Révolution égyptienne (Chute de Morsi)

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Manif-Anti-Morsi-2013-06-28.jpg

Le processus révolutionnaire égyptien, ouvert depuis 2011 et la chute de Moubarak, se poursuit et conduit à la chute du dirigeant des Frères Musulmans, Mohamed Morsi.

1 Janvier 2013
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1.1 Explosions populaires anti-gouvernement[modifier | modifier le wikicode]

Depuis fin 2012, c'est une véritable vague montante de luttes des jeunes et des travailleurs, qui sont à la pointe du sentiment révolutionnaire. Si toute la mascadre du référendum s'en est tirée de justesse, c'est aussi parce que les Frères ont reporté les attaques pro-capitalistes et cédé à beaucoup de revendications sociales. Par exemple le 20 décembre, après seulement 2 jours de grève, 23 000 salariés des Tabacs d'Orient obtiennent une hausse des salaires de 15 à 30%, l'embauche des 6 000 précaires... pour qu'ils renoncent à demander la tête du directeur. Des blocages de routes spontanés ont lieu à Port Saïd pour réclamer des logements.

L'auto-organisation refait surface : des comités populaires de protection des hôpitaux, écoles, quartiers réapparaissent. Il y en a aussi des prémices dans le monde ouvrier : le 19 et 20 décembre, les prolétaires de Mahalla dégagent leur conseil municipal, proclament une « République libre » et un « Front de Salut Révolutionnaire » (en démarcation du FSN des libéraux). Dans ces organes de démocratie directe, on débat de revendications politiques et sociales, qui peuvent être localement très radicales. Mais spontanément, ils se limitent à un rôle d'autodéfense, ou au mieux de surveillance des institutions. Il manque cruellement un parti révolutionnaire de classe décidé à se baser dessus pour revendiquer un gouvernement des travailleurs. Le pouvoir les craint quand même, il essaie de les dissoudre ou de limiter leur champ d’action. Par exemple dans le Sinaï, il les oriente vers la "lutte contre la corruption".

Dans ce contexte de radicalité et d'absence de perspective politique, des groupes de jeunes partisans des actions minoritaires se constituent. C'est le cas par exemple des Ultras (supporters de foot radicalisés et n'hésitant pas à se battre avec la police) et des Black Blocs. Ils ont pour l'instant un echo assez favorable dans le prolétariat urbain, d'où la propagande des Frères Musulmans qui les accuse d'être "une milice chrétienne". Les Frères tentent aussi de multiplier les campagnes de charité musulmane.

Le 23 janvier, le syndicat des fermiers - 1,6 millions de membres - déclare qu'il laisse tomber Morsi et rejoint l'opposition. La rébellion gagne les milieux les plus ruraux : par exemple deux tribus de la région de la Mer Rouge ont bloqué une autoroute après que la police ait tué un de leur membres. Au Caire, les Ultras sont des milliers à manifester pour la libération de leurs membres emprisonnés, et contre la police à qui ils reprochent le massacre de Port Saïd[1].

Pour le 25 janvier, 16 organisations appellent à des manifestations pour le pain, la liberté, la justice sociale et contre la "frérisation" de la société. La mobilisation populaire va largement les déborder et s'étendre sur des jours. Déjà la nuit du 24 au 25, des jeunes sont très nombreux à se rassembler, et notamment à converger vers Tahrir.

  • Des bagarres Black Blocs contre Frères Musulmans éclatent dans la nuit à Ismaïlia, puis le local des Frères sera complètement carbonisé.
  • Au Caire, le même genre d'affrontements démarre dans l'après-midi. La ville basse du Caire est noyée sous les gaz lacrymogènes. De nombreux manifestants crient "Étudiants et travailleurs contre l'exploitation par le président !". Les fils de fers barbelés entourant la TV d'État à Maspéro ont été arrachés par les Ultras. L'armée est rentrée dans le bâtiment pour empêcher les manifestants de se saisir de la TV. En soirée, des stations de métro sont occupées[2].
  • La famille de Morsi fuit son logement à Zagazig en pleine nuit.
  • La police perd le contrôle de la ville de Suez, en partie suite à une révolte de simples policiers contre leurs officiers. Bientôt l'électricité est coupée, le siège des Frères Musulmans est brûlés et des affrontements font plus d'une quarantaine de morts. L'armée est envoyée.
  • A Port Saïd, ça tire dans les rues. La fumée des incendies couvre une partie de la ville. Des manifestants se sont emparés des grandes échelles des pompiers et de leur matériel pour passer les murs de la prison et libérer les condamnés à mort. Des Snipers de la police sur la toit de la prison tirent sur les manifestants. Le building de la compagnie d'électricité est occupé.
  • A Alexandrie les manifestants bloquent le tramway, envahissent la maison du maire et le font "dégager"... Le quartier général de la police est saccagé, et les pauvres prennent tout ce qu'ils peuvent et repartent même avec les chaises et des télés.
  • A Mahalla : "Mahalla est avec Tahrir" ou "dégage, dégage Morsi !". Feu à l'immeuble du gouvernorat.
  • A Damanhour, le local des Frères est en feu, puis le local des impôts est pillé.
  • A Kafr el-Cheikh, après avoir mis le feu au bâtiment du gouvernorat, les manifestants organisent un comité pour prendre en main l'administration de la région
  • Affrontements également à Beheira, Luxor, Kafr El-Sheikh, Gharbia, Sharqia...

