IV. Le capital financier et les crises

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Chapitre XVI. Les conditions générales de la crise[modifier le wikicode]

C'est une loi d'expérience que la production capitaliste est prise dans un mouvement cyclique de prospérité et de dépression, où le passage d'une phase à l'autre s'accomplit de façon critique. A un certain moment de la période de prospérité, on assiste dans toute une série de branches de production à un arrêt des ventes, en suite de quoi les prix baissent. Arrêt des ventes et baisse des prix font tache d'huile, la production est réduite. Cela dure plus ou moins longtemps, les prix et les profits sont bas. Puis, peu à peu, la production s'accroît, les prix et les profits augmentent, les dimensions de la production sont plus grandes que jamais, jusqu'à ce qu'une nouvelle crise se produise. Le retour périodique de ce phénomène oblige à se demander quelles en sont les causes, que seule peut dégager une analyse du mécanisme de la production capitaliste.

La possibilité de la crise est donnée par la double transformation de la marchandise en marchandise et en argent. Cela implique que le flot de la circulation peut être interrompu si l'argent, au lieu d'être employé à la circulation des marchandises, est mis de côté et thésaurisé. Le processus M1 - A - M2 s'arrête, parce que l'argent, qui a réalisé la marchandise M1, ne réalise pas lui-même M2. Celle-ci reste invendable, et nous avons ainsi l'arrêt des ventes.

Mais aussi longtemps que l'argent ne fonctionne que comme moyen de circulation, que la marchandise s'échange directement contre de l'argent et celui-ci à son tour contre une marchandise, la thésaurisation peut n'être qu'un phénomène isolé, qui signifie qu'une certaine marchandise est invendable, mais non un arrêt général des ventes. Il n'en est plus de même avec le développement de la fonction de l'argent comme moyen de paiement. L'arrêt de la vente signifie maintenant que le paiement promis ne peut être effectué. Mais cette promesse de paiement a servi, nous l'avons vu, comme moyen de circulation ou de paiement pour toute une série d'autres échanges. L'enchaînement des personnes tenues à paiement, qui fait de l'argent un moyen de paiement, est brisé, et l'arrêt sur un point se répercute sur tous les autres, devient général. Ainsi le crédit de paiement développe une solidarité des branches de production et donne la possibilité que l'arrêt partiel des ventes se transforme en un arrêt total.

Mais cette possibilité générale de la crise n'est que sa signification générale : sans circulation de l'argent et sans le développement de la fonction de l'argent en tant que moyen de paiement, la crise est impossible. Cependant, possibilité n'est pas encore, et de loin, réalité. La simple production de marchandises ou, plus exactement, la production de marchandises pré-capitaliste, ne connaît pas de crises ; les troubles de l'économie ne sont pas des crises économiques au sens propre du terme, mais des catastrophes qui découlent de causes particulières, naturelles ou historiques, par conséquent fortuites du point de vue économique, telles que mauvaises récoltes, sécheresse, épidémies, guerres, etc. Leur caractéristique économique est qu'elles découlent d’un déficit de la reproduction, mais non pas d'une surproduction quelconque. Cela se comprend si l'on songe que cette production n'est encore essentiellement qu'une production pour les besoins immédiats, que la production et la consommation sont liées comme moyen et comme but et que la circulation des marchandises joue un rôle relativement faible. Car c'est seulement la production capitaliste qui généralise la production des marchandises, laisse le plus de produits possible prendre la forme de la marchandise et - facteur décisif - fait de la vente de la marchandise la condition préalable de la reprise de la reproduction[1].

Mais cette transformation des produits en marchandises rend les producteurs dépendants du marché et fait de l'irrégularité de la production, qui se manifeste déjà en principe dans la simple production de marchandises, du fait de l'indépendance des exploitations privées, cette anarchie de la production capitaliste qui constitue, avec la généralisation de ce système et l'élargissement des marchés locaux, dispersés en un vaste marché mondial, la deuxième condition générale des crises.

La troisième condition générale des crises, le capitalisme la crée en séparant la production de la consommation. Il sépare d'abord la production de son produit et le réduit à cette partie du produit de valeur équivalent à la valeur de la force du travail. Il crée ainsi dans les salariés une classe dont la consommation n'est en aucun rapport direct avec la production globale, mais seulement avec cette partie de la production qui est égale au capital salaires. Cependant, le produit que créent les salariés n'est pas leur propriété. C'est pourquoi leur production n'a pas pour but leur consommation. Au contraire, leur consommation dépend de la production, sur laquelle ils n'exercent aucune influence. La production des capitalistes n'a pas pour objectif la satisfaction des besoins, mais le profit. La réalisation et l'accroissement du profit sont l'objectif immanent de la production capitaliste. Cela signifie que pour le sort de la production, ses dimensions, sa diminution ou son accroissement, l'élément décisif, ce n'est pas la consommation et son accroissement, mais la réalisation du profit. On produit pour obtenir un certain profit, un certain degré de mise en valeur du capital. La production dépend ainsi, non de la consommation, mais du besoin de mise en valeur du capital, et une aggravation de cette possibilité de mise en valeur signifie une diminution de la production.

Il reste encore dans le mode de production capitaliste un lien général entre production et consommation, qui est certes, en tant que condition naturelle, commun à tous les régimes sociaux. Mais, tandis que dans l'économie naturelle, destinée à couvrir les besoins, la consommation détermine l'extension de la production, qui dans ces conditions ne trouve ses limites que dans l'état de la technique auquel on est parvenu, dans la production capitaliste, au contraire, la consommation est déterminée par les dimensions de la production. Mais celle-ci est limitée par la possibilité de mise en valeur du capital, la nécessité pour ce dernier de produire un taux de profit déterminé. L'élargissement de la production se heurte ici à une barrière purement sociale, propre à cette structure sociale déterminée et à elle seule. La possibilité de la crise découle certes déjà de la possibilité de la production irrégulière, par conséquent de la production de marchandises, d'une façon générale, mais sa réalité uniquement d'une production non réglée qui supprime en même temps le rapport direct production-consommation caractérisant d'autres régimes sociaux et introduit entre la production et la consommation la condition de la mise en valeur du capital à un taux chaque fois déterminé.

L'expression « surproduction de marchandises » est, d'une façon générale, aussi vide de sens que celle de « sous-consommation ». On ne peut parler de sous-consommation que dans un sens physiologique l'expression n'a en revanche aucun sens en économie politique, où elle pourrait signifier seulement que la société consomme moins qu'elle n'a produit. Mais on ne voit pas comment c'est possible si l'on a produit dans les dimensions voulues. Etant donné que le produit total est égal au capital constant, plus le capital variable, plus la plus-value, (c + v + p), que v tout comme p sont consumés, que les éléments du capital constant usé doivent se remplacer mutuellement, la production peut être élargie à l'infini sans mener à une surproduction de marchandises, c'est-à-dire à ceci, qu'on a produit plus de marchandises, pour lesquelles sous ce rapport seule la valeur d'usage entrerait en ligne de compte, plus de biens par conséquent qu'on ne pourrait en consommer[2].

Du reste, une chose est claire : comme les crises dans leur succession périodique sont le produit de la société capitaliste, leur cause doit résider dans le caractère même du capital. Il doit s'agir d'un désordre qui découle du caractère spécifique de la société. Mais la base étroite qu'offrent les conditions de consommation à la production capitaliste est une condition générale de la crise parce que l'impossibilité de les élargir est une cause générale de l'arrêt des débouchés. Si la consommation était extensible à volonté, la surproduction ne serait pas possible. Mais, dans la société capitaliste, l'accroissement de la consommation signifie diminution du taux de profit. Car l'accroissement de la consommation des masses est liée à l'augmentation du salaire. Cependant, celle-ci signifie diminution du taux de la plus-value et par conséquent du profit. C'est pourquoi, si la demande d'ouvriers du fait de l'accumulation devient si forte qu'une diminution du taux de la plus-value se produit, de telle sorte que, à la limite, le capital accru ne fournirait pas un profit plus grand que le capital non accru, l'accumulation doit s'arrêter, car son objectif, l'accroissement du profit, ne serait pas atteint. A ce moment précisément, une des conditions nécessaires de l'accumulation, à savoir l'accroissement de la consommation, entre en contradiction avec l'autre : la réalisation du profit. Les conditions de mise en valeur du capital se rebellent contre l'accroissement de la consommation et, comme elles sont déterminantes, la contradiction s'aggrave jusqu'à la crise. Mais la base étroite de la consommation n'est précisément pour cette raison qu'une condition générale de la crise, qu'on ne peut absolument pas expliquer par la « sous-consommation ». Et encore moins son caractère périodique, puisqu'une périodicité ne peut être expliquée en général par un phénomène permanent. Ceci n'est pas du tout en contradiction avec ce que dit Marx :

« La masse globale des marchandises, le produit global, aussi bien la partie qui remplace le capital constant et le capital variable, que celle qui constitue la plus-value, doit être achetée. Si cela ne se produit pas, ou seulement en partie, ou seulement à des prix inférieurs au coût de production, l'ouvrier est bien exploité, mais son exploitation ne se réalise pas en tant que telle pour le capitaliste, ne peut être liée à aucune réalisation ou seulement à une réalisation partielle de la plus-value extorquée, et est même liée à une perte partielle ou totale de son capital. Les conditions de l'exploitation directe et de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles varient, non seulement dans le temps et l'espace, mais aussi abstraitement. Les unes sont limitées uniquement par la force productive de la société, les autres par la proportionnalité des différentes branches de production et la capacité de consommation de la société. Celle-ci n'est déterminée, ni par la capacité de production absolue, ni par la capacité de consommation absolue, mais par la capacité de consommation sur la base des conditions de distribution antagoniques qui réduisent la consommation de la grande masse de la société à un minimum ne variant que dans les limites très étroites. Elle est limitée en outre par la tendance à l'accumulation, à l'accroissement du capital et à la production de plus-value sur une échelle élargie. C'est la loi de la production capitaliste, donnée par les révolutions constantes dans les méthodes de production elles-mêmes, la dépréciation continue du capital existant qu'elles entraînent, la lutte générale pour la concurrence et la nécessité d'améliorer la production et d'en élargir la base, simplement comme moyen de se maintenir et au risque de se perdre. C'est pourquoi le marché doit être constamment élargi, de telle sorte que ses rapports et les conditions qui les régissent prennent de plus en plus la forme d'une loi naturelle indépendante des producteurs, soient de plus en plus incontrôlables. La contradiction interne cherche sa solution dans un élargissement du champ extérieur de la production. Mais, plus les forces productives se développent, plus elles entrent en conflit avec la base étroite sur laquelle reposent les rapports de consommation. Il n'y a sur cette base contradictoire absolument aucune contradiction que l'excédent de capital soit lié à un excédent croissant de la population, car bien que, si on les rassemblait tous les deux, la masse de la plus-value produite augmenterait, s'accroît précisément par là la contradiction entre les conditions dans lesquelles cette plus-value est produite et celles dans lesquelles elle est réalisée[3]. »

La crise périodique est propre au capitalisme, elle ne peut donc s'expliquer que par le caractère même du capitalisme[4].

La crise est, d'une façon générale, un trouble de circulation. Elle se manifeste comme impossibilité à peu près totale d'écouler la marchandise, de réaliser sa valeur (ou son coût de production) en argent. Elle ne peut donc s'expliquer que par les conditions capitalistes spécifiques de la circulation des marchandises, non par les conditions de la simple circulation des marchandises. Mais ce qu'il y a de spécifiquement capitaliste dans la circulation des marchandises est que celles-ci, en tant que produits, sont produites par le capital en tant que capital-marchandises, et doivent être réalisées comme telles. C'est pourquoi cette réalisation implique des conditions propres au capital en tant que tel, à savoir précisément ses conditions de mise en valeur.

L'analyse de ces conditions, tant du point de vue du capital individuel que - et ceci est très important - du point de vue du capital social, Marx l'a fournie dans le tome II du Capital et a réalisé par là une tentative qui, exception faite pour Quesnay, n'a même pas été entreprise par les économistes classiques. Si Marx appelle Le Tableau économique de Quesnay l'idée la plus géniale dont on soit jusqu'ici redevable à l'économie politique classique, sa propre analyse du processus de production social est certainement la mise en application la plus géniale de cette idée géniale, comme d'une façon générale les analyses, auxquelles on a prêté si peu d'attention, du tome II sont, du point de vue de ce qu'on peut appeler la raison économique pure, les plus brillantes de ce livre étonnant. Mais surtout on ne peut comprendre les causes des crises que si l'on se remet en mémoire les résultats de l'analyse marxienne[5].

Les conditions d'équilibre du procès de reproduction social[modifier le wikicode]

Si nous résumons les résultats les plus importants de l'analyse marxienne, nous obtenons ce qui suit (en supposant, bien entendu, dans cette étude, une échelle restant la même de la production capitaliste, par conséquent une simple reproduction, et en faisant abstraction de tout changement de valeur ou de prix) :

Le produit total, par conséquent aussi la production totale de la société, se divise en deux grandes sections :

1) moyens de production, marchandises qui possèdent une forme où ils doivent, ou tout au moins peuvent, entrer dans la consommation productive ;

2) moyens de consommation, marchandises qui possèdent une forme où ils passent dans la consommation individuelle de la classe capitaliste et de la classe ouvrière.

Dans chacune de ces sections, le capital se divise en deux parties : capital variable (v) et capital constant (c). Ce dernier à son tour se divise en capital constant fixe et capital constant circulant.

La partie de valeur c, qui représente le capital constant consumé dans la production, ne coïncide pas avec la valeur du capital constant employé dans la production. Le capital fixe n'a transféré qu'une partie de sa valeur sur le produit. Pour ce qui suit, nous ferons abstraction du capital fixe.

Représentons-nous maintenant le produit global marchandises de la façon suivante :

I) 4 000 c + 1 000 v + 1 000 p = 6 000 moyens de production.

II) 2 000 c + 500 v + 500 p = 3 000 moyens de consommation.

Valeur totale : 6 000, d'où est exclu, selon notre hypothèse, le capital fixe continuant à fonctionner dans sa forme naturelle.

Si nous examinons maintenant les échanges nécessaires sur la base de la simple reproduction, où par conséquent toute la plus-value est consommée, et en laissant de côté la circulation d'argent qui les permet, nous constatons trois points importants :

1.) Les 500 v, salaires des ouvriers, et les 500 p, plus-value des capitalistes de la section II, doivent être dépensés en moyens de consommation. Mais leur valeur existe dans les moyens de consommation pour une valeur de 1 000, qui dans les mains des capitalistes, section II, remplacent les 500 v avancés par eux et représentent les 500 p. Salaire et plus-value de la section II sont par conséquent échangés au sein de la section II contre produit II. Ainsi du produit global disparaissent (500 v + 500 p) II, soit 1 000 moyens de consommation.

2.) Les 1 000 v + 1 000 p de la section I doivent être dépensés en moyens de consommation, par conséquent en produit de section II. Ils doivent par conséquent s'échanger contre la partie du capital constant qui reste encore de ce produit, et de montant égal, soit 2 000 c. En échange, la section II reçoit un montant égal de moyens de production, produit de I, où s'incorpore la valeur de 1 000 v + 1 000 p. Ainsi disparaissent du compte 2 000 II c et (1 000 v + 1 000 p) I.

3.) Restent 4 000 I c. Ces derniers consistent en moyens de production, qui ne peuvent être utilisés que dans section I pour remplacer son capital constant consumé, ce qui se produit par échanges mutuels entre les différents capitalistes de I tout comme les v (500 v + 500 p) II par échanges entre les ouvriers et les capitalistes, ou entre les différents capitalistes de II.

Quant au remplacement du capital fixe, il joue un rôle spécial. Une partie de la valeur du capital constant est transférée des moyens de travail sur le produit du travail ; ces moyens de travail continuent de fonctionner en tant qu'éléments du capital productif, et cela sous leur ancienne forme naturelle ; c'est leur usure, la perte de valeur qu'ils subissent peu à peu pendant leur fonction qui se poursuit pendant une période déterminée, qui réapparaît comme élément de valeur des marchandises produites grâce à eux. Or, l'argent, dans la mesure où il dose la partie de la valeur de la marchandise égale à l'usure du capital fixe, n'est pas de nouveau retransformé en la partie du capital productif, dont il remplace la perte de valeur. Il se dépose à côté du capital productif et se maintient sous sa forme d'argent.

Ce dépôt d'argent se répète jusqu'à ce que la période de reproduction, composée d'un nombre plus ou moins grand d'années, soit écoulée, pendant laquelle l'élément fixe du capital constant continue de fonctionner sous son ancienne forme naturelle dans le processus de production. Dès que l'élément fixe : bâtiments, machines, etc., est épuisé, ne peut fonctionner plus longtemps dans le processus de production, sa valeur existe à côté de lui, entièrement remplacée en argent - la somme des dépôts d'argent, des valeurs qui ont été transférées peu a peu du capital fixe sur les marchandises, à la production desquelles il a contribué, et qui sont passées, par suite de la vente des marchandises, sous la forme d'argent. Celui-ci sert alors à remplacer en nature le capital fixe (ou des éléments de ce dernier, vu que ces différents éléments ont une durée d'existence différente) et à renouveler ainsi vraiment cette partie du capital productif. Cet argent est par conséquent forme d'argent d'une partie de la valeur du capital constant, de sa partie fixe.

Cette constitution de trésor est donc elle-même un élément du processus de reproduction capitaliste, reproduction et accumulation, sous forme d'argent, de la valeur du capital fixe ou de ses différents éléments, jusqu'au moment où il s'est usé et a transféré toute sa valeur dans les marchandises produites et doit maintenant être remplacé en nature. Mais cet argent ne perd que sa forme de trésor et ne revient jouer un rôle actif dans le processus de reproduction du capital réalisé par la circulation qu'après avoir été reconverti en nouveaux éléments du capital fixe destinés à remplacer ceux qui ont disparu. Mais, pour qu'il n'y ait aucun trouble de la simple reproduction, la partie du capital fixe qui s'use chaque année doit être égale à celle qui est à renouveler chaque année.

Considérons par exemple l'échange de (100 v + 1 000 p) I contre 2 000 c II. Dans ces 2 000 c, il y a 200 de capital fixe à remplacer. Il s'échange par conséquent 1 800 c, qui ne sont à transformer qu'en capital constant circulant, contre 1 800 (v + p). Les 200 restants de I, qui ont la forme naturelle de capital fixe, doivent être tirés également de II. Mais ce n'est possible que si les capitalistes de II ont en réserve les 200 en argent pour acheter 200 de capital fixe de I, car 200 doivent être remplacés en argent par d'autres capitalistes II et maintenus sous forme d'argent en tant qu'usure pour leur capital fixe. Par conséquent, des capitalistes qui, au cours des années précédentes, ont accumulé successivement en argent l'usure de leur capital fixe, le renouvelleront cette année en nature ; ils achètent pour 200 d'argent le reste de I (v + p) = 200. I achète pour 200 autres d'argent le reste des moyens de consommation des autres capitalistes II, lesquels de leur côté accumulent cet argent qui représente pour eux l'usure de leur capital fixe. La partie des capitalistes II, par conséquent, qui cette année renouvellent en nature leur capital fixe, fournissent l'argent avec lequel les autres capitalistes II dorent leur partie d'usure et peuvent la garder sous forme d'argent. Il faut admettre par conséquent une proportion constante entre capital fixe usé et capital fixe à renouveler, mais aussi que la proportion entre capital fixe usé (et par conséquent à renouveler) et celui qui continue à fonctionner sous son ancienne forme naturelle reste constante. Car, si le capital fixe usé s'élevait à 300, le capital circulant aurait diminué ; II c aurait maintenant moins de capital circulant et ne pourrait plus poursuivre la production sur la même échelle. En outre, si le capital fixe s'élevait à 300, II n'ayant que 300 d'argent à dépenser pour le renouvellement du capital en nature, 100 de capital fixe en I seraient invendables.

Il peut par conséquent y avoir disproportion dans la production de capital fixe et de capital circulant avec un simple maintien du capital fixe, si la proportion du capital fixe qui disparaît chaque année et de celui qui continue à fonctionner se modifie, ce qui se produit toujours, en fait.

De même, on a vu précédemment que pour rendre possible une simple reproduction, certaines conditions de proportion doivent être remplies. I (v + p) devait être égal à II c. Mais cette proportion, par suite de l'anarchie de la société capitaliste, ne peut jamais être maintenue. Pour que la production se poursuive, une certaine mesure de surproduction est nécessaire, afin qu'on puisse toujours satisfaire des besoins apparaissant brusquement ou faire face aux fluctuations constantes de ces besoins. Mais il se produit constamment des perturbations et irrégularités dans le reflux de la valeur du capital en voie de transformation. Pour y parer, les capitalistes doivent toujours disposer, non seulement d'une réserve de marchandises, mais aussi d'une réserve d'argent. Il leur faut donc de l'argent supplémentaire, un capital-argent de réserve, qui doit nécessairement être maintenu sous forme d'argent parce que c'est précisément la transformation du capital-marchandises qui peut être perturbée, et d'autres marchandises tenues à la disposition des capitalistes. Mais c'est seulement sous la forme d'argent que la valeur a celle d'équivalent général, qu'elle peut à tout moment se transformer en n'importe quelle autre marchandise. Ici aussi, la nécessité de l'argent découle de l'anarchie du mode de production capitaliste.

