Révolution égyptienne (2011-2012)

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Le processus révolutionnaire égyptien continue pendant les années 2011-2012. Durant cette période qui suit la chute de Moubarak, le niveau de conflictualité baisse légèrement mais reste très élevé, et les différents représentants de la bourgeoisie, incapables de satisfaire les revendications populaires, s'usent très vite au pouvoir : l'armée puis les Frères Musulmans.

1 Revendications sociales révolutionnaires[modifier | modifier le wikicode]

Moubarak parti, les revendications ne s'arrêtent pas pour autant. Il s'agit de revendications sociales, mais pour les prolétaires le lien est direct avec la politique : il s'agit de "dégager tous les petits Moubarak" (patrons, directeurs d'entreprises publiques, gouverneurs ou maires...). Mais l'opposition institutionnelle ne veut surtout pas entretenir de telles demandes populaires. Les Frères musulmans essaient quant eux de l'utiliser démagogiquement pour placer des membres à eux à des postes clés - mais très souvent ils deviennent rapidement la nouvelle cible de la colère.

Les grèves s'étendent rapidement, dans les banques, les hôpitaux, les magasins d'État, les usines textiles, le transport, les pétroliers... Il s'agit d'en finir avec les bas salaires, la précarité, d'imposer un salaire minimum, une protection sociale, voire la renationalisation des sociétés vendues, souvent à des groupes étrangers...).

Les travailleurs forgent leurs propres outils dans la lutte. La bureaucratie de la FSE est complètement discréditée par son soutien jusqu'au bout au régime Moubarak. En réaction, une Fédération égyptienne des syndicats indépendants (FESI) se crée le 30 janvier. Ses revendications sont le droit au travail, un salaire minimal de 1200 livres, une protection sociale, les droits à l’éducation, au logement, à la santé, la liberté syndicale et la libération des prisonniers politiques. Un syndicat paysan est aussi fondé dans le Delta.

Ces luttes ouvrières rendent le pays ingouvernable, à tel point que le 24 mars 2011, une loi sur les grèves et manifestations n’autorise que les mouvements sociaux qui ne gênent pas la production. Mais cette loi est inapplicable tant que les luttes sont si massives. Sur les seuls mois d'octobre-novembre 2012, on compte 2000 grèves, le record historique de la classe travailleuse égyptienne.

2 2011-2012, Usure de l'armée[modifier | modifier le wikicode]

Dans un premier temps, la plupart des occupants de la place Tahrir s'en vont, et l'armée en profite pour arrêter les autres. D'un côté elle reprime les mouvements collectifs, de l'autre elle essaie de plaire en rencontrant des blogueurs remarqués, ou des groupes autoproclamés représentatifs (dont des Frères musulmans et des libéraux principalement...).

Mais la contestation est loin de se tarir : il y a des manifestations tous les vendredis, des mutineries dans prisons, le gouverneur de Port-Saïd est mis en fuite par la population... Dans ce climat, la répression ne fait que raviver la flamme révolutionnaire. Le 25 février l'armée tabasse des manifestants de la place Tahrir avec des armes électriques, mais la révolte populaire est telle qu'elle doit présenter ses excuses sur Facebook. Les jeunes révolutionnaires sont très en colère de voir que les contestataires restent soumis à la prison, alors que Moubarak et les autres corrompus sont toujours en liberté. L'armée, qui était restée populaire, commence à se discréditer parmi l'avant garde du mouvement.

Le 19 mars, le CSFA organise un référendum à propos de quelques amendements démocratisant la Constitution, et ouvrant la voie au multipartisme aux prochaines élections. Avec une participation de 41%, le oui l'emporte (c'est dans les villes révolutionnaires comme le Caire et Alexandrie que le non est le plus fort).

Les élections législatives se déroulent en trois fois, de fin novembre 2011 à début janvier 2012. Les islamistes remportent une large majorité : Frères musulmans en tête avec 37,5 %, suivis par les salafistes à 27,8 %. Beaucoup de commentateurs occidentaux annoncent que le "printemps arabe" débouche sur un "hiver islamiste", relançant les racistes qui décrivent les arabes comme incompatibles avec "la démocratie". Mais la participation est inférieure à 54%, et sur les 50 millions de votants potentiels, cela ne fait que 35% de voix pour les deux grands partis islamistes. La majorité de la population ne se sent pas représentée par ces politiciens.

