atténuation des oscillations de la cote. En même temps, étant donné le volume plus grand des transactions, des oscillations beaucoup plus faibles suffisent pour pousser les spéculateurs à leurs opérations. Et le fait que les opérations à terme rendent également possible la vente des titres, ce qui permet de mieux s'opposer à un accroissement unilatéral de l'offre que sur le marché au comptant, agit dans le même sens[37].

Le marché à terme donne la possibilité de placer des capitaux, qui ne sont remboursables que plus tard, à des cours déjà fixés précédemment ou de se procurer d'avance à des conditions favorables des capitaux dont on n'aura besoin qu'ultérieurement. A cela s'ajoute l'élargissement déjà mentionné du marché, qu'assurent d'une façon générale les opérations à terme par la facilité des allocations de crédit et de la conclusion des affaires. Il est plus ouvert que le marché au comptant. Il facilite ainsi les opérations d'émission, du fait que les maisons émettrices peuvent vendre leurs titres peu à peu et sans recul des cours[38]. Le marché à terme est également la forme appropriée pour la fonction de l'arbitrage, de la compensation des différences de cours sur les différentes places boursières.

La spéculation exige une certaine réserve de titres, qui est mise à sa disposition pour ses opérations. Si une valeur est en majorité en main « ferme », c'est-à-dire si elle est, en tant que valeur de placement, retirée du marché d'une façon permanente, elle n'est pas propre à la spéculation. De même les titres dont le montant total est faible ne conviennent pas à la spéculation. De petits achats et ventes peuvent exercer une très forte influence sur leur cours et donnent à un petit nombre de capitalistes la possibilité, par l'achat de tout le « matériel », de dicter à leurs concurrents des prix de monopole. La spéculation suppose précisément un vaste marché, pas trop facile à contrôler. Le monopole est la mort de la spéculation.

Les affaires de spéculation sont, nous l'avons vu, toujours liées aux affaires de crédit. Ce qui compte pour la spéculation, ce n'est pas la somme totale du prix des titres achetés mais seulement la grandeur de leurs variations de cours possibles. Le donneur de crédit pourra, lors de la mise en garde des titres, accorder le crédit jusqu’à un montant tel qu'il sera couvert contre des changements de cours. Si le cours d'une valeur ou se produisent des oscillations relativement faibles est de 110, le spéculateur pourra, par exemple, recevoir 90 contre la mise en gage de cette valeur, et n'a besoin par conséquent que d’avancer la différence, soit 20.

Cette forme d'allocation de crédit est la façon la plus courante dont les affaires de commission boursières, les banquiers et les banques, permettent à leurs clients de participer aux opérations boursières. Le retrait du crédit ou l'accroissement des difficultés avec lesquelles il est dispensé sont des moyens courants de jeter ces clients « hors de leurs engagements », de rendre impossible la poursuite de leurs spéculations, de les contraindre à se débarrasser de leur papier à n'importe quel prix et ainsi, par cet accroissement brusque de l'offre, de faire baisser les cours, ce qui permet aux donneurs de crédit d’acheter eux-mêmes ce papier à bas prix. Ici aussi l'allocation de crédit est un moyen en vue de l'expropriation des petits débiteurs.

Tout autre est la façon dont cette allocation de crédit est réglée pour les gros spéculateurs. Ces derniers se procurent les fonds dont ils ont besoin au moyen du report. Du point de vue de la forme, l'affaire de report consiste en une affaire d'achat et de vente. Si le spéculateur à la hausse veut conserver son papier au-delà de la fin du mois jusqu'au terme suivant, parce qu’il espère que dans l’intervalle les prix monteront encore, il vend son papier a un capitaliste prêteur d'argent et le rachète pour le terme suivant. Pour celui qui fournit l'argent, son intérêt est contenu dans la différence entre le prix de vente et le prix d’achat. Mais c'est purement théorique, car en réalité le donneur d'argent a simplement accepté le papier pour cet intervalle de temps et pris la place du spéculateur, mais il se distingue de ce dernier en ce qu'il ne prend aucun risque, ne prétend faire aucun bénéfice spéculatif; il a placé son argent pour ce laps de temps et reçu pour cela l'intérêt. Mais la forme dans laquelle cette avance est faite a une grande importance. Car, étant donné qu’ici l’affaire de crédit a la forme d'une affaire d'achat, la propriété du papier passe dans l'intervalle de celui qui reçoit le crédit à celui qui l'accorde. Cela lui permet, pendant ce temps-là, d'utiliser le papier à sa guise et, s'il s’agit de valeurs industrielles, cela peut avoir une grande importance; ainsi, une banque peut vouloir, au moment d’une assemblée générale, influer, grâce à un gros paquet d’actions, sur les décisions de cette assemblée. Par le report, elle est en mesure d’entrer provisoirement en possession des titres et de contrôler ainsi la société par actions. En facilitant l'opération de report par l'abaissement du taux de report, il sera extrêmement facile à une banque d'obtenir ce papier de la spéculation. Les banques ont en cela l'habitude de s'aider mutuellement en s'abstenant, pour un temps donné, de se faire concurrence pour l'opération de report concernant une valeur déterminée[39]. Par là, les actions acquièrent comme une double fonction. Elles servent, d'une part, d'objet de spéculation et de base pour leurs gains différentiels. En outre, elles servent aux banques dans leurs efforts en vue de s'assurer une influence dominante dans les sociétés par actions et d'imposer leurs volontés dans les assemblées générales, sans être obligées pour autant d'immobiliser leurs fonds dans les actions en question[40].

L'importance des opérations de spéculation dépend, toutes proportions gardées, des fonds mis à la disposition des spéculateurs. Car la fréquence des échanges de valeurs - et chacun de ces échanges est source de gain - dépend naturellement du nombre des titres existants. D'où l'influence exercée sur la spéculation boursière par les banques, qui, en accordant ou en refusant le crédit, peuvent permettre à la spéculation de s'élargir ou au contraire la restreindre. Les affaires de report sont celles qui font le plus appel au crédit. On y investit des capitaux flottants la plupart du temps considérables[41], et ces investissements influent sur la formation des taux pour l'argent quotidien et - aux époques où l'argent est rare - sur les taux d'escompte et, par là, sur le mouvement de l'or. C'est pourquoi, en restreignant les allocations de crédit, les banques peuvent influer directement sur le taux de l'intérêt, car elles peuvent, à leur gré, accorder ou refuser le crédit. Il s'agit ici de tractations purement financières qui peuvent très bien ne pas se faire sans que l'économie en souffre. Il en est tout autrement du crédit accordé aux commerçants et aux industriels, où un arrêt brusque de ce crédit peut entraîner la faillite.

Avec le développement du système bancaire on assiste à un changement dans la structure du commerce des valeurs. Au début, le banquier n'est qu'un commissionnaire qui fait l'affaire pour le client. Mais, plus s'accroît la puissance du capital et l'intérêt que manifeste la banque pour le cours des actions, plus elle s'occupe de ces affaires pour son propre compte. Une grande partie des échanges ne se font maintenant plus à la Bourse; elle règle entre elles les demandes qu'elle reçoit de ses clients et seules celles qui ne se compensent pas sont envoyées à la Bourse ou couvertes par ses propres réserves. C’est donc jusqu'à un certain point la banque elle-même qui décide quelles sommes elle porte à la Bourse pour l'achat ou la vente, ce qui est pour elle un moyen d’influencer l'évolution des cours. Ainsi la banque cesse d’être simple intermédiaire dans le commerce des valeurs et fait des opérations pour son propre compte. « L'affaire de banque n'est plus aujourd’hui en fait une affaire de commission, elle est devenue une affaire pour son propre compte[42]. »

En même temps la grande banque enlève à la Bourse une partie de sa fonction et devient elle-même un marché pour les titres ; il ne reste à la Bourse que ce qui ne peut se compenser dans les banques[43]. « Une grande banque représente en soi une certaine quantité d'offres et de demandes, comme seule en représentait autrefois une importante place boursière[44]. »

Avec la concentration croissante du système bancaire croît également d'une façon extraordinaire le pouvoir des grandes banques sur la Bourse, particulièrement aux époques où la participation du grand public aux spéculations boursières est faible. Vu la façon dont les choses se passent aujourd'hui à la Bourse, on doit parler désormais non plus d'une tendance de la Bourse, mais plutôt d'une tendance des grandes banques, parce que ces dernières ont fait de plus en plus de la Bourse un instrument à leur service et dirigent ses mouvements à leur gré. Comme, au printemps dernier, le pronostic défavorable très discuté d'une grande banque sur l'évolution de la conjoncture avait donné l'impulsion extérieure à la baisse soudaine des cours qui se produisit alors, baisse dont les causes véritables étaient naturellement beaucoup plus profondes, ce sont cette semaine au contraire des déclarations rassurantes de la haute banque qui ont complètement modifié l'humeur de la Bourse et l'ont rendue maintenant, elle qui n'accordait son attention qu'aux facteurs défavorables, accessible également aux facteurs favorables[45].

Mais à cette forte influence sur l'évolution des cours s'ajoute le fait que les banques, par leur liaison croissante avec l'industrie, connaissent exactement la situation des différentes entreprises, prévoient les résultats, peuvent éventuellement les influencer selon leurs désirs, tous facteurs qui leur permettent d'opérer dans leurs spéculations avec la plus grande sécurité.

Ce développement des grandes banques a naturellement pour résultat une diminution de l'importance des Bourses[46].

A la Bourse, la propriété capitaliste apparaît dans sa forme pure en tant que titre de revenu, en lequel est transformé automatiquement le rapport d'exploitation, l'appropriation du surtravail. La propriété cesse de s'exprimer en un rapport de production déterminé et devient un titre de revenu, qui apparaît tout à fait indépendant d'une activité quelconque. Elle est détachée de tout rapport avec la production, avec, la valeur d'usage. La valeur de chaque propriété apparaît déterminée par celle du revenu, rapport purement quantitatif. Le nombre est tout et la chose n'est rien. Le nombre seul est le réel et comme le réel n'est pas un nombre, ce qui les lie l'un à l'autre a un caractère plus mystique que la foi des pythagoriciens. Toute propriété est capital et non-propriété, les dettes sont, ainsi que le démontre chaque emprunt d’Etat, aussi du capital, et tout capital est égal et s'incarne dans les morceaux de papier imprimé, qui montent et descendent à la Bourse. La vraie formation de valeur est un phénomène qui échappe entièrement à l'action des propriétaires et qui détermine d'une façon complètement mystérieuse leur propriété.

La grandeur de la propriété semble ne rien avoir à faire avec le travail. Si déjà dans le taux de profit le lien direct entre le travail et le revenu du capital est masqué, il l'est complètement dans le taux d'intérêt. La transformation apparente de tout capital en capital portant intérêt qu'entraîne avec elle la forme du capital fictif supprime complètement toute connaissance de ce lien. Il paraît absurde de mettre l'intérêt, qui change constamment et peut en fait changer indépendamment de ce qui se passe dans le domaine de la production, en liaison avec le travail. Il apparaît comme conséquence de la propriété du capital en tant que telle, comme fruit du capital doué de productivité. Il est changeant, incertain, comme l'avenir. L'échéance seule semble donner des intérêts et c'est sur cette apparence que Boehm-Bawerk édifie sa théorie du capitalisme.

Chapitre IX. La bourse des marchandises[modifier le wikicode]

Pour le commerce des valeurs la Bourse est le lieu de naissance. Avec elle se développent les banques de valeurs, qui, d'une part, font concurrence à la Bourse, de l'autre l'utilisent comme leur organe de transmission. Pour le commerce des valeurs l'échéance est sans importance; elle le facilite mais n'a aucune influence décisive sur le niveau du prix. Il en est tout autrement du commerce boursier des marchandises[47].

A la Bourse des valeurs s'effectue l'échange des valeurs ; ces échanges remplissent la fonction de la mobilisation du capital. Dans l'échange s'accomplit pour le capitaliste individuel la retransformation du capital fictif (qui avait d'abord été transformé en capital industriel) en capital-argent. Ce sont des échanges d'une nature particulière, qui n'ont de commun avec le commerce des marchandises que la forme d'achat et de vente, la forme économique générale de transfert de valeur et de propriété. Il en est tout autrement du commerce des marchandises : ici s'accomplit la réalisation du profit industriel et commercial créé dans la production, tandis que s'effectuent par la circulation des marchandises les échanges organiques de la société. C'est pourquoi Bourses de marchandises et Bourses de valeurs se distinguent déjà d'avance comme marchandises et valeurs. Les mettre sur le même plan comme « Bourses », c'est créer de la confusion si l'on ne tient pas compte de cette différence fondamentale et si l'on identifie en outre spéculation et commerce. La notion de commerce boursier des marchandises, donc du caractère particulier de la Bourse des marchandises, à la différence de l'autre « commerce », nécessite par conséquent un examen plus profond.

D'ordinaire, on appelle boursier tout commerce qui s'effectue dans une Bourse, c'est-à-dire un lieu où se réunissent de nombreux commerçants. Mais, que ces derniers fassent leurs affaires à leurs comptoirs ou dans un autre endroit, précisément la Bourse, il n'y a là qu'une différence de technique commerciale, non une différence économique. La rapidité de la conclusion des affaires, le coup d'œil général sur la situation du marché, peuvent en être facilités, Mais ce ne sont là, encore une fois, que des différences techniques, non économiques.

La différence reste même purement technique si une fonction importante du commerçant en est rendue superflue du fait que l'examen et la constatation de la valeur d'usage pour l'affaire privée sont abolis parce qu'on ne doit livrer que des marchandises d'une qualité déterminée. Que ces conditions de livraison soient remplies ou non, ce sont les organes boursiers experts en la matière qui ont, en cas de conflit, à en juger. Mais la suppression de cette fonction est une condition préalable du commerce en Bourse des marchandises, lequel exige encore, pour exister, d'autres critères économiques.

La marchandise entre par conséquent dans le commerce boursier en tant que marchandise d'une certaine qualité. Elle est marchandise boursière en tant que valeur d'usage fixée, que marchandise standard. Comme telle, chaque quantité peut être remplacée par toute autre quantité égale ; en tant que quantité de la même valeur d'usage, la marchandise est devenue un bien valable. Les marchandises ne se distinguent dans le commerce boursier que quantitativement. Selon la nature de la marchandise et les règlements de la Bourse, une certaine quantité : tant et tant de kilos, tant et tant de sacs d'un poids déterminé, vaut comme unité pour la conclusion de l'affaire. Ne conviennent par conséquent au commerce boursier que des marchandises qui, conformément à leur nature ou à des règles, relativement simples, peu coûteuses, peuvent fonctionner comme telles.

Mais qu'elles puissent fonctionner comme telles, c'est une propriété naturelle de la valeur d'usage, que possède une sorte de marchandise, une autre non. Pour le commerce boursier, il faut davantage. Dans le commerce ordinaire la marchandise passe, au coût de production du fabricant, entre les mains du commerçant, qui la vend, majorée du profit commercial, au consommateur. Le commerce ne devient boursier que si, en dehors du commerce, il reste encore place pour un gain différentiel, le gain de spéculation. Mais, pour qu'il y ait spéculation, il faut de fréquentes fluctuations de prix. Sont par conséquent propres au commerce boursier les marchandises qui sont soumises aux plus grandes oscillations de prix dans les temps relativement les plus courts. Ce sont avant tout les fruits, les céréales, le coton, puis les produits semi-fabriqués et éventuellement les produits manufacturés, dont les matières premières servant à la production sont soumises à de fortes oscillations, influent d'une façon décisive sur le prix du produit, comme par exemple le sucre .

Selon Robinow[48], c'est en Angleterre, pour les métaux, le talc, etc., que le commerce à terme a fait son apparition. Cependant, après l'introduction du télégraphe et des bateaux à vapeur, le commerce à terme s'est étendu aux produits d'outre-mer. Toute la production ne s'étale pas sur toute une année, mais ne dure que quelques mois, produits qui sont jetés en une seule fois sur le marché, tandis que leur consommation se répartit sur toute l'année. La raison du marché à terme est par conséquent la courte durée du temps de production par rapport à la longueur du temps de circulation, due à la consommation ininterrompue. Ce qui pousse à l'introduction du commerce à terme dans les opérations portant sur les valeurs, c'est la faculté de fonctionnement qu'ont les objets échangés, titres de revenu capitalisés, par conséquent représentants d'argent. Quant au commerce à terme des marchandises les raisons en sont les conditions spécifiques de transformation, par exemple la différence entre temps de production et temps de circulation. C'est le besoin du marché à terme qui conduit à l'établissement, souvent obtenu uniquement par des moyens artificiels, de marchandises standard, c'est-à-dire de marchandises dont chaque quantité à la même valeur d'usage que n'importe quelle autre[49].

Que cessent les fluctuations de prix, notamment par la formation de cartels, comme par exemple pour le pétrole, et cesse également ou devient purement formel le commerce boursier sur ces produits. Une autre condition importante, liée à la précédente, est que les oscillations de prix ne puissent être à tout moment compensées par une adaptation de l'offre à la demande. Ici aussi, c'est pour les produits du sol que cette adaptation est la plus difficile. La récolte une fois faite, l'offre est par là déterminée, et ne peut qu'après un temps très long être adapté à la demande. Une dernière circonstance qu'il reste encore à mentionner est que les quantités de marchandises qui entrent dans le commerce boursier doivent être assez importantes pour pallier le danger de formation d'un cartel, étant donné que l'établissement d'un prix de monopole empêche les changements de prix et par là la spéculation.