Globalement, les slogans les plus repris sont, comme au début de la révolution, "Pain, liberté et justice sociale" et "le peuple veut la chute du régime" ou "du guide suprême" (Morsi). Des milliers de gens descendent dans les rues un peu comme le 28 janvier 2011, tournant de la révolution qui a provoqué la chute de Moubarak. Beaucoup de gens disent qu'ils ont atteint le point de non retour. Ils iront jusqu'au bout. L'État décrète loi martiale et couvre-feu, ça n'intimide personne et personne n'obéit. Au contraire, par défi, les rues sont pleines, comme le 28 à Port Saïd[3].

1.2 Le rôle réactionnaire des démocrates bourgeois[modifier | modifier le wikicode]

Les partis bourgeois tremblent et sont horrifiés par l'irruption plébéienne. Le dirigeant soi-disant révolutionnaire Abol Fotouh (pour qui ont voté les Socialistes Révolutionnaires aux présidentielles) déclare qu'il n'est pas juste de demander la chute du régime, il aurait été élu légitimement ! Le FSN, qui réunit des libéraux jusqu'au PC, joue un double jeu. Tandis que sa tête nassérienne (Sabahi) appelle à rester mobilisé jusqu'au départ de Morsi, sa tête libérale (Baradei) réclame pour cela de nouvelles élections présidentielles, "sans triche cette fois-ci". Pire, le 26, il appelle à un gouvernement d'union nationale de eux et des Frères.

Le 31 janvier, le FSN fait une déclaration commune et un meeting commun avec le parti salafiste pour exiger un gouvernement d'union nationale afin de mettre fin aux violences contre les bâtiments de l'autorité publique. Ils font passer une loi qui oblige les manifestants à demander l'autorisation de manifester 5 jours avant la date, qui interdit de manifester à moins de 500 mètres des bâtiments publics et qui autorise la police à tirer à balles sur les manifestants si elle le juge nécessaire.

Le Mouvement du 6 avril a éclaté en trois morceaux.

2 Février-Mars 2013
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2.1 Contre la répression des Frères
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Des milices armées de sabres et couteux des salafistes et Frères Musulmans font souvent des raids pour tenter de disperser manifestations et blocages.

Le 11 février, un groupe de femmes défilait dans la manifestation avec des couteaux de cuisine en réponse aux islamistes, dont le symbole est souvent le sabre, en criant qu'elles couperaient les mains des agresseurs de femmes. Sur les murs on voit des graffiti avec ce slogan repris et l'image d'une femme avec un couteau.

A partir du 18 février, une grève générale démarre à Port Saïd, baptisée "désobéissance civile". Elle est dirigée par les Ultra Aigles Verts qui sont révoltés par la répression contre ceux qui réclament justice pour les supporteurs tués. Des milliers de manifestants ont forcé des bâtiments officiels, écoles, banques et usines à fermer. Ils bloquent aussi des voies ferrées.

Du 20 au 24 on comptait 8 morts chez les Frères Musulmans et 3 chez les manifestants.

Le 15 mars à Port Saïd plus de 3 000 Ultras Masrawy ont manifesté pour dénoncer la violence de la police qui a fait plus de 50 morts dans la ville ce dernier mois et dénoncer Morsi ainsi que les "représentants" de la ville, dénoncés par la population comme des traîtres.

Le 29 mars, plusieurs centaines de membres du Mouvement du 6 Avril manifestent contre le ministère de l'intérieur exigeant la libération de leurs camarades arrêtés, et brandissent comme drapeaux des slips avec comme slogan "le ministre de l'intérieur est une prostituée". 

2.2 Grèves et blocages partout[modifier | modifier le wikicode]

Le 11 février, 10 000 manifestants au Caire crient "dégage Morsi". Le FSN tente de faire dévier le mot d'ordre en "dégage Qandil" (le premier ministre). Vu l'hostilité de la foule à leur égard, ils ajoutent que si Morsi ne dégage pas Qandil, alors, là, oui, il faut qu'il démissionne !

