Grève des mineurs de Decazeville

De Wikirouge
Révision datée du 18 septembre 2021 à 18:31 par Wikirouge (discussion | contributions) (Page créée avec « vignette|479x479px|La mort de Jules Watrin vue par le ''[[w:Le Monde Illustré|Le Monde Illustré'', 6 fevrier 1886.]] Une très forte '''gr… »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigation Aller à la recherche
La mort de Jules Watrin vue par le Le Monde Illustré, 6 fevrier 1886.

Une très forte grève eut lieu dans les mines de Decazeville (Aveyron) en janvier 1886. La grève est longue (6 mois) et dure, conduisant à la mort du sous-directeur Watrin.

1 Déclencheurs

Les houillères de l'Aveyron placent à la direction de l'exploitation des mines un ingénieur, Jules Watrin, qui prend alors des mesures d'inspiration paternalistes mais qui produisent une brusque baisse des salaires nets.

La Compagnie met en place un économat (magasin géré directement par le patron s'appuyant sur les clients/travailleur·ses captifs·ves), par des prélèvements sur le salaire des ouvriers, si bien qu'on voyait leurs femmes s'endetter à l'économat pour revendre pain et viande afin de payer leurs loyers.

Par ailleurs, la Compagnie exerçait une forte pression sur les ouvriers pour qu'ils votent aux élections en faveur de ses candidats, monarchistes ou cléricaux. Aux élections d'octobre 1885, ils n'obtiennent pourtant que 300 voix sur les 2000 voix des mineurs. Dans ces conditions, l'explosion était inévitable.

2 Évènements

Une grève spontanée éclate le 26 janvier, les ouvriers au nombre de 2 000 cessent le travail.

La grève générale déclarée, les ouvriers envoient une délégation auprès de Watrin. Arrogant, brutal, l'ingénieur ne veut rien entendre et se refuse à toute concession. L'entrevue a lieu à la mairie. L'ingénieur en sort, est sifflé, hué, prend peur et se réfugie dans un bâtiment voisin. La maison est assiégée, elle est envahie, Watrin est entouré, assailli, frappé ; puis jeté par une fenêtre et achevé par la foule.

A la suite de cette défenestration, des régiments de cavalerie et d'infanterie sont expédiés en toute hâte à Decazeville, les troupes parcourent les campagnes baïonnette au canon pour effrayer la population. Sur l'intervention du préfet, quelques concessions sont promises par la Compagnie et le travail reprend le 29 janvier. Le calme règne, les troupes n'en demeurent pas moins sur place. Mais les améliorations promises le 29 janvier ne sont pas accordées, la Compagnie compte sur la terreur des baïonnettes mises à sa disposition par le Gouvernement pour, au contraire, sous le couvert d'une augmentation d'une partie du salaire, diminuer le salaire total des mineurs. Cette décision est placardée le 25 février ; malgré l'occupation militaire, la grève reprend le jour même. Elle durera jusqu'au 14 juin, soit 108 jours.

Basly présidant une réunion dans un café de Firmi près de Decazeville. Le Monde illustré, n° 1512, 20 mars 1886.

Le 1er juin, la Compagnie cède et la grève se termine. Du 15 au 20 juin, cependant, se déroulera devant les Assises de l'Aveyron le procès de dix travailleurs, dont deux femmes, accusés du meurtre de Watrin. Quatre sont condamnés à 26 ans en tout de travaux forcés, et six sont acquittés.

3 L'impact national

Aussitôt la nouvelle de la mort de Watrin, celui-ci devient une sorte de totem pour le patronat. Tous les relais de la bourgeoisie s'indignent et font une injonction à tous les socialistes de condamner le « meurtre ».

Cette grève va être dans tout le pays l'objet d'une gigantesque propagande socialiste : le lendemain de la mort de Watrin, Jules Guesde écrit dans le Cri du Peuple :

« Mardi matin, la grève éclatait. Et le même jour le sang avait coulé. Par extraordinaire, pour la première fois peut-être, ce n'est pas du sang ouvrier... ». « ... Devant ce cadavre d'employeur, de tortureur, qui va tirer des larmes de tous les yeux bourgeois et des condamnations d'une justice également bourgeoise, il nous est impossible de penser à autre chose qu'aux souffrances, aux injures et aux provocations dont une pareille mort n'est que le couronnement, pour ne pas dire le châtiment ».

