Guerre russo-japonaise

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La guerre russo-japonaise, vue par le peintre géorgien Niko Pirosmani.

La guerre russo-japonaise se déroule du au . Elle oppose l'Empire russe à l'Empire du Japon, lequel, victorieux, en tira par le traité de Portsmouth une petite partie du sud de la Mandchourie et la moitié de l'île de Sakhaline.

Sur le plan militaire, ce conflit préfigure les guerres du 20e par sa durée (1 an et demi), par les forces engagées (sans doute plus de 2 millions d'hommes au total) et les pertes (156 000 morts, 280 000 blessés, 77 000 prisonniers) ainsi que par l'emploi des techniques les plus modernes de l'art de la guerre (logistique, lignes de communications et renseignements ; opérations combinées terrestres et maritimes ; durée de préparation des engagements)[1].

Sur le plan politique, l'affrontement trouve son origine dans une triple interaction :

  • l'opposition directe des impérialismes japonais et russe. Ce dernier a pour objectif stratégique d'obtenir un accès permanent à l'océan Pacifique et l'annexion de la Mandchourie et de la Corée ;
  • la démarche propre de l'Empire japonais consistant :
    • d'abord à préserver son indépendance et ses intérêts face aux impérialismes européens de plus en plus présents dans la région depuis la seconde moitié du 19e siècle ;
    • ensuite à s'affirmer et à se faire reconnaître en tant que puissance régionale à part entière, c'est-à-dire comme un acteur développant sa propre stratégie impériale et coloniale, notamment à l'égard de la Corée.

1 Origines[modifier | modifier le wikicode]

1.1 La présence russe dans l'Extrême-Orient sibérien[modifier | modifier le wikicode]

La prise de contrôle russe de la Mandchourie entre 1858 et 1900, cause de la guerre russo-japonaise.

La Russie poursuit son expansion continentale[2] au-delà du lac Baïkal dans l'Extrême-Orient sibérien en atteignant le détroit de Béring en 1648. Cependant, cette expansion est en partie stoppée en 1689 par le traité de Nertchinsk qui est signé avec la Chine de la dynastie des Qing. Ce traité fixe la frontière entre les deux pays sur les monts Stanovoï et le fleuve Argoun. De 1689 à 1725, la Russie prend possession de la presqu'île du Kamtchatka et maîtrise alors tous les rivages continentaux de la mer d'Okhotsk. Cependant, l'extension maximale des glaces océaniques hivernales bloque ses rivages durant plusieurs mois chaque année et ne permet donc pas à la Russie d'avoir un accès libre de glaces toute l'année à l'océan Pacifique.

Pour réaliser cet objectif stratégique[3] traditionnel de sa diplomatie[4], la Russie doit impérativement disposer d'un accès à la mer du Japon, accès qui lui est refusé durant deux siècles par le Traité de Nertchinsk qui a sanctuarisé le bassin du fleuve Amour. Dès le milieu du 18e siècle, la poussée russe reprend dans toute cette zone : installation d'avant-postes militaires, de colons et commerçants, de négociants et trappeurs, etc. dans une région faiblement contrôlée par la Chine, en périphérie du principal territoire mandchou[5],[6]. Cette période (première moitié du 19e siècle) correspond aussi au début de l'affaiblissement de la Chine des Qing[7].

La Russie réalise son objectif d'obtenir un accès à la mer du Japon (et donc de disposer d'une façade maritime en mer libre sur l'océan Pacifique) par le traité d'Aigun (1858) et la 1re Convention de Pékin (1860) conclus avec la Chine. Parallèlement, la Russie négocie avec le Japon au sujet des îles Kouriles et de Sakhaline en concluant les traités de Shimoda (1855) et le Traité de Saint-Pétersbourg de 1875, la Russie obtenant ainsi le contrôle de Sakhaline et le Japon celui des îles Kouriles.

1.2 La présence européenne en Extrême-Orient au début du 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

L’expansion européenne en Asie s'est d'abord exercée en direction :

La présence européenne en Extrême-Orient se résumait[14] donc essentiellement à la fin du 18e siècle aux :

  • Portugais à Macao depuis 1513, (et dans quelques autres ports chinois dont Canton),
  • Néerlandais cantonnés strictement à l’île de Dejima à partir de 1641, au Japon, depuis le début du 17e siècle[15],[16],[17].