Le 22, la plupart des villes d'Egypte rejoignent le mouvement, attaquant commissariats, gouvernorats, sièges des Frères Musulmans... A cela s'ajoute le refus de payer taxes et impôts, et des villages du delta du Nil ont déclaré leur indépendance. A Mahalla, les officiers de police se sont déclarés également en grève.

Le 3 mars, les révolutionnaires de Mahalla el Kubra, qui boycottent les prochaines législatives, constituent un Parlement populaire qui sera ouvert à tous et qui "tiendra ses promesses". Le même jour à Port Saïd les affrontements continuent et font des centaines de blessés. Dans le chaos, il y a même des affrontements entre la police et l'armée. A Luxor, Beni Suef et Nagaa Hammadi, les manifestants bloquent les voies ferrées. A Luxor encore, les propriétaires de petits bazars vendant des souvenirs aux touristes ont bloqué l'accès aux sites archéologiques pour exiger une diminution de leurs taxes. Au Caire, les Ultra Al Ahlawy ont bloqué les routes vers l'aéroport, empêchant un certain temps l'émissaire John Kerry de retourner aux USA. D'autres bloquaient le siège de la banque centrale Egyptienne, et d'autres encore s'affrontaient aux policiers qui tentaient d'évacuer la place Tahrir (les Black Bloc attaquaient un car de police blindé). Les employés de la TV d'État à Maspéro demandent des augmentations de salaire occupent l'immeuble de la TV. Même les joueurs de foot du club d'Alexandrie sont entrés en grève pour non paiement des salaires. La servilité des Frères musulmans envers les impérialistes est aussi dénoncée d'une certaine façon. Dans ces manifestations, certains dénoncent la complicité avec les USA, voire qualifiaient les Frères Musulmans de "sionistes".

2.3 Flottement de l'État et appels à l'armée ?
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La police étant de plus en plus absente, des comités populaires se forment, notamment pour assurer la protection contre les vols. Par exemple à Mahalla où les affrontements continuent (12 mars) et où un commissariat est en grève par refus de réprimer la population. Un des slogans lancé par les manifestants et le plus repris pour la chute de Morsi et du ministre de l'intérieur était "nous n'avons pas besoin de ministre de l'intérieur, nous avons des comités".

Les islamistes hésitent à remplacer la police par leurs propres milices. Le procureur général "autorise les citoyens à arrêter d'autres citoyens". Mais cela légitime aussi les milices populaires non contrôlées : certains répondent "eh bien on va alors arrêter Morsi".

Des élections devaient avoir lieu le 22 avril : le 10ème scrutin en 2 ans. Mais la Cour administrative a invalidé la loi électorale pour non respect de la Constitution par Morsi.

L'armée et toute l'opposition y compris les libéraux, les démocrates et l'Alliance populaire socialiste (à laquelle participent les Socialistes révolutionnaire) appellent au calme et à un "État de droit".

De plus en plus, les cercles dirigeants envisagent un recours à l'armée, et un bras de fer s'engage en coulisse avec les Frères Musulmans. Le plus grand journal libéral Al Masry al Youm titre par exemple le 12 mars, "l'Opposition a échoué, l'armée est notre espoir". L'armée tente de chevaucher la colère populaire, organisant des pétitions et des manifestations contre "l'accaparation de tous les leviers du pouvoir" avec des anciens du régime de Moubarak. Elle a probablement insufflé en partie la grève de la police en mars 2013 ou le mouvement des juges. Elle ne souhaite pas renverser le gouvernement, mais garder sa position de force, notamment pour mieux négocier les privatisations (elle détient le tiers de l'économie).

2.4 Vers le discrédit total
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Le 15 mars des manifestations contre le pouvoir et contre la détérioration économique ont eu lieu partout en Egypte. Il faut dire que suite aux restrictions de diesel, le marché noir qui en est issu, le renchérissement des frais de transport a provoqué de fortes hausses de prix des fruits et légumes allant parfois jusqu'au doublement ou triplement des prix en quelques jours.

Au Caire des violents affrontements ont eu lieu samedi devant le siège des Frères Musulmans entre manifestants, islamistes et la police venue les protéger après que des frères Musulmans aient agressé à coups de chaines des auteurs de graffitis les dénonçant sur les murs ou à proximité de leur siège et des femmes manifestants après une rencontre amicale entre le Hamas et les Frères Musulmans à leur siège.

A Sohag, en Haute Egypte, une des villes les plus pauvres du pays, une grosse manifestation a accueilli Morsi qui venait parler du développement de la région aux cris de "on veut pas de vous", "on veut pas des Frères Musulmans". L'université que devait visiter Morsi s'est mise en grève et Morsi a du renoncer à sa visite en fuyant la ville. A Tanta des affrontements ont eu lieu toute la nuit de vendredi à samedi entre policiers et manifestants qui assiégeaient le siège du gouvernorat pour la chute de Morsi et pour dénoncer l'assassinat d'un manifestant par la police. A Suez, les manifestants demandaient du travail et la démission du gouverneur de Suez ainsi que la chute de Morsi et des Frères Musulmans aux cris notamment de "les sans emplois veulent la chute des Frères Musulmans" et de "on continuera jusqu'au bout de la révolution".