A la Chambre, les socialistes interviennent pour défendre les mineurs, cela donne lieu à des débats houleux. Un ancien ouvrier, mineur du Nord, élu député de la Seine, Basly, défend avec emportement les grévistes.

Jean Jaurès - qui vient d'être élu et siège sur les bancs de la gauche opportuniste - vote dans tous les scrutins pour le Gouvernement et pour la Compagnie, justifiant son attitude plus tard en écrivant :

« Lorsque les ouvriers de Decazeville eurent tué l'ingénieur Watrin, Basly, novice encore à la politique sociale, portait au Parlement une déclaration rédigée par les hommes du Cri du Peuple qui contenait presque un commencement d'apologie anarchiste du meurtre, bien plus que la revendication du droit ouvrier et l'affirmation de la pensée socialiste. En vain couvrit-il cet attentat du souvenir des violences de la révolution bourgeoise et promenait-il au bout d'une pique la tête de Flesselles et la tête de Foulon... »

Plus loin, il parle de la « choquante et inutile violence du discours de Basly sur les événements de Decazeville ».

D'autre part, les élus socialistes : Basly, Camélinat, Antide Boyer, Clovis Hugues, vont à Decazeville, groupent les travailleurs, multiplient les réunions. Depuis deux ans seulement, les syndicats viennent d'être reconnus par la loi. Les socialistes, eux, sont groupés dans le Parti Ouvrier fondé en 1879, avec Guesde. Les blanquistes se sont eux aussi organisés. Ce sont donc eux, bien plus que les syndicats qui organiseront la lutte sur place.

Le ministre de la guerre, le général Georges Boulanger (qui deviendra le leader du boulangisme peu après), qui a envoyé la troupe, exprime maladroitement son embarras face à la répression : « Ne vous en plaignez pas. Car peut-être à l'heure où je vous parle, chaque soldat partage-t-il avec un mineur sa soupe et sa ration de pain », déclare-t-il à la tribune de la Chambre.

Arrestation de Roche et de Duc-Quercy à Decazeville. L'Univers illustré, n° 1621, 17 avril 1886.

Deux rédacteurs, Duc-Quercy au Cri du Peuple, Ernest Roche à L'Intransigeant tiennent le public parisien au courant de la grève, et les deux journaux ouvrent des souscriptions en faveur de la grève. Les deux rédacteurs sont arrêtés sous prétexte d'avoir : « à l'aide de violences, de menaces et de manœuvres frauduleuses, porté atteinte au libre exercice du travail » : 15 mois de prison ! Mais une élection législative complémentaire a lieu dans la Seine et tous les socialistes, à l'exception de, la fraction possibiliste, décident de présenter l'un des condamnés de Decazeville, le nom d'Ernest Roche est tiré au sort. D'autre part aucun manifeste ni programme n'est élaboré pour cette élection car c'est d'une protestation qu'il s'agit. Les socialistes recueillent 100 820 voix, l'élu n'en a que 146 000, c'est un radical. Auparavant, aux élections de 1885, les socialistes et radicaux étaient sur une liste commune. C'est la prise de position ferme des socialistes pour le soutien intégral des mineurs qui provoqua la rupture et aboutit à la constitution d'un « groupe ouvrier » à la Chambre.

Parallèlement aux discours d'agitation à la Chambre, des meetings sont organisés (quatre durant le seul mois d'avril à Paris). Sous la pression de l'opinion publique, un grand nombre de municipalités votent des crédits pour venir en aide aux grévistes (à Paris, Marseille, Lyon, etc...). Un de ces meetings a d'ailleurs son épilogue en Cour d'Assises ; Guesde, Lafargue, Susini, sont poursuivis pour excitation au meurtre et au pillage et transforment leur procès en cours d'éducation socialiste. Ils sont acquittés et le public présent à l'audience fait une ovation.

4 Postérité

En janvier 1962, lorsqu'une grève éclate à Decazeville, les directions syndicales (CGT) et réformistes (PCF, SFIO) ne font rien pour la populariser et l'etendre à l'échelle nationale. Lutte ouvrière, publiant à cette occasion un article sur la grève de 1886, fait le constat suivant :

« Alors qu'en 1886, d'un conflit aigu mais très localisé, le Parti Ouvrier avait fait une affaire nationale, aujourd'hui, partis ouvriers et bourgeoisie s'entendent pour faire le contraire. »

5 Sources