La particularité du commerce boursier est que la fixation de la valeur d'usage de la marchandise fait de cette marchandise pour chacun une simple incarnation de la valeur d'échange, un simple porteur de prix. Chaque capital-argent est immédiatement en mesure de se transformer en cette marchandise. C'est pourquoi on peut amener des non-professionnels à participer à l'achat et à la vente de ces marchandises. Elles sont égales en argent ; l'examen de leur valeur d'usage est retiré aux commerçants; elles ne sont soumises qu'à des oscillations constantes, plus ou moins importantes, de leurs prix[50]. Etant donné qu'elles sont des marchandises de marché mondial, qu'elles peuvent à tout moment être vendues, par conséquent retransformées en argent; il ne s'agit toujours que de gain ou de perte provenant des différences de prix. Elles sont donc devenues des objets tout aussi propres à la spéculation que d'autres titres d'argent, par exemple les valeurs. Pour le commerce à terme, la marchandise ne vaut que comme valeur d'échange. Elle devient simple représentant d'argent, tandis que l'argent est représentant de valeur de marchandises. La signification du commerce, de la circulation des marchandises, a disparu, et par là aussi les caractères et l'opposition de marchandise et argent. Cette opposition, réapparaît quand la spéculation est terminée, parce qu'un cartel l'empêche et que brusquement l'argent doit se substituer à la marchandise, qu'on ne peut avoir. De même que l'argent ne joue dans la circulation qu'un rôle insignifiant, de même la marchandise dans la spéculation sur la marchandise. De même que dans la circulation il y a beaucoup plus d'argent de compte que d'argent réel, de même la spéculation échange de plus grandes quantités de marchandises qu'il n'y en a en réalité[51].

Afin que dans le commerce à terme des marchandises il y ait un véritable mouvement du producteur au consommateur, ce qui signifie par conséquent de véritables opérations commerciales et non de simples opérations de spéculation - et le commerce est la condition primordiale pour la spéculation - il faut qu'au début de la chaîne des affaires à terme il y ait le producteur (ou le commerçant en tant que son représentant) et au bout le consommateur (par exemple le meunier). On peut considérer la chose de telle sorte qu'une partie de la marchandise reste toujours à la disposition de la spéculation. Ce n’est rien d'autre qu'un certain stock, dont la composition bien entendu change constamment ; celui-ci devrait être entreposé quelque part ailleurs, sous la surveillance d'autres agents capitalistes, non des spéculateurs, mais des producteurs ou des commerçants, éventuellement aussi des consommateurs. Il devrait toujours avoir un volume suffisant pour éviter le danger de la formation d'un cartel.

En s'emparant de ces marchandises, la spéculation provoque toute une série de nouvelles transactions d'achat et de vente. Cette chaîne d'affaires d'achat et de vente est purement spéculative, son but est d'obtenir un gain différentiel ce ne sont pas des opérations commerciales, mais des échanges spéculatifs. Les catégories de vente et d'achat n'ont pas ici la fonction de la circulation des marchandises, la tâche consistant à faire passer la marchandise de la production à la consommation, mais elles sont devenues comme imaginaires. Le but est l'obtention du gain différentiel. La marchandise arrive à la Bourse déjà majorée du profit commercial normal. Car le commerçant les vend à la Bourse. Si c'est le fabricant qui l'a fait, il a précisément fait lui-même fonction de son propre commerçant et encaissé le profit commercial. La Bourse n'achète et ne vend que spéculativement ; les spéculateurs n'obtiennent pas un profit, mais un gain différentiel. Le bénéfice de l'un est la perte de l'autre. Mais cette chaîne de transactions permanentes assure à la marchandise en Bourse la possibilité permanente d'être transformée en argent, permet ainsi jusqu'à un certain point de placer de l'argent dans cette marchandise et de le réaliser à tout moment en la vendant. La marchandise en Bourse devient par conséquent un gage approprié de fonds momentanément libres.

Les banques peuvent donc jusqu'à un certain niveau de leur prix, donner ces marchandises en gage ou les reporter. D'où un nouveau mode d'emploi du capital bancaire. Ce dernier participe au commerce, mais il ne le fait que dans la forme adéquate qui lui est propre en tant que capital portant intérêt. Les marchandises dans lesquelles il a transformé son argent sont à tout moment transformables en argent. Et une banque bien dirigée ne placera jamais plus d'argent dans ces marchandises qu'elle peut en réaliser à tout moment, même dans le cas le plus défavorable. L'existence d'une Bourse, d'une chaîne incessante d'achats de ventes constituant la spéculation, assure à la banque à tout moment la possibilité de réaliser son argent. Celui-ci n’est par conséquent pas fixé, il est resté pour la banque capital-argent, capital placé en banque et ne rapporte par conséquent que des intérêts. Mais l'intervention de la banque donne de nouveau à la spéculation comme au commerce la possibilité d'étendre leurs opérations. Pour acheter la marchandise il n'est plus indispensable de posséder tout l'argent que représente son prix. Il suffit d'en avoir assez pour pouvoir couvrir les différences possibles ; le reste est avancé par la banque. Pour la spéculation, cela signifie seulement la possibilité d'étendre ses opérations. Mais comme, par suite de l'accroissement des quantités négociées, de très petites différences suffisent pour inciter le spéculateur à acheter et à vendre, cela aura pour résultat, d'une part d'augmenter le nombre des échanges, et d’autre part de réduire le pourcentage des différences qui apparaîtront chaque fois.

Plus intéressante est la question de l'influence exercée par le capital bancaire sur le commerce. Celui-ci aussi peut maintenant mettre en gage la marchandise. Pour l'argent qu'il en reçoit il n'a que l'intérêt à payer. Mais, pour le commerce lui-même, il n'en résulte aucun profit. Il n'obtient que le profit moyen correspondant à l'importance du capital utilisé. Toutefois, comme il dispose maintenant d'un crédit plus large, il n'a plus besoin que d'un capital moindre lui appartenant en propre pour échanger les mêmes quantités de marchandises. Le profit commercial se répartira par conséquent sur une plus grande quantité de marchandises. La marge commerciale sur la marchandise diminuera. Mais, comme le profit commercial est pris sur le profit industriel, celui-ci augmentera d'autant. Pour le consommateur, le prix restera le même. L'intervention du capital bancaire a donc pour conséquence, premièrement, un accroissement du profit industriel, deuxièmement, une baisse du profit commercial dans sa totalité et calculé sur chaque marchandise, troisièmement, une transformation d'une partie du profit industriel en intérêt. Ce dernier phénomène est dû au fait qu'une partie du capital commercial est remplacée par du capital bancaire. Mais ce remplacement a rendu possible le commerce des marchandises en Bourse.

L'intérêt - il faut en faire ici la remarque - est toujours, à l'exception du crédit de consommation, un morceau de profit ou de rente foncière. Mais il convient d'ajouter encore ceci : le capital de prêt employé dans la production fonctionne comme capital industriel et produit par conséquent du profit. Il ne reçoit que l'intérêt et accroît le profit du capitaliste industriel de la différence entre le profit moyen et l'intérêt sur le montant du capital emprunté. Dans le commerce, où n'est produit aucun profit, mais où le taux de profit moyen pour le capital commercial doit être payé sur la masse de profit globale, le capital bancaire agit autrement. Il reçoit son intérêt, mais ne produit aucun profit pour le commerçant. Ce dernier reçoit le profit moyen, plus l'intérêt, qu'il ristourne au capital bancaire. Pour assurer le commerce, il faut maintenant moins de capital commercial, d'où aussi moins de profit sur ce capital. Ce profit épargné reste entre les mains de son producteur, le capital industriel. Le capital bancaire agit ici comme tout progrès qui épargne des frais commerciaux. Cette différence dans l'effet produit vient tout simplement de ce que le capital industriel crée de la plus-value et que le capital commercial n'en crée aucune.

Un autre facteur agit dans le même sens. Le commerce à terme en Bourse crée pour les marchandises dont il traite un marché toujours ouvert. Le producteur ou l'importateur peut donc à tout moment vendre la marchandise. Cela signifie une diminution du temps de circulation de son capital. Mais nous savons déjà que toute diminution du temps de circulation signifie une libération de capital. Ainsi le commerce à terme diminue aussi par ce moyen le capital nécessaire à la circulation de la marchandise, par conséquent aux opérations commerciales, capital qui ne servait pas à la production, mais uniquement à la réalisation du profit.

La forme adéquate de toute spéculation est le commerce à terme. Etant donné que chaque spéculation est l'utilisation de différences de prix et que celles-ci se produisent dans le temps, mais que, d'autre part, pour la spéculation, le temps pendant lequel elle ne fait ni achats ni ventes est une simple perte, car la spéculation n'est pas production, elle doit pouvoir utiliser chaque différence de prix, même celles qui ne se sont pas encore manifestées. Elle doit par conséquent pouvoir à chaque instant acheter ou vendre pour l'instant suivant, ce qui constitue précisément l'essence même du commerce à terme. En faisant cela, la spéculation crée un prix pour chaque moment de l'année. Mais elle donne par là au fabricant et au commerçant la possibilité d'éliminer pour eux les conséquences fortuites de l'évolution des prix, de s'assurer contre les oscillations de prix, de rejeter sur la spéculation le risque qui découle des changements de prix. Le fabricant de sucre brut qui achète aujourd'hui de la betterave sait qu'il peut payer pour celle-ci, disons 100 000 marks, s'il peut vendre le sucre brut dès aujourd'hui à la Bourse, disons 130 000 marks, pour la date à laquelle il le livrera. S'il vend par conséquent aujourd'hui le sucre brut à ce prix, il n'a à se soucier d'aucune fluctuation de prix pouvant se produire dans l'intervalle, il a assuré son profit. Le commerce à terme est ainsi pour les industriels et les commerçants le moyen de se restreindre à leur propre fonction. Une partie du capital de réserve jusqu'alors nécessaire pour les assurer contre ces fluctuations est ainsi libérée. Une partie sert maintenant à la spéculation boursière. Mais ici elle est concentrée et par conséquent peut-être moins importante que n’était le capital dispersé dans les mains des industriels et commerçants isolés.

Le profit capitaliste naît dans la production, il est réalisé par la circulation. C’est une tendance naturelle des producteurs comme des commerçants de s'assurer contre les hasards provenant des oscillations de prix pendant la durée de la circulation si la production est terminée depuis longtemps et si le profit est par là, tant pour le producteur que pour le commerçant qui a déjà acheté la marchandise, une grandeur donnée. A cette tendance répond, à un certain stade du développement, et pour les marchandises où, par suite de causes naturelles (par exemple, dépendance du résultat de la production des conditions météorologiques), ces oscillations sont particulièrement fortes et imprévisibles, le commerce à terme. Il compense le plus possible les fluctuations provenant de la spéculation, mais n'y parvient qu’en en créant de plus petites et de plus fréquentes provoquées par celle-ci. Cette spéculation - entièrement absurde du point de vue social - apparaît nécessaire parce qu'elle entraîne la participation d'acheteurs et de vendeurs dans une mesure suffisante pour que les quantités de marchandises nécessaires soient toujours négociées. Cette assurance contre les fluctuations de prix rapproche le prix du marché du coût de production constitue ainsi une catégorie spéciale de capitalistes, les spéculateurs, qui prennent sur eux ces fluctuations. La question est de savoir comment leur capital est mis en valeur.

Nous avons vu, pour la spéculation sur les titres que ce capital obtient un gain différentiel. Le gain de l'un est la perte de l'autre. Ce sont en général les gros qui peuvent attendre et exercent eux-mêmes une influence sur les cours, et les initiés[52] qui obtiennent ce gain au détri­ment des petits et des non-initiés. Le problème est de savoir si la spéculation reçoit en outre une prime de risque

Cette prime de risque a certes souvent été évoquée mais d'autant moins étudiée. Il faut constater tout d'abord que la prime de risque ne peut pas être une base de formation et par conséquent pas non plus une base d'explication du profit. Ce dernier est créé dans la production et est égal à la plus-value contenue dans le surtravail des ouvriers, qui n'a rien coûté a la classe capitaliste. Un risque différent, c'est-à-dire une sûreté différente de pouvoir réaliser dans la circulation le profit créé dans la production, ne peut entraîner qu'une répartition différente du profit, répartition que des branches d'industrie comportant un risque élevé, qui doit se traduire aussi en réalité par des pertes plus élevées, obtiennent grâce à des prix plus élevés, de sorte que le taux de profit correspondant à leur capital est finalement égal au taux de profit moyen. Il est clair que, dans la mesure où l'on doit compter, dans une branche de production déterminée, avec certaines circonstances qui diminuent le revenu, elles doivent entrer en compensation dans le montant des prix afin que l'égalité du taux de profit soit maintenue. Dans le prix des verres à lunettes entre aussi le coût de ceux qui en moyenne sont abîmés lors de la fonte. Car ils font partie également des frais de production. De même, les dégâts subis par les marchandises pendant leur transport jusqu'au marché entrent dans le prix. Il n'en est pas de même du risque provenant de phénomènes survenus fortuitement pendant la circulation, mais qui affectent le coût de production, si, par exemple, un produit est encore sur le marché, qui a été fabriqué avec de vieilles machines, alors que de nouvelles permettent de le fabriquer en un temps deux fois plus court, il n'existe pour ce genre de « risque » aucune espèce de compensation. Le vendeur de ce produit aura à supporter la perte.

Les conditions sont les mêmes pour les produits négociés d'ordinaire sur le marché à terme en Bourse. L'insécurité vient de ce que, pour le prix, par exemple, des blés allemands, le facteur déterminant, ce ne sont pas seulement les résultats de la récolte en Allemagne, par conséquent le coût de production allemand, qui s'exprimerait directement dans le prix, mais aussi le coût de production américain, indien, russe, etc. Pour cette formation de prix, il n'y a pas de compensation dans le prix des blés allemands[53].

Mais, dans la mesure où de fortes oscillations de prix imprévues peuvent se produire dans la circulation, les capitalistes doivent, dans une telle branche de production, maintenir un fonds de réserve pour compenser les pertes résultant de ces oscillations de prix et permettre à la production de se poursuivre sans interruption. Ce fonds de réserve est une partie du capital de circulation nécessaire et le profit moyen est calculé pour lui. Ce profit peut être considéré comme prime de risque. Mais, même par le commerce à terme, ce fonds de réserve n'est pas rendu superflu pour le capitaliste individuel. Car ce marché ne supprime nullement les fluctuations de prix provenant des changements qui peuvent survenir dans les conditions de production. C'est le producteur qui doit supporter l'action du marché mondial sur le prix intérieur.

L'assurance de la Bourse ne se rapporte qu'aux fluctuations qui se produisent pendant la circulation. Le meunier s'assure le prix auquel il a vendu aujourd'hui sa farine en achetant du blé. Le commerçant en grains s'assure son bénéfice en vendant à la Bourse pour une date déterminée le blé qu'il a acheté aujourd'hui. L'assurance consiste en ceci qu'il s'assure le prix actuel pour une date future où il remplira effectivement ses engagements. En d'autres termes, l'achat et la vente se sont, pour le commerçant ou le producteur, accomplis trait pour trait, au lieu qu'il y ait eu seulement achat ou vente unilatérale. Mais cela suppose un marché toujours prêt, vaste, réceptif, tel que le crée le commerce à terme, mais aussi des agents qui ne prennent pas cette assurance, mais attendent pour voir comment se présentera le prochain terme, précisément des spéculateurs dont le rôle est de prendre sur eux le risque en l'enlevant aux commerçants qui se sont assurés. Leur bénéfice ne constitue donc pas une prime de risque, mais seulement le gain différentiel, auquel doit s'opposer une perte correspondante. Précisément, ce gain spéculatif a pour conséquence que la spéculation professionnelle ne réussit que lorsque y participent de nombreux outsiders qui supportent les pertes. Sans participation du « public », il n'y a pas de spéculation possible[54].

La concentration croissante rend cette assurance peu à peu superflue. Etant donné un certain volume des affaires commerciales, les chances favorables et les chances défavorables se compensent. La grande maison de commerce fait l'« assurance en soi » et renonce au marché à terme. A cela s'ajoute que les petits spéculateurs doivent se retirer peu à peu, car il leur fallait de plus en plus souvent payer la note[55]. Le développement du système des actions et la spéculation sur les valeurs les enlèvent à la Bourse des marchandises. Enfin, les syndicats de producteurs et les trusts mettent radicalement fin à la spéculation sur les marchandises qu'ils contrôlent.

Si l'on demande pour qui ce marché à terme est nécessaire, on peut dire que c'est surtout pour les commerçants moyens. En ce qui concerne les producteurs, l'utilité de ce marché consiste en ce qu'il accomplit d'importantes fonctions commerciales qu'il leur faudrait sans cela accomplir eux-mêmes. Ce sera le cas par exemple quand la suite de la fabrication exige de très grandes usines, alors que la production des matières premières est encore fortement dispersée. Ici, la Bourse accomplit la concentration nécessaire des produits. Cela vaut, par exemple, pour la période de développement de la meunerie commerciale moderne. La Bourse des marchandises accomplit cette fonction plus rapidement et plus radicalement que si un commerce en gros devait d'abord se développer. Dans le commerce, le marché à terme est particulièrement souhaité pour les produits où le temps de circulation est long, la production dispersée sur un grand nombre d'endroits, ses résultats difficiles à prévoir et inconstants, et par conséquent les fluctuations de prix très fortes et irrégulières.

Une fois établi le commerce à terme, il devient de plus en plus nécessaire aux commerçants tout comme aux producteurs d'y participer, parce que le marché à terme exerce une influence déterminante sur la formation des prix. En revanche, limiter le commerce à terme aux professionnels serait lui enlever sa fonction la plus essentielle, à savoir permettre aux commerçants de s'assurer contre le risque en rejetant sur la spéculation les pertes provenant des fluctuations de prix.

Etant donné que les spéculateurs n'ont nullement l'intention de conserver longtemps l'objet de leur spéculation, il en résulte déjà que chacun d'eux est toujours à la fois acheteur et vendeur. Le spéculateur à la baisse, le vendeur d'une marchandise, devient son acheteur pour se couvrir. Mais il est acheteur et vendeur à des moments différents et il utilise les fluctuations de prix dans cet intervalle de temps, tandis que l'assurance de l'affaire réelle consiste précisément à les éviter et à lui permettre d'acheter en mettant ce même moment à profit pour une vente simultanée et, réciproquement, de vendre tout en achetant par ailleurs.

Le spéculateur utilise avant tout les fluctuations de prix qui proviennent non de lui, mais de la circulation réelle. Elles peuvent résulter, soit de changements fortuits dans le rapport de l'offre et de la demande, soit de changements plus profonds survenus dans le coût de production de la marchandise. La demande et l'offre de la spéculation changent ensuite elles-mêmes ce niveau des prix et provoquent des fluctuations qui doivent finalement se compenser, précisément parce que chaque spéculateur est à la fois acheteur et vendeur. Ce qui n'exclut évidement pas que pendant un certain temps une certaine direction de la spéculation, par exemple l'achat, donc la spéculation à la hausse, puisse l'emporter; aussi longtemps que cette tendance se maintient, le prix reste au-dessus du niveau qui résulterait de l'affaire effective. C'est ainsi que la spéculation provoque de fréquentes, et pour cela le plus souvent petites, oscillations de prix, qui à la longue se compensent.