A Alexandrie, deux manifestations, l'une demandant la dissolution du cabinet du premier ministre et l'autre le renversement de Morsi par un coup d'état militaire et le retour de l'armée au pouvoir.

Le 26 mars, les étudiants de l'université d'Égypte au Caire se révoltent contre la répression qu'ils subissent de la police (officielle et "privée"). Avec des étudiants des universités britanniques, allemandes et américaines et avec les "Ultras Chevaliers Blancs de Zamalek", ils font fuir les gardes privés.

Le 27 mars, la cour d'appel du Caire ordonne l'annulation du limogeage du procureur général Abdel Meguid, relançant la fronde de l'appareil judiciaire contre le pouvoir exécutif. Son successeur Talaat Abdullah venait d'émettre des mandats d'arrêt contre cinq militants de premier plan, dont Alaa Abd El-Fattah, Ahmed Doma et Ahmed Eid, ce qui déclenche des émeutes. Les grévistes de la radio et de la télévision d'État réclament leurs salaires impayées et la démission du ministre de l'information. Les membres du syndicat des médecins découvrent lors de leur Assemblée Générale annuelle des malversations financières de leurs dirigeants appartenant aux Frères, et exigent leur démission tout en leur cassant quelques chaises sur la tête. Le blocage des voies ferrées continue à Port Saïd.

Le 29 mars, ont lieu de nouveaux affrontements, en particulier au Caire, à Alexandrie[4], à Mahalla et à Zagazig (ville où vit Morsi).

Les Frères se discréditent encore plus lorsque Talaat Abdullah décrète le 29 l'arrestation du satiriste le plus apprécié d'Égypte, Bassem Youssef, pour "propos insultants contre le président et les musulmans".

Avec les difficultés financières, les importations diminuent et les prix augmentent. Les médicaments comme le pétrole se font plus rares. Le gouvernement réduit les subventions pour l'agriculture, et en même temps importe moins de denrées alimentaires. Les paysans ont de plus en plus de mal à faire leurs récoltes (sans pétrole pour les tracteurs) et beaucoup sont pris en tenaille entre leurs dettes et la baisse de leurs revenus. Le manque de pétrole affecte aussi les centrales thermiques et entraîne des coupures d'électricité.[5]

3 Avril-Mai-Juin
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Le 28 avril, des activistes liés au FSN lancent une campagne contre Morsi appelée Tamarod ("Rebellion"), visant à le faire démissionner. L'objectif est de faire circuler une pétition au maximum d'Égyptiens. Cette campagne va peu à peu gagner un succès monstre, relayée partout au fur et à mesure que s'en saisit une foule de jeunes et travailleurs ordinaires.

En mai le nombre de manifestations recensées en Egypte a été de 1300 selon le Centre International de Développement soit une pour chaque demi-heure. En avril leur nombre avait été de 1462 et en mars de 1354. C'est un record mondial.

Le 16 juin, Morsi nomme 7 nouveaux gouverneurs des Frères Musulmans, et dans la région de Louxor un du groupe terroriste Jamma Al Islamiya (responsable de l'attentat terroriste qui avait tué 58 touristes en 1997 à Louxor). Celui devra renoncer après les violents affrontements que cela déclenche.

En même temps la tension sociale grandit avec une inflation annuelle officielle de 8,2% (en mai) c'est-à-dire une augmentation des prix courants de parfois 40%. Le bureau des statistiques constatait ainsi une baisse des achats de 70%, les gens n'achetant plus que les produits de première nécessité.

De plus en plus de gens sont réduits à piller les sites archéologiques comme à Beni Souef pour vendre des objets aux touristes. Et on estime qu'1,6 millions d'enfants de 5 à 17 ans travaillent, surtout dans l'agriculture ou comme domestiques. 

De très nombreuses grèves éclatent pour les salaires (record mondial de manifestations depuis le début de l'année 2013).

De son côté le pouvoir multiplie les arrestations et condamnations d'opposants pendant que des groupes salafistes appellent à manifester de manière permanente du 21 au 30 juin et à former des comités pour protéger le palais présidentiel.

