Journée de huit heures

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La journée de 8 heures, ou revendication à travailler au maximum 8 heures par jour, est une revendication historique du mouvement ouvrier dans tous les pays.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

La Révolution industrielle survient à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle tout d’abord au Royaume-Uni en Belgique et en France où les nombreuses manufactures, les mines ou les chantiers embauchent des ouvriers en masse.

À l'époque, la durée de la journée de travail d'un ouvrier est de 10 h, voire plus, dans la plupart des pays industrialisés ; elle peut aller jusqu'à 12 ou 14 heures.

Le slogan « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de repos » est lancé par Robert Owen en 1817.

Les premières réglementations concernent le travail des enfants, eux aussi employés à l’usine où ils effectuent les tâches subalternes dans les mêmes mauvaises conditions que les adultes. On trouve ainsi des enfants dans les cotton mills du Nord de l’Angleterre, dans les docks et les ateliers textiles des États-Unis ou dans les filatures françaises. En Angleterre, le Factory Act de 1833 interdit, dans l’industrie textile, le travail des enfants de moins de 9 ans, et limite le temps de travail journalier en fonction de l’âge (10 heures pour les enfants de 9 à 14 ans, 12 heures pour ceux entre 14 et 18 ans) ; cette loi n’est élargie à l’ensemble des activités qu’en 1853.

En Angleterre, les femmes et les enfants obtiennent la journée de 10 heures en 1847, tandis qu'en France la loi des 10 heures instaurée lors de Révolution française de 1848 est abrogée quelques mois plus tard et des journées de 12 heures à nouveau imposées aux travailleurs français.

Seule l'Australie commence à bénéficier dès 1856 d'une réglementation limitant la journée de travail des maçons à 8 heures, en raison d'un manque chronique d'ouvriers du bâtiment.

2 Militantisme pour les huit heures[modifier | modifier le wikicode]

La journée de 8 heures est une revendication historique de la Première Internationale, créée en 1864 à Londres. Elle l'inscrit à son programme lors de son congrès de Genève (septembre 1866).

« Nous déclarons que la limitation de la journée de travail est la condition préalable sans laquelle tous les efforts en vue de l'émancipation doivent échouer. Nous proposons huit heures pour limite légale de la journée de travail. »

Au même moment (août 1866) de l'autre côté de l'Atlantique, un congrès ouvrier réuni à Baltimore défend la même chose.[1]

« Le premier et le plus grand besoin du présent, pour délivrer le travail de ce pays de l'esclavage capitaliste, est la promulgation d'une loi d'après laquelle la journée de travail doit se composer de huit heures dans tous les Etats de l'Union américaine. Nous sommes décidés à mettre en œuvre toutes nos forces jusqu'à ce que ce glorieux résultat soit atteint. »

En 1868, le gouvernement américain accorde la journée de 8 heures à tous les journaliers, ouvriers, artisans, employés par l’administration fédé­rale.

Certains courants du mouvement freinèrent le combat pour la réduction du temps de travail, au nom d'une opposition libertaire à la réglementation d'État. Ainsi, lors des débats sur du Congrès de Genève de la Première internationale (1866), le proudhonien Fribourg de Paris dit « qu'il ne demande pas une réduction semblable, la délégation parisienne demande seulement que le travail des ouvriers ne soit pas défavorable au développement naturel de leurs facultés et aptitudes, et qu'il ne croit pas qu'il soit possible d'établir aucune réglementation à ce sujet »[2] Encore à Saragosse, au printemps 1872, on refusa de discuter de la journée de travail de huit heures, « parce qu'elle est une limitation au grand but, l'abolition du salariat, c’est-à-dire de l'identité du consommateur, du producteur et du capitaliste amenée par la coopération » (ibid., p. 46).

Le mouvement fut aussi freiné par certaines poussées de corporatisme. Kautsky citait comme tragique exemple :

« Nous ne rappellerons que l’attitude bien connue des mineurs du Northumberland et du Durham, qui sont en opposition avec la masse de leurs camarades, au sujet de la journée normale de huit heures, parce qu’ils ont obtenu la journée de sept heures, et qu’ils trouvent avantageux que les enfants employés à côté d’eux à pousser les wagonnets travaillent dix heures. »[3]

2.1 Legal Eight Hours League[modifier | modifier le wikicode]

Edward Aveling et Eleanor Marx furent à l'initiative d'une Legal Eight Hours League, centrée sur l'agitation pour les huit heures. La League fut présente aux congrès de l'Internationale ouvrière (1891[4] et 1893[5] notamment).

3 Les manifestations du 1er mai[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Premier mai.
Tract pour le 1er mai 1906

Aux États-Unis, au cours de leur congrès de 1884, les syndicats américains se donnent deux ans pour imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures. Ils choisissent de lancer leur action le 1er mai, date du moving day parce que beaucoup d’entreprises américaines entament ce jour-là leur année comptable, et que les contrats ont leur terme ce jour-là, l'ouvrier devant déménager (d'où le terme de moving day) pour retrouver du travail. La grève générale du 1er mai 1886, impulsée par les anarchistes, est largement suivi. Ils sont environ 340 000 dans tout le pays.

À Chicago, la grève se prolonge dans certaines entreprises, et le 3 mai 1886, une manifestation fait trois morts parmi les grévistes de la société McCormick Harvester. Le lendemain a lieu une marche de protestation et dans la soirée, lors de la dispersion a lieu le Massacre de Haymarket Square.

En 1889, la IIe Internationale socialiste se réunit à Paris, à l'occasion du centenaire de la Révolution française et de l’exposition universelle.