Le commerce à terme concentre toute l'affaire en un seul lieu et donne au gros commerçants locaux la supériorité sur les commerçants de province, lesquels disparaissent peu a peu[56]. Mais à la Bourse même, il donne la possibilité d'y pénétrer à ceux qui se tenaient jusque-là en dehors et qui font maintenant concurrence aux vieilles firmes. C'est ce qui explique que l'introduction du marché à terme se heurte souvent à la résistance des professionnels. Le commerce à terme est jusqu'à un certain point moins qualifié que le commerce professionnel et la participation du capital bancaire permet à des éléments plus faibles en capital de s'y introduire. Mais ici une concentration se fait sur la nouvelle base ; d'une façon générale, on a l'impression que la participation de la pure spéculation et des non-professionnels sur les marchés à terme est plutôt en voie de régression[57].

En revanche, la disparition du marché à terme renforce la position des gros commerçants qui peuvent se passer de l'assurance.

Un des dangers du commerce à terme consiste dans la possibilité de la hausse artificielle. L'acheteur a le droit d'acheter la marchandise à la Bourse au compte du vendeur quand ce dernier ne l'a pas livrée au jour fixé. Si cette marchandise n'existe pas en quantité suffisante par rapport à la demande parce que l'acheteur a déjà fait acheter précédemment les stocks disponibles, il en résulte une forte hausse des prix, lesquels dépendent de la volonté de l'acheteur. Cette hausse artificielle est d'autant plus faible que le stock de la marchandise est plus petit. Elle peut être provoquée également par les exigences rigoureuses concernant la qualité de la marchandise stipulée dans le contrat au jour fixe pour la livraison. Inversement, la réduction de ces exigences quant aux qualités de livraison est un moyen de rendre plus difficiles les hausses artificielles. Celles-ci ne sont possibles que dans des circonstances spéciales et pour un temps très limité, par exemple quand les stocks de grains sont réduits parce que la nouvelle récolte n'a pas encore été faite et que les stocks de l'année précédente sont déjà presque épuisés. Mais les prix extrêmement élevés font d'ordinaire apparaître sur le marché de nouveaux stocks, que l'on croyait déjà échus à la consommation. Quand ils dépassent la capacité d'absorption des acheteurs, la hausse artificielle s'effondre. D'une façon générale, les hausses artificielles réussies signifient seulement l'expropriation des groupes de spéculateurs outsiders et n'exercent qu'une influence restreinte sur le commerce effectif et les véritables prix des marchandises.

La loi allemande sur les Bourses du 22 juin 1896 a, comme on sait, en partie supprimé, en partie rendu plus difficile, le marché à terme. Le commerce des grains, notamment depuis que les décisions des tribunaux ont menacé également les livraisons du commerce légal, connut une forte restriction. C'est ainsi que « le cercle des personnes participant à ce commerce se réduit de plus en plus et suffit à peine aux besoins des livraisons ». De ce fait, les affaires d'assurance en ont été rendues beaucoup plus difficiles. Quelles en ont été les conséquences ? « Il y a déjà maintenant quelques très grosses firmes qui, à cause des difficultés qu'elle comporte, croient pouvoir se passer complètement d'une assurance des prix au marché à terme et, du fait que pendant quelques années ces prix sont restés stables et même ont augmenté, ont réalisé des bénéfices considérables. Mais, en général, les firmes solides considèrent cette manière d'agir comme une très dangereuse spéculation et préfèrent se contenter d'un bénéfice moindre, mais plus sûr... Il est tout à fait clair que, dans l'état actuel des choses, les deux ou trois grandes firmes sus-mentionnées prennent une part de plus en plus grande de l'affaire. La loi favorise ici la concentration, ainsi que cela s'est déjà produit dans le domaine de l'activité bancaire. Mais il est douteux qu'à la longue cette évolution plaise vraiment à ceux qui considèrent la loi comme un si grand succès. Pour obtenir les prix les plus favorables possible, une large concurrence offrira aux agriculteurs de bien meilleures garanties que lorsque finalement quelques firmes géantes peuvent dicter les prix[58]. »

« Les commerçants de province sont d'autant plus intéressés aux affaires de livraisons que par la vente à terme la possibilité leur est offerte de demander des avances sur la marchandise, car celle-ci a déjà été vendue à un prix fixe et ne peut par conséquent pas perdre de sa valeur a la suite d'une baisse des prix. Ainsi le commerçant est de nouveau à la tête d'un capital et en mesure d'acheter de nouvelles quantités de marchandises aux producteurs à un bon prix[59]. »

La réduction du temps de circulation pour les capitalistes productifs et le rejet du risque sur la spéculation peuvent également avoir des répercussions sur la production. Avant l'introduction du commerce à terme, c'était principalement un producteur partiel qui avait à supporter le risque. Celui-ci disparu, de même que la nécessité d'entreposer la marchandise, du fait que l'emmagasinage est maintenant concentré à la Bourse, la simple fonction de production ne suffit plus; le participant devient entrepreneur complet par la combinaison de son activité avec une autre. C'est d'autant plus facile qu'une partie de son capital de circulation et de réserve est maintenant libérée. C'est ainsi que les cardeurs de laine sont devenus superflus, parce que le risque qu'ils supportaient jusqu'ici est maintenant transféré sur le marché à terme. Ils deviennent maintenant fileurs, ou les fileurs s'annexent au contraire les carderies[60].

Le commerce à terme épargne aux producteurs du capital de circulation, premièrement, en raccourcissant leur temps de circulation, deuxièmement, en réduisant l'auto-assurance (fonds de réserve) contre les fluctuations de prix. Cela renforce la puissance en capital des grandes entreprises, qui sont les premières à bénéficier des avantages du marché à terme. Le capital ainsi libéré devient du capital productif.

Dans la division du travail des entreprises, le point de vue technique n'est pas seul déterminant, mais aussi le point de vue commercial. Certains processus partiels, dont font partie en premier lieu la transformation des matières premières en produits semi-manufacturés, ne sont réalisés d'une façon autonome que parce que les producteurs partiels remplissent en même temps d'importantes fonctions commerciales. Ils reçoivent les matières premières des producteurs ou des importateurs, avec qui ils partagent le risque des fluctuations de prix. Cette autonomie devient superflue quand le fabricant peut sans cet intermédiaire se protéger contre le risque grâce au marché à terme. Il ajoute alors à sa propre activité cette transformation de la matière première. C'est la suppression de la fonction commerciale qui rend l'indépendance technique superflue. Ici se manifeste également la tendance à l'élimination du commerce intermédiaire. Les Bourses de marchandises paraissent à vrai dire accroître encore au début les opérations commerciales, mais nous savons que ces achats et ces ventes ne sont pas des échanges commerciaux, mais spéculatifs.

Nous avons vu que le commerce à terme est un moyen pour le capital bancaire de participer au commerce des marchandises, d'abord en accordant du crédit, soit sous forme d'avances sur gages, soit sous forme d'affaires de report. Mais la banque peut également utiliser sa puissance de capital et sa connaissance générale de l'état du marché pour participer avec une sécurité relative à la spéculation proprement dite. Ses vastes relations s'étendant sur toute une série de marchés à terme lui donnent, outre une meilleure connaissance du marché, la possibilité d'opérations d'arbitrage sûres qui, étant donné les dimensions dans lesquelles elles sont faites, leur apportent des bénéfices considérables. Ces opérations, la banque pourra les effectuer avec d'autant plus de sécurité qu'elle dispose de plus grandes quantités de marchandises et peut ainsi influer sur les approvisionnements. D'où l'effort en vue de disposer de plus en plus des marchandises qui sont négociées sur le marché à terme. La banque cherche à obtenir la marchandise directement du producteur en excluant tout autre intermédiaire. Ou elle se fait transférer la vente à titre de commission et elle peut, pour cette vente, en concurrence avec le commerçant, demander un bénéfice beaucoup plus faible que ce dernier parce qu’elle peut obtenir encore un gain spéculatif et travailler avec un crédit beaucoup plus important - ou elle achète la marchandise pour son propre compte. La banque utilise en cela l’influence qu'elle possède sur l'industrie grâce à ses autres relations d'affaires pour se présenter à l'industriel à la place du commerçant. Si la banque est en possession du débouché, ses relations avec l'industrie en deviennent plus étroites. Elle n'est pas intéressée seulement en tant que spéculateur à l'évolution du prix de la marchandise, elle souhaite également un prix élevé dans l'intérêt de l'entreprise avec laquelle elle a des relations de crédit de toutes sortes. En outre comme elle a intérêt à disposer de la plus grande quantité possible de marchandises, elle s'efforce d'entrer en liaison avec le plus grand nombre possible d'entreprises et devient ainsi intéressée à toute la branche d'industrie correspondante. Mais, comme elle doit protéger le plus possible cette branche d'industrie contre les dépressions, elle utilise l'influence qu'elle possède pour hâter la cartellisation, qui rend à vrai dire superflue toute activité spéculative de sa part sur le marché intérieur (non sur le marché mondial), mais la dédommage abondamment en la faisant participer sous différentes formes aux profits du cartel. C'est une évolution qui s'accomplit notamment quand, pour certaines raisons historiques, Il n’y a pas eu formation d'un commerce de gros bien organisé et efficace, soit d'une façon générale, soit dans la branche de production en question. C'est ainsi qu'en Autriche les banques ont pénétré, par la voie du commerce, dans l'industrie sucrière, avec un moindre succès dans l'industrie pétrolière, et ont fortement contribué à la formation de cartels dans ces secteurs, qu'elles contrôlent en grande partie. Ainsi est favorisée par le commerce à terme une évolution qui est déjà une tendance générale et finit par éliminer le marché à terme lui-même.

Les associations monopolistes suppriment complètement les Bourses de marchandises. Et c'est tout à fait compréhensible, car elles fixent les prix pour une longue période de temps, ce qui a pour effet de rendre impossibles les fluctuations. La « répartition dans le temps » se poursuit, bien entendu, malgré cela, ce qui peut surprendre tout au plus M. le professeur Ehrenberg. Le Syndicat allemand de la houille et l'Association sidérurgique ont rendu purement théoriques les cotes boursières d'Essen et de Düsseldorf. « C'est ainsi que la Bourse du charbon d'Essen consiste purement et simplement en ... un simple carton sur lequel sont indiqués les cours du charbon, et qui est porté chaque fois de la maison du Syndicat de la houille au grand hall d'Essen, tandis que toute la Bourse des marchandises de Düsseldorf consiste en ... une lettre qu'un industriel fait parvenir régulièrement au comité de direction de la Bourse de Düsseldorf,[61]. »

Il en est de même du marché à terme des spiritueux. « On a observé ici très justement qu'une partie du commerce par la Centrale (pour l'utilisation de l'alcool) avait perdu toute signification et qu'une partie du commerce intermédiaire ne se faisait plus dans le syndicat. C'est celle qui se rapporte principalement aux affaires de Bourse. Les maisons de vente sur commission, les courtiers, tous les commerçants qui ne sont pas en liaison directe avec les producteurs, sont devenus en effet superflus du fait de la formation du syndicat et ont été par là éliminés[62]. » Les commerçants sont transformés par le Syndicat de l'alcool en agents qui reçoivent une commission fixe (30 à 40 pf) ; leur nombre est semble-t-il, maintenu relativement stable (en 1906 il y en avait 102) ; ils écoulent 40 % de la production.

Dans la mesure où les bénéfices de la Bourse des marchandises proviennent du profit commercial, ils reviennent, quand la Bourse est mise à l'écart, aux producteurs. C'est aussi le cas pour les bénéfices provenant de la différence entre le temps de production - la « durée de la campagne » - et le temps de consommation. C'est ainsi, par exemple, que pour l'alcool les prix d'été sont plus élevés que les prix d'hiver. La production passe à la fin de la campagne dans les mains du commerce. Les prix d'été sont déjà plus élevés parce qu'il faut compter les frais d'entrepôt, les pertes d'intérêt, etc. Mais les distillateurs à la fin de la campagne doivent vendre le plus tôt possible. L'offre est ici pressante. Tout au contraire, pendant l'été, il n'y a pas de production. L'offre ne peut donc plus être accrue et les commerçants ont des capitaux suffisants pour ne pas se défaire de la marchandise en période défavorable. Ici, la différence entre la force du capital des commerçants, d'une part, qui ont également à leur disposition le capital bancaire pour les reports et les avances sur gages, et celle des producteurs, souvent petits, cette différence joue un rôle dans la détermination des prix, certes pas ceux que doivent payer les consommateurs, mais ceux que le commerçant paye au producteur. Ces conditions, elles aussi, sont modifiées par un cartel de producteurs au détriment des commerçants et en faveur des producteurs. C'est ce que montre d'une façon très précise M. Stern, le président de la Centrale pour l'utilisation de l'alcool, quand il déclare : « Le syndicat fait bénéficier les distillateurs de la hausse des prix, à la fin de la campagne de distillation, le marché libre en fait bénéficier la spéculation. »

C'est précisément dans le domaine de la production agricole que la cartellisation - et les unions coopératives de production agricoles ne sont souvent que des commencements de cartels ou des cartels en petit - offre de grands avantages parce que c'est précisément la production agricole que la réglementation capitaliste par le prix convient le moins, que l'anarchie de la société capitaliste est inconciliable avec les conditions naturelles et techniques de la production agricole, de même que le capitalisme ne peut pas réaliser l'idéal d’une agriculture rationnelle, contrairement à l'industrie. Cette contradiction où la formation capitaliste des prix entre avec les conditions naturelles et techniques de la production agricole est encore aggravée par l'existence d'un marché à terme qui rend les changements de prix continuels. Ce qui est la faute du mode de production capitaliste en général est ainsi porté au passif du commerce a terme avec ses changements de prix souvent dramatiques provoqués par la spéculation ou simplement excessifs. Avec un peu de démagogie, cela peut facilement susciter parmi les producteurs agricoles une violente opposition à l'égard du commerce à terme[63].

Dans la mesure où un cartel peut restreindre l’anarchie, c'est précisément au sein du domaine agricole qu'il exerce l'action la plus favorable. Il est du caractère même de l’agriculture que les quantités de production des différentes années varient considérablement selon les conditions naturelles. Mais ces quantités de production influent directement sur les prix. Une production excédentaire exerce une forte pression sur les prix et accroît cette année-là la consommation. Par suite de la baisse des prix, la production l'année suivante sera limitée. Si là-dessus vient se greffer une mauvaise récolte, il y a pénurie, les prix augmentent rapidement, la consommation diminue. La production dispersée est relativement impuissante devant ces phénomènes. Mais le cartel a sur la formation des prix une plus grande influence, car il a la possibilité de constituer des stocks en temps voulu et d'empêcher par le contingentement de la production de trop fortes oscillations de prix. Bien entendu, le cartel capitaliste utilise cette possibilité pour obtenir d'une façon durable des prix élevés grâce à une limitation adéquate de la production. Mais il crée pour la production agricole des conditions plus stables.

C'est ainsi que le même président syndical Stern déclare : « Le Syndicat peut entreposer une grande partie des excédents, mais, cependant pas en quantités illimitées. Le marché libre, des que les excédents dépassent un certain niveau, fait baisser immédiatement les prix jusqu'à ce qu’ils soient tombés très au-dessous du prix de revient. Le Syndicat peut séparer le prix extérieur du prix intérieur, le marché libre, lorsqu'il y a des excédents qu'il faut exporter, dépend pour ses prix concernant l'ensemble de la production du résultat des exportations. Un exemple: en 1893-1894, il y a eu un excédent de 20 millions de litres en aucune façon dangereux, mais qui fit baisser le prix moyen de l'année à 31 marks. Si le Syndicat avait cette année-là exporté 10 millions de litres de plus et s'il avait perdu sur ces 10 millions 5 ou 8 marks par hectolitre, soit 500 000 ou 800 000 marks en tout, nous aurions épargné aux distillateurs une perte bien plus grande, car, supposons que pour l’ensemble de la production le prix à l’hectolitre eut été de 5 marks plus élevé nous aurions avec une perte de 500 000 à 800 000 marks élevé le prix de toute la production, soit 300 millions de litres, de 15 millions de marks.

« La Bourse n'a pas laissé se constituer des stocks importants et a compensé très rapidement un plus éventuel par un moins de la production. Les stocks qui existaient à la fin de la campagne (au 30 septembre de l'année) s'élevaient régulièrement, pendant toute la durée du marché libre de l'alcool, à environ 30 millions de litres. A différentes reprises, le stock a été inférieur, et une fois même de 9 millions de litres. Une seule fois, il a été très supérieur, en 1893-94, de 15 millions de litres. Ces quantités de 10 millions au-dessus ou au-dessous, ne représentent que 3 à 5 % de la production globale, mais cela suffit pour exercer une pression, considérable sur les prix. Mêmede petites quantités excédentaires rendent le spéculateur nerveux. Il les rejette quand il croit qu'on est à la veille d'une bonne récolte. L’équilibre apparent de la Bourse n’était rien d’autre au fond qu'anxiété et nervosité. » Quant à la raison pour laquelle l'égalisation par la Bourse lui déplaît, il la donne immédiatement : « L’égalisation est obtenue par la Bourse au moyen de la baisse des prix. » Mais ses mandants, les distillateurs et fabricants d’alcool groupes en cartel, ne veulent, eux d'égalisation que par la hausse[64].