Le 27 juin, la pétition de Tamarod atteint les 15 millions de signatures, désavouant la légitimité électorale de Morsi qui n'a été été élu que par 13,2 millions d'électeurs. Les divers animateurs de cette campagne ont convié les égyptiens à
manifester le 30 juin pour exiger le départ de Morsi. Les dirigeants de l'opposition du FSN demandent pour cela des élections présidentielles anticipées tandis qu'une multitude de groupements de jeunes et de révolutionnaires affirment qu'ils ne quitteront pas la rue tant que le président n'aura pas quitté ses fonctions. Les premiers voient dans le 30 juin une fin à but institutionnel, pendant que les seconds y voient, eux, un début de la démocratie directe, le début de la fin.

De très nombreux dirigeants lâchent déjà Morsi. Le pape des coptes autorise ses fidèles à se rendre au 30 juin, la prestigieuse université islamiste Al Ahzar prend ses distances pendant que ses sheicks appellent ouvertement à manifester contre les "faux musulmans au pouvoir", le principal parti salafiste Al Nour déclare qu'il ne participera pas aux contre-manifestations de soutien à Morsi, le dirigeants des chiites égyptiens, Hasheni, appelle ses ouailles à se venger des sunnites (les Frères Musulmans) car quatre d'entre eux viennent d'être assassinés par ces derniers et enfin le leader dissident des frères Musulmans, Al Fotouh (4ème aux présidentielles) dans une position jusque là de soutien critique, appelle également à la manifestation du 30 juin.

L'armée qui était silencieuse depuis l'échec de sa tentative de coup d'État en juin 2012, se réinvite dans le débat politique par le biais de son homme fort, le ministre de la Défense Al Sissi, en déclarant qu'elle ne laisserait pas l'Égypte sombrer dans le chaos en défendant les institutions d'État contre tous ceux qui veulent les détruire. En haut lieu, on envisage sérieusement le recours à l'armée pour remplacer les Frères musulmans usés. En effet, ils ont été discrédités par un an de pouvoir, ayant perdu tous leurs soutiens traditionnels dans les syndicats professionnels des classes moyennes, des médecins aux ingénieurs en passant par les enseignants, pharmaciens, avocats ou journalistes et surtout les étudiants et n'en ayant jamais réellement eu chez les ouvriers.

Aussi, après la déclaration menaçante de Al Sissi, Morsi a répété 5 fois dans son discours du 26 juin que c'était lui le chef de l'armée. Mais également, les principaux dirigeants du FSN ont affirmé leur indéfectible attachement à l'armée y compris le dirigeant démocrate du mouvement du 6 avril qui n'est décidément plus ce qu'il était tout comme Hamdeen Sabbahi, dirigeant socialiste nassérien, arrivé troisième aux élections présidentielles, qui s'est abaissé à dénoncer ceux qui avaient critiqué l'armée quand elle était au pouvoir comme étant les responsables de la crise actuelle. A la plus grande surprise et au plus grand dam de ses partisans...

De son côté, étayant les craintes des possédants, la Fédération égyptienne des syndicats indépendants revendiquant plus d'un million de membres, vient de faire paraître un communiqué signé en commun avec le groupe trotskyste des Socialistes Révolutionnaires appelant tous deux au 30 juin, déclarant "nous sommes à la veille d'une nouvelle révolution populaire" [...] rappelant "les jours avant la chute de Moubarak". Ce communiqué a tout de suite été interprété par la presse comme un appel des syndicats ouvriers à une deuxième révolution. Le syndicat des journalistes s'est aussitôt associé à la démarche appelant lui aussi au 30 juin.

Les groupes défendant les droits des femmes ont été plus loin appelant les femmes d'Égypte non seulement à manifester le 30 juin mais aussi à s'armer d'aiguilles à matelas (de la taille de véritables couteaux) pour se protéger de tout harcèlement.

En même temps, 18 groupes islamistes soutenant le gouvernement, ont appelé à des contre manifestations du 21, puis du 28 au 30 juin, certains d'entre eux menaçant de mort les manifestants anti Morsi, disant clairement qu'ils formeraient leurs milices d'auto-défense et le montrant ouvertement le 21 juin, défilant avec gourdins, boucliers et casques et encore hier 26 juin à Monofiya... Mais hélas pour eux, arrosés par les habitants des rues où ils défilaient, de jets d'objets divers, eau ou urine.

Mercredi 26 juin, de très violents affrontements opposaient anti et pro Morsi à Tanta, faisant 157 blessés mais surtout à Mansoura où deux Frères Musulmans ont trouvé la mort et 250 personnes ont été blessées. En même temps plusieurs véhicules ou magasins appartenant à des Frères Musulmans ont été brûlés dans cette ville et un supermarché de la chaine Zad appartenant au fils de Khayrat al-Shaker, multimillionnaire et homme fort des Frères Musulmans, a été pillé, ses marchandises jetées dans la rue.