En mars 2012, une Assemblée constituante est élue, sans qu'elle représente personne. Les vieux politiciens hommes y sont omniprésents, mais très peu de jeunes, de femmes, de minorité copte... Elle est déclarée inconstitutionnelle en avril. En parallèle, les grèves sont massives de mars à avril.

Moubarak devrait être condamné à la peine de mort selon le droit égyptien, mais il est condamné à la prison à perpétuité le 2 juin.

Des élections présidentielles sont organisées en juin 2012. Malgré une loi interdisant les candidats de l'ancien régime, l'armée présente (en "indépendant") Ahmed Chafik, ancien ministre de Moubarak, premier ministre début 2011... Malgré les fraudes[1], le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, l'emporte de peu sur Chafik. A la surprise générale, le nassérien Hamdine Sabahi les talonne (avec un vote fort dans les villes et même en tête à Alexandrie et Port Saïd), ce qui reflète le progrès très rapide des idées "socialisantes". En 4ème position vient Abdel Moneim Abou El Fotouh, candidat des "jeunes frères" soutenu notamment par les Socialistes révolutionnaires. Mais la participation est encore plus basse (43,4 %), et Morsi est élu au second tour avec moins de 26% des votants potentiels.

Le 14 juin, le CSFA tente une sorte de coup d'État institutionnel, faisant déclarer invalides les élections législatives précédentes, et dissolvant l'assemblée. Il modifie aussi la constitution pour se préserver tout pouvoir sur l'armée et limiter ceux du président. Le 19 juin, de grandes protestations redémarrent sur la place Tahrir, cette fois directement contre l'armée. Le 24, Morsi est bien reconnu comme président, et l'armée fait le choix de s'effacer de la scène politique.

3 Fin 2012, Usure des Frères musulmans[modifier | modifier le wikicode]

Au début, Morsi se présente comme démocrate rassurrant. Il déclare que le peuple est la source du pouvoir, et dit qu'il libèrera les prisonniers politiques. Mais rapidement, face à la situation sociale qui ne s'améliore pas, la répression reprend de plus belle. On apprend que les Frères musulmans ont recours à la torture. Sur le plan international, Morsi se conduit toujours en valet des États-Unis et d'Israël (a fait fermer les frontières avec Gaza et fait même détruire des tunnels).

Le 22 novembre, Morsi prend les pleins pouvoirs par décret. Il limoge aussi le procureur général Abdel Meguid Mahmoud pour le remplacer en décembre par un proche, Talaat Abdallah. Regain de protestations : grèves, sit-in, occupations d'usines et lieux publics, séquestrations de dirigeants, blocages de routes et voies ferrés, mise à sac de commissariats, refus de payer eau, électricité, et une grève générale des juges... On voit même des taxis sur lesquels est écrit "interdit aux Frères musulmans"[2]. Le surnom de "Morsilini" commence à fleurir, en référence à Musolini. Beaucoup de sièges locaux des Frères sont mis à sac. Dans beaucoup de localités rurales, ce n'est pas le fait de jeunes révolutionnaires de la première heure, mais de pauvres qui se disent abandonés par les Frères, qui pratiquaient la charité et répriment les miséreux une fois au pouvoir. En seulement 5 mois de pouvoir, sous l'effet accéléré de la situation révolutionnaire, les Frères musulmans se sont profondément discrédités. Morsi renonce aux pleins pouvoirs le 9 décembre.

Les 27-28 novembre, les manifestations sont très fortes et on entend à nouveau "le peuple veut la chute du régime". De nombreux révolutionnaires sont blessés ou tués par le gaz et les matraques. Des policiers anti-émeutes désertent.[3] La répression est forte, mais le gouvernement affaibli n'a pas vraiment les moyens qu'avait Moubarak à sa disposition. Il y a déjà plus de 300 morts depuis la chute du dictateur. C'est surtout sur la religion que les Frères tentent de baser leur légitimité. Par exemple, ils n'hésitent pas à licencier des journalistes en les accusant d'avoir critiqué le Coran, voire à mener des assassinats ciblés. Mais il y a des réactions populaires et de couches intellectuelles radicalisées, journalistes, magistrats...