De nombreux partisans du commerce à terme prétendent aussi qu'il assure une détermination plus précise des prix. Le marché à terme rassemble une plus grande quantité de gens compétents et la résultante de tant d'opinions compétentes doit être en général plus juste que celle d'un plus petit nombre. Mais la qualité de commerçant en grains ne donne pas encore la faculté de prévoir le rendement de la récolte, et cette faculté n'appartient ni à un, ni à un grand nombre de commerçants en grains. Même si l'adage, « La raison n'existe que chez un très petit nombre de personnes » ne vaut pas pour les gens de la Bourse, ces derniers ne possèdent sûrement pas, quelles que soient leurs qualités bibliques, le don de prophétie. En réalité, les prix à terme ne sont que des prix spéculatifs. Même un syndicat comme celui de l'alcool, qui exerce une influence directe sur la fixation des prix intérieurs et aurait été par conséquent beaucoup plus en mesure de donner des ordres à terme, n'en donne que peu volontiers. C'est ainsi que le directeur de la Centrale de l'alcool, Untucht, déclare : « Avec les offres à terme, il y a toujours eu des ennuis. Si cela avait dépendu de nous, nous aurions préféré être plus réservés avec les offres à terme... Quand quelqu'un offre un produit, il faut, pour qu'il puisse indiquer un prix, qu'il sache auparavant de quelles quantités il peut disposer. Nous ne pouvons naturellement le savoir que quand la campagne est déjà engagée depuis plusieurs mois. Même à ce moment-là nous ne sommes pas tout à fait à l'abri des erreurs, car c'est seulement la production des mois de printemps qui permet généralement de savoir si la campagne sera bonne ou mauvaise, surtout quand la situation est peu claire. On admettra pourtant que les informations de la Centrale, qui a une vue générale de l'ensemble de la production et qui en contrôle les quatre cinquièmes, sont d'un tout autre caractère que celles dont disposent les gens de la Bourse.

La raison qui pousse à exiger des prix à terme est que l'industrie de transformation doit, au moment où elle a des offres à faire, connaître également les prix des matières premières. Or, si la date de la campagne des matières premières ne coïncide pas avec celle où l'industrie de transformation passe ses commandes, le besoin apparaît, pour les marchandises qui connaissent de fortes oscillations de prix, de prix à terme. Le façonneur rejette ainsi le risque sur son fournisseur de matières premières. Mais les syndicats utilisent leur puissance pour le rejeter à leur tour, soit en maintenant les prix stables, soit en les fixant à terme à un niveau tel que tout risque disparaît pour eux. C'est ce qu'explique non moins directement M. Untucht : « Etant donné que nous nous trouvons devant une situation incertaine, nous avons eu la prudence (sic) de fixer les prix plutôt plus haut que plus bas. » Et dans le rapport du syndicat on lit ceci : « Alors que, pendant les quatre premières années du syndicat, de telles offres à terme ont été données au début du nouvel exercice, on a adopté depuis 1904-05 ce principe de ne fixer les prix généraux à la livraison qu'après nous être fait une idée du développement de la production. »

Dans l'enquête allemande sur la Bourse, les membres du comité d'enquête n'appartenant pas au monde des affaires (tels le conseiller privé Wiener et le député conservateur von Gamp) tiennent l'opération effective pour légitime, mais l'opération spéculative en Bourse pour illégitime, distinction que les gens d'affaires rejettent tout aussi régulièrement. Les premiers ne peuvent pas comprendre que, dans toutes les transactions capitalistes, la valeur d'usage n'a absolument aucune importance et n'est la plupart du temps qu'une triste nécessité - condition sine qua non. L'affaire à terme est en réalité l'expression la plus complète du fait que pour les capitalistes, seule compte la valeur d'échange. C'est précisément l'affaire à terme qui est ainsi le produit le plus légitime de la façon de voir capitaliste; elle est l'affaire en soi, d'où est exclue la forme d'apparition profane de la valeur, à savoir la valeur d'usage. Il est donc naturel que cette chose économique en soi apparaisse aux théoriciens non capitalistes comme purement transcendantale et que dans leur dépit ils la dénoncent comme une escroquerie[65]. Ils ne voient pas que derrière la réalité empirique de chaque affaire capitaliste il y a le fait transcendantal d'une telle affaire en soi qui seule explique cette réalité empirique[Note de l'ED 2]. Le merveilleux est que les défenseurs de la valeur d'usage, dès qu'ils ont affaire à la Bourse, perdent la notion de la valeur d'usage elle-même. Ils considèrent de la même façon comme effective toute l'affaire, qu'il s'agisse d'échange de titres de revenu ou de marchandises, à condition que ces titres ou ces marchandises soient vraiment livrés. En quoi ils oublient que la circulation des titres n'est pour les échanges organiques de la société d'aucune importance, tandis que celle des marchandises est leur condition vitale.

A quelles absurdités peut conduire cette indifférence à l'égard de la valeur d'usage, c'est ce que montre l'exemple suivant. Pour que la marchandise puisse fonctionner en tant que telle, il faut qu'elle remplisse certaines conditions, possède par conséquent dans une quantité déterminée un poids déterminé, avoir une certaine couleur, une certaine odeur, etc. C'est seulement alors qu'elle correspond au « type » exigé pour la livraison. Pour le commerce à terme du café à Hambourg, le type était assez mauvais. C’est pourquoi on diminuait la qualité des bonnes sortes en y ajoutant des haricots noirs, des pierres, etc. A Berlin, le type était meilleur. Aussi, pour y rendre le café livrable, il fallait enlever soigneusement ce qu'on y avait ajouté à Hambourg. C'est bien là l'exemple le plus étrange des faux frais capitalistes[66]. Mais il y a mieux. A Hambourg, un cartel s'était constitué. Il en résulta une pénurie de café livrable. Il n'y avait de livrable que le café mélangé de pierres. Les meilleures sortes de café exigeaient par conséquent, du fait qu'elles ne correspondaient pas à la qualité demandée pour la livraison, un denier à Dieu. En d'autres termes, il fallait, pour obtenir du café de meilleure qualité, payer une amende. Mais cela correspond à la logique capitaliste appliquée d'une façon conséquente, car pour l'acheteur, le membre du cartel, ce qui l'intéresse, ce n'est pas la valeur d'usage, mais seulement la valeur d'échange. Celle-ci détermine toute l'action économique, qui précisément n'est pas production ou transfert de valeur d'usage, mais obtention de bénéfice[67].

Les défenseurs du mode de production capitaliste s'efforcent de démontrer la nécessité de ses différentes manifestations en identifiant la forme spécifiquement économique et par conséquent historique découlant de la production capitaliste avec le contenu technique, qui par rapport à la forme transitoire, est durablement nécessaire, et concluent de cette fausse identification à la nécessité de la forme. C'est ainsi qu'ils soulignent emphatiquement la nécessité de la haute direction et de la surveillance de chaque processus de travail social pour démontrer par là, d'une façon générale, la nécessité de la direction capitaliste qui découle de la propriété privée. Ainsi ils ne conçoivent pas le commerce comme un acte de circulation spécifique, mais comme répartition des biens entre les consommateurs. C'est ainsi qu'Ehrenberg explique le commerce comme une répartition par-delà le temps[68]; Et comme la répartition, bien entendu, est toujours nécessaire a un certain stade de développement technique, le commerce et la spéculation sont nécessaires, aux aussi, et leur suppression une impossibilité, une utopie. Si en plus on identifie encore « nécessaire » et « productif », on en arrive comme Ehrenberg à ce résultat grotesque que la spéculation est une branche de production tout comme l’agriculture. Et pourquoi pas, puisque le sol et une action rapportent l'un et l'autre de l'argent? En cela on confond tout simplement le commerce avec le transport, l'empaquetage, la division, etc., et on identifie la spéculation et l'emmagasinage, opérations qui sont, bien entendu, nécessaires dans tout mode de production techniquement développé. Mais même une personnalité beaucoup plus sérieuse et perspicace qu'Ehrenberg comme le professeur Lexis[69] ne sait comment expliquer le commerce à terme, car lui non plus ne voit pas la différence qu'il y a entre la forme économique spécifique du commerce à terme des marchandises en Bourse et le simple commerce des marchandises. Il ne voit pas le rôle spécifique de la spéculation et cherche à prouver la nécessité du commerce à terme en s'efforçant de démontrer qu'il s'agit d'un commerce véritable.

Son adversaire Gamp a beau jeu de montrer que le commerce à terme crée un nombre considérable d'échanges de marchandises qui n'ont rien à voir avec la répartition du producteur au consommateur. Lexis montre qu'il est plus facile au commerce à terme de trouver des acheteurs. C'est exact, mais ces « acheteurs » ne sont ordinairement pas les consommateurs, mais eux-mêmes à leur tour des « vendeurs », autrement dit des spéculateurs. Toutefois, il est faux de vouloir faire découler le commerce et même le « commerce » à terme, la spéculation à terme, d'un besoin absolu de distribution. Le commerce ne satisfait que le besoin de distribution dans une société capitaliste et sa nécessité n'est que temporaire, même au sein de cette société, ainsi que le prouve l'élimination du commerce par les syndicats et les trusts. Qui considère le commerce comme « productif », c'est-à-dire non seulement réalisant le profit, mais le produisant, tombe dans une confusion complète : il célèbre comme un avantage de la cartellisation l'épargne de frais commerciaux, ce qui ne peut constituer un avantage que si les opérations commerciales représentent des frais, par conséquent ne sont pas productives.

La nécessité du marché à terme consiste en réalité en ce que, d'une part, il permet aux capitalistes productifs, industriels et commerciaux, de ramener à zéro leur temps de circulation et de s'assurer ainsi contre les oscillations de prix qui peuvent se produire pendant le temps de circulation en les rejetant sur la spéculation, dont c’est la fonction spécifique. Il permet, d'autre part, de faire accomplir par le capital-argent (bancaire) une partie des fonctions qui incombent au capital commercial. Pour ces opérations, on n'obtient pas le profit moyen, mais l'intérêt, la différence accroît le profit industriel (bénéfice de l'entrepreneur). Enfin, et ceci est lié à ce qui précède, le marché à terme permet la transformation du capital-argent en capital commercial, tout en gardant a ce dernier le caractère de capital commercial argent, et ouvre ainsi au capital bancaire la possibilité de renforcer son contrôle sur le commerce et l'industrie et de conserver à une partie de plus en plus grande du capital productif le caractère de capital-argent qui est à la disposition de la banque.

Chapitre X. Capital bancaire et bénéfice bancaire[modifier le wikicode]

La mobilisation du capital ouvre aux banques un nouveau champ d'activité : les émissions et la spéculation. Théoriquement, il est sans importance que ces deux genres d'activité soient liés à des opérations de paiement et de crédit dans une banque ou assurés par différents instituts bancaires. Ce qui importe est de distinguer les différentes fonctions selon leur signification économique. L'évolution moderne conduit du reste de plus en plus au groupement de ces fonctions, soit dans une seule entreprise, soit par le contrôle de plusieurs entreprises chargées de ces fonctions qui se complètent les unes les autres, par le même capitaliste ou le même groupe de capitalistes. Le facteur qui pousse ce groupement de fonctions est en dernière analyse celui-ci, que dans toutes ces fonctions le capital intervient en tant que capital-argent dans le sens spécifique du terme, en tant que capital de prêt, qui peut à chaque instant être retiré du placement qui en a été fait. Mais, même là où ce groupement n'a pas lieu dans une entreprise, c'est en partie le même capital qui remplit ces différentes fonctions en se plaçant d'une de ces entreprises à la disposition des autres.

C'est seulement après avoir analysé ces fonctions qu'il est devenu possible d'examiner d'où provient le bénéfice du capital bancaire et quelle forme doit prendre le rapport entre bénéfice et capital, tant celui de la banque elle-même que celui qui a été mis à sa disposition.

Nous savons que le profit se forme dans la production et est réalisé dans la circulation. Nous savons également que l'accomplissement des opérations de circulation, l'achat et la vente des marchandises, exige un capital supplémentaire. Une partie de ces opérations sont enlevées aux industriels et aux commerçants et deviennent la fonction particulière d'une partie du capital social, le capital de circulation des marchandises. Le capital employé par les commerçants donne le profit moyen, lequel n'est qu'une partie du profit obtenu dans la production par les industriels, et entraîne par conséquent une diminution de ce profit, qui autrement irait entièrement à ces derniers[70]. De même, la circulation exige toute une série de transactions, garde des stocks, mise à disposition et envoi d'argent, tenue et paiement de comptes, etc. Ces opérations peuvent être concentrées et, grâce à cette concentration, du travail représentant des frais de circulation peut être épargné. En outre, du fait de cette concentration, un capital plus faible sera nécessaire pour effectuer le travail. « Les mouvements purement techniques par lesquels passent l'argent dans le processus de circulation du capital industriel, et comme nous pouvons maintenant l'ajouter, le capital commercial (étant donné que celui-ci prend en charge une partie du mouvement de circulation du capital industriel), ces mouvements, devenus la fonction particulière d'un capital spécial, qui les exerce et seulement eux comme ses opérations propres, transforment ce capital en capital commercial argent. Une partie du capital industriel et aussi du capital de circulation des marchandises a non seulement en permanence la forme d'argent, de capital-argent en général, mais de capital-argent engagé dans ces fonctions techniques. Une certaine partie du capital global se sépare et devient autonome sous forme de capital-argent, dont la fonction consiste exclusivement à effectuer ces opérations pour toute la classe des capitalistes industriels et commerciaux. Comme pour le capital de circulation des marchandises, une partie du capital industriel existant dans le processus de circulation sous forme de capital-argent se sépare et effectue ces opérations du processus de reproduction pour tout le reste du capital. Les mouvements de ce capital-argent ne sont par conséquent de nouveau que des mouvements d'une partie devenue autonome du capital industriel engagé dans son processus de reproduction[71] ... Le commerce d'argent sous la forme pure où nous le considérons ici, c'est-à-dire séparé du système du crédit, n'a par conséquent affaire qu'à la technique d'un moment de la circulation des marchandises, à savoir la circulation de l'argent et les différentes fonctions de l’argent qui en découlent ... Il est clair que la masse du capital-argent à laquelle ont affaire les commerçants de l’argent est le capital-argent des commerçants et industriels engagé dans la circulation et que les opérations qu'ils effectuent ne sont que les opérations de ceux qui les commandent. Il est tout aussi clair que leur profit n'est qu'une partie de la plus-value, puisqu'ils n'ont affaire qu'à des valeurs déjà réalisées (même si ce n'est que sous forme de créances[72]) ». La tenue des caisses devient, au cours de l'évolution, l'affaire des banques. La grandeur du capital que cela exige est déterminée à tout moment par la nature technique des opérations et leur extension éventuelle. Sur ce capital, les banques réalisent, tout comme les commerçants sur le capital de circulation des marchandises et les industriels pour le capital productif, le profit moyen[73]. Mais c'est aussi la seule partie du capital bancaire dont le bénéfice représente le profit moyen au vrai sens du terme. Le bénéfice réalisé sur le reste du capital bancaire est essentiellement différent.

En tant que médiatrice du crédit, la banque travaille avec tout le capital, qu'il lui appartienne en propre ou non, à sa disposition. Son bénéfice brut comprend l'intérêt pour le capital prêté ; son bénéfice net - déduction faite des frais - consiste en la différence entre les intérêts qu'elle reçoit et ceux qu'elle verse elle-même pour les sommes qui lui sont confiées. Ce bénéfice n'est par conséquent pas un profit au sens exact du terme, et son importance n'est pas déterminée par le taux de profit moyen. Il provient, comme celui de tout autre capitaliste prêteur d'argent, de l'intérêt. La position intermédiaire de la banque dans le mouvement du crédit lui permet seulement de tirer un bénéfice, non plus, comme tout autre capitaliste préteur d'argent, de son propre capital, mais aussi de celui de ses créanciers, auxquels elle verse un intérêt plus bas que celui qu'elle exige elle-même de ses débiteurs. Cet intérêt n’est qu’une partie du profit moyen social, dont le montant est déjà donné. Mais il n'entre nullement comme celui du capital du commerçant ou du prêteur d'argent, dans la détermination du taux de profit moyen.

Le montant de l'intérêt dépend de l'offre et de la demande de capital de prêt en général, dont le capital bancaire n'est qu'une partie. Ce montant détermine le bénéfice brut. Pour obtenir la plus grande disposition possible sur le capital-argent, les banques versent un intérêt sur les sommes mises en dépôt chez elles. Toutes proportions gardées, la disposition d’une banque sur le capital-argent dépend de l'intérêt versé par elle sur ses dépôts. La concurrence pour les dépôts contraint ainsi les banques à verser l'intérêt le plus élevé possible. La différence entre celui qu'elles reçoivent comme créanciers et celui qu’elles versent comme débiteurs constitue leur bénéfice net.

Les choses par conséquent se passent ainsi : premièrement, le taux de l'intérêt est déterminé d'une façon générale par la demande et l'offre de capital de prêt et il détermine à son tour le bénéfice brut des banques qu’elles obtiennent en prêtant le capital, leur appartenant en propre ou non, à leur disposition. En quoi il est complètement indifférent, tant pour la fixation du taux d'intérêt que pour le montant du bénéfice brut, que le rapport du capital propre de la banque au capital étranger soit tel ou tel. A cela près que seule une partie de ce dernier est vraiment à la disposition de la banque, le reste devant être gardé comme réserve, celle-ci, ne portant aucun intérêt, étant infime par rapport à la somme totale. La concurrence des banques entre elles détermine le taux d'intérêt que les banques, à leur tour, doivent verser à leurs déposants, et c'est de ce taux que dépend, en fonction du bénéfice brut et des frais, le bénéfice net. On voit que ce qui est donné ici n’est pas le capital propre des banques. Car ce n'est pas de leur capital propre mais des fonds mis à leur disposition que dépend le bénéfice des banques. Celui-ci est par conséquent donné et c'est d'après lui que doit être fixée la proportion du capital propre des banques. Elles peuvent, sur la totalité du capital de prêt en transformer en leur capital propre autant que le permet leur bénéfice. Mais pour le capital l'activité bancaire est un placement comme un autre. Il n'affluera dans ce secteur que s'il y trouve les mêmes possibilités de mise en valeur que dans le secteur industriel ou commercial. Autrement, il s’en retirera. Mais, d’un autre côté le bénéfice de la banque est l’élément donné. Son capital propre doit donc être calculé de telle sorte que le bénéfice, calculé sur ce dernier, soit égal au profit moyen. Supposons qu'une banque dispose d’un capital de prêt de 100 millions de marks. Elle fait avec lui un bénéfice brut de 6 millions de marks et un bénéfice net de 2 millions. Le capital propre de la banque peut alors, avec un taux de profit de 20 %, être de 10 millions de marks, tendis que 90 millions sont à sa disposition sous firme de dépôts.