1.3 Le Japon après 1854[modifier | modifier le wikicode]

À la fin du 19e siècle, la pénétration rapide des puissances européennes en Asie et dans le Pacifique est perçue comme une menace par les Japonais. En 1854, une escadre américaine de navires de guerre à vapeur commandée par le Commodore Perry débarque au Japon pour y imposer un traité de commerce favorable aux États-Unis. Technologiquement inférieur, le Japon féodal ne peut s'y opposer et subit une humiliation diplomatique qui pèsera lourd dans l'inconscient collectif japonais. Dix ans plus tard, la Royal Navy bombarde Kagoshima pour des raisons similaires et de très jeunes marins japonais, dont Tōgō Heihachirō (futur vainqueur de Tsushima), montés sur des jonques à peine armées, tentent un baroud d'honneur désespéré. C'est pour se préserver de telles incursions que le Japon féodal se lance dans une politique de modernisation militaire (Bakumatsu, prélude à l'ère Meiji).

Toutes les principales puissances européennes sont présentes dans l'Extrême-Orient, la plus dynamique étant le Royaume-Uni, tandis que Néerlandais et Portugais se contentent de gérer leurs colonies. Les Espagnols sont évincés des Philippines par les Américains en 1898, les Anglais obtiennent une concession à Hong Kong et les Allemands une concession à Qingdao ; les Français prennent solidement pied en Indochine. Les Russes ne veulent pas se laisser distancer.

1.4 La faiblesse de la Chine des Qing[modifier | modifier le wikicode]

Avec la dynastie des Qing (1644-1911), « Jamais l'Empire chinois n'a été si vaste, si prospère, si peuplé […] : c'est la pax sinica, de 1683 à 1830 environ. Puis la corruption, les eunuques, les sociétés secrètes, les étrangers (Anglais, Français, Russes d'abord — Allemands, Japonais, ensuite) minent les assises de la dynastie. Le traité de Nankin (ouverture de cinq ports et cession de Hong Kong au Royaume-Uni, 1842) inaugure l'ère des traités inégaux[7]. ». Mais surtout, la guerre civile dite des Taiping en raison de sa durée (1851-1864) et surtout de l'ampleur des pertes (une vingtaine de millions de morts[18],[19]) affaiblit considérablement l'Empire. Enfin, « Deux guerres perdues, contre la France (1883-1885) et le Japon (1894-1895), la défaite des Boxers »[7] (1899-1901) montrent la véritable situation de faiblesse de la Chine de la fin des Qing.

2 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Blancs et Jaunes, caricature de la guerre (couverture du Petit Parisien illustré du 3 avril 1904).
Carte satirique de 1904 par Kisaburo Ohara, représentant la Russie sous la forme d'une pieuvre aux tentacules mortels.

Le contexte général de cette guerre[20] est une course de vitesse entre deux empires pour le contrôle de la Mandchourie et de la Corée, État indépendant en pleine décadence[21].

La construction du Transsibérien jusqu'à Vladivostok permet à l'armée impériale russe d'acheminer rapidement des troupes en Mandchourie, de disposer d'un port ouvert en permanence sur le Pacifique et de peser immédiatement sur la Chine et la Corée afin d'obtenir avantages et concessions. À partir des années 1880, les Japonais veulent éviter à tout prix que la Corée tombe sous la domination d'une puissance européenne ou de la Chine. Le traité de Tianjin (18 avril 1885) signé entre la Chine et le Japon garantit une indépendance relative de la Corée.

En effet, en même temps qu'il devenait un État moderne, le Japon était amené à une politique d'expansion[22]. Des raisons économiques poussent le Japon à convoiter la Corée, riche de minerai de fer et terre du riz. Le Japon obtient donc le droit de faire du commerce en Corée en 1876 et, depuis le traité de Tianjin, d'y intervenir.

Le prétexte de l'intervention japonaise sera trouvé lors de troubles survenus en Corée en 1894. Les Japonais occupent Séoul, provoquant la déclaration de guerre de la Chine au Japon, le .

En 1894 et 1895, cette guerre se déroule entre la Chine et le Japon au sujet précisément du contrôle de la Corée. Le déroulement de la guerre choque les opinions européennes par sa cruauté. Le traité de Shimonoseki () consacre la victoire japonaise. Ce traité réitère la garantie de l'« indépendance » coréenne, mais octroie aussi au Japon la presqu'île du Liaodong (qui comprend Port-Arthur), territoire chinois au sud de la Mandchourie.

Les Russes, mécontents de l'avancée de l'influence japonaise, font alors pression sur le Japon pour qu'il rétrocède ce gain territorial par l'accord de la triple intervention mené conjointement par l'Empire allemand, la France et la Russie. Les autres puissances comme la Grande-Bretagne[23] ou les États-Unis, auprès desquelles le Japon cherche un soutien, recommandent la prudence à Tokyo. Finalement, le Japon doit non seulement céder, en recevant des indemnités, mais constate dans les mois et années qui suivent une augmentation constante de la présence russe tant en Corée qu'en Mandchourie : construction du « Transmandchourien » d'Irkoutsk à Vladivostok (1896), concession d'exploitation de la péninsule de Liaodang accordée par la Chine à la Russie (1898), protectorat de la Mandchourie obtenue par la Russie après l'écrasement de la révolte des Boxers chinois (1900), écrasement auquel les Japonais avaient aussi fortement contribué.

