La victoire des cadets et les tâches du parti ouvrier

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I. QUELLE EST LA SIGNIFICATION OBJECTIVE DE NOTRE PARTICIPATION AUX ÉLECTIONS À LA DOUMA ?[1][modifier le wikicode]

Les victoires des Cadets ont donné le vertige à notre presse libérale. Les Cadets ont rassemblé tous ou presque tous les libéraux autour d'eux lors de la campagne électorale. Les journaux qui n'avaient pas appartenu jusqu'à présent au Parti Cadet sont devenus des organes de ce parti. La presse libérale se réjouit. De tous côtés, il y a des cliques triomphantes et des menaces contre le gouvernement. A ces cliques ‑ circonstance tout à fait caractéristique ‑ s'ajoutent constamment des remarques jubilatoires et condescendantes à l'égard des sociaux‑démocrates.

‑ Regardez quelle erreur vous avez commise en refusant de participer aux élections ! Le voyez‑vous maintenant ? Reconnaissez‑vous cette erreur ? Appréciez‑vous maintenant les conseils du sage et clairvoyant Plekhanov[2] ? ‑ De tels discours et d'autres semblables sont entendus dans les pages de la presse libérale, qui s'en étouffe de joie. Le camarade Stepanov[3] (Recueil: "Le Moment actuel", article "De loin") a dit remarquablement bien à propos de Plekhanov qu'il lui est arrivé quelque chose de semblable à Bernstein[4]. Et de même que Bernstein fut jadis porté aux nues par les libéraux allemands et exalté au ciel par tous les journaux bourgeois "progressistes", de même il n'y a pas un journal libéral en Russie, pas même un article de journal libéral (jusqu'au "Slovo", oui, oui, jusqu'au "Slovo" octobriste ![5]), qui n'étreint, n'embrasse et ne chérit le sage et prévoyant, judicieux et sobre Plekhanov, qui a eu le courage de se rebeller contre le boycottage.

Voyons ce que les victoires des Cadets ont prouvé. Quelles erreurs ont‑elles révélées ? Quelles tactiques ont été dévoilées dans leur inefficacité ?

Plekhanov, Struve et Cie[6] nous disent que le boycott était une erreur. La raison pour laquelle les Cadets pensent ainsi est assez claire. Leur proposition d'envoyer un ouvrier de Moscou à la Douma (voir "Notre Vie"[7] du 23 mars) montre que les Cadets savent apprécier l'aide des ouvriers, qu'ils cherchent à négocier avec les sociaux‑démocrates pour compléter et consolider leur victoire, qu'ils négocient avec les ouvriers sans parti de la même façon qu'ils l'auraient fait avec le parti social‑démocrate. Que les Cadets détestent le boycott comme un refus de les soutenir, eux, les Cadets, un refus de faire un marché entre la "Gauche" et eux, les Cadets, c'est tout à fait naturel.

Mais que veulent Plekhanov et les mencheviks ou nos sociaux-démocrates russes anti‑boycottistes qui gravitent autour de lui (en partie consciemment, en partie inconsciemment) ? Hélas, hélas ! Plekhanov est le plus audacieux de tous, le plus cohérent, le plus libre et le plus clair dans l'expression de ses opinions, ‑ et avec son cinquième "Journal "[8] il montre encore et encore qu'il ne sait pas lui‑même ce qu'il veut. "Il faut participer aux élections", s'écrie‑t‑il. Pour quoi faire ? Pour instaurer l'autogestion révolutionnaire prônée par les mencheviks ou pour aller à la Douma ?

Plekhanov tourne et retourne, manœuvre, s'agite et élude ces questions simples, directes et évidentes par des sophismes. Après avoir gardé le silence pendant des mois et des mois, alors que les mencheviks prêchaient encore l'autogestion révolutionnaire[9] dans les pages de l'Iskra[10] (et qu'il déclarait, sans s'offusquer, sa sympathie pour la tactique menchevique), Plekhanov lance soudain la phrase la plus méprisante contre cette "fameuse autogestion révolutionnaire" des mencheviks. Fameuse pourquoi et comment, camarade Plekhanov ? Ces mêmes bolcheviks avec lesquels Plekhanov veut maintenant entrer en guerre, et qui ont depuis longtemps montré l'insuffisance, l'incertitude et la tiédeur de ce slogan, n'ont‑ils pas contribué à le rendre "fameux" ?

Il n'y a pas de réponse. Plekhanov n'explique rien. Il se contente de lancer la sentence de l'oracle et de passer son chemin. La différence entre l'oracle et Plekhanov est que l'oracle prédit les événements, tandis que Plekhanov prononce ses verdicts une fois les événements passés, il présente la moutarde après le dîner. Quand les mencheviks, avant la Révolution d'octobre, avant le soulèvement de décembre, parlaient de "l'autogestion révolutionnaire", parlaient avant la poussée révolutionnaire, Plekhanov, alors, était silencieux, approuvant cependant la tactique menchevique dans son ensemble, silencieux comme s'il attendait, comme s'il était perplexe, n'osant pas se faire une opinion précise. Lorsque la vague révolutionnaire fut retombée, lorsque les "jours de liberté" et les jours de révolte furent passés, lorsque les divers Soviets des députés ouvriers, soldats, cheminots, etc. (Soviets qui semblaient aux mencheviks des organes d'autogestion révolutionnaire et que les bolcheviks considéraient comme des organes rudimentaires, dispersés, spontanés et par conséquent impuissants du pouvoir révolutionnaire) se furent retirés de la scène ‑ en un mot, lorsque la question eut perdu de son urgence, lorsque le souper fut consommé, alors Plekhanov apparut avec sa moutarde, alors il montra son aimable sagesse et sa clairvoyance à Messieurs Struve et Cie .... à propos d'hier.

La raison pour laquelle le camarade Plekhanov n'est pas satisfait de l'autogestion révolutionnaire reste un mystère. Plekhanov est maintenant d'accord avec les bolcheviks pour dire que l'autogestion révolutionnaire "déconcerte beaucoup de gens" ("Journal" n° 5), mais tout indique que Plekhanov trouve ce slogan trop grand, tandis que les bolcheviks le trouvent trop petit. Il semble à Plekhanov que ce mot d'ordre va trop loin, et il nous semble qu'il ne va pas assez loin. Plekhanov est enclin à rappeler les mencheviks de "l'autogestion révolutionnaire" à un travail sobre et professionnel à la Douma. Nous sommes enclins, et non seulement enclins, mais nous le demandons consciemment et clairement, à faire un pas en avant par rapport à l'autogestion révolutionnaire, à reconnaître la nécessité d'une action radicale, systématique, offensive des organes de la révolte, les organes du pouvoir révolutionnaire. Plekhanov écarte pratiquement le mot d'ordre d'insurrection (bien qu'il n'ose pas le dire directement et définitivement); ‑ il est tout naturel qu'il rejette aussi le mot d'ordre d'autogestion révolutionnaire, qui, sans insurrection et en dehors de la situation d'insurrection, ne serait qu'un jeu ridicule et nuisible. Plekhanov est un peu plus cohérent que les mencheviks qui lui ressemblent.

Alors, pourquoi et comment participer aux élections, camarade Plekhanov ? Pas pour l'autogestion révolutionnaire, qui ne fait que "déconcerter". Alors, pour participer à la Douma ? ‑ Mais ici, Plekhanov est saisi d'un profond embarras. Il ne veut pas répondre, et comme il y a n + 1 camarades de Russie qui veulent non seulement "lire" les journaux de l'écrivain "écrivaillant", mais aussi agir avec détermination au sein des masses ouvrières, comme ces n + 1 correspondants ennuyeux exigent de lui une réponse précise, Plekhanov se met en colère. Il est difficile d'imaginer quelque chose de plus impuissant et de plus curieux que sa déclaration furieuse selon laquelle ce serait du pédantisme, du schématisme, etc. que d'exiger que ceux qui votent sachent pour qui voter et pourquoi. Pitié, camarade Plekhanov ! Après tout, vous serez ridiculisé tant par vos amis les Cadets que par nos travailleurs si vous défendez sérieusement, devant les masses, ce magnifique programme: participez aux élections, votez, mais ne demandez pas pour qui voter, pour quoi voter. Votez sur la base de la loi sur les élections à la Douma, mais n'osez pas penser (ce serait de la pédanterie et du schématisme) que vous votez à la Douma.

Pourquoi le camarade Plekhanov, qui était autrefois capable d'écrire clairement et de donner des réponses précises, s'embrouille-t-il si manifestement ? Parce que, ayant mal évalué le soulèvement de décembre, il s'est fait une idée fondamentalement erronée du moment politique actuel. Il s'est retrouvé dans une situation qui lui a fait craindre d'aller au bout de sa pensée, d'affronter franchement la réalité.

Aujourd'hui, la réalité sans fard de la "campagne de la Douma" s'est dévoilée en toute clarté. Les faits ont déjà répondu à la question de savoir quelle est la signification objective des élections et de la participation à celles‑ci, indépendamment de la volonté, de la conscience, des discours et des promesses des participants eux‑mêmes. Le plus résolu des mencheviks, le camarade Plekhanov, n'ose donc pas se prononcer directement en faveur de la participation à la Douma, parce que cette participation a déjà déterminé sa nature. Participer aux élections signifie soit soutenir les Cadets et entrer dans un marché avec eux, soit se présenter aux élections. La justesse de cette position a été prouvée par la vie elle‑même. Plekhanov fut contraint dans le n°5 du "Dnevnik"[11] d'admettre la justesse de la seconde moitié de ce raisonnement, d'admettre la niaiserie du mot d'ordre: "autogestion révolutionnaire". Dans le numéro 6 du "Dnevnik", Plekhanov, s'il ne se soustrait pas à l'examen de l'affaire sur le fond, sera contraint d'en admettre également la première moitié.

La réalité politique a coulé la tactique des mencheviks, cette tactique qu'ils ont défendue dans leur "plate‑forme" (un tract hectographié[12] mentionnant les noms de Martov[13] et de Dan[14], publié à Saint‑Pétersbourg à la fin de 1905 ou au début de 1906) et dans leurs déclarations imprimées (un tract du Comité central unifié exposant deux tactiques, un article de Dan dans un pamphlet bien connu). Il s'agissait d'une tactique de participation aux élections, mais pas à l'élection des membres de la Douma. . En ce qui concerne la participation à la Douma, nous le répétons, pas un seul menchevik de premier plan n'a osé en parler dans la presse. Cette tactique menchevique "pure" a été irrévocablement torpillée par la vie. La participation aux élections pour "l'autogestion révolutionnaire", pour la désertion des assemblées électorales provinciales, etc. ne peut même plus être sérieusement discutée. Les événements ont montré très clairement qu'un tel jeu électoral, le jeu du parlementarisme, ne peut jeter sur la social‑démocratie, rien d'autre que du discrédit, rien d'autre que disgrâce et scandale.

S'il faut avancer des corroborations supplémentaires à ce qui a été dit, l'une des plus frappantes a été donnée par le Comité du district de Moscou de notre Parti. Il s'agit d'une organisation conjointe, réunissant les factions majoritaire et minoritaire. La tactique adoptée, fût elle aussi, " conjointe ", c'est‑à‑dire à moitié, pour le moins, menchevique: participer à l'élection des délégués afin de consolider l'influence de la S.D. dans la curie[15] ouvrière, puis perturber les élections en refusant d'élire les grands électeurs. C'était une expérience de la répétition de la tactique adoptée à l'égard de la commission Szydlowski[16]. C'était justement le "premier pas" conforme à l'esprit des mesures préconisées par le camarade Plekhanov: nous participerons, puis nous examinerons cela en détail en temps voulu.

La tactique menchevique‑plekhanoviste du comité de district de Moscou s'est soldé, comme on pouvait s'y attendre, par un fiasco complet. Les commissaires[17] furent élus. Des sociaux‑démocrates et même des membres de l'organisation furent élus. À point nommé s'invite la loi anti‑boycott[18]. Les commissaires sont pris en étau: soit aller en prison pour agitation en faveur du boycott, soit élire des grands électeurs[19]. L'agitation du Comité de district, clandestine comme l'était celle de toutes les organisations de notre parti, fut impuissante à venir à bout des forces qu'elle avait mis en mouvement. Les commissaires rompirent la parole donnée, déchirèrent leurs mandats impératifs et ... élirent des grands électeurs. Parmi les grands électeurs, il y avait aussi en partie des S.D. et même des membres de l'organisation.

L'auteur de ces lignes a assisté à une scène extrêmement pénible lors de la réunion du comité du district de Moscou, lorsque l'organisation dirigeante de la S.D. a discuté de la question suivante: que faire et comment agir maintenant avec cette tactique ratée (de Plekhanov). L'échec de la tactique était si évident que, parmi les membres mencheviks du comité, on ne s'en est pas trouvé un seul qui se soit prononcé en faveur de la participation des grands électeurs à l'assemblée électorale provinciale, ou en faveur de l'autogestion révolutionnaire, ou de quoi que ce soit de ce genre. D'autre part, il était également difficile de se résoudre à prendre des mesures punitives contre les commissaires qui avaient violé leurs mandats impératifs. Le comité dut s'en laver les mains, admettre silencieusement son erreur.

Tel a été le résultat de la tactique de Plekhanov: voter sans y avoir bien réfléchi (sans même avoir voulu bien y réfléchir, sans du tout avoir voulu y réfléchir: voir n° 5 du "Journal"), pour voter quoi et dans quel but voter. Au premier contact avec la réalité, la "tactique" menchevique a volé en mille morceaux, ce qui n'est pas surprenant, car cette "tactique" (participation aux élections sans cautionner ces élections[20]) consistait en de bonnes paroles et de bonnes intentions. Les intentions restaient des intentions, les mots restaient des mots, mais dans les faits, l'issue de cette tactique a été dictée par la logique inexorable de la situation politique objective: soit voter pour soutenir les Cadets, soit jouer le jeu des élections. Les événements ont donc littéralement confirmé ce que j'écrivais dans mon article "La Douma d'État et la tactique de la S.D.": "Nous pouvons déclarer l'indépendance pleine et entière de nos candidatures S.D., une fidélité au Parti tout ce qu'il y a de plus pur concernant notre participation, mais la situation politique est plus forte que toutes les déclarations. Dans les faits, elle est incompatible avec ces déclarations, elle ne parviendra pas à s'accorder avec elles. Dans les faits, inévitablement, que cela nous plaise ou non, si nous participons maintenant aux élections actuelles à la Douma, le résultat ne sera ni une politique social-démocrate ni une politique de parti ouvrier » (p. 5).[21].

Que les mencheviks ou les plekhanovistes essaient de réfuter cette conclusion, entendons-nous bien, non par des mots, mais par des actes et des faits ! Après tout dans le Parti, chaque organisation locale est autonome dans sa tactique. Pourquoi donc aucune tactique menchevique judicieuse et pénétrante n'a‑t‑elle émergé où que ce soit en Russie ? Pourquoi le groupe moscovite du RSDLP[22], menchevique et non fusionné avec le Comité bolchevique, n'a‑t‑il pas préparé une campagne électorale "plékhanovienne" ou sa propre campagne électorale pour les élections qui auront lieu à Moscou après‑demain, le dimanche 26 mars ? Certainement pas par manque de volonté. Je suis sûr que ce n'est pas non plus par incapacité. Pour la simple raison que la situation politique objective imposait soit un boycott, soit un soutien aux Cadets. Aujourd'hui, parmi les grands électeurs de la province de Moscou, il y a des S.‑D. Les résultats électoraux ont parlé dans leur intégralité. L'assemblée électorale provinciale n'est pas pour tout de suite. Il est encore temps, camarade Plekhanov. Il est temps, camarades mencheviks ! Conseillez donc à ces grands électeurs quoi faire[23]. Montrez‑leur pour une fois, et non a posteriori, qu'il y a chez vous un peu de tactique. Ces grands électeurs doivent‑ils simplement quitter l'assemblée électorale provinciale ? Ou la quitter et former un gouvernement autonome révolutionnaire ? Ou glisser dans l'urne des bulletins blancs ? Ou enfin voter pour des candidats à la Douma, et si oui, pour qui ? leurs s.‑d., en guise de manifestation sous le manteau, vide et sans espoir ? Enfin, la question principale à laquelle vous devez répondre, camarades mencheviks et camarade Plekhanov: que doivent faire ces grands électeurs si leur vote conduit à l'élection de Cadets ou d'Octobristes ? Si, par exemple, les Cadets ont A‑1 grands électeurs, et les Octobristes en ont A, et les électeurs sociaux‑démocrates en ont deux ? S'abstenir[24] serait aider les Octobristes à battre les Cadets ! Reste‑t‑il à voter pour les Cadets et à leur demander un siège à la Douma pour le service rendu ?

Ce n'est pas une conclusion que nous avons inventée. Ce n'est pas du tout une astuce polémique contre les mencheviks. Cette conclusion est la réalité même. La participation des travailleurs aux élections, la participation de la social‑démocratie aux élections mène à cela dans les faits et seulement à cela. Les Cadets ont correctement pris en compte l'expérience de Saint‑Pétersbourg, où les ouvriers‑locataires[25] sans parti ont voté pour eux afin d'empêcher la victoire des octobristes. Ayant pris en compte cette expérience, les Cadets ont fait une proposition directe aux ouvriers de Moscou: soutenez‑nous, et nous ferons entrer un de vos élus à la Douma. Les Cadets ont compris le sens réel de la tactique de Plekhanov plus correctement que Plekhanov lui‑même. Par leur proposition, ils ont anticipé le résultat politique inévitable des élections. Si à la place des grands électeurs ouvriers sans parti, il y avait eu des ouvriers sociaux‑démocrates du parti, ils auraient été confrontés au même dilemme: soit se retirer en aidant par là-même les Cent‑Noirs, soit conclure un marché direct ou indirect, tacite ou formel, avec les Cadets.

Oui, oui, ce n'est pas pour rien, pas pour rien du tout que les Cadets étreignent aujourd'hui Plekhanov ! Le prix de ces étreintes est évident. Do ut des, comme le dit le proverbe latin: je te donne pour que tu me donnes. Je te fais un bisou pour que tu me donnes des votes supplémentaires avec tes conseils. Il est vrai que tu n'en voulais peut‑être pas du tout; tu avais même honte d'avouer publiquement avoir reçu nos baisers. Tu as esquivé par tous les moyens, les vérités et les mensonges (surtout les mensonges !) les questions qui touchaient de trop près, sans cérémonie, à l'essence même de notre marché amoureux. Mais la question n'est pas celle de tes désirs, de tes intentions, de tes bonnes intentions (bonnes intentions du point de vue social‑démocrate). Ce qui compte, ce sont les résultats, et ceux‑ci nous sont favorables.

La compréhension par les Cadets de la tactique de Plekhanov correspond à la réalité. Par conséquent, pour eux, le résultat qu'ils souhaitent est également obtenu: l'acquisition de votes ouvriers, la conclusion d'un accord avec les ouvriers, l'implication des ouvriers dans la responsabilité mutuelle (avec les Cadets) pour la Douma des Cadets et pour la politique des Cadets.

La compréhension par Plekhanov de la tactique qu'il propose ne correspond pas à la réalité. Les bonnes intentions de Plekhanov ne servent donc qu'au pavage de l'enfer. L'agitation social‑démocrate par le biais des élections devant les masses, l'organisation des masses, la mobilisation des masses autour de la social‑démocratie, etc. etc. (voir la déclamation de Dan, l'acolyte de Plekhanov, dans sa brochure), tout cela reste sur le papier. Quel que soit le souhait de chacun d'entre nous, les conditions objectives empêchent la réalisation de nos souhaits. Le déploiement de l'étendard social‑démocrate devant les masses est impossible (rappelez‑vous l'exemple du Comité de district de Moscou), il n'y a aucune possibilité pour une organisation illégale de se transformer en organisation légale, la voile est arrachée au timonier impuissant, qui se précipite dans le courant quasi‑parlementaire[26] sans aucun équipement sérieux. Ce que vous obtenez en pratique, ce n'est ni une politique social‑démocrate ni la politique d'un parti ouvrier, mais la politique ouvrière des Cadets.

Mais après tout, votre boycott s'est avéré être une affaire parfaitement inutile et impuissante ! nous crient les Cadets de tous côtés. Les travailleurs qui voulaient faire honte à la Douma et à nous, les Cadets, par leur exemple de boycott ‑ les travailleurs qui ont choisi un polichinelle pour la Douma, ont fait une erreur des plus manifestes ! La Douma ne sera pas une Douma polichinelle, mais une Douma cadette !

Allons, messieurs ! Vous êtes naïfs ou vous faites semblant de l'être. Si la Douma est une Douma cadette, la situation sera différente, mais ce sera toujours un polichinelle. Les travailleurs ont été guidés par un instinct de classe merveilleusement sensible, lorsqu'ils ont symbolisé la future Douma par leur démonstration incomparable, du vote pour un polichinelle, ils ont mis en garde les gens crédules et ont décliné toute responsabilité pour le jeu des polichinelles.

Vous ne comprenez pas ? Laissez‑nous vous l'expliquer.

II. LA SIGNIFICATION SOCIO‑POLITIQUE DES PREMIÈRES ÉLECTIONS[modifier le wikicode]

Les premières élections politiques en Russie revêtent une très grande signification politique et sociale. Mais les Cadets, qui s'enivrent de leur victoire et à fond embourbés dans les illusions constitutionnelles, sont totalement incapables de comprendre la signification réelle de ces élections.

Tout d'abord, voyons quels sont les éléments de classe qui se groupent autour des Cadets. Les élections fournissent un matériel extrêmement instructif et précieux sur cette question, qui est encore très très loin d'être complet. Cependant, quelque chose se dessine déjà et mérite une attention particulière. Voici les résultats des données sur les électeurs jusqu'au 18 mars (c'est‑à‑dire avant les élections de Saint‑Pétersbourg), que nous avons empruntées au Russkiye Vedomosti[27]:

Nombre d'électeurs choisis par les congrès
Orientations politiques[28]électeurs urbainspropriétaires fonciersTotal
Gauche268128396
Droite118172290
Sans parti101178279
Total487478965


Aussi minces que soient ces données, il en ressort clairement (et les élections de Saint‑Pétersbourg ne font que renforcer cette conclusion) que le mouvement de libération russe en général, le Parti Cadet en particulier, subit une certaine mutation sociale. Le centre de gravité de ce mouvement se déplace davantage vers les villes. Le mouvement se démocratise. Le citadin sort du lot du "menu fretin".

Chez les propriétaires terriens, la droite prédomine (en supposant que les non‑partisans se divisent en deux entre la gauche et la droite ‑ une hypothèse qui pèche peut‑être plus par excès de pessimisme que d'optimisme). Parmi les électeurs urbains, la prédominance de la gauche est incomparablement plus forte.

Les propriétaires terriens ont quitté les Cadets pour l'Union du 17 octobre, etc. Mais la petite bourgeoisie, du moins la bourgeoisie urbaine (il n'y a pas encore de données sur la bourgeoisie rurale et il sera plus difficile d'en obtenir avant la Douma), entre clairement dans l'arène politique, se tourne clairement vers un penchant démocratique. Alors que le mouvement bourgeois d'émancipation (et de "l'Osvobojdenié") des congrès du zemstvo[29] était dominé par les propriétaires terriens, les soulèvements paysans et la Révolution d'Octobre ont jeté la plus grande partie d'entre eux résolument du côté de la contre‑révolution. Le parti des Cadets reste dual ‑ on y trouve à la fois la petite bourgeoisie urbaine et les propriétaires terriens libéraux ‑ mais ces derniers apparaissent déjà comme une minorité dans le parti. La démocratie petite‑bourgeoise prévaut.

Avec une forte probabilité, presque avec certitude, nous pouvons donc tirer les deux conclusions suivantes: premièrement, la petite bourgeoisie se forme politiquement et s'oppose définitivement au gouvernement; deuxièmement, le Parti Cadet devient le parti "parlementaire" de la démocratie petite‑bourgeoise.