« La forme capitaliste de la reproduction une fois écartée, l'affaire revient à ce que la grandeur de la partie de capital fixe usé et par conséquent à remplacer en nature (ici, celle consacrée à la production des moyens de consommation) change en différentes années successives. La masse de matières premières, produits semi-fabriqués et autres, nécessaire à la production annuelle de moyens de consommation ne diminue pas pour autant ; la production totale des moyens de production devrait par conséquent augmenter dans tel cas, diminuer dans tel autre. On ne peut y parvenir que par une surproduction relative constante : d'une part, une certaine quantité de capital fixe qui produit davantage qu'il n'en faut absolument, d'autre part, une réserve de matières premières, etc., dépassant les besoins immédiats (cela particulièrement pour les produits alimentaires). Une telle sorte de surproduction équivaut au contrôle de la société sur les moyens matériels de sa propre reproduction. Mais, dans la société capitaliste, elle est un élément anarchique[6]. »

Cette surproduction relative doit exister également dans la société capitaliste et elle trouve son expression dans une réserve de marchandises maintenue en permanence pour pallier les perturbations. A cette réserve de marchandises correspond, d'autre part, une réserve de capital-argent à la disposition des capitalistes industriels, qui leur donne la possibilité, au cas où des perturbations se produisent, de se procurer dans la réserve de marchandises les éléments nécessaires à la poursuite de la production. Ce capital-argent de réserve, qui même en temps normal doit être constamment à la disposition des capitalistes en vue de pallier des perturbations momentanées, ne doit pas être confondu avec le capital-argent nécessaire pour le cas où un arrêt se produit dans l'écoulement des marchandises. Les périodes de prospérité sont, d'une part, celles où la production s'élargit fortement et rapidement et où, d'autre part, un capital-argent de réserve précédent est transformé en capital productif : le capital-argent de réserve diminue et sa diminution signifie la disparition du facteur destiné à pallier les perturbations, ce qui est une des causes de la crise.

D'un autre côté, il faut noter que la nécessité d'une telle surproduction relative n'est pas due à la société capitaliste en tant que telle, mais à la nature même du processus de reproduction, dès que les éléments de production qui apparaissent dans la société capitaliste en tant que capital fixe ont atteint certaines dimensions. Cette « surproduction » nécessaire pour des causes naturelles techniques n'est en réalité qu'une simple constitution de réserves et, en tant que telle, est propre également à une économie réglée pour la satisfaction des besoins et ne doit pas être confondue avec la surproduction générale pendant la crise. Mais, dans la société capitaliste, cette surproduction constitue également un facteur propre, dans certains cas, à aggraver la crise.

Les conditions d'équilibre du procès d'accumulation capitaliste[modifier le wikicode]

Si déjà la simple reproduction qui, dans la société capitaliste, où l'accumulation du capital est une nécessité vitale, ne se fait pas en réalité - ce qui n'empêche, bien entendu, qu'au cours du cycle industriel il puisse y avoir une année où la reproduction soit non seulement égale à la précédente, mais même réduite - exige certains rapports de proportions complexes, ceux-ci doivent être plus complexes encore pour que le processus d'accumulation se poursuive sans heurts. Marx établit le schéma suivant :

I. Production des moyens de production :

4 000 c + 1 000 v + 1 000 p = 6 000.

II. Production des moyens de consommation :

1 500 c + 750 v + 750 p = 3 000.

Valeur totale de la production sociale = 9 000.

Supposons maintenant que I accumule la moitié de sa plus-value, soit 500, et consomme l'autre moitié en tant que revenu.

Nous avons alors les échanges suivants : 1 000 v + 500 p. qui sont dépensés en tant que revenu, sont échangés par I contre 1 500 c II. Il remplace ainsi son capital constant et fournit à I les moyens de consommation dont il a besoin, échange analogue à celui que nous avons déjà constaté dans l'analyse de la simple reproduction. Sur les 500 p I qui restent et doivent être transformés en capital, 400 doivent, avec une même composition organique, être transformés en capital constant et 100 en capital variable. Les 500 existent dans les moyens de production et, sur ces 500, 400 dans ceux dont I a besoin pour augmenter son capital constant. I ajoute par conséquent ces 400 à son capital constant. Le reste, soit 100 p, doit être transformé en capital variable, donc en produits alimentaires. Il doit donc être acheté à II et, puisqu'il existe en moyens de production, II doit l'utiliser pour accroître son propre capital constant.

Nous avons alors pour I un capital de 4 400 c + 1 100 v, soit : 5 500.

II a maintenant pour capital constant 1 600 c. Il doit, pour leur utilisation, avancer 50 autres v en argent pour l'achat d'une nouvelle force de travail, ce qui fait que son capital variable passe de 750 à 800. Cet accroissement du capital constant comme du capital variable de II de 150 au total est prélevé sur la plus-value, de sorte que sur les 750 p II il ne reste plus que 600 p comme fonds de consommation des capitalistes II, dont le produit annuel se répartit maintenant comme suit :

II 1 600 c + 800 v + 600 p (fonds de consommation), soit 3 000.

Nous avons alors le schéma suivant :

I 4 400 c + 1 100 v + 500 p (fonds de consommation),soit 6 000
II 1 600 c + 800 v + 600 p (fonds de consommation),soit 3 000
———
Total...9 000,
comme plus haut.

Le capital se décompose ainsi :

I 4 400 c + 1 100 v (argent),soit 5 500
II 1 600 c + 800 v (argent),soit 2 400
———
Total...7 900


tandis que la production a commencé avec

I 4 000 c + 1 000 v,soit 5 000
II 1 500 c + 750 v,soit 2 250
———
Total...7 250

Nous voyons ici toute une série de nouvelles conditions complexes. D'une part, les 500 p qui doivent être accumulés en I doivent être produits en des moyens de production tels que les quatre cinquièmes d'entre eux soient appropriés au capital constant pour I, un cinquième au capital constant pour II. Ainsi, le degré de l'accumulation en II dépend de l'accumulation en I. En I, la moitié de la plus-value est accumulée, en II, c'est impossible. Par la plus-value de 750, seuls 150, soit le cinquième, sont accumulés, tandis que les quatre autres cinquièmes doivent être consommés.

Considérons maintenant la poursuite de l'accumulation:

Si l’on produit vraiment avec le capital accru nous obtenons à la fin de l'année suivante :

I 4 400 c + 1 100 v + 1 100 p,soit 6 600
II 1 600 c + 800 v + 800 p,soit 3 200
———
Total...9 800

Et si l'on continue à accumuler de la même façon, nous obtenons l'année d'après :

I 4 800 c + 1 210 v + 1210 p,soit 7 260
II 1 760 c + 880 v + 880 p,soit 3 520
———
Total...10 780

Dans cet exemple, on supposait que la moitié de la plus-value I accumulée, et I (v + 1/2 p) = II c.

I (v + p) doit, s'il est accumulé, être toujours plus grand que II c, car une partie de I p ne peut précisément pas être transformée en II c, mais doit servir comme moyen de production. Par contre, I (v +1/2 p) peut être plus grand ou plus petit que II c. Il est inutile d'en dire plus pour ce qui nous concerne[7].

La production accrue exige pour ses échanges une quantité d'or accrue. Celle-ci doit être fournie, avec une vitesse de circulation égale, et abstraction faite du crédit, par la production aurifère. La production capitaliste se heurterait ici à une limite naturelle. Le système du crédit recule considérablement cette limite, mais ne la supprime pas.

Considérons maintenant un moment la condition nécessaire pour que ce processus de circulation qu'implique l’accumulation se poursuive. Nous avons supposé dans notre exemple que 500 p sont accumulés, dont 400 transformés en capital constant. Par quel processus de circulation est-ce possible et avec quel argent I achète-t-il les 400 ?

Considérons d'abord l'accumulation d'un capitaliste isolé. Pour que ce dernier puisse transformer sa plus-value en capital, il faut qu'elle ait atteint, nous l'avons vu une certaine dimension. Pendant un certain nombre d'années, par conséquent, la plus-value qui a été, à la fin de chaque année, transformée en argent, doit être thésaurisée. Tant les capitaux des différentes branches d'industrie que les capitaux individuels à l'intérieur de chacune de ces branches se trouvent à différentes phases du processus de transformation progressive de plus-value en capital. C'est pourquoi il y a constamment une partie des capitalistes qui transforment leur capital-argent potentiel parvenu à la dimension voulue en capital productif, tandis qu'une autre partie est encore occupée à accumuler son capital-argent potentiel. Des capitalistes appartenant à ces deux catégories se font donc face, les uns comme acheteurs, les autres comme vendeurs, chacun dans ce rôle exclusif.

A vend par exemple 600 (400 c + 100 v + 100 p) à B (qui peut représenter plus d'un acheteur). Il a vendu 600 de marchandises contre 600 en argent, dont 100 sont de la plus-value qu'il retire de la circulation et thésaurise, mais ces 100 ne sont que la forme d'argent du surproduit, qui était porteur d'une valeur de 100.

La thésaurisation n'est pas une production, donc pas non plus un élément de la production. L'action du capitaliste ici consiste uniquement en ce qu'il retire de la circulation, garde pour lui et s'approprie l'argent obtenu par la vente du surproduit de 100. Cette opération n'a pas lieu seulement du côté de A, mais en de nombreux points de la périphérie de circulation d'autres capitalistes A’, A’’, A’’’, qui travaillent tous avec le même zèle à cette sorte de thésaurisation. Ces divers points, où de l'argent est retiré de la circulation et thésaurisé, sont autant d'obstacles à la circulation parce qu'ils immobilisent l'argent et lui enlèvent pour un temps plus ou moins long sa capacité de circulation.

Mais A ne thésaurise que dans la mesure où - en ce qui concerne son surproduit - il intervient seulement comme vendeur et non ensuite comme acheteur. Sa production progressive de surproduit - porteur de sa plus-value dorée - est donc la condition de sa thésaurisation. Bien que, par conséquent, il retire pour sa plus-value de l'argent de la circulation et l'accumule, il introduit par ailleurs dans cette circulation des marchandises sans en retirer pour cela d'autres marchandises, ce qui permet à B, B’, B’’, etc, d'y introduire à leur tour de l'argent et de n'en retirer dans ce but que des marchandises.

« Comme précédemment en étudiant la simple reproduction, nous trouvons ici de nouveau que l'échange des différents éléments du produit annuel, c'est-à-dire leur circulation (laquelle doit englober également la reproduction du capital, et notamment sa reconstitution en ses différentes formes : capital constant, capital variable, capital fixe et capital-argent circulant), ne suppose nullement un simple achat de marchandise qui se complète par une vente ultérieure, ou une vente qui se complète par un achat ultérieur, de telle sorte qu'il n'y aurait qu'échange de marchandise contre marchandise (L'argent, par conséquent simple moyen de circulation, serait ainsi relativement superflu. - R. H.), comme l'admettent les économistes classiques, notamment l'école du libre-échange depuis les physiocrates et Adam Smith (poussés par des intérêts polémiques à la lutte contre le mercantilisme. - R. H.). Nous savons que le capital fixe, une fois que le placement en a été fait, n'est pas renouvelé pendant toute la durée de sa fonction, mais continue à fonctionner dans son ancienne forme, tandis que sa valeur se dépose peu à peu en argent[8] . » Ce que l'argent, d'une façon générale, rend ici possible, c'est séparer et rendre ainsi indépendante la circulation de valeur par rapport au caractère permanent de la fonction technique dans le processus de production. Socialement, cette séparation n'est pas possible, et il doit être fourni chaque fois autant de capital fixe qu'il en est usé. Mais, sur le plan individuel, la partie de valeur usée est conservée pendant des années, sous forme d'argent. « Nous avons vu maintenant que le renouvellement périodique du capital fixe II c - laquelle valeur de capital totale II c s'échange en éléments pour la valeur de I (v+ p) - suppose, d'une part, un simple achat de la partie fixe de II c, qui se reconvertit de sa forme d'argent en sa forme naturelle, et auquel correspond une simple vente de I p, et, d'autre part, une simple vente de la part de II c, vente de la partie de valeur (usée) de son capital fixe, qui se dépose en argent et à laquelle correspond un simple achat de I p. Mais, pour que cet échange s'accomplisse normalement, il faut supposer qu'un seul achat de la part de II c est égal, quant à sa valeur, à la simple vente de la part de II c... Autrement, la simple reproduction est perturbée ; un simple achat ici doit être couvert par une simple vente ailleurs. De même, il faut supposer que la simple vente de la partie thésaurisée A, A’, A’’, etc., de I p est en équilibre avec la simple vente de la partie B, ,B’, B’’ de I p, qui transforme son argent en éléments du capital productif supplémentaire. Dans la mesure où l’équilibre est établi de telle sorte que l'acheteur apparaît ensuite et pour la même quantité de valeur comme vendeur, et réciproquement, il y a reflux de l'argent du côté de celui qui l’a avancé lors de l'achat, qui a vendu avant d’avoir acheté. Mais le véritable équilibre, en ce qui concerne l’échange même des marchandises, l'échange des différentes parties du produit annuel, est conditionné par la quantité égale de valeur des marchandises qui s'échangent l’une contre l'autre.

« Cependant, dans la mesure où il n'y a que des échanges unilatéraux, simples achats, d'une part, simples ventes, de l’autre - et nous avons vu que l'échange normal du produit annuel sur la base capitaliste conditionne ces métamorphoses unilatérales -, l'équilibre n'existe qu'à la condition que la quantité de valeur des achats unilatéraux et celles des ventes unilatérales se compensent. » Toutefois dans toutes ces transactions unilatérales, l'argent ne fonctionne pas seulement comme simple intermédiaire d'échange de marchandises, mais comme agent initial et final d'un processus où il n'y a d'un côté que la marchandise et de l’autre que la valeur de la marchandise dans sa forme matérialisée, l'argent ; ce dernier est donc nécessaire pour que ces processus unilatéraux puissent s'accomplir.

« Le fait que la production de marchandises est la forme générale de la production capitaliste implique déjà le rôle que joue l’argent, non seulement en tant que moyen de circulation, mais en tant que capital-argent, dans cette production, et crée certaines conditions, propres à ce mode de production, de l’échange normal, par conséquent du cours normal de la production, soit sur une échelle simple soit sur une échelle élargie, qui deviennent autant de conditions du cours anormal, autant de possibilités de crise, du fait que l'équilibre, avec la façon dont se déroule cette production, est lui-même un hasard[9]. »

Les capitalistes A, A', A’’ constituent, au moyen de la vente de leur surproduit, le trésor, le capital-argent potentiel supplémentaire. Ce surproduit consiste dans notre cas en moyens de production de moyens de production, qui, entre les mains de B, B', B", fonctionnent comme tels. C'est seulement dans leurs mains que ce surproduit fonc­tionne comme capital constant supplémentaire, mais il l'est déjà virtuellement avant d'être vendu, entre les mains des thésauriseurs A, A', A'' I. Si nous considérons seulement la dimension de valeur de la reproduction de la part de I, nous sommes encore dans les limites de la simple reproduction. La différence ne réside que dans les autres valeurs d'usage qui ont été produites. Dans les limites de la même dimension de valeur, on a produit davantage de moyens de production pour moyens de production que de moyens de production pour moyens de consommation. Une partie de I p, qui a été échangée précédemment dans la simple reproduction contre II c et devait consister par conséquent en moyens de production pour moyens de consommation, consiste maintenant en moyen de production pour moyens de production, afin de pouvoir être incorporée comme telle au capital constant I. Il s'ensuit que - si l'on considère uniquement la dimension de valeur - c'est dans la simple reproduction qu'est produit le substrat matériel de la reproduction élargie.

C'est simplement du surtravail de la classe ouvrière I dépensé directement en production de moyens de production, en création de capital virtuel supplémentaire I.

La formation de capital-argent virtuel supplémentaire par A, A', A'' I - par vente successive de leur plus-value, créée sans aucune dépense d'argent capitaliste - est par conséquent ici la simple forme d'argent de moyens de production supplémentaire I. « Production sur une grande échelle de capital-argent virtuel supplémentaire - en de nombreux points de la périphérie de circulation - n'est donc que le résultat et l'expression de production multiple de capital productif virtuel supplémentaire, dont la formation elle-même ne suppose aucune dépense d'argent supplémentaire de la part des capitalistes industriels[10]. »

« La transformation successive de ce travail productif virtuel supplémentaire en capital-argent supplémentaire (trésor) par A, A', A'', etc., I, qui est conditionnée par la vente progressive de leur surproduit - par conséquent, par la vente répétée de marchandises sans achat complémentaire - s'accomplit par le retrait répété d'argent de la circulation et sa thésaurisation correspondante. Cette thésaurisation - excepté là où le producteur d'or est l'acheteur - ne relève en aucune manière de la richesse supplémentaire de métal noble, mais n'est que la fonction modifiée de l'argent jusqu'alors en circulation. Auparavant, il fonctionnait comme moyen de circulation ; maintenant, il fonctionne comme trésor, comme capital-argent virtuellement nouveau en voie de constitution. Formation de capital-argent supplémentaire et masse de métal noble existant dans un pays n'ont l'une vis-à-vis de l'autre aucun rapport de cause à effet.

Il en résulte que plus grand est le capital productif fonctionnant déjà dans un pays (y compris la force de travail qui y est incorporée et qui crée le surproduit), plus est développée la force productrice du travail et par là aussi les moyens techniques d'expansion rapide de la production de moyens de production - et plus grande par conséquent aussi la masse du surproduit tant quant à sa valeur que quant à la masse des valeurs d'usage dans lesquelles il se présente - et plus grands sont :

1) le capital productif supplémentaire virtuel sous la forme de surproduit entre les mains de A, A', A'', etc., et

2) la masse de ce surproduit transformé en argent, par conséquent du capital-argent supplémentaire virtuel entre les mains de A, A' A''. Si donc Fullarton, par exemple, ne veut pas entendre parler de surproduction au sens ordinaire du terme, mais bien de surproduction de capital, notamment de capital-argent, cela prouve de nouveau à quel point même les meilleurs économistes bourgeois ignorent le mécanisme de leur système[11]. »

« Si le surproduit, directement produit et approprié par les capitalistes A, A', A'' I, est la base réelle de l'accumulation du capital, c'est-à-dire de la reproduction élargie, quoiqu'il ne fonctionne actuellement qu'en cette qualité entre les mains de B, B', B'', etc., I, il est par contre, dans sa transformation en argent - en tant que trésor et simplement argent se constituant peu à peu - absolument improductif ; il accompagne sous cette forme le processus de production, mais n'y participe pas. C'est un poids mort (dead weight) de la production capitaliste. Le désir passionné de rendre cette plus-value accumulée peu à peu comme capital-argent virtuel utilisable, tant pour le profit que pour le revenu, trouve dans le système du crédit et dans le « papier » le but de son effort. Le capital-argent obtient ainsi sous une autre forme une influence considérable sur le cours et le développement du système de production capitaliste.

« Le surproduit transformé en capital-argent virtuel sera d'autant plus grand quant à sa masse que sera plus grande la somme totale du capital fonctionnant déjà d'où il provient. Mais, avec l'accroissement absolu des dimensions du capital-argent reproduit chaque année, sa segmentation est aussi plus facile, de sorte qu'il est placé plus rapidement dans une affaire particulière, que ce soit aux mains du même capitaliste ou en d'autres mains (par exemple, des membres de la famille en cas de partage de la succession, etc.). Segmentation de capital-argent signifie ici qu'il est complètement détaché du capital initial pour pouvoir être placé en tant que nouveau capital-argent dans une nouvelle affaire indépendante[12]. »

Les vendeurs du surproduit A, A', A'' I l'ont obtenu comme résultat direct du processus de production. Les B, B', B" doivent l'acquérir, en revanche, au moyen d'une transaction. L'argent nécessaire dans ce but, ils doivent l'avoir obtenu, comme A, A' A", au moyen de la vente de leurs surproduits respectifs; ils sont maintenant parvenus au but. Leur capital-argent virtuel, accumulé peu à, peu, fonctionne maintenant comme capital-argent supplémentaire.

L'argent nécessaire pour ces transformations du surproduit doit se trouver entre les mains de la classe capitaliste, Dans la simple reproduction, l'argent qui ne servait qu'à être dépensé comme revenu en moyens de consommation revenait aux capitalistes dans les mêmes dimensions ou il avait été avancé pour l'échange de leurs marchandises respectives ; ici, le même argent réapparaît, mais avec une fonction nouvelle. Les A' et les B' I se fournissent tour à tour l'argent nécessaire en vue de la transformation du surproduit en capital-argent virtuel supplémentaire et remettent tour à tour le capital-argent nouvellement constitué, en tant que moyens d'achat, dans la circulation.

La seule condition est ici que la masse d'argent existant dans le pays (la vitesse de circulation, etc., supposée égale) suffise également pour la circulation active ; c'est la même condition qui, nous l'avons vu, est exigée pour la simple circulation de marchandises. Seule la fonction des trésors est ici différente.

Cet exposé schématique est naturellement très simplifié. Il est clair que des rapports de proportionnalité, tels qu’ils doivent régner entre les industries de moyens de production et les industries de moyens de consommation dans leur totalité, doivent exister également pour chaque branche d'industrie à part. Mais ces schémas montrent que, dans la production capitaliste, aussi bien la simple reproduction que la reproduction élargie ne peuvent se poursuivre normalement que si ces proportions sont maintenues. Par contre, une crise peut survenir même dans la simple reproduction en cas de rupture de ces proportions, par exemple entre capital usé et capital à investir à nouveau. Il ne s'ensuit donc absolument pas que la crise doive avoir pour cause la sous-consommation des masses inhérente à la production capitaliste. Une expansion trop rapide de la consommation mènerait à la crise tout aussi bien avec un même niveau qu'avec une diminution de la production des moyens de production. Pas plus qu'il ne ressort de ces schémas la possibilité d'une surproduction générale de marchandises, ils laissent bien plutôt apparaître comme possible en général une expansion de la production avec les forces productives existantes.