Cela explique pourquoi, lors de la fondation les banques par actions ou de l'augmentation de leur capital, il y a encore place pour le bénéfice des fondateurs alors que le capital bancaire ne produit pas de bénéfice d'entreprise, mais réalise seulement de l'intérêt. Car, étant donné que le bénéfice bancaire est égal au taux de profit moyen, mais que les actionnaires ne reçoivent que l’intérêt, il en résulte la possibilité d'un bénéfice des fondateurs. Si la banque occupe une position dominante sur le marché financier, elle peut faire elle-même, soit totalement, soit en partie, le bénéfice des fondateurs. Elle accroît alors ses réserves. Celles-ci sont bien entendu propriété de la banque mais au point de vue comptable, le bénéfice est distribué sur le capital nominal, plus faible. Les réserves permettent aux banques de fixer une plus grande partie de leur capital dans l'industrie.

Le fait que la division en capital propre et capital étranger n'exerce aucune influence sur le bénéfice bancaire, qu'il n'existe aucun rapport fixe entre les dimensions du premier et celles du capital étranger qu'il attire, fait apparaître ces dimensions comme arbitraires et permet de les mesurer de telle sorte que le bénéfice bancaire, bien que n'étant pas lui-même du profit moyen, soit pourtant égal à ce dernier. Le système bancaire une fois développé et le capital de prêt libre à la disposition des banques, la fondation de nouvelles banques en est rendue très difficile, car celles-ci n’auraient pas suffisamment de capital étranger à leur disposition ou ne pourraient en obtenir qu'après une violente lutte de concurrence avec l'ensemble des autres banques, lutte dont l'issue serait douteuse.

Il en va tout autrement du capital bancaire que du capital industriel et même du capital commercial et du capital de circulation de l'argent. Dans ces domaines, les dimensions du capital sont imposées par des considérations d'ordre technique, déterminées par les conditions objectives du processus de production et de circulation. Les dimensions du capital industriel dépendent de l'évolution du processus de production en général, de l'importance des moyens de production existants, dont font partie également les forces naturelles et leurs possibilités d’exploitation, et de la population travailleuse. Leur emploi et le degré d'exploitation de la classe ouvrière déterminent la grandeur du profit, qui se répartit de la même façon sur le capital industriel, commercial et de circulation de l'argent, ces deux derniers étant déterminés par les conditions des opérations de circulation à effectuer. Comme la circulation ne crée pas de profit, mais représente seulement des frais, il y a ici tendance à réduire au minimum le capital employé. En revanche, le capital bancaire, appartenant en propre à la banque ou venu de l'extérieur, n’est rien d'autre que du capital de prêt, et ce dernier à son tour n’est que la forme argent du capital productif, en quoi il est important qu'il ne soit pour la plus grande partie que simple forme, et n'existe par conséquent que d'une façon purement comptable.

C'est le même rapport entre bénéfice bancaire et dimensions du capital propre de la banque que nous trouvons en examinant le bénéfice provenant de l'activité d'émission et de spéculation.

Le bénéfice de fondation ou d'émission n'est ni profit ni intérêt, mais bénéfice d'entreprise capitalisé. Il suppose la transformation du capital industriel en capital fictif. Son importance est déterminée, premièrement, par le taux de profit moyen, et, deuxièmement, par l'intérêt. Le profit moyen moins l'intérêt détermine le bénéfice d'entreprise, qui capitalisé au taux d'intérêt en vigueur, constitue le bénéfice de fondation; ce dernier ne dépend en aucune façon de l'importance du capital propre de la banque. La capacité de transformation du capital industriel en capital fictif dépend uniquement de la quantité de capital de prêt en général, qu'on peut, tout en lui conservant la forme de capital rapportant intérêt, transformer en capital productif. Il faut qu'il y ait suffisamment d'argent à placer en actions. En quoi il convient de distinguer : la transformation d'un capital industriel déjà existant en capital-actions n'engage qu'autant d'argent qu'il n’est nécessaire pour la circulation des actions sur le marché des valeurs. Mais cela dépend de nouveau de la question de savoir si ces actions restent davantage en « mains fermes » en tant que placement ou circulent en tant que valeurs de spéculation. Ou encore l'émission de capital-actions signifie de nouvelles fondations d'entreprises ou extension d’entreprises déjà existantes. Alors il ne faut de capital-argent qu'autant qu'il en est nécessaire pour effectuer les opérations suivantes :

<Mp——— P ... M' ——— A' ,
A ——————
F

et deuxièmement, pour effectuer les échanges des actions elles-mêmes. La quantité du capital de prêt existant détermine en même temps le taux d’intérêt, qui est décisif pour la capitalisation, et par là l'importance du bénéfice d’émission. Ce dernier est indépendant par conséquent des dimensions du capital propre de la banque. Mais la totalité du bénéfice d'émission doit à la longue être égale au taux de profit moyen sur le capital propre de la banque. D’un autre côté celle-ci aura tendance à accroître son capital propre, parce que cela accroît, d'abord son crédit, ensuite sa sécurité.

Il en est de même du bénéfice de spéculation. La participation à la spéculation ne dépend pas, elle non plus, de la façon dont le capital à la disposition des banques se partage en capital propre et capital étranger, mais du montant de ce capital global.

Nous savons déjà qu’aussi bien l'activité d’entremise de crédit que le financement et la spéculation créent des tendances à la concentration et avec elles l'effort en vue de tenir la plus grande partie du capital en tant que capital propre. Car celui-ci ne peut pas, comme le capital prêté, être réclamé à tout moment, ce qui permet par conséquent de l'investir avec une sécurité beaucoup plus grande dans des placements industriels. Entre autres, l'affaire de fondation signifie la fixation pour un temps plus ou moins long du capital-argent dans l’industrie, jusqu'à ce qu'il revienne de nouveau à la banque au moyen de la vente des actions. Ensuite, l'accroissement du capital propre donne la possibilité d'une plus grande participation durable aux entreprises industrielles et, par là, de les contrôler et d'exercer une plus grande influence sur la spéculation sur les marchandises et sur les valeurs. C'est pourquoi la banque a tendance, dès que le gain provenant de l'intérêt et du bénéfice d'émission le permet, à accroître constamment son capital.

La possibilité de transformer le capital étranger en le sien propre ne dépend pas du tout, abstraction faite de la nécessité où elle se trouve de mettre en valeur le capital accru, de la volonté de la banque. Celle-ci s'efforce d'accroître son capital pour pouvoir l'investir dans l'industrie, faire un bénéfice d'émission et contrôler l'entreprise en question. Car pour la seule entremise de crédit, l'accroissement du capital propre au-delà d'une certaine limite serait inutile, étant donné que la disposition de fonds étrangers reste le facteur déterminant, que la banque peut toujours conserver sous une forme immédiatement disponible le capital servant à l'entremise de crédit et ne peut pas faire là-dessus un bénéfice autre que l'intérêt. Mais ce n'est pas parce que la banque conserve maintenant une plus grande partie du capital de prêt disponible qu'elle peut investir pour cela un plus grand capital dans l'industrie. Au contraire, parce qu'elle n'a besoin pour le crédit de paiement que d'une partie du capital de prêt dont elle dispose, elle peut employer l'autre partie à des investissements industriels (crédit de capital). Ce partage de capital de prêt est disponible en vue du crédit de circulation, d'une part, et du crédit de capital, de l'autre, a ses propres causes objectives, qui découlent de l'état momentané du processus de production et de circulation. Même si les limites sont élastiques, la banque ne peut pas ne pas en tenir compte si elle veut maintenir d'une façon constante la forme d'argent du capital bancaire afin de ne pas mettre en danger sa capacité de paiement. En revanche, ce partage du capital de prêt disponible ne dépend pas de la question de savoir quelle partie de ce capital lui appartient en propre et quelle partie a été mise à sa disposition en tant que capital étranger. Mais la banque veut accroître son capital propre pour pouvoir le fixer industriellement : la limite pour cette possibilité de transformation du capital étranger en capital propre de la banque est constituée par cette partie du capital disponible mise à sa disposition pour le crédit de capital. A l'intérieur de cette limite, la tendance est de transformer une partie de plus en plus grande du capital de prêt en capital propre de la banque. Ainsi l'importance de ce dernier ne dépend pas de la seule volonté de la banque, non plus que de la possibilité de mise en valeur du capital accru.

L'accroissement du capital bancaire ne signifie en premier lieu qu'une transaction de caractère juridique, non pas un changement de fonction économique. La banque ne peut accroître son capital, qui doit conserver sa forme de capital-argent, qu'en transformant le capital-argent étranger en son capital propre. Comme, avec un système bancaire développé, tout l'argent disponible est rassemble dans les banques, l'accroissement du capital bancaire ne signifie rien d'autre que ceci : une partie des dépôts que la banque a à sa disposition est maintenant transformée, par le moyen, disons, des émissions d'actions, en capital bancaire.

Cette transformation du capital étranger en capital propre de la banque n'a naturellement aucune influence sur la demande et l'offre de capital-argent et par conséquent sur le taux d'intérêt[74].

L'accroissement du capital industriel a pour conséquence un accroissement de la masse du profit, étant donné que ce capital, dans le processus de la production, crée de la plus-value. L'accroissement du capital bancaire ne modifie, bien entendu en rien la masse d’intérêt obtenue par les banques, car cette masse dépend, la demande restant la même de l'offre de capital de prêt, laquelle n’est en rien modifiée par le partage différent de ce capital entre les banques et les dépositaires, par conséquent par le seul changement de propriété. Ce qui change, c'est seulement le calcul du bénéfice net de la banque, qui, avec un capital accru de cette dernière, paraît proportionnellement plus faible.

Capital industriel, capital commercial et capital de circulation de l'argent sont des parties déterminées du capital social, qui doivent, en un moment donné, exister dans un certain rapport les unes avec les autres. Mais, du point de vue abstrait, tout capital social pourrait être en même temps capital bancaire. Car ce dernier n’est rien d’autre que du capital mis à la disposition des banques et rien ne s'oppose en soi à ce que tout le capital passe par les banques. La plus grande partie de ce capital bancaire est naturellement fictive, expression d’argent pour le capital fonctionnant vraiment d'une façon productive ou seulement titres de plus-value capitalisés.

L'accroissement du capital bancaire n’est donc pas, la condition de l'accroissement du bénéfice comme dans l’industrie, Bien plutôt, pour la banque, le bénéfice est le fait donné. S'il augmente, la banque augmentera son capital propre, parce que ce capital accru lui permet de participer dans une mesure plus grande à la transformation de son capital bancaire en capital industriel sans mettre en danger sa sécurité. Que ce sont essentiellement l'entremise de crédit industriel, la participation aux entreprises industrielles au moyen de la possession d'actions et l'activité d'émission, qui poussent à l'accroissement du capital propre de la banque, c'est ce que prouve le fait que les banques de dépôts en Angleterre, en dépit de l'accroissement considérable de leurs affaires, n'augmentent pas leur capital et distribuent par conséquent de très hauts dividendes.

Il ne faut donc pas s'imaginer la chose de telle manière que l'afflux ou le reflux du capital bancaire pourrait influer sur le bénéfice des banques au point que le taux d'intérêt en serait modifié. Ce qui change, c'est seulement la répartition du bénéfice, tantôt sur un plus grand capital, tantôt sur un plus petit.

En quoi il n'est pas sans importance que l'accroissement du capital bancaire se fasse sous la forme du capital-actions, par conséquent du capital fictif.

Nous avons vu que la transformation de l'argent en capital fictif ne modifie en rien le caractère du capitaliste individuel en tant que capitaliste prêteur d'argent. L'argent, qui est maintenant transformé en capital fictif, restera capital bancaire, donc aussi économiquement capital-argent. Une partie de ce capital bancaire sera transformée en capital industriel, cette transformation pouvant se faire d'une double façon. La banque accorde à l'entreprise industrielle du crédit, lui a par conséquent simplement loué son capital, ou elle prend des actions de cette entreprise, qu'elle conserve, car l'importance de son capital le lui permet. Dans ce dernier cas, l’accroissement du capital bancaire a eu pour effet que le capital-argent a été transformé d'abord en capital bancaire, puis en capital industriel. Au lieu que les capitalistes privés placent directement leur argent en actions d'entreprises industrielles, ils l'ont placé d'abord en actions bancaires, et c'est la banque qui, en achetant des actions d’entreprises industrielles, l'a transformé en capital industriel. La seule différence est que la banque, non seulement a joué le rôle d'intermédiaire dans cette opération mais, en tant que propriétaire du capital bancaire, est devenue co-propriétaire de l'entreprise industrielle. Et ce droit de propriété de la banque est autrement efficace que celui des actionnaires individuels. Il y a ainsi une tendance à transformer d'abord, dans une mesure de plus en plus grands, l'argent disponible des capitalistes privés en capital bancaire et ce dernier ensuite en capital industriel. Ce qui a consisté en réalité en un dédoublement du capital fictif. Le capital-argent est transformé fictivement en capital bancaire et devient par là la propriété de la banque; ce capital bancaire est ensuite transformé fictivement en actions industrielles et en réalité en les éléments du capital productif : moyens de production et force de travail.

La politique des dividendes des banques, qui travaillent avec un grand capital étranger (dépôts), doit être plus stable que celle des entreprises industrielles. Cela particulièrement quand les dépôts proviennent de milieux qui ne peuvent conclure que de signes extérieurs, tels la stabilité des dividendes, à la bonne ou mauvaise gestion de la banque et, à la moindre fluctuation de la politique des dividendes, retirent leurs dépôts. Il s'agit par conséquent de dépôts appartenant à des milieux non capitalistes. L'entreprise industrielle est, en ce qui concerne la politique des dividendes, plus indépendante. D'abord parce que ses créanciers ont la plupart du temps une connaissance exacte de ses possibilités de paiement. Ensuite parce que le crédit, dont elle a besoin constamment, le crédit de paiement, doit être couvert par les marchandises qu'elle produit, tandis que d'autre crédit n'est pas demandé constamment, comme auprès des banques, mais seulement à de longs intervalles. Cette plus grande indépendance lui permet d'abord d'influencer le cours des actions, ce qui offre aux initiés des possibilités de spéculation fructueuse à la Bourse, ensuite de s'adapter plus facilement aux fluctuations de la conjoncture et aux besoins de l'accumulation, qui sont plus importants pour l'entreprise industrielle que pour les banques.

D'un autre côté, les banques peuvent maintenir dans la politique des dividendes une plus grande constance que les entreprises individuelles, parce que les fluctuations de la conjoncture n'agissent pas si fortement et d'une façon aussi unilatérale sur les bénéfices de la banque que sur le profit. D'abord une grande partie de ces bénéfices ne dépend pas tellement du niveau absolu du taux d'intérêt, mais de la différence entre l’intérêt sur le capital prêté et celui qu'on verse sur le capital emprunté. Cette différence est, surtout quand la concentration des banques est déjà très avancée, beaucoup plus constante que les oscillations du taux d'intérêt. Ensuite apparaissent, au cours de la conjoncture, des moments favorables et des moments défavorables, qui se compensent en partie. La plus favorable est la période de prospérité croissante avec taux d'intérêt montant progressivement, gros besoins de capitaux de l’industrie et par conséquent vive activité d’émission avec gros bénéfices de fondation. En même temps augmentent les bénéfices provenant de la tenue des caisses des allocations de crédit de payement, ainsi que de la spéculation en Bourse. Pendant la période de haute conjoncture, le taux d'intérêt augmente, de même que la différence entre l’intérêt reçu et celui qui est versé.

En revanche l'activité d'émission et les bénéfices de fondateurs diminuent. Les besoins de capitaux de l'industrie sont satisfaits plus par des emprunts bancaires que par des émissions d'actions ou d'obligations, tandis que la spéculation sur les valeurs est d'ordinaire limitée quelque temps déjà avant la crise par le taux d'intérêt élevé. Dans les premiers temps de la dépression, quand le taux d'intérêt est au plus bas, c'est le moment le plus favorable pour l'émission d'obligations à intérêt fixe. Les bénéfices des banques provenant de l'acquisition de titres d'emprunt de l'Etat ou de la Ville, etc., augmentent fortement, de même que ceux provenant de la vente d'obligations à un cours plus élevé. Une partie des dettes contractées par l'industrie auprès des banques est transformée en capital-actions ou obligations, étant donné que le marché de l'argent est fluide et permet de nouveaux gains provenant des émissions, tous facteurs qui compensent plus ou moins la baisse des recettes provenant de l'intérêt dû pour les allocations de crédit.

La concurrence que se font les banques entre elles, elles ne la soutiennent pas avec leur propre capital seulement, mais avec le capital global qu'elles ont à leur disposition. Mais, sur le marché de l'argent, la concurrence est tout autre que sur le marché des marchandises. La principale différence est d'abord que, sur le premier, le capital est sous la forme d'argent et que sur le second le capital-marchandises doit être d'abord transformé en capital-argent. Mais ce dernier marché implique également que cette transformation peut échouer plus ou moins, que par conséquent le capital-marchandises peut perdre de sa valeur et qu'il en résulte une perte au lieu d'un gain. Dans la concurrence des marchandises il s'agit de la réalisation du capital, non seulement de sa mise en valeur. Dans la concurrence du capital-argent, le capital en tant que tel est assuré, il s'agit du degré de sa mise en valeur, du montant de l'intérêt. Mais ce dernier est déterminé de telle sorte qu'elle laisse aux différents concurrents une marge de manœuvre très étroite. C'est avant tout la politique d'escompte de l'institut monétaire central qui est ici déterminante, et ne laisse aux autres que des possibilités de manœuvre limitées. C’est important en premier lieu pour les opérations de crédit, tant actives que passives, des banques. Ici la concurrence est relativement faible. Mais, plus la marge de manœuvre est étroite, plus le facteur quantitatif représenté par les affaires de la banque joue un rôle important. Ce n'est que quand ce dernier est très grand qu'il peut y avoir une réduction des commissions, une augmentation de l'intérêt sur les fonds mis en dépôt. Cependant, pour les entreprises d'importance égale, les conditions doivent être approximativement les mêmes. En outre, dans le domaine de l'allocation de crédit, le surprofit disparaît, à l'exception de celui, consistant dans l'épargne et la facilité d'éviter les pertes et de répartir le risque, que les très grosses entreprises ont par rapport aux petites. En revanche, le surprofit, tel qu'il découle dans l’industrie de l'introduction de nouvelles techniques et qui est si important dans la lutte pour la concurrence, ne joue ici aucun rôle.