Pour faire face à ce qu'il considère comme une dangereuse menace, le Japon décide de multiplier par 4 à 5 son budget militaire afin de doubler ses effectifs et de faire de sa flotte la première de la zone asiatique du Pacifique. Les officiers de la marine japonaise étaient déjà formés par la Grande-Bretagne, et sur le plan diplomatique, le Japon obtient le le soutien de l'Angleterre[24]. En , les Russes exigent des Chinois de nouveaux avantages pour respecter les termes d'un accord conclu le entre Saint-Pétersbourg et Pékin. La suspension, en , de l'engagement pris par la Russie dans le cadre de cet accord d'évacuer ses troupes par étapes de Mandchourie met le feu aux poudres.

3 Déroulement[modifier | modifier le wikicode]

Frédéric de Haenen : Troupes russes marchant vers la frontière mandchoue (1904)
Soldats russes observant des militaires japonais tués dans leurs tranchées. Quoique vainqueur, le Japon eut à souffrir de plus de pertes humaines que son adversaire.

Les raisons immédiates de ce conflit étaient le contrôle de la Corée et de la Mandchourie, donc de leurs nombreuses ressources minières, ainsi que la construction du Transmandchourien qui permettait aux Russes de raccourcir le trajet d'Irkoutsk à Vladivostok.

En 1904, le Transsibérien circule, mais les communications sont déficientes dans l'Extrême-Orient de l'Empire russe. Ainsi le transsibérien n'est pas tout à fait opérationnel autour du lac Baïkal[25]. Les forces armées russes se retrouvent en nombre inférieur face aux forces terrestres grandissantes du Japon impérial dans la zone. Les forces russes qui sont sur place sont, en outre, mal ravitaillées, isolées et éloignées de leurs bases ou de leurs forces arrières, ainsi que les unes des autres.

Le , le Japon adresse un ultimatum à la Russie au sujet de la Mandchourie. N'ayant pas obtenu de réponse, le Japon attaque par surprise l'escadre navale de Port-Arthur le [26]. L'empereur du Japon déclare la guerre à la Russie le . En mars, les forces armées du Japon débarquent en Corée et conquièrent rapidement le pays. Elles exploitent leur avancée et mettent le siège devant Port-Arthur en . Les Russes, quant à eux, se replient sur Moukden[27] (actuel Shenyang). Ils reprennent l'initiative en octobre grâce aux renforts venus par le Transsibérien, mais un commandement incompétent fait échouer les attaques. Port-Arthur capitule en . La ville de Moukden tombe après une bataille meurtrière au mois de mars. Les combats terrestres, qui ont été acharnés et extrêmement meurtriers de part et d'autre (71 000 morts russes et 85 000 morts japonais) sont alors terminés : les Russes n'ont plus de réserves à faire parvenir en Extrême-Orient.

C'est cependant sur mer que les Japonais avec les navires d'Émile Bertin vont porter l'estocade aux forces militaires russes lors de la bataille de Tsushima du 27 au , bataille au cours de laquelle la flotte russe de la Baltique, composée de 45 navires et qui devait secourir Port-Arthur, est envoyée par le fond.

A noter qu'il y avait une mission militaire française auprès de l'armée japonaise, envoyée en observation et dirigée par le colonel Corvisart et le capitaine Charles-Émile Bertin.