Chapitre XVII. Les causes de la crise[modifier le wikicode]

Si l'on considère la complexité des rapports de proportionnalité qui doivent être maintenus dans la production pourtant anarchique, on est tenté de se demander qui veille au maintien de ces rapports. Il est clair que c'est la loi des prix qui doit remplir cette fonction, puisque ce sont les prix qui règlent la production capitaliste et que les changements de prix sont déterminants pour l'expansion ou la diminution de la production, l'engagement d'une production nouvelle. Il en découle la nécessité d'une loi de valeur objective comme seul régulateur possible de l'économie capitaliste. La violation de ces proportions doit par conséquent s'expliquer par une perturbation dans les formations de prix telle que ces dernières ne laissent plus reconnaître d'une façon exacte les nécessités de la production. Comme cette perturbation est périodique, il faut montrer que celle qui se produit dans la loi des prix l'est également.

Ce qui intéresse le capitaliste, ce n'est pas le niveau absolu du prix de son produit, mais le rapport entre le prix du marché et le prix de revient, en d’autres termes le taux de son profit. C'est ce taux qui décide en définitive dans quelle branche d'industrie il investit son capital. Si le profit baisse considérablement, il renoncera complètement à de nouveaux investissements - surtout s'il s'agit de placement important de capital fixe, car un capital ainsi placé est fixé pour longtemps, et le prix du capital fixe est déterminant pour le calcul du taux de profit.

Or nous savons que la composition organique du capital change. Pour des raisons d'ordre technique, la part du capital constant croît plus rapidement que celle du capital variable. De même, celle du capital fixe croît plus vite que celle du capital circulant. Mais la diminution relative de la part du capital variable a pour conséquence une baisse du taux de profit. La crise signifie absence de débouchés. Or dans la société capitaliste, absence de débouchés suppose arrêt de nouveaux placements de capital, lequel suppose à son tour baisse du taux de profit. Cette baisse est déterminée par le changement de la composition organique du capital qui s'est produit lors du nouveau placement de ce capital. La crise ne signifie rien d'autre que le moment où intervient cette baisse du taux de profit. Mais la crise est précédée d'une période de prospérité, où les prix et les profits sont élevés. Comment s'accomplit ce tournant mondial capitaliste, ce passage de la joie de l'activité fiévreuse, des profits élevés et de l'accumulation croissante, à la désolation de l'arrêt des débouchés, de la disparition des profits et de l'immobilisation massive du capital ?

Tout cycle industriel commence par une expansion de la production, dont les causes varient dans le détail selon les facteurs historiques concrets, mais se ramènent en général à l'ouverture de nouveaux marchés, à l'apparition de nouvelles branches de production, à l'introduction d'une nouvelle technique, aux besoins croissants par suite de l'accroissement de la population. Une demande accrue apparaît qui entraîne d'abord dans certaines branches de production une hausse des prix et des profits. A la suite de quoi, la production s'élargit dans ces sphères, ce qui a pour résultat une demande accrue dans les sphères qui fournissent les moyens de production pour les branches en question. D'où nouveaux placements de capital fixe, remplacement rapide des vieilles installations périmées au point de vue technique. Le phénomène se généralise, chaque branche d'industrie crée par son extension une demande pour les autres, les sphères de production s'alimentent réciproquement, l'industrie devient pour l'industrie le meilleur client.

Ainsi, le cycle commence avec le renouvellement et l'accroissement du capital fixe qui constituent la base principale de la prospérité, au cours de laquelle les extensions se poursuivent de pair avec les plus grandes tensions des forces productives existantes. « Dans la même mesure, par conséquent, où, avec le développement du mode de production capitaliste, s'accroissent la valeur et la durée du capital fixe accumulé, se développe la durée de l'industrie et du capital industriel dans chaque installation particulière en cycles de plusieurs années, disons de dix en moyenne. Si, d'une part, le développement du capital fixe prolonge cette durée, elle est raccourcie, d'autre part, par la transformation constante des moyens de production, qui de même s'accroît constamment avec le développement du mode de production capitaliste. Avec elle aussi, par conséquent, le changement des moyens de production et la nécessité de leur remplacement constant par suite de leur usure morale longtemps avant qu'ils soient usés matériellement. On peut donc admettre que, pour les branches les plus importantes de la grande industrie, ce cycle de vie est maintenant en moyenne de dix ans. Ce qui importe, ce n'est pas un chiffre déterminé, mais ceci : de ce cycle, s’étendant sur plusieurs années, de transformations liées les unes aux autres, dans lequel le capital est contraint par sa partie fixe, découle une base matérielle des crises périodiques, où l'affaire traverse des périodes successives de tension, de moindre activité, de culbute, de crise. Ce sont certes les périodes où du capital est investi, très différentes les unes des autres. Cependant, la crise constitue le point de départ d'un nouveau placement. C'est par conséquent aussi - si l’on considère l'ensemble de la société - plus ou moins une nouvelle base matérielle pour le prochain cycle de transformation[13]. »

Mais la hausse du taux de profit a, au début de la période de prospérité, une autre cause encore que cet accroissement de la demande dont nous venons de parler. En même temps et comme conséquence de l'accroissement de la demande, le temps de transformation du capital diminue. La période de travail se raccourcit, parce que l'introduction d'améliorations techniques permet une fabrication plus rapide du produit, que le nombre des ouvriers auxiliaires dans les mines est réduit au minimum en faveur de l'extraction proprement dite, que les machines, par suite de l'accélération de leur temps et surtout de la prolongation du temps de travail (suppression des pauses, heures supplémentaires, embauchage de nouveaux ouvriers) sont utilisées d'une façon plus intensive, etc. En outre, le temps de circulation diminue ; les débouchés sont faciles ; souvent même le temps de circulation est réduit à zéro, car on travaille sur commande ; pour toute une série de branches d'industrie importantes, les ventes sur les marchés intérieurs augmentent par rapport à celles qui ont lieu sur les marchés extérieurs plus éloignés, ce qui signifie là aussi une diminution du temps de circulation. Tout cela a pour résultat une hausse du taux de profit annuel, étant donné que le capital productif et par conséquent aussi le capital variable qui produit la plus-value se transforment plus rapidement.

La diminution du temps de transformation signifie par ailleurs une diminution relative du capital-argent que doivent avancer les industriels par rapport au capital productif. D'une part, le capital productif existant est mieux utilisé sans dépense supplémentaire de capital-argent ou tout au moins sans dépense supplémentaire correspondante grâce à la réduction de la période de travail provenant de l'accélération du tempo des machines et d’une façon générale à une utilisation plus intensive des moyens de production existants. Mais, d'autre part, le temps de circulation diminue et, par là, les dimensions du capital que le capitaliste doit conserver à côté du capital fonctionnant vraiment dans la production. Ainsi diminue le capital qui n'est employé qu'à des buts de circulation, par conséquent improductif, par rapport au capital employé dans la production et créateur de profit. La réduction du temps de circulation et la transformation plus rapide diminuent en même temps la partie du capital immobilisé en tant que réserve de marchandises qui n'occasionne que des frais. Ainsi s'élève le taux annuel de la plus-value et du profit et ce dernier plus fortement encore par suite de la diminution du capital employé à des fins de circulation. En même temps s'accroît la masse de la plus-value et, par là, la possibilité de l'accumulation.

Ainsi la prospérité industrielle ne signifie rien d'autre que l'amélioration des conditions de mise en valeur du capital. Mais les mêmes causes qui mènent d'abord à la prospérité incluent en elles des forces qui aggravent peu à peu les conditions de mise en valeur, jusqu'au point où les nouveaux placements de capitaux sont rendus impossibles et où les ventes s'arrêtent complètement.

Si l'accroissement de la demande signifie par exemple dans la première phase du cycle industriel une hausse du taux de profit, celle-ci ne se produit que dans des conditions qui préparent une baisse future de ce même taux d'intérêt. Pendant la période de prospérité, de nouveaux investissements considérables de capitaux ont lieu, qui correspondent à l'état le plus récent de la technique. Mais nous savons que des améliorations de la technique se traduisent par une plus haute composition organique du capital. Celle-ci signifie baisse du taux de profit, aggravation des conditions de mise en valeur du capital, et cela pour deux raisons : d'une part, parce que le capital variable a diminué par rapport au capital global et que par conséquent le même taux de plus-value s'exprime dans un taux de profit plus bas ; de l'autre, parce que plus la part du capital fixe par rapport au capital circulant est grande, plus le temps de transformation du capital s'accroît. Et l'on sait que l'allongement du temps de transformation du capital signifie baisse du taux de profit.

A cela s'ajoutent d'autres causes qui allongent le temps de transformation. A l'apogée de la prospérité, la période de travail peut se prolonger parce qu'il peut y avoir pénurie de forces de travail, particulièrement de travail qualifié, même si l'on ne tient pas compte des luttes pour les salaires qui d'ordinaire, en de telles périodes, sont fréquentes. Des perturbations dans le processus du travail peuvent également se produire du fait de l'utilisation trop intensive du capital constant, par conséquent, d'une accélération trop rapide de la vitesse des machines, qui peuvent également être endommagées par suite de l'embauchage d'ouvriers non exercés ou de négligences dans les réparations et les travaux auxiliaires en vue d'utiliser au maximum la courte durée de la haute tension industrielle, ce qui a pour résultat d'allonger dans la suite le temps de circulation. Les besoins du marché intérieur une fois satisfaits, il faut chercher d'autres marchés extérieurs plus éloignés. L'écoulement des marchandises, leur reconversion en argent, se ralentissent, tous facteurs qui entraînent une baisse du taux de profit dans la seconde phase de la prospérité.

A quoi viennent s'ajouter d'autres facteurs. Pendant la prospérité, la demande de force de travail, dont le prix monte, s'accroît. D'où diminution du taux de la plus-value et du profit. En outre, le taux d'intérêt s'élève peu à peu au-dessus de son niveau normal pour des raisons qu'il faut encore mentionner, ce qui fait baisser en conséquence le bénéfice de l'entrepreneur. Certes, en revanche, le bénéfice du capital bancaire - c'est là un fait qu'on néglige ordinairement - s'accroît. Mais les banques ne sont plus dans cette période en mesure de prêter de l'argent aux industriels pour leur permettre d'élargir la production. D'abord, dans cette période, la spéculation, aussi bien sur les marchandises que sur les valeurs, est à son plus haut niveau, ce qui exige des crédits plus importants. Ensuite, nous le verrons, le crédit de circulation que les industriels s'accordent entre eux ne suffit pas pour satisfaire aux demandes accrues, ce qui oblige ici aussi à avoir recours aux banques. C'est pourquoi elles auront tendance à conserver leur bénéfice sous sa forme liquide d'argent, ce qui empêche sa transformation en capital productif, par conséquent la véritable accumulation et l'élargissement du processus de reproduction. Il en résulte une perturbation du processus de production, du fait que, par suite des entraves apportées à la reconversion du capital-argent que les banques ont acquis grâce à la hausse du taux d'intérêt et maintenu sous forme d'argent, une partie du capital productif destiné à la reproduction élargie reste invendable. Ainsi la diminution du bénéfice de l'entrepreneur signifie pour l'ensemble de la classe capitaliste une aggravation croissante des conditions de mise en valeur du capital, un ralentissement de l'accumulation.

La crise se produit au moment où les tendances à la baisse du taux de profit que nous venons de décrire l'emportent sur celles qui ont amené, par suite de l'accroissement de la demande, une hausse des prix et du profit. Mais, ici, deux questions se posent : d'abord, comment ces tendances qui mettent fin à la prospérité s'imposent dans et par la concurrence capitaliste ; ensuite, pourquoi ce phénomène se réalise d'une façon soudaine et non progressive. Cette dernière question est à vrai dire de moindre importance, car le passage de la prospérité à la dépression est pour le mouvement ondulatoire de la conjoncture l'élément décisif et que la soudaineté de ce changement est d'ordre purement secondaire.

Une chose est claire : si la hausse des prix pendant la période de prospérité était générale, elle resterait purement théorique. Si les prix de toutes les marchandises s’élevaient de 10 ou de 100 %, leur rapport relatif d'échange serait inchangé[14]. La hausse n'aurait aucun effet sur la production; il n’y aurait aucun, changement dans la répartition du capital entre les différentes branches de production, dans les rapports de proportionnalité. Si la production se poursuivait dans les justes proportions, telles qu'elles ont été schématiquement exposées plus haut, celles-ci ne seraient pas modifiées et par conséquent aucune perturbation ne s’ensuivrait. Mais il en est autrement si dans le caractère même de la hausse des prix, des facteurs apparaissent qui détruisent cette symétrie. Les changements dans la formation du prix pourront entraîner alors des changements dans la proportionnalité des branches de production, étant donné que les changements de prix et de profit exercent une influence déterminante sur la répartition du capital entre les différentes branches de production. Cette possibilité devient réalité quand il apparaît que la hausse des prix doit amener nécessairement une modification des rapports de la répartition du capital. Et, en effet, il existe certains facteurs qui empêchent cette symétrie.

La modification de la composition organique du capital qui entraîne, en dernière instance, la baisse du taux de profit, sera - abstraction faite de révolutions techniques et en ne considérant que la moyenne des changements techniques permanents - d'autant plus grande qu'on emploiera plus de machines, de capital fixe, d'une façon générale. Car, plus sera importante la quantité de machines déjà utilisées, de connaissances scientifiques etc., plus grande la possibilité d'une installation plus rationnelle, dune technique améliorée, de modes d’expériences plus scientifiques. D'autant plus fortes seront les tendances à une plus haute composition organique. Mais celle-ci n'est que l'expression économique d'une productivité accrue, laquelle signifie de son côté un prix moindre pour la même quantité de marchandises. C’est pourquoi les capitaux nouvellement placés travaillent au début avec un surprofit, ce qui explique qu’ils affluent dans ces placements. Ici apparaît déjà un facteur de trouble : plus est important le surprofit à réaliser dans ces nouvelles sphères de placement, plus les capitaux y affluent. Cela ne change que lorsque les produits de ces sphères arrivent sur le marché et que leur quantité surabondante fait baisser les prix[15]. Entre-temps, la demande de ces sphères a fait monter également les prix des produits des autres branches d'industrie et entraîné dans ces branches un afflux de capitaux, bien que dans une mesure moins importante, car, du fait que la technique y est moins développée, le surprofit y est moins élevé. Ce qui a de nouveau pour conséquence qu'ici la hausse des prix, du fait que le capital n'a pas augmenté dans la même proportion, est relativement moins forte. Dans la première sphère de production, le surprofit est considérable, dans la seconde il est plus faible ; cela s'équilibre peu à peu par la diminution du surprofit à la suite d'un plus grand afflux de capitaux là et par la hausse des prix à la suite d'un afflux relativement moindre ici.

Avec le développement de la production capitaliste s'accroissent les dimensions du capital fixe, accroissement qui va de pair avec une différenciation croissante des industries en ce qui concerne les dimensions du capital fixe employé. Plus elles sont grandes et plus il faut de temps pour créer de nouvelles installations et plus grande sera aussi la différence du délai pendant lequel, dans les différentes branches d'industrie, la production pourra être élargie. Mais, plus est long le temps nécessaire pour de nouvelles installations, plus l'adaptation aux besoins de la consommation est difficile, plus l'offre est en retard sur la demande, plus les prix montent et plus est générale dans de telles industries la tendance à l'accumulation.

Plus grande est la masse du capital fixe, plus il faut de temps pour procéder aux nouveaux changements et pour que la capacité de production augmente. Mais, jusqu'à ce moment-là, l'offre sera en retard sur la demande. L'augmentation du nombre des hauts fourneaux, l'ouverture de nouvelles mines de charbon, l'installation de nouvelles voies ferrées, exigent un temps plus long que l'augmentation des produits textiles ou de la fabrication de papier. Ainsi, tandis qu'avec le niveau de la composition organique du capital s'accroissent les causes qui doivent amener à la longue une baisse du taux de profit, on assiste dans ces sphères, pendant la période de prospérité, par suite des changements intervenus dans les rapports de concurrence, comme dans celui de l'offre et de la demande, du fait que la première augmente plus rapidement que la seconde, à une hausse des prix plus forte que dans d'autres branches de production. Non seulement le profit ne diminue pas, mais la modification de la composition organique du capital est accompagnée au début d'une hausse des prix et des profits, et les prix, d'une façon générale, auront d'autant plus tendance à monter que cette composition organique se développera. Cependant, le capital afflue dans les sphères de profit élevé. Le capital à accumuler sera donc dirigé de préférence dans ces sphères et cela jusqu'à ce que les nouvelles installations soient terminées et que la concurrence des nouvelles entreprises se fasse sentir. Il y a ainsi la tendance à un excès d'investissement, une sur-accumulation du capital dans les sphères de haute composition organique par rapport à celles où elle est plus basse. Disproportion qui se manifeste quand les produits des premières parviennent sur le marché. Leur écoulement est entravé par le fait que la production dans les secondes ne s'accroît pas au même rythme que dans les premières, mais plus rapidement, et en revanche d'une façon moins intensive. Cela explique pourquoi c'est dans les branches d'industrie les plus développées au point de vue technique que les crises se manifestent le plus fortement ; ainsi, dans les périodes précédentes, d'abord dans l'industrie textile et plus tard seulement dans les industries lourdes. La crise est en général la plus forte là où la transformation du capital est la plus lente et les améliorations techniques les plus importantes, ce qui est le cas là où la composition organique du capital est la plus élevée.

La crise elle-même entraîne d'abord une baisse des prix et des profits au-dessous du niveau normal, c'est-à-dire du coût de production, plus le profit moyen. La production se contracte, les entreprises les plus faibles s'écroulent et seules parviennent à se maintenir celles qui, en dépit de la baisse des prix, réussissent à obtenir le profit moyen. Mais ce dernier a maintenant un niveau différent. Il ne correspond plus à la composition organique du capital au point de départ du cycle industriel, mais à la composition organique nouvelle, plus haute, du capital.

Au contraire, dans les industries où le capital fixe est de dimensions moindres, il y a adaptation plus rapide à la consommation, la baisse des prix est limitée (abstraction faite des fluctuations de prix des matières premières) et l'accumulation moins rapide. C'est une cause supplémentaire de disproportionnalité, de concentration des capitaux à la recherche de placements sur les branches d'industrie où les hausses de prix sont les plus rapides et les plus élevées, et qui explique pourquoi, d'une façon générale, les crises sont d’autant plus fortes que le capital fixe est plus important et dans les branches d'industrie où il l'est le plus.

A quoi il faut ajouter que plus est considérable la masse de capital qu'exige l'état de la technique à un moment donné pour une branche de production donnée, plus est difficile une adaptation quantitative exacte de l'accroissement de la production à la consommation élargie. Il est techniquement irrationnel et par conséquent absurde au point de vue économique d'augmenter la production de l'acier au moyen de l'installation d'une petite aciérie. La technique détermine ici le degré d'augmentation de sa propre autorité sans pouvoir se soucier s'il coïncide ou non avec les besoins de la consommation. Dans les industries lourdes, quand les forces productives existantes sont pleinement utilisées - et les variations dans les possibilités d'utilisation sont un important facteur de compensation des petites fluctuations de la demande -, l'accroissement de la production ne peut se faire que par grandes masses, d'une façon brutale, et non dans les dimensions modestes des périodes du début du capitalisme. Ici aussi, la capacité d'adaptation des industries légères est beaucoup plus grande et par conséquent la hausse des prix dans la période intermédiaire plus faible.

A ces disparités dans la formation des prix qui proviennent de la différence de la composition organique du capital s'en ajoutent d'autres qui découlent de conditions purement naturelles. Nous avons vu qu'une tendance à la suraccumulation existe dans les sphères de haute composition organique. Celles-ci sont, d'une part, de grandes consommatrices de matières premières, mais, d'autre part, fournisseurs de matières premières et de produits semi-fabriqués (fer, charbon, etc.) à d'autres industries. Ici peuvent se produire des perturbations de la proportionnalité :

« On a vu qu'une fois les marchandises transformées en argent, vendues, une certaine partie de cet argent doit être reconvertie en éléments matériels du capital constant et cela dans les proportions exigées par le caractère technique donné de chaque sphère de production. Ici, dans toutes les branches - si l'on fait abstraction du salaire -, l'élément le plus important est la matière première, y compris les matières de remplacement, qui sont importantes notamment dans les branches de production où n'entre aucune matière première proprement dite, comme les mines et l'industrie extractive, d'une façon générale... Si le prix de la matière première augmente, il peut être impossible, une fois ôté le salaire de la valeur marchandise, de la remplacer complètement. C'est pourquoi de vives fluctuations de prix peuvent entraîner des interruptions, des bouleversements et même des catastrophes dans le processus de reproduction. Ce sont surtout des produits agricoles proprement dits, des matières premières provenant de la nature organique, qui sont exposés à de telles fluctuations de valeur par suite de changements survenus dans les résultats de la récolte - ici encore, en faisant abstraction du système du crédit.

« Une autre disproportion, que nous ne mentionnerons que pour mémoire - étant donné que la concurrence comme le système du crédit restent ici encore en dehors de notre étude -, est la suivante. Il est dans la nature des choses que des matières végétales ou animales, dont la croissance et la production sont soumises à certaines lois organiques, liées a des périodes de durée naturelles, ne peuvent être augmentées brusquement dans les mêmes proportions que, par exemple, les machines et autre capital fixe, charbon, minerai, etc., dont l'accroissement peut, dans un pays développé au point, de vue industriel, ne demander qu'un délai très court. C’est pourquoi il est possible et même avec une production capitaliste développée, inévitable, que la production et l’accroissement de la partie du capital constant qui consiste en capital fixe : machines, etc., acquièrent une avance considérable sur la partie de ce capital qui consiste en matières premières organiques, de telle sorte que la demande de ces matières premières s'accroît plus rapidement que leur offre, d'où une augmentation de leur prix...

« Celle-ci a pour conséquence : 1°) que ces matières premières viennent de plus loin, ce qui fait que le prix le plus élevé couvre de plus grands frais de transport ; 2°) que la production s'en accroît, ce qui peut, selon la nature de la chose, mais peut-être seulement un an plus tard, augmenter vraiment la masse des produits, et 3°) qu’on utilise toutes sortes de produits de remplacement jusqu'alors inutilisés, et même les déchets. Quand la hausse des prix commence à exercer une action sensible sur la production et les importations, le moment est la plupart du temps déjà venu où, par suite de la hausse continue du prix de la matière première et de toutes les marchandises où elle entre comme élément, la demande diminue avec comme conséquence une baisse des prix. Abstraction faite des convulsions, que cela provoque par la dépréciation du capital sous différentes formes, d'autres circonstances interviennent, qu’il nous faut mentionner également.