Les animateurs de Tamarod précisent publiquement qu'ils ne veulent pas que l'armée prenne le pouvoir. Les manifestants, unanimes pour conspuer Morsi, sont divisés sur leur rapport à l'armée. Certains scandent "ni Frères ni Armée", dont les Socialistes Révolutionnaires.

4 Chute de Morsi[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Manifestations du 30 juin[modifier | modifier le wikicode]

Tamarod arrive finalement à 22 millions de signatures. Le 30 juin est un immense succès : plusieurs dizaines de milliers de manifestants se rassemblent place Tahir au Caire ainsi qu'aux alentours du palais présidentiel. Dans les autres villes du pays, comme à Alexandrie, Port-Saïd ou Suez, des manifestations monstres sont également visibles. Dans de nombreuses villes ou villages les bâtiments administratifs sont recouverts d'une banderole "Fermés sur ordre de la révolution". Un militant syndical signale que dans la plus grande usine du Pays à Mahalla, Misr Company,  il n'y avait ce dimanche pas plus de 10% des effectifs normaux (dimanche est un jour travaillé normal en Egypte). Tous les cafés, magasins, petits ou gros, taxis ont des
affiches anti Morsi. Tous les ponts du Caire sont bloqués. Quelques bus circulent, à l'intérieur les gens scandent "dégage, dégage...". De nombreuses personnes qui n'avaient jamais manifesté se retrouvent dans la rue, pas seulement des jeunes mais aussi des familles et des vieillards.

Devant le palais présidentiel Al Ittihadiya à Heliopolis, lointaine banlieue cairote, une foule anti Morsi comme on n'en a jamais vu. Des gens crient "nous voulons la chute du régime", mais aussi "nous voulons des femmes à tous les postes du gouvernement", "Musulmans et chrétiens ensemble sont la révolution" et "on sent l'odeur des lacrymos de Rio et Taksim" en soutien aux révoltes populaires au Brésil et en Turquie.

Au départ festives, les manifestations partent en affrontements violents dans la soirée. L'armée et la police ont disparu des lieux d'affrontements et ne défendent pas les locaux des Frères, qui sont attaqués à Tanta, Beni Suef, Sharqeya, Gharbiya... Même le quartier général des Frères Musulmans à Moqqatam, pourtant défendu par des sacs de sable, est incendié.

Le Front du 30 juin, appelle les manifestants à rester sur les places et à commencer une grève générale illimitée ( dimanche est un jour travaillé en Egypte, les présents sont donc pour la plupart en grève). 250 bateaux de pèche à Damiette manifestent dans l'eau contre Morsi, pareil à Luxor ou des centaines de bateaux chargés de monde descendent le Nil contre Morsi.

La situation à Assiut est aussi très emblématique. C'est une ville de la Haute Egypte où il y a beaucoup de chrétiens coptes, et qui était jusque là sous contrôle de la Jamaa al-Islamiya, une organisation terroriste islamiste qui soutient le gouvernement de Morsi. La ville vivait sous la terreur. Or dimanche 30 juin, il y a eu plus de 50 000 manifestants (5 fois plus que pour la chute de Moubarak) montrant un courage incroyable pas atteint au moment de la chute de Moubarak car la Jamaa al-Islamiya et les Frères Musulmans n'hésitent pas à tuer, ayant déjà fait plus de 1 000 morts sur les dernières années. Et lundi 1er juillet les manifestants étaient à nouveau des dizaines de milliers cette fois-ci à assiéger le siège des Frères Musulmans, d'où les Frères et les terroristes de la jamaa al-Islamiya tiraient sur la foule et la police qui avait pris position pour les manifestants qui criaient "Assiut dit aux terroristes que les chrétiens et les musulmans sont unis". En fin de journée, le siège des Frères Musulmans était brûlé et détruit par les manifestants qui criaient "Victoire".

Les leader de Tamarod, avec d'autres organisations, posent un ultimatum : le départ de Morsi d'ici au 2 juillet à 17 h, faute de quoi, ils appeleraient à une grève générale illimitée et un mouvement de désobéissance civile jusqu'à la chute du régime.

4.2 Manifestations records des 1-2-3 juillet[modifier | modifier le wikicode]

Placée face à la menace d'une grève générale, comme en janvier 2011, l'armée intervient. Le 1er juillet, à 18 h, le ministre de la défense Al Sissi lit une déclaration du CSFA ( Conseil Supérieur des Forces Armées) qui déclare son soutien aux manifestations du 30 juin, demande au régime de Morsi d'entendre le peuple et lui donne un ultimatum de 48 h, faute de quoi  le CSFA mettrait en place une feuille de route pour prendre le pouvoir avec d'autres forces politiques.

5 ministres démissionnent immédiatement du cabinet Qandil, et bientôt 5 autres, ainsi que les gouverneurs de Damiette et Ismailiya. La TV d'État à Maspéro fait déjà son coup d'État en ne cessant de passer des infos sur les manifestations du 30 juin dénonçant Morsi.