Sous l’impulsion de Jules Guesde et de son PO (Guesde inventera le terme de « fêtes du travail » en 18906.) et sur une proposition de Raymond Lavigne, cette Internationale décide le 20 juillet 1889 de faire de chaque 1er mai une journée de manifestation avec pour objectif la réduction de la journée de travail à huit heures (soit 48 heures hebdomadaires, le dimanche seul étant chômé).

Le 1er mai 1890, l'événement est ainsi célébré dans la plupart des pays, avec des participations diverses.

Le 1er mai 1891, à Fourmies, dans le Nord, en France, la manifestation tourne au drame : la police tire sur les ouvriers et fait neuf morts (voir la Fusillade de Fourmies et affaire de Clichy). Avec ce nouveau drame, le 1er mai s’enracine dans la tradition de lutte des ouvriers européens. Les militants épinglent une églantine écarlate (Rosa canina ou Rosa rubiginosa), fleur traditionnelle du Nord, en souvenir du sang versé et en référence à Fabre d'Eglantine.

4 Mise en place[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Avant 1914[modifier | modifier le wikicode]

À l'exception de l'Australie, à la veille de la Première Guerre mondiale, la durée légale du travail dans les pays industrialisés, quand elle existe, est toujours de 10 heures voire 12 ou 14 h en France. On peut cependant trouver des secteurs avantagés dans lesquels la journée de 8 heures existe déjà, comme sur les chantiers maritimes de Nikolaïev (Ukraine), dès 1897.

4.2 Russie[modifier | modifier le wikicode]

En 1917 en Russie comme ailleurs, la journée de 8 heures est une revendication ouvrière, et après l'essor du mouvement ouvrier qui fait suite à la victoire de Février, elle est revendiquée avec insistance. Les socialistes modérés (menchéviks et S-R), qui dominent les soviets, sont pourtant peu enthousiastes pour défendre cette revendication. Ils affirment qu'il faut soutenir la bourgeoisie libérale et son gouvernement provisoire, et que l'heure n'est pas à lutter à la fois contre le tsarisme et contre la bourgeoisie (révolution par étapes). Les soviets votent de motions qui appellent les ouvriers en grève à reprendre le travail. Mais ceux-ci n'écoutent pas les réformistes. Pour eux, il n'est pas question que la vie reste comme avant la révolution). Dans la moitié des usines de Pétrograd (surtout les plus grosses), les ouvriers quittent unanimement après 8 heures de travail écoulées. Si bien que le 10 mars, les industriels de Pétrograd cèdent et acceptent la journée de 8 heures. Un mouvement similaire se développe à Moscou, où la journée de 8 heures est accordée le 21 mars. Ce sont les bolchéviks qui sont surtout à l'initiative de ces luttes. Pris de cours, les socialistes réformistes demandent au gouvernement provisoire d'acter la journée de 8 heures pour l'ensemble de la Russie, mais celui-ci refuse. Etant donné la situation de guerre, les bourgeois déclenchent une campagne de propagande pour essayer de monter les soldats contre les ouvriers, en soulignant que l'égoïsme des ouvriers menace le ravitaillement du front, que sur le front on ne compte pas ses heures... Mais les socialistes parviennent rapidement à une victoire morale par une contre-campagne efficace : des soldats sont invités à venir voir les conditions de travail en usine, les profits et spéculations des bourgeois sont dénoncés, l'alliance ouvriers/soldats est réaffirmée... La réduction du temps de travail eut un impact très positif sur la suite de la révolution. Les quelques heures gagnées permirent pour les ouvriers plus de temps pour la lecture (notamment de textes politiques), de maniement des armes (notamment avec la création de gardes rouges), la participation aux soviets... Cependant dans la pratique la plupart des ouvriers de Petrograd continuaient à faire plus de 8 huit heures par jour, pressurés par les nécessités de la guerre, même si la réfèrence des 8 heures servait désormais pour le compte des heures supplémentaires.

Ce n'est qu'après la Révolution d'Octobre que le gouvernement bolchevique fixe la journée de huit heures et la semaine de 48 heures.

Le philosophe anglais Bertrand Russel écrit après son son voyage en Russie en 1920 :

« La journée de huit heures a été introduite en grande fanfare, mais du fait de la guerre elle a été portée à dix heures dans plusieurs industries. Aucune stipulation n’existe contre le travail supplémentaire consacré à d’autres métiers, et beaucoup de gens travaillent à un autre métier parce que les salaires officiels ne permettent pas de vivre. Cela n’est d’ailleurs pas la faute du gouvernement, dans la plupart des cas ; c’est principalement le résultat de la guerre et du blocus. » [6]

4.3 Allemagne[modifier | modifier le wikicode]

La journée de 8 huit heures est une des réformes sociales qui est obtenue au moment de la révolution allemande de novembre 1918.

4.4 France[modifier | modifier le wikicode]

Le 23 avril 1919, sur proposition du gouvernement Clemenceau qui craint une grève générale, le Sénat français ratifie la loi des huit heures et fait du 1er mai 1919 une journée chômée.

4.5 Suites[modifier | modifier le wikicode]

Durant l'entre-deux-guerres, cette législation se généralise dans les pays industrialisés, et émerge l'idée d'une législation internationale.

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Lutte ouvrière, Le long combat pour la journée de huit heures, 2014

  1. Karl Marx, Le Capital, Livre I - Chapitre X : La journée de travail, 1867
  2. La Ire Internationale, recueil de documents publiés sous la direction de Jacques Freymond, E. Droz, Genève, 1962, t. I, p. 49.
  3. Karl Kautsky, Politique et Syndicats, 1900
  4. Eleanor Marx, Report from Great Britain and Ireland to the Delegates of the Brussels International Congress, 1891
  5. Eleanor Marx, Report from Great Britain and Ireland to the Delegates of the Zürich International Socialist Worker’s Congress, 1893
  6. Bertrand Russell, Pratique et théorie du bolchevisme, 1920