3.1 Chronologie[modifier | modifier le wikicode]

1904

La cavalerie japonaise franchissant le Yalou, 1904.
Personnel de la Croix-Rouge japonaise soignant des blessés russes et japonais près du fleuve Yalou en avril 1904.
Février
  • 5. Rupture des relations diplomatiques par le Japon.
  • 8. Les torpilleurs japonais attaquent la flotte russe à Port-Arthur.
  • 8-9. Combat naval à Tchemulpo, destruction de deux navires russes (le Varyag et le Koreetz).
  • 8-9. Des troupes japonaises débarquent en Corée.
Mars
  • 6. La flotte japonaise bombarde Vladivostok.
  • 9. Combat naval devant Port-Arthur. Un navire russe sombre.
  • 21. La flotte japonaise bombarde Port-Arthur.
Avril
  • 6. Occupation de Wijou par les Nippons. Retraite des Russes derrière le Yalou.
  • 26. Destruction d’un transport japonais par deux torpilleurs russes.
Mai
  • 1. Passage du Yalou par le général Kuroki. Bataille de Kialientze.
  • 2. Quatrième essai d’embouteillage de Port-Arthur, partiellement réussi.
  • 4. Débarquement de l’armée de Yasukata Oku dans le Liao-Toung.
Juin
  • 15. Le détachement de Stackelberg est défait par Oku à Vafangou.
  • 16. Troisième sortie de l’escadre de Vladivostok. Elle détruit deux transports japonais dans le détroit de Corée.
  • 27. Prise des défilés de Motienling, de Fen-choui-ling et de Taling par les Japonais.
Juillet
  • 3-4-5. Refoulement des Russes sur Port-Arthur par l’armée du général Nogi.
  • 17. Les Russes contre-attaquent sur le défilé de Motien-ling.
  • 31. Les Japonais font une offensive en Mandchourie et investissent Port-Arthur.
Carte de la campagne avec la ligne de communication Port-Arthur (mer Jaune) et Herbin (Sibérie).
Août
  • 10. Combat naval entre la flotte de Port-Arthur et les Japonais.
  • 14. Combat naval entre l’escadre de Kamimura et celle de Vladivostok.
  • 19. Grosses pertes pour les Japonais lors d’un assaut sans résultat de Port-Arthur.
Septembre
  • 3. Retraite russe.
  • 4. Entrée à Liao-Yang des Japonais.
Octobre
Novembre
  • 26. Les Japonais prennent la contrescarpe d’Eurlung.
Décembre
  • 3. La flotte japonaise bombarde la flotte russe devant la rade de Port-Arthur. Les navires russes sont presque tous détruits.
  • 18-28-29. Les Japonais prennent successivement plusieurs forts qui assuraient la protection de Port-Arthur.

1905

Janvier
Février
  • 23. Commencement de la bataille de Moukden.
Mars
  • 10. Entrée des Japonais à Moukden.
  • 20. Le commandement de la première armée est pris par Kouropatkine.
Mai
Juin
  • 8. Invitation de la Russie et du Japon à négocier par le président Theodore Roosevelt.
  • 10. Le Japon accepte.
  • 14. La Russie accepte.
Juillet
  • 7. Débarquement des forces japonaises sur l’île de Sakhaline.
  • 31. Capitulation russe sur Sakhaline.
Août
  • 5. Rencontre des plénipotentiaires russes et Japonais à Oyster-Bay.
  • 29. L’accord est conclu.
Septembre
  • 5. Signature définitive du Traité de Portsmouth.
Octobre

4 Dénouement[modifier | modifier le wikicode]

L'impopularité de la guerre en Russie oblige l'empereur à demander l'ouverture de négociations de paix. De plus, la Russie est en proie à de graves difficultés intérieures : la révolution de 1905. Les négociations se tiennent à Portsmouth aux États-Unis, en présence de Theodore Roosevelt, alors président des États-Unis. Serge Witte, le négociateur russe, doit accepter la cession au Japon de la Corée, de la région de Port-Arthur et d'une partie de Sakhaline (au nord de Hokkaidō). Les Russes doivent quant à eux évacuer la Mandchourie du Sud, laquelle est rendue à la Chine.

Dans les temps modernes, ce conflit est la première guerre perdue par une puissance européenne face à une puissance asiatique.

5 Conséquences[modifier | modifier le wikicode]

C'est la première fois depuis l'abandon du siège de Vienne par les Turcs en 1683 (deuxième guerre austro-ottomane, 1683-1697), dans le cadre d'un conflit où la partie qui n'est pas issue de la civilisation occidentale ouvre les hostilités, que cet affrontement débouche sur une défaite militaire sans appel de la puissance occidentale ; défaite ayant des conséquences stratégiques de grande ampleur pour tous les acteurs de l'événement[20][28],[29],[30].

Ce conflit, excentré et exotique par rapport aux rivalités directes entre nations européennes, s'avère gros de conséquences pour l'avenir :

  • l'entrée simultanée des États-Unis et du Japon comme grandes puissances en Asie, dans la perspective de leur rivalité ultérieure,
  • les premiers signes de vacillement de la Russie tsariste,
  • le constat de la faiblesse de l'appareil militaire russe dans la perspective des alliances européennes, en particulier de l'alliance franco-russe,
  • le Japon est la première nation non européenne à entrer dans le cercle des grandes puissances. Ceci lui permettra d'utiliser à son avantage le ressentiment des peuples colonisés d'Asie tout en développant sa propre politique coloniale et impérialiste. Sa victoire encouragea les nationalistes asiatiques qui suscitèrent des troubles en Inde (1906-1907) et en Indochine (1908). Elle permit au Japon d'étendre son protectorat en Corée qu'il annexe en 1910.

D'autre part, sa politique d'investissements en Chine commença à inquiéter les États-Unis.