Ces conclusions ne coïncident pas l'une avec l'autre, comme on pourrait le croire à première vue. La seconde conclusion est beaucoup plus étroite que la première, car les Cadets n'englobent pas tous les éléments démocratiques petits‑bourgeois, n'étant d'ailleurs qu'un parti "parlementaire" (c'est‑à‑dire, bien entendu, un parti quasi‑parlementaire, un parti‑jouet). Quant à la signification des élections de Saint‑Pétersbourg, par exemple, tous les témoignages sont étonnamment unanimes ‑ en commençant par le malin journal "Rus"[30], qui fait mine d'être radical, en continuant avec M. Nabokov[31], membre du comité central des Cadets et candidat à la Douma, et en terminant avec " Novoïé Vrémia "[32] ‑ en s'accordant à dire qu'il ne s'agissait pas, en fait, de votes pour les Cadets, mais de votes contre le gouvernement. Les Cadets ont gagné en grande partie parce qu'ils apparaissaient (grâce à Dournovo[33] et Cie) comme le parti le plus à gauche. Les partis vraiment de gauche avaient été éliminés par la violence, les arrestations, les massacres, la loi électorale, etc. Tous les éléments mécontents, irrités, aigris, évasivement révolutionnaires, ont été contraints par la force des choses, par la logique de la lutte électorale, de se rallier aux Cadets[34]. Cette agrégation de tous les grands électeurs progressistes à l'unisson avec les Cadets, que nous avons reproduit dans le tableau ci‑dessus, s'est effectivement produite dans la réalité. Il y avait essentiellement deux grandes forces en lutte: pour le gouvernement (le propriétaire contre‑révolutionnaire, le capitaliste et le fonctionnaire enragé) et contre le gouvernement (le propriétaire libéral, la petite bourgeoisie et toutes sortes d'éléments indéfinis de la démocratie révolutionnaire). Que les éléments à gauche des Cadets leur aient donné leurs voix, cela ressort sans aucun doute du tableau général des élections de Saint‑Pétersbourg[35], cela est confirmé par les témoignages directs de nombreux témoins (le vote des "gens du peuple" pour la "liberté", etc., etc.), cela ressort aussi indirectement du transfert généralisé dans le camp des Cadets de la presse démocratique, qui était un peu plus à gauche que la presse des Cadets. Par conséquent, si le noyau de l'actuel Parti Cadet est indubitablement composé de gens qui, probablement, ne sont bons à rien à l'exception de la paperasserie parlementaire, on ne peut pas en dire autant de toute la masse des électeurs petits‑bourgeois qui ont voté pour les Cadets. "Il nous est arrivé essentiellement la même chose qu'en Allemagne lors des élections avec les sociaux‑démocrates", a déclaré un Cadet à un journaliste de la cadette (ou demi‑cadette) "Notre Vie" (n° 401, 23 mars), "beaucoup de gens votent pour eux parce qu'ils sont le parti le plus opposant au gouvernement".

C'est très bien dit. Il ne manque qu'un petit ajout: la S.D. allemande, en tant que parti socialiste militant et avancé au sens plein du terme, regroupe autour d'elle de nombreux éléments relativement arriérés. Les Cadets russes, en tant que parti démocratique arriéré et non combattant au sens plein du terme, ont attiré autour d'eux de nombreux éléments démocratiques avancés et capables de combattre, grâce à l'élimination forcée des partis réellement démocratiques du champ de bataille. En d'autres termes: les S.-D. allemands entraînent avec eux ceux qui sont à la traîne derrière eux; Quant aux K.-D. (Cadets) russes eux‑mêmes, ils marchent à la traîne de la révolution démocratique et n'attirent derrière eux un grand nombre éléments d'avancés que seulement alors que ceux qui les précèdent habitent des lieux d'emprisonnement et de tranquillité éternelle...[36] Ceci est dit en passant pour que nos Cadets ne s'en font pas trop accroire[37] en comparaison des S.‑D. allemands.

En raison de l'éloignement de la scène de la lutte parlementaire‑jouet des éléments démocratiques avancés, et pendant la durée de cet éloignement, les Cadets ont naturellement une chance de maîtriser ce parlement‑jouet qui s'appelle la Douma d'État russe. Si nous prenons les chiffres ci‑dessus, si nous tenons compte des victoires de Saint‑Pétersbourg et d'autres victoires ultérieures des Cadets, si nous estimons l'énorme prédominance des électeurs villageois sur les électeurs urbains, si nous ajoutons les électeurs paysans aux électeurs propriétaires fonciers, alors, en général, nous devons admettre qu'il est tout à fait possible et même probable que la Douma sera une Douma cadette.

III. QU'EST‑CE QUE LE PARTI DE LA LIBERTÉ DU PEUPLE ?[modifier le wikicode]

Quel rôle peut et doit jouer la Douma cadette ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord s'attarder sur une caractérisation plus détaillée du Parti Cadet lui‑même.

Nous avons déjà noté la caractéristique principale de la structure de classe de ce parti. Il n'est pas lié à une classe particulière de la société bourgeoise, mais tout à fait bourgeois dans sa composition, dans son caractère, dans ses idéaux, ce parti oscille entre la petite bourgeoisie démocratique et les éléments contre‑révolutionnaires de la grande bourgeoisie. La base sociale de ce parti est constituée, d'une part, de la masse des hommes du peuple des villes ‑ ces mêmes hommes du peuple des villes qui construisirent assidûment des barricades à Moscou pendant les fameuses journées de décembre ‑ et, d'autre part, du propriétaire libéral qui, par la grâce de la médiation du fonctionnaire d'esprit libéral, penche pour un marchandage avec l'autocratie, pour un partage "inoffensif" du pouvoir entre le peuple et tous les oppresseurs du peuple, par la grâce de Dieu. Cette base de classe extrêmement large, indéfinie et intérieurement contradictoire du parti (qui, comme nous l'avons déjà mentionné ci-dessus, se manifeste visiblement dans les statistiques des électeurs cadets) se reflète avec un relief remarquable dans le programme et la tactique du parti K.‑D. Leur programme est entièrement bourgeois; les Cadets ne peuvent même pas imaginer un ordre social autre que l'ordre capitaliste, au‑delà duquel leurs souhaits les plus audacieux ne s'aventurent pas. Dans le domaine politique, leur programme est un amalgame de démocratisme, de "liberté du peuple" et de contre‑révolution, de liberté d'opprimer le peuple par l'autocratie, amalgame trahissant un caractère scrupuleux purement petit‑bourgeois et professoralo-pédantesque. Le pouvoir dans l'État se divise grosso modo en trois parties ‑ c'est l'idéal du Cadet. Une partie va à l'autocratie. La monarchie demeure. Le monarque conserve des droits égaux à ceux de la représentation du peuple, qui "s'accorde" avec lui sur les lois émises, qui lui propose ses projets de loi pour approbation. L'autre partie du pouvoir revient aux propriétaires terriens et aux grands capitalistes. Ils obtiennent la Chambre Haute, dont les élections à deux degrés et le recensement suivant les conditions de résidence doivent écarter les éléments de la "plèbe". Enfin, la troisième partie du pouvoir revient au peuple, qui reçoit la Chambre Basse sur la base d'un scrutin universel, égal, direct et secret. Dans quel but la lutte, dans quel but les querelles intestines ? dit le Cadet Judas, levant les yeux au ciel et jetant un regard de reproche à la fois sur le peuple révolutionnaire et sur le gouvernement contre‑révolutionnaire. Frères ! Aimons‑nous les uns les autres ! Qu'à la fois les loups soient rassasiés et les moutons sains et saufs, qu'à la fois la monarchie avec sa Chambre Haute soit inviolable et la « liberté du peuple » assurée.

L'hypocrisie de cette position de principe des Cadets saute aux yeux, la fausseté des arguments "scientifiques" (professoralo‑scientifiques) avec lesquels elle est défendue est étonnante. Mais il serait fondamentalement erroné, bien sûr, d'expliquer cette hypocrisie et cette fausseté par les qualités personnelles des chefs cadets ou de Cadets individuels. Une semblable explication vulgaire, que nous prêtent assez fréquemment nos adversaires, est absolument étrangère au marxisme. Non, il y a indubitablement des gens sincères parmi les Cadets, qui croient que leur parti est le parti de la "liberté du peuple". Mais la base de classe ambivalente et fluctuante de leur parti engendre inévitablement leur politique à deux visages, leur duplicité et leur hypocrisie.

Ces traits charmants sont, encore plus clairement peut‑être que dans le programme des Cadets, reflétés dans la tactique cadette. "L'Étoile Polaire"[38] , dans lequel M. Struve a si assidûment et avec tant de succès rapproché le cadétisme de la nouvelle modernité, a donné un excellent, splendide, inimitable aperçu de la tactique des Cadets. Au moment même où s'étiolaient les derniers coups de feu à Moscou, où la dictature militaro‑policière célébrait ses orgies enragées, où les exécutions et les tortures de masse se déroulaient dans toute la Russie, ‑ dans "l'Étoile polaire", on prononçait des discours contre la violence à gauche, contre les comités de grève des partis révolutionnaires. Des professeurs cadets (G. Kiesewetter, membre du Comité central des Cadets et candidat à la Douma), bazardant la science pour le compte des Doubassov[39] sont allés jusqu'à traduire le mot dictature par le mot protection renforcée ! Les « gens de science » ont même déformé leur latin du lycée afin de minimiser la lutte révolutionnaire. La dictature signifie ‑ prenez‑en note une fois pour toutes, MM. Kiesewetter, Struve, Izgoev[40] et Cie, un pouvoir illimité, basé sur la force et non sur la loi. Durant une guerre civile, tout gouvernement victorieux ne peut être qu’une dictature. Mais le fait est qu’il existe la dictature d’une minorité sur la majorité, un petit groupe de policiers sur le peuple, et il existe la dictature d’une gigantesque majorité du peuple sur une bande de violeurs, de voleurs et d'usurpateurs du pouvoir du peuple. Par leur perversion vulgaire de la notion scientifique de dictature, par leurs cris contre la violence de gauche, au moment où sévit la violence de droite la plus anarchique, la plus abjecte, ces messieurs les Cadets ont montré concrètement quelle est la position des "conciliateurs" dans la lutte révolutionnaire exacerbée. Le "conciliateur" se cache lâchement quand la lutte s'embrase. Une fois que le peuple révolutionnaire a vaincu (17 octobre), le "conciliateur" sort de son terrier, se bichonne avec vantardise, se donne à fond dans les virelangues[41] et crie jusqu'à la rage: ce fut une "glorieuse" grève politique. Lorsque la contre‑révolution gagne, le conciliateur commence à inonder les vaincus d'exhortations et sermons hypocrites. La grève victorieuse était une grève "glorieuse". Les grèves vaincues sont criminelles, sauvages, insensées, anarchiques. Le soulèvement vaincu était une folie, un déchaînement des éléments, de la barbarie et de l’absurdité. En un mot, la conscience politique et l'esprit politique du « conciliateur » consistent à se prosterner devant ceux qui sont désormais les plus forts, à mettre des bâtons dans les roues de ceux qui se battent, à contrarier un camp ou l'autre, à émousser la lutte et à engourdir la conscience révolutionnaire d'un peuple qui mène une lutte désespérée pour la liberté.

Les paysans luttent contre les propriétaires terriens. Cette lutte atteint aujourd'hui son paroxysme. Elle s'est tellement aggravée que la question est déjà devenue critique: les propriétaires veulent mitrailler les paysans à la moindre tentative de ces derniers de s'emparer des terres spoliées par la noblesse au cours des siècles. Les paysans veulent prendre toutes les terres. Alors "l'Étoile Polaire" enverra M. Kaufman[42] au combat avec une gentille mise au point aigre‑douce, qui prouvera que les propriétaires n'ont pas beaucoup de terres, que l'affaire n'en est pas vraiment une et que tout peut se terminer à l'amiable.

La résolution tactique du dernier Congrès des Cadets[43] résume bien la politique politicienne des Cadets. Après l'insurrection de décembre, lorsque la grève pacifique fut devenue obsolète de la manière la plus évidente pour tous, lorsque elle eut épuisé toutes ses forces et n'était plus utile en tant que moyen indépendant de lutte, ‑ une résolution du Congrès des Cadets (proposée, paraît‑il, par M. Vinaver[44]) est venue à la surface, reconnaissant la grève politique pacifique comme moyen de lutte !

Splendide, incomparable, messieurs les Cadets ! Vous maîtrisez avec une dextérité inimitable l'esprit et le sens de la politique bourgeoise. Il faut essayer de s'appuyer sur le peuple. Sans cela, la bourgeoisie ne parviendra pas au pouvoir et n'y est jamais parvenue. Mais il faut en même temps contenir l'élan révolutionnaire du peuple, afin que les ouvriers et les paysans ne conquièrent pas, à Dieu ne plaise, une démocratie complète et décisive, une liberté populaire réelle, non monarchique, non "bicamérale". Pour ce faire, il est nécessaire de jeter des bâtons dans les roues de la Révolution à chaque fois qu'elle triomphe ‑ et cela devrait être fait par tous les moyens, par toutes les mesures, en commençant par la déformation "scientifique" du latin par les "professeurs" pour déshonorer l'idée même d'une victoire décisive du peuple, et en finissant au moins de ne reconnaître que les moyens de la lutte révolutionnaire qui ont déjà fait leur temps au moment où vous les reconnaissez ! C'est à la fois inoffensif et profitable. Inoffensif, parce qu'une arme émoussée ne donnera pas la victoire au peuple, ne mettra pas le prolétariat et la paysannerie au pouvoir, au mieux elle ne fera qu'ébranler un peu l'autocratie et aider les Cadets à négocier au profit de la bourgeoisie une lichette de "droits" supplémentaire. C'est payant, car cela donne l'apparence extérieure de "l'esprit révolutionnaire", l'apparence de la sympathie avec la lutte du peuple, et attire du côté des Cadets la sympathie des masses de ces éléments qui veulent sincèrement et sérieusement la victoire de la Révolution.

L'essence même de la situation économique de la petite bourgeoisie, oscillant entre le capital et le travail, donne inévitablement naissance au vacillement politique et à la duplicité du Parti Cadet, conduit à sa fameuse théorie de l'accord ("le peuple a des droits, mais c'est le droit du monarque de faire valoir ces droits"), et fait de son parti un parti d'illusions constitutionnelles. Un idéologue de la petite bourgeoisie ne peut pas comprendre "l'essence de la constitution". Le petit-bourgeois est toujours enclin à prendre un morceau de papier pour l'essence de la question. Il est peu capable de s'organiser indépendamment, sans adhérer à la classe combattante, pour une lutte directement révolutionnaire. Très à l'écart de la lutte économique la plus vive de notre époque, il préfère, même en politique, céder la première place aux autres classes lorsqu'il s'agit de conquérir réellement la constitution, d'assurer dans la pratique une véritable constitution. Que le prolétariat se batte pour le terrain constitutionnel, mais sur le terrain constitutionnel, pourvu qu'au moins ce terrain se tienne sur les cadavres des ouvriers tués dans la révolte, que le peuple joue le jeu du parlementarisme, ‑ voilà la tendance immanente de la bourgeoisie, et le Parti Cadet, cette personnification purifiée, ennoblie, sublimée, parfumée, idéalisée, édulcorée, des aspirations générales de la bourgeoisie, agit dans ce sens avec une constance remarquable.

Vous vous appelez le Parti de la liberté du peuple ? Allons donc ! Vous êtes le parti de la tromperie philistine de la liberté du peuple, le parti des illusions bourgeoises sur la liberté du peuple. Vous êtes le parti de la liberté, car vous voulez subordonner la liberté au monarque et à la Chambre Haute des propriétaires fonciers. Vous êtes le parti du peuple, car vous craignez la victoire du peuple, c'est‑à‑dire la victoire complète de la révolte paysanne, la liberté complète de la lutte ouvrière pour la cause ouvrière. Vous êtes le parti de la lutte, car vous vous cachez derrière des excuses aigres‑douces de professeur chaque fois qu'une lutte révolutionnaire réelle, directe et immédiate contre l'autocratie éclate. Vous êtes le parti des paroles plutôt que des actes, des promesses plutôt que de leur réalisation, des illusions constitutionnelles plutôt que de la lutte sérieuse pour une véritable (et pas seulement de papier) constitution.

Lorsqu'il y a une accalmie après une lutte désespérée, lorsqu'au sommet "la bête qui s'est empiffrée et lasse de la victoire[45] se repose" et qu'en bas "ils aiguisent leurs épées", rassemblant de nouvelles forces lorsque cela commence à fermenter et à bouillir peu à peu dans les profondeurs du peuple, lorsqu'une nouvelle crise politique et une nouvelle grande bataille se préparent, ‑ alors le parti des illusions bourgeoises sur la liberté du peuple connaît l'apogée de son développement, se délecte de ses victoires. La bête repue est trop paresseuse pour se lever à nouveau et attaquer de près les bavards libéraux (Il sera toujours temps ! Il n'y a pas le feu au lac !). Et pour les combattants de la classe ouvrière et de la paysannerie, l'heure n'est pas encore venue d'un nouveau sursaut. Il est l'heure de saisir le moment, il est l'heure de recueillir les voix de tous les mécontents (et qui est satisfait aujourd'hui ?), il est l'heure pour nos Cadets de s'égosiller tel le rossignol[46].

Les Cadets sont les vers de terre de la Révolution. La Révolution a été enterrée. Les vers sont en train de la dévorer. Mais la Révolution a la propriété de revivre rapidement et de se développer avec luxuriance sur un sol bien préparé. Et ce sol a été merveilleusement, magnifiquement préparé par les journées de liberté d'octobre et le soulèvement de décembre. Et nous sommes loin de penser à nier le travail utile des vers à l'époque des funérailles de la Révolution. Après tout, ces gros vers fertilisent si bien le sol ....

Le paysan de la Douma sera un Cadet ! s'est exclamé un jour M. Struve dans "L'Étoile Polaire". C'est tout à fait plausible. Le paysan dans sa masse représente, bien sûr, la liberté du peuple. Lorsqu'il entendra ces bonnes et grandes paroles, il verra devant lui, vêtus de divers costumes "octobristes", des sergents cosaques, des sous‑chefs de police écraseurs de pommettes, des propriétaires fonciers partisans du servage. Il se rangera sans doute du côté de la liberté du peuple, il tendra la main vers l'enseigne joliment placardée, il ne démêlera pas tout de suite la supercherie bourgeoise, il deviendra Cadet.... il sera un Cadet jusqu'à ce que la suite des événements lui montre que la liberté du peuple reste encore à conquérir, que la véritable lutte pour la liberté du peuple se situe en dehors de la Douma. Et alors... alors et le paysan et la masse de la petite bourgeoisie urbaine se diviseront: une minorité koulak, petite mais économiquement forte, peut déjà se tenir fermement du côté de la contre‑révolution, une partie se tiendra du côté de "l'accord", de la "réconciliation", d'un marché à l'amiable avec la monarchie et les propriétaires terriens, une partie se rangera du côté de la Révolution.

Le simple citoyen a construit des barricades en décembre, pendant la grande lutte. Le simple citoyen a protesté contre le gouvernement en élisant un Cadet, après la répression de l'insurrection, en mars. Le simple citoyen passera du Cadet à la Révolutionlorsque les illusions constitutionnelles actuelles feront fiasco. Quelle partie des gens du peuple passera des bavardages des Cadets à la lutte révolutionnaire, quelle partie de la paysannerie se joindra à eux, quelle seront l'énergie, l'organisation et le succès du prolétariat dans le nouvel assaut, voilà ce qui décidera de l'issue de la Révolution.

Le Parti des Cadets est un parti éphémère et sans vie. Cette affirmation peut sembler paradoxale au moment où les Cadets remportent de brillantes victoires aux élections, où ils remporteront probablement des victoires "parlementaires" encore plus brillantes à la Douma. Mais le marxisme nous enseigne à considérer chaque phénomène dans son développement et à ne pas nous contenter d'une simple esquisse superficielle, à ne pas croire aux beaux signes, à enquêter sur les bases économiques et de classe des partis, à étudier la situation politique objective qui prédéterminera le sens et le résultat de leur activité politique. Appliquez cette méthode d'examen aux Cadets ‑ et vous verrez la justesse de notre affirmation. Les Cadets ne sont pas un parti, mais un symptôme. Ils ne sont pas une force politique, mais une écume qui résulte de la collision de forces en lutte qui s'équilibrent plus ou moins. Ils combinent en leur sein en vérité le cygne, l'écrevisse et le brochet ‑ l'intelligentsia bourgeoise bavarde, arrogante, bien‑pensante, limitée et lâche, le propriétaire terrien contre‑révolutionnaire qui veut se payer la Révolutionpour un prix raisonnable et, enfin, le petit‑bourgeois endurci, diligent, chiche et avaricieux. Ce parti ne veut pas et ne peut pas avoir un pouvoir durable dans la société bourgeoise en général, il ne veut pas et ne peut pas non plus conduire la révolution démocratique bourgeoise sur une voie déterminée. Les Cadets ne veulent pas gouverner, ils préfèrent être des "attachés" au service de la monarchie et la Chambre Haute. Ils ne peuvent pas gouverner, car les véritables maîtres de la société bourgeoise, les Chipov[47] et Gouchkov[48] en tous genres, représentants du Grand Capital et de la grande propriété, se tiennent à l'écart de ce parti. Les Cadets sont le parti du rêve d'une société bourgeoise blanche, propre, ordonnée, "idéale". Les Goutchkov et les Chipov sont le parti de l'authentique capital, réel, dégoûtant, dans la société bourgeoise moderne. Les Cadets ne peuvent pas faire avancer la Révolution, car il n'y a pas derrière eux de classe unie et véritablement révolutionnaire. Ils ont peur de la Révolution. Ils n'unissent autour d'eux tout le monde, tout le "peuple", que sur la base d'illusions constitutionnelles, ils ne s'unissent que par un lien négatif: la haine de la bête gorgée ‑ du gouvernement autocratique, contre lequel les Cadets se dressent maintenant Les Cadets sont désormais les plus à gauche sur cette base "légale".

Le rôle historique des Cadets est un rôle transitoire, fugace. Ils tomberont avec la chute inévitable et rapide des illusions constitutionnelles, tout comme sont tombés les sociaux‑démocrates français petits‑bourgeois de la fin des années 40, qui sont très semblables à nos Cadets. Les Cadets tomberont, après avoir fertilisé le sol... - soit pour le triomphe prolongé des Chipov et des Goutchkov, pour les funérailles prolongées de la Révolution, pour le constitutionnalisme bourgeois "sérieux"; ‑ soit pour la dictature révolutionnaire‑démocratique du prolétariat et de la paysannerie.

IV. RÔLE ET SIGNIFICATION DE LA DOUMA DES CADETS[modifier le wikicode]

La Douma d'Etat, nous disent les journaux libéraux, sera donc une Douma des Cadets. Nous avons déjà signalé que cette hypothèse est tout à fait vraisemblable. Ajoutons seulement que si les Cadets se trouvent, malgré leurs victoires actuelles, en minorité à la Douma, il est peu plausible que cette circonstance fasse une différence particulièrement importante dans le cours de la crise politique qui se prépare à nouveau en Russie. Les éléments de cette crise révolutionnaire sont trop profondément enracinés pour que telle ou telle composition de la Douma puisse avoir une influence sérieuse. L'attitude de la large masse de la population à l'égard du gouvernement est tout à fait claire. L'attitude du gouvernement face aux besoins urgents de l'ensemble du développement social est plus que claire. Dans ces conditions, la Révolution, naturellement, progressera. Un seul retard probable dans certains aspects du développement politique de la Russie sera lié à la prédominance des Cent‑Noirs dans la première Douma. Précisément: la débâcle du Parti Cadet et de l'envoûtement cadet sur le peuple sera freinée si les Cadets deviennent minoritaires. Être en minorité, rester dans l'opposition, leur convient très bien aujourd'hui. La prépondérance des Cent‑Noirs serait imputée, aux yeux de l'opinion publique, à la répression gouvernementale lors des élections. Les discours d'opposition des Cadets, conscients de "l'innocuité" de leur opposition, seraient particulièrement enflammés. Devant les larges masses de la population politiquement non éduquée, le prestige des Cadets serait rehaussé dans de telles conditions, alors que les "paroles" des Cadets résonneraient encore plus fort qu'aujourd'hui, tandis que les "actes" des Cadets resteraient encore flous en raison de leur mise en minorité par les Octobristes[49]. La croissance du mécontentement contre le gouvernement et la préparation d'une nouvelle poussée révolutionnaire se poursuivraient comme avant, mais la révélation de la vacuité des Cadets pourrait être quelque peu retardée.

Avançons maintenant une autre hypothèse, plus probable, si nous nous fions aux assurances que nous livrent actuellement les journaux cadets. Supposons que les Cadets soient majoritaires à la Douma ‑ bien sûr, avec la même combinaison de Cadets des divers partis non affiliés, "petits partis" et autres libéraux que celle qui est observée aujourd'hui lors des élections. Quels seront le sens et le rôle de la Douma des Cadets ?

Les Cadets eux‑mêmes donnent des réponses très précises à cette question. Leurs déclarations, leurs promesses, leurs phrases fortes respirent la fermeté et la détermination. Et il est de la plus haute importance pour nous, membres du Parti des Travailleurs, de recueillir soigneusement toutes ces déclarations, de bien les mémoriser, de les diffuser le plus largement parmi le peuple, de veiller à ce que les leçons d'éducation politique (enseignées par les Cadets au peuple) ne soient pas vains, de sorte que les ouvriers et les paysans sachent avec certitude ce que les Cadets promettent et comment ils tiennent leurs promesses.

Dans la présente brochure, qui n'est rien d'autre que les notes superficielles d'un publiciste itinérant social‑démocrate qui, par la volonté de Dournovo et Cie, a été écarté du travail de presse, nous ne pouvons oser penser à rassembler toutes les déclarations et les promesses des Cadets qui ont défilé à la Douma, ni même les plus significatives. Nous ne pouvons que noter quelques éléments sur la base de la littérature qui se trouve être à notre disposition.

Voici le journal "Narodnaya Svoboda"[50], publié en décembre et rapidement fermé par le gouvernement. C'est l'organe direct et officiel du Parti Cadet. Des piliers de ce parti comme MM. Milioukov et Gessen ont édité ce journal. Que l'ensemble du parti K.‑D. soit responsable de son contenu, il n'y a pas le moindre doute à ce sujet.

