Fédération régionale espagnole

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Sceau de la Fédération des travailleurs de la région espagnole de l'AIT.

La Fédération régionale espagnole (Federación Regional Española) est une organisation ouvrière fondée en tant que section espagnole de la Première Internationale (AIT) en 1870 et dans laquelle dominait la tendance bakouniniste. Elle fut ensuite membre de l'AIT « anti-autoritaire ». Elle peut être considérée comme l'ancêtre directe de la CNT.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Le capitalisme s’implante en Espagne plus lentement que dans le Nord de l'Europe. La bourgeoisie locale n’est pas très dynamique, et les vieilles classes possédantes ne veulent rien lâcher. L’industrialisation est concentrée en Catalogne, au Pays Basque et aux Asturies, et elle n’absorbe que petit à petit la main-d’œuvre misérable du sud. Le reste de l’Espagne est très rural et en Andalousie, les ouvriers journaliers vivent dans des conditions terribles d’exploitation sur les grands domaines d’agriculture et d’élevage extensifs, sans parler des fréquentes sècheresses en cette région.

Jusqu’en 1936, les Espagnols ne connaîtront que le premier stade du processus de subordination de la force de travail à la logique d’accumulation du capital. À cette première étape du développement capitaliste, où l’innovation technique est peu poussée, les ouvriers détiennent toujours leur savoir-faire et disposent d’une certaine autonomie dans leur labeur. Encore fortement imprégnée de « mentalités » précapitalistes, une grande partie de la société espagnole est visiblement peu disposée à renoncer à un certain mode de vie – aussi misérable qu’il soit – pour un autre où le temps se réduit à engendrer de l’argent. C’est ce qui a fait la force de l’anarchisme dans ce pays : il s’est très bien combiné avec le fond anticlérical, antiétatique et anticapitaliste qui s’exprima dès les années 1830 dans une grande partie des classes populaires. Paul Lafargue, le gendre de Marx, alla en Espagne en 1888 pour aider à créer un parti et un syndicat socialistes (UGT-PSOE), mais ceux-ci restèrent très minoritaires.

2 Formation[modifier | modifier le wikicode]

Pendant longtemps l'AIT (fondée en 1864) n'avait aucun impact en Espagne. C'est Giuseppe Fanelli, envoyé par la tendance anarchiste de l'Internationale, qui parvient à créer le premier un groupe à Barcelone. La tendance marxiste, minoritaire, est introduite par Paul Lafargue, et s'implante à Madrid et plus tard sur la côte cantabrique.

Le groupe fondateur de la section espagnole de l'AIT autour de Giuseppe Fanelli, vers 1869 à Madrid.

La FRE se constitue en 1870, principalement parmi les ouvriers qualifiés, des anciens artisans, surtout actifs en Catalogne et dans le Levant, et parmi les ouvriers agricoles d'Andalousie.

Elle réunissait divers syndicats et associations ouvrières espagnoles, comme la Fédération des Trois Classes de Vapeur, principale organisation barcelonaise dirigée par Climent Bové.

3 Positionnement « collectiviste »[modifier | modifier le wikicode]

Elle se solidarise d'emblée très majoritairement avec Bakounine contre Marx, et adopte les idées collectivistes.


Suite à la scission dans l'Internationale en 1872, la FRE rejoint le camp des libertaires qui forment l'AIT « anti-autoritaire ».


Après 1880, la plupart des sections de « l’AIT anti-autoritaire » adoptent le communisme libertaire, sauf la FRE qui continuera de se réclamer du collectivisme. Ce clivage au sein du mouvement anarchiste concerne le mode de redistribution des biens produits après la révolution :

  • les « collectivistes » soutiennent que chaque travailleur recevra l'équivalent en biens de consommation de son temps de travail, par exemple sous la forme de bons (« À chacun selon son travail. »), au moins dans un premier temps (période de transition) ;
  • les « communistes anarchistes » (une majorité derrière Kropotkine) veulent passer immédiatement à la répartition libre, communiste (« À chacun selon ses besoins. »).


Cela nourrira des années durant des polémiques assez importantes au sein du mouvement. S’y grefferont d’importants désaccords au sujet de la stratégie de la propagande par le fait, proposée et adoptée par les communistes anarchistes réunis en congrès international en 1881.

4 Clandestinité et reformation[modifier | modifier le wikicode]

Les dures conditions de lutte, qui obligent la plupart du temps à la répression, soudent la FRE, qui promet des represalias (représailles) contre les ennemis de classe.

Toutefois, des différences profondes de situation sociale existaient et favorisaient des différences profondes d'orientation :

  • Dans les fédérations des régions plus industrielles, l'aspiration profonde était à conquérir la liberté de s'organiser en sections de métiers, sur un mode proto syndical.
  • En Andalousie, les journaliers agricoles n'ont aucun moyen de pression collectif efficace. Il y a tellement de gens qui crèvent la faim que les patrons trouvent toujours à embaucher des journaliers briseurs de grève, malgré la création de l’Unión de los Trabajadores del Campo (UTC), reliée à la FRE. Alors les ouvriers agissent au travers d'organisations secrètes (qui s'autonomisent de la FRE) pour mener des actions directes, attaquant le patronat, ses propriétés, ses récoltes, son bétail, ses bâtiments...

En 1881, la FRE se reforme sous un jour légal en tant que Fédération des travailleurs de la région espagnole (FTRE), mais en excluant les fédérations qui ne sont pas sur la ligne majoritaire (principalement andalouses).

5 Evolutions ultérieures[modifier | modifier le wikicode]

Par la suite, les idées communistes anarchistes vont, petit à petit, être reprises par les ouvriers sans terre d’Andalousie, pour les opposer au collectivisme de la FTRE.

La FTRE va encore exister jusqu'en 1888, pendant qu'en parallèle se multiplient les actions directes et la propagande par le fait, de groupes anarchistes comme la Mano Negra. Les débats continuèrent également à avoir lieu avec le reste du mouvement anarchiste international. Ainsi Kropotkine écrivait :

« Les deux conceptions diffèrent complètement sur le plan philosophique, comme programme d’action, et sur les conséquences immédiates. […] La distribution selon les services ou selon les besoins serait une différence secondaire disent les Espagnols ; pour nous elle est une différence essentielle. La révolution sociale doit être communiste pour faire œuvre de régénération sociale ; si elle n’est que collectiviste, elle périra. […] Cela ne nous empêchera pas de cheminer fraternellement avec nos bons amis espagnols quand ils donneront l’assaut à la propriété individuelle et à l’autorité ». (Kropotkine, in Le révolté, août 1887)


Ces deux tendances de fond de l’anarchisme espagnol continueront à exister longtemps avec des flux et reflux, y compris au sein de la CNT de masse de 1936.

Il est à noter que le thème de l’abolition du salariat est repris systématiquement par les communistes anarchistes, alors qu’il n’est pas mis en avant par les collectivistes.


6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]