Dans la perspective strictement chronologique, la courte mais meurtrière guerre russo-japonaise (1904-1905) ouvre le chapitre des guerres du 20e siècle pour la première moitié de ce siècle, tant sur les plans tactique et stratégique que sur le plan politique. La modernisation accélérée du Japon lui offre les moyens de jouer à armes égales avec les puissances occidentales, déployant sa propre politique de type colonial sur le modèle européen. Le prélude de ce développement s'est produit lors de sa participation aux interventions en Chine puis à la guerre sino-japonaise (1894-1895) qui lui a permis d'annexer Formose (aujourd'hui Taïwan).

La guerre russo-japonaise se fit à travers deux batailles : la bataille navale de Tsushima, où l'escadre russe de la Baltique cherchant à atteindre Vladivostok fut détruite en quelques heures (27-) et la bataille terrestre de Port-Arthur (port et territoire chinois cédé à bail à la Russie en 1898, comme Weihaiwei au Royaume-Uni la même année). Cette stratégie consiste à détruire le fer de lance de la flotte adverse pour obtenir la maîtrise des mers et ensuite procéder à des opérations amphibies et établir des têtes de pont pour engager des combats terrestres. Cette stratégie et cet ordre de bataille furent en vigueur pour les deux guerres mondiales avec le remplacement des cuirassés par des porte-avions qui accompagnèrent la maîtrise des mers par la maîtrise de l'air, sans laquelle les combats terrestres et navals sont voués à l'échec.

La rivalité entre le Japon et la Russie pour l'annexion de la Mandchourie a conduit à cette première guerre du 20e siècle, avant-première de la Première Guerre mondiale (1914-1918). La tactique utilisée est celle des poids légers, qui ont une faible capacité de résistance et qui recherchent donc une bataille décisive aux premiers moments. Après une longue période d'observation, l'attaque, qui peut profiter de l'effet de surprise, est fulgurante et décisive. C'est une tactique typiquement japonaise que l'on retrouve dans les sports de combat comme le kendō (littéralement la « voie du sabre » ou l'escrime à la manière japonaise) et le judo (la « voie de la souplesse »). On retrouvera cette approche pendant la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique et dans le Sud-Est asiatique pendant la campagne Birmanie-Chine-Inde.

L'innovation technologique dans les combats terrestres et navals de la guerre russo-japonaise est l'emploi par les Japonais de la TSF ou radio-téléphonie (en mer) et du téléphone (dans les combats terrestres) pour coordonner les manœuvres des unités combattantes. La guerre russo-japonaise préfigure la Première Guerre mondiale dans l'emploi des mitrailleuses à terre et des cuirassés en mer. Chaque mitrailleuse valait en densité et puissance de feu quelques dizaines de fusils à répétition et les mitrailleuses furent utilisées par les Japonais en postes mobiles pour suivre la progression de l'infanterie comme un support de feu en ramollissant les défenses adverses dans l'offensive et en cassant l'élan de l'assaut adverse dans la défensive. Les mitrailleuses japonaises ont été utilisées comme appui-feu et protection de l’infanterie, en contraste avec la doctrine militaire allemande où une mitrailleuse est considérée comme une pièce d’artillerie protégée par l’infanterie. Plusieurs jeux de guerre ont été conduits en Russie avant le conflit en soulignant les faiblesses russes et en faisant des recommandations qui n'eurent pas de suite.[31]

Malgré la Révolution russe et la Seconde Guerre mondiale, l'URSS garda un ressentiment anti-japonais très fort : à la conférence de Yalta, en , Franklin Delano Roosevelt accepta la demande de Staline d'entrer en guerre contre le Japon en invoquant le prétexte de « l'attaque traîtresse du Japon contre la Russie en 1904 ». Mais d'autres historiens considèrent que c'est la partie américaine qui demanda aux Soviétiques d'entrer en guerre contre le Japon pour accélérer sa défaite et éviter un trop grand nombre de victimes parmi les soldats américains.

6 Points de vue politiques[modifier | modifier le wikicode]

6.1 En Russie[modifier | modifier le wikicode]

Les marxistes considéraient que les deux camps étaient impérialistes, mais la plupart prirent partie pour le Japon, qui aurait un « rôle historiquement progressiste » (Lénine),[32][33][34] représentant une puissance industrielle en plein essor, contre un vieil impérialisme féodal déclinant. Il faut rappeler qu'au 19e siècle, Marx et Engels soutenaient souvent un camp dans une guerre, selon l'issue progressiste qui selon eux pouvait en découler.