Dans le numéro du 20 décembre, "Narodnaya Svoboda" commence à assurer le lecteur qu'il est nécessaire d'aller à la Douma. Quels arguments avance l'organe des Cadets en faveur de cette thèse ? "Narodnaya Svoboda" ne songe même pas à contester le fait que la prochaine tâche politique de la Russie consiste à convoquer une Assemblée Constituante. L'organe des Cadets accepte cette position comme prouvée. La seule question est, voyez‑vous, de savoir qui convoquera cette Assemblée Constituante. Il y a trois réponses possibles: 1) le gouvernement actuel, c'est‑à‑dire en fait un gouvernement autocratique; 2) un gouvernement révolutionnaire provisoire; et 3) la Douma d'État, en tant que "pouvoir concurrent du gouvernement". Ainsi, les Cadets rejettent les deux premiers résultats ‑ ils n'espèrent pas un gouvernement autocratique et ne croient pas au succès du soulèvement. En revanche, les Cadets acceptent la troisième issue. C'est pourquoi ils en appellent à la Douma, parce que c'est le meilleur moyen, le plus sûr, etc. de convoquer une Assemblée Nationale Constituante.

Retenez bien cette conclusion, messieurs ! Le Parti Cadet, le parti de la "liberté du peuple", a promis au peuple d'utiliser "le pouvoir en concurrence avec le pouvoir", d'utiliser sa prédominance à la Douma d'État (si le peuple l'aidait à atteindre la telle prédominance) pour convoquer une Assemblée Nationale Constituante.

C'est un fait historique. C'est une promesse importante. C'est le premier test de la façon dont le parti de la "Liberté du Peuple" entre guillemets servira la liberté du peuple sans guillemets.

Dans les journaux actuels du Parti Cadet (et ce parti, nous le répétons, presque tous les organes libéraux, y compris "Rus", "Nasha Zhizn", etc. l'ont effectivement rejoint)[51], vous ne trouverez plus une telle promesse. On parle des "fonctions constitutives" de la Douma, mais plus de la convocation par la Douma d'une Assemblée Nationale Constituante. À l'approche du moment où les promesses devront être suivies d'effets, on fait un pas en arrière, on prépare déjà une échappatoire.

Ou peut‑être l'essentiel est‑il que les lois féroces nous empêchent désormais de parler directement d'une Assemblée Constituante ? N'est‑ce pas, Messieurs ? Après tout, à la Douma, où vos députés jouiront, selon la loi, de la liberté de parole, vous parlerez à nouveau d'une voix pleine et entière, vous demanderez la convocation... que dis‑je... vous convoquerez une Assemblée Nationale Constituante ?

Nous verrons bien. Et n'oublions pas la promesse des Cadets de convoquer une Assemblée Nationale Constituante par l'intermédiaire de la Douma. Les journaux cadets regorgent désormais de déclarations selon lesquelles, eux, les Cadets, seront le "gouvernement", qu'ils auront le "pouvoir" et ainsi de suite. Bonne journée, messieurs ! Plus tôt vous aurez la majorité à la Douma, plus tôt viendra le moment où vos billets à ordre seront présentés pour paiement. Voici le journal cadet "Rus" qui salue la victoire pétersbourgeoise du parti de la "liberté du peuple" et qui, dans son numéro du 22 mars, publie un article brûlant: "Avec le peuple ou contre lui ?" La convocation d'une Assemblée Nationale Constituante par la Douma n'y est aucunement explicitement mentionnée. Mais malgré ce recul par rapport aux promesses faites par les Cadets, il subsiste encore pas mal de bonnes perspectives pour les Cadets:

«L'objectif principal de la Douma qui se réunit actuellement et du Parti de la Liberté du Peuple qui y siège est d'être le fléau de la colère du peuple.

Après avoir expulsé et jugé les membres criminels du gouvernement, elle n'aura à s'occuper que des mesures urgentes, puis à convoquer une véritable Douma ‑ sur des bases plus larges, représentative de tout le peuple» (c'est‑à‑dire convoquer une Assemblée Constituante ?). " C'est la tâche incontestable de la Douma, c'est‑à‑dire la tâche que le peuple lui‑même lui confie aujourd'hui. "

Bien ! D'accord ! Chasser le gouvernement. Traduire le gouvernement en justice. Convoquer une vraie Douma. Le journal "Rus" écrit bien. Les Cadets parlent bien. C'est étonnament beau ce que disent les Cadets. Le seul bémol, c'est que leurs journaux sont fermés pour ces bonnes paroles ...

Souvenons‑nous, messieurs, de cette nouvelle promesse, faite le lendemain des élections de Saint‑Pétersbourg, et souvenons‑nous en bien ! Les Cadets vont à la Douma pour chasser le gouvernement, pour juger le gouvernement, pour convoquer une véritable Douma.

Des promesses des Cadets concernant la Douma, passons maintenant aux "opinions" du gouvernement à l'égard de la Douma des Cadets. Bien sûr, personne ne peut savoir exactement quelles sont ces "opinions", mais il existe des éléments pour en juger, même dans les journaux optimistes des Cadets. Par exemple, en ce qui concerne le prêt en France[52], des rapports de plus en plus confiants indiquent que ce prêt est une affaire réglée, qu'il se déroulera avant la convocation de la Douma. Le gouvernement sera, bien entendu, encore moins dépendant de la Douma.

Par ailleurs, en ce qui concerne les perspectives du ministère Witte‑Dournovo[53], le même journal "Rus" (ou "Molva"), dans l'article cité ci‑dessus, suggère que le gouvernement devrait "aller de concert avec le peuple, c'est‑à‑dire avec la Douma". Comme vous pouvez le constater, "l'expulsion des membres criminels du gouvernement" n'est en réalité comprise que dans le sens d'un certain changement de personnes. Le changement dont il s'agit, les mots suivants du journal nous le révèlent:

« Maintenant, même pour la réaction elle‑même, le ministère d'une personnalité telle que D. N. Chipov serait des plus avantageux. Lui seul pourrait empêcher à la Douma l'affrontement final du gouvernement et de la société". Mais nous prenons "la pire des chances", remarque le journal, en escomptant la formation d'un ministère purement bureaucratique. "Il n'y a rien à prouver ici, dit "Molva", il est clair pour tous que si le gouvernement ne veut pas priver la Douma de son importance, il doit, il est obligé de congédier immédiatement Dournovo, Witte et Akimov. Et il est tout aussi clair que si cela ne se fait pas, si cela ne devait pas être fait, cela signifie seulement que la politique de gendarme de "mise au pas et de répression" est sur le point d'être appliquée à la fois aux représentants du peuple et à la Douma d'Etat. Et pour ce faire, des mains déjà tachées jusqu'aux coudes du sang du peuple sont évidemment les plus appropriées. C'est clair: si M. Dournovo reste dans la Douma d'opposition, c'est uniquement pour la dissoudre. Il n'y a et ne peut y avoir d'autre signification. Tout le monde le comprend. Et la bourse et les pays étrangers l'ont compris ». "S'opposer" à la Douma, c'est "pousser le navire de l'État dans de tels abysses tempêtueux" etc., etc.

Enfin, pour compléter le tableau, citons la communication suivante du journal cadet "Notre Vie" du 21 mars sur les "sphères bureaucratiques", au sujet desquelles ce journal s'efforce d'informer ses lecteurs avec un soin particulier:

« Le succès toujours croissant du parti K.‑D. a attiré l'attention des hautes sphères. Au début, ce succès a suscité un certain embarras, mais à l'heure actuelle, ils le prennent avec une parfaite sérénité. Dimanche, une réunion privée des plus hauts représentants du gouvernement s'est tenue à ce sujet, au cours de laquelle cette attitude a été clarifiée et, en outre, la tactique, pour ainsi dire, a été esquissée. Entre autres, des considérations très caractéristiques ont été exprimées. Selon certains, le succès cadet est directement avantageux pour le gouvernement: en effet, si les éléments de droite entraient à la Douma, cela ne ferait que faire le jeu des groupes extrêmes, qui auraient l'occasion, en se référant à sa composition, de faire de la propagande contre la Douma et de souligner qu'elle est artificiellement choisie avec une composition réactionnaire; Le respect de l'opinion publique envers la Douma sera en proportion de la représentation du Parti Cadet en son sein. En ce qui concerne la tactique à l'égard de la Douma, la majorité est d'avis qu'il n'y a pas lieu de craindre des "surprises", "étant donné le cadre dans lequel se tient la Douma", comme l'a franchement fait remarquer l'un des présents. De ce fait, la majorité estime n'avoir aucunement à faire obstacle aux futurs membres de la Douma, "même s'ils se hasardaient à critiquer certains responsables du gouvernement". C'est ce que beaucoup attendent, et l'opinion générale des bureaucrates à cet égard se réduit à "laissons‑les parler"; "on exigera des poursuites; peut‑être ira‑t‑on jusqu'au procès, etc. et ensuite eux‑mêmes en auront assez; on verra ce qui sortira de ces affaires, mais entre‑temps les membres devront s'occuper des affaires du pays, et tout rentrera dans l'ordre. Même si les députés s'avisent de voter la défiance à l'égard du gouvernement, cela n'a pas d'importance non plus; en fin de compte, les ministres ne sont pas nommés par la Douma". On rapporte que ces arguments auraient eu un effet apaisant même sur Dournovo et Witte, qui avaient de prime abord été embarrassés par les succès du Parti Cadet. »

Voici donc les opinions, les points de vue et les intentions des acteurs directement intéressés par " l'affaire " en question. D'une part, les perspectives de la lutte. Les Cadets promettent de chasser le gouvernement et de convoquer une nouvelle Douma. Le gouvernement va dissoudre la Douma, ‑ et s'ensuivra "un abîme de tempête". La question est alors de savoir qui chassera qui ou qui dissoudra qui. D'autre part, les perspectives d'un accord. Les Cadets pensent que le ministère Chipov pourrait éviter un conflit entre le gouvernement et la société. Le gouvernement pense: laissez‑les parler, certains d'entre eux pourraient même être traînés devant les tribunaux, et ce n'est pas la Douma qui nomme les ministres. Nous avons délibérément cité uniquement les opinions des participants au geschäft[54] eux‑mêmes, et exclusivement avec leurs propres mots. Nous n'avons rien ajouté de notre cru. En rajouter équivaudrait à affaiblir l'impact que laissent les témoignages. De ces témoignages, l'essence de la Douma des Cadets ressort avec une exceptionnelle clarté.

Soit lutte il y aura, auquel cas ce n'est pas la Douma qui luttera, mais le peuple révolutionnaire. La Douma espère récolter les fruits de la victoire. Soit un marchandage, et alors le peuple, c'est‑à‑dire le prolétariat et la paysannerie, sera de toute façon dupé. Des termes de l'accord, les gens des milieux d'affaires au sens propre du terme, ne parlent pas avant l'heure, et seuls des "radicaux" bouillonnants vendent parfois la mèche: eh bien, par exemple, le remplacement du ministère bureaucratique par le ministère de "l'honnête bourgeois" Chipov, rendrait alors possible un marchandage sans danger pour les deux parties...... On serait alors très, très proche de la réalisation de l'idéal du Cadet: première place à la monarchie; deuxième place à la Chambre Haute des propriétaires fonciers et d'usine, avec sa direction appropriée au ministère Chipov; troisième place à la Douma "du Peuple".

Il va sans dire que cette alternative, comme toutes les hypothèses sur l'avenir social et politique, ne fait qu'esquisser les axes de développement principaux et dominants. Dans la vie réelle, on observe souvent des décisions mixtes, des lignes entrelacées, ‑ la lutte s'entrecoupe avec la transaction, la transaction est complétée par la lutte. Dans son journal "Le Discours"[55] (du vendredi 24 mars), M. Milyoukov argumente ainsi, précisément ainsi, sur les perspectives de la victoire déjà déclarée des Cadets: c'est à tort, disent‑ils, que nous sommes considérés et déclarés révolutionnaires. Tout dépend des circonstances, messieurs", telle est la leçon que fait notre "charmant dialecticien" aux dignitaires du pouvoir, "car même Chipov était un "révolutionnaire" avant le 17 octobre. Si vous voulez vous entendre avec nous avec humanité et à l'amiable, alors c'est la réforme, pas la Révolution. Si vous ne voulez pas, nous devrons probablement faire pression sur vous par en bas, laisser se faufiler un brin de révolution, vous effrayer, vous affaiblir par quelque coup du peuple révolutionnaire, vous deviendrez alors plus docile ‑ et, voyez‑vous, le compromis nous sera plus favorable.

Les éléments du problème sont donc comme suit: au pouvoir se trouve un gouvernement qui n'a manifestement pas confiance en la grande masse de la bourgeoisie, qui est détesté par les travailleurs et les paysans conscients. Le gouvernement dispose d'énormes instruments de force. Son seul point faible: l'argent. Et même là, on ne sait pas: peut‑être pourra‑t‑il obtenir un prêt devant la Douma. Contre le gouvernement se dresse, selon notre hypothèse, la Douma des Cadets. Que veut‑elle ? Son prix "avec surévaluation" est connu: c'est le programme des Cadets, la monarchie et une avec une Chambre Basse démocratique. Son prix sans surévaluation ? ‑ Il n'est pas connu. Eh bien, quelque chose comme le ministère Chipov, ou quoi ... Chipov est contre le suffrage direct, mais d'une certaine manière, c'est un homme honnête... nous nous entendrions probablement. Le moyen de lutte de la Douma: le refus de donner de l'argent. C'est un moyen peu fiable, car, premièrement, l'argent viendra, probablement, sans la Douma et, deuxièmement, selon la loi, les droits de la Douma en matière de contrôle financier sont des plus misérables. Un autre moyen: "les faire tirer" ‑ rappelez‑vous comment Katkov a dépeint l'attitude des libéraux envers le gouvernement: cède !, sinon "ils" tireront.[56] Mais à l'époque de Katkov, " "ils" étaient une bande de héros qui passaient leur temps à assassiner des individus. Aujourd'hui, « ils » représentent la masse entière du prolétariat, qui a montré en octobre sa capacité à mener une action étonnamment unanime dans toute la Russie et, en décembre, sa capacité à mener une lutte armée obstinée. "Ils", c'est maintenant aussi la masse paysanne, qui a montré sa capacité de lutte révolutionnaire sous une forme dispersée, peu consciente politiquement, non unanime, mais dans cette masse, il y a un nombre croissant de gens conscients qui sont capables, dans des conditions adéquates, au moindre souffle d'une brise libre (de nos jours il est si difficile d'être à l'abri des courants d'air !) d'en entraîner des millions. "Ils peuvent maintenant faire plus que de tuer des ministres. "Ils peuvent balayer la monarchie, toute velléité de Chambre Haute, toute propriété foncière, et même l'armée permanente. Non seulement "ils" peuvent le faire, mais "ils" le feront inévitablement si l'oppression de la dictature militaire, dernier refuge de l'ordre ancien, dernier refuge non pas sur la base de calculs théoriques, mais sur la base de l'expérience pratique déjà acquise, est affaiblie.

Tels sont les éléments du problème. Il est impossible de prédire avec une précision absolue comment ce problème sera résolu. La façon dont nous, les sociaux‑démocrates, voulons la résoudre, la façon dont tous les ouvriers et paysans conscients le résoudront, ne fait aucun doute: lutter pour la victoire complète de l'insurrection paysanne et la conquête d'une république véritablement démocratique. Quelle sera la tactique des Cadets dans un tel état de choses, quelle devrait être cette tactique, indépendamment de la volonté et de la conscience des individus, en raison des conditions objectives d'existence de la petite bourgeoisie dans une société capitaliste luttant pour sa libération ?

La tactique des Cadets se ramènera inévitablement et fatalement à manœuvrer entre l'autocratie et la victoire du peuple révolutionnaire, sans permettre à aucun des deux adversaires d'écraser l'autre de façon décisive et définitive. Si l'autocratie écrase la Révolutionde façon décisive et définitive, les Cadets deviendront impuissants, car leur force est une force dérivée de la Révolution. Si le peuple révolutionnaire, c'est‑à‑dire le prolétariat et la paysannerie en révolte contre tous les propriétaires terriens, écrasait de façon décisive et définitive l'autocratie, et balayait par conséquent et la monarchie et tous ses appendices, les Cadets seraient tout aussi impuissants, car tout ce qui est viable les quitterait immédiatement pour la Révolutionou la contre‑révolution, tandis qu'une poignée de Kiesewetter resteraient dans le parti, soupirant sur la "dictature" et cherchant dans les dictionnaires latins la signification des mots latins appropriés. En résumé, la tactique des Cadets peut être traduite comme suit: s'assurer du soutien du Parti Cadet par le peuple révolutionnaire. Le mot "soutien" doit traduire précisément les actions du peuple révolutionnaire qui, premièrement, seraient entièrement subordonnées aux intérêts du Parti Cadet, à ses instructions, etc. et qui, deuxièmement, ne seraient pas trop hardies, pas trop offensives et, ‑ le principal ‑ , qu'il ne s'agirait pas d'actions trop violentes. Le peuple révolutionnaire doit être dépendant, ‑ première chose ‑, et ne doit pas gagner définitivement, vaincre son ennemi, seconde chose. Cette tactique sera inévitablement poursuivie, dans l'ensemble, par tout le Parti Cadet et toute la Douma Cadette, et, bien entendu, cette tactique sera étayée, défendue, justifiée par tout le riche bagage idéologique des études "scientifiques"[57], des nébulosités "philosophiques", des platitudes politiques (ou politiciennes), des cris "littéraires‑critiques" (à la Berdiaev)[58], etc. etc.

Au contraire, la social‑démocratie révolutionnaire ne peut actuellement définir sa tactique par la position: soutien au Parti Cadet et à la Douma Cadette. Une telle tactique serait erronée et inapropriée dans tous les cas.

Bien sûr, ils nous objecteront: comment ? Vous niez ce qui est reconnu à la fois par votre programme et par l'ensemble de la social‑démocratie internationale ? Le soutien du prolétariat social‑démocrate à la démocratie bourgeoise révolutionnaire et oppositionnelle ? Mais c'est que c'est de l'anarchisme, de l'utopisme, de la rébellion, du révolutionnarisme insensé.

Permettez‑moi, messieurs ! Permettez‑moi tout d'abord de vous rappeler qu'il ne s'agit pas de la question générale, abstraite, du soutien à la démocratie bourgeoise en général, mais de la question concrète du soutien précisément au Parti Cadet et précisément à la Douma Cadette. Nous ne nions pas la position générale, mais nous demandons une analyse particulière des conditions de l'application spécifique de ces principes généraux. Il n'y a pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète. Plekhanov, par exemple, l'oublie lorsqu'il avance, et ce n'est pas la première fois, en insistant particulièrement sur la tactique: "La réaction cherche à nous isoler. Nous devons nous efforcer d'isoler la réaction." Cette position est juste, mais elle est ridiculement générale: elle s'applique aussi bien à la Russie de 1870, à la Russie de 1906, à la Russie en général, à l'Afrique, à l'Amérique, à la Chine, à l'Inde. Elle ne dit rien et ne donne rien, car toute la tâche consiste à déterminer ce qu'est la réaction, et avec qui précisément, et comment précisément, il faut s'unir (ou sinon s'unir, mais coordonner ses actions) afin d'isoler la réaction. Plekhanov a peur de donner une consigne concrète, et en fait, dans la pratique, sa tactique se réduit, comme nous l'avons déjà montré, à des cartels électoraux entre les S.D. et les K.D., au soutien des Cadets par la social‑démocratie.

Les Cadets seraient contre la réaction ? Je prends le n° 18 du journal "Molva" du 22 mars, déjà cité par moi. Les Cadets veulent chasser le gouvernement. C'est magnifique, c'est contre la réaction. Les Cadets veulent faire la paix avec le gouvernement autocratique du ministère Chipov[59]. C'est mauvais. C'est l'un des pires types de réaction. Vous voyez, messieurs: avec une position abstraite, avec une simple phrase sur la réaction, vous ne faites toujours pas un pas en avant.

Les Cadets: c'est la démocratie bourgeoise ? D'accord ! Mais, après tout, la masse paysanne, qui demande la confiscation de toutes les terres des propriétaires terriens, c'est‑à‑dire ce dont les Cadets ne veulent pas, c'est aussi la démocratie bourgeoise. Et les formes et le contenu de l'activité politique de cette partie de la démocratie bourgeoise et de l'autre sont différents. Laquelle des deux est la plus importante à soutenir aujourd'hui ? Pouvons‑nous, d'une manière générale, à l'époque de la révolution démocratique, soutenir la première ? Cela ne signifierait‑il pas trahir la seconde ? Ou peut‑être nierez‑vous que les Cadets, qui sont prêts à faire la paix en politique avec Chipov, sont capables de faire la paix sur la question agraire avec Kaufman ? Vous voyez, messieurs: avec une position abstraite, avec une simple phrase sur la démocratie bourgeoise, vous ne faites pas encore un pas en avant.

‑ Mais les Cadets sont un parti parlementaire uni, fort, viable !

Faux ! Les Cadets ne sont pas un parti uni, fort, viable et parlementaire. Ils ne sont pas unis, car de nombreuses personnes ont voté pour eux, capables de se battre jusqu'au bout et de ne pas se contenter de marchander. Ils ne sont pas unis, car leur soutien social est intérieurement contradictoire: de la petite bourgeoisie démocrate au propriétaire foncier contre‑révolutionnaire. Ils ne sont pas forts, car en tant que parti, ils ne veulent ni ne peuvent participer à la guerre civile ouverte et aggravée qui a éclaté en Russie à la fin de 1905 et qui a toutes les chances d'éclater avec une vigueur renouvelée dans un avenir pas trop lointain. Ils ne sont pas viables, car même si leur idéal se réalise, la force dirigeante de la société créée selon cet idéal, ce ne sera pas eux, mais "plus sérieusement" les bourgeois Chipov et Gouchkov. Ils ne sont pas un parti parlementaire, car nous n'avons pas de parlement. Nous n'avons pas de constitution, mais seulement une autocratie constitutionnelle, des illusions constitutionnelles, particulièrement néfastes à notre époque d'âpre guerre civile, et surtout propagées assidûment par les Cadets.

Et nous arrivons ici au point central de la question. Les particularités du moment présent de la Révolution Russe sont précisément telles que les conditions objectives mettent en avant une lutte décisive, extra‑parlementaire, pour le parlementarisme, et par conséquent rien n'est plus nocif et dangereux à un tel moment que les illusions constitutionnelles et le jeu du parlementarisme. Les partis de l'opposition "parlementaire", à un tel moment, peuvent être plus dangereux et nocifs que les partis ouvertement et complètement réactionnaires: cette position ne peut apparaître comme un paradoxe qu'à quelqu'un qui est complètement incapable de penser dialectiquement. En réalité, si dans les masses populaires les plus larges, la revendication du parlementarisme a atteint sa pleine maturité, si cette revendication s'appuie également sur l'ensemble de l'évolution sociale et économique séculaire du pays, si l'évolution politique nous a acculés à l'accomplissement de cette revendication, qu'est‑ce qui peut être plus dangereux et plus nocif qu'un simulacre de réalisation ? L'antiparlementarisme franc est sans danger. Il est condamné à mort. Il est mort. Les tentatives de le ressusciter n'ont pour meilleur effet que de convertir à la Révolutionles strates les plus arriérées de la population. Le seul moyen possible de maintenir l'autocratie reste " l'autocratie constitutionnelle ", la création et la diffusion d'illusions constitutionnelles. C'est la seule politique correcte, la seule politique raisonnable de l'autocratie.

Et j'affirme qu'à l'heure actuelle, les Cadets font plus que Moskovskiye Vedomosti[60] pour aider l'autocratie à poursuivre cette sage politique. Prenons, par exemple, le différend entre ce dernier et la presse libérale sur la question de savoir si la Russie est une monarchie constitutionnelle. Non, dit Moskovskie Vedomosti. Oui, disent en choeur les journaux cadets. Dans ce conflit, les Moskovskie Vedomosti sont progressistes et les journaux cadets sont réactionnaires, car les Moskovskie Vedomosti disent la vérité, dénoncent l'illusion, aussprechen wast ist[61], quand les Cadets disent des mensonges, ‑ bien intentionnés, bienveillants, sincèrement consciencieux, beaux, sveltes, scientifiquement pommadés, teintés de Kiesewetter, appréciées dans les salons, mais c'est toujours un mensonge. Et il n'y a rien de plus dangereux, rien de plus nocif à un moment donné de la lutte, ‑ selon les conditions objectives du moment ‑ qu'un tel mensonge.

Petite parenthèse. J'ai eu récemment à faire un exposé politique dans l'appartement d'un Cadet très éclairé et extrêmement gentil. Nous avons débattu. Imaginez, dit l'hôte, qu'en face de nous se trouve un fauve, un lion, et que nous sommes deux esclaves livrés à être mis en pièces. Est‑il convenable de se disputer entre nous ? Ne sommes‑nous pas obligés de nous unir pour combattre cet ennemi commun, pour "isoler la réaction", comme l'exprime remarquablement le plus sage et le plus clairvoyant des sociaux‑démocrates, G. V. Plekhanov ? ‑ L'exemple est bon et je l'accepte ‑ ai‑je répondu. Mais que se passe‑t‑il si l'un des esclaves conseille de stocker des armes et d'attaquer le lion, et que l'autre, juste au moment de la lutte, regarde un petit plastron[62] suspendu au lion avec l'inscription "constitution", et s'écrie: "Je suis contre la violence de droite et de gauche", "Je suis membre du parti parlementaire, je m'appuie sur des bases constitutionnelles". Ne se pourrait‑il pas qu'un lionceau, qui aurait annoncé les véritables objectifs du lion, se serait révélé dans de telles circonstances un éducateur des masses et un développeur de la conscience politique et de classe plus utile que l'esclave dépecé par le lion qui propage la croyance en un petit plastron ?