Morsi tente de détourner l'attention sur le terrain religieux avec l'appui des salafistes, en élaborant une Constitution réactionnaire (les syndicats libres y sont quasiment interdits, les femmes réduites à une citoyenneté de second ordre, le travail des enfants comme le mariage des fillettes y est rendu possible, etc.) qu'il soumet à référendum du 15 et 22 décembre. Mais les prolétaires sont trop remontés pour que cela fonctionne. Constitution, régime théocratique ou laïc, ce n'est pas leur préoccupation. Ils ont faim et le seul changement qu'ils ont eu de la "révolution", c'est le droit de le dire. D'autant plus que Morsi, tentant de trouver de nouvelles recettes pour l'État en crise et suivant les pressions du FMI, décide le 9 décembre une série de hausses de taxes : sur les cigarettes, la shisha, l'électricité, le gaz... et de +200% sur la bière. Censée profiter du moralisme religieux, cette mesure déclenche une colère immédiate[4]. Dans la nuit, à 2 h du matin, Morsi annule ses hausses de taxe et renonce aux pleins pouvoirs qu'il confie à l'armée jusqu'au 15 décembre ( jour du référendum).

FrèresMusulmansAttaqués2012.jpg

Les Frères menacent de l'enfer ceux qui ne voteront pas (et aussi d'amendes de 500 livres), reflet du mépris populaire pour ces simulacres de démocratie. Mais leurs relais semblent un peu usés : quand des imams font des prêches pro-Morsi, ils se font parfois violemment interpeller, voire séquestrer ![3] La bourgeoisie est désorientée, comme en témoignent quelques extraits de journaux :

"La crise politique ne se résoudra pas de sitôt, et la crise sociale ne tardera pas à venir. Ses contours sont clairs. Quand le président a reporté la décision de la hausse des impôts sur cinquante produits, il n'a fait que reporter la jonction des deux crises. La crise sociale arrivera sûrement [...]. La crise sociale sera pesante pour tout le monde. Un gouvernement sans crédibilité, un président incapable de convaincre une grande partie de citoyens que ses décisions sont pour le bien du peuple. Des investissements nationaux craintifs. Des investissements arabes qui se tiennent au loin. Des investissements étrangers qui ne viendront pas pour le moment. Des secteurs économiques en ébullition. Le tourisme est quasi paralysé, la Bourse est fluctuante, les usines s'arrêtent. Les prix grimpent quotidiennement et les salaires ne bougent pas. Si on suit les événements, on s'attend à l'entrée en scène de couches sociales pauvres". Editorial du journal libéral Al Masry al Youm

"Je ne vois pas de différence entre le oui ou le non lors du référendum. C'est une Constitution d'un État qui n'existe plus dans la réalité . On n'est pas dans un État si un groupe de personnes armées parcourt les rues en plein jour et brûlent les sièges des partis et les journaux et tout ce qui ne leur plaît pas sans être inquiétées. On n'est pas un État si des dizaines de personnes assiègent la Haute Cour Constitutionnelle depuis des semaines. On n'est pas dans un État là où des inconnus envahissent la station de métro de Sadate pour annoncer la désobéissance civile sans que les forces de l'ordre puissent les arrêter." Al Wafd le journal de la grande bourgeoisie libérale

Les politiciens bourgeois de l'opposition se regroupent dans un Front de Salut National (FSN), dirigé par El Baradei et regroupant principalement le Wafd et les nasseriens. Dans un premier temps, cette gauche appelle au boycott du référendum, suivant un groupe de juges radicalisés (dont le leader subira une tentative d'assassinat). Mais El Baradei et Moussa, disent préférer personnellement voter "non". Le 13 décembre, le Front de Salut National tergiverse, pose des conditions qui reviennent finalement à appeler à voter non. Le Mouvement du 6 avril et les Socialistes révolutionnaires leur emboîtent alors le pas. L'opposition est dans l'ensemble focalisée sur les prochaines élections.