Dans l'analyse des causes de la guerre, les menchéviks mettaient plus en avant le caractère de « guerre dynastique », tandis que les bolchéviks mettaient en avant les intérêts économiques. Si aucune des deux fractions ne soutenait le nationalisme russe (cette guerre de déclencha pas de grand élan patriotique), il y eut des différences d'approches. Les menchéviks étaient plutôt pacifistes, tandis que les bolchéviks visaient plutôt (de façon encore peu théorisée) la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.[35] Martov décrit le point de vue menchévik :

Les revers des armées russes engendrèrent dans la société libérale et les cercles révolutionnaires des tendances défaitistes caractérisées. L’espoir se fortifia qu’un désastre plus complet abattrait le tsarisme presque sans efforts nouveaux de la part du peuple. En même temps apparut une sorte de « japonophilie », idéalisation du rôle de l’impérialisme japonais. L’Iskra (c’est-à-dire les menchéviks qui la dirigeaient alors) s’éleva contre le défaitisme, montrant au peuple et aux révolutionnaires qu’il n’était pas de leur intérêt que la guerre se terminât par l’imposition de lourds sacrifices à la Russie et que la liberté leur fût apportée à la pointe des baïonnettes japonaises.[36]

Une des motivations du régime russe était d'utiliser la guerre pour raffermir le soutien populaire en alimentant le nationalisme. Le ministre Plehve disait : « Pour retenir la révolution, nous avons besoin d’une petite guerre victorieuse »[37].

Les libéraux étaient tout à fait disposés à jouer le jeu du tsar. Leur réaction immédiate fut le patriotisme. Dans Ozvobojdiénié, le journal publié à l’étranger par les libéraux, Strouvé suggéra le slogan : « Vive l’armée ! » Lorsque les Japonais eurent démontré leur supériorité militaire aussi bien sur terre que sur mer, le patriotisme des libéraux s’affaiblit quelque peu, et ils devinrent modérément oppositionnels. Cette attitude s’accentua lorsque les Japonais furent vainqueurs à la bataille de Liaoyang en juillet, et qu’il fut clair que les Russes n’allaient pas gagner la guerre, et que le gouvernement était à l’évidence dans une impasse. C’est alors que les courageux dirigeants de la petite noblesse et des classes moyennes donnèrent toute leur mesure. L’Osvobojdiénié écrivit : « L’occupation de la Mandchourie et l’accès à la mer étaient sur le plan économique une absurdité pour la Russie. »[38] Leur attitude envers la guerre devint défaitiste. La défaite pouvait affaiblir le tsar et amener l’autocratie à faire des compromis. Un libéral écrivait : « Les Japonais n’entreront pas au Kremlin, les Russes si ».[39]

Prenant de l’assurance, les libéraux lancèrent une campagne, utilisant les organes locaux de gouvernement autonome, les zemstvos, comme plateforme. Là, ils donnèrent libre cours à leurs doléances et firent le projet d’une conférence nationale des délégués des zemstvos. La conférence fut tenue en novembre, et fut suivie de banquets bourgeois (sur le modèle de la campagne des banquets). Des discours interminables furent prononcés, des plans de réforme constitutionnelle discutés, des protestations étalées au grand jour.

Les mencheviks étaient euphorisés par ces banquets, centrant leur politique sur eux, tandis que les bolchéviks insistaient sur l'indépendance de classe. La révolution de 1905 n'était plus très loin.

6.2 Au Japon[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la guerre, la plupart des anciens démocrates japonais sont devenus des nationalistes qui soutiennent l'impérialisme japonais, et seuls les socialistes font entendre des voix opposées. Ils dénoncent cette guerre comme une guerre de ceux d'en haut, étrangère aux intérêts de la nation.

Le Heimin shinbun (journal socialiste de la Heiminsha) publie une Lettre au parti socialiste russe, qui sera traduite en russe dans l'Iskra puis dans les principales langues occidentales par l'Internationale ouvrière. Ce fut dans ce contexte que Katayama Sen et G.V. Plekhanov, se rencontrent au congrès d'Amsterdam de l'Internationale, et se donnent une poignée de main qui fut un fort symbole d'internationalisme.

La fin de la guerre russo-japonaise entraîne une dégradation de la condition ouvrière et une vague de grèves.