Ce qui est le problème essentiel, c'est que lorsque les gens parlent du soutien de la social‑démocratie à la démocratie bourgeoise, ils oublient trop souvent, en raison de dispositions générales et abstraites, les particularités du moment concret où se déroule la lutte décisive pour le parlementarisme et où l'un des instruments de la lutte contre le parlementarisme s'avère être, de la part du gouvernement autocratique, le jeu du parlementarisme. Dans ces conditions, alors que la dernière bataille extra‑parlementaire est encore à livrer, donner pour tâche au Parti Ouvrier de soutenir le parti des conciliateurs parlementaires, le parti des illusions constitutionnelles, serait une erreur carrément fatale, sinon un crime devant le prolétariat.

Imaginons que nous ayons en Russie un système parlementaire établi. Cela signifierait que le parlement est déjà devenu la principale forme de domination des classes et des forces dirigeantes, qu'il est déjà devenu l'arène principale de la lutte des intérêts sociopolitiques. Il n'y a pas de mouvement révolutionnaire irréfutable au sens immédiat du terme, les conditions économiques et autres ne donnent pas lieu à des explosions révolutionnaires à ce moment‑là, c'est‑à‑dire au moment que nous supposons. Aucune rhétorique révolutionnaire dans de telles conditions ne serait, bien sûr, en mesure de "déclencher" une révolution. L'abandon de la lutte parlementaire serait, dans ces conditions, absolument inadmissible pour la social‑démocratie. Le Parti Ouvrier devrait s'engager dans le parlementarisme de la manière la plus sérieuse, participer aux élections à la "Douma" et, à cette même "Douma", subordonner toute sa tactique aux conditions nécessaires à la formation et au bon fonctionnement d'un parti social‑démocrate parlementaire. Soutenir le Parti Cadet au Parlement contre tous les partis de droite serait alors notre devoir inconditionnel. On ne saurait s'opposer inconditionnellement à des accords électoraux avec ce parti lors d'élections communes, disons, dans les assemblées électorales provinciales (lors d'élections indirectes). Et ce n'est pas tout. Alors, même le soutien des sociaux‑démocrates aux Chipovites au parlement contre les vrais réactionnaires sans scrupules serait de notre devoir: la réaction s'efforce de nous isoler, ‑ auraient‑ils dit alors, ‑ nous devons nous efforcer d'isoler la réaction.

Aujourd'hui, en Russie, il ne peut être question de l'existence d'un régime parlementaire établi, universellement reconnu et valide. Aujourd'hui, en Russie, la principale forme de domination des classes dirigeantes et des forces sociales est manifestement une forme non parlementaire; la principale arène de lutte des intérêts sociopolitiques n'est manifestement pas le parlement. Dans de telles conditions, soutenir un parti de conciliateurs parlementaires serait un suicide pour le Parti Ouvrier ‑ et, au contraire, soutenir une démocratie bourgeoise agissant sous une forme extra‑parlementaire, même spontanée, en ordre dispersé, politiquement peu consciente (comme les éruptions paysannes) s'impose au premier plan, devient une cause réelle sérieuse à laquelle tout le reste doit être subordonné..... Dans de telles conditions sociopolitiques, le soulèvement est la réalité; le parlementarisme est un jouet, un moyen de lutte insignifiant, un appât bien plus qu'une véritable concession. Il ne s'agit donc pas de nier ou de sous‑estimer le parlementarisme, et notre position n'est pas du tout affectée par les phrases générales sur le parlementarisme. Il s'agit de la situation concrète à ce moment précis de la révolution démocratique, où les conciliateurs de la bourgeoisie, où les monarchistes libéraux, - sans nier la possibilité même que Dournovo dissoudra simplement la Douma ou que la loi réduira finalement cette Douma à néant, - déclarent néanmoins que le parlementarisme est une affaire sérieuse, et que le soulèvement est de l'utopie, de l'anarchisme, de la rébellion, du révolutionnarisme impuissant, comme le disent aussi tous ces Kiesewetter, Milioukov, Struve, Izgoev, et autres héros du philistinisme.

Imaginons que le parti social‑démocrate ait participé aux élections à la Douma. Un nombre connu d'électeurs sociaux‑démocrates est élu. Pour empêcher la victoire des Cent‑Noirs, il convient (puisque le parti s'est déjà impliqué dans cette comédie ridicule des élections) de soutenir les Cadets. Le parti S.‑D. conclut un accord électoral avec le K.‑D. Un nombre connu de S.‑D. entre à la Douma avec l'aide des K.‑D. La question qui se pose est la suivante: une fine peau de mouton vaut‑elle le coût de sa facture ? [le jeu en vaut‑il la chandelle ?] Aurions‑nous à gagner ou à perdre en faisant cela ? Tout d'abord, nous n'aurions pas pu informer largement les masses des conditions et de la nature de nos accords électoraux avec les K.‑D. du point de vue social‑démocrate. Les journaux cadets, tirés à des centaines de milliers et des millions d'exemplaires, auraient répandu le mensonge bourgeois et la dénaturation bourgeoise des tâches de classe du prolétariat. Nos tracts, nos timides réserves dans des déclarations séparées auraient été une goutte d'eau dans l'océan. Nous nous serions révélés être en pratique précisément l'appendice sans voix des Cadets. Deuxièmement, en concluant un accord, nous aurions indubitablement, tacitement ou ouvertement et formellement ‑ ça revient au même, ‑ assumé devant le prolétariat une certaine caution pour les Cadets, pour le fait qu'ils sont meilleurs que tous les autres, pour le fait que leur Douma de Cadets aidera le peuple, pour toute leur politique de Cadets. La question de savoir si, par des "déclarations" ultérieures, nous aurions pu nous dégager de la responsabilité de l'une ou l'autre des mesures cadettes reste posée, mais les déclarations seraient restées des déclarations, tandis que le fait de l'accord électoral aurait déjà été mis en évidence. Mais avons‑nous vraiment le moindre fondement, même indirect, pour nous porter garants des Cadets devant le prolétariat et les masses paysannes ? Franchement, les Cadets ne nous ont‑ils pas donné mille preuves de leur ressemblance avec ces professeurs cadets allemands, à savoir ces "beaux parleurs de Francfort" qui non seulement ont réussi à transformer la Douma, mais même l'Assemblée Nationale Constituante d'un instrument de développement de la Révolution en un instrument d'émoussement de la Révolution, d'étouffement (moral) de la Révolution? Soutenir le Parti Cadet aurait été une erreur de la part de la social‑démocratie, et notre parti a bien fait de boycotter les élections à la Douma.

Soutenir le Parti Cadet, même maintenant, ne peut être la tâche de la social‑démocratie. Nous ne pouvons pas soutenir la Douma cadette. En temps de guerre, les conciliateurs et les transfuges peuvent être encore plus dangereux que l'ennemi. Chipov, au moins, ne se dit pas "démocrate" et le « moujik » qui veut la « liberté du peuple » ne le suivra pas. Et si le parti de la "liberté du peuple"[63], après avoir conclu tel ou tel accord sur le soutien mutuel des Cadets et des socio‑démocrates, s'entendait ensuite avec l'autocratie pour remplacer l'Assemblée Constituante par le ministère du même Chipov ‑ ou réduisait son "activité" à des discours ronflants et à des résolutions grandiloquentes, nous nous trouverions dans une position des plus fausses.

Considérer le soutien aux Cadets comme la tâche du Parti Ouvrier à l'heure actuelle serait comme si l'on déclarait que la tâche de la vapeur n'était pas de mouvoir la machine à vapeur, mais de maintenir la possibilité de faire retentir les sifflets du steamer. S'il y a de la vapeur dans les chaudières, cela sifflera et il y aura des sifflets. Si force dans la Révolution il y a, alors les Cadets siffleront. Les sifflets peuvent être contrefaits, et plusieurs fois dans l'histoire de la lutte contre le parlementarisme, les bourgeois traîtres à la liberté du peuple ont contrefait des sifflets et ont mené par le bout du nez les gens simples d'esprit qui faisaient confiance à toutes sortes de "premières assemblées représentatives".

Notre tâche n'est pas de soutenir la Douma des Cadets, mais d'utiliser les conflits au sein de cette Douma et ceux qui y sont liés pour choisir le meilleur moment pour attaquer l'ennemi, pour nous rebeller contre l'autocratie. Nous devons agir selon la manière dont la crise politique se développe à l'intérieur et autour de la Douma. Pour prendre en compte l'état d'esprit de l'opinion publique, pour déterminer plus correctement et plus précisément le "point d'ébullition", toute cette campagne de la Douma doit revêtir une grande signification pour nous, mais la signification d'un symptôme, et non du véritable terrain de lutte. Nous ne soutiendrons pas la Douma des Cadets, ce n'est pas sur le parti des Cadets que nous devons compter, mais sur ces éléments de la petite‑bourgeoisie urbaine et surtout de la paysannerie qui, ayant voté pour les Cadets, commenceront inévitablement à être désillusionnés et à se disposer à une attitude militante ‑ et cela d'autant plus tôt que les Cadets auront remporté une victoire décisive à la Douma. Notre tâche est d'utiliser, dans l'intérêt de l'organisation des travailleurs, dans l'intérêt de la mise en évidence des illusions constitutionnelles, dans l'intérêt de la préparation de l'offensive militaire, tout le sursis que la Douma d'opposition nous accorde (le sursis nous est très avantageux étant donné que le prolétariat doit pleinement rassembler ses forces). Notre tâche est d'être à notre poste au moment où la comédie de la Douma implosera en une nouvelle grande crise politique, et notre but sera alors, non pas de soutenir les Cadets (ils ne seront au mieux qu'un faible porte‑parole du peuple révolutionnaire), mais de renverser le gouvernement autocratique et de transférer le pouvoir entre les mains du peuple révolutionnaire. Si le prolétariat et la paysannerie remportent l'insurrection, la Douma des Cadets brandira, dans les minutes qui suivent, un bout de papier sur son adhésion au manifeste du gouvernement révolutionnaire convoquant une Assemblée Nationale Constituante. Si l'insurrection est écrasée, ‑ le vainqueur, épuisé par la lutte, peut être contraint de partager une bonne moitié de son pouvoir avec la Douma cadette, qui s'assiéra autour d'une tarte et adoptera une résolution de regret pour la "folie" de l'insurrection armée au moment où un véritable ordre constitutionnel était, disent‑ils, aussi à portée, aussi proche .... Il y aurait des cadavres, mais il n'y aurait pas d'autre solution que celle de l'insurrection armée. Il y aurait des cadavres, mais on trouvera toujours des vers.

V. UN ÉCHANTILLON DE L'AUTOSATISFACTION DES CADETS[modifier le wikicode]

Pour évaluer les victoires des Cadets et les tâches du Parti Ouvrier à l'heure actuelle, il est d'une grande importance d'analyser la période précédente de la Révolution Russe dans sa relation avec la période actuelle. Les projets de résolutions tactiques de la majorité et de la minorité qui ont été publiés définissent deux lignes, deux orientations de pensée, liées à des manières différentes de procéder à cette évaluation. Renvoyant le lecteur à ces résolutions, nous avons l'intention de nous arrêter sur un article du journal cadet Nasha Zhizn. Cet article, écrit à l'occasion de la première résolution menchevique, fournit une documentation extrêmement importante pour vérifier, compléter et expliquer ce que nous avons dit plus haut sur la Douma des Cadets. Nous citerons donc cet article dans son intégralité (R. Blank. "Aux maux du jour de la social‑démocratie russe", Nasha Zhizn, 1906, n° 401 du 23 mars):

« La résolution de la fraction "menchevique" du Parti Ouvrier social‑démocrate russe sur la tactique du parti, publiée l'autre jour, est un document très précieux. Elle témoigne que les dures leçons de la première période de la Révolution Russe ne sont pas passées inaperçues par la partie de la social‑démocratie russe la plus sensible aux exigences de la réalité et la plus imprégnée des principes du socialisme scientifique. La nouvelle tactique formulée dans cette résolution vise à orienter le mouvement social‑démocrate russe dans la voie où s'engage toute la social-démocratie internationale, sous la conduite du grand Parti Social‑Démocrate d'Allemagne. Je dis "nouvelle tactique"; ce n'est pas tout à fait exact, car cette tactique représente à bien des égards un retour aux vieux principes établis à la base même de la social‑démocratie russe par ses fondateurs et développés à maintes reprises depuis lors par ses théoriciens et ses publicistes, principes qui ont été reconnus par presque tous les sociaux‑démocrates russes jusqu'au tout début de la Révolution Russe. Mais ils ont été oubliés. Le tourbillon révolutionnaire a soulevé toute notre social‑démocratie comme une plume légère et l'a emportée avec une vitesse vertigineuse; instantanément, tous les principes et idées social-démocrates et marxistes, qui avaient été élaborés avec tant de zèle et de dévouement pendant un quart de siècle, ont disparu de l'horizon, comme s'ils n'avaient été qu'une poussière légère reposant en une mince couche à la surface; les fondations mêmes de la vision sociale‑démocrate du monde ont été ébranlés jusque dans leur fondement, et semble‑t‑il, ont même été déracinés.

Mais le tourbillon a virevolté et s'est calmé sur place, et la social‑démocratie est revenue à son point de départ. On peut juger de la force du tourbillon par le fait qu'il a même entraîné Parvus, comme il l'avoue lui­‑même; quiconque connaît Parvus et sait combien il est difficile de le soulever comprendra ce que cela signifie ... "Le courant révolutionnaire nous entraînait irrésistiblement vers l'avant", dit Parvus dans son célèbre pamphlet. "Nous n'étions que les cordes de la harpe sur laquelle jouait l'ouragan de la révolution", remarque‑t‑il ailleurs dans la même brochure; ceci est également parfaitement vrai et explique tout à fait pourquoi la musique social-démocrate à cette époque ressemblait si peu aux symphonies de Beethoven, de Bach ou de Marx. Toutes les théories et tous les principes, et même la pensée et la simple raison elle‑même, passent à l'arrière‑plan, disparaissent presque dans les coulisses, lorsque l'élément lui‑même, dans la toute‑puissance des forces élémentaires, entre en scène.

Mais maintenant, c'est à nouveau le tour de la pensée et de la raison, et il est possible de revenir à une activité consciente, planifiée et systématique. La première chose à faire est évidemment de prendre des mesures préventives contre une répétition de ce qu'il s'est passé dans la première période de la Révolution Russe, dans sa "Sturm‑und‑Drang‑Zeit"[64], c'est‑à‑dire contre l'action destructrice des torrents et des ouragans révolutionnaires. Le seul moyen valable pour y parvenir ne peut être que l’expansion et le renforcement de l’organisation; il est tout à fait naturel que la fraction menchevique mette cette tâche au premier plan et lui donne une formulation large, en incluant dans son programme également les organisations économiques et en reconnaissant la nécessité d'utiliser toutes les possibilités légales. La résolution est exempte de tout mépris romantique pour la "légalité" et de tout dédain aristocratique pour "l'économie".

La résolution traite tout aussi sobrement la question des relations mutuelles entre la démocratie ouvrière et la démocratie bourgeoise, reconnaissant pleinement la nécessité d'un soutien mutuel et le danger d'une intervention isolée du prolétariat dans une lutte décisive contre la réaction armée. L'attitude de la résolution à l'égard de la question de l'insurrection armée mérite une attention particulière; elle reconnaît la nécessité "d'éviter le genre d'action qui entraîne le prolétariat dans des affrontements armés avec le gouvernement dans des conditions où il est condamné à rester isolé dans cette lutte".

Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons éviter une répétition des journées parisiennes de juin 1848 et rendre possible une lutte coordonnée, voire une coalition, de la démocratie ouvrière et de la démocratie bourgeoise, sans laquelle le succès du mouvement est impossible. La démocratie bourgeoise, qui a, selon Karl Marx, "la plus haute signification dans toute révolution avancée", n'en a pas moins d'importance dans la Révolution Russe. Si le parti social‑démocrate russe ne peut ou ne veut pas en faire ouvertement son alliée, il ne doit en aucun cas la pousser dans le camp opposé, dans la réaction, dans la contre‑révolution. C’est quelque chose que la social‑démocratie révolutionnaire ne devrait pas, n’a pas le droit de faire, et elle doit l'éviter par tous les moyens, pour la cause de l'émancipation et pour le bien de la social‑démocratie elle‑même. Et si la démocratie bourgeoise s'oppose à l'insurrection armée à l'heure actuelle, alors il ne peut et il ne doit pas en être question. Il faut en tenir compte, même si la bourgeoisie ne se soumet à cela qu'en raison de son laxisme, de sa faiblesse et de sa lâcheté intrinsèques ‑ il faut aussi en tenir compte; mais le dirigeant de la social‑démocratie révolutionnaire allemande lui‑même n'a‑t‑il pas dit:

"In der Gewalt sind sie uns stets über!" ‑ "En ce qui concerne la force brute, ils nous dépassent toujours, eux, les réactionnaires !".

L'affirmation "toujours" est peut‑être erronée, mais en ce qui concerne le "maintenant" en tout cas, on peut être de l'avis de Liebknecht et de la social‑démocratie allemande unanime avec lui, sans être lâche ou même seulement "flasque". .... La résolution des "mencheviks" semble partager le même point de vue, du moins elle s'en approche; de même qu'à d'autres égards elle est imprégnée de cet esprit de réalisme politique qui constitue un signe distinctif de la social‑démocratie allemande et auquel celle‑ci doit ses succès inégalés.

L'ensemble du parti social-démocrate russe se joindra‑t‑il à la résolution des "mencheviks" ? De cela dépendent beaucoup de choses dans notre mouvement révolutionnaire, et encore plus dans notre mouvement social-démocrate ‑ peut‑être le destin entier de ce mouvement pour de nombreuses années. En Russie aussi, comme dans d'autres pays, la social‑démocratie ne peut s'enraciner et se renforcer que si elle pénètre profondément dans les masses démocratiques. Mais si elle se limite à la culture d'une couche supérieure de la démocratie, même la plus féconde, un nouvel ouragan peut facilement l'arracher du sol russe, comme cela est arrivé à la social‑démocratie française de 1848, ou au mouvement social-démocrate anglais des années quarante, connu sous le nom de "mouvement chartiste". »

Tel est l'article de M. Blank. Les opinions les plus typiques d'un "Cadet", familières dans tous leurs points de départ à quiconque lisait attentivement "Osvobozhdenie"[65] de M. Struve et la presse légale cadette ultérieure, sont ici combinées de telle sorte que l'appréciation de la tactique politique actuelle repose sur l'appréciation de la période passée de la Révolution Russe. Nous nous attarderons tout d'abord sur cette appréciation du passé, sur sa justesse ou son inexactitude.

M. Blank compare deux périodes de la Révolution Russe: la première s'étend, en gros, d'octobre à décembre 1905. C'est la période du tourbillon révolutionnaire. La seconde est la période actuelle, que l'on est bien sûr en droit d'appeler la période des victoires des Cadets aux élections de la Douma, ou peut‑être, au risque d'anticiper, la période de la Douma Cadette.

M. Blank dit de cette période que c'est à nouveau le tour de la pensée et de la raison, et qu'il est possible de revenir à une activité consciente, planifiée, systématique. M. Blank décrit la première période, au contraire, comme une période de divergence entre la théorie et la pratique. Tous les principes et idées sociales‑démocrates avaient disparu, les tactiques qu'ont toujours prônées les fondateurs de la social‑démocratie russe avaient été oubliées, on avait été jusqu'à déraciner les fondements mêmes de la vision du monde sociale‑démocrate.

Cette affirmation principale de M. Blank est de nature purement factuelle. Toute la théorie du marxisme se détournait de la "pratique" de la période du tourbillon révolutionnaire.

En est‑il ainsi ? Quelle est le premier et principal "pilier" de la théorie marxiste ? Celui selon lequel la seule classe révolutionnaire jusqu'au bout de la société moderne, et donc l'avant‑garde dans toute révolution, c'est le prolétariat ? La question est: le tourbillon révolutionnaire n'a‑t‑il pas déraciné ce "pilier" de la vision du monde sociale‑démocrate ? Au contraire, le tourbillon l'a confirmé de la manière la plus éclatante. C’est le prolétariat qui fut le principal combattant, presque le seul au départ, de cette période. Presque pour la première fois dans l'histoire mondiale, la révolution bourgeoise a été marquée par l'utilisation la plus large, sans précédent même dans les pays capitalistes les plus développés, d'une arme de combat purement prolétarienne: la grève politique de masse. Le prolétariat est allé à la lutte, d'emblée révolutionnaire, à l'heure où MM. Struve et Blank appelaient à se rendre à la Douma de Boulyguine, où les professeurs cadets appelaient les étudiants à étudier. Le prolétariat, avec son instrument de lutte prolétarien, a conquis pour la Russie tout ce qu'on appelle, si j'ose dire, la "constitution", et qui depuis n'a été qu'esquintée, sabrée, ratiboisée. Le prolétariat a appliqué en octobre 1905 cette méthode tactique de lutte que la résolution du 3ème Congrès Bolchévique du RSDRP[66], qui six mois auparavant, avait recommandé de redoubler d'attention sur l'importance de combiner la grève politique de masse avec la révolte; ‑ c'est précisément cette combinaison qui caractérise toute la période du "tourbillon révolutionnaire", tout le dernier trimestre de 1905. Ainsi notre idéologue de la petite-bourgeoisie a perverti la réalité de la manière la plus éhontée, la plus flagrante. Il n'a pas relevé un seul fait montrant la divergence entre la théorie marxiste et l'expérience pratique du "tourbillon révolutionnaire"; il a essayé d'occulter le trait principal de ce tourbillon, qui a donné la confirmation la plus éclatante de "tous les principes et idées sociaux-démocrates", de "tous les fondements de la vision sociale-démocrate du monde".

DIGRESSION. UNE CAUSERIE POPULAIRE AVEC DES PUBLICISTES CADETS ET DES PROFESSEURS ÉRUDITS[modifier le wikicode]

Quelle est cependant la véritable raison qui a poussé M. Blank à arriver à cette opinion monstrueusement fausse, selon laquelle tous les principes et idées marxistes avaient disparu pendant la période du "tourbillon" ? L'examen de cette circonstance est très intéressant: il nous révèle encore et encore la véritable nature du philistinisme en politique.

Quelle est la principale différence entre la période du "tourbillon révolutionnaire" et la période actuelle des "Cadets" du point de vue des diverses méthodes de l'activité politique ? Du point de vue des différentes méthodes de la créativité historique du peuple ? Tout d'abord et principalement, dans le fait que pendant la période du "tourbillon", certaines méthodes spéciales de cette créativité, étrangères à d'autres périodes de la vie politique, ont été appliquées. Voici les plus significatives de ces méthodes: 1) la "saisie" de la liberté politique par le peuple, ‑ l'exercice de celle‑ci sans aucun droit ni loi et sans aucune restriction (liberté de réunion au moins dans les universités, liberté de la presse, des syndicats, des congrès, etc.); 2) la création de nouveaux organes du pouvoir révolutionnaire, ‑ Soviets de députés ouvriers, soldats, cheminots, paysans, nouvelles autorités rurales et urbaines, etc. Ces organes ont été créés exclusivement par les couches révolutionnaires de la population, ils ont été créés en dehors de toute loi et de toute norme, selon une voie complètement révolutionnaire, comme produit de la créativité populaire originale, comme une manifestation de l'auto‑activité du peuple qui s'était affranchi ou s'affranchissait des vieilles chaînes policières. Ce sont finalement les organes du pouvoir, malgré leur composition et leur fonctionnement rudimentaires, spontanés, informes, confus. Ils ont agi comme représentants du pouvoir, s'emparant par exemple des imprimeries (Saint‑Pétersbourg), arrêtant les fonctionnaires de police qui empêchaient le peuple révolutionnaire d'exercer ses droits (exemples également à Saint‑Pétersbourg, où l'organe correspondant du nouveau pouvoir était le plus faible et l'ancien pouvoir le plus fort). Ils ont agi comme une autorité, appelant tout le peuple à ne pas donner d'argent à l'ancien gouvernement. Ils confisquaient l'argent de l'ancien gouvernement (les comités de grève des cheminots dans le Sud) et l'affectaient aux besoins du nouveau gouvernement populaire, ‑ oui, c'étaient sans aucun doute les germes d'un nouveau gouvernement populaire ou, si vous voulez, révolutionnaire. Dans son caractère socio‑politique, c'était, à ses débuts, une dictature des éléments révolutionnaires du peuple, ‑ êtes‑vous surpris, Messieurs Blank et Kiesewetter ? ne voyez‑vous pas ici la "sécurité renforcée" qui équivaut pour les bourgeois à une dictature ? Nous vous avons déjà dit que vous n'aviez aucune idée du concept scientifique de la dictature. Nous allons maintenant vous l'expliquer, mais auparavant, nous allons vous indiquer la troisième "méthode" d'action de l'époque du "tourbillon révolutionnaire": l'emploi de la violence par le peuple vis‑à‑vis des persécuteurs du peuple.