Bien plus que dans l'entremise de crédit, c’est dans les affaires financières, par conséquent les émissions, que la concurrence joue un rôle important. Ici le montant du bénéfice des fondateurs laisse une marge de manœuvre plus large que dans la concurrence pour le plus grand rabais. Mais là non plus les limites ne sont guère larges. Ce qui importe avant tout, ce sont moins les conditions des banques que le degré de contrôle exercé sur l'industrie du fait des crédits qui lui ont été accordés.

Dans cette question de la concurrence, il faut dans l’industrie distinguer l'aspect technique et l'aspect économique. Dans les banques, la différence technique joue un rôle infime, puisque la technique dans les banques de même genre est la même. (Les banques de genres différents ne se concurrencent pas, en général.) Il n'y a ici qu'une différence économique, qui est d'ordre purement quantitatif et ne consiste que dans l'importance du capital recherché.

Mais c'est ce caractère tout particulier de la concurrence qui permet aux banques, tantôt de se concurrencer entre elles, tantôt de coopérer. Nous trouvons de temps à autre quelque chose de semblable dans l'industrie aussi. Mais seulement pour des entreprises d’égale importance, à l'occasion d'accords provisoires dans un certain domaine, par exemple les adjudications. Mais c'est là plus fréquemment un commencement de cartel, par conséquent d'une coopération durable excluant toute concurrence.

Si le taux d'intérêt général constitue la barrière à laquelle se heurte la concurrence dans l'entremise de crédit, le taux de profit moyen joue le même rôle dans le domaine du crédit de paiement. Mais précisément ici l’importance du mouvement est décisive pour le montant de la commission et entraîne une forte supériorité des grandes banques.

Le principe de technique bancaire de la plus grande sécurité rend les banques rétives à la concurrence. C'est pourquoi elles considèrent avec faveur l'élimination de la concurrence dans l'industrie au moyen des cartels qui permettent « un bénéfice constant ».

Le bénéfice bancaire n'est pas du profit. Mais la totalité de ce bénéfice doit, calculé sur le capital propre de la banque, être égale au taux de profit moyen. S'il est plus faible, des capitaux sont retirés, s’il est plus élevé, de nouvelles banques seront créées. Comme le capital bancaire a toujours la forme d'argent ou peut être à tout moment, pour la plus grande partie, facilement retransformé en argent, c'est ici qu'une égalisation est le plus rapidement possible.

C'est pourquoi il n'y a pas non plus de « surproduction » de capital bancaire. Tout au contraire, une trop forte augmentation du capital propre de la banque mène à sa réduction et à d'autres placements, mais non à un krach général avec dépréciation, etc., comme cela se produit dans l'industrie. Le krach bancaire n'est que la conséquence d'une surproduction industrielle ou de mauvaises spéculations et apparaît comme pénurie de capital bancaire sous forme d'argent, en ce sens que ce capital est fixé dans une forme où il n'est pas réalisable immédiatement sous forme d'argent.

Au fur et à mesure du développement du système bancaire, de l'enchevêtrement de plus en plus étroit des rapports entre les banques et l'industrie. La tendance se renforce, d'une part, d'éliminer de plus en plus la concurrence des banques entre elles, d'autre part, de concentrer tout le capital sous la forme de capital-argent et de le mettre seulement ensuite, par l'intermédiaire des banques, à la disposition de l'industrie. En définitive, cette tendance aboutirait à ce résultat qu'une banque ou un groupe bancaire disposerait de tout le capital-argent. Une telle « banque centrale » contrôlerait ainsi toute la production sociale[75].

Le crédit implique, à côté du rapport matériel, un rapport personnel. En fait, c'est un rapport social-personnel, à la différence des autres catégories économiques, de caractère social-matériel, telles que, par exemple, l'argent : le vulgaire parle de « confiance ». Et de même le crédit est dans son achèvement opposé au capitalisme, il est l'organisation et le contrôle en face de l'anarchie. Il découle par conséquent du socialisme adapté à la société capitaliste, il est le socialisme caricatural, adapté au capitalisme. Il socialise l'argent des autres au profit de quelques-uns. A l'origine, il ouvre soudain au chevalier du crédit les plus vastes perspectives : les barrières de la production capitaliste - la propriété privée - paraissent tombées, toute la force productive de la société semble mise à la disposition de l'individu. Lui-même trompé il trompe les autres[Note de l'ED 3].

Les premiers pionniers du crédit sont les romantiques du capitalisme comme Law et Pereire. Il faut un certain temps pour que le capitaliste pur prenne le dessus et que Gunderman l’emporte sur Saccard[Note de l'ED 4].

  1. C'est cette conviction qui a animé Erwin Steinitzer lorsqu'il a intitulé son ouvrage sur la société par actions, Théorie économique de la société par actions (Leipzig, Duncker et Humblot, 1908). Cependant il n'a pas vu non plus les particularités économiques fondamentales des sociétés par actions. L'ouvrage est d'ailleurs riche en fines observations.
  2. « La valeur de l'argent ou des marchandises en tant que capital n'est pas déterminée par leur valeur en tant qu'argent-marchandises, mais par la quantité de plus-value qu'ils produisent pour leurs propriétaires » (Marx, Le Capital, III, p. 340).
  3. Le lien entre le cours de l'action et la valeur du capital productif se manifeste seulement en ceci que le cours de l’action ne peut pas tomber plus bas que la partie de valeur qui, en cas de faillite de l'entreprise, une fois les autres revendications satisfaites, correspondrait, sur la masse restante, à chaque action.
  4. Lettres et études de politique sociale, de Rodbertus-Jagetzow. Editées par le Dr Rudolf Meyer, Berlin, 1880, I, p. 259.
  5. C'est d'ailleurs faux : la société par actions n'est pas une forme d'activité, mais une forme d'entreprise.
  6. Rodbertus-Jagetzow, op. cit. p. 262.
  7. Ibidem, p. 265.
  8. Mais le socialiste conservateur qu'était Rodbertus a très bien saisi la signification révolutionnaire de la société par actions quand il écrit : « Cette forme d'activité (la société par actions), qui unit en un seul flot les canaux provenant de mille petites sources de capital, a une mission à remplir. Elle a à compléter l'œuvre du Créateur, percer des isthmes et des régions là où le Tout-puissant a oublié de le faire ou ne l'a pas fait à temps, relier sous le fond ou par-dessus la surface de la mer les pays séparés par elle, percer les montagnes, etc. La construction des Pyramides et les ouvrages phéniciens n'atteignent pas ce que le capital-actions a encore à créer. » Ainsi va rêvant Rodbertus, d'une façon non moins romantique que le Saccard de Zola dans L'Argent. Mais il poursuit : « Quant à moi, j'ai encore pour elle une « flamme » toute particulière. Et pourquoi? Elle me nettoie ma rue. Et comment elle la nettoie ! Le libre commerce ordinaire sans forme d'actions n'est qu'un misérable balai : le libre commerce avec forme d'actions est un balai de machine à vapeur qui nettoie en dix ans autant que le balai du samedi en cent ans. Ne touchez pas aux sociétés par actions! La solution de la question sociale a besoin de ce balayeur des rues, car même sans forme corporative elle a besoin d'une propreté comme si les pigeons l'avaient choisie » (Op. cit., t. I, p. 291). Mentionnons également cette remarque très fine : « Comme l'entrepreneur individuel, le capitaliste de prêt disparaîtra de plus en plus sous la forme d'actions » (Ibidem, p. 286). Incroyablement naïve est la présentation de Van Burghts dans le Dictionnaire des sciences sociales, à la rubrique « Sociétés par actions » : « La tâche et le but des entreprises sociales peuvent être, aussi bien de compléter et d'accroître la force de travail personnelle, le savoir et l'expérience de l'entrepreneur, que de renforcer la puissance du capital. » C'est comme si l'on écrivait dans un livre de cuisine : « La tâche et le but des boulettes de prunes peuvent être aussi bien le plaisir du palais que de fournir un salaire à la cuisinière. »
  9. Marx, Le Capital, III, pp. 422 sq.
  10. Pour apporter un exemple de l'exposé schématique donné dans le texte, voici ce que dit le Berliner Tageblatt dans son édition du soir du 16 mai 1908 : « Ces jours-ci, les actions de la fabrique de nitrite de Koepenick ont été introduites en Bourse avec un agio de plus de 80 %. De l'année 1902 à l'année 1906, cette entreprise fonctionna comme société à responsabilité limitée au capital modeste de 300 000 marks. Après quelques années déficitaires, elle réalisa une première fois un bénéfice brut de 100 000 marks, puis un autre de 30 000 marks et distribua d'abord 15 000 marks, puis 75 000 marks de dividendes. Par là elle parut aux fondateurs prédestinée pour une société par actions à 1 million de marks de capital de base, où les 300 000 marks de parts de la société à responsabilité limitée se transformèrent en 900 000 marks d'actions. Pour équilibrer l'actif et le passif de la nouvelle société, les terrains, qui figuraient dans l'actif de l'ancienne société pour une somme de 60 000 marks, furent repris par la société nouvelle pour 210 000 marks, les bâtiments passèrent de 45 000 marks à 140 000 et les machines, appareils, etc., de 246 000 à 400 000 marks. La nouvelle société par actions a maintenant derrière elle deux années d'activité, au cours desquelles elle distribua respectivement 15 et 16 % de dividendes, quoique le compte du terrain - abstraction faite des nouvelles acquisitions - représente toujours une charge de 200 000 marks et celui des bâtiments une de 150 000 marks. C'est seulement sur le compte des machines et appareils, dont l’accroissement paraissait le plus douteux, qu'il fut procédé à une baisse, qui le ramena à 250 000 marks. La production de la société est basée sur deux brevets, dont l'un est exploité depuis un an déjà et l'autre a été vendu par son propriétaire 50 000 marks à la société. Et ces bases ont suffi aux banques d'émission pour stipuler un prix de 180 %, c’est-à-dire que pour les anciennes parts de 300 000 marks qui avec un versement supplémentaire de 100 000 marks constituent le fondement de la société par actions, ils se sont fait payer 1 800 000 marks ! » Le bénéfice des fondateurs est ici encore accru du fait que l'entreprise réalise, grâce à l'exploitation des brevets un surprofit qui, bien entendu, est aussi capitalisé.
  11. Que le capital placé en actions rapporte à son propriétaire, lors du premier ou du nouveau placement, un dividende qui n'est que de très peu supérieur au taux d'intérêt moyen, c'est ce que montre le tableau suivant que nous tirons du Berliner Tageblatt du 1er juin 1907. L'escompte de la Reichsbank était alors de 5,5 %.
    Cour du 30 mai (Pourcentage) Dividende (Pourcentage) Rentabilité (Pourcentage)
    Berliner Handelsgesellschaft 150,75 9 5.97
    Darmstädter Bank 129,30 8 6,18
    Deutsche Bank 223,60 12 5,36
    Diskontogesellschaft 168 9 5,32
    Dresdner Bank 141 8,50 6,02
    Nationalbank 121,50 7,50 6,17
    Bochumer Gusssthal 224,25 15 6,68
    Laurahütte 225,30 12 5,32
    Harpener Bergbau 207,60 11 5,29
    Gelsenkirchener Bergwerk 195,50 11 5,62
    Phoenix Bergbau 205,30 15 7,30
    Rombacher Hüttenwerke 204,50 14 6,84
    Donnersmarkhütte 264,50 14 5,29
    Eisenwerk Kraft 166 11 6,62
    Eisenhütte Thale (act. préf) 123 9 7,31
    Allgemeine Elektriz.Gesellschft 198,50 11 5,54
    Lahmeyer Elektrizität 122 8 6,55
    Hofman Waggonfabrik 335 22 6,56
    Gaggenauer Eisenwerk 105 8 7,61
    Schering Chemische Fabriken 263 17 6,46
    Chemische Fabrik Oranienburg 184,50 10 5,42
    Schultheiss’ Brauerei 288,50 18 6,23
    Vereinsbrauerei 210,50 12 5,70
  12. Il en est de même pour les fondations anglaises. En décrivant une communauté d'intérêts entre une usine de fer brut et une aciérie, Macrosty dit : « It is to be observed, that while the aid of the public was called in to assist in the extension of the business (c'est-à­-dire par l'émission d'obligations, d'actions préférentielles), control lay solely with the vendors (la firme Bill bros and Durman Long and Co) so long as debenture interest and preference dividend were maintained. This is quite a common feature of British flotations, and it demands from the cautious investor a careful scruting of the purchase conditions » (Henry W. Macrosty, The Trust Movement in British Industry, London, 1907, p. 27). « In many cases the ordinary stock is held largely or solely by the original vendors in order that they may retain control, in which case the amount of the ordinary dividend is of less consequence to the public » (Ibid, p. 54). C'est une fonction analogue à celle des commonshares, à savoir la mobilisation des résultats favorables du développement de la société par actions pour les fondateurs, que remplissaient ce qu'on appelait les « droits de fondateurs » dans l'ancien régime des sociétés par actions allemandes (et autrichiennes). Les fondateurs se réservaient certains privilèges, par exemple lors de nouvelles émissions d'actions, qui devaient leur être offertes au cours du pair. Mais cette disposition, contredisant la fonction de la mobilisation du capital, fut ensuite écartée. Le Berliner Tageblatt du 24 septembre 1907 écrit à ce sujet : « Tel un monument d'une époque révolue se dresse aujourd'hui l'institution des droits des fondateurs, qui existe encore dans toute une série de sociétés par actions. » Ces droits proviennent d'une époque où le système des actions n'avait pas encore atteint le degré de développement où il est parvenu aujourd'hui. Autrefois il paraissait normal d'assurer aux fondateurs d'une entreprise des avantages spéciaux, état de choses qui, avec le caractère de mobilité inhérent à l'action devait être ressenti comme écrasant et injustifié. Déjà la loi de 1884 creusa une brèche dans le système des droits des fondateurs, lesquels ont été complètement supprimés pour les nouvelles créations de sociétés par le code de commerce en vigueur depuis le 1er janvier 1900. Certes, la nouvelle loi commerciale n'avait aucun effet rétroactif et c'est ainsi que subsistent inchangés les droits des fondateurs de l'ancien temps qui, dans la mesure où ils n'ont pas été supprimés par accords volontaires, se rappellent de temps en temps d'une façon désagréable au souvenir des actionnaires des sociétés où ils subsistent ... Dans les usines d'électricité de Berlin, pour mentionner l'un des principaux exemples de l'effet des droits des fondateurs, il existe un privilège de la Compagnie générale d'électricité consistant en ce qu'elle peut prendre chaque fois au pair la moitié des nouvelles actions émises. Le bénéfice que rapporta à la Compagnie générale d'électricité, grâce à ce privilège, la seule émission d'actions des usines d'électricité de Berlin au cours des années 1889, 1890, 1899 et 1904, est évalué à environ 15 millions de marks. Que les fondateurs ou leurs héritiers fassent valoir leurs droits, on ne peut bien entendu le leur reprocher. Mais il apparaît que la conception moderne du système des actions exige la suppression des privilèges éternels des fondateurs.
  13. Le meilleur exemple en est fourni par l'histoire du trust américain de l'acier (voir Report of the Industrial Commission, 1901 ; t. XIII, pp. XIV et XV). Ce trust groupait des sociétés déjà surcapitalisées. Le rapport calcule la « véritable valeur » en n'additionnant que les actions préférentielles des sociétés constituantes, ce qui donnerait en réalité un capital-actions au pair et aboutit à ce résultat que 398 918 111 dollars ne sont calculés que pour good will. Une représentation encore meilleure de la « surcapitalisation », plus exactement de la différence entre le capital fonctionnant véritablement et le capital-actions, est fournie par l'indication suivante de la Frankfurter Zeitung du 29 mars 1909. « Les usines de Gary coûteront environ 100 millions de dollars et fourniront plus de 2 millions de tonnes d'acier. Les autres usines du trust sont capitalisées à près de 1 500 millions de dollars et ont une capacité de production de 10 millions de tonnes. La disproportion saute aux yeux. » Même si l'on tient compte que dans cette capitalisation sont comprises des quantités précieuses de minerais et autres objets, la disproportion est encore énorme. Mais cela n'a pas empêché que le trust de l'acier a toujours versé les 7 % de dividende aux actions préférentielles et que les actions communes ont reçu 4 % de dividende. En 1903, le dividende tomba à 3 %; en 1904 et en 1905, il n'y eut pas de dividende. Mais, dès 1905, la conjoncture s'améliora et le trust de l'acier aurait pu distribuer 43 millions de dollars, ce qui aurait représenté 8,5 % de dividende. Toutefois, le trust employa ce montant aux amortissements, à de nouveaux investissements et à la constitution de réserves. En 1906, on versa de nouveau un dividende de 2 %. Mais ce dividende n'était nullement en rapport avec les bénéfices du trust, car l'année avait été très favorable, et le trust disposait pour les dividendes d'une somme de près de 100 millions de dollars. Là-dessus, il y avait 25 millions environ pour les actions préférentielles. Le reste repré­sentait 14,4 % pour les actions ordinaires. Mais, alors que les actionnaires n'obtenaient que 10 666 000 dollars, 50 millions furent employés à de nouvelles constructions (dont 21,5 millions pour le second terme de l'usine de Gary) et 13 millions versés aux réserves. La même politique fut appliquée en 1907. Les bénéfices furent encore plus importants que l'année précédente. Il y avait à la disposition des détenteurs d'actions ordinaires une somme représentant un dividende de 15,6 %. Mais ils n'obtinrent que 2 %; 54 millions de dollars furent consacrés à de nouvelles constructions, dont 18,5 millions pour l'usine de Gary; 25 millions furent versés aux réserves. L'année 1908 fut moins favorable que la précédente. Bien qu'il restât encore un peu plus de 4 % pour les détenteurs d'actions ordinaires, ils ne reçurent que 2 %. Aucune somme ne fut consacrée aux constructions nouvelles, mais plus de 10 millions de dollars furent versés aux réserves, lesquelles à la fin de cette année s'élevaient à 133,5 millions de dollars. Pour le premier trimestre de l'année 1909, en progrès sur celui de l'année précédente, contrairement aux deux derniers trimestres de l'année 1908, où la situation s'était aggravée principalement à cause de la chute des prix survenue au milieu de février sur le marché américain, un dividende de 0,5 % par trimestre fut distribué aux possesseurs d'actions ordinaires et plus de 3 millions de dollars furent versés aux réserves (Voir le Berliner Tageblatt du 28 juillet 1909). Pour le deuxième trimestre 1909, le trust de l’acier annonça un dividende trimestriel de 0,75 %, ce qui correspondait à un dividende annuel de 3 %, et pour le troisième trimestre un dividende de 1 %, soit 4 % par an pour les actions ordinaires. Comme ces actions étalent restées en grande partie entre les mains des fondateurs, ou, dans la mesure où elles étaient passées entre celles de spéculateurs, comptaient parmi leurs titres préférés et avaient été rachetées à bas prix, lors de la crise de 1907, par les groupes financiers, cette politique de dividendes qui visait pendant des années à conserver les bénéfices pour pouvoir les distribuer brusquement au moment opportun, a constitué une source immense d'enrichissement pour les groupes financiers qui contrôlaient le trust de l'acier.
  14. L'exposé détaillé de la technique de financement déborde le cadre de cette étude. Mais l'exemple suivant, qui montre le financement de la compagnie du chemin de fer de Rock Island, confirme ce qui a été dit plus haut (voir la Frankfurter Zeitung du 6 octobre 1909). A la tête il y avait une société de contrôle (holding company, c'est-à-dire en fait une société possédant les actions d'autres sociétés), la Rock Island Company, au capital de 54 millions de dollars d'actions préférentielles et de 96 millions de dollars d'actions com­munes, sur lesquelles 49 129 millions de dollars pour les premières et 89 733 millions pour les secondes sont émises. Les actions préférentielles seules ont le droit de vote. Cette société détient tout le capital-actions de 145 millions de dollars de la Chicago Rock Island and Pacific Railroad Company, avec en outre une dette consolidée de 70 199 millions de dollars de collateral trust bonds à 4 % et de 17 361 millions de dollars de collateral trust bonds à 5 %. Ce sont des dettes en garantie desquelles d'autres titres ont été déposés chez des fidéicommissaires (Sur les collateral trust bonds, voir Thomas L. Greene, Corporation Finance, New York, 1906). Cette Railroad Company est propriétaire de deux compagnies de chemins de fer : 1°) La Chicago Rock Island et la Pacific Railway Company. Sa dette consolidée s'élève à 197 850 millions de dollars; le capital-actions est de 74 859 millions de dollars, dont 70 199 millions déposés chez des fidéicommissaires comme garantie pour l'émission plus haut mentionnée des collateral trust bonds à 4 % de la Railroad Company; 2°) la St Louis et la San Francisco Railroad Company, avec une dette consolidée d'environ 227 millions de dollars. Le capital-actions se compose de 5 millions de dollars I preferred stock, de 16 millions de dollars II preferred stock, de 29 millions de dollars common stock, dont 28 940 millions ont été acquises par la Rock Island Company. Celle-ci n'a donné en échange de 100 dollars d'actions que 60 dollars de ses propres actions et 60 dollars en collateral trust bonds à 5 % de la Chicago Rock Island et de la Pacific Railway Company. Ces deux grandes compagnies de chemins de fer ont donc maintenant leurs filiales. Le but de cette construction savante est clair. Le contrôle de tout l'immense réseau de chemins de fer appartient aux détenteurs d'actions préférentielles, qui seuls possèdent le droit de vote de la Rock Island Company. A l'époque de sa fondation en 1902, le cours de ces titres variait entre 40 et 70 %. Pour les 27 millions de dollars d'actions préférentielles nécessaires au contrôle, les fondateurs n'ont eu besoin que de 15 millions tout au plus. Cette somme suffit pour les rendre maîtres de tout le réseau de chemins de fer
  15. Les revenus provenant de postes de conseils d'administration sont évalués par E. Loeb ( « L'Institution du conseil d'administration », Annuaire pour l'économie politique et la statistique, 3, t. XXIII, 1902) à environ 60 millions de marks pour l'année 1900. Dans une étude très détaillée sur les conseils d'administration des sociétés allemandes par actions parue dans la même revue (t. XXXII, 1906. pp. 46 et sq), Franz Eulenburg évalue cette somme à 70 millions de marks pour l'année 1906. Chaque société par actions distribue en moyenne 0,6 % de son capital nominal comme tantièmes, ce qui fait que chaque membre du conseil d'administration reçoit en moyenne 0,1 %. Dans les grandes sociétés, ce montant est naturellement plus élevé en chiffres absolus, environ 6 à 8 000 marks et même davantage. C'est ainsi que la Dresdner Bank a versé 21 000 marks, Felten et Guillaume 34 000, Dürkopp 10 000, la Deutsche Bank 32 000, les Horder Bergwerke 15 000, Gelsenkirchen 8 700, la Bayrische Hypothekenbank 13 000 marks en tantièmes.
  16. L'union personnelle est le commencement ou la fin de groupements qui pour des raisons extérieures doivent être séparés sur le plan de l'organisation, mais qui ne peuvent développer leur pleine efficacité qu'en s'unissant sous une direction commune au plus haut niveau. L'union personnelle entre L’Autriche et la Hongrie est ce qui est resté de l'ancienne association des deux pays et demeure importante peut-être seulement dans la mesure où elle pouvait devenir le point de départ d'une association d'un autre genre. C'est l'union personnelle des organisations économiques et politiques de la classe ouvrière dans leur direction suprême qui seule permet le plein déploiement de leurs forces. Ce phénomène de l'union de l'organisation économique et politique, nous le retrouvons pour la grande propriété foncière allemande, dans l'union des cultivateurs et particulièrement développée dans les organisations des polonais prussiens.
  17. C'est pourquoi l'existence de fortes dettes bancaires d'une entreprise privée est souvent à l'origine de sa transformation en société par actions.
  18. Les grandes banques cherchent à « développer leurs liaisons avec les entreprises industrielles, selon le lieu et le genre d'activité, dans tons les sens possibles, et de supprimer plus ou moins les inégalités qui existent dans leur répartition régionale et profession­nelle, qui s'explique par l'histoire de ces différents établissements. C'est à quoi tend l'effort en vue de fonder leurs relations industrielles sur une collaboration régulière et permanente, de l'exprimer et de lui donner la possibilité de s'élargir et de s'approfondir par un système uni d'occupation de postes de membres de conseils d'admi­nistration » (Jeidels, op. cit., p. 180). Notre auteur fournit le tableau suivant. Etaient représentés dans les sociétés par actions :
    Deutsche Bank Diskonto Gesellscaft Darmstaedter Bank Dresdner Bank Schaffhausen­scher Bankverein Berliner Handelsges. Total
    par des directeurs 101 31 51 53 68 40 344
    par leurs propres conseils d'administration 120 61 50 80 62 34 407
    221 92 101 133 130 74 751
    Ainsi les six grandes banques berlinoises disposaient à elles seules de 751 sièges de membres de conseils d’administration.