7 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. les informations chiffrées contenues dans cet article et concernant les forces en présence ainsi que les pertes sont extraites de l'exposé du Lt.-Col. Porte.
  2. Dans Grand atlas historique, p.185, B-La formation de l'Empire russe.
  3. « obtenir une façade maritime en mer libre sur le Pacifique » dans l'exposé du Lt.-Col. Porte op. cit..
  4. accès à la mer Baltique : Traité de Nystad (1721), à la mer Noire : Traité d'Iaşi (1792).
  5. (en) The rise of East Asia: critical visions of the Pacific Century, sous la direction de Mark T. Berger & Douglas A. Borer, Routledge, 1997 p.109.
  6. (en) The Russian Far East : the Last Frontier ?, Sue Davis, Routledge, 2003 p.9-12.
  7. 7,0 7,1 et 7,2 Dans Grand atlas historique, p.228, B-La Chine des Qing.
  8. Exploration de l'archipel par Miguel López de Legazpi (espagnol) à partir de 1565 et installation d'un pouvoir politique à Manille en 1571. Ce pouvoir rencontre une résistance constante dans le sud musulman de l'archipel (l'article en anglais dispose de nombreuses sources {en}).
  9. Avec deux phases : une politique d'influence et de comptoir du début du 16e siècle jusqu'à la fin du 18e siècle puis une phase de prise de contrôle politique et territorial au cours de la 1re moitié du 19e siècle. Dans Grand atlas historique, p.88, A-L'empire colonial néerlandais et B-Les indes orientales (XVIe–XXe siècle) ; p.250, B-La pénétration hollandaise à Java 1800-1830.
  10. l’article en anglais dispose de quelques sources {en}.
  11. Cette expansion se réalise sur une centaine d'années (env. 1750-env. 1850) ; dans Grand atlas historique, p.245, B-L'Inde à l'époque coloniale.
  12. bataille de Plassey (1757) – annexion du Panjâb (1849) à la suite de Deuxième Guerre anglo-sikh (1848-1849).
  13. Dans Grand atlas historique, p.85, C-Évolution de l'empire portugais : « […] la stratégie portugaise de points d'appui, sans colonisation véritable… tandis que le Brésil, seule colonie de peuplement […] ».
  14. La puissance démographique, militaire et commerciale chinoise, les politiques de contrôle des contacts de toute nature avec les étrangers élaborées tant par la Chine (et son tributaire qu'était alors le Royaume de Corée) que par le Japon au fur et à mesure de la multiplication de ceux-ci (et qui va pour le Japon jusqu’à la fermeture complète du pays à tout étranger à l’exception des Hollandais cantonnés à l’île de Dejima, près de Nagasaki) sont aussi des explications de cet état de fait.
  15. Dans Grand atlas historique, p.88, A-L’empire colonial néerlandais.
  16. Les Hollandais furent les bénéficiaires des conséquences de la répression croissante à l’encontre des chrétiens catholiques culminant lors de la bataille de Shimabara et de la mise en place de la politique de Sakoku qui s’ensuivit en devenant les interlocuteurs uniques du Japon avec l’étranger européen.
  17. La première arrivée d'un navigateur européen au Japon est datée de 1542/3 ((en) Fernão Mendes Pinto) (portugais).
  18. Userserols, « Userserols », Statistics of Wars, Oppressions and Atrocities of the Nineteenth Century. Retrieved on 2007-04-11.
  19. Chiffre qui ferait de ce conflit le 2e plus sanglant de l'histoire de l'humanité, derrière la Seconde Guerre mondiale mais devant la Première Guerre mondiale.
  20. 20,0 et 20,1 F. Rousseau, « Tsushima (1905), Défaite russe, stupeur occidentale », dans Faits et imaginaires de la guerre russo-japonaise (1904-1905), Éditions Kailash, (ISBN 2-84268-126-6), p. 29 à 37.
  21. Paul Vial, L'Europe et le monde de 1848 à 1914, Paris, Éditions de Gigord, 1968, p.386.
  22. Paul Vial, op. cit., p.386 sq.
  23. Qui formait les officiers de la marine japonaise, dans Paul Vial, op. cit., p.386.
  24. Dans Paul Vial, op. cit., p.388.
  25. Richard Pipes, Les Révolutions russes (1905-1917), 1990, rééd. Perrin 2018 p.31
  26. Richard Pipes, La Révolution russe, Paris, 1993, P.U.F. p.13.
  27. Lettre du colonel français Louis Franchet d'Esperey, chef de corps du 60e RI de Besançon au colonel Mikhaïlov : « Cher camarade, Nous avons appris par les journaux que la 15e division d'infanterie est mobilisée ; le régiment de Zamosts aura bientôt l'honneur de jeter l'armée japonaise à la mer. Nous ne voulons pas que vous alliez vers la gloire sans avoir reçu nos vœux les plus sincères (…) ».
  28. « Anatole France proclame que « la guerre russo-japonaise constitue un des grands moments de l'histoire du monde » parce que c'est la première fois que « les nations chrétiennes européennes, habituées à mener des guerres coloniales contre des nations infiniment plus faibles du point de vue militaire, se trouvent devant des Jaunes armés à l'européenne, et qui l'emportent beaucoup sur leurs adversaires par leur savoir et leur intelligence » » dans Ni l'un, ni l'autre ou les appels des pacifistes, M.-C. Bancquart dans Faits et imaginaires de la guerre russo-japonaise (1904-1905), p.299.
  29. « Le précédent chinois (tout récent, la guerre des Boxers datant de 1900) restait dans les règles de la guerre coloniale : « Il convient, dans ces sortes de guerre, que l'Européen attaque avec de l'artillerie et que l'Asiatique ou l'Africain se défende avec des haches, des flèches, des sagaies et des tomahawks. On admet qu'il se soit procuré quelques vieux fusils à pierre et des gibernes ; cela rend la colonisation plus glorieuse. Mais, en aucun cas, il ne doit être armé ou instruit à l'européenne. » (Anatole France) », M.-C. Bancquart op. cit..
  30. Pour poursuivre l'analyse de M.-C. Bancquart, on peut aussi rappeler dans le même ordre d'appréciation que les guerres coloniales européennes du 19e s. ont certes connu leurs lots de défaites et de batailles militaires perdues ainsi que de révoltes et soulèvements : les conflits anglo-boers en Afrique du Sud, (1814, 1877, 1880) avec la Seconde Guerre des Boers comme point culminant (1899-1902), la bataille de Little Bighorn (1876) au cours des guerres indiennes aux États-Unis, les deux conflits anglo-afghans (1839-1842 et 1878-1881), la défaite anglaise et la chute de Khartoum en 1885 lors de la guerre menée par Muhammad Ahmad ibn Abd Allah Al-Mahdi, la défaite italienne lors de la bataille d'Adoua (1896). Cette énumération de défaites occidentales met en évidence la réalité des rapports de force et l'absence de ruptures stratégiques face à l'expansionnisme occidental jusqu'à la bataille de Tsushima lors de la guerre russo-japonaise, bataille qui vit s'affronter deux flottes comportant les cuirassées parmi les plus puissants du moment et qui représentait l'armement le plus sophistiqué sur le plan technologique à l'époque.
  31. (en) « Naval War Games: War Games played at the Nicholas Naval academy, St. Petersburg, the idea being a War between Russia and Japan », sur The Russo-Japanese War Research Society, (consulté le 18 janvier 2018).
  32. Lénine, La chute de Port-Arthur, 14 janvier 1905
  33. Lénine, Le capital europeen et l'autocratie, 5 avril 1905
  34. Lénine, La debacle, 9 juin 1905
  35. Grigori Zinoviev, Histoire du Parti Bolchevik, 31 mars 1924
  36. Julius Martov, Histoire de la social-démocratie russe, 1922
  37. Cité in SI Witte, Воспоминания, tome 2, Berlin, 1922, p. 423
  38. D.J. Dallin, The Rise of Russia in Asia, London 1950, p. 81.
  39. Cité in B. Pares, A History of Russia, London 1937, p. 428.