Les organes de pouvoir que nous avons décrits étaient, en germe, une dictature, car ce pouvoir ne reconnaissait aucun autre pouvoir ni aucune loi, aucune norme émanant de qui que ce soit. Un pouvoir illimité, extra‑légal, fondé sur la force, au sens propre du terme, c'est la dictature. Mais la force sur laquelle ce nouveau pouvoir s'appuyait et cherchait à s'appuyer n'était pas la force des baïonnettes, accaparées par une poignée de militaires, ni la force du "commissariat de police", ni la force de l'argent, ni la force d'une quelconque institution antérieurement établie. Il n'y avait rien de similaire. Les nouveaux organes du pouvoir ne possédaient ni armes, ni argent, ni institutions anciennes. Leur pouvoir ‑ pouvez‑vous l'imaginer, Messieurs Blank et Kiesewetter ? ‑ n'avait rien de commun avec les anciens instruments de force, rien de commun avec une "protection renforcée", à moins que l'on n'entende par là une protection renforcée du peuple contre l'oppression de la police et des autres organes de l'ancien pouvoir.

Sur quoi reposait cette force ? Sur la masse populaire. C'est la différence fondamentale entre ce nouveau pouvoir et tous les anciens organes de l'ancien pouvoir. Alors que ces derniers étaient des organes de pouvoir d'une minorité sur le peuple, sur la masse des ouvriers et des paysans, il s'agissait d'organes de pouvoir du peuple, des ouvriers et des paysans, sur une minorité, sur une poignée de policiers persécuteurs, sur une poignée de nobles et de fonctionnaires privilégiés. Telle est la différence entre la dictature sur le peuple et la dictature du peuple révolutionnaire, retenez bien cela, Messieurs Blank et Kiesewetter ! L'ancien pouvoir, en tant que dictature d'une minorité, ne pouvait se maintenir qu'au moyen de ruses policières, qu'en écartant, en excluant la masse du peuple de la participation au pouvoir, du contrôle du pouvoir. L'ancien pouvoir se méfiait systématiquement des masses, craignait la lumière, se maintenait par la tromperie. Le nouveau pouvoir, en tant que dictature de l'immense majorité, n'a pu se maintenir et ne s'est maintenu que grâce à la confiance de l'immense majorité, uniquement en attirant toute la masse de la manière la plus libre, la plus large et la plus forte à la participation au pouvoir. Rien de caché, rien de secret, aucun règlement, aucune formalité. Es‑tu un travailleur ? Veux‑tu te battre pour débarrasser la Russie d'une poignée de policiers persécuteurs ? Tu es notre camarade. Choisis ton député. Dès maintenant, choisis immédiatement celui qui te convient ‑ nous l'accepterons volontiers et avec plaisir, comme membre à part entière de notre Conseil des députés ouvriers, de notre Comité des paysans, de notre Conseil des députés soldats, et ainsi de suite. C'est un pouvoir ouvert à tous, qui fait tout au vu et au su des masses, qui est accessible aux masses, émanation directe des masses, organe direct et immédiat des masses et de leur volonté. ‑ Tel était le nouveau pouvoir, ou plutôt ses embryons, car la victoire de l'ancien pouvoir a piétiné très tôt les pousses de la jeune plante.

Vous vous demandez peut‑être, M. Blank ou M. Kiesewetter, pourquoi la "dictature", pourquoi la "violence", si une vaste masse a besoin de violence contre une poignée, si des dizaines et des centaines de millions peuvent être les dictateurs envers un millier, envers une dizaine de milliers ?

Cette question est généralement posée par des gens qui ont vu le terme "dictature" utilisé pour la première fois dans un sens nouveau pour eux. Ces gens sont habitués à ne voir que le pouvoir policier et la dictature policière. Il leur semble étrange qu'il puisse y avoir un pouvoir sans aucune police, qu'il puisse y avoir une dictature sans police. Êtes‑vous en train de dire que des millions n'ont pas besoin de violence contre des milliers ? Vous vous trompez, et vous vous trompez parce que vous ne regardez pas le phénomène dans son développement. Vous oubliez qu'un nouveau pouvoir ne tombe pas du ciel, mais qu'il grandit, qu'il surgit aux côtés de l'ancien, contre l'ancien pouvoir, dans la lutte contre lui. Sans violence vis‑à‑vis des violenteurs, qui ont entre leurs mains les armes et les organes du pouvoir, il est impossible de débarrasser le peuple des violenteurs.

Voici un petit exemple simplet pour vous, Messieurs Blank et Kiesewetter, afin que vous puissiez saisir cette sagesse, inaccessible à l'esprit cadet, "propre à donner le vertige" à la pensée cadette. Du côté de Spiridonova[67], disons qu'il y a des dizaines et des centaines de personnes non armées. Du côté d'Avramov, il y a une poignée de cosaques. Qu'auraient fait les gens si la torture de Spiridonova n'avait pas eu lieu dans un pénitencier ? Ils auraient eu recours à la violence contre Avramov et son entourage. Ils auraient sacrifié, peut‑être, quelques combattants abattus par Avramov, mais ils auraient quand même désarmé Avramov et les Cosaques par la force, et très probablement, ils auraient tué sur place certains ‑ si l'on ose les appeler ainsi, ‑ êtres humains, et mis les autres dans une prison quelconque pour les empêcher de commettre d'autres outrages, et pour qu'ils comparaissent devant le tribunal du peuple.

Vous voyez, Messieurs Blank et Kiesewetter: quand Avramov et les cosaques torturent Spiridonova, il s'agit d'une dictature militaro‑policière sur le peuple. Quand un peuple révolutionnaire (capable de combattre les violenteurs, et pas seulement d'exhorter, d'admonester, de regretter, de condamner, de pleurnicher et de gémir, non pas un peuple petit‑bourgeois borné, mais révolutionnaire) utilise la violence contre Avramov et ses alter ego, c'est la dictature du peuple révolutionnaire. C'est une dictature, car c'est le pouvoir du peuple sur Avramov, un pouvoir qui n'est limité par aucune loi (un bourgeois serait probablement contre le fait d'arracher de force Spiridonova à Avramov, il dirait: « Ce n'est pas conforme à la 'loi' »? Avons‑nous une telle 'loi' pour tuer Avramov ? Certains idéologues de la bourgeoisie n'ont‑ils pas créé une théorie de la non‑résistance par la violence au mal[68] ?) La notion scientifique de dictature ne signifie rien d'autre qu'un pouvoir qui n'est limité par rien, qui n'est contraint par aucune loi, par aucune règle absolue, un pouvoir fondé directement sur la violence. Ce n'est rien d'autre que cela, ce que signifie la notion de "dictature" ‑ retenez‑le bien, Messieurs les Cadets ! De plus, dans l'exemple que nous avons pris, nous voyons la dictature du peuple, pour le peuple, la masse de la population, désordonnée, "fortuitement" réunie en un lieu donné, apparaître elle‑même et spontanément sur scène, exercer elle‑même la justice, exercer le pouvoir, créer la nouvelle loi révolutionnaire. Finalement, c'est cela précisément la dictature du peuple révolutionnaire. Pourquoi uniquement le peuple révolutionnaire et pas le peuple tout entier ? Parce que dans le peuple dans son esemble, qui souffre constamment et de la manière la plus brutale des exploits à la Avramov, il y a des gens qui sont physiquement écrasés, effrayés, des gens qui sont moralement étouffés, par exemple par la théorie de la non‑résistance par la violence au mal, ou simplement étouffés non par la théorie, mais par les préjugés, la coutume, la routine, des gens qui sont indifférents, ce qu'on appelle des philistins, des petits-bourgeois, qui sont plus enclins à se tenir à l'écart des luttes intenses, à passer à côté ou même à se cacher (pourvu que dans cette bagarre‑là, on ne prenne pas une raclée !). C'est pourquoi la dictature n'est pas exercée par le peuple tout entier, mais seulement par le peuple révolutionnaire, qui, néanmoins, n'a aucunement peur du peuple tout entier, qui révèle au peuple entier les raisons de ses actions et tous les détails de celles‑ci, qui incite de bon coeur le peuple tout entier à participer non seulement à la "l'administration" de l'État, mais aussi au pouvoir, et à participer à la structuration même de l'État.

Ainsi donc, l'exemple simple que nous avons pris contient tous les éléments du concept scientifique: "dictature du peuple révolutionnaire", ainsi que le concept de: "dictature militaro‑policière". De cet exemple simple, accessible même à un professeur cadet érudit, nous pouvons passer à des phénomènes plus complexes de la vie sociale.

La Révolution, au sens étroit et immédiat du terme, est précisément une période de la vie du peuple où la colère accumulée pendant des siècles contre les actes des Avramov éclate en actes, et non en paroles, et dans les actions des masses de millions de personnes, et non des individus. Le peuple se réveille et se lève pour se libérer des Avramov. Le peuple débarrasse des Avramov les innombrables Spiridonova de la vie russe, utilise la violence contre les Avramov et prend le pouvoir sur les Avramov. Cela ne se produit, bien sûr, pas si simplement et pas si "en même temps" que dans l'exemple que nous avons simplifié pour M. le professeur Kiesewetter ‑ cette lutte du peuple contre les Avramov, une lutte au sens étroit et immédiat du terme, ce rejet des Avramov hors du peuple s'étend sur des mois et des années de "tourbillon révolutionnaire". Ce rejet des Avramov par le peuple est le véritable contenu de ce que l'on appelle la grande Révolution Russe. Ce rejet, si nous le considérons du point de vue des méthodes de création historique, se produit sous les formes que nous venons de décrire, en parlant du tourbillon révolutionnaire précisément: la conquête par le peuple de la liberté politique, c'est‑à‑dire de la liberté dont les Avramov empêchaient l'exercice; ‑ la création par le peuple d'un pouvoir nouveau, révolutionnaire, pouvoir sur les Avramov, pouvoir sur les violenteurs de l'ancien système policier; ‑ l'emploi de la violence par le peuple envers les Avramov pour éliminer, désarmer, neutraliser ces chiens sauvages, tous les Avramov, les Dournovo, les Doubasov, les Minov, et ainsi de suite.

Est‑il bon que le peuple utilise des méthodes de lutte aussi illégales, désordonnées, non planifiées et non systématiques pour s'emparer de la liberté, créer un nouveau pouvoir révolutionnaire formellement non reconnu, utiliser la violence contre les oppresseurs du peuple ? Oui, c'est très bien. C'est la manifestation suprême de la lutte du peuple pour la liberté. C'est un grand moment, où les rêves de liberté chez ce qu'il y a de meilleur dans le peuple de Russie se traduisent en action, l'action des masses populaires elles‑mêmes, et non de héros solitaires. C'est aussi heureux qu'est heureuse la libération de Spiridonova des mains d'Avramov par la foule (dans notre exemple), le désarmement forcé et la neutralisation d'Avramov.

Mais nous arrivons ici au point central des pensées et des peurs cachées du Cadet. La raison qui fait du Cadet un idéologue de la bourgeoisie, c'est qu'il transpose à la politique, à la libération du peuple tout entier, à la Révolution, le point de vue de ce philistin qui, dans notre exemple de la torture de Spiridonova par Avramov, retiendrait la foule, lui conseillerait de ne pas enfreindre la loi, de ne pas se hâter de libérer les victimes des mains du bourreau agissant au nom de l'autorité légitime. Bien sûr, dans notre exemple, un tel philistin serait un monstre moral, mais dans l'application à l'ensemble de la vie sociale, la monstruosité morale du philistin est une disposition, nous le répétons, pas du tout personnelle, mais sociale, conditionnée peut‑être par les préjugés fermement ancrés dans sa tête, de la science bourgeoise-philistine du droit.

Pourquoi M. Blank juge‑t‑il, sans même éprouver le besoin de le prouver, que pendant la période du "tourbillon", tous les principes marxistes auraient été oubliés ? Parce qu'il pervertit le marxisme en brentanisme[69], considérant que des "principes" tels que la prise de liberté, la création d'un pouvoir révolutionnaire, l'utilisation de la violence par le peuple, ne sont pas marxistes. Un tel point de vue ruisselle dans tout l'article de M. Blank, et pas seulement de Blank, mais de tous les Cadets, tous les écrivains du camp libéral et radical qui louent maintenant Plekhanov pour son amour des Cadets, jusqu'aux Bernsteiniens de "Sans Titre"[70] , MM. Prokopovich, Kuskova, et tutti quanti[71].

Voyons comment ce point de vue est né et pourquoi il devait naître.

Il est né directement de la compréhension bernsteinienne ou, plus généralement, opportuniste, de la social‑démocratie ouest‑européenne. Les erreurs de cette manière de voir, que les "orthodoxes" de l'Ouest avaient systématiquement et sur toute la ligne exposées, étaient maintenant transférées "en catimini", sous une autre sauce et à une autre occasion, en Russie. Les Bernsteiniens ont accepté et acceptent le marxisme à l'exception de son aspect immédiatement-révolutionnaire. Ils considèrent la lutte parlementaire non pas comme l'un des moyens de lutte, convenant particulièrement à certaines périodes historiques, mais comme la forme principale et presque exclusive de la lutte, rendant inutile la "violence", les "saisies", la "dictature". C'est cette perversion bourgeoise vulgaire du marxisme qui est maintenant transférée en Russie par MM. Blank et autres partisans libéraux de Plekhanov. Ils se sont tellement habitués à cette perversion qu'ils ne jugent même pas nécessaire de prouver le soit-disant oubli des principes et des idées marxistes lors de la période du tourbillon révolutionnaire.

Pourquoi une telle façon de penser devait‑elle émerger ? Parce qu'elle correspond le plus profondément à la position de classe et aux intérêts de la petite-bourgeoisie. L'idéologue de la société bourgeoise "purifiée" admet toutes les méthodes de lutte de la social‑démocratie, à l'exception précisément de celles employées par le peuple révolutionnaire à l'époque du "tourbillon" et que la social‑démocratie révolutionnaire approuve et aide à promouvoir. Les intérêts de la bourgeoisie exigent la participation du prolétariat à la lutte contre l'autocratie, mais seulement une participation circonscrite, sans transcroissance vers la suprématie du prolétariat et de la paysannerie, seulement une participation qui n'élimine pas complètement les anciens organes de pouvoir autocratico‑esclavagistes et policiers. La bourgeoisie ne veut conserver ces organes qu'en les subordonnant à son contrôle direct ‑ elle en a besoin contre le prolétariat, dont l'abolition totale de ces organes allègerait outre mesure sa lutte prolétarienne. C'est pourquoi les intérêts de la bourgeoisie en tant que classe exigent à la fois la monarchie et la Chambre Haute, exigent que la dictature du peuple révolutionnaire soit jugulée. Combats l'autocratie, dit la bourgeoisie au prolétariat, mais ne touche pas aux anciens organes de pouvoir ‑ j'en ai besoin ! Lutte "parlementairement", c'est‑à‑dire dans les limites que je te prescrirai d'accord avec la monarchie, lutte par le biais d'organisations, mais non celles des comités de grève générale, des Soviets de députés ouvriers et soldats, etc., mais par le biais d'organisations telles que la loi que j'ai promulguée de concert avec la monarchie, les reconnaît et les limite, les désarme en face du Capital !

Il ressort clairement de là pourquoi la bourgeoisie parle de la période du "tourbillon" avec dédain, mépris, malice, haine[72] ‑ tandis que pour la période du constitutionnalisme protégée par Doubassov, c'est le ravissement, l'extase, un amour bourgeois sans fin pour la réaction.... C'est toujours la même qualité constante et immuable des Cadets: le désir de s'appuyer sur le peuple et la peur de son initiative révolutionnaire.

On comprend aussi pourquoi la bourgeoisie craint plus que le feu la répétition du tourbillon, pourquoi elle ignore et occulte les éléments de la nouvelle crise révolutionnaire, pourquoi elle soutient et propage au sein du peuple des illusions constitutionnelles.

Nous avons maintenant pleinement expliqué pourquoi M. Blank et ses semblables déclarent que pendant le "tourbillon", tous les principes et idées marxistes ont été oubliés. M. Blank, comme toute les philistins, reconnaît le marxisme sans son côté révolutionnaire, reconnaît les méthodes de lutte de la social‑démocratie sans les méthodes les plus révolutionnaires et spontanément révolutionnaires.

L'attitude de M. Blank à l'égard de la période du "tourbillon" est caractéristique au dernier degré en tant qu'illustration de l'incompréhension bourgeoise des mouvements prolétariens, de la peur bourgeoise d'une lutte aiguë et décisive, de la haine bourgeoise vis-à-vis de toutes les manifestations d'un mode de résolution abrupt des questions socio-historiques, qui brise brutalement les vieilles institutions, révolutionnaire au sens immédiat du terme. M. Blank s'est trahi, il a trahi d'un coup toutes ses limites bourgeoises. Il avait entendu et lu que les sociaux‑démocrates avaient commis des "erreurs" pendant la période du tourbillon ‑ il s'est empressé de conclure et de déclarer avec aplomb, péremptoirement, gratuitement, que tous les "principes" du marxisme (dont il n'a aucune idée !) avaient été oubliés. À propos de ces "erreurs", notons: y‑a‑t‑il eu dans le développement du mouvement ouvrier, dans le développement de la social‑démocratie, une période où l'une ou l'autre de ces erreurs ne furent pas commises, où ces déviations vers la droite ou vers la gauche n'ont pas été observées ? L'histoire de la période parlementaire de la lutte social‑démocrate allemande ‑ cette période qui, pour tous les bourgeois bornés du monde entier, semble être la limite à ne pas franchir ! ‑ n'est‑elle pas truffée de telles erreurs ? Si M. Blank n'était pas un parfait ignorant en matière de socialisme, il se rappellerait aisément Mühlberger[73], Dühring[74], la question de la Dampfersubvention[75], des "jeunes"[76] et du Bernsteinisme, et de beaucoup‑beaucoup d'autres choses. Mais ce n'est pas l'étude du cours réel du développement de la social‑démocratie qui importe à M. Blank; il a seulement besoin de minimiser la portée prolétarienne de la lutte pour exalter l'indigence bourgeoise de son Parti Cadet.

En réalité, si nous considérons la question du point de vue des déviations de la social‑démocratie par rapport à sa voie habituelle, "normale", nous verrons qu'à cet égard aussi, la période du "tourbillon révolutionnaire" montre plus et non moins de cohésion et d'intégrité idéologique de la social‑démocratie qu'auparavant. La tactique de l'époque du "tourbillon" n'a pas éloigné, mais rapproché les deux ailes de la social‑démocratie. Aux anciennes divergences d'opinion, se substitua une unité de vues sur la question de l'insurrection armée. Les sociaux‑démocrates des deux factions travaillaient dans les Soviets des députés ouvriers, ces organes originaux du pouvoir révolutionnaire embryonnaire, attiraient les soldats et les paysans dans ces Soviets, et publiaient des manifestes révolutionnaires conjointement avec les partis révolutionnaires petits‑bourgeois. Les anciennes querelles de l'époque pré‑révolutionnaire ont été remplacées par la solidarité sur des questions pratiques. La montée de la vague révolutionnaire a repoussé les divergences, forçant la reconnaissance des tactiques de combat, éliminant la question de la Douma, mettant à l'ordre du jour la question de l'insurrection, rapprochant la social‑démocratie et la démocratie bourgeoise révolutionnaire sur le travail directement imminent. Dans "Severny Golos (La Voix du Nord) "[77], les mencheviks, aux côtés des bolcheviks, appelaient à la grève et au soulèvement, invitaient les travailleurs à ne pas cesser le combat tant qu'ils n'auraient pas le pouvoir entre leurs mains. La situation révolutionnaire elle‑même suggèrait des slogans pratiques. Les disputes ne concernaient que des détails dans l'évaluation des événements: "Natchalo (Commencement)"[78], par exemple, considérait les Soviets de députés ouvriers comme des organes de l'autogestion révolutionnaire, "Novaïa Zhizn"[79] ‑ comme des organes rudimentaires du pouvoir révolutionnaire, unissant le prolétariat et la démocratie révolutionnaire.

"Natchalo" s'orientait vers la dictature du prolétariat. "Novaïa Zhizn" se plaçait du point de vue de la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie. Mais toute période du développement de n'importe quel parti socialiste européen ne nous montre-t-elle des désaccords similaires au sein de la social-démocratie ?

Non, la falsification de l'affaire par monsieur Blank, sa déformation flagrante de l'histoire d'hier, est due en cela et seulement en cela que nous avons devant nous un spécimen de vulgarité bourgeoise satisfaite d'elle‑même, pour qui les périodes du tourbillon révolutionnaire semblent une folie ("tous les principes sont oubliés", "la pensée elle‑même et la simple raison disparaissent presque"), et les périodes de répression de la Révolutionet du "progrès" bourgeois (protégé par les Doubasov) font figure d'une époque d'activité sage, consciente et conforme au plan. Cette évaluation comparative des deux périodes (la période du "tourbillon" et la période des Cadets) traverse tout l'article de M. Blank comme un fil rouge. Lorsque l'histoire de l'humanité avance à la vitesse d'une locomotive, c'est un "tourbillon", un "déluge", une "disparition" de tous les "principes et idées". Lorsque l'histoire avance à la vitesse d'une calèche, c'est la raison elle‑même et la planification elle‑même. Lorsque les masses elles‑mêmes, avec toute leur primitivité vierge, leur détermination simple et grossière, commencent à faire l'histoire, à mettre en pratique directement et immédiatement des "principes et des théories" ‑ alors la peur envahit le bourgeois qui s'écrie: "la raison est refoulée à l'arrière‑plan" (n'est‑ce pas l'inverse, ô héros du philistinisme ? n'est‑ce pas précisément à de tels moments historiques que la raison des masses, et non la raison des individualités, surgit, et n'est‑ce pas alors que la raison des masses devient une force vivante, agissante, et non une force en chambre ?) Lorsque le mouvement direct des masses est écrasé par les fusillades, les exécutions, les flagellations, le chômage et la famine, lorsque les punaises de la science professorale, entretenus avec l'argent des Doubassov, sortent des lézardes et se mettent à administrer les affaires pour le peuple, au nom des masses, en marchandant et en trahissant les intérêts des masses pour des poignées de privilégiés, il semble alors aux vassaux du philistinisme que l'époque du progrès apaisé et tranquille est advenue, que "le règne de la raison est venu". Le bourgeois est toujours et partout fidèle à lui‑même: que vous preniez l'Étoile Polaire" ou "Notre Vie", que vous lisiez Struve ou Blank, partout c'est la même rengaine, partout cette estimation bornée, professio‑pédantesque, bureaucratico-cadavérique, des périodes révolutionnaires et des périodes réformistes. Les premières sont des périodes de folie, tolle Jahre[80], la disparition de la pensée et de la raison. Les secondes sont des périodes d'activité "consciente et systématique".

Ne réinterprétez pas mes propos ! Ne dites pas que je tiens un discours sur la préférence des Messieurs Blank pour certaines périodes ou pour d'autres. Il ne s'agit pas du tout d'une question de préférence ‑ le changement de périodes historiques ne dépend pas de notre préférence subjective. L'affaire consiste en ceci qu'en analysant les caractéristiques de telle ou telle période (tout à fait indépendamment de nos préférences ou de nos sympathies), Messieurs Blank pervertissent sans vergogne la vérité. Le fait est que ce sont précisément les périodes révolutionnaires qui se caractérisent par une plus grande ampleur, une plus grande richesse, une plus grande conscience, une plus grande planification, une plus grande systématicité, un plus grand courage et un plus grand éclat de la créativité historique par rapport aux périodes de progrès petit‑bourgeois, cadet, réformiste. Pourtant, c'est tout l'inverse de cet état de fait que nous brossent MM. Blank ! Ils font passer la misère noire pour une richesse historico‑créatrice. Ils considèrent l'inactivité des masses écrasées ou opprimées comme le triomphe de la "systématicité" dans l'activité des fonctionnaires et des bourgeois. Ils crient à la disparition de la pensée et de la raison, lorsqu'au lieu de la découpe de projets de loi par toutes sortes de ronds-de-cuir paperassiers et de "journaleux à deux sous la ligne" libéraux (scribouillards qui vivent du paiement à la ligne), vient une période d'activité politique directe des "gens du peuple", qui brise sans autre forme de procès, immédiatement, les organes d'oppression du peuple, s'empare du pouvoir, s'approprie ce qui était considéré comme appartenant à tous les pillards du peuple, en un mot, quand précisément la pensée et l'esprit de millions de gens opprimés se réveillent, se réveillent non seulement pour lire des livres, mais pour l'action, pour l'action humaine vivante, pour la créativité historique.

Voyez le raisonnement majestueux de ce vassal cadet: "Le tourbillon a viré de bord et s'est calmé sur place". Oui, si les philistins libéraux sont encore en vie, si les Doubassov ne les ont pas engloutis, c'est justement grâce à ce tourbillon. "Sur place", dites‑vous ? La Russie du printemps 1906 est‑elle à la même place qu'en septembre 1905 ?