Pourtant des manifestations massives, parfois de plusieurs millions dans le pays, réclament la chute du régime et appellent au boycott du référendum qualifié de bouffonnerie. L'armée serait en pleine ébullition et proche de l'éclatement[5]. A tel point qu'en coulisse Morsi et l'opposition se rapprochent, car tous veulent sauvegarder les institutions. Les Frères appellent les libéraux à une "grande journée de la réconciliation" et à discuter de ce qu'ils pourraient corriger dans la constitution. Juste avant le scrutin, les Frères proposent au Wafd des postes de ministres... De son côté El Baradei explique servilement que son vote "non", "c'est aussi un vote pour la sharia et pour la stabilité", les deux thèmes de campagne des Frères Musulmans. Le 22 décembre, jour final du vote, est secoué par deux démissions, celle du vice-président puis celle du gouverneur de la Banque centrale.

Des rumeurs et des sondages de sortie des urnes donnent le non largement majoritaire. Des membres du FSN annoncent 65% de non. Aussitôt, une bande d'environ 500 salafistes attaquent le local du Wafd, celui des nassériens, et la place Tahrir, tirant balles et cocktails molotov, le tout sans être inquiétés par l'Etat... Les Frères donnent leurs propres résultats (64% de "oui"), et ces chiffres sont repris par le journal libéral Al Ahram. La majeure partie de l'opposition reconnaît le "oui".

Les fraudes ont été massives. Un grand journal égyptien titre sur la victoire de l'abstention et le succès du "oui" grâce aux fraudes en relevant la liste des tricheries. Les témoins disent que les Frères ont repoussé celles de Moubarak au niveau d'amateurs. Comme d'habitude, urnes bourrées, avant, pendant, après le vote, bureaux de votes fermés ou peu ouverts là où on vote "non", 30 000 "observateurs" salafistes, Frèristes mais refus de contrôle des ONG laïques, internationales, etc., terrorisme auprès des électeurs chrétiens qui n'ont pas osé approché des bureaux de vote, déplacement en bus des électeurs des zones rurales (qui avaient parfois 150 km à faire pour voter, avec sélection à la montée du bus des "bons" électeurs ou distribution de bulletins déjà remplis, refus de vote à l'égard de femmes non voilées, pas d'encre indélébile dans de nombreux bureaux de vote (après avoir voté on trempe son doigt dans de l'encre indélébile pour ne pas pouvoir voter plusieurs fois), vote de morts, achats de votes, etc, et surtout élimination de 10 millions d'électeurs des grandes villes forcés à aller voter dans leurs villages d'origines, ce qu'ils n'ont pas fait, et quand ils l'ont fait (rarement) ils ont parfois constaté qu'il n'y avait pas de bureau de vote dans leur village. Officiellement, les régions rurales coptes ont voté massivement pour le "oui" alors que tout le monde sait que les coptes sont très majoritairement contre.

Le vote des Egyptiens expatriés a aussi donné lieu à des exemples frappants[6] :

  • Par comparaison, parmi les expatriés à Paris ou Londres, le "non" l'emporte à 80%
  • Koweit : Les photos de bourrage d'urnes à l'ambassade d'Egypte au Koweït ont provoqué les Egyptiens qui ont appelé à l'an­nulation des résultats. Un journal koweïtien a même affirmé que 200 000 bulletins de vote marqués « oui » d'avance ont été imprimés par des Frères musulmans au Koweït alors que le nombre officiel des électeurs dans ce pays ne dépasse pas les 60 000.
  • La Fédération générale des Egyptiens en Arabie saoudite a porté plainte contre le résultat du référendum

Bref un scrutin totalement discrédité, avec un taux de participation au plus bas : 20%.

4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. English.alarabiya.net. 2012-05-26, Egypt’s third runner-up seeks election suspension: lawyer
  2. https://twitter.com/merKKur/status/277547321229721600/photo/1
  3. 3,0 et 3,1 La Voix du pavé, Ne rien lâcher face aux Frères Musulmans, tout donner pour la révolution
  4. http://www.flickr.com/photos/elhamalawy/8260189544/in/photostream/lightbox/
  5. D'après une information venant d'une autorité militaire, relayée par le journal égyptien Al Tahrir du 15 décembre 2012
  6. Al Ahram, La révolte des Égyptiens expatriés, 19-12-2012