La foule commence à affluer à Tahrir, la plupart hurlant ou pleurant de joie à l'annonce de la déclaration de l'armée. Mais un certain nombre disent qu'ils ne veulent pas d'un coup d'État militaire, fût-il soft, rappelant tous les crimes dont l'armée s'est rendue coupable lorsqu'elle a assumé le pouvoir, de la chute de Moubarak à juin 2012. L'armée fait néanmoins tout pour surfer sur le sentiment national, par exemple des hélicoptères passent très bas sur le place Tahrir avec d'immenses drapeaux égyptiens et des ballons et les pilotes saluent la foule. Des slogans sont toutefois des appels à la vigilance : "il partira, nous resterons"...

Un certain nombre de gens scandent "le peuple et l'arme sont une seule main".  La place et les rues devant le palais présidentiel sont également pleines de gens dont certains demandent à l'armée d'intervenir tout de suite pas dans 48 h. Du siège central des Frères Musulmans à Moqqatam (au Caire), des hommes (qui seraient du Hamas) tirent à balles sur les manifestants.

Le mouvement Tamarod (Rébellion) lié au FSN, appelle à marcher sur le palais Qubba où serait réfugié Morsi pour le renverser. De grosses manifestations commencent à Mahalla, Sharqeya, Port Saïd, Monofeya et d'autres villes. La maison du multi-milliardaire et véritable homme fort des Frères Musulmans, Kairat al-Shaker a été brûlée par la population. Les procureurs demandent au procureur général de démissionner. Le siège du gouvernorat de Kafr el-Sheikh est saccagé par la foule mobilisée, le gouverneur, Frère Musulmans, s'est enfui. Le siège du parti islamiste Wasat est incendié. 4 sénateurs des Frères Musulmans fuient l'Egypte pour se réfugier à Londres avec leurs familles. 60 000 à 80 000 personnes auraient fui l'Egypte en avion en 48 dernières heures. En tout, plus de 17 millions de personnes manifestent ce jour-là. Selon la CNN et la BBC, on aurait atteint les 33 millions de manifestants, déclarant que c'est la plus grande manifestation de l'histoire de l'humanité.

Des dizaines de milliers de manifestants pro-Morsi se réunissent dans de nombreuses villes, mais la taille de leurs manifestations est sans commune mesure.

Le ministère de l'intérieur déclare qu'il ne prendra aucune mesure contre les policiers qui manifesteront. Un compte à rebours de 48 h commence à s'égrener sur certaines télés privées. Toute une partie de la bourgeoisie a clairement lâché Morsi, à commencer par la tête de l'armée. L'armée arrête plusieurs dirigeants de Frères, et s'empare de leurs poches de résistance, comme le siège du gouvernorat de Fayoum. On sait aussi que des grands patrons ont financé le mouvement Tamarod pour précipiter la chute.

Tamarod est un regroupement focalisé sur la chute de Morsi, mais sans cohérence politique. Il réunit surtout des jeunes influencés par le nassérisme. Tamarod mêle des déclarations enflammées à des positionnements politiques restant dans le cadre de la démocratie bourgeoise. Il annonce d'abord qu'il ne participera pas aux négociations entre partis demandées par l'armée, que l'ultimatum de l'armée couronne le mouvement du peuple, que Morsi n'est plus président et donc que le peuple doit occuper lui-même les deux palais présidentiels dès le lendemain. En même temps Tamarod demande des élections présidentielles anticipées et un gouvernement technocratique de transition présidé par le président de la Haute Cour Constitutionnelle et le Conseil National de Sécurité (l'armée).

Les différents partis traditionnels multiplient les meetings et conférences de presse.

A la tombée de la nuit de plus en plus de gens se retrouvent en liesse, s'embrassent et dansent. Beaucoup de femmes sortent dans les rues, heureuses d'être débarrassées des islamistes. Malheureusement, au milieu de cette effervescence, des femmes sont violées par la foule.

Le parti al Nour (salafiste) annonce sa neutralité (donc lâche ses alliés Frères musulmans), critique la déclaration de l'armée, qui est ambiguë et ne "protége pas le peuple d'une possibilité de dictature militaire", et il se prononce pour un gouvernement technique et des élections anticipées.

Le 2 juillet cette situation perdure. Un des chefs les plus violents des islamistes, qui a appelé les croyants à mourir pour leur foi, le Salafiste Hazem Abu- Ismail a fui en Allemagne. Obama se résout à lâcher Morsi en disant que la démocratie est plus importante que les élections.