Oui, pendant toute la période des "Cadets", les Doubassov et les Dournovo tirent et tireront la Russie "consciemment, conformément à leur plan, et systématiquement" en arrière pour la ramener à septembre 1905, mais ils manquent de force, car pendant le tourbillon, le prolétaire, le cheminot, le paysan, le soldat insurgé ont fait avancer toute la Russie avec la rapidité d'une locomotive.

Si ce tourbillon déraisonnable se calmait vraiment, la Douma cadette serait condamnée à s'occuper de l'étamage[81] des lavabos.

Mais M. Blank ne soupçonne même pas que la question de savoir si le tourbillon s'est calmé est une question à part entière et purement scientifique, dont la réponse prédétermine toute une série de questions de tactique, réponse sans laquelle, inversement, il est sciemment impossible de comprendre les questions de tactique moderne. Ce n'est pas sur la base de telle ou telle analyse de données et d'observations, que M. Blank est parvenu à la conclusion que les conditions pour un mouvement sous forme de tourbillon sont manquantes, (une telle conclusion, si elle était étayée, serait d'ailleurs d'une importance fondamentale pour l'établissement de la tactique, car, répétons‑le, cette définition ne peut se fonder sur une simple "préférence" pour telle ou telle voie) ‑ non, il exprime directement et simplement sa conviction profonde (et profondément myope) qu'il ne peut pas en être autrement. M. Blank considère le "tourbillon" exactement de la même manière, à proprement parler, que MM. Witte, Dournovo, Bülow[82] et d'autres fonctionnaires allemands qui ont déclaré, il y a longtemps, que 1848 était une "année folle". Ce n'est pas une conviction scientifique que M. Blank exprime dans ses propos sur l'apaisement du tourbillon, mais une irréflexion philistine, pour qui tout tourbillon et le tourbillon en général, c'est "la disparition de la pensée et de la raison".

"La social‑démocratie est revenue à son point de départ", assure M. Blank. La nouvelle tactique des mencheviks oriente le mouvement social‑démocrate russe vers le chemin que suit l'ensemble de la social‑démocratie internationale.

Vous voyez: pour une raison quelconque, M. Blank déclare que la voie parlementaire est le "point de départ" (bien que pour la Russie, elle ne puisse pas être le point de départ de la social‑démocratie). M. Blank considère la voie parlementaire comme étant, pour ainsi dire, la voie normale, principale et même exhaustive, la seule, l'exclusive voie de la social‑démocratie internationale. M. Blank ne se doute même pas qu'il répète à cet égard la perversion bourgeoise du social‑démocratisme qui prévaut dans la presse libérale allemande et qui a été adoptée à un moment donné par le Bernsteinisme. Pour le bourgeois libéral, une des méthodes de lutte semble être la seule méthode. La compréhension qu'a Brentano du mouvement ouvrier et de la lutte des classes se reflète ici pleinement. Du fait que la social‑démocratie européenne n'est entrée et n'a pu s'engager dans la voie parlementaire que lorsque les conditions objectives ont écarté de l'ordre du jour historique la question de la fin de la révolution bourgeoise, que lorsque le système parlementaire est devenu réellement la principale forme de domination de la bourgeoisie et la principale arène de la lutte sociale, cela ne viendrait jamais à l'idée de M. Blank. Il ne se pose même pas la question de l'existence ou non d'un parlement et d'un régime parlementaire en Russie, cependant il décide déjà de manière irréfutable: la social‑démocratie est revenue à son point de départ. L'esprit bourgeois imagine exclusivement des révolutions démocratiques inachevées (car c'est le fondement des intérêts bourgeois que la Révolution ne soit pas menée à son terme). L'esprit bourgeois se dérobe à toute méthode de lutte non parlementaire, à toute manifestation ouverte des masses, à toute révolution au sens immédiat du terme. Le bourgeois s'empresse instinctivement de déclarer, proclamer et considérer comme réel tout parlementarisme factice, afin de mettre fin au "tourbillon vertigineux" (dangereux non seulement pour la tête de nombreux bourgeois demeurés, mais aussi pour leurs poches). C'est pourquoi la question scientifique et vraiment importante de savoir si en Russie la méthode parlementaire de lutte peut être reconnue comme essentielle et le mouvement en forme de "tourbillon" comme tari ‑ cette question, messieurs les Cadets sont même incapables de la comprendre. Et la base matérielle, de classe, de cette incompréhension est tout à fait claire: qu'ils soutiennent la Douma des Cadets par une grève pacifique ou d'autres démonstrations, ils ne songeront pas à une lutte sérieuse, décisive, exterminatrice, à un soulèvement contre l'autocratie et la monarchie.

"Maintenant, c'est à nouveau le règne de la pensée et de la raison", dit M. Blank avec enthousiasme à propos de la période des victoires de Doubassov[83]. Vous savez quoi, Monsieur Blank ? En vérité, il n'y a jamais eu d'époque en Russie à propos de laquelle on puisse dire à ce point que "c'était le tour de la pensée et de la raison" si ce n'est l'époque d'Alexandre III[84] ! Ma foi, c'est ainsi. En effet, c'est à cette époque que la pensée et la raison ont pris leur essor. C'est à cette époque que l'ancien populisme russe a cessé de porter un regard chimérique sur l'avenir et a donné lieu aux études sur la réalité économique de la Russie qui ont enrichi la pensée sociale russe. C'est à cette époque que la pensée révolutionnaire russe a travaillé le plus intensément, créant les fondements de la vision sociale‑démocrate du monde. Oui, nous, révolutionnaires, sommes loin de nier le rôle révolutionnaire des périodes réactionnaires. Nous savons que la forme du mouvement social change, que les périodes de créativité politique directe des masses populaires sont remplacées dans l'histoire par des périodes où règne le calme extérieur, où les masses opprimées et écrasées par le travail forcé et la misère sont silencieuses ou endormies (endormies en apparence), où les méthodes de production sont révolutionnées particulièrement rapidement, où la pensée des représentants d'avant-garde de l'esprit humain dresse les bilans du passé, construit de nouveaux systèmes et de nouvelles méthodes de recherche. Ici, après tout, en Europe, la période qui a suivi l'écrasement de la révolution de 1848 a été caractérisée par un progrès économique sans précédent et par le travail de la pensée qui a produit ne serait-ce que le "Capital" de Marx. En un mot, "le tour de la pensée et de la raison" survient parfois à des périodes historiques particulières de l'humanité, juste comme le séjour d'une personnalité politique en prison est l'occurence d'un développement de ses travaux et études scientifiques.

Mais c'est là le malheur de notre philistin bourgeois, celui de ne pas se rendre compte du caractère, en quelque sorte, carcéral ou doubassovien de sa remarque. Il ne remarque pas la question capitale: la Révolution Russe a‑t‑elle été écrasée ou se dirige‑t‑elle vers un nouvel essor ? La forme du mouvement social s'est‑elle transformée de révolutionnaire en adaptation au doubassovisme ? Les forces en faveur du "tourbillon" se sont‑elles taries ou non ? L'esprit bourgeois ne se pose pas ces questions, parce que pour lui, de toute façon, la Révolutionest un tourbillon déraisonnable, et la réforme est le règne de la pensée et de la raison.

Voyez son argumentation la plus instructive sur l'organisation. "Le premier travail" de la pensée et de la raison, nous pérore-t‑il, "devrait être de prendre des mesures préventives contre la répétition de ce qui s'est passé dans la première période de la Révolution Russe, dans sa Sturm-und‑Drang‑Zeit[85], c'est‑à‑dire contre les actions destructrices des torrents et des ouragans révolutionnaires. Le seul véritable remède à cela ne peut être que l'expansion et le renforcement de l'organisation".

Vous voyez: le Cadet considère que la période de l'ouragan a détruit les organisations et le sens de l'organisation (voir "Novoe Vremya"[86], euh, pardon, "L'Étoile Polaire" avec les articles de Struve contre l'anarchie, le chaos, l'impuissance dans la Révolution, etc., etc.), tandis que la période - protégée par Doubassov - de la pensée et de la raison, est une période de construction des organisations. La Révolutionest mauvaise, elle détruit, c'est un ouragan, un tourbillon vertigineux. La réaction est bonne, elle construit, c'est un vent favorable et une période d'activité consciente, planifiée, systématique.

Et une fois de plus, le philosophe du Parti Cadet calomnie la Révolutionet laisse éclater tout son amour pour les formes et les conditions - bourgeoisement circonscrites - du mouvement. L'ouragan a anéanti les organisations ! Quelle contre‑vérité flagrante ! Citez une période semblable de l'histoire russe ou mondiale, citez six mois ou six ans semblables où l'on a fait autant pour les organisations libres et spontanées des masses populaires que pendant les six semaines du tourbillon révolutionnaire russe, quand, selon les mots des calomniateurs de la Révolution, tous les principes et toutes les idées ont été oubliés, quand la raison et la pensée ont disparu. Qu'est‑ce que la grève générale panrusse ? N'est‑ce pas une organisation, à votre avis ? Elle n'est pas enregistrée dans les registres de la police, ce n'est pas une organisation permanente, vous ne voulez pas la prendre en considération. Prenez les organisations politiques. Savez‑vous que les travailleurs, les masses grises[87], n'ont jamais adhéré aussi volontiers à des organisations politiques, n'ont jamais augmenté aussi gigantesquement le nombre de membres des syndicats politiques, ni créé d'organisations semi‑politiques originales comme les Soviets des députés ouvriers ? Mais vous avez peur des organisations politiques du prolétariat. Pour vous, Brentaniste convaincu, les organisations professionnelles semblent plus sûres pour la bourgeoisie (et donc plus solides, plus sérieuses). Prenons les organisations professionnelles, et nous verrons, contrairement à tous les ragots philistins sur la mésestime à leur égard au moment de la Révolution, qu'il n'a jamais été créé en Russie un tel trésor d'organisations professionnelles ouvrières que de nos jours. Les pages des journaux socialistes, et spécifiquement des journaux socialistes, et "Novaya Zhizn", et "Natchalo", débordaient d'informations sur les organisations professionnelles nouvelles et inédites. Ces couches arriérées du prolétariat, qui pendant des décennies n'ont guère pu être mis en branle dans une période de progrès bourgeois "planifié et systématique", comme les domestiques, ont montré le plus grand penchant et la plus grande capacité à s'organiser. Prenez l'Union des paysans. Il est maintenant très facile de rencontrer un Cadet qui parle de cette union avec un dédain majestueux: quoi, à ce qu'on dit, voyons, mais c'est une organisation semi‑fictive ! Il n'en est resté nulle trace ! Oui, messieurs, je voudrais voir ce qu'il resterait de vos organisations de Cadets, s'ils devaient se battre contre les expéditions punitives, contre les innombrables Loujenovsky, Riman[88], Filonov[89], Avramov et Zhdanov[90] dans les villages. L'Union des paysans s'est développée avec une rapidité fabuleuse pendant le tourbillon révolutionnaire. C'était une organisation de masse vraiment populaire, partageant, bien sûr, un certain nombre de préjugés paysans, malléable aux illusions petites‑bourgeoises du paysan (tout comme nos socialistes‑révolutionnaires y étaient sensibles), mais indubitablement une véritable organisation des masses de "terroir", indubitablement révolutionnaire dans ses fondements, capable d'appliquer des méthodes de lutte réellement révolutionnaires, qui ne réduisait pas mais élargissait le champ de la créativité politique de la paysannerie, qui mettait en scène les paysans eux‑mêmes avec leur haine des fonctionnaires et des propriétaires, et non des semi‑intellectuels, qui sont si souvent enclins à composer toutes sortes de projets d'accommodement entre la paysannerie révolutionnaire et les propriétaires libéraux. Non, dans le mépris courant pour l'Union paysanne, transparaît avant tout l'étroitesse d'esprit bourgeoise et philistine du Cadet, qui ne fait pas confiance à l'activité révolutionnaire indépendante du peuple et qui a peur de cette indépendance. Les jours de liberté, l'Union paysanne était l'une des réalités les plus puissantes, et l'on peut prédire avec assurance que si les Loujenovski et les Riman ne tuent pas encore des dizaines de milliers de jeunes paysans avancés, si souffle encore une brise de liberté, cette union se développera à pas de géant, elle sera une organisation à côté de laquelle les actuels Comités de Cadets[91] paraîtront des grains de poussière.

Résumons: la créativité organisationnelle du peuple, surtout du prolétariat et ensuite de la paysannerie, se manifeste, dans les périodes de tourbillons révolutionnaires, des millions de fois plus fort, plus richement, plus productivement que dans les périodes prétendument de progrès historique calme (de traction animale). L'opinion contraire des MM. Blank est une déformation bourgeoise-rond-de-cuir de l'histoire. Pour le bon bourgeois et le fonctionnaire loyal, seules lui semblent de "vraies" organisations celles qui sont bien enregistrées dans les registres de police et qui se conforment parfaitement à toutes sortes de "règles temporaires". Sans règles temporaires, il ne peut concevoir la planification et la systématicité. Il ne faut donc pas se méprendre sur le sens véritable des paroles retentissantes du Cadet lorsqu'il parle d'un mépris romantique de la légalité et d'un mépris aristocratique de l'économie. Le vrai sens de ces mots est unique: la peur bourgeoise‑opportuniste devant l'indépendance révolutionnaire du peuple.

Enfin, examinons le dernier point de la "théorie" cadette de M. Blank: la relation entre la démocratie ouvrière et la démocratie bourgeoise. Le raisonnement de M. Blank à ce sujet mérite la plus grande attention de la social‑démocratie, car il constitue un échantillon de la façon dont Marx est perverti à l'aide de références à Marx. Copiant-collant les Brentano, Sombart[92], Bernstein et Cie qui ont commué le marxisme en Brentanisme en utilisant la terminologie de Marx, en se référant à des déclarations de Marx décontextualisées, en contrefaisant le marxisme, en bons copieurs-colleurs, nos cadets se sont engagés dans le "subtil travail" de contrefaçon de Marx sur la question de la relation entre la démocratie ouvrière et la démocratie bourgeoise.

Sans la coordination des actions de la démocratie ouvrière et de la démocratie bourgeoise, le succès de la révolution démocratique bourgeoise est impossible. Sainte vérité. Vérité inconditionnelle. Vous semble‑t‑il, Messieurs Blank,[93] et Cie, que les social‑démocrates révolutionnaires l'avaient oubliée, surtout à l'époque du "tourbillon" ? Vous vous trompez ou vous substituez délibérément le concept de démocratie bourgeoise révolutionnaire au concept de démocratie bourgeoise en général, y compris de démocratie monarchiste‑libérale, y compris de démocratie opportuniste, voire principalement la démocratie monarchiste‑libérale. Prenez "Novaya Zhizn" et vous verrez que l'action commune, l'accord de lutte entre la démocratie ouvrière et la démocratie bourgeoise révolutionnaire sont mentionnés dans presque chaque numéro. L'importance de l'Union des paysans et du mouvement paysan y est mentionnée dans les termes les plus forts. Contrairement aux contes de fée cadets sur l'intolérance et le dogmatisme borné des marxistes, on y reconnaît pleinement l'importance des syndicats et des organisations sans parti[94], mais seulement des organisations révolutionnaires-sans parti. C'est là le noeud de la question, habilement occultée par nos Brentanistes en politique: quels sont précisément les éléments de la démocratie bourgeoise capables de mettre fin à la révolution démocratique-bourgeoise quand cette révolution est, pour ainsi dire, à mi‑parcours. S'agit‑il des éléments qui adoptent un programme monarchiste‑libéral, qui s'enlisent jusqu'au cou dans les illusions constitutionnelles et qui arrosent de la salive de leur indignation philistine, de leur condamnation, de leur regret, les périodes révolutionnaires, les méthodes révolutionnaires de créativité historique? Ou bien de ceux qui adoptent le programme de la victoire complète de la révolte paysanne (au lieu d'un marchandage des paysans avec les propriétaires terriens), de la victoire complète de la démocratie (au lieu d'un marchandage de la Chambre Basse démocratique avec la Chambre Haute et la monarchie) ? Avez‑vous déjà réfléchi à cette question, Messieurs Blank et Izgoev ? Devrions‑nous, à l'heure actuelle, "lutter ensemble" avec les conciliateurs bourgeois‑démocrates ou avec les révolutionnaires bourgeois‑démocrates ?

N'avez‑vous pas entendu, honorables amateurs de citations et de falsifications de Marx, comment il a fustigé sans pitié les conciliateurs démocrates‑bourgeois dans l'Allemagne de 1848[95] ? Et pourtant, ces conciliateurs ne siégeaient pas à la dérisoire Douma d'État, mais à l'Assemblée nationale ‑ c'étaient des démocrates, bien plus "résolus" (en paroles) que nos Cadets.

Et les mêmes Marx et Engels, une quinzaine d'années plus tard, à l'époque du "conflit constitutionnel" prussien, conseillèrent au Parti Ouvrier de soutenir les démocrates‑progressistes bourgeois qui ne valaient pas mieux que les démocrates de Francfort[96]. Selon vous, il s'agirait là d'une contradiction et d'une incohérence chez Marx et Engels ? Selon vous, il s'agirait d'une preuve que la "pensée et la raison" ont également presque disparu de leur esprit pendant le "tourbillon révolutionnaire" (c'est le point de vue de la plupart des Bernsteiniens et des Cadets) ? En fait, il n'y a aucune contradiction ici: pendant la période de lutte révolutionnaire, Marx a stigmatisé avec la plus grande sévérité les illusions constitutionnelles et les conciliateurs constitutionnels. Lorsque toutes les forces du "tourbillon" révolutionnaire se sont taries, lorsque la trahison des Cadets allemands envers la Révolutionne fit plus aucun doute, lorsque les soulèvements furent écrasés de manière absolue et résolue et que la prospérité économique rendit leur répétition sans espoir ‑ alors et alors seulement (Marx et Engels ne se distinguaient pas par le découragement et la perte de confiance dans un soulèvement après la première défaite !), alors seulement ils reconnurent la forme parlementaire de lutte comme la forme principale de lutte. Au Parlement, puisque vous y êtes entrés, il est non seulement possible, mais nécessaire, sous des conditions déterminées, de soutenir le transfuge Izgoev contre Chipov, Chipov contre Dournovo. Dans la lutte pour un véritable parlementarisme, il n'y a parfois rien de plus dangereux que les "conciliateurs" cadets.

Si vous voulez vous référer à Marx, messieurs, essayez de prouver que notre Douma est déjà un organe de domination de la bourgeoisie dans la Russie libre, et non une feuille de vigne qui cache l'autocratie. Vous direz que cette dernière peut évoluer vers la première par une série de petits changements, et que les élections des Cadets sont justement non seulement une petite, mais une grande "évolution".

Très bien ! Mais avec cela, vous ne faites que repousser la question, vous ne la résolvez pas. Et maintenant, la Douma actuelle a‑t‑elle outrepassé ses bornes au point de devenir un organe du pouvoir ? Ceux d'entre vous qui le pensent et tentent de le faire croire au peuple, ceux‑là propagent carrément les illusions constitutionnelles les plus néfastes, ceux‑là sont carrément des contre‑révolutionnaires. Ceux qui admettent qu’il est probable que " Dournovo reste pour dissoudre la Douma "[97], ou qui se rendent compte que, sans une pression révolutionnaire extra‑"parlementaire", rien n'est encore assuré[98], ceux‑là révèlent eux‑mêmes l'instabilité de leur position. Par leurs aveux, ils montrent clairement que la politique des Cadets est une politique de l'instant, et non une politique de défense sérieuse des intérêts durables et fondamentaux de la Révolution. Ces aveux montrent que toute la masse des éléments révolutionnaires démocratiques-bourgeois, qui seront poussés aux barricades par les moqueries des MM. Dournovo à l'égard de la Douma, se détacheront des Cadets au moment du dénouement de la nouvelle crise révolutionnaire qui mûrit aujourd'hui. Ainsi, la seule différence réside en ce que vous voulez limiter, lier, restreindre cette nouvelle bataille inévitable à la tâche de soutien de la Douma des Cadets, tandis que nous voulons diriger toutes nos pensées, tous nos efforts, toute notre agitation, notre propagande et notre travail d'organisation vers l'élargissement de la portée de cette bataille au-delà des programmes des Cadets, pour l'étendre jusqu'au renversement complet de l'autocratie, jusqu'à la victoire complète du soulèvement paysan, jusqu'à la convocation par des moyens révolutionnaires d'une Assemblée Nationale Constituante.

Il vous semble que nous n'avons pas de démocratie bourgeoise révolutionnaire en Russie, que les Cadets sont la seule ou du moins la principale force de la démocratie bourgeoise en Russie. Mais cela vous semble ainsi uniquement parce que vous êtes myopes, parce que vous vous contentez d'une observation superficielle des phénomènes politiques, que vous ne voyez pas et ne comprenez pas "l'essence de la Constitution". Politiciens d'aujourd'hui, vous êtes les plus typiques des opportunistes, car derrière les intérêts immédiats de la démocratie, vous ne voyez pas ses intérêts plus profonds et plus fondamentaux, derrière les tâches immédiates, vous oubliez les tâches plus sérieuses de demain, derrière l'étiquette, vous ne voyez pas le contenu. La démocratie bourgeoise révolutionnaire existe en Russie, elle ne peut pas ne pas être, tant qu'il existe une paysannerie révolutionnaire, qui est reliée par des milliards de fils aux pauvres des villes. Cette démocratie s'est dissimulée exclusivement grâce au travail des Riman et des Loujenovsky. Et demain, les illusions des cadets seront infailliblement mises à nu. Soit le régime de répression reste à l'ancienne, les Riman et les Loujenovsky "mèneront des actions", et la Douma des cadets palabrera, ‑ alors l'insignifiance de cette Douma et l'insignifiance du parti qui la domine deviendront immédiatement évidentes pour les grandes masses de la population. Il y aura une explosion brutale, qui impliquera, bien sûr, non pas les Cadets en tant que parti, mais précisément les éléments de la population qui constituent la démocratie révolutionnaire. Soit le régime de répression s'affaiblira, et le gouvernement fera quelques concessions, la Douma cadette commencera, bien sûr, à fondre dès les premières concessions, et à se réconcilier non seulement avec Chipov, mais peut‑être avec quelque chose de pire encore. La nature contre‑révolutionnaire des Cadets (qui est apparue de façon particulièrement frappante du temps du "tourbillon" et qui se reflète constamment dans leur littérature) se manifestera pleinement. Mais le tout premier souffle d'une brise de liberté, le premier relâchement de la répression fera inévitablement renaître des centaines et des milliers d'organisations, de syndicats, de groupes, de cercles, de projets à caractère révolutionnaire‑démocratique. Et ce phénomène conduira donc inévitablement à un "tourbillon", à une répétition de la lutte d'octobre‑décembre, mais alors à une échelle incommensurablement plus large. Les cadets, qui brillent aujourd'hui, faibliront à nouveau à ce moment‑là. Pourquoi ? Parce qu'on trouve des vers dans les parages des cadavres, et non des personnes vivantes.

En d'autres termes, les Cadets peuvent, comme le dirait Dournovo, "allécher" irrévocablement le peuple dans l'espoir d'une "liberté du peuple", mais ils ne peuvent d'aucune façon, ils ne peuvent indubitablement pas mener une vraie lutte pour la vraie liberté du peuple sans guillemets, sans un arrangement entre la liberté et l'autocratie. Cette lutte devra inévitablement être menée, et elle le sera par d'autres partis, d'autres éléments sociaux, et non par les Cadets. Il est clair que la social‑démocratie révolutionnaire n'est pas du tout jalouse du succès des Cadets et qu'elle continue à porter toute son attention sur cette lutte à venir, réelle et non factice.

M. Blank cite les paroles de Marx sur la signification éminente de la démocratie bourgeoise. Pour exprimer l'opinion réelle de Marx, il aurait dû ajouter: et une signification éminemment perfide. Marx en a parlé des milliers de fois en divers endroits de ses différents ouvrages. Le camarade Plekhanov, qui penche vers le Brentanisme dans la politique actuelle, a oublié ces instructions de Marx. Le camarade Plekhanov ne soupçonne même pas quelles peuvent être les trahisons de la démocratie libérale. La solution est très simple, camarade Plekhanov: le parti de la "liberté du peuple" a trahi et trahira la liberté du peuple.

M. Blank nous prèche qu'il est inutile de pousser la démocratie bourgeoise "dans la réaction, dans la contre‑révolution". Nous demandons à ce sage Cadet: voulez‑vous traiter le monde des idées, des théories, des programmes, des lignes tactiques, ou le monde des intérêts matériels de la classe ? Prenons l'un et l'autre. Qui a poussé votre ami M. Struve, dans la contre‑révolution, et quand ? M. Struve était un contre‑révolutionnaire en 1894 lorsqu'il émit des réserves brentaniennes sur le marxisme dans ses "Notes critiques". Et malgré les efforts de certains d'entre nous pour le "pousser" du Brentanisme au marxisme, M. Struve s'est définitivement rallié au Brentanisme. Et les notes contre‑révolutionnaires n'ont jamais disparu des pages de "l'Osvobozhdenie", l'Osvobozhdenie illégal. Qu'est donc cela, un cas fortuit ? Est‑ce fortuit que c'est justement l'époque du "tourbillon", l'époque de l'initiative autonome révolutionnaire du peuple qui a incité M. Struve à créer un organe de référence de la grogne réactionnaire: "l'Étoile Polaire" ?