    D'après le dernier annuaire des directeurs et membres des conseils d'administration (1909), il y avait en Allemagne 12 000 de ces postes. Là-dessus, 2918 sont détenus par 197 personnes seulement. Le record est détenu par M. Karl Fürstenberg, de la Berliner Handelsgesellschaft, avec 44 mandats, et après lui par M. Eugen Guttmann, avec 35 man­dats. D'une façon générale, entre les différentes professions repré­sentées parmi les membres des conseils d'administration, la banque est la plus fortement représentée et c'est chez elle qu'on trouve le plus de cumuls. Voir les détails à ce sujet chez Eulenburg. On constate bien, entendu le même phénomène aux Etats-Unis. En 1906, la firme J.-P. Morgan and Co était représentée dans les conseils d'administration de 5 banques, 50 compagnies de chemins de fer, 3 compagnies de navigation, 8 trusts, 8 compagnies d'assurances et 40 entreprises industrielles. Voir Steinitzer, op. cit., p. 158.

  19. Par contre, le contrôle, dans le sens juridique du terme, ne joue aucun rôle. C'est ainsi que le président déclara ouvertement à l'assemblée générale de la Elektrische Licht-und Kraftanlagen Aktiengesellschaft in Berlin : « L'idée qu'un conseil d'administration, ou un membre d'un conseil d'administration pourrait faire ce que la loi prescrit est fausse. Lorsqu'ils promulguèrent cette loi, les législateurs ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Qu'on se représente qu'un membre du conseil d'administration, ou même le conseil tout entier, dans une de nos grandes sociétés, contrôle, ne serait-ce qu'un seul jour, toutes les branches de l'entreprise. Pendant qu'il contrôle à un endroit, les plus grandes erreurs peuvent être commises en un autre. Le conseil d'administration peut indiquer les grandes lignes d'après lesquelles une société doit être dirigée. Il peut surveiller la direction afin qu'elle ne fasse rien qui soit contraire aux lois et aux statuts. Quant aux détails, c'est l'affaire des sociétés de révision » (Berliner Tageblatt, 28 novembre 1908).
  20. Quand on parle ici de capital social, c'est dans ce sens que l'entrepreneur individuel est limité par l'importance du capital individuel, la société par actions par celle de tout le capital-argent existant dans la société capitaliste et disponible pour une nouvelle mise en valeur.
  21. « La société par actions est l'arme la plus tranchante et la plus sûre et pour cela préférée que le régime capitaliste ait à sa disposition pour réaliser ses tendances à la concentration. Elle représente déjà une concentration accomplie : un rassemblement de petit capitaux dispersés, plus ou moins incapables à eux seuls d'emplois productif, en une masse de capital qui est en tant que telle propre à poursuivre sous une direction commune des buts économiques, par conséquent productifs. Mais, par suite de la facilité avec laquelle les parts peuvent être vendues ou transmises, par suite également du détachement presque complet de la personne de l'entrepreneur à un degré plus haut de probabilité de longue durée que dans les autres formes d'entreprise, et aussi de la non-limitation (théorique) des dividendes qu'il est possible d'espérer du capital rassemblé, la société par actions exerce sur les capitaux disponibles une force d'attraction incomparablement plus grande. Elle possède par conséquent à un degré plus élevé que tout autre forme d'entreprise la possibilité de satisfaire par des augmentations de capital ses besoins de crédit et d'extension. Mais la facilité de se procurer des capitaux provoque à son tour la tendance à l'augmentation de capital, et cela dans une mesure croissante, parce que cela semble être, tant dans le domaine de l'industrie que du commerce et de la banque, une loi économique, qu'un capital doublé permet davantage qu'une production doublée ou qu'un chiffre d'affaires doublé (ce qui ne signifie pas nécessairement une rentabilité doublée. - R. H.) et que déjà pour cela la tendance à l'accroissement du capital se renforce avec l'accroissement de ce capital et est par là relativement plus forte avec les grands capitaux qu'avec les petits » (Riesser, L'Histoire des grandes banques, p. 152).
  22. « Au sujet, notamment, de la concurrence des sociétés par actions, la commission de 1886 a entendu un grand nombre de plaintes. De nombreux témoins ont affirmé que la cause principale des bas prix des marchandises consiste en ceci que, dans un grand nombre de branches de production, les sociétés par actions se seraient développes d'une façon excessive. Celles-ci pourraient continuer à travailler même sans profit, car il est dans l'intérêt de ceux qui les dirigent de continuer à produire sans tenir compte de la rentabilité » (Tugan-Baranowski, Etudes sur la théorie et l'histoire des crises commerciales en Angleterre, Iéna, 1901, p. 161).
  23. Marx, Le Capital, II, pp. 589 et sq
  24. Voir, sur la différence entre ces deux notions Marx, Le Capital, I. pp. 591 et sq.
  25. La tendance à l'accroissement du capital bancaire peut encore être renforcée par des dispositions légales. C'est ainsi que la clause de la loi allemande sur les sociétés par actions, aux termes de laquelle, lors de la transformation d'entreprises individuelles en sociétés par actions, les actions ne peuvent être introduites en Bourse qu'un an après la fondation de ces sociétés, cette clause a pour conséquence que le capital bancaire ne peut être mobilisé pendant un an tandis qu'il est transformé en capital industriel et ne peut prendre de nouveau la forme d'argent. Par là, l'activité de fondation, spécialement pour de grandes entreprises, devient le monopole des très grandes banques possédant des capitaux abondants leur appartenant en propre. En même temps, cela encourage la tendance à la concentration dans les banques, Car c'est à ces grandes banques que revient le bénéfice des fondateurs.
  26. Voir Edward Shenvood Meade, Trust Finance, New York, 1907, 234
  27. Voir l'ouvrage très instructif de W. Prion, Les Affaires d'escompte de traites en Allemagne, Leipzig, 1907.
  28. Bien entendu nous ne parlons pas ici des affaires dites différentielles, où il n'y a pas livraison effective des valeurs et où l'affaire est terminée par le règlement des différences de cours. En fait, tout gain spéculatif est un gain différentiel au sens économique du terme. La technique de l'affaire boursière qui est à la base de ce gain n'a pas ici plus d'importance que le fait que pour les capitalistes comme pour les économistes, tout bénéfice capitaliste apparaît comme différence, qu'il s'agisse de profit industriel ou commercial de rente foncière, d'intérêt ou de bénéfice de spéculation.
  29. Et non seulement dans le même sens, mais aussi dans le même temps et dans la même proportion. Car il n'y a bénéfice spéculatif que lorsqu'on achète une valeur à un prix plus élevé à une date ultérieure à laquelle un autre vend, ou lorsqu'on vend à un prix plus élevé qu'un autre qui vend déjà à ce prix.
  30. En voici un exemple frappant : « Ces jours-ci le bruit courut que la Phoenix avait reçu une commande très importante de tubes d'acier pour compte américain. On parlait de plusieurs millions de marks. La Bourse ajouta foi à cette rumeur et fit monter les cours des valeurs minières, mais surtout des actions de la Phoenix. Elle savait pourtant qu'aux Etats-Unis en ce moment la situation n'est guère meilleure qu'il y a quelques mois ... Mais, dans les régions industrielles et spécialement à la direction de la Phoenix, on aura beaucoup ri de cette rumeur qui a provoqué une telle euphorie à la Bourse de Berlin. Ne s'agissait-il pas d'une commande pour un montant de plusieurs millions de marks, et par-dessus le marché pour compte américain, passée à une entreprise qui ne fabrique pas de tubes d'acier et qui ne possède même aucune participation pour ce genre de production à l'Union sidérurgique allemande ? Par consé­quent une pure escroquerie » (Berliner Togeblatt, l5 juillet 19001. Si donc. M. Arnhold (Enquête sur la Bourse, 1ere partie, p. 444), parle d’activité intellectuelle spéculative, c'est plutôt une spéculation sur l’inactivité intellectuelle des auditeurs. Du reste, il doit reconnaître lui-même le caractère fortuit et irrégulier de la spéculation pour la masse des petits spéculateurs et des outsiders.
  31. Sur la notion de travail productif au sens strict du terme, voir Marx, Théories sur la plus-value, t. I, pp. 407 sq.
  32. D'après la terminologie de Karner il y a changement de fonction d'une institution juridique sans changement de norme (voir Etudes marxiennes, I, p. 81),
  33. Le meilleur exemple qu'on en puisse donner pour ces derniers temps est peut-être l'absorption de la Tennessee Steel and Coal Company, pendant la panique de l'automne 1907, par le trust de l'acier, dont elle était le principal concurrent. Dans le Berliner Tageblatt du 17 novembre 1907 une plume indignée écrit à ce propos : « On confirme maintenant de source bien informée que les deux représentants de J. Pierpont Morgan envoyés ces jours derniers à Washington - E. F. Gary et H. C. Frick - ont posé au président Roosevelt l'ultimatum suivant: ou accepter que l'absorption de la Tennessee Steel Company se fasse tranquillement et promettre que le gouvernement n'interviendra pas, ainsi que le lui prescrit la loi antitrusts en vigueur ou ... connaître la pire panique qui se soit jamais produite dans le pays, avec fermeture probable de toutes les banques. Cette attaque audacieuse jusqu'à la témérité dirigée contre le président de la République au moment le plus aigu de la crise économique ne pouvait manquer bien entendu de produire son effet. Contraint par la nécessité, le président dut abandonner ses pouvoirs à la Bourse. Il lui fallut abjurer momentanément ses obligations de premier magistrat de l'Etat et ne pas appliquer la loi. La plus haute instance de l'Exécutif ainsi neutralisée, le brave Morgan put pour « sauver » la Trust Company of America et la Lincoln Trust Company, conquérir pour son trust de l'acier le monopole du fer et de l'acier dans toute l'Union. Quelques jours plus tard, il réussit dans son travail de sauvetage un nouveau coup en mettant la main sur la C. W. Morses Coastwise Steamship Combination. Cela caractérise la situation actuelle de la République aux Etats-Unis d'Amérique, fondée par des patriotes désintéressés comme George Washington, Benjamin Franklin, Jefferson et autres personnalités éminentes. »
  34. Marx, Le Capital, III, p. 406.
  35. Enquête sur la Bourse, rapport sténographique de la commission 1893, I, p. 190
  36. C'est ainsi par exemple qu'il existe à Londres depuis 1874 le Stock Exchange Clearing, grâce auquel, pour les principales espèces de valeurs, les échanges se compensent aussi largement que possible; de telle sorte qu'un chèque n'est établi que pour le solde. Le résultat est que 10 % seulement des échanges se règlent par chèque, tandis que 90 % des obligations réciproques se règlent par simple compensation (Jaffé, op. cit., p. 95). Des établissements semblables existent sur toutes les autres places boursières.
  37. Les formes du commerce en Bourse ne sont pas importantes seulement pour l'établissement des prix. Les conditions pour le déroulement des affaires en Bourse sont plus que de simples instruments techniques du commerce en Bourse, elles sont également des facteurs de la formation des prix, dont l'importance ne doit pas être méconnue, quoique en dernier lieu ce qui décide, ce sont les besoins et les quantités disponibles, l'offre et la demande. Qu'une valeur ou une marchandise soit échangée au comptant ou à terme, à court ou à long terme, dans tel type de marchandise, tel groupe boursier, etc., ce sont là des facteurs très importants, non seulement pour l'établissement exact des prix, mais aussi pour leur formation, et toute modification qui y est apportée influence la courbe dans laquelle les prix se suivent dans le temps sur un marché organisé. Landesberger, « La Réforme des Bourses agricoles en Allemagne », Revue pour le bien public, la politique sociale et l'administration, t. XI (1902), p. 36.
  38. Enquête sur la Bourse, I, rapport de la Commission, pp. 75 sq.
  39. Cela peut se produire aussi dans d'autres buts. « Sur le continent, il n'est pas rare qu'une telle politique de report soit appliquée (par les banques). Il arrive que des banques, quand elles préparent une émission importante, réduisent le report pour créer un sentiment de hausse, car la perte qu'elles subissent de ce fait, elles peuvent la compenser grâce aux bénéfices réalisés au moment de l'émission » (Philippovitch, Fondements de l'économie politique, t.II, 2° partie, p. 181).
  40. Voir Enquête sur la Bourse, III, p. 1930, la déclaration de l'expert Koenig. Il considère le commerce à terme indésirable pour l'industrie et expose son opinion de la manière suivante : « Tous ces papiers qui sont dans le commerce à fin de mois nagent à la Bourse, pour une grande part, dans les mains de gens qui ne s'intéressent pas à la chose elle-même, mais seulement aux actions, pas aux entreprises en tant que telles, et dont le seul but est de faire monter ou baisser les cours. Etant donné les conditions qui régissent le commerce à fin de mois, il est extrêmement facile d'agir sur les entreprises, de s'assurer au moyen du report un gros paquet d'actions pour le dernier jour du mois où doit se tenir une assemblée générale. On se présente en tant que propriétaire de quelques millions d'actions, qui ne vous appartiennent même pas, devant les actionnaires qui ne se doutent de rien. En un tournemain ceux-ci sont submergés et se voient imposer toutes sortes de choses dont ils n'ont jamais eu la moindre idée. »
  41. Voir la déclaration de Meyer (Enquête sur la Bourse, II, p. 1608), qui explique l'accroissement des affaires à terme en Angleterre par le fait que dans ce pays il existe à tout moment des capitaux flottants à la disposition de ce commerce.
  42. Enquête sur la Bourse, I, p. 347. Déclaration d'Arnhold.
  43. Qu’on se reporte par exemple aux déclarations suivantes d'une « personnalité éminente du monde de la banque à Berlin », que reproduit le Berliner Tageblatt du 25 février 1908 : « N'oubliez pas qu'au cours officiel du comptant il n'y a qu'une partie relativement petite des échanges. La concentration dans les banques allemandes a eu pour résultat qu'une partie considérable des ordres d'achat et de vente aboutissent pour compensation dans les bureaux des grandes banques. A la Bourse de Berlin, on ne règle en fait que les pointes. » Il en est de même en Autriche. A l’assemblée générale de la Wiener Giro-und Kassenverein, un actionnaire se plaint : « Du fait que la vie commerciale de la monarchie se concentre de plus en plus dans les banques, de sorte que toutes les firmes privées plus faibles doivent disparaître, les échanges à la Bourse n'ont plus besoin, dans un très grand nombre de cas, de l'intermédiaire du bureau de compensation. Chaque banque est une union de virements et de caisses sans frais et sans employés. Le développement des échanges de titres dans les banques est lié à la diminution de l'entremise d'arrangement par l'union de virements et de caisses » (Neue Freie Presse du 1° février 1905).