« Mais déjà, d’après ce qui vient d'être dit, une chose est claire : plus la production capitaliste est développée, plus grands par conséquent les moyens d'accroissement soudain et prolongé de la partie du capital constant qui consiste en machines, etc., plus rapide l'accumulation (comme notamment dans les périodes de prospérité), et plus grande la surproduction relative de machines et autre capital fixe, plus fréquente la sous-production relative de matières premières végétales et animales, plus vive la hausse de leurs prix et la réaction qu'elle entraîne, et plus fréquentes les convulsions provoquées par cette violente fluctuation de prix de l'un des principaux éléments du processus de reproduction[16]. »

« Plus, par conséquent, nous étudions de près l'histoire de la production du présent le plus immédiat, d'autant plus régulièrement nous trouvons, notamment dans les principales branches d'industrie, le passage constant d'une cherté relative à la baisse ultérieure qui en découle des matières premières tirées de la nature[17]. »

A ces perturbations s'en ajoutent d'autres qui proviennent de la façon dont le capital fixe est reproduit. Nous avons vu que dans la simple reproduction, le capital fixe usé doit être égal au nouveau capital-argent de réserve. Une certaine réserve de marchandises et un certain capital-argent sont la condition de la reproduction, qui sans cela serait arrêtée sur tel ou tel point. De telles petites compensations sont d'ailleurs facilitées par l'élasticité du capital lui-même qui permet, en forçant la production, en utilisant le travail provenant d'heures supplémentaires, de satisfaire certains besoins pressants. La tension fiévreuse de toutes les possibilités de production diminue aussi bien la réserve de marchandises, d'une part, que celle d'argent, d'autre part (d'une façon relative et absolue), et supprime par là un facteur qui sert en temps normal à compenser les différences. La diminution du capital-argent de réserve devient, dans la phase qui précède la crise, absolue, d'abord parce que c'est à ce moment-là que la demande de capital-argent de la part des capitalistes industriels est la plus forte, ensuite parce que, du fait du ralentissement des reflux et, par là, du crédit de circulation, la demande d'argent en tant que moyen de paiement augmente rapidement. Une nouvelle perturbation dans l'écoulement des marchandises ne peut plus être compensée par l'intervention de capital-argent de réserve et conduit par conséquent à la faillite.

Un autre dérèglement de la proportionnalité peut survenir du fait que le rapport de la production à la consommation s'est modifié. Pendant la période de prospérité, les prix montent, et par là le profit. La hausse des prix des marchandises doit être plus forte que celle des salaires, sinon le profit ne pourrait pas augmenter. Par conséquent, la part de la classe capitaliste sur le produit nouveau s'accroît plus rapidement que celle des ouvriers. La consommation augmente d'une façon absolue, puisque aussi bien les capitalistes que les ouvriers accroissent leur consommation. Plus rapidement encore s'accroît l'accumulation, car c’est précisément maintenant que le stimulant à l'accumulation agit le plus fortement, bien qu'il faille toujours un certain temps jusqu'à ce que la consommation de luxe augmente. Celle-ci est élastique et s'adapte très facilement à la tendance à l’accumulation. Ainsi un déplacement se produit : une partie relativement plus importante du profit sert a l’accumulation, une autre relativement plus petite à la consommation. Mais cela signifie que celle-ci ne suit pas l’accroissement de la production. A quoi s'ajoute encore cette partie restée inchangée de la consommation qui revient aux couches de revenus composées de traitements fixes ou qui ne sont pas directement alimentées par la production dont les fluctuations, par conséquent, ne les touchent que d’une façon indirecte.

Ainsi apparaissent, au cours de la période de conjoncture, des disproportions dues à des perturbations dans la formation des prix. Car tous ces facteurs signifient des déviations des prix du marché par rapport aux coûts de production et ont pour conséquence de gêner la régulation de la production, laquelle dépend, tant dans ses dimensions que dans sa direction, de la formation des prix. Il est clair que ces perturbations doivent amener finalement un arrêt des débouchés. Elles sont accompagnées de phénomènes de crédit qu’il nous faut maintenant analyser.

Chapitre XVIII. Les rapports de crédit au cours de la conjoncture[modifier le wikicode]

Au début de la période de prospérité règne un taux d'intérêt peu élevé, qui ne s'accroît que lentement et progressivement. Le capital de prêt est abondant. L'expansion de la production et par là de la circulation accroît certes la demande de capital de prêt, mais cette demande accrue est facilement satisfaite. Car, premièrement, le capital nécessaire, immobilisé pendant la période de dépression, est disponible, et, deuxièmement, au début de la période de prospérité, le crédit de circulation s'élargit. Le capital-marchandises des industriels et des commerçants, reconverti en capital-argent, a certes augmenté, tant au point de vue de la masse qu'en ce qui concerne le prix des marchandises, mais la quantité accrue de l'argent-crédit fournit les moyens de circulation nécessaires. Non seulement la masse d'argent-crédit augmente, mais son temps de circulation diminue par suite de la transformation plus rapide du capital productif. L'offre accrue de capital de prêt - provoquée par l'augmentation de l'argent-crédit - permet de donner satisfaction à la demande accrue de capital de prêt sans augmentation du taux d'intérêt.

Pendant cette période, l'offre de capital de prêt augmente aussi du fait que, par suite de la diminution du temps de circulation, le capital-argent dont les capitalistes productifs doivent pouvoir disposer pendant tout le temps de circulation de leur capital et dont les dimensions sont déterminées par ce même temps de circulation, ce capital-argent diminue et vient sur le marché en tant que capital de prêt.

Mais, à mesure que se prolonge la période de prospérité, ces conditions ce modifient, et la progressivité du changement s'exprime dans la hausse progressive du taux d'intérêt.

Nous avons vu que pendant la période de prospérité, premièrement, le temps de transformation du capital se prolonge, et deuxièmement, la disproportionnalité des branches de production s'accroît. Mais la prolongation du temps de transformation, dont le ralentissement des débouchés, signifie également ralentissement de la vitesse de circulation de l'argent-crédit. Une traite sur trois mois ne peut pas être payée une fois arrivée à l'échéance si la marchandise dont elle représente la forme d'argent n'est payée elle-même qu'au bout de quatre mois. Il faut la prolonger ou la payer en, argent liquide. La prolongation signifie appel de crédit, crédit de capital de la part de la banque, par conséquent demande accrue de crédit bancaire. Cette demande de crédit bancaire sera générale parce que la nécessité d'une telle prolongation ne concerne pas un capitaliste isolé, mais plus ou moins toute la classe des capitalistes productifs. La demande accrue du crédit bancaire, due au fait que le crédit de circulation que les capitalistes s'accordent les uns aux autres ne suffit plus, aussi bien que celles d'argent liquide, agissent dans le sens d'une hausse du taux d'intérêt.

Il en est de même de la disproportionnalité croissante, qui signifie également un arrêt des débouchés. Une marchandise doit être remplacée par une marchandise pour que l'argent-crédit puisse remplir sa fonction, qui est de remplacer l’argent liquide. Si l’échange des marchandises s'arrête, l'argent-crédit ne sera pas remplacé par l'argent liquide. La traite arrivée à échéance ne peut pas être payée parce que la marchandise qu'elle représente n'a pas été vendue. Elle ne peut l’être que par une demande de crédit bancaire, qui remplace maintenant le crédit de circulation. Mais, pour l’industriel, peu importe que le paiement de la traite, en échange de laquelle il a vendu sa marchandise se fasse au moyen du crédit de circulation, donc en dernier lieu par le remplacement de sa marchandise par une autre, ou du crédit bancaire, par conséquent sans que sa marchandise ait été finalement remplacée par une autre. Il devra, certes, payer un intérêt un peu plus élevé, mais, premièrement, il ne sait pas, quelle importance cela a, et, même s'il le savait, cela n’y changerait rien. Les prix et les profits sont encore élevés. Grâce au paiement de sa traite il dispose encore du capital-argent nécessaire pour pouvoir poursuivre la production dans les mêmes dimensions. Que ce capital-argent ne représente plus la forme transformée de son propre capital-marchandises, lequel en réalité n'a pas encore été vendu, il l’ignore. Il ne sait pas qu'il poursuit la production avec un capital-argent supplémentaire que le banquier a mis à sa disposition.

Mais c'est là un fait d'une grande importance. La disproportionnalité à ses débuts doit se manifester dans la formation d’une réserve de marchandises. A un point quelconque du processus de circulation de la marchandise, un arrêt doit se produire. Cette réserve de marchandises exercerait une pression sur le marché si la marchandise devait être vendue pour que la production puisse se poursuivre avec l'argent ainsi obtenu. Cette pression, et par là l'action sur le prix et le profit, est évitée, car les banques ont mis un capital-argent à la disposition des capitalistes productifs. Ainsi le crédit a pour effet de masquer la disproportionnalité à ses débuts. La production se poursuit sans changement, et même dans certaines branches, où les prix sont particulièrement élevés, sur une échelle plus large, parce que l'intervention de capital-argent empêche que les marchandises exercent une pression sur le marché et provoquent des fluctuations de prix. La production semble encore saine, quoique la disproportionnalité des branches de production ait déjà commencé.

Les modifications du taux d'intérêt, qui sont conditionnées par des modifications des rapports de proportion pendant le cours de la conjoncture, influent très fortement sur les fondations d'entreprises, la spéculation sur les marchandises et sur les valeurs, et par là sur la marche des affaires en Bourse. Au début de la période de prospérité, nous l'avons vu, le taux d'intérêt est faible, ce qui a pour conséquence un cours élevé du capital fictif. Pour cette partie du capital fictif, qui donne un revenu fixe et assuré, comme par exemple les titres d'emprunts d'Etat et des administrations publiques, certaines lettres de change, etc., les cours s'élèvent proportionnellement à la baisse du taux d'intérêt. Pour les actions, cette hausse des cours par suite de la baisse du taux d'intérêt est atténuée par la diminution du dividende et l'insécurité du revenu.

La prospérité supprime cette tendance contraire : les cours des actions montent avec le maintien d'un taux d'intérêt bas, parce que les revenus et leur sécurité augmentent. En même temps s’accroît la spéculation, qui cherche à mettre à profit la hausse des cours, ce qui a pour résultat d'accroître la demande d'actions et d'en accentuer la hausse. D'un autre côté, l'expansion de la production entraîne un accroissement des fondations de sociétés. De nouvelles sociétés par actions sont fondées, et les anciennes augmentent leur capital. Les banques augmentent leurs émissions, car le cours élevé des actions et le taux d'intérêt bas permettent de gros bénéfices d'émission. Les nouvelles actions sont rapidement absorbées par la Bourse et placées dans le public, c'est-à-dire parmi les capitalistes, qui ont à leur disposition un capital de prêt. C'est la période où, les fondations de sociétés sont les plus nombreuses et les bénéfices des banques provenant des émissions les plus considérables. La fluidité de l'argent favorise la spéculation, laquelle, pour ses opérations, doit avoir recours au crédit. Etant donné que l'intérêt est bas, même de petites fluctuations des cours, telles qu’elles se manifestent encore au début de la période de prospérité, peuvent être mises à profit. L'activité boursière est vive, les échanges considérables, avec des fluctuations relativement faibles mais qui se soldent finalement par une élévation du niveau des cours. Cette élévation, qui provient de l'accroissement de la masse des valeurs et la hausse de leurs cours d'une part, l'accroissement des échanges, de l'autre, entraînent des demandes considérables de crédit pour le règlement des cours de compensation, qui nécessite des sommes importantes, et cela d'autant plus que, dans de telles périodes, la spéculation à la hausse l'emporte sur la spéculation à la baisse, que les achats sont plus nombreux que les ventes, et que le bilan à compenser s'accroît. Mais, contrairement à ce qui se passe chez les capitalistes productifs, où la demande croissante est satisfaite par élargissement du crédit de circulation, la demande accrue de crédit de la part de la Bourse ne trouve en face d'elle aucune contrepartie. Il en résulte par conséquent une élévation du taux d'intérêt et un renforcement des tendances provenant de la production vers une hausse de l'intérêt.

Les choses se passent d'une façon analogue dans le domaine de la spéculation sur les marchandises. Celle-ci cherche également à mettre à profit la hausse des prix et à renforcer cette tendance à la hausse. D'une part, des marchandises dont le prix est élevé sur le marché y sont amenées de l'extérieur, ce qui a pour conséquence un accroissement des importations ; et comme chaque importateur ignore ce que font les autres, la possibilité est ainsi donnée que les importations dépassent finalement la demande et que le marché soit encombré. D'autre part, la spéculation sur les marchandises, comme celle sur les valeurs, cherche à maintenir la hausse des prix et si possible à la renforcer. On retient les marchandises le plus longtemps possible pour faire monter les prix c'est le moment où des cartels se forment pour tenter, en créant une disette artificielle de marchandises, de faire monter les prix. Mais, pour pouvoir retenir les marchandises il faut avoir recours au crédit, ce qui a pour résultat de faire monter le taux d'intérêt.

Entre-temps, la prospérité industrielle s'est généralisée et transformée en haute conjoncture. Prix et profits sont au plus haut. Le cours des actions a monté par suite de l'augmentation du revenu. La spéculation, qui, d'une façon générale, a jusqu’ici apporté des bénéfices, s'est constamment étendue. Ces bénéfices de spéculation développent leur force de propagande. La participation du public aux échanges en Bourse s'accroît, permettant ainsi à la spéculation professionnelle d’élargir ses opérations sur le dos du public. Le taux d’intérêt est élevé. Pour que les affaires de spéculation rapportent des bénéfices, il faut que les fluctuations des cours deviennent plus importantes afin que ces bénéfices ne soient pas dévorés par l'intérêt, mais elles seront aussi maintenant plus importantes parce que les nouvelles de l'industrie ne seront plus toujours aussi bonnes et qu'à côté des gains il y aura aussi des pertes, que des arrêts se produiront, que les ventes faibliront par moments et que le crédit commencera à devenir difficile, du fait que les banques vont commencer à se rendre compte qu'il devient dangereux de favoriser la spéculation, d'autant qu'avec la plus forte participation du public augmente le nombre de ceux qui spéculent sans disposer de ressources leur appartenant en propre ou dans une mesure qui dépasse de beaucoup leurs moyens. Des phénomènes analogues se manifestent sur le marché des marchandises.

Mais le taux d'intérêt élevé a tendance à faire baisser les cours. Le moment doit venir où la spéculation, dans son effort pour faire monter les prix, est obligée de s'arrêter. Ce moment vient quand on lui refuse une partie du crédit qu'elle demandait jusqu'ici. Nous avons vu comment, dans la période de prospérité, les capitalistes productifs sont contraints de plus en plus d'avoir recours aux banques. Aux raisons que nous en avons données s'en ajoute maintenant une autre. Le taux d'intérêt est déterminant pour le montant du bénéfice du fondateur. Or, le taux d'intérêt élevé de la période de haute conjoncture a pour effet de diminuer ce bénéfice et réduit par conséquent l'activité d'émission. A cela s'ajoute que la spéculation à ce moment-là est déjà rassasiée et ne supporterait pas un accroissement des titres au cours élevé qu'ils ont atteint, ce qui ferait courir aux banques le risque de ne plus pouvoir placer les nouvelles actions ou de ne pouvoir les placer qu'à des cours relativement bas.

Les besoins de l'industrie sont maintenant satisfaits par les banques elles-mêmes ; elles n'émettent aucune action, mais accordent des crédits pour lesquels les industriels doivent payer le taux d'intérêt élevé en vigueur. Mais, plus sont considérables les besoins à satisfaire, moins les banques ont d'argent à mettre à la disposition de la spéculation, ce qui oblige celle-ci à se restreindre. D'où diminution de la demande, baisse des cours. Toutefois, comme l'ancien niveau des cours constituait la base du crédit accordé à la spéculation, des suppléments doivent être versés sur les papiers mis en gage, suppléments qu'un grand nombre de spéculateurs, particulièrement dans le public, ne peuvent pas payer. Il en résulte des ventes forcées des valeurs mises en gage, une offre accrue soudaine, qui fait tomber le cours du papier. Cette baisse est renforcée par le tournant que prend la spéculation professionnelle, qui a compris la situation du marché et joue maintenant à la baisse. La baisse des cours signifie une nouvelle restriction du crédit, de nouvelles ventes forcées, la baisse devient chute, c'est la crise boursière, la panique et l'effondrement. Les valeurs connaissent une dépréciation massive et tombent rapidement au-dessous du niveau qui correspond à leurs véritables revenus à taux d'intérêt normal. Ces papiers dépréciés sont maintenant raflés par des gros capitalistes et des banques pour, une fois la panique passée, être revendus à des prix élevés, jusqu'à ce qu'au cours du prochain cycle le processus de l'expropriation d'une partie des spéculateurs et celui de la concentration de la propriété entre les mains de grand capital recommencent ; et ainsi s'accomplit la fonction de la Bourse, qui est de servir d'instrument de la concentration de la propriété au moyen de la concentration du capital fictif.

La crise boursière est donc amenée directement par les changements qui se produisent sur le marché de l’argent et dans les rapports de crédit. Comme son apparition ne dépend que du niveau dit taux d'intérêt, elle peut survenir quelque temps avant la crise générale, industrielle et commerciale. Mais elle n'en est qu'un symptôme, un signe avant-coureur, car les changements sur le marché de l'argent sont conditionnés eux-mêmes par les changements dans la production qui mènent à la crise[18].

Des phénomènes semblables à ceux qui se produisent pour la spéculation sur les valeurs se manifestent en ce qui concerne la spéculation sur les marchandises avec cette seule différence que, conformément à la nature des choses, le lien avec les rapports de production est ici plus étroit. Là aussi la hausse de l'intérêt et la restriction du crédit rendent difficile la retenue de la marchandise et, par là, le maintien des prix. Mais, d'un autre côté, le haut niveau des prix entraîne une tension de la production, un accroissement des importations et une diminution de la consommation, jusqu'à ce que finalement l'effondrement se produise. S'il s'agit d'une marchandise dont le prix influe sur le cours des principales valeurs boursières, comme par exemple le prix du cuivre pour le cours des cuprifères, l'effondrement de la spéculation sur les marchandises peut être en même temps le signe de l'effondrement de la spéculation boursière.

Le changement des conditions du marché financier peut exercer aussi une influence déterminante sur le montant des bénéfices bancaires et la façon dont ils sont acquis. Au début de la période de prospérité, le taux d'intérêt est bas et le bénéfice d'émission élevé. Nous avons vu qu'au cours de la conjoncture ils prennent l'un et l'autre des directions opposées. En outre, pendant toute la durée de la conjoncture, les gains de la banque, provenant des commissions qu'elle prélève en tant que distributrice du crédit de circulation, augmentent, de même que les profits du capital de commerce de l'argent, du fait que les affaires de paiement pour les industries augmentent, et surtout, avec la hausse du taux d'intérêt, la participation du capital bancaire, premièrement, au profit des industriels sur le bénéfice d'entreprise et, deuxièmement, aux bénéfices des spéculateurs au titre des gains différentiels. Plus le taux d’intérêt est élevé, plus augmente la part du capital financier sur les fruits de la haute conjoncture. Ainsi, à mesure que se prolonge la période de prospérité, s'accroît la part du capital-argent sur le profit du capital productif.

Nous avons vu qu'au cours de la période de haute conjoncture il est fait appel de plus en plus au crédit bancaire à partir du moment où le crédit de circulation a atteint sa plus haute limite. On y est contraint parce que l'expansion de la production signifie élargissement de la circulation, laquelle exige des moyens accrus. Il se produit ainsi un épuisement progressif des réserves bancaires, qui oblige finalement à avoir recours à la banque centrale d'émissions. Car le ralentissement des ventes signifie ralentissement de la circulation des traites, par conséquent restriction du crédit de circulation, auquel doit se substituer le crédit bancaire. Mais le processus de disproportionnalité se poursuit avec toutes ses conséquences et son effet sur le crédit bancaire est encore aggravé par les exigences croissantes de la spéculation. Ainsi apparaît une tension du crédit bancaire, jusqu'au point où les banques, pour ne pas épuiser complètement leurs réserves, se voient dans l'impossibilité d'étendre leur crédit. La circulation, qui ne peut plus être élargie par le crédit, exige maintenant de l'argent liquide, qui affluera ainsi plus abondamment dans la circulation et réduira les réserves, ce qui contraindra les banques à réduire d'autant leur crédit. Mais cette restriction signifie pour l'industrie que les perturbations provenant de la disproportionnalité ne peuvent plus être effacées, parce qu'on ne dispose plus du capital-argent nécessaire à cet effet. Il faut vendre à tout prix des marchandises pour obtenir des moyens de paiement qu'on ne peut plus se procurer à l'aide du crédit. D'où baisse des prix. Mais, comme l'ancien niveau des prix était à la base de toutes les opérations de crédit, cette baisse signifie que la traite qui a été tirée sur cette marchandise ne peut plus être payée avec le produit de la vente de cette même marchandise. Une demande apparaît en vue du paiement au moment même où l'offre diminue. Car le crédit de circulation diminue rapidement, du fait que la baisse des prix déprécie les traites et diminue leurs rentrées. D'un autre côté, le crédit bancaire ne peut pas être élargi, vu que la baisse des prix met en question la solvabilité des industriels. Ainsi la demande de paiement conduit à l'impossibilité de la satisfaire. La compression de crédit s'accroît à l'extrême. Non seulement l'intérêt est monté au plus haut, mais on ne peut plus obtenir de crédit du tout, car l'ébranlement du crédit a pour résultat que tous ceux qui disposent d'argent liquide le gardent pour leurs propres paiements. Il n'y a qu'un moyen d'obtenir des moyens de paiement, c'est de transformer la marchandise en argent. Tous veulent vendre mais, précisément à cause de cela, personne ne peut vendre. Les prix ont beau baisser de plus en plus, les marchandises ne trouvent pas preneur. L'arrêt des ventes est total, mais par là le crédit de circulation est anéanti. Bien que la circulation soit réduite au minimum, la disparition de l'argent-crédit réduit encore plus la masse des moyens de circulation : l'argent liquide doit se substituer à l'argent-crédit ; la demande de moyens de paiement devient une demande effrénée d'argent liquide.