Qu'est-ce qui pousse en général le petit producteur de l'économie marchande du côté de la réaction et de la contre‑révolution ?

Sa position entre la bourgeoisie et le prolétariat dans la société capitaliste. Le petit-bourgeois oscille inévitablement et fatalement, dans tous les pays et sous toutes les combinaisons politiques, entre la révolution et la contre‑révolution. Il veut se libérer de l'oppression du capital et renforcer sa position de petit propriétaire. Une telle tâche est foncièrement insoluble, et l'oscillation de la petite bourgeoisie, en raison de l'essence même de la société moderne, est inévitable et incontournable. Par conséquent, seuls des idéologues de la petite bourgeoisie peuvent imaginer que de telles manifestations d'auto‑activité révolutionnaire des travailleurs ou des paysans se révoltant contre la propriété foncière, soient concevables sans pousser une partie déterminée de la démocratie bourgeoise dans la réaction. Seuls les vassaux du philistinisme peuvent le regretter.

MM. Blank et Izgoev (ou le camarade Plekhanov) imaginent‑ils possible, par exemple, qu'une victoire complète de l'insurrection paysanne, une complète "confiscation de la terre" (slogan de Plekhanov) des propriétaires terriens sans indemnité compensatoire, ne pousse pas les trois cinquièmes de la "démocratie bourgeoise" cadette dans les bras de la contre‑révolution ? Ne devrions‑nous pas en conséquence, commencer à marchander avec les Cadets un programme paysan "raisonnable" ‑ qu'en pensez‑vous, camarade Plekhanov ? quelle est votre opinion, messieurs Blank et Izgoev ?

Et maintenant, le point final du raisonnement politique de notre Cadet: si la démocratie bourgeoise, dans le moment présent, est contre l'insurrection armée, alors l'insurrection ne peut et ne doit qu'être hors de question.

Par ces mots, s'expriment toute l'essence et tout le sens de la politique des Cadets: subordonner le prolétariat aux Cadets, le prendre en remorque dans la question fondamentale de son comportement politique et de sa lutte politique. À quoi bon fermer les yeux sur cela ? M. Blank détourne assez habilement les yeux: il parle non pas des Cadets, mais de la démocratie bourgeoise en général. Il parle du "moment présent" et non du soulèvement en général. Mais seul un enfant pourrait se méprendre sur le fait qu'il s'agit précisément d'un détournement du regard et que le véritable sens de la conclusion de Blank est est justement ce que nous avons indiqué: nous avons déjà montré à l'aide de nombreux exemples que M. Blank (comme tous les Cadets) ignore systématiquement les démocrates bourgeois qui sont plus à gauche que les Cadets, que, conformément à l'ensemble de sa position de défenseur des illusions constitutionnelles, il identifie les Cadets avec la démocratie bourgeoise, et ignore la démocratie bourgeoise révolutionnaire. Il ne nous reste plus qu'à montrer que les Cadets sont contre l'insurrection armée en général, et non pas seulement contre le choix malheureux du "moment" (les deux sont étonnamment souvent confondus, et il est particulièrement à l'avantage des Cadets de les confondre, de couvrir leur désaveu de l'insurrection par des spéculations sur son moment). Rien n'est plus facile à démontrer: il suffit de se reporter à "Osvobozhdenie" illégale, dans laquelle M. Struve, au printemps et à l'été 1905, après le 9 janvier et avant le 9 octobre, prêchait contre l'insurrection armée, en y justifiant que la propagande en sa faveur était "insensée et criminelle". Les événements ont suffisamment démenti ce contre‑révolutionnaire. Les événements ont montré que c'est seulement par la combinaison de la grève générale et de l'insurrection armée, prévue par les marxistes et avancée par eux comme mot d'ordre, que la Russie a conquis la reconnaissance de la liberté et les rudiments du constitutionnalisme. Seuls quelques rares sociaux‑démocrates (à l'instar de Plekhanov) qui n'avaient pas de partisans en Russie, ont déclaré lâchement au sujet de l'insurrection de décembre: "il n'était pas nécessaire de prendre les armes". Au contraire, l'immense majorité des sociaux‑démocrates reconnaissent que le soulèvement était une riposte indispensable à la confiscation des libertés, qu'il a élevé tout le mouvement à un stade supérieur et a prouvé la possibilité de combattre l'armée. Ce dernier état de choses a été reconnu par un témoin aussi impartial, détaché et avisé que Kautsky[99].

Voyez maintenant à quoi se résume la morale de MM. Blank: le prolétariat ne doit pas songer à la révolte si le Parti Cadet (qui n'a jamais été révolutionnaire) ne sympathise pas avec l'insurrection (bien qu'il soit en ce moment et dans tous les autres moments contre l'insurrection). Non, Monsieur Blank ! Le prolétariat comptera certainement avec la démocratie bourgeoise et sur la question du soulèvement en général, et sur la question du moment du soulèvement en particulier, - mais précisément toutefois, non pas avec la démocratie bourgeoise cadette, mais avec la démocratie bourgeoise révolutionnaire; - non pas avec les courants et partis libéraux-monarchistes mais avec les courants et partis révolutionnaires-républicains; ‑ non pas avec les beaux parleurs qui se satisfont d'un parlement‑jouet, mais avec les masses paysannes (une composante également de la démocratie bourgeoise), qui définissent leur attitude envers le soulèvement autrement que les Cadets.

"Les Cadets sont contre l'insurrection". Oui, ils n'ont jamais été et ne pourront jamais y être favorables. Ils la redoutent. Ils s'imaginent naïvement que de leur voeu ‑ du voeu des éléments intermédiaires qui se tiennent à l'écart de la lutte la plus aiguë et la plus immédiate ‑ dépend la résolution de la question de l'insurrection. Quelle aberration ! L'autocratie se prépare à la guerre civile et la prépare désormais de façon particulièrement systématique. À l'occasion de la Douma, une nouvelle crise politique, bien plus large et plus profonde, est en train de mûrir. Et les masses paysannes et le prolétariat conservent encore dans leur tréfonds une masse d'éléments militants qui exigent irrévocablement la liberté du peuple et non des accomodements qui restreignent la liberté du peuple. Dans ces conditions, est-ce vraiment la volonté de tel ou tel parti qui décidera du déclenchement ou non de l'insurrection ?

Tout comme le bourgeois d'Europe occidentale, à la veille de la révolution socialiste, aspire à un relâchement des contradictions de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat, appelle ce dernier à ne pas pousser les représentants de la première à la réaction, se prononce en faveur de la paix sociale, et rejette, avec un sentiment de profonde indignation morale, l'idée non scientifique, étroite, conspiratrice, anarchiste, etc. de catastrophe, ‑ de même le bourgeois russe, à mi‑chemin de notre révolution démocratique bourgeoise, aspire au relâchement de la contradiction entre l'autocratie et la liberté du peuple, invite les révolutionnaires, c'est‑à‑dire tous les partisans résolus et conséquents de cette dernière, à ne pas pousser la bourgeoisie libérale à la réaction, se prononce en faveur de la voie constitutionnelle et rejette, avec le sentiment d'une véritable indignation étayée par un idéalisme philosophique, les idées non scientifiques, étroites, conspiratrices, anarchistes, etc. l'idée de l'insurrection. Au bourgeois d'Europe occidentale, l'ouvrier conscient dit:

« La catastrophe ne dépendra pas d'éléments intermédiaires, mais de l'exacerbation des extrêmes. Au bourgeois russe (et le Cadet est le bourgeois idéal en politique), le travailleur conscient dit: le soulèvement ne dépend pas de la volonté des libéraux, mais des actions de l'autocratie et de la croissance de la conscience et de l'indignation dans la paysannerie et le prolétariat révolutionnaires. Les bourgeois d'Europe occidentale disent à leur prolétariat: ne t'aliéne pas la petite paysannerie et en général la petite bourgeoisie, éclairée, sociale‑libérale, réformiste, ne t'isole pas, ce n'est que la réaction qui veut t'isoler. Le prolétaire répond: ceux dont je dois m'isoler, ce sont les conciliateurs entre la bourgeoisie et le prolétariat, dans l'intérêt de toute l'humanité laborieuse, car ces conciliateurs me conseillent de désarmer, car ils exercent une influence des plus néfastes, immédiate et néfaste en pratique, sur la conscience de la classe opprimée par leurs prêches de conciliation, de relâchement etc. Mais de toute cette énorme masse de petits-bourgeois, la masse laborieuse, qui est apte à rejoindre le point de vue du prolétariat, à ne pas aspirer au compromis, à ne pas se laisser enrôler dans le renforcement de la petite économie de la société capitaliste, de ne pas renoncer à la lutte contre le système capitaliste lui‑même, de cette masse je ne m'isole pas. »

Dans une autre conjoncture, dans une période historique différente, à la veille (et même non à la veille, mais au milieu) de la révolution démocratique bourgeoise et non socialiste, une chose similaire se produit en Russie. Le bourgeois dit au prolétaire: "la réaction veut t'isoler, tu dois isoler la réaction, ne repousse pas le Cadet, le Cadet éclairé, politiquement libéral, réformateur." Le prolétaire répond:

« Je dois m'isoler des conciliateurs entre l'autocratie et la représentation populaire dans l'intérêt de la lutte réelle pour la liberté réelle, car ces conciliateurs nous conseillent de désarmer, ils obscurcissent la conscience civile du peuple par leurs prêches de "paix politique" et d'illusions constitutionnelles. Mais ces conciliateurs, tous ces Cadets, ne sont pas le peuple, pas la masse, pas du tout la force, comme il semble à ceux qui succombent à l'humeur du moment et aux impressions du moment, qui crient maintenant au danger de l'isolement du prolétariat. La masse véritable, c'est la paysannerie révolutionnaire, les vrais pauvres de la population urbaine. Et de cette masse je ne m'isole pas, je l'appelle à se libérer des illusions constitutionnelles, je l'appelle à la lutte réelle, je l'appelle à l'insurrection. Je tiendrai compte avec le plus grand sérieux de l'état d'esprit et de l'évolution de la conscience de cette masse (pas du tout des conciliateurs cadets) pour déterminer le moment du soulèvement, mais en vue du succès du moment, pour le clinquant de pacotille du parlementarisme cadet (ou du parlementarisme de Doubassov, pour être peut‑être plus exact), je n'oublierai pas une minute la lutte révolutionnaire contre l'autocratie, qui se développe très rapidement, et qui aura probablement lieu dans un futur pas trop lointain. »

Il fut un temps pas si lointain, ‑ où en Europe, le social‑libéral, petit-bourgeois conciliateur, brillait, faisait du bruit, imposait au prolétariat ses alliances et ses compromis. L'aile intellectuelle des partis sociaux‑démocrates a mordu à l'hameçon, s'est laissée séduire par la politique du moment, a créé la fameuse Bernsteiniade[100], etc. Un an ou deux se sont écoulés, le brouillard du "monde social" s'est dissipé pour de bon, et la justesse de la position de l'aile révolutionnaire de la social‑démocratie, qui s'en tenait constamment au point de vue prolétarien, est devenue parfaitement clair.

Chez nous aujourd'hui en Russie, les victoires des Cadets et la future Douma des Cadets font chavirer tous les esprits. Le danger existe que l'aile intellectuelle de notre parti s'entiche de cet éblouissement, s'entiche de blocs électoraux avec les Cadets, de l'idée de les soutenir, d'une politique de "tact diplomatique" envers les Cadets, le danger donc qu'elle ne veuille pas identifier clairement et distinctement du point de vue prolétarien la nature de classe petite‑bourgeoise de ce parti, de la nocivité de ses illusions constitutionnelles, du danger brûlant de sa tactique de "conciliation". Le temps passant ‑ pas même des années, mais peut‑être des mois ‑ et le brouillard se dissipera, les vues de la social‑démocratie révolutionnaire seront confirmées par la réalité, les pages des journaux et revues des Cadets cesseront de regorger d'éloges envers une partie des sociaux‑démocrates, éloges offensantes envers le prolétariat, et qui témoignent de quelque maladie au sein de la social‑démocratie.

VI. CONCLUSION[modifier le wikicode]

En parlant des vues de M. Blank, ce représentant le plus typique de la politique des Cadets, nous n'avons pratiquement pas abordé les vues des camarades mencheviks. Mais les conclusions concernant leur position découlent de ce qu'ils en ont dit eux-mêmes. Les éloges zélés que leur prodiguent les Cadets laisse déjà entrevoir quelque erreur de leur part. La presse cadette, c'est presque les neuf dixièmes de toute la presse politique de la Russie à l'heure actuelle, et si toute cette presse bourgeoise commence à louer, systématiquement et constamment, un jour Plekhanov, le lendemain Potressov ("Nasha Zhizn")[101], le jour d'après une résolution de l'ensemble des mencheviks, c'est déjà un signe certain, certes indirect, que les camarades mencheviks commettent ou sont sur le point de commettre quelque erreur. Il ne se peut pas que l'opinion publique de toute la presse bourgeoise ait rompu carrément avec l'instinct de classe de la bourgeoisie, qui est très sensible à la direction du vent.

Mais, nous le répétons, il ne s'agit là que d'un signe indirect. La présentation qui précéde conduit également à une formulation directe des erreurs qui se dégagent des projets de résolutions mencheviques. Il n'y a pas lieu ici d'examiner ces résolutions en détail; nous ne pouvons que noter brièvement ce qui est essentiel relativement à la question des "victoires des Cadets et des tâches du Parti Ouvrier".

Une erreur des mencheviks, c'est qu'ils ne formulent pas du tout, ils semblent même l'oublier totalement, une tâche politique aussi essentielle pour le prolétariat social‑démocrate conscient aujourd'hui, que la bataille contre les illusions constitutionnelles. Le prolétariat socialiste, qui observe strictement le point de vue de classe, qui applique sans faillir la conception matérialiste de l'histoire à l'appréciation du présent, qui est hostile à tous les sophismes et duperies petits‑bourgeois, ne peut pas ignorer cette tâche à un moment comme celui que traverse actuellement la Russie. S'il devait l'ignorer, il cesserait d'être le combattant avancé de l'entière liberté du peuple, un combattant au‑dessus de l'esprit borné de la démocratie bourgeoise. S'il devait l'ignorer, il se retrouverait impuissant, à la traîne des événements qui font maintenant précisément de ces mêmes illusions constitutionnelles un instrument de la dépravation bourgeoise du prolétariat, comparable à la théorie de la "paix sociale" qui, récemment, a été en Europe l'instrument principal de diversion bourgeoise des travailleurs comme parade au socialisme.

Les illusions constitutionnelles, c'est toute une période de la Révolution Russe, qui est venue naturellement après la répression du premier soulèvement armé (qui sera suivi d'un second) et après les victoires électorales des Cadets. Les illusions constitutionnelles, c'est le poison politico‑opportuniste et bourgeois que des millions d'exemplaires de la presse cadette déversent maintenant dans les cervelles du peuple, profitant du silence forcé des journaux socialistes. Nous avons ici le journal "Tovarisch"[102] , l'organe des Cadets qui vont au "peuple" et plus particulièrement à la classe ouvrière. Dans le premier numéro, un dithyrambe à l'adresse des Cadets est chanté: "Dans son programme, il (le parti K.‑D.) promet (... hum ! hum ! pro-m-et !)... de défendre les intérêts des paysans (à la Kaufman ?) et des ouvriers (mais bien sûr !) et les droits politiques de tous les citoyens russes sans distinction. S'il obtient la majorité des voix à la Douma d'État, le gouvernement actuel, qui a causé tant de malheur au peuple, devra partir, et l'État sera dirigé par de nouvelles personnes (des Mouraviev[103] à la place de Witte ?) qui écouteront la voix du peuple". Oui, oui... Obéir à la voix du peuple !... C'est magnifque ce que les Cadets écrivent !

Nous sommes persuadés qu'il ne se trouvera pas un seul socialiste qui ne s'indigne de ce mensonge bourgeois sans éhonté, qui ne reconnaisse pleinement et inconditionnellement la nécessité de la lutte la plus énergique contre cette perversion bourgeoise de la classe ouvrière, perversion d'autant plus dangereuse que les Cadets ont entre leurs mains une nuée de journaux, tandis que nous, malgré une série interminable de tentatives pour établir le journal socialiste le plus mesuré, le plus tempéré, le plus modeste, nous n'en avons aucun.

Poursuivons ! On ne peut que convenir que ce mensonge bourgeois, cet obscurcissement de la conscience révolutionnaire du peuple, a le caractère d'incartades qui n'ont rien d'épisodiques, mais charpentent toute une campagne. Bien plus ! La Douma des Cadets (si la Douma s'avérait être une Douma des Cadets) est, pour ainsi dire, l'incarnation vivante des illusions constitutionnelles, leur épicentre, le foyer de tous les aspects de la vie politique qui sautent en premier aux yeux (et qui, pour la vue superficielle et idéaliste du petit-bourgeois, semblent être l'essence ou du moins le phénomène principal de la vie politique contemporaine). Nous avons devant nous non seulement la démarche systématique de toute la presse bourgeoise, de tous les idéologues bourgeois qui cherchent à traîner le prolétariat en remorque, - nous avons devant nous une institution représentative panrusse qui a toute l'aura du premier, pardonnez‑moi l'expression, "parlement" et qui est censé consolider cette transmutation de la classe ouvrière en appendice du Parti Cadet. Souvenez‑vous de l'avis des "sphères" mentionné plus haut: il serait bon que les Cadets de la Douma suscitent la confiance de l'opinion publique en la Douma et concentrent tous les espoirs de l'opinion publique sur la Douma. La Douma doit être un pansement adhésif pour cicatriser de la Révolution‑ en cela, au fond, nos Cadets sont d'accord avec les Dournovo et les Doubasov. C'est un fait. "L'Étoile polaire" l'a montré de façon particulièrement claire. « Mieux vaut des réformes planifiées et systématiques qu'un tourbillon révolutionnaire dans lequel la pensée et la raison disparaissent » disent les Blank. Mieux vaut négocier à la Douma avec les Cadets que de se battre avec une armée peu fiable contre les ouvriers et les paysans, disent les Dournovo et les Doubasov. Les beaux esprits se rencontrent[104]. Un pêcheur voit un pêcheur de loin[105].

Tout le monde dit de nous que nous calomnions les libéraux. On nous a traités de calomniateurs lorsque, autrefois dans "Zaria"[106] et dans l'ancienne "Iskra", nous avons accueilli les premiers numéros de "Libération" "à la baïonnette"[107]. Ces calomnies se sont révélées être une analyse marxiste de l'idéologie bourgeoise que la réalité a pleinement confirmée. Nous ne serons donc ni surpris ni attristés si l'on nous accuse aujourd'hui de calomnier le parti de la "liberté du peuple"[108].

À chaque époque politique, la social‑démocratie, en tant que représentante de la seule classe révolutionnaire jusqu'au bout, se voit confier une tâche spécifique particulière qui devient l'ordre du jour et qui est toujours obscurcie ou reléguée à l'arrière-plan d'une manière ou d'une autre par les couches opportunistes de la démocratie bourgeoise. A l'heure actuelle, cette tâche politique spécifique du moment, que seule la social‑démocratie révolutionnaire peut remplir et qu'elle est obligée de remplir si elle ne veut pas trahir les intérêts intangibles, fondamentaux, essentiels du prolétariat ‑ cette tâche est la lutte contre les illusions constitutionnelles. Les opportunistes petits‑bourgeois se satisfont toujours de la minute, de l'éblouissement de la dernière nouveauté, du "progrès" à la minute ‑ nous devons voir plus loin et plus en profondeur, montrer dans ce progrès du maintenant et tout de suite les côtés qui sont la base et le gage de la régression, qui expriment l'unilatéralité, l'étroitesse, la fragilité de ce qui a été atteint et exigent la poursuite de la lutte sous d'autres formes, dans d'autres conditions.

Plus la victoire des Cadets et plus généralement de l'opposition aux élections se précise, plus la Douma des Cadets est probable et imminente, alors plus les illusions constitutionnelles deviennent dangereuses, plus la contradiction entre, d'un côté, le maintien absolu et même l'intensification de la politique réactionnaire de l'autocratie, qui détient toujours tout le pouvoir entre ses mains, et de l'autre, la représentation du "peuple", se fait sentir avec acuité. Cette contradiction crée avec une rapidité extraordinaire une nouvelle crise révolutionnaire, incommensurablement plus large et plus profonde, plus consciente et plus aiguë, que toutes les précédentes. Nous vivons en 1906, en vérité, une reproduction de la Révolution, selon la juste expression d'un social‑démocrate. L'histoire de 1905 semble se répéter, en recommençant par le début, avec une autocratie toute puissante, suivi par une agitation sociale et un mouvement d'opposition d'une force sans précédent, s'étendant à tout le pays, pour finir .... qui sait comment ?..., peut‑être par une "reproduction" de la députation[109] des libéraux au tsar à l'été 1905 sous la forme d'une adresse ou d'une résolution de la Douma des Cadets, ‑ peut‑être par une "reproduction" de l'élan de l'automne 1905 ... Il serait ridicule d'essayer de prévoir les formes et les dates précises des étapes futures de la Révolution. L'important est de garder à l'esprit l'ampleur incomparablement plus large du mouvement, la plus grande expérience politique de l'ensemble du peuple. L'important est de ne pas oublier que sonne à la porte une crise nullement parlementaire, mais révolutionnaire. La lutte "parlementaire" à la Douma est une petite étape; c'est en réalité une petite station ferroviaire: une "plate‑forme cadette" sur la route qui mène de la constitution à la Révolution. La lutte à la Douma ne peut pas décider du sort de la liberté du peuple en raison des caractéristiques fondamentales du moment sociopolitique actuel; elle ne peut pas être la forme principale de la lutte, car ce "parlement" n'est notoirement pas reconnu par les deux belligérants, ni par les Dournovo, les Doubassov et Cie, ni par le prolétariat et la paysannerie.

Et donc la social‑démocratie doit, en tenant compte de toutes les spécificités concrètes du moment historique actuel, reconnaître résolument et systématiquement inculquer dans l'esprit des ouvriers, et des paysans conscients, que la forme principale du mouvement social dans la Russie contemporaine reste comme toujours le mouvement révolutionnaire spontané des larges masses du peuple, brisant les vieilles lois, anéantissant les organes d'oppression du peuple, conquérant le pouvoir politique, et créant un droit nouveau. La Douma, convoquée par les Doubassov et les Dournovo, et gardée par ces hommes respectables, jouera un rôle immense dans le mouvement, mais en aucun cas elle ne changera sa forme principale. L'opinion contraire, d'ores et déjà avancée et répandue par les Cadets, est une tromperie du peuple, une utopie philistine petite‑bourgeoise.

En rapport avec cela, se pose la question de la démocratie bourgeoise et de son soutien par le prolétariat. Et dans ce domaine, les résolutions des mencheviks sont en partie insuffisantes, en partie erronées. Les Cadets se décarcassent, ils essaient d'identifier leur parti avec la démocratie bourgeoise dans son ensemble, ils essaient de faire de leur parti le principal porte-parole de la démocratie bourgeoise. C'est le mensonge suprême. Et toute ambiguïté dans la définition du concept de "démocratie bourgeoise" par les sociaux‑démocrates fait le jeu de ce mensonge. Nous devons résoudre la tâche politique concrète de soutien à la démocratie bourgeoise sur la base d'une prise en compte clairement définie des orientations concrètes, des courants et des partis au sein de la démocratie bourgeoise. Et la tâche principale du moment à cet égard consiste précisément à détacher la démocratie bourgeoise révolutionnaire, c'est‑à‑dire celle qui, même si elle n'est pas pleinement consciente politiquement, avec un certain nombre de préjugés, etc., est capable d'une lutte décisive et implacable contre tous les vestiges de la Russie du servage, ‑ de détacher cette démocratie bourgeoise de la démocratie bourgeoise libérale‑monarchique, opportuniste, qui est capable de n'importe quel marchandage avec la réaction et qui, à chaque moment critique, brandit ses aspirations contre‑révolutionnaires. Une réserve de couches extrêmement larges de la démocratie révolutionnaire en Russie ne fait aucun doute: leur manque d'organisation, leur non-affiliation à un parti, leur oppression par les répressions actuelles ne peuvent induire en erreur que les observateurs les plus inattentifs et les moins réfléchis. C'est avec cette démocratie, et elle seule, que nous devons maintenant "marcher séparément, lutter ensemble" aux fins de parachever la révolution démocratique, en démasquant de la manière la plus impitoyable la déloyauté du Parti Cadet désormais "dominant".

Et en se fxant pour but le parachèvement de la révolution démocratique, le parti du prolétariat socialiste doit être capable non seulement de démasquer à tout moment toutes les illusions constitutionnelles, non seulement de détacher de la démocratie bourgeoise dans son ensemble les éléments en capacité de lutter, mais aussi de définir précisément et sans ambages, d'exposer clairement devant les masses les conditions de cette victoire décisive de la Révolution, de montrer aux masses et de révéler par toute sa propagande et son agitation en quoi doit consister exactement cette victoire décisive de la Révolution. Si nous ne le faisons pas (et cela les camarades-mencheviks ne l'ont pas fait dans leurs résolutions), alors nos paroles sur "la poursuite de la Révolution jusqu'au bout" resteront des phrases creuses et vides de sens.