Le 3 juillet, les manifestations ne diminuant pas, l'armée est contrainte de mettre fin aux fonctions de Mohamed Morsi et annonce la tenue prochaine d'élection présidentielles et legislative. Le président de la Haute Cour Constitutionnelle, Adli Mansour est nommé président de la république par intérim par l'armée. Lors de ces manifestations, 344 personnes auront été blessés et 24 décédés.

Ces manifestations ne sont pas indépendantes de la contestation économique. A la grande usine textile de Mahalla, il y a eu plus de 200 débrayages en une semaine.

Les Frères sont aux abois. Sur leur chaine de télévision, ils multiplient par 100 les chiffres de leurs contre-manifestations, ils donnent les noms et les adresses de leurs ennemis comme s'ils les désignaient à la mort... Ils tiennent partout des prêches de haine, à l'opposé des manifestations anti Morsi, et utilisent des pistolets mitrailleurs, revolvers, sabres et couteaux et n'hésitent pas à tirer dans le tas.

Les employés des bureaux gouvernementaux sont en grève et les bloquent. La machine de l'État s'enraye. Il y a des appels de dirigeants de Tamarod sur internet pour aller à 16 h devant les bâtiments de la Garde présidentielle à Salah Salem pour que ce soit le peuple lui-même qui arrête Morsi. Un graffiti sur le mur du palais présidentiel: "La légitimité de vos urnes électorales est annulée par les cercueils de nos martyrs". Le dirigeant de la Jamaa al Islamiya, Tarek Zomor, principal soutien de Morsi, appelle lui aussi a des élections présidentielles anticipées, entre quelques massacres.

5 Le pouvoir de l'armée, comme en 2011 ?
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Moubarak-Armée-Morsi.jpg

Comme il y a deux ans, l'armée est à nouveau au pouvoir. Beaucoup de commentateurs bourgeois en Occident - qui ne parlaient plus du tout des grèves les plus nombreuses de l'histoire - y vont de leurs inquiétudes paternalistes sur le "processus démocratique en panne" ou le "retour à la case départ".

D'une part c'est mépriser et ignorer complètement le mérite du prolétariat dans ce processus révolutionnaire, et d'autre part c'est ne pas voir les différences importantes dans la situation. 

D'abord, Moubarak était un dictateur classique avec des élections bidons. Morsi était aussi un dictateur, les élections qui l'ont mené au pouvoir étaient truquées mais beaucoup de gens avaient eu le sentiment de participer à une véritable élection démocratique, en tous cas en comparaison avec ce qui se faisait auparavant. Renverser un président élu par la rue, car même si c'est l'armée qui met la dernière main, c'est le mouvement populaire qui a fait l'essentiel, c'est légitimer la révolution conte les élections. C'est dire : si vos élus ne tiennent
pas leurs promesses, vous n'êtes pas obligés d'attendre les prochaines élections, vous pouvez les renverser avant. C'est vous le vrai pouvoir, le peuple, la rue, la révolution. C'est pour ça que les impérialistes et notamment les États-Unis ont été gênés d'abandonner un président élu, très anxieux à l'idée de légitimer ça.

Mais il y autre chose. Contrairement à il y a deux ans, s'il est possible qu'encore bien des égyptiens se fassent des illusions sur l'armée, notamment tous les primo-manifestants, il y en a bien d'autres, des centaines de milliers, qui ont souffert dans leur chair et fait consciemment l'expérience répressive du régime militaire en se battant contre le gouvernement du CSFA au moins d'octobre 2011 à juin 2012. Ils sont férocement hostiles à l'armée et s'en méfient comme de la peste. La marge de manœuvre de l'armée est donc infiniment rétrécie, mise sous la surveillance des meilleurs militants de la révolution. Si l'armée prend le pouvoir, à chaque faux pas, elle sera la cible de leurs critiques et attaques. Et les soldats tous comme les policiers sont beaucoup moins sûrs pour les généraux qu'il y a deux ans. Il est fort probable que s'il leur faut à nouveau réprimer un peuple qui lutte, ils pourraient ne plus l'accepter. Et il n'y aura plus la religion pour aider le sabre. En tous cas, beaucoup moins. Or le prochain gouvernement, provisoire ou pas, militaire ou pas, devra faire face aux multiples luttes économiques,qui ont parsemé les premiers mois de 2013 et qui continueront, voire probablement s'amplifieront. Car si on renverse un gouvernement, beaucoup se diront probablement c'est pour qu'il change quelque chose; la faim n'a pas de patience et la situation économique se détériore très rapidement.

Les choses ont beaucoup changé en deux ans à la campagne, en particulier en Haute Egypte, la plus attardée politiquement, et là où il y a eu certainement le plus de transformations. Beaucoup ont été souvent aux manifestations à Tahrir et sont revenus avec cette expérience. Aujourd'hui, ils animent celles des provinces jusque dans les villages.

6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]