7.1 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Pierre Lehautcourt, Quelques enseignements de la guerre russo-japonaise, Auxerre, R. Chapelot, , 19 p.
  • , Jean-Louis de Lanessan, Les enseignements maritimes de la guerre russo-japonaise, Paris, F.Alcan, , 323 p.
  • Charles Pierre Escalle, Histoire abrégée de la guerre russo-japonaise (opérations sur terre et sur mer) : le combat d'infanterie d'après les enseignements de la guerre, Auxerre, A.Lanier, , 232 p.
  • Louis de Saligny, Essais sur la guerre russo-japonaise, Paris, Berger-Levrault, , 464 p.
  • Grand atlas historique, Collectif sous la direction de Georges Duby, 387 p., Éditions Larousse, Paris, 2006 (ISBN 2-03-583340-X).
  • G. Piouffre, La guerre russo-japonaise sur mer. 1904 -1905, 320 p., Marines Éditions, 1999 (ISBN 2-909675-56-4). Analyse historique et militaire.
  • Bernard Crochet et Gérard Piouffre, La guerre russo-japonaise : 1904-1905, Antony, ETAI, , 189 p. (ISBN 978-2-7268-8963-3).
  • Paul Vial, L' Europe et le monde de 1848 à 1914, Paris, Éditions de Gigord, 1968.
  • Faits et imaginaires de la guerre russo-japonaise (1904-1905), Collectif sous la direction de Dany Savelli (Centre de Recherches Interculturalités et Monde Slave, Université de Toulouse - Le Mirail), 590p., Éditions Kailash, Paris, 2005 (ISBN 2-84268-126-6).
  • Bruno Birolli, Port-Arthur, , , collection Campagnes & Stratégies, Paris, Éditions Economica, 2015.

7.2 Filmographie[modifier | modifier le wikicode]

Pour une liste plus étoffée voir liste de films relatifs à la guerre russo-japonaise

  • Saka no Ue no Kumo, (坂の上の雲), Cloud (or Clouds) over the slope (2009-2011) série télévisée historique japonaise produite par la NHK et tirée du roman éponyme.

7.3 Liens externes[modifier | modifier le wikicode]