M. Blank mentionne dans son article la "social‑démocratie" française de 1848‑1849. L'honorable Cadet ne comprend pas qu'il écrit une caricature de lui‑même. C'est que les Cadets répètent aujourd'hui les erreurs des "sociaux‑démocrates" français qui, dans leur essence, n'étaient pas du tout des sociaux‑démocrates, c'est‑à‑dire des marxistes. Ils ne constituaient pas un parti de classe des travailleurs, mais un véritable parti petit‑bourgeois; ils étaient in extenso imprégnés d'illusions constitutionnelles et de la croyance en des moyens de lutte "parlementaires" dans n'importe quelles conditions, même révolutionnaires. C'est précisément pourquoi, malgré une série de succès parlementaires éclatants purement "cadets", ils ont subi ce fiasco honteux que Marx a tant raillé[110].

Et notre parti, s'il avait conclu à la légère avec les Cadets toutes sortes de blocs électoraux, d'accords, de tractations, ‑ s'il avait laissé dans l'ombre la tâche de combattre les illusions constitutionnelles, ‑ si, cherchant le rapprochement avec la démocratie bourgeoise, il avait confondu cette dernière avec son aile opportuniste, c'est‑à‑dire les Cadets, ‑ s'il avait oublié la nécessité de se préparer sérieusement à des méthodes de lutte extra‑parlementaires dans une époque comme celle que nous vivons, ‑ alors notre parti serait en grand danger de répéter le triste sort de la pseudo‑social-démocratie petite‑bourgeoise française de 1848‑1849.

Nous n'avons rien à envier au succès des Cadets. Les illusions petites‑bourgeoises et la foi dans la Douma sont encore plutôt fortes dans le peuple. Il faut les éradiquer. Plus le triomphe des Cadets à la Douma sera complet, plus vite ils seront éradiqués. Nous saluons le succès des Girondins[111] de la grande Révolution Russe ! Derrière eux se lèvera une masse populaire plus large, des couches plus énergiques et plus révolutionnaires se manifesteront, ‑ elles se rallieront au prolétariat, ‑ elles mèneront notre grande révolution bourgeoise jusqu'à la victoire complète, ‑ elles inaugureront l'époque de la Révolution socialiste en Occident.

28 mars 1906.

  1. Les élections législatives russes ont eu lieu du 26 mars au 20 avril 1906, étalées sur une durée de trois semaines. Elles avaient pour but d'élire les 448 députés de la Douma d'État de l’Empire russe. La première législature est appelée Première Douma. [Trad.]
  2. Gueorgui Valentinovitch Plekhanov (1856-1918), en russe, était un théoricien marxiste russe qui joua un rôle fondateur dans le mouvement social-démocrate en Russie, avant de devenir menchévik. [Trad.]
  3. Le livre "De révolution en révolution. Recueil d'articles 1905-1915." est un recueil d'articles du célèbre révolutionnaire russe Ilya Stepanov, écrits entre 1905 et 1915. Dans ces articles, l'auteur analyse les événements politiques et les processus sociaux de cette époque, fait des prédictions et fait des recommandations aux organisations et militants luttant pour la justice et la liberté. [Trad.]
  4. À l’origine collaborateur d’Engels, Edouard Bernstein est devenu le plus éminent théoricien du révisionnisme, expression théorique du réformisme croissant au sein de la social-démocratie allemande et internationale à la fin du XIXe siècle. Initialement, ses arguments furent rejetés lors du congrès du parti de 1903 à Dresde, mais les conceptions de Bernstein devinrent de plus en plus ancrées dans la pratique politique réelle du parti. Dans un autre domaine, Bernstein fut également un pionnier politique, mais cette fois dans un sens plus progressiste. Il fut l'un des premiers socialistes à aborder avec sympathie la question de l'homosexualité. [Trad.]
  5. Le terme octobriste désigne un groupement politique libéral russe appelé Union du 17 octobre , formé le 17 octobre 1905 (30 octobre dans le calendrier grégorien) et devenu parti politique en automne 1906. Ce mouvement appelle à la réalisation du Manifeste d'octobre, qui accorde aux sujets de l'Empire russe certaines libertés civiques, institue un régime pseudo‑constitutionnel et convoque la première Douma d'État de l'Empire russe. À la différence de leur voisin immédiat sur la gauche, le Parti constitutionnel démocratique, les octobristes sont fermement engagés pour un système de monarchie constitutionnelle. Dans le même temps, ils soulignent le besoin d'un parlement fort et d'un gouvernement qui serait responsable devant celui‑ci. Les leaders du mouvement octobriste sont Alexandre Goutchkov, Mikhaïl Rodzianko, S. I. Chidlovski et D. P. Kapnist. Leur organe de presse est Slovo jusqu'en automne 1905, puis Golos Moskvy. [Trad.]
  6. Les « marxistes légaux » étaient un groupe de penseurs russes qui ont commencé par défendre un révisionnisme très droitier du marxisme (entre 1894 et 1901) avant de devenir des libéraux bourgeois. Leur nom vient de leur position légaliste : ils publiaient dans des publications légales tolérées et prétendaient réaliser pacifiquement la démocratie et le socialisme, à l'époque où les social-démocrates (qu'ils soient futurs menchéviks ou bolchéviks) appelaient à la révolution contre le tsarisme. Les principaux membres de ce courant étaient Pierre Struve, Nicolas Berdiaev, Sergueï Boulgakov, Mikhail Tugan-Baranovsky et Siméon Frank. [Trad.]
  7. « Nacha Jizn » [Notre Vie], journal quotidien, proche de l'aile gauche des Cadets. Parut avec des interruptions de novembre 1904 à juillet 1906, à Pétersbourg. Après le 17 octobre 1905, le journal mèna une lutte systématique contre la réaction. [Trad.]
  8. "Journal d'un social‑démocrate" n° 5. Cf note plus loin. [Trad.]
  9. Autogestion révolutionnaire: gestion directe des entreprises et de la société par les ouvriers ou le peuple, par opposition à la gestion par l'État ou d'autres structures légales. [Trad.]
  10. L'« Iskra» [L'Étoile], premier journal politique marxiste illégal pour toute la Russie; fondé par Lénine en 1900. Devint l'organe central du parti après le IIe Congrès du P.O.S.D.R. Lorsqu'il parle de l'ancienne Iskra, Lénine pense aux numéros 1 à 51. À partir du n° 52 (octobre 1903), les mencheviks en firent l'organe de leur fraction. [Trad.]
  11. Dnevnik = journal, carnet, agenda. Journal menchevik édité par Plekhanov et publié sporadiquement de 1905 à 1911, contenant des lettres ouvertes et des polémiques sur divers sujets. [Trad.]
  12. L'hectographie est une technique d'impression ancienne, apparue au 19ème siècle, permettant de dupliquer des documents écrits ou dessinés. [Trad.]
  13. Julius Martov (1873-1923), était un menchévik juif internationaliste russe, un ami et mentor de Trotski, qui l'a décrit comme « le Hamlet du Socialisme Démocratique ». En 1921, Lénine a dit que son seul grand regret était « que Martov ne soit pas avec nous. Quel extraordinaire camarade il est, quel homme pur ! ». .[Trad.]
  14. Fedor Dan, juif, aide Martov à former la tendance menchevik du POSDR, en retournant en Russie en 1913. [Trad.]
  15. Pour un exposé détaillé du mode d'élections en 1906, cf : https://pandor.u-bourgogne.fr/archives-en-ligne/functions/ead/detached/BMP/brb978.pdf. Pour les résultats, cf : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_l%C3%A9gislatives_russes_de_1906 [Trad.]
  16. La commission Shidlovsky était une commission gouvernementale spéciale créée par décret tsariste le 29 janvier (11 février) 1905 "pour clarifier d'urgence les causes du mécontentement des travailleurs dans la ville de Saint-Pétersbourg et ses banlieues", en relation avec le mouvement de grève en cours après le "dimanche sanglant" du 9 janvier. Le sénateur et membre du Conseil d'État N. V. Shidlovsky est placé à la tête de la commission. La commission comprend des fonctionnaires, des chefs d'usines d'État et des ouvriers. En outre, la commission doit comprendre des représentants des travailleurs, qui sont choisis par des élections en deux étapes. Les bolcheviks entreprennent un important travail d'explication à propos des élections à la commission, exposant les véritables objectifs du tsarisme qui, en organisant cette commission, cherche à détourner les travailleurs de la lutte révolutionnaire. Lorsque les électeurs ont présenté au gouvernement des revendications : liberté d'expression, de presse, de réunion, inviolabilité de la personne, etc., Chidlovsky a annoncé le 18 février (3 mars) 1905 que ces revendications ne pouvaient pas être satisfaites. Suite à cela, la majorité des électeurs refusent d'élire des députés et font appel aux ouvriers de Saint-Pétersbourg, qui les soutiennent par une grève. Le 20 février (5 mars) 1905, la commission, sans avoir commencé à travailler, est dissoute. [Ed.]
  17. Les commissaires sont des délégués élus qui voteront eux-mêmes pour les grands électeurs. [Trad.]
  18. Il s'agit du décret tsariste du 8 (21) mars, publié le 11 (24) mars 1906, lors des élections à la première Douma d'État. Dirigée contre la tactique du boycott de la Douma, la loi prévoyait des peines d'emprisonnement de 4 à 8 mois pour les personnes coupables "d'incitation à l'opposition aux élections au Conseil d'Etat ou à la Douma d'Etat ou à l'abstention massive de participation à ces élections". [Ed.]
  19. Les grands électeursvoteront eux-mêmes pour les députés à la Douma. [Trad.]
  20. C'est-à-dire sans participer à l'élection des députés par les grands électeurs. [Trad.]
  21. Ce volume, p. 170. [Ed.]
  22. En français le POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie). [Trad.]
  23. Ces lignes étaient déjà écrites lorsque j'ai lu le n° 30 du "Retchy "130 du 24 mars, où l'on peut lire dans une correspondance de Moscou : "Pour autant qu'on puisse le déterminer maintenant, les chances dans la lutte à venir dans les élections provinciales entre les Cadets et les partis de droite sont à peu près égales : De même que les Octobristes (11) avec les industriels du commerce (26) et les représentants des partis d'extrême droite (13) n'ont que 50 voix suffisamment déterminées, de même les Cadets (22), si l'on inclut les progressistes sans parti (11) et les ouvriers (17), auront également 50 voix. Le succès dépendra donc du parti auquel adhéreront 9 électeurs dont l'orientation reste inconnue". Supposons que ces 9 soient des libéraux, et que les 17 ouvriers soient des représentants autorisés du parti S.D. (comme le souhaitaient Plekhanov et les mencheviks). Les résultats sont alors : les Cadets 42, les droitiers 50, la S.D. 17. Que reste‑t‑il à faire aux sociaux‑démocrates sinon un accord électoral avec les Cadets sur la répartition des sièges à la Douma ?
  24. Il est à peine nécessaire d'ajouter qu'en élisant leur S.‑D., ces deux‑là aideraient en fait les Cent‑Noirs. Le choix social‑démocrate aurait équivalu à une abstention, c'est‑à‑dire à un retrait passif de la bataille dans laquelle les Cent‑Noirs ont battu les Cadets. P. S. Le texte indiquait par erreur que l'assemblée électorale provinciale n'était pas encore imminente. Elle a déjà eu lieu. Les Cent‑Noirs ont gagné, car les paysans n'ont pas affronté les Cadets. D'ailleurs, dans le même numéro de "Notre vie" d'où nous tirons cette nouvelle (n° 405 du 28 mars), on peut lire ce qui suit : Le journal "Put" rapporte de source sûre que de nombreux sociaux‑démocrates mencheviks ont pris une part active aux élections d'hier (à Moscou), en votant sur les listes de la "Liberté du peuple". Est‑ce vrai ?
  25. Les ouvriers non propriétaires formaient une sous-classe d'électeurs à part. [Trad.]
  26. pseudo‑parlementaire. [Ed.]
  27. Russkiye Vedomosti (bulletin de Russie) était un quotidien libéral russe, publié à Moscou de 1863 à 1918. En 1912, il devint l'organe des Cadets de droite. [Trad.]
  28. A gauche, nous avons classé le S.‑D. (2), les Cadets (304), le Parti des réformes démocratiques (4), le Progrès, par exemple (59), les Libéraux modérés (17), l'Union des droits égaux des juifs (3) et les Nationaux polonais (7). A droite ‑ Octobristes (124), Parti du commerce et de l'industrie (51), Const. (7), Parti de l'Ordre Droit (5), Droitistes (49), Monarchistes (54).
  29. Le zemstvo réunit dans son sein les diverses classes de la population encore séparées par l’organisation communale. Les représentants de la noblesse et de la propriété individuelle s’y mêlent aux représentans des paysans et de la propriété collective ; les villes y ont leur place à côté des campagnes. A l’inverse de la commune et de la volost rurales, dont le cadre étroit ne contient qu’une seule classe, le zemstvo les embrasse toutes. La réunion de plusieurs villages forme le volost, sorte de grande commune. Le volost doit avoir de 300 à 2,000 habitants. Le chef administratif du volost est le starshina, qui est assisté d’un conseil composé des starostes des villages de la circonscription. Dans la Russie impériale, le mot staroste' désigne le paysan chef de la communauté rurale, le mir.
  30. La " Rus " était un grand quotidien publié à Saint‑Pétersbourg jusqu'en 1908. Pendant la révolution de 1905, il reflétait les intérêts de la bourgeoisie libérale. Son rédacteur en chef et éditeur était A. A. Suvorin. En 1908, le journal a commencé à être publié sous le nom de "Novaya Rus". Rus" était un grand quotidien publié à Saint‑Pétersbourg jusqu'en 1908. Pendant la révolution de 1905, il reflétait les intérêts de la bourgeoisie libérale. Son rédacteur en chef et éditeur était A. A. Suvorin. En 1908, le journal a commencé à être publié sous le nom de "Novaya Rus". [Trad.]
  31. Vladimir Dmitrievitch Nabokov: professeur de droit, connu pour ses idées libérales, il est un des membres fondateurs du Parti constitutionnel démocratique. Il est le deuxième fils de Dimitri Nikolaïevitch Nabokov, ministre de la Justice de l'Empire russe, et le père de l'écrivain Vladimir Nabokov. [Trad.]
  32. "Novoïé Vrémia" (« Temps Nouveau ») est un journal publié à Saint-Pétersbourg de 1868 à 1917. Le journal devient un des quotidiens populaires de l'Empire russe, et publie de nombreux écrivains, au premier rang desquels on trouve Anton Tchékhov. Le journal tient d'abord une ligne libérale, et publie un article élogieux au moment de la publication en russe du Capital de Karl Marx, puis il devient un soutien des milieux ultraconservateurs, publiant même des articles antisémites. L'agent secret de l'Okhrana Manassievitch-Manouïlov y collabore de nombreuses années. Le journal, regardé avec condescendance par l'intelligentsia libérale et avec mépris par les bolcheviks, ne survit pas à la révolution d'Octobre. Le 8 novembre (26 octobre), il est interdit. [Trad.]
  33. Piotr Nikolaïevitch Dournovo : homme politique et avocat russe, ministre de l'Intérieur de 1905 à 1908 . [Trad.]
  34. "Molva",[la Rumeur] 22 mars : "Ce n'est pas un secret qu'on n'attend pas de cette Douma un travail créatif, et les Cadets y sont envoyés en grand nombre par des gens qui ne sont pas d'accord avec leur programme, ne leur confiant que la tâche sacrée et l'énorme travail de débarrasser nos écuries d'Augias, c'est‑à‑dire le gouvernement, de la saleté qui y persiste". [Trad.]
  35. Les élections de Saint‑Pétersbourg, qui ont donné les 160 sièges aux Cadets, n'ont fait que révéler avec une clarté particulière ce qui était et est prévu dans les élections dans un certain nombre d'autres localités. C’est là toute la signification des élections à Saint‑Pétersbourg.
  36. Il est intéressant de noter que « Rus » a reconnu que l'une des raisons du succès des Cadets était l'admission de « gauchistes » dans leurs réunions. M. S. А—tch écrit dans le n° 18 de Rumeur (22 mars) : « Ce parti (K.‑D.) a pas mal gagné aux yeux des électeurs car, en permettant aux représentants des partis d'extrême gauche de ses rassemblements, sont entrés victorieusement en conflit avec eux. Que la victoire des Cadets dans le conflit avec nous reste entre les mains de M. А—tch. Nous sommes très satisfaits des résultats des concours social‑démocrates. et k.‑d. aux réunions de Saint‑Pétersbourg en mars 1906. Un jour, des participants impartiaux à ces réunions parleront de qui a remporté la victoire.
  37. Présumer trop de soi-même, tirer vanité d'un mérite qu'on n'a pas.
  38. Polyarnaya Zvezda ( L'Étoile polaire ) — un hebdomadaire de l'aile droite du parti des Cadets, publié à Saint-Pétersbourg en 1905-06 et édité par P.B. Struve. En avril et mai 1906, les Cadets publièrent Svoboda i Kultura (Liberté et culture ) au lieu de Polyarnaya Zvezda . [Ed.] Ce journal influent, bien que de courte durée, a été publié chaque semaine et n'a survécu que quatre mois, avant que la censure russe ne le ferme. L'éditeur, Petr Struve (1870 ‑ 1944), était l'un des philosophes et économistes politiques russes les plus brillants de son époque, ayant débuté comme marxiste (son premier livre sur le développement économique de la Russie serait le premier ouvrage marxiste légalement publié dans le pays). ), il deviendra ensuite libéral et, plus tard encore, il rejoindra le Mouvement Blanc après la Révolution. Il a également été co‑fondateur du Parti démocratique constitutionnel et l'a représenté à la Deuxième Douma d'État. [Trad.]
  39. Fiodor Doubassov, gouverneur général de Moscou en 1905-1906. Dirigea l'écrasement de l'insurrection armée de Moscou en décembre 1905. [Trad.]
  40. Alexandre Izgoev: fils d'un rabbin, il a fait des études de médecine et est diplômé à la Faculté de droit. Il a également étudié les sciences humaines et sociales en France. Il a été un des leaders du Parti constitutionnel démocratique (cadets) à partir de 1905. Emprisonné plusieurs fois, il fut expulsé après 1922 vers l'Allemagne. Plus tard, il s'installe en Tchécoslovaquie puis en Estonie.
  41. Exemple de virelangue: Les chaussettes de l'archiduchesse sont-elles sèches, archisèches ? Le verbe russe iazikobloudsvovat a une connotation ironique, voire est une allusion à la fornication (bloud).
  42. Personnalité éminente du parti démocratique constitutionnel. [Trad.]
  43. Le 2ème Congrès du Parti constitutionnel démocrate (Les Cadets) s'est tenu à Saint-Pétersbourg du 5 au 11 (18 au 24) janvier 1906. Sur la question de la tactique du parti, le congrès décida d'adopter "comme déclaration du parti" le rapport de M. M. Vinaver, lu à la séance du congrès du 11 (24) janvier 1906. Le principe fondamental de cette déclaration se réduisait à la reconnaissance de la grève politique en tant que moyen de lutte pacifique contre le gouvernement. Comme l'indique la déclaration, le parti considère que c'est "l'assemblée représentative organisée", c'est-à-dire la Douma d'État, qui constitue la sphère principale de son activité. En substance, le congrès a pris position en faveur du compromis avec le gouvernement.
  44. Maxim Vinaver (1863‑1926), a joué un rôle important en tant qu'avocat et dirigeant du parti constitutionnel démocratique. [Trad.]
  45. Le Vagabond ‑ « C'est devenu calme tout autour » : « Les ficelles sont cassées ! chanson, tais‑toi maintenant ! Nous avons dit tous les mots avant la bataille. Le dragon, la bête mourante, revint à la vie, et les épées commencèrent à sonner à la place des cordes... Tout devint silencieux tout autour ; dans cette nuit terrible, il n'y a pas un bruit de la vie vécue. Là, en bas, les vaincus aiguisent leurs épées ; au sommet, le vainqueur est fatigué. La bête suralimentée est devenue décrépite et flétrie. Là, en bas, il revoit quelque chose, là la vieille porte tremble et tremble, le héros brise les chaînes" . SG Petrov 1913 (PS de Lénine à Gorki, j'ai reçu le Vagabond et je l'ai lu avec un très grand intérêt. Je l'ai lu moi‑même et je l'ai donné à d'autres.). [Trad.]
  46. Expression ruse qui signifie: faire de beaux discours; se lancer dans un discours enflammé. [Trad.]
  47. Ivan Pavlovitch Chipov était un homme politique russe. Il fut ministre des Finances du 28 octobre 1905 au 24 avril 1906 et le dernier gouverneur de la Banque d'État de l'Empire russe de 1914 à 1917. [Trad.]
  48. Alexandre Ivanovitch Goutchkov a été le chef de file du mouvement octobriste, à la fin du règne de Nicolas II, et le ministre de la Guerre et de la Marine du premier gouvernement provisoire, après la révolution de Février 1917. [Trad.]
  49. Le terme Octobriste désigne un groupement politique libéral russe appelé Union du 17 octobre , formé le 17 octobre 1905 (30 octobre dans le calendrier grégorien) et devenu parti politique en automne 1906. Ce mouvement appelle à la réalisation du Manifeste d'octobre, qui accorde aux sujets de l'Empire russe certaines libertés civiques, institue un régime pseudo‑constitutionnel et convoque la première Douma d'État de l'Empire russe. À la différence de leur voisin immédiat sur la gauche, le Parti constitutionnel démocratique, les octobristes sont fermement engagés pour un système de monarchie constitutionnelle. Dans le même temps, ils soulignent le besoin d'un parlement fort et d'un gouvernement qui serait responsable devant celui‑ci. Les leaders du mouvement octobriste sont Alexandre Goutchkov, Mikhaïl Rodzianko, S. I. Chidlovski et D. P. Kapnist. Leur organe de presse est Slovo jusqu'en automne 1905, puis Golos Moskvy.
  50. "Liberté du peuple". [Trad.]
  51. Et la presse libérale ? Cette presse libérale, misérable, rampante, menteuse, frétillante, corrompue et corruptrice.... Avec dans l'âme un désir servile de défaite du tsar, avec des slogans de fierté nationale sur la langue, elle s'est jetée sans exception dans le courant sale du chauvinisme, essayant de suivre le rythme de la presse des voyous réactionnaires. Le " Russkoe Slovo " et le " Russkiye Vedomosti ", les " Odessa News " et le " Russkoe Bogatstvo ", le " Petersburg Vedomosti" et le " Kurier ", le " Rus " et le " Kievan Otlik " tous se sont montrés dignes l'un de l'autre. La gauche libérale et la droite libérale parlent indifféremment de la perfidie de "notre ennemi", de son impuissance et de notre force, de la nature pacifique de "notre monarque", du caractère inévitable de "notre victoire", de l'achèvement de "nos tâches" en Extrême Orient, sans croire à leurs propres paroles, avec un désir servile caché pour la défaite du tsar dans leurs âmes. (L. Trotski. La guerre et l'opposition libérale, in Notre première révolution, 1925). [Trad.]
  52. Pour réprimer la révolution en Russie en avril 1906, le gouvernement tsariste a conclu un accord de prêt avec la France pour un montant de 843 millions de roubles.
  53. Serge Witte, ministre des Finances sous les règnes des empereurs Alexandre III et Nicolas II, fut le premier chef du gouvernement du pays du 6 novembre 1905 au 5 mai 1906. Il a été l'un des maîtres d'œuvre de l'industrialisation de la Russie et l'auteur du Manifeste d'octobre de 1905, prélude à la première constitution russe. [Trad.]
  54. Mot d'origine allemande intégré dans la langue russe avec le sens de : activité commerciale basée sur une spéculation sordide ou une tromperie. [Trad.]
  55. "Retch" est un quotidien politique, économique et littéraire publié en 1906‑1918. Retch se positionne comme un journal indépendant « non partisan, alors qu'il est en fait l'organe du Parti démocratique constitutionnel . [Trad.]
  56. Il s'agit d'un article du publiciste réactionnaire M. N. Katkov, "Divulgation des circonstances accompagnant l'événement du 1er mars", publié dans "Moskovskie Vedomosti" n° 65 du 6 (18) mars 1881. [Ed.] Le 1er mars 1881 (13 mars dans le calendrier grégorien), le tsar est assassiné lors d'un attentat organisé par le groupe terroriste russe Narodnaïa Volia. [Trad.]
  57. Un peu comme les recherches de M. Kiesewetter qui a découvert que dictature signifie en latin sécurité accrue.
  58. Nicolas Berdiaev, 1874 Kiev‑1948 Clamart, est un philosophe et théologien orthodoxe russe d'expression russe et française. [Trad.]
  59. Ils me diront probablement : c'est un mensonge. Ce n’était qu’un non‑sens laissé échappé par la bavarde « Rumeur ». Je suis désolé : je pense que c'est vrai. La "Rumeur" bavarde a laissé échapper la vérité ‑ bien