Quelles sont les conséquences qu'entraîne cette demande, cela dépend de la situation concrète. La chute des prix des marchandises réduit dans des proportions considérables la solvabilité des industriels et rend par conséquent douteux le remboursement du crédit bancaire. Si la banque a investi ses fonds dans des industries insolvables, elle sera entraînée dans leur faillite : le crédit dont elle jouissait, soit sous forme de dépôts, soit sous forme de placement de ses propres billets, est soudainement anéanti. Les clients se précipiteront à ses caisses en exigeant le paiement en liquide de leurs dépôts, alors que seuls une petite partie d'entre eux n'ont pas été prêtés. Il sera impossible de les payer, et la panique peut s'étendre aux autres banques et les contraindre les unes après les autres à cesser leurs paiements. C'est la crise bancaire. L'effondrement du système du crédit, le retour au système monétaire, comme dit Marx, ne laisse plus maintenant place qu'à l'argent liquide comme moyen de circulation. Mais la masse d'argent liquide existante est insuffisante pour la circulation, d'autant plus qu'en raison de la panique il se produit une accumulation massive d'argent liquide. Le résultat est l'apparition d'un agio sur cet argent ; sa valeur intrinsèque (même avec la monnaie d'or, comme l'a montré de nouveau la dernière crise américaine) disparaît et le cours de l'argent est déterminé par la valeur de la circulation socialement nécessaire.

Il s'est produit une longue évolution entre les fonctions de l'argent comme moyen de circulation et de paiement et sa fonction comme capital de prêt.

L'argent, dans son apparence brillante d'or, est le premier amour du jeune capitalisme. La théorie mercantiliste est son bréviaire d'amour. C'est une grande et forte passion, illuminée par tout l'éclat du romantisme. Pour la possession de la bien-aimée, il accomplit maintes prouesses, découvre de nouveaux continents, mène des guerres incessantes, instaure l'Etat moderne et anéantit par exaltation romantique la base même de tout romantisme : le Moyen Age. Puis il avance en âge et en raison. L'économie classique lui enseigne le mépris du romantisme et lui inspire le désir de se créer une solide existence familiale dans son propre foyer, la fabrique capitaliste. Il considère avec effroi les folies héroïques de sa jeunesse qui lui faisaient mépriser le bonheur domestique. Ricardo lui montre les désagréments de sa liaison coûteuse avec l'or. Avec lui, il déplore l'improductivité des high price of bullion. C'est sur papier, banknote et traite, qu'il écrit maintenant ses lettres d'adieu à la bien-aimée. Certes, il cherche à maintenir certaines prétentions, et l'école de la concurrence exige de ce papier modeste qu'il se conforme aux habitudes de sa brillante devancière. Les besoins du capitalisme qui a pris de l'âge deviennent de plus en plus raffinés. Il a perdu sa jeunesse, la passion onéreuse et épuisante ne lui convient plus, des frissons mystiques montent en lui, seule la foi le rend heureux. John Law annonce le nouvel Evangile : le capitalisme maintenant blasé méprise la chair et se réfugie dans l'esprit. De nouveau, il connaît les plus grandes extases; un vieux désir le reprend; la confiance en la satisfaction par la seule foi a soudain disparu ; il veut ardemment avoir la certitude que sa force s’est conservée. Le crédit s'effondre et l'abandonné revient désespéré à son premier amour, l'or. Secoué par la fièvre, de la crise, aucun sacrifice ne lui est trop grand pour posséder la bien-aimée. Déjà il se croit libéré de son joug, mais voilà qu'il éprouve la plus violente déception et, saisi de panique, reconnaît avec épouvante sa sujétion. Ce sont là crises salutaires. Peu à peu, il apprend à connaître le caractère de celle qu'il craint, mais dont il ne peut se passer. Assurément, il renonce à sa vaine tentative d'abandonner et s'efforce avec plus de zèle que jamais à la garder près de lui et, notamment à entraver son dangereux penchant pour les voyages à l'étranger. Mais, plus il consolide son pouvoir, moins il se laisse prendre maintenant dans ses rets dorés. La bien-aimée autrefois si exigeante se fait modeste et se contente finalement du rôle qui consiste à se tenir en réserve pour le cas où une nouvelle déception l’obligerait à se réfugier auprès d'elle. Même si ses prétentions s’accroissent, même si parfois même elle se refuse tout à fait, cela ne dure jamais longtemps et l’ancienne situation se rétablit. L'or a définitivement perdu son pouvoir exclusif.

La crise monétaire n'apparaît pas comme une nécessité absolue de la crise et peut ne pas se produire. Même pendant la crise, l'échange des marchandises, quoique extrêmement réduit, se poursuit. Dans cette proportion, la circulation peut se poursuivre à l'aide d'argent-crédit. C'est d'autant plus souvent le cas que la crise n'affecte pas avec la même violence toutes les branches de production en même temps. C'est bien plutôt par sa connexion avec la crise bancaire et financière que l'arrêt des ventes atteint son caractère le plus aigu. Mais, si l'argent-crédit nécessaire est mis à disposition, on peut éviter la crise financière, à condition qu'une banque dont le crédit est resté intact accorde aux industriels de l'argent contre certaines garanties. En fait, on a évité des crises financières chaque fois qu'une telle extension des moyens de circulation a été possible. Ces crises n'ont éclaté que quand les banques dont le crédit était resté intact ont été empêchées de mettre de l'argent-crédit à la disposition des industriels. Ce fut le cas en Angleterre en 1847 et en 1857 ; la crise financière menaçante a été évitée grâce à la suspension du règlement qui réduisait arbitrairement l'émission des billets, par conséquent l'argent-crédit, au niveau de la réserve d'or, plus 14 millions de livres sterling. En Amérique, où la loi interdit d'une façon encore plus insensée la circulation de l'argent-crédit au moment où elle est la plus pressante, la crise de 1907 a atteint sa perfection classique. Si l'on considère ce qui se passe sur le marché national, on s'aperçoit que la diminution de la réserve d'argent liquide n'est pas due seulement aux besoins accrus de la circulation intérieure, mais aussi aux exportations d'or. Nous avons vu que, pour équilibrer la balance mondiale des paiements, l'or joue le rôle de monnaie internationale. Or, il existe certaines tendances qui font que, dans un pays où la conjoncture est au plus haut, l'apparition de la crise a pour résultat d'aggraver au maximum la balance des paiements. Les prix élevés de la haute conjoncture favorisent l'importation des marchandises, qu'ils portent très au-delà des besoins normaux, tandis que les exportations, du fait que la capacité d'absorption du marché intérieur paraît toujours considérable, ne s'accroissent pas dans les mêmes proportions et peuvent même, pour certains produits importants, tels que minerais, charbon, etc., baisser fortement en chiffres absolus.

A quoi il faut ajouter que, dans les pays capitalistes les plus développés, ce qui l'emporte du côté des importations, ce sont les produits naturels, articles de consommation et matières premières, et du côté des exportations les produits manufacturés. Mais les premiers sont beaucoup plus que les seconds objets de spéculation. Cela suffit pour montrer, en dehors de toute autre considération, le rôle beaucoup plus important que jouent le commerce et l'ignorance de la véritable situation du marché. C’est pourquoi l'excès des importations est possible à une plus grande échelle et dans de plus grandes proportions que l'excès contraire, celui des exportations. La balance commerciale, par conséquent la partie la plus importante de la balance des paiements, s'aggrave et exige pour être équilibrée une quantité d'or beaucoup plus grande.

Il en est autrement sur le marché monétaire. On sait que dans le pays où la haute conjoncture est à son apogée, les taux d'intérêt y sont aussi les plus élevés. Par conséquent, un grand nombre de capitaux étrangers y sont investis d'une façon durable ou passagère. La spéculation sur les valeurs, comme celle sur les marchandises, dans la mesure où il s'agit de spéculation boursière, bat son plein et attire aussi du dehors un certain nombre de spéculateurs, ce qui a pour résultat de faire affluer dans le pays, en vue de l'achat de titres, de grosses sommes d'argent. L'évolution concrète de la balance des paiements dépendra à. tout moment des conditions de crédit dans les échanges internationaux. L'Angleterre, dont les crises sont toujours précédées de fortes sorties d'or, accorde relativement beaucoup de crédit pour le paiement des marchandises qu'elle exporte et en demande elle-même très peu pour celles qu'elle importe. La disproportion qui, nous l'avons vu, a tendance à se manifester dans la balance commerciale, en est encore aggravée.

Cette aggravation de la balance commerciale peut suffire à elle seule à provoquer des sorties d’or, et toute diminution de la réserve d'or au moment de la haute tension du crédit agit à la manière d’une sonnette d’alarme, fait monter encore plus le taux d’intérêt, ébranle la confiance, restreint avant tout la spéculation et peut donner ainsi le signal de la crise boursière. L'effet de l'aggravation de la balance commerciale peut encore être renforcé par un dérangement de la balance des paiements. La haute conjoncture est un phénomène international, même si elle manifeste dans les différents pays des degrés et nuances différents par son intensité comme par son déroulement dans le temps. Supposons qu’elle apparaisse d’abord aux Etats-Unis et qu'elle y atteigne son point le plus haut, tandis qu'en Angleterre elle ne fasse encore que s'en approcher. Les taux d'intérêt plus élevés et la spéculation plus intense ont attiré de nombreux capitaux anglais en Amérique. Mais voici qu'en Angleterre également les demandes sur le marché financier se font de plus en plus pressantes ; là aussi le taux d'intérêt augmente et la spéculation se déchaîne. Les capitaux qui avaient été placés sur le marché financier américain en sont retirés et placés en Angleterre juste au moment où la balance commerciale américaine s'est aggravée. Ainsi les sorties d'or augmentent et mènent en Amérique à la restriction du crédit et, par là, au déclenchement de la crise boursière. Celle-ci elle-même, qui précède la crise commerciale, aggrave encore davantage la situation de la balance des paiements. Les capitaux étrangers, qui étaient investis dans la spéculation, sont retires immédiatement - c'est-à-dire, bien entendu, ceux qui peuvent l’être, qui n'ont pas été fixés dans les valeurs mais ont été employés dans des affaires de report ou d'avances sur gages. Au début de la crise, les spéculateurs étrangers cherchent aussi à se débarrasser des papiers en baisse et à ces ventes viennent s'ajouter les ventes forcées de ceux dont la spéculation à la hausse s'effondre. Dans la mesure où des étrangers y ont participé, la vente des valeurs aggrave la balance des paiements.

Mais d'autres facteurs entrent en jeu qui peuvent amener un tournant. La crise boursière et la crise bancaire qui s’y ajoute peut-être signifient un fort ébranlement du crédit. Le taux d'intérêt monte à une hauteur vertigineuse et entraîne le placement de capital-argent étranger. La dépréciation des valeurs les fait apparaître appréciables aux capitalistes étrangers et les fortes exportations de valeurs améliorent la balance des paiements. En même temps la balance commerciale s'améliore ; l'ébranlement du crédit met fin à la spéculation sur les marchandises. Bientôt il apparaît que le marché intérieur est encombré, les prix tombent, la crise commerciale survient, les importations s’arrêtent, tandis que les exportations, aussi longtemps que la situation des marchés extérieurs, où la crise n'a pas encore commencé, le permet, sont forcées en vue d'obtenir des moyens de paiement[19]. Les faillites commencent. Mais, dans la mesure ou elles frappent ceux qui ont à faire des paiements à des industriels étrangers pour des marchandises importées, la faillite fait un trait sur ces paiements et la balance nationale des comptes en est améliorée[20]. Ainsi les exportations d’or cessent, selon les circonstances, peu ou longtemps avant le déclenchement de la crise, pour faire place, pendant la crise et après, à la tendance contraire. Le passage des exportations aux importations d'or signifie ainsi dans cette période de la crise le changement de la scène où la crise peut être le plus efficace.

Une sortie d'or plus forte influera toujours sur le taux d’intérêt au moment où, par suite de l'accroissement de la disproportionnalité, le crédit de circulation ne peut être élargi dans la mesure exigée par les besoins de la circulation. Mais cette influence dépendra de la législation en vigueur sur les banques. Ce qui fait qu'une telle législation est erronée est qu'elle empêche l'expansion du crédit de circulation et ne le laisse pas atteindre sa limite rationnelle découlant des seules lois économiques. Cela en mettant arbitrairement le crédit de circulation en rapport avec des grandeurs de valeur avec lesquelles il n'a en réalité, d'après sa nature économique, absolument rien à voir. Nous savons que le billet de banque n'est que la forme nouvelle de la traite et celle-ci qu'une forme d'argent de la valeur marchandise. Or, si l'on met le billet de banque en rapport, non avec les traites, par conséquent en dernière analyse avec les valeurs marchandises en circulation, ce qui se produit par ce qu'on appelle la couverture bancaire des billets, aussi longtemps qu'elle est strictement observée, mais avec la réserve métallique, comme en Angleterre, ou même avec les obligations d'Etat comme aux Etats-Unis, où la démence a atteint son point culminant et où des dettes sont considérées comme la meilleure garantie pour l'allocation de crédit - démence qui s'explique par la forme démentielle du capital fictif -, on crée artificiellement des obstacles à l'offre de capital de prêt, qui doivent bien entendu influer immédiatement sur le taux d'intérêt. En Angleterre, où la quantité de billets en circulation est fixée par la loi et où par conséquent les besoins de la circulation ne sont satisfaits que par de la monnaie métallique (car chaque billet au-dessus de 18,5 millions de livres sterling représente seulement de l'or qui se trouve dans les caves de la banque, et est donc, au point de vue économique, de l'or véritable), chaque sortie d'or un peu forte devient immédiatement un danger pour la circulation. La banque ne peut, dans la même mesure où l'or sort du pays, par exemple pour compenser une importation accrue de céréales par suite de mauvaises récoltes en Angleterre, transformer cette quantité de traites en billets, quoique la situation puisse être encore parfaitement saine et le crédit intact. C'est pourquoi elle est obligée, à chaque sortie d'or, même si elle est sûre que celle-ci ne sera que provisoire, d'élever immédiatement le taux d'intérêt pour protéger sa réserve d'or et rendre ainsi le crédit plus cher, une mesure, soit dit en passant, qui accroît aux dépens du bénéfice de l'entrepreneur celui du capital de prêt, par conséquent aussi le sien propre. Mais, d'un autre côté, la convertibilité des traites en billets de banque, par conséquent en moyens de paiement légal, et sinon, généralement reconnu, devient douteuse. La circulation d'argent-crédit qu'exige la circulation élargie est ainsi artificiellement entravée, quoique rien dans l'état de la production n'en fournisse le moindre motif, et c'est ainsi qu'on peut provoquer artificiellement une interruption complète de la circulation de l'argent-crédit, avec ses conséquences de crise financière et bancaire, pour l'amour d'une fausse théorie, dont l'application dans la pratique n'apporte assurément pas que des avantages théoriques au capital de prêt.

Encore plus folles sont les conditions en Amérique, où l'extension de la circulation des billets n'est possible que par l'augmentation des achats des obligations d'Etat par les banques. Comme leur quantité est limitée, la demande accrue mène à des augmentations extraordinaires des cours, qui font paraître aux banques, elles-mêmes avec un taux d'intérêt élevé, l'émission de billets non rentable. En outre, l'arrêt des achats et par là de l'élargissement de la circulation des billets entraîne des augmentations d'intérêts exorbitantes, qui non seulement procurent aux banques et aux capitalistes bancaires d'énormes profits, mais font d'eux, d'une façon générale, les maîtres du marché de l'argent, et leur permettent d'exercer leur dictature, non seulement sur la spéculation et la Bourse, mais aussi, par l'entremise du système des actions et l'allocation de crédit, sur la production. C'est l'une des raisons pour lesquelles les Bourses américaines ont acquis une importance aussi énorme pour la concentration de la propriété dans les mains de quelques capitalistes financiers. Si cette législation sur les banques était maintenue, l'extinction de leurs dettes d'Etat signifierait pour les Etats-Unis la destruction de leur circulation de billets, une véritable folie, mais qui a pourtant un objectif, car c'est un excellent moyen de procurer de gros bénéfices au capital de prêt, ce qui explique pourquoi elle résiste victorieusement à toutes les tentatives de guérison.

Les restrictions apportées par la législation sur les banques n'ont été dans une certaine mesure supportables que parce que, provoquée par elles, la circulation des billets, précisément en Angleterre et en Amérique, où elles sont les plus fortes et les plus nocives, est restreinte par le développement d'autres formes de circulation d'argent-crédit et que ces clauses légales se sont par conséquent fait un peu moins sentir. Il faut mentionner ici le développement des instituts de clearing et du système des chèques. Les instituts de clearing ont pour but de compenser les traites qui, dans la mesure où elles se compensent, remplissent leur fonction d'argent, par conséquent n'ont pas besoin d'être transformées en billets. Il en est de même du chèque. Le chèque est tiré sur le dépôt du tireur. Mais ce dépôt n'existe pas en réalité, car la banque l'a prêté. Quand je paye avec un chèque sur ce dépôt inexistant, c'est comme si je payais avec un bon de caisse qui lui non plus n'a pas de couverture métallique, mais n'a comme base, tout comme les dépôts prêtés, que la garantie de la banque. Du point de vue économique, c'est le même contenu, bien que la forme, que par bonheur les auteurs de la législation sur les banques sont seuls à voir, apparaisse encore si différente. En Angleterre, à ces moyens de restreindre la circulation des billets - et précisément le fait que l'une des formes de l'argent-crédit peut se substituer aux autres prouve qu'elles sont essentiellement égales -, vient s'ajouter la certitude que la fameuse loi sur les banques, à partir du moment où elle risquerait d'être efficace, serait immédiatement suspendue.

Les effets de la législation sur les billets peuvent également affaiblir, et même dans certains cas supprimer complètement, les tendances qui se manifestent dans les changements de la balance des comptes pendant la crise. Nous avons vu que ces changements se déroulent toujours sur une base déterminée par la situation de la balance commerciale. Celle-ci dépend, d'une part, des conditions de production, naturelles, de l'autre, de l'état et de l'ancienneté du développement économique. Un pays de développement économique ancien, avec un développement extrêmement fort, purement industriel, des exportations de moyens de production, et de production insuffisante de matières premières aura une balance commerciale déficitaire. L'Angleterre n'a pu développer si fortement ses exportations de moyens de production qu’en exportant - premier pays de production capitaliste développée - ses moyens de production, non seulement comme marchandises, mais comme capital, c’est-à-dire en les envoyant à l'étranger en tant que propre placement de capital. Ainsi, par exemple, quand elle accorda a l’Amérique du Sud un prêt pour la construction de voies ferrées et quand les Sud-Américains employèrent cet argent à l'achat de machines, de locomotives, etc., importées d’Angleterre. Une telle exportation, qui est en même temps exportation de capital, est indépendante des importations de marchandises qui se font en même temps. S’il s’agissait d'une simple exportation de marchandises, l'Amérique du Sud par exemple pourrait à la longue n’importer d’Angleterre que des moyens de production si elle pouvait les payer avec ses propres marchandises, car l'Amérique n’a pas rassemblé assez d'argent pour pouvoir payer sur ses propres réserves métalliques les moyens de production dans ces proportions. En fait, une grande partie du commerce international est un tel échange de marchandises et s’équilibre aussi dans ces proportions. Mais, par l’exportation de marchandises en tant que capital, l’exportation dans ces proportions est indépendante de la production de marchandises du pays non encore développé et ne trouve ses limites que dans la possibilité de développement capitaliste, d’une part, dans l'accumulation capitaliste, l’excédent de capital productif dans le pays développé, d’autre part. C’est là précisément la raison de la rapidité de l’expansion capitaliste. Ainsi, les pays capitalistes les plus développés accroissent, d'une part, leur production industrielle et, de l’autre, leurs exportations très au-delà des importations en provenance des pays non développés. D’où la balance commerciale déficitaire, qui correspond d’un autre côté à une balance des comptes excédentaire, puisque ces pays reçoivent constamment des payements, le profit de leur capital exporté.

Selon la forme concrète, quantitative, de la balance commerciale et de la balance des comptes, les tendances qui déterminent les importations et les exportations d'or, exerceront maintenant leurs effets. Si les Etats-Unis n'ont pas connu aussi régulièrement que l'Angleterre, au cours des crises précédentes, des sorties d'or, cela est dû essentiellement à deux facteurs différents. D'abord, ces entraves au développement du crédit de circulation découlent de la législation sur les billets. Comme le taux d'intérêt en Amérique était supérieur au niveau européen du fait de l'étroitesse de son crédit de circulation, l'Amérique attire constamment du capital-argent européen, et la question de savoir si ce capital-argent dans les périodes de haute conjoncture sera ramené en Europe et entraînera des sorties d'or d'Amérique dépendra entièrement de la force de la pression du crédit en Europe.

Mais l'état de la balance commerciale américaine peut amener également des changements. L'Amérique est un pays qui exporte surtout des matières premières. En supposant une bonne récolte, la balance commerciale américaine, précisément pendant la période de haute conjoncture, s'améliore considérablement, car, par exemple, les prix du coton, du cuivre, et éventuellement aussi des céréales, augmenteront, et cette amélioration de la balance commerciale peut affaiblir ou supprimer ou retarder les tendances qui aboutissent à l'écoulement de l'or, et repousser par là aussi éventuellement le déclenchement de la crise, pour laquelle le fait des sorties d'or n'est d'ailleurs pas une condition sine qua non.