  44. Annuaire berlinois pour le commerce et l'industrie (1905).
  45. Frankfurter Zeitung du 21 juin 1907.
  46. C'est ainsi que la Frankfurter Zeitung du 28 janvier 1906 écrit : « D'une véritable liquidation à fin de mois, c'est à peine si l'on peut parler aujourd'hui. On annonce assurément encore des taux de report, mais la plus grande partie des virements sont réglés à l'intérieur des grandes banques, qui pourraient également fixer leurs propres taux. On ne peut se faire aucune idée de l'importance des engagements conclus, car, comme il a été dit, dans la liquidation à la Bourse seules parviennent pour règlement la plus petite partie des engagements. » Il en est autrement dans les Bourses étrangères. Celle de New York, notamment a, en tant que moyen de transfert de propriété, c'est-à-dire d'expropriation, une plus grande importance que les Bourses européennes. Ici, la situation financière particulière concourt avec la technique boursière. La Bourse de New York ne connaît que l'opération au comptant, ce qui fait que les différences doivent être réglées quotidiennement. Lors des forts mouvements de cours, spécialement quand ils se développent dans le même sens, apparaît ainsi une forte demande d'argent. Quand le marché de l'argent est tendu, la législation américaine sur les billets de banque est ainsi, par suite de son manque de souplesse, un excellent moyen de produire des taux d'intérêt exorbitants, que les spéculateurs ne peuvent pas payer. C'est le moment pour les grands financiers de les « jeter hors de la spéculation » et d'acquérir, lors de la liquidation forcée, les papiers à bon marché.
  47. M. Russel, de la Société d'escompte, donne la définition suivante : « L'essence de la spéculation commerciale consiste à percevoir un changement de la conjoncture et, si possible, à se garantir d'avance au moyen du commerce à interne » (Enquête sur la Bourse, I, p. 417).
  48. Enquête Sur la Bourse, II, p. 2072.
  49. Ce raffinement est la source de nombreux abus, qui disparaissent là où existe une fluidité véritable et facile à constater, comme par exemple pour l'eau-de-vie (degré d'alcool) et en partie pour le sucre (degré de polarisation).
  50. « Cette forme spéciale de l'opération à terme n'a donc pas été créée seulement pour faciliter le commerce effectif, mais elle sert en dernière analyse à donner aux capitalistes ou aux spéculateurs, c'est-à-dire au propriétaire du capital momentanément disponible, la possibilité de le placer provisoirement (ou durablement) dans la branche commerciale en question, même s'il en ignore tout. Ce capitaliste ... se distingue par conséquent du négociant en grains par le motif de son activité. » Celui-ci veut échanger des céréales, celui-là tirer profit des fluctuations de prix. Le capitaliste prend ainsi en même temps le risque (voir Fuchs, « Le Commerce à terme des marchandises » dans Annuaire pour législation..., 1891, 1er cahier, p. 71). A quoi il faut ajouter que la recherche du gain est bien entendu le motif commun de toutes les activités capitalistes. Différente seulement est la façon dont ce gain peut être obtenu.
  51. C'est ainsi qu'Offermann rapporte à propos de la Bourse de la laine au Havre qu'en 1892 2 000 balles y ont été vendues effectivement et 16 300 sur le marché à terme. De même, le commerce à terme du coton y est dix fois plus important que le commerce effectif. Pour une récolte de 8 à 9 millions de balles, 100 millions environ ont été échangés sur le marché à terme (Enquête sur la Bourse, p. 3368).
  52. « Assurément il ne faut pas se faire d'illusions sur les initiés dans le commerce à terme. S'il était possible de prévoir de quelle façon évoluera le marché et à quel prix il convient d'acheter ou de vendre, ce serait magnifique. Ce que je puis dire en me basant sur une vieille expérience, c’est que l'intuition est tout. On dit ordinairement qu’il faut être informé. Malheureusement cela ne sert à rien et les commerçants se trompent fréquemment... Le commerçant est aussi ignorant que le cultivateur et, quand il a étudié tous les rapports, il n'en sait pas plus qu'avant et les choses se passent d’ordinaire tout autrement », avoue le commerçant Damme (Enquête sur la Bourse, II, p. 2858).
  53. Les droits de protection n'égalisent pas ce prix, mais ne font qu'élever le prix allemand d'un montant supérieur à celui du marché mondial, permettant au producteur de céréales d'obtenir un profit même quand ce prix est bas.
  54. Sur la participation au commerce à terme en général, M. Kaempf, président de la Chambre de commerce de Berlin, déclare : « Quand les vagues sont hautes, tout le monde est content. Quand elles sont basses, ce sont les gens les plus riches qui font ce genre d'affaires » (Enquête sur la Bourse, II, p. 813).
  55. Tout à fait délicieux est l'entretien entre M. von Gamp et M. Horwitz sur le chagrin que le commerçant se croit moralement tenu, d’éprouver à la pensée des pertes que subissent les petites gens : ce n’est pas dans la nature du commerçant. Ou vous supprimez le marché ou vous lui laissez la nature qui lui est propre (Enquête sur la Bourse, III, p. 2459). Pour les économistes éthiques la Bourse remplit la fonction d'un cabinet d'aisances moral. Ses autres fonctions leur restent cachées.
  56. Voir Enquête sur la Bourse, rapport de la commission, p. 90.
  57. « Les petits commerçants et les outsiders se sont retirés du commerce du café, il est entre les mains de grands consortiums » (Enquête sur la Bourse, p. 2065). Ce qu'explique de la manière suivante l'expert van Gülpen : « On peut faire énormément de choses avec de gros capitaux quand ils sont dirigés sur des articles isolés. » Les grandes maisons de grains de Londres sont opposées à l'introduction du commerce à terme, par lequel le commerce serait démocratisé et sa position dominante supprimée. Ibidem, p. 3542.
  58. H. Buesch, « Le Commerce des grains de Berlin sous la législation allemande sur la Bourse », Annuaire pour l'économie nationale et la statistique, III, t. XXXIII, 1907, 1er cahier, p. 53.
  59. Ibidem, p. 87. Voir la prévision de ce développement chez Landesherger : « Les plus grandes maisons de commerce de grains ne font pas d'opérations à terme, elles font l'assurance en soi. C'est pourquoi la suppression du commerce à terme doit avoir pour résultat de concentrer le commerce des grains dans les mains des grandes firmes capitalistes aussi nécessairement que l'interdiction des opérations à terme pour certaines catégories de valeurs a mis cette branche du commerce des valeurs dans les mains des grandes banques » (Ibidem, p. 45).
  60. Enquête sur la Bourse, pp. 3373 sq. Déclaration d'Offermann.
  61. Berliner Tageblatt du 19 octobre 1907.
  62. Discussions dans le cadre de l'enquête concernant les cartels allemands sur les unions dans l'industrie de l'alcool. Déclaration du directeur de la Centrale pour l'utilisation de l'alcool, Bourzutschky.
  63. Landesberger déclare très justement : « La lutte menée par les agriculteurs contre le commerce à terme s’explique également par des faits importants de l'économie. L'agriculture est plus que n'importe quelle autre branche de production soumise à certaines conditions données de temps et de lieu. Cela veut dire que le facteur coût de production y est beaucoup plus stable que dans d'autres secteurs. Cela tient à la liaison du capital avec l'agriculture, l'endettement des cultivateurs, à la difficulté d'employer, ne serait-ce que d'une façon approximative, dans les mêmes proportions ou avec un égal succès les armes dont disposent d'autres branches de production contre des conjonctures défavorables : spécialisation de la production accroissement ou réduction temporaires de l'activité, etc. Nulle part, le facteur extra-personnel de toute vie économique, à savoir la conjoncture, ne domine à tel point le facteur personnel, à savoir le coût de production. Et la conjoncture est, pour l’agriculture des pays de l'Europe centrale, défavorable depuis plusieurs décennies. Mais la conjoncture est reflétée par le commerce à terme. Le commerce qui ne peut échapper à la conjoncture, qui est influencé par elle aux deux pôles de son processus économique, tant à l'achat qu'à la vente est contraint de réagir sur elle avec une fonction spécifique. L'organe pour cette fonction est le commerce à terme et sa tâche de rendre saisissable d'une façon économique la conjoncture mondiale de la traduire le plus clairement possible. Le commerce à terme sous sa forme la plus complète, libéré de tout excès, devrait refléter fidèlement la conjoncture. Mais dans ce miroir l'agriculture verrait surtout une conjoncture pour elle défavorable. D’où son désir naturel de briser le miroir » (Landesberger, op. cit., pp. 44 sq.). Que l'interdiction du commerce à terme dans un pays déterminé est tournée grâce à l'utilisation de ce même commerce à terme dans un autre pays par les négociants et les spéculateurs disposant de gros capitaux, c'est une chose bien connue. C’est ainsi, par exemple, que le Dr Kuffler fabricant de produits cotonniers, déclare : « A Brême, où se font presque toutes les affaires d'importation de coton pour l'Europe centrale, il n'y a pas de commerce à terme, et pourtant chaque affaire est conclue à terme, notamment à Liverpool ou à New York » (voir Revue d'économie politique, de politique sociale et d'administra­ion, t. XI, p. 83). De même, l'interdiction du commerce à terme des grains en Autriche a eu pour résultat de transférer la spéculation à Budapest.
  64. Cette déclaration montre également de quelle façon incomplète la Bourse remplit sa prétendue fonction d'égalisation dans le temps.
  65. L'expert Simon a donc tout à fait raison de dire (Enquête sur la Bourse, II, p. 1584) : « Le désir d'un gain différentiel est le véritable fondateur de toute entreprise commerciale ou industrielle. » Si, en revanche, le président de la Reichsbank, Koch, objecte que les opérations d'achat, contrairement aux opérations différentielles, ont pour but de faire passer une marchandise d'une main dans l'autre, cette objection porte complètement à faux et n'est d'ailleurs pas comprise par Simon. Car la différence entre les deux opérations consiste en ce que le gain est constitué, dans le premier cas, par le profit moyen, dans le second, par une différence proprement dite. Les économistes bourgeois confondent sans cesse les fonctions sociales des activités économique avec les motifs personnels de ces activités et attribuent à leurs auteurs comme motif l'accomplissement de ces fonctions dont ils n'ont naturellement aucune idée. Ils ne voient par conséquent pas du tout ce qui constitue le problème de l'économie : découvrir à ce lien fonctionnel des activités économiques, par lesquelles doit s'accomplir la vie sociale, de tout autres motifs, et de la fonction nécessaire elle-même comprendre les raisons personnelles qui font agir les producteurs capitalistes.
  66. Enquête sur la Bourse, II, p. 2079.
  67. Ibidem, p. 2135. Dans les pages suivantes, on peut lire quelques exemples encore pour les grains et l'eau-de-vie, où l'on voit, entre autres, que l'alcool rectifié ne peut pas être livré à la place de l'alcool brut.
  68. « Le commerce et la spéculation sont des genres particuliers de production, analogues à la production primitive et à l'activité manufacturière. Le commerce est ce genre de production qui a pour but de surmonter la pénurie locale de la nature en biens économiques. La spéculation, elle, poursuit le même but en ce qui concerne la pénurie de ces biens dans le temps. Considéré du point de vue de l'économie privée, le commerce utilise des différences de prix dans l'espace et la spéculation des différences de prix dans le temps. » « L'opinion de la Bourse influence les prix sur la base de nouvelles de toutes sortes qui parviennent à la Bourse, nouvelles vraies et fausses sur les événements qui se sont déjà produits ou qui sont seulement attendus. Ces derniers sont déjà appréciés d'avance par l'opinion de la Bourse sur leur portée. Si elle utilise des prix bas pour créer des réserves pour l'avenir, des prix élevés pour permettre la disposition de réserves futures comme de réserves présentes, elle agit d’une façon productive : autrement, non » (Richard Ehrenberg, article « La Bourse », dans Dictionnaire des sciences sociales, 2° édition) .
  69. Enquête sur la Bourse, II, pp. 3523 sq.
  70. Voir Capital, [1]III, I, 4° partie. « Transformation de capital-marchandises et de capital-argent en capital de commerce de marchandises de commerce d'argent. »
  71. Ibidem, p. 299.
  72. Ibidem, p. 306.
  73. Pour le faire comprendre, faisons le calcul schématique suivant. Supposons que le capital de production soit égal à 1 000. Il donne un profit de 200. Que le capital de commerce de marchandises soit, en proportion excessive, de 400, le capital de commerce d'argent de 100. Le profit se répartit sur un capital total de 1500, le taux de profit moyen est par conséquent de 15 %. Sur le profit total de 200, il en revient 150 aux industriels, 40 aux commerçants et 10 aux commerçants d'argent.
  74. C'est pourquoi il est puéril de penser que l'accroissement de capital propre d'une banque d'émission, par exemple de la Reichsbank, devrait provoquer une baisse du taux d’intérêt.
  75. « Avec le système bancaire est certes donnée la forme d'une direction bancaire générale et d'une répartition des moyens de production à l'échelle sociale, mais seulement la forme… Ce système met à la disposition des capitalistes industriels et commerciaux tout le capital disponible et même potentiel de la société non déjà engagé d'une façon active, de telle sorte que ni le prêteur ni l'utilisateur de ce capital n'en sont les propriétaires ou les producteurs. Il supprime le caractère privé du capital et contient ainsi en soi, mais seulement en soi, la suppression du capital elle-même... Enfin, il ne fait aucun doute que le système du crédit servira de levier puissant pour le passage du mode de production capitaliste au mode du travail associé, mais seulement comme un élément en liaison avec d'autres grandes transformations du mode de production même. En revanche, les illusions sur la puissance miraculeuse du système bancaire et de crédit dans le sens socialiste ont pour origine une méconnaissance complète du mode de production capitaliste et du système de crédit en tant que l'une de ses formes. Dès que les moyens de production ont cessé de se transformer en capital, le crédit en tant que tel n'a plus de sens... D'un autre côté, aussi longtemps que dure le mode de production capitaliste, le capital portant intérêt se maintient comme l'une de ses formes et constitue en fait la base de son système de crédit... » (Marx, Le Capital, III/I, pp. 146 sq.)
  1. En français dans le texte.
  2. Ce vocabulaire porte témoignage de la culture philosophique de Hilferding et peut-être de l'influence de Max Adler, interprète marxiste de Kant. (Note de l'Ed.)
  3. Hilferding fait ici un jeu de mot difficile à rendre : Ihm schwindelt und er schwindelt. H. Carle a traduit : « Il est pris de vertige et il triche vertigineusement. »
  4. Personnages de la Curée dans les Rougon-Macquart de Zola. Voir à ce sujet la note de Hilferding (chapitre XI, note 2).