Soulignons à ce propos que la possibilité qu'ont les banques nationales de se protéger contre les sorties d'or diffère complètement selon les raisons pour lesquelles on demande de l'or dans des buts d'exportation. Si, par exemple, à Berlin, le taux de l’escompte est de 5 %, et à Paris de 3 %, des banquiers français y trouveront un motif de transférer de l'argent de France en Allemagne pour tirer profit du taux d'intérêt plus élevé. Cela peut être également le cas si, par exemple, il règne à Berlin une spéculation boursière plus vive, à laquelle des firmes françaises veulent participer. De tels transferts d'or ne découlent pas d'une nécessité économique pressante ; il s'agit là de mouvements en quelque sorte arbitraires du capital-argent. Ces capitaux pourraient rester en France s'ils se contentaient d'un taux d'intérêt ou d'un bénéfice boursier moindre. C'est pourquoi ces transferts d'or peuvent être empêchés par des mesures de politique bancaire appropriées. Le plus simple serait de retenir ces capitaux dans le pays en leur accordant un intérêt plus élevé, par exemple en augmentant le taux de l'escompte, ce qui aurait pour résultat d'égaliser les taux d'intérêt. Mais la banque peut aussi empêcher ces transferts en refusant le payement en or. La Banque austro-hongroise, qui a suspendu les payements en argent liquide, en a légalement le droit ; la Banque de France, qui peut aussi payer en monnaie d'argent, peut de même refuser le payement en or, éventuellement en faisant usage du droit qu’elle possède de prélever une prime d'or[21] en supprimant ainsi l'avantage de la différence d'intérêt et le motif du transfert. Ni la Banque d'Angleterre ni la Reichsbank allemande n'ont de tels moyens à leur disposition, mais du moins cette dernière cherche par une pression indirecte sur les exportateurs d'or à restreindre, en cas de situation financière tendue, leurs opérations, politique qui, si elle se limite à ces cas d'exportation d'or, est pour l'économie nationale absolument rationnelle. Par ailleurs, cette restriction de la liberté de mouvement du capital-argent et des exportations de métal jaune est une des causes qui empêchent l'égalisation internationale des taux d'intérêt nationaux au même niveau.

Mais il en est tout autrement si la demande d'or, par exemple à la Reichsbank allemande, est due au fait que des Allemands ont à payer en Angleterre des marchandises ou des valeurs. Ils commenceront d'abord par acheter des traites en livres sterling à la Bourse de Berlin mais si le cours des traites s'élève au-dessus du pair, ils voudront les payer avec de l'or. Si la Reichsbank refuse de leur en donner, il leur faudra, pour ne pas être déclarés en faillite, se procurer de nouvelles traites en sterling ; cette demande aura pour effet de faire monter le cours des traites au-dessus du pair, ce qui signifie une dépréciation de la devise allemande, dépréciation que la politique bancaire a précisément pour but d'empêcher.

On peut par conséquent empêcher des sorties d'or qui ont pour but de simples opérations financières ; en revanche, il n'est pas possible de s'opposer à celles qui sont nécessaires pour s'acquitter d'obligations découlant du commerce des marchandises ou des valeurs sans déprécier la devise nationale.

Chapitre XIX. Capital-argent et capital productif pendant la dépression[modifier le wikicode]

Si nous considérons les phénomènes d'accumulation après la crise, la première constatation qui s'impose est que la période de reproduction suivante se déroule sur une échelle plus étroite. La production sociale est réduite. Peu importe à ce propos, du fait de la « solidarité des branches de production », que la surproduction se soit manifestée d’abord dans une sphère ou dans l'autre, car la surproduction dans les sphère principales signifie une surproduction générale. Il n’y a par conséquent aucune accumulation productive, aucune reconversion de profit en capital, aucune utilisation accrue de moyens de production. L’accumulation productive a donc disparu. Mais qu’en est-il de l’accumulation individuelle et des différents secteurs industriels ? Certes, la production se poursuit, quoique sur une base plus étroite. De même il est certain que; pour un grand nombre d’entreprise, surtout les mieux outillées dans les différents secteurs, comme ceux qui produisent les moyens de subsistance absolument nécessaire, on obtient du profit. Une partie de ce profit peut être accumulée. Mais le taux de profit a baissé et cette baisse peut avoir aussi pour résultat de diminuer le taux d’accumulation. De même a baissé la masse du profit, ce qui réduit également la possibilité d'accumulation. Enfin, si une partie de la classe capitaliste obtient du profit une autre partie supporte des pertes, qu'il faut couvrir par du capital supplémentaire pour éviter la faillite. Ainsi pendant la dépression, la production véritable n'est pas élargie. Sil y a par conséquent accumulation, il ne peut s’agir que d'accumulation sous forme d'argent. D’où provient cet argent ?

Représentons-nous encore une fois le schéma de la reproduction.

I 4 000 c + 1 000 v + 1 000 p, soit 6 000

II 2 000 c + 500 v + 500 p, soit 3 000

Ce serait là la production déjà diminuée par la crise. Cependant, les capitalistes ne produisent pas d'argent, mais des marchandises. Pour qu'ils obtiennent de l'argent, et cela en quantités supérieures à celles dont ils disposent déjà - car, autrement, il n'y aurait pas accumulation d'argent -, il leur faut transformer les marchandises en argent en renonçant à reconvertir l'argent en marchandises. Si II veut, sur ces 500 p, en accumuler, disons 250, il lui faut vendre les produits alimentaires (et cela à d'autres membres de la section II, car les échanges de II p se font à l'intérieur de cette section), sans acheter lui-même leurs marchandises aux autres membres, de cette section. Il reste par conséquent, au sein de la section II, 250 p non vendables. Si les uns réussissent à vendre, les autres restent avec leurs marchandises sur les bras. Il se produit ainsi un autre partage de capital-argent : les vendeurs reçoivent l'argent des acheteurs, mais il ne revient pas à ces derniers, étant donné qu'ils ne peuvent pas vendre leurs 250 p.

Nous obtenons le même résultat si nous supposons que les capitalistes du groupe I accumulent la moitié de leur plus-value. Ils peuvent alors vendre 1 000 v + 500 p, qui ont la forme de moyens de production, à II c. Ces derniers payent pour cela 1 500 en argent. Mais, comme I p n'achète plus 2 000 en produits alimentaires, mais conserve 500 c en argent, II c ne peut plus vendre maintenant que 1 500 . Il lui reste par conséquent 500 en produits alimentaires et 500 en argent de moins qui restent accumulés dans les mains de I. Or, si II c n'avance pas 1 000 en argent pour l'achat des moyens de production, mais que I commence le processus, il achètera pour 1 500 en produits alimentaires, avec cet argent II achètera à son tour des moyens de production pour 1 500, ce qui fait que pour I il restera 500 en moyens de production invendables : son espoir d'accumulation ne s'est pas réalisé. II continuera à réduire la production et commencera la reproduction avec 1 500 c en réduisant dans la même proportion son capital variable. Il a possédé 2 000 en argent pour faire l'échange avec I c, mais il n'a utilisé que 1 500, tandis que 500, qui fonctionnaient jusqu'alors en tant que capital-argent, restent immobilisés. A quoi vient s'ajouter la diminution de l'argent avancé en tant que capital variable.

Il apparaît ainsi qu'une simple accumulation d'argent à l'échelle sociale sur la base d'une production réduite ou du moins non élargie est impossible. Il ne peut y avoir qu'une accumulation individuelle, mais cela signifie uniquement que l'accumulation des uns n'est que partage différent du capital-argent des autres, changement qui doit entraîner de nouvelles perturbations de la reproduction. A cela rien n’est changé si nous considérons la classe des producteurs d'or elle-même ; ici assurément une accumulation d'argent est possible, mais elle trouve ses limites dans la grandeur du profit accumulé, obtenu dans cette seule branche de production. Les ventes des autres industries sont réduites du montant de cet argent accumulé, qui est thésaurisé. De quelque façon d'ailleurs qu'on veuille tenir compte de ce facteur, il est au point de vue quantitatif de trop peu d’importance pour qu'on puisse parler d’accumulation générale.

A cette situation le crédit n'apporte aucun changement : 2 000 (p + v) I doivent être vendus en échange des 2 000 c II. Mais une accumulation d'argent signifierait que I vend 2 000, mais qu’il ne rachète que 1 500 à II. Que ces échanges se fassent à l'aide de crédit ou non, I ne peut accumuler 500 en argent ou en crédit-argent ou en bon sur une production future que si II achète 2 000 à I. Mais il ne peut le faire que s’il paye, soit avec ses propres marchandises, ce qui dans notre hypothèse n'est pas possible, soit à l'aide d’un fonds de réserve d’argent, en quoi I n'accumule que ce que II perd. Il est par conséquent inexact que le capital immobilisé dans la période de dépression consiste en capital-argent accumulé sous forme d'argent ou de crédit. C’est du capital-argent libéré par la diminution de la production, qui a servi jusque-là à réaliser les échanges et est devenu superflu du fait que la production a diminué. Son immobilisation correspond à l'immobilisation du capital de production. Les forces productives, par suite de la diminution de la production, ne sont plus utilisées qu'en partie. Le capital constant nouvellement produit reste immobilisé et ne trouve pas d'emploi dans la production le capital-argent et les possibilités offertes par l'organisation du crédit telle qu'elle existe sont devenus trop grands par rapport aux échanges restreints ; ils restent confinés dans les banques et attendent d'être employés ce qui suppose l’expansion de la production.

C'est du reste une singulière idée, de la part des théoriciens des crises, de considérer précisément cette immobilisation du capital-argent comme le plus fort stimulant à l’accroissement de la reproduction[22]. Comme si l'arrêt des machines, avec le risque d'usure matérielle et morale qu’il comporte, la diminution de l'utilisation du capital fixe d’une façon générale, laquelle signifie, non seulement absence de profit, mais perte sèche et continue, ne constituaient pas un motif bien plus fort à l'expansion de la production que la baisse de l'intérêt du capital-argent ! Il ne s'agit pas de savoir si le motif qui pousse à l'accumulation après la crise est renforcé sous l'influence de la fluidité de l'argent, mais si, objectivement, il est possible ou non d'élargir la reproduction. D'ordinaire, on constate après la crise une forte fluidité de l'argent, et malgré cela il faut parfois des années pour que la prospérité revienne[23].

Il est amusant de constater combien les opinions des économistes bourgeois changent avec chaque nouvelle manifestation de la conjoncture. C'est ainsi que dans les journaux allemands la dernière crise a été expliquée presque exclusivement par l'enchérissement de l'argent ou l'insuffisance de capital-argent. Maintenant que l'on voit qu'en dépit du maintien de la fluidité internationale de l'argent la dépression continue, on découvre peu à peu que la prospérité ne dépend pas exclusivement de la situation du marché monétaire[24].

Les conceptions erronées sur les causes de la fluidité de l'argent pendant la dépression et de l'influence qu'elle exerce en vue d'y mettre fin reposent en dernière analyse sur le fait qu'au-delà des questions de forme économique on ne voit pas l'aspect matériel de la production sociale, tel que le montre l'analyse de Marx au tome II du Capital. On opère uniquement avec les notions économiques de capital, profit, accumulation, etc., et l'on croit avoir trouvé la solution du problème quand on a montré les rapports quantitatifs sur la base desquels la reproduction simple et la reproduction élargie sont possibles ou des perturbations doivent se produire. On oublie qu'à ces rapports quantitatifs correspondent des rapports qualitatifs, que ce ne sont pas seulement des sommes de valeur qui sont en face les unes des autres et qu'on peut mesurer entre elles, mais aussi des valeurs d'usage d'un genre déterminé qui doivent posséder certaines propriétés dans la production et la consommation ; que, dans l'analyse des processus de reproduction, ce ne sont pas seulement des parties de capital en général qui s'opposent, de telle sorte qu'un trop ou un pas assez de capital industriel peut être « compensé » par une partie correspondante du capital-argent, même pas non plus de capital fixe ou de capital circulant, mais qu'il s'agit de machines, de matières premières, de forces de travail nettement déterminées - techniquement déterminées -, qui doivent exister en tant que valeurs d'usage de ce genre spécifique pour éviter des perturbations[25].

En réalité, nous trouvons, lors de la crise, d'un côté, du capital industriel immobilisé : bâtiment, machines, etc., de l'autre, du capital-argent inutilisé. La même cause qui immobilise le capital industriel immobilise également le capital-argent. L'argent n'entre pas en circulation, ne fonctionne pas en tant que capital-argent, parce que le capital industriel ne fonctionne pas ; il est inoccupé parce que l'industrie est inoccupée. Le « phénix » n'arrête pas la production parce que le capital (capital-argent) lui fait défaut, ni ne la reprend parce que du capital-argent est mis en abondance à sa disposition. Tout au contraire, l'argent existe en abondance parce que la production est réduite. Le « manque » de capital-argent n'est qu'un symptôme de l'arrêt du processus de circulation par suite de la surproduction déjà existante.

Le crédit, premièrement, remplace l'argent comme moyen de circulation, et, deuxièmement, facilite le transfert d'argent. Mais, théoriquement, on peut en faire abstraction si l'on suppose la quantité métallique nécessaire pour une circulation purement métallique.

L'explication des phénomènes de conjoncture par les changements du taux d'intérêt, au lieu de l'explication des phénomènes qui se produisent sur le marché monétaire par les conditions de la production, est propre à presque tous les théoriciens modernes des crises[26]. Les raisons en sont faciles à déceler. Les phénomènes qui se produisent sur le marché monétaire se manifestent au grand jour, sont discutés quotidiennement dans la presse et exercent une influence déterminante sur la Bourse et la spéculation. En outre, l'offre de capital de prêt apparaît à tout moment en tant que grandeur déterminée et doit d'ailleurs apparaître telle, car autrement on ne comprendrait pas comment la demande et l'offre peuvent déterminer l'intérêt. Que l'offre de capital de prêt dépende, premièrement, de l'état de la production, et deuxièmement, de la proportionnalité des branches de production qui exerce une influence déterminante sur la durée de circulation des marchandises et, par là, sur la rapidité de circulation de l'argent-crédit, on ne le voit pas, de même que d'une façon générale on ne voit pas la différence qui existe entre le crédit de circulation et le crédit de capital (bancaire), d'autant moins que cette différence semble effacée par l'émission de papier-monnaie, et que tout crédit apparaît, avec le développement du système bancaire, comme du crédit bancaire. Mais, si l'on ne voit pas cette différence, alors l'évolution des phénomènes qui se produisent sur le marché monétaire apparaît dans une tout autre lumière ; le rapport de dépendance semble consister maintenant en ceci que l'expansion de la production exige davantage de capital. Capital est plus ou moins confusément identifié avec capital-argent. La production est élargie, la demande de capital-argent s'accroît, le taux d'intérêt augmente. Finalement, il se produit une pénurie de capital-argent, le taux d'intérêt élevé fait disparaître le bénéfice de la production, les nouveaux placements cessent, et la crise s'ouvre. Ensuite, pendant la dépression, du capital-argent est accumulé au lieu de se transformer immédiatement en capital de placement, idée absurde, car des machines, des docks, des voies ferrées ne sont pas produits avec de l’or. Le taux d'intérêt baisse, les capitalistes d'argent, mécontents du taux d'intérêt bas, placent de nouveau leur argent dans la production, et la prospérité revient. Abstraction faite de la confusion barbare qui est à la base de cette conception des économistes, lesquels, parce qu'ils appellent argent machines et force de travail du capital, font se convertir immédiatement un capital, à savoir l'argent, en l'autre, à savoir en machines, etc., et en force de travail ou, comme ils disent encore, le capital de circulation en capital de placement, les partisans de cette « théorie » ne voient pas que, même du point de vue purement comptable, leurs affirmations sont absurdes. Dans les pays capitalistes développés, les variations du taux d'intérêt ne dépassent pas 5 %, si nous considérons les fluctuations des taux d'escompte officiels de 2 à 7 %, à quoi nous ajouterons qu'à notre avis ces fluctuations sont portées par la législation restrictive sur les banques ou les erreurs de la politique d'escompte bien au-delà de la mesure économiquement rationnelle. Maintenant, les producteurs ont recours au capital-argent pour accroître la production ; autrement dit, la valeur prêtée, transformée en capital productif, augmente, donne du profit, dont l'importance dépend, toutes choses étant égales d'ailleurs, des prix. Or, les fluctuations des prix, pendant la période de haute conjoncture, sont autrement importantes que des fluctuations de 5 %. Un simple coup d'œil sur un tableau des prix montre que des fluctuations de 50 et même de 100 % et davantage ne sont pas chose rare. Certes, les profits peuvent ne pas s'accroître dans les mêmes proportions parce que les prix de revient augmentent. Mais, de toute façon, les augmentations du profit des industries pendant la période de haute conjoncture sont incomparablement supérieures à 5 %. Si les profits des industriels ne baissaient pas pour d'autres raisons, un taux d'intérêt de 7 % n'arrêterait vraiment pas l'accumulation. Si, par exemple, le Syndicat de la houille rhénano-westphalien pouvait écouler toute sa production à des prix de haute conjoncture, il n'hésiterait pas à verser un intérêt de 10 % pour le capital emprunté, qui ne représente qu'une partie de son capital, puisque même pour cette partie il obtiendrait encore, une fois payé l'intérêt, un bénéfice d'entrepreneur[27].

Cette idée singulière que l'intérêt dévore peu à peu le bénéfice de l'entrepreneur est encore renforcée par la confusion totale qui règne au sujet de notions telles que profit, bénéfice de l'entrepreneur, salaire de surveillance, intérêt, dividende, etc. Avec l'extension des sociétés par actions, cette confusion n'a fait que s'aggraver. Le dividende apparaît comme un intérêt, mais un intérêt singulièrement fluctuant par rapport à l'intérêt de prêt fixé à tout moment. La différence entre capital de prêt et capital productif n'apparaît plus maintenant comme celle existant entre un capital portant intérêt et un capital producteur de profit ; ils apparaissent plutôt l'un et l'autre comme capital portant intérêt. Avec cette seule différence que le capital « fluide » rapporte toujours un intérêt déterminé à tout moment, qui est coté chaque jour en Bourse, tandis que le capital « fixe » rapporte un intérêt que l'on ne connaît que par la déclaration de dividendes. La différence en ce qui concerne la sécurité du revenu est encore expliquée par celle qui existe entre le capital « fluide », c'est-à-dire le capital-argent, et le capital « fixe », c'est-à-dire le capital industriel. Si l’on confond ainsi toutes les différences qualitatives, il n'est pas étonnant qu'on édifie sur les différences quantitatives les conceptions les plus biscornues et qu'on s'imagine avoir trouvé dans les fluctuations de l'intérêt une explication suffisante permettant de faire comprendre le mécanisme du renversement de la conjoncture.

Chapitre XX. Les changements dans le caractère des crises. Cartels et crises[modifier le wikicode]

Le développement de la production capitaliste amène aussi certains changements dans la façon dont se manifestent les crises et que nous allons examiner maintenant. En quoi il ne peut s’agir que d'une tentative en vue d’esquisser les grandes lignes générales, laissant aux historiens le soin de montrer en détail, et pour chaque pays séparément, les changements qui se manifestent dans les crises. On ne pourra ici qu'essayer de montrer le général dans le particulier, ce qui est d'autant plus difficile qu'avec le progrès du capitalisme l'enchevêtrement international des phénomènes économiques devient de plus en plus serré et que, par conséquent, lors des crises, les phénomènes d'un pays déterminé, avec toutes ses particularités de développement à la fois au point de vue du temps de la technique et du degré d’organisation, se répercutent sur la crise des autres pays. C’est ainsi que, par exemple, les manifestations de la récente crise européenne de 1907 ne peuvent se comprendre qu’en tant que répercussions de la crise américaine. Le caractère particulier de cette crise, laquelle fit apparaître les manifestations de la crise financière et bancaire sous une forme tellement parfaite qu'elle n'avait pas atteinte depuis longtemps en Europe, eut comme conséquence sur les marchés financiers européens des phénomènes spécifiques qui, en plus d'un détail auraient pu être évités.

D'un autre côté, il est tout aussi impossible de tirer des lois générales concernant le changement des crises de l’histoire des crises dans un seul pays, par exemple l'Angleterre, parce que, précisément la crise est un phénomène du marché mondial - plus elle dure et plus c'est le cas - et que les crises d’un seul pays peuvent connaître, du fait des particularités du développement capitaliste dans ce pays, certaines modifications, qu'il serait faux de vouloir généraliser[28].

Si nous voulons constater par conséquent les changements qui se produisent dans les phénomènes des crises, nous devons pouvoir les fonder théoriquement, pour avoir la certitude qu'il ne s'agit pas de phénomènes particuliers, correspondant à une phase spéciale du capitalisme, au total peut-être fortuits, par conséquent, mais de tendances tenant à l'essence même du développement capitaliste.

Le capitalisme se développe dans une société où la production des marchandises occupe une place encore relativement faible. C'est son extension seulement qui entraîne le développement de la production des marchandises, la création du marché national et du marché international en voie d'élargissement constant. Cet élargissement crée les conditions dans lesquelles des crises peuvent se produire. Aussi longtemps que la production capitaliste se développe au sein d'une économie destinée à la satisfaction des besoins familiaux et dans le cadre d'une production de marchandises artisanale destinée au marché local et non capitaliste, les crises ne pèsent de tout leur poids que sur la superstructure capitaliste. Elles frappent ainsi des branches de production dont les débouchés peuvent être presque complètement fermés, parce que la circulation nécessaire aux échanges organiques de la société est assurée par la production artisanale, et le reste par la production familiale. La crise peut entraîner ici, dans le domaine capitaliste de la production, les plus grandes dévastations, en rendant pour quelque temps les débouchés complètement impossibles, à condition que les causes de cette crise soient par ailleurs assez fortes pour paralyser la production, ce qui, nous le verrons, est souvent le cas.

Avec le développement de la production capitaliste, la production artisanale et celle qui a pour but la satisfaction des besoins familiaux disparaissent de plus en plus. La crise affecte maintenant une production dont l'accroissement est déterminé par la nécessité de couvrir les besoins sociaux beaucoup plus considérables, tant relativement qu'en chiffres absolus. Avec le développement de la production s'accroît aussi cette partie qui doit être poursuivie en toutes circonstances et dont la poursuite empêche l'arrêt complet du processus de production et de circulation. Cela se manifeste en ceci que ce sont les branches d'industrie destinées à la consommation qui sont les moins touchées par la crise et d'autant moins qu'il s'agit de produits de grande nécessité, dont la consommation n'est soumise qu'à de très légères fluctuations.

Des changements dans les phénomènes des crises doivent aussi intervenir du fait des progrès de la concentration capitaliste. Avec les dimensions de l'entreprise individuelle croît sa force de résistance. Plus l'entreprise est petite, plus il est vraisemblable que l'effondrement des prix aura pour conséquence une faillite complète. Le petit entrepreneur perd peut-être tous ses débouchés ; la chute des prix et l'arrêt du travail rendent impossible la conversion de son capital-marchandises en capital-argent. Il ne peut pas s'acquitter de ses dettes, car il ne possède pas de capital de réserve et, surtout en période de crise, n'obtient aucun crédit. La crise mène ainsi à un effondrement en masse des petites entreprises capitalistes, par refus de crédit, à des faillites en série, des cessations de paiements, des krachs bancaires, une panique générale. A quoi il faut ajouter que les différences techniques sont aussi plus grandes. A côté d'entreprises modernes, il y a des entreprises encore partiellement artisanales ou appartenant à l'époque de la manufacture, auxquelles la chute des prix ne permet pas de se maintenir. Mais leur effondrement en masse mène aussi à la ruine des entreprises parfaitement viables au point de vue technique[29].

Tout autre est la situation de la grande entreprise moderne en face de la crise : sa production est si considérable qu'une partie peut se poursuivre même pendant la crise. Le trust américain de l'acier peut être contraint de réduire sa production de moitié, mais il n'a pas besoin de la réduire au-dessous d'un certain seuil. Avec la concentration des entreprises croissent ainsi les dimensions dans lesquelles la production peut être maintenue.

Le développement de la production capitaliste entraîne par conséquent, d'une façon tant relative qu’absolue, l’accroissement de cette partie de la production qui se poursuit en toutes circonstances. Par là s’accroissent également les dimensions de la circulation des marchandises qui n’est pas affectée par la crise mais aussi le crédit de circulation fondé sur elle. L'effondrement du crédit n'est donc bas aussi complet que dans les crises de la période de début du capitalisme. Toutefois, l'évolution de la crise de crédit, d'une part, vers la crise bancaire, de l'autre, vers la crise financière, est rendue difficile par les changements intervenus dans l'organisation du crédit, d’une part, et les rapports entre le commerce et l'industrie, d'autre part.

La crise du crédit se transforme en crise financière quand l'effondrement du crédit crée une pénurie soudaine de moyens de paiement[30]. Mais cette pénurie se manifeste d'autant plus difficilement que sont plus grandes les dimensions de la production qui se maintient en toutes circonstances. Car l'argent-crédit peut continuer à remplir ses fonctions dans la même mesure. Ainsi, plus grandes sont les dimensions des transactions à régler à l'aide du crédit, plus le crédit commercial est remplacé par le crédit bancaire. Car il est plus difficile d'ébranler le crédit bancaire que celui d'un industriel isolé. Mais le facteur déterminant est que la pénurie de moyens de paiement ne se manifeste pas, parce que le développement du crédit réduit même pendant la crise les besoins de moyens de paiement et que, par exemple, le mouvement des chèques et des instituts de clearing se poursuit. Mais ces moyens de paiement peuvent être mis à disposition par les banques d'émission dont le crédit, même pendant la crise, reste intact. Nous avons vu que la circulation des billets est fondée sur la circulation des traites. Celle-ci diminue parce que sa base, la circulation des marchandises, diminue. Mais la circulation des billets diminue plus fortement que cette dernière parce que le crédit commercial est ébranlé. La banque remplace maintenant celui-ci par le sien propre, dans la mesure où la véritable circulation des marchandises le permet. Elle peut, par conséquent, mettre son argent-crédit à disposition pour les véritables besoins de la circulation et satisfaire la demande de moyens de paiement. Mais, par là, elle réduit cette demande de moyens de paiement à ses besoins, véritables nécessaires pour la circulation et empêche cette demande quasi illimitée qui, née de la crainte de ne pas détenir de moyens de paiement même en échange des meilleures garanties, dépasse les besoins véritables et mène à l'accroissement de l’accumulation, par conséquent de nouveau à la diminution des moyens de paiement. Pour que la banque d'émission puisse accomplir cette tâche, il est nécessaire, d'abord, que son crédit soit intact, ce qui, si elle est bien dirigée, est une condition facile à remplir, ensuite que l'émission de billets accrue ne mette pas en danger leur convertibilité. Cette condition est remplie par le soin, dicté à la banque par son propre intérêt, de n’accorder ses billets pendant la crise qu'en échange d'une sécurité absolue, ce qui lui donne la garantie qu'elle n'agit que pour les besoins véritables de la circulation dans les limites données par la crise. Ensuite, que cette convertibilité soit protégée contre des hasards imprévus par une réserve suffisante d'argent liquide, avant tout par de l'or. Mais cette condition est remplie, avec le développement du régime capitaliste, par l'accroissement de la production d'or, l'accumulation de l'or dans les banques et la limitation de la fonction de cet or au rôle de réserve. Par le développement du crédit, l'or est de plus en plus strictement consacré à équilibrer la balance internationale des paiements. Quoique les proportions des paiements internationaux s'accroissent d'une façon colossale, grâce au développement de l'argent-crédit fonctionnant sur la base internationale, le solde à régler en argent liquide ne s'accroît pas dans les mêmes proportions que la réserve d'or accumulée dans les pays de développement capitaliste avancé, ce qui permet aux banques d'émission de satisfaire aux demandes accrues pendant la crise. A condition, bien entendu, qu'elles ne soient pas entravées dans leurs fonctions économiques par les contraintes légales, comme c'est le cas en Angleterre par les « Actes de Peel » et aux Etats-Unis par les prescriptions absurdes de couverture qui y ont provoqué des crises financières au sens le plus typique du terme.

Mais l'absence de la crise financière préserve le crédit d'un effondrement complet et constitue par là un moyen préventif contre le déclenchement de la crise bancaire. La ruée sur les banques ne se produit pas, le retrait des dépôts ne prend pas un caractère dramatique, et les banques, pour peu qu'elles soient solvables, peuvent faire face à leurs obligations. Cependant, dans la mesure où la crise bancaire n'est pas la conséquence de la crise de crédit et de la crise financière, mais provient de l'immobilisation des ressources bancaires et des pertes provenant des allocations de crédit, le développement capitaliste manifeste ici aussi des tendances qui ont pour résultat une atténuation de la crise pour le capital.

Le rôle le plus important revient ici à la concentration bancaire. Elle permet, grâce à l'énorme extension des affaires dans des domaines économiques nationaux comportant des phases différentes de développement capitaliste, une beaucoup plus grande répartition du risque. Mais, ainsi, cette concentration croissante des banques va de pair avec un changement de leur position à l'égard de la spéculation, du commerce et de l'industrie. Avant tout, la concentration des banques signifie un déplacement de force en leur faveur du fait de leur grande puissance financière. Non seulement cette puissance est quantitativement plus considérable que celle des débiteurs de la banque, mais cette supériorité est aussi qualitative, en ce sens que la banque dispose du capital sous sa forme toujours prête à servir, celle d'argent. Cette supériorité empêche qu'une grande banque bien dirigée devienne à ce point dépendante du sort d'une ou plusieurs entreprises où elle aurait placé ses fonds qu'elle soit entraînée dans leur faillite.

Si l'on examine en détail les causes qui empêchent le déclenchement de la crise bancaire, on constate tout d'abord que la spéculation a beaucoup perdu en extension et en importance, aussi bien la spéculation sur les marchandises que celle sur les valeurs. Par spéculation sur les marchandises, nous entendons ici, non seulement la spéculation boursière, mais avant tout celle du commerce des marchandises, la demande de marchandises de la part des commerçants dans l'attente que les prix monteront, et l'accumulation de grands dépôts de marchandises pour faire monter les prix en réduisant l'offre. Cette spéculation recule avec l'élimination du commerce en général, l'accroissement des rapports directs entre producteurs et consommateurs et la transformation des commerçants en agents appointés des syndicats et des trusts. Cela empêche jusqu'à un certain point qu'en période de haute conjoncture les prix soient portés d'une façon spéculative très au-dessus du niveau fixé par les producteurs et qu'on fasse croire encore à des ventes abondantes au moment où en réalité elles ont déjà commencé à s'arrêter[31].

Mais là où le commerce de gros - et il ne s'agit ici que de ce dernier - a réussi à maintenir ses positions en face de l'industrie ou des sections commerciales des grandes banques, il manifeste lui-même une forte concentration et réduit considérablement la participation d'éléments plus faibles ou indépendants. Là où, par contre, en raison de conditions particulières, le commerce des marchandises en Bourse joue encore un rôle spécial, les mouvements de la spéculation sont de plus en plus contrôlés par les banques, auxquelles le développement de l'organisation donne de plus en plus la disposition de tout le capital-argent et qui sont ainsi en mesure de maintenir la spéculation à l'intérieur de certaines limites.

Enfin, ce qui a pour effet de restreindre la spéculation sur les marchandises, c'est le développement des moyens de transport, qui a raccourci les distances séparant du marché les marchandises faisant particulièrement l'objet de la spéculation, ainsi que celui du service d'informations, chargé de fournir à tout moment des renseignements sur l'état du marché. L'accumulation de produits invendables sur des marchés lointains, pendant que sur les lieux de production celle-ci se poursuit à l'ancien rythme ou à un rythme accru, est devenue beaucoup plus difficile. En outre, du fait de la diminution de la part relative des moyens de consommation, la spéculation sur les produits coloniaux qui, dans les crises anglaises d'autrefois, jouait un rôle si néfaste, a perdu beaucoup de son importance grâce à la sécurité et à la régularité des importations, la précision et la rapidité des informations sur l'état du marché. A quoi il faut ajouter que la spéculation sur les marchandises perd de son importance avec les dimensions croissantes que prennent les industries de moyens de production, dont les produits ne sont pas objet de spéculation, parce que destinés à une clientèle spéciale et bien déterminée.

Conjointement agissent les changements intervenus au cours des phénomènes de crise dans l'industrie et le renforcement du contrôle des banques sur l'industrie. Nous avons vu que la concentration croissante des entreprises industrielles renforce leur capacité de résistance quant à la conséquence ultime de la crise, la faillite. Capacité de résistance encore renforcée par la forme d'organisation de la société par actions qui, nous l'avons vu également, accroît considérablement l'influence des banques sur l'industrie. Car la société par actions permet à l'entreprise de poursuivre la production sans profit et même avec pertes, parce que les placements de capitaux sont ici plus faciles que pour l'entreprise individuelle. En outre, il est plus facile à la société par actions d'accumuler des réserves et de se prémunir dans les bonnes années contre les mauvaises. Enfin l'utilisation des ressources et avant tout du capital emprunté est soumis à un contrôle plus facile, donc plus strict. Les banques contrôlent directement les dépenses des sociétés qu'elles soutiennent avec leur crédit. Ce contrôle est appliqué d'autant plus systématiquement que la tendance va vers l'assujettissement des entreprises industrielles aux banques. Celles-ci interdisent l'emploi du crédit à d'autres objectifs que ceux de l'entreprise elle-même. Dans les crises d'autrefois, le fait que les entrepreneurs individuels participaient à des opérations spéculatives en utilisant le capital destiné à l'entreprise, et en faisant marcher celle-ci avec du capital emprunté, jouait un rôle considérable. Aujourd'hui le contrôle de la banque interdit de telles pratiques.

C'est par conséquent une conception erronée de vouloir s'opposer à la pénétration, nécessaire et inévitable, parce que découlant des lois du développement capitaliste, des banques dans l'industrie, comme constituant un danger pour les premières, et de considérer en revanche le système bancaire anglais retardataire, avec sa division du travail en banque de dépôts et banques d'affaires, comme l'idéal qu'il faut atteindre, au besoin par la contrainte légale. Cette conception prend l'apparence de ce système pour la réalité : elle ne voit pas qu'en Angleterre également les banques mettent leurs fonds à la disposition de l'industrie, du commerce et de la spéculation. Que cela se fasse en Angleterre à l'aide d'intermédiaires, en Allemagne, et sous une forme un peu différente aux Etats-Unis, d'une façon directe[32], s'explique par des causes historiques déterminées. Mais le procédé anglais est arriéré et du reste en voie de disparition, parce qu'il rend difficile le contrôle du capital prêté par les banques et interdit par là même l'extension du crédit bancaire.

Enfin, et ici nous pouvons nous référer à ce qui a été dit dans le chapitre sur la Bourse, la spéculation sur les valeurs joue, en tant que facteur de la crise bancaire, un rôle de plus en plus faible. A mesure que les banques accroissent leur puissance, les mouvements de la spéculation sont contrôlés par celles-ci et non le contraire. Et à mesure que le rôle de la Bourse en général décroît, son importance en tant que facteur d'aggravation de la crise décroît encore plus rapidement.

En même temps que l'influence de la spéculation diminue, on constate un changement dans la psychologie du public capitaliste. Ce changement d'attitude de la part du spéculateur, aussi primitive que soit, en réalité, la psychologie de ce dernier, en dépit des facultés divinatoires et des plans romantiques d'amélioration du monde qu'on lui prête, trouve son explication dans ce lieu commun propre à l'homme capitaliste : l'expérience rend... moins bête. Ces psychoses de masse, telles que la spéculation en provoque au début de l'ère capitaliste, ces temps heureux où chaque spéculateur se sentait comme Dieu le Père, qui tire un monde du néant, semblent passés irrémédiablement. L'escroquerie des tulipes avec son fond idyllique d'amour poétique des fleurs, celle des mers du Sud avec ses visions d'aventures et de découvertes merveilleuses, les projets de Law avec leurs visées de conquête mondiale, font place à la chasse au gain différentiel, qui prend fin avec le krach de 1873. Depuis, la foi en la puissance merveilleuse du crédit et de la Bourse a disparu, le beau culte catholique a, malgré Bontoux, succombé devant la froide réflexion qui ne veut plus croire à l'Immaculée Conception par l'Esprit de la spéculation, mais prend le naturel pour ce qu'il est et laisse la foi aux imbéciles. La Bourse a perdu ses croyants et conservé uniquement ses prêtres, qui font leur affaire de la croyance des autres. Etant donné que la croyance est devenue une affaire, l'affaire de la croyance devient de jour en jour moins rentable. L'aimable et fructueuse folie est passée, les tulipes depuis longtemps fanées, le caféier donne encore un profit commercial, mais plus de véritable bénéfice de spéculation. La prose a tué la poésie du gain.

Les indications ci-dessus font apparaître les causes qui provoquent un changement dans les phénomènes de crises, dans la mesure où elles sont dues au nombre considérable des faillites, à la gravité de la crise boursière, bancaire, monétaire, financière, etc. Elles n'excluent absolument pas l'apparition de telles crises, mais elles expliquent pourquoi elles éclatent plus difficilement. Qu'elles éclatent dépend de la gravité des perturbations et de la soudaineté de leur apparition. Qu'elles soient si graves qu'elles puissent mener à la ruine une des grandes banques d'Allemagne, à direction normale, bien entendu, est une question de fait et non de théorie. Mais toutes ces indications ne concernent pas l'apparition de la crise industrielle elle-même, le passage de la prospérité à la dépression. La question est de savoir si le changement qui s'est produit dans la forme d'organisation de l'industrie, si le monopole, grâce à sa prétendue suppression de la force régulatrice du mécanisme capitaliste, la libre concurrence, peuvent amener des changements d'ordre qualitatif dans les phénomènes de conjoncture.

Nous savons que les cartels peuvent provoquer un changement du niveau des prix. Ils créent un niveau différent du profit dans les branches de production cartellisées et celles qui ne le sont pas. Sur cette base différente se déroulent ensuite les phénomènes de conjoncture, qui connaissent eux-mêmes certaines modifications du fait des cartels. Mais on a attribué et on attribue encore maintenant en partie un autre effet aux cartels. Non seulement ils auraient pour résultat de modifier l'effet des crises, mais ils seraient en mesure de les supprimer complètement, du fait qu'ils règlent la production et peuvent adapter à tout moment l'offre à la demande.

Cette opinion ne tient absolument pas compte de la nature interne des crises. C'est seulement si l'on voit la cause de la crise simplement dans une surproduction de marchandises due à l'ignorance de la situation du marché qu'on peut croire que les cartels peuvent supprimer les crises en restreignant la production.

Que la crise soit identique à la surproduction de marchandises ou qu'elle ait celle-ci pour « cause » paraît comme une certitude irréfutable. Cela semble évident. Les prix sont bas parce que l'offre dépasse la demande, donc parce que, précisément, il y a trop de marchandises, et un simple coup d'œil sur les cours des halles montre que les entrepôts sont bondés, les marchandises invendables et que par conséquent il y a surproduction de marchandises. Mais les cartels sont en mesure de restreindre la production pour toute la branche d'industrie en question : ce que faisait autrefois la loi aveugle des prix, qui amenait toute une série d'entreprises, par la baisse des prix, à la faillite. Cette restriction bénie de la production est assurée maintenant d'une façon plus rapide et moins dramatique par l'intelligence associée des dirigeants cartellisés de la production. Bien plus, comme le cartel peut fixer les prix, veiller à tout moment à accorder l'offre et la demande, qu'il exclut la spéculation, contrôle et surveille le commerce, quand il ne s'en charge pas directement, pourquoi ne lui serait-il pas possible, en adaptant strictement la production aux besoins, de supprimer complètement les crises, d'empêcher rapidement et sans difficulté de petites perturbations de la vie économique ?

Ce serait trop beau. Identifier purement et simplement crise avec surproduction de marchandises, c'est oublier le principal, à savoir le caractère capitaliste de la production. Les produits ne sont pas seulement des marchandises, mais des produits de capital, et la surproduction pendant la crise n'est pas seulement surproduction de marchandises, mais surproduction de capital. Ce qui signifie ceci, que le capital est investi dans la production dans une mesure telle que ses conditions de mise en valeur sont entrées en contradiction avec ses conditions de réalisation, de telle sorte que l'écoulement des produits ne donne plus le profit qui seul rend possible une nouvelle expansion, une nouvelle accumulation. Par conséquent, identifier la crise capitaliste tout simplement avec la surproduction de marchandises, c'est ne voir que la surface des choses. Qu'il ne peut s'agir d'une simple surproduction de marchandises c'est ce qui ressort du fait que, quelque temps après la crise, le marché se révèle capable d'absorber une quantité beaucoup plus grande de marchandises. Chaque nouvelle période de prospérité dépasse considérablement la précédente, quoique ni l'accroissement de la population ni celui du revenu mis à la disposition de la consommation ne puissent expliquer un tel phénomène. Mais il s'agit en réalité de tout autres facteurs que la simple capacité de consommation.

Les perturbations dans le règlement des prix qui mènent finalement aux rapports de disproportionnalité et, par là, à la contradiction entre les conditions de mise en valeur et les conditions de réalisation, ne sont pas atténuées, mais au contraire aggravées par les cartels.

Ces derniers ont pour résultat que la concurrence au sein d'une branche de production déterminée cesse, ou plus exactement, devient latente, que l'effet de la concurrence tendant à la baisse des prix n'agit pas a l'intérieur de ce secteur et en outre que la concurrence des sphères cartellisées sur la base d'un taux de profit plus élevé se poursuit contre les industries non cartellisées. Mais ils ne peuvent rien changer à la concurrence entre les capitaux pour les sphères de placement, aux effets de l'accumulation sur la formation des prix, et par conséquent n'empêchent pas l’apparition de rapports de disproportionnalité.

Nous avons vu que pendant la période de prospérité la concurrence à l'intérieur de la même sphère de production ne fait pas baisser les prix ; la demande dépasse l'offre et, dans ce cas, il y a concurrence entre les acheteurs, non entre les vendeurs.

C'est seulement quand l'offre dépasse la demande qu'il y a concurrence entre les vendeurs et que les prix commencent à baisser. Mais que les cartels suivent la formation des prix et ne la déterminent pas, c'est ce qui ressort du mécanisme même de la production. Supposons que les cartels maintiennent dans la période de prospérité leurs prix bas ; il n'y a pas alors augmentation du profit, pas d'accumulation accrue. Si les prix des industries cartellisées restaient bas, pendant que ceux des industries non cartellisées montaient, le capital quitterait l’industrie cartellisée et il y aurait bientôt surproduction de capital dans les industries non cartellisées, sous-production dans les autres, disproportionnalité très forte qui mènerait à une crise générale car la crise est possible également avec une production non élargie ou même restreinte. En réalité, le cartel aurait été brisé depuis longtemps, car la soif de profit n’aurait pas été satisfaite, mais au contraire aggravée, ce qui aurait fait disparaître la raison d'être du cartel. Le règlement partiel, c'est-à-dire le groupement d’une branche d’industrie en une seule entreprise, reste précisément sans effet sur les rapports de proportionnalité de l'industrie tout entière. L'anarchie de la production n’est pas supprimée par une diminution quantitative des différents éléments avec renforcement simultané de leur efficacité et de leur intensité ; elle ne peut pas être supprimée par termes ou graduellement. Production réglée et production anarchique ne sont pas des oppositions quantitatives, de telle sorte qu'en ajoutant petit à petit toujours plus de « règlement », l'anarchie deviendrait organisation consciente. Qui exerce le contrôle et dirige la production, c'est une question de pouvoir. Un cartel général serait économiquement concevable, qui dirigerait l'ensemble de la production et supprimerait ainsi les crises, bien que ce soit socialement et politiquement une impossibilité, car il se heurterait à l'antagonisme des intérêts, poussé à l'extrême. Mais attendre des cartels individuels une suppression de la crise témoigne seulement de l'incompréhension des causes des crises et du mécanisme du système capitaliste.

Pas plus que les cartels ne peuvent empêcher les crises, ils ne peuvent se soustraire à leurs effets. Certes, si l'on voit dans la crise une simple surproduction de marchandises, le remède est simple. Le cartel restreint la production, réalise par conséquent à une allure accélérée, peut-être même sur une échelle plus vaste, ce que la crise aurait obtenu de son côté en provoquant des faillites et des fermetures d'entreprises ; les conséquences sociales, notamment le chômage et la baisse des salaires, seraient bien entendu les mêmes ; les capitalistes cartellisés pourraient maintenir les prix élevés, puisque l'offre serait fortement réduite, les prix resteraient élevés, mais le profit aurait diminué, parce que les ventes seraient plus faibles et que les coûts de production auraient augmenté ; au bout d'un certain temps, le marché aurait absorbé les produits en excédent et la prospérité pourrait revenir. En fait, ce raisonnement est aussi simple qu'il est faux. Pour que la prospérité puisse renaître, deux conditions sont nécessaires : premièrement, l'établissement de la proportionnalité, deuxièmement, l'élargissement de la production, car cela seul signifie prospérité. Mais la politique de cartel décrite plus haut rendrait précisément plus difficile la réalisation de ces deux conditions. La réduction de la production signifie arrêt de tout nouveau placement de capital, et le maintien des prix élevés aggrave l'effet de la crise pour toutes les industries non cartellisées ou moins fortement cartellisées. Ici le profit diminuera encore plus fortement, ou les pertes seront plus grandes, ce qui aura pour résultat une réduction plus forte encore de la production. Par là, la disproportionnalité s'accroîtra encore davantage ; les ventes de l'industrie cartellisée diminueront encore, et il apparaîtra que, quoique fortement réduite, la surproduction, non seulement se poursuivra, mais ne fera que s'aggraver. Mais une nouvelle réduction de la production signifie une nouvelle immobilisation de capital avec les mêmes frais généraux, donc nouvel accroissement du prix de revient et par conséquent nouvelle diminution du profit, même avec le maintien des prix élevés. Dont le montant attire des outsiders : ceux-ci peuvent compter avec des frais de placement et de travail peu élevés, puisque tous les prix ont baissé et c'est pourquoi ils deviennent compétitifs et commencent à concurrencer le cartel. Ce dernier ne peut plus tenir les prix, et cette chute des prix s'étend à l'industrie cartellisée. Les interventions artificielles sont corrigées et la formation des prix obéit aux lois que les cartels s'efforçaient vainement d'exclure pour eux-mêmes[33]. Sur la base de la nouvelle formation des prix, on assiste à une nouvelle répartition du capital entre les différentes sphères de production, et peu à peu de nouveaux rapports de proportionnalité s'établissent, la dépression est surmontée. La prospérité peut revenir, dès que des améliorations techniques ou de nouveaux débouchés provoquent une nouvelle demande, laquelle entraîne à son tour de nouveaux placements de capital productif, avant tout de capital fixe.

Les cartels ne suppriment donc pas les effets des crises. Ils les modifient seulement, dans la mesure ou ils rejettent tout le poids de la crise sur les industries non cartellisées. La différence du taux de profit dans les industries cartellisées et les autres, qui est en moyenne d'autant plus grande que le cartel est plus solide et son monopole mieux assuré, diminue pendant la période de prospérité et s’accroît pendant la dépression. Le cartel peut également, pendant les premiers temps de la crise et de la dépression, maintenir le profit plus longtemps que les industries libres et aggraver pour celles-ci l'effet de la crise. Ce fait n'est pas sans importance parce que c'est précisément pendant la crise et quelque temps après que la situation des industriels est la plus difficile et leur dépendance le plus menacée. Que précisément pendant cette période la politique du cartel ne leur offre aucun soulagement par la diminution du prix de leurs matières premières, etc., est un facteur important pour l'aggravation de la situation dans les industries non cartellisées et l'accélération de la tendance à la concentration.

  1. Abstraction faite des survivances de l'ancienne production pour les besoins propres, telle qu'elle se maintient notamment dans l'exploitation paysanne, cette production joue dans la société capitaliste également un rôle là où le produit de l'entreprise elle-même devient un élément de la reproduction, comme par exemple le blé pour les semailles, le charbon utilisé dans la mine de charbon, etc. Avec le développement des combinaisons, s'accroissent les dimensions de cette sorte de production pour les besoins propres. Elle est telle parce que la marchandise n'est pas destinée au marché, mais employée comme élément du capital constant dans la même entreprise. Mais elle est entièrement différente pour la production destinée à couvrir les besoins familiaux des anciennes formes de société, puisqu'elle ne sert pas à la consommation, mais à la production de marchandises.
  2. « C'est une pure tautologie de dire que les crises proviennent de l'absence de consommation solvable ou de consommateurs solvables. Le système capitaliste n'en connaît pas d'autres, à l'exception des indigents ou des voleurs. Que des marchandises soient invendables, cela ne signifie rien d'autre que ceci, qu'elles n'ont trouvé pour elles aucun acheteur solvable, par conséquent des consommateurs (que ce soit pour la consommation productive ou la consommation individuelle). Mais si l'on veut donner à cette tautologie un semblant de signification en disant que la classe ouvrière obtient une trop petite partie de son propre produit et que c'est là un mal auquel on ne peut remédier qu’en lui donnant une part plus importante et en augmentant son salaire en conséquence, il convient d'observer que les crises sont chaque fois précédées d'une période où le salaire augmente en général et où la classe ouvrière reçoit en réalité une plus grande partie de cette fraction du produit annuel destinée à la consommation. Cette période devrait, au point de vue de ces chevaliers de la saine et simple (!) raison humaine, éloigner au contraire la crise. Il semble par, conséquent que la production capitaliste implique des conditions indépendantes de la bonne ou de la mauvaise volonté, qui ne permettent que momentanément cette prospérité relative de la classe ouvrière, et cela toujours uniquement en tant qu'annonciatrice d'une crise ». A propos de quoi Engels observe dans une note: « Ad notam pour d'éventuels partisans de la théorie des crises de Rodbertus » (Le Capital, II, pp. 400 sq.).
  3. Marx, Le Capital, I, pp. 225 sq.
  4. Mais il s'agit de suivre l'évolution ultérieure de la crise potentielle - la crise réelle ne peut être expliquée qu'en partant du mouvement réel de la production, de la concurrence et du crédit capitalistes - dans la mesure où elle est issue des déterminations de forme du capital qui lui sont inhérentes en tant que capital précisément et non impliquées dans sa seule existence en tant que marchandise et argent » (Marx, Théories sur la plus-value, II, 2, p. 286).
  5. C'est le mérite de Tougan-Baranowski d'avoir montré l'importance de ces études pour le problème des crises dans ses fameuses Etudes sur la théorie et l'histoire des crises commerciales en Angleterre. Ce qui est étonnant, c'est qu'il ait fallu le montrer.
  6. Marx, Le Capital, II, p. 463.
  7. Voir les autres exemples chez Marx, Le Capital, II, pp 512 sq.
  8. Marx, Le Capital, II ,p. 495.
  9. Ibidem, p. 496.
  10. Ibidem, p 499.
  11. Ibidem, p. 499.
  12. Ibidem, p. 500.
  13. Marx, Le Capital, II, pp. 164 sq.
  14. Au premier abord, la période de prospérité semble caractérisée par une hausse générale et égale des prix, la période de dépression par une baisse de même nature. C'est la raison pour laquelle on a cherché si longtemps et si opiniâtrement la cause de la crise dans un changement de valeur de l'argent. C'est là que la croyance superstitieuse en la théorie de la quantité trouve son plus ferme appui.
  15. « Indubitablement, le développement économique dans l'industrie minière et métallurgique en Lorraine-Luxembourg a été beaucoup trop rapide et a agi d'autant plus fortement que les nouvelles usines sont entrées en activité avec un certain retard, ce qui a contribué à accroître fortement la demande pendant la période de haute conjoncture. Mais, lorsque les nouvelles usines se mirent à produire, à la fin de l'année 1899 et au printemps de l'année 1900, le point le plus élevé de la conjoncture était déjà dépassé, ce qui fait qu'elles eurent pour résultat d'accroître l'offre... En sortant par conséquent de la catégorie des consommateurs et en apparaissant sur le marché avec leur propre production, ces usines eurent pour effet d'accroître considérablement la capacité de production, ce qui rendait une surproduction inévitable. » Les Perturbations dans la vie économique allemande au cours des années 1900 et suivantes, II, « L'Industrie minière et métallurgique », p. 48.
  16. Marx, Le Capital,I, pp. 94 et 95. Voir également Marx, Théories sur la plus-value, II, 2, pp. 289 sq.
  17. Marx, Le Capital, III, I, p. 98.
  18. Nous ne considérons ici, bien entendu, que la crise boursière qui n'est qu'un aspect de la crise commerciale générale. Les crises boursières et spéculatives peuvent aussi apparaître isolément : ainsi une crise boursière se produit souvent au début de la période de prospérité industrielle, quand la spéculation l'a escomptée trop tôt. Ce fut le cas notamment à Vienne en 1895.
  19. C'est ainsi que, pendant la dernière crise financière aux Etats-Unis, on força les exportations de coton et de céréales en Europe pour pouvoir se procurer de l'or.
  20. Ce qui est naturellement une vieille expérience. Un continental merchant anonyme le disait déjà aux membres du fameux Bullion committee en 1810. : « Je ne connais en fait que deux moyens pour égaliser un bilan commercial défavorable, ou l'envoi d'or ou la banqueroute » (Report, p. 101).
  21. La Banque de France prélève très souvent, lors des retraits d'argent une prime qui s'élève, en cas de forte demande pour l’étranger jusqu'à 0,8 ou 1 %, et, étant donné que l'étranger ne peut utiliser que de l'or, l'escompteur doit ajouter ce montant au taux d'escompte normal. En général, on peut être sûr qu'en cas de haut taux d'escompte sur l'étranger et taux d'escompte bas à Paris, la prime sera prélevée. Elle accroît l'intérêt, avec un montant de 0,5 % sur une traite à trois mois, de 2 % par an (Voir Sartorius, op. Cit., p. 263).
  22. A cette tentation même découlant de phénomènes économiques ont succombé non seulement Tougan-Baranowski, mais aussi Otto Bauer dans son pourtant remarquable exposé de la théorie marxienne des crises (Neue Zeit, XXIII, I, pp. 133 sq.).
  23. Ce fut notamment le cas au cours de la période de dépression qui suivit 1890. Toute l'année 1893 fut une année d'offre d'argent extrêmement abondante et de taux d'intérêt bas. A la fin de 1894, le taux de l'escompte bancaire à Londres était de 2 %, le taux d'escompte privé au milieu de mars de 1 %. Au milieu de janvier 1895, ce taux d'escompte privé variait entre 0,50 et 7/8 %. Mais, en dépit de la longue et très forte fluidité de l'argent, la prospérité ne revint qu'au cours de la seconde moitié de l'année 1895.
  24. D'une façon générale, on constate de nouveau, en liaison avec le déclin des études théoriques, cette mauvaise habitude qui consiste à tirer de quelques observations portant sur un petit nombre d’années des conclusions générales et d'élever les phénomènes d'une phase partielle d'un cycle industriel, et dans le meilleur des cas d'un certain cycle particulier, au niveau des lois générales. D’autres rejettent par contre toute idée de loi générale et se consolent avec la philosophie du « qui vivra verra ». Ils ramènent la science économique à un bavardage de concierge.
  25. Cette confusion est portée à son comble dans la théorie des crises de Tougan-Baranowski. Ce dernier ne voit que les particularités de forme spécifiques de la production capitaliste et néglige en cela les conditions naturelles communes à toute production quelle que soit sa forme historique, ce qui l'amène à cette conception étrange d'une production qui n'existe que pour la production tandis que la consommation ne lui apparaît que comme un accident gênant. Si c'est déjà là de la folie, elle représente pourtant une méthode, et même une méthode marxiste, car précisément cette analyse de la particularité de forme historique de la production capitaliste est spécifiquement marxiste. C'est du marxisme devenu fou, mais cependant du marxisme, ce qui rend la théorie du Tougan-Baranowski à la fois si étrange et si excitante. Tougan-Baranowski le sent du reste lui-même, s’il ne le sait pas. D'où sa polémique violente contre la « saine raison humaine » de ses contradicteurs.
  26. Cela ne date pas d'aujourd'hui. « Le caractère superficiel de l'économie politique se manifeste entre autres en ce qu'elle présente l'expansion et la contraction du crédit, simples symptômes des périodes successives du cycle industriel, comme en étant la cause » (Marx, Le Capital, I, p. 518).
  27. Qu'un intérêt élevé ne suffit pas à provoquer une crise, c'est ce que montre l'exemple suivant. En 1864, la balance des paiements de l'Angleterre était passive. Du fait de la guerre civile en Amérique, les importations de coton s'arrêtèrent, mais en revanche celles provenant des Indes orientales et d'Egypte augmentèrent ce qui accrut les importations en provenance de ces pays, lesquelles passèrent, pour les Indes orientales, de 15 millions de livres en 1860 à 52 millions en 1864 et, pour l'Egypte, de 10 millions de livres à près de 20 millions. La Banque d'Angleterre éleva le taux de l'escompte pour empêcher les sorties de métal. Pendant l'année 1864, ce taux passa de 6 à 9 %. Malgré cela, la crise se réduisit exclusivement au marché financier : sur le marché des marchandises il n'y eut qu'une hausse insignifiante et, « malgré un taux d'escompte qu'on n'avait vu jusqu’alors que pendant une grave pénurie d'argent, le commerce et l'industrie n’ont connu aucune perturbation sensible ». « Malgré la longue disette de coton, le commerce de l'Angleterre pendant tout ce temps ne connut aucune dépression » (Tougan-Baranowski, op. cit., p. 139).
  28. Erreur que Tougan-Baranowski, dans les conclusions à sa remarquable histoire des crises en Angleterre, ne semble pas avoir toujours évitée.
  29. « La crise de 1857 et plus encore celle de 1873 frappèrent un grand nombre d'entreprises, notamment dans l'industrie métallurgique, qui ne se distinguaient pas beaucoup entre elles du point de vue de la capacité productive ; de nombreuses usines qui du point de vue purement technique, étaient tout à fait viables furent précipitées par là dans l'effondrement général. La crise de 1900 frappa, à côté d'entreprises géantes des industries fondamentales un grand nombre d'entreprises d'organisation périmée selon nos conceptions modernes, que la vague de la haute conjoncture avait portées au sommet. La chute des prix, la baisse de la demande mirent ces usines dans une situation grave, dont il n'était pas question, sinon pour un temps très court, dans les entreprises géantes combinées. Par là, la crise récente a conduit à une concentration industrielle beaucoup plus forte que les précédentes, notamment celle de 1873, qui certes créa un choix, mais, étant donné l'état de la technique, pas un choix tel qu'il en résulta un monopole des entreprises sorties victorieuses de la crise. Un tel monopole ce sont principalement les entreprises géantes de l'industrie métallurgique et de l'industrie de l'électricité, et, à un degré moindre celles de la construction mécanique, des transports, etc., qui l'exercent grâce à leur technique complexe, leur organisation et leur puissance financière. Si cela n'est pas vrai pour certaines branches d’industrie plus « légères » et que pour ces dernières l'effet de la crise n'a pas fondamentalement changé par rapport aux précédentes, on comprend plus facilement que l'évolution récente du système bancaire soit tellement influencée par ces industries » (Jeidels, op. cit., p. 108).
  30. Cette condition suffit, quelles que soient les causes qui la déterminent. Dans la description du krach boursier d’Amsterdam en 1773, voici ce qu'on dit des conséquences d'une grande banqueroute : « On ne savait jusqu'où elle irait, quelles autres maisons seraient entraînées dans cette faillite. L'insécurité générale chassa le crédit, et en un instant il n'y eut plus d'argent liquide. L’un craignait de voir renvoyer sa traite, d'autres avaient peur de ne rien recevoir des sommes qui leur étaient dues, et tous n’attendaient que l’occasion d'acheter au plus bas prix, chacun craignait de dépenser son argent liquide, et c'est ainsi que la circulation s’arrêta presque complètement » (La Richesse de la Hollande, Leipzig, 1778, t. I, pp. 444 sq. Cité par Sartorius von Waltershausen, op. cit., p. 377). Qu'on compare à cela la description suivante de la situation des Bourses allemandes au moment où éclata la guerre de 1870. Le 4 juillet 1870 la Bourse de Berlin avait été d'excellente humeur. Pendant les jours suivants elle devint hésitante, le 8 juillet elle était fortement inquiète, le 11 juillet en pleine panique. Celle-ci dura huit à dix jours, jusqu'à ce que, la confiance revenue, le mouvement de baisse s'arrête ... Comme par enchantement, l’argent avait disparu de la Bourse. Le taux d'escompte à la Banque de Prusse monta jusqu'à 9 %, à Leipzig pour les emprunts sur gages à 10 %, à Lübeck 9 %, à Brême 8 %. Où était donc passé l'argent, qu'on pouvait quelques jours auparavant trouver abondamment à 3 et 3,50 % ? Que l'Etat l'ait absorbé dans des buts de mobilisation était exclu du fait de la décentralisation du système monétaire qui régnait alors en Allemagne et aussi à cause des réserves qui se trouvaient aux mains des banques émettrices d'un grand nombre de petits billets et dans celles des banquiers privés. La plus grande partie de cet argent était, restée dans les coffres où on le tenait enfermé et celui qui pouvait s'en procurer l'ajoutait au reste. C’est ainsi par exemple qu'on rapporte de Munich : « Il y eut un moment où, pour le meilleur papier et contre les meilleures garanties on ne pouvait trouver 500 florins; par contre, même des personnes privées croyaient devoir, au prix des plus grands sacrifices, se constituer une réserve d'argent liquide pour les cas d'extrême urgence. ». A Francfort-sur-le-Main, « les banquiers ne pensaient qu'à faire rentrer leurs avoirs, tandis que le public, de son côté, exigeait le versement immédiat des sommes déposées chez eux. Comme le montrait le gonflement rapide des virements en banque, on s'efforçait des deux côtés de se constituer une forte réserve d'argent liquide pour parer à toute éventualité ». Sur l'agio de l'argent liquide, on rapporte ce qui suit de Hanovre : « Chaque banquier, la Banque de Hanovre en tête, ne pensait qu’à soi ... Les bons de caisse et billets des banques privées allemandes étaient proscrits et le brave homme qui désirait des billets courants ou prussiens devait supporter une perte de 5 %, et le paysan voulait s'en défaire à tout prix devait payer 10 % et plus. » Et comme cette situation montre en plus petit tous les traits typiques de la récente crise financière américaine, le remède fut aussi le même : « Dans la période de la pénurie d'argent, au cour la deuxième moitié de juillet, on chercha à se tirer d'affaire par différents moyens. A Brême, le Sénat et la bourgeoisie décidèrent d'attribuer à certaines pièces d'or étrangères le caractère de moyen de paiement légal, ce qui ne servit pas à grand-chose, car cette monnaie, tout comme celle de la Ville, resta enfermée dans les coffres. A Stuttgart, une association de caisse fut créée, qui en circulation des bons de 50 à 500 florins à 3 % d'intérêt, remboursables en six mois. A Munich, la Hypotheken und Wechsel Bank mit en circulation des billets du même genre, à Francfort-sur-le-Main, des banques réputées accordèrent à la banque d'émission locale une garantie collective. Dès que cela fut possible, on fit venir du métal noble de l'étranger. Les banques et maisons d'importation de Brême furent à la fin de juillet en mesure de disposer de sommes considérables en souverains. Francfort fit venir de l'or de l'Angleterre et de l'argent de Vienne. Ces mesures se révélèrent assez efficaces contre la pénurie d'argent pour les payements, mais ne suffirent pas à apporter sur le marché des capitaux en quantité suffisante pour pouvoir satisfaire les besoins de l'Etat » (Sartorius, op.cit, pp. 323 sq.).
  31. En ce sens, la remarque suivante de Marx s'applique à la situation actuelle : « Avec le système moderne de crédit il (le capital commercial) dispose d'une grande partie du capital-argent global de la société, de sorte qu'il peut renouveler ses achats avant d'avoir vendu ce qu'il a déjà acheté… En dehors de la séparation de M-A et A-M, qui découle de la nature de la marchandise, il est ainsi créé une demande fictive ... D'où ce phénomène, dans les crises, qu'elles ne se manifestent pas en premier lieu dans le commerce de détail, qui a affaire à la consommation directe, mais dans les secteurs du commerce de gros et des banques, qui mettent à la disposition de ce dernier le capital-argent de la société » (Le Capital, III, 1, p. 288).
  32. A quoi rien n'est changé du fait que se glisse parfois entre la banque et l'entreprise une société de fondation propre, puisque celle-ci dépend directement de la banque.
  33. Cela est illustré par l'attitude du trust de l'acier, qui, en 1907-1908 réduisit sa production à l'extrême pour pouvoir maintenir ses prix. Un an plus tard, le marché du fer fut dérouté et entraîna dans sa chute tous les autres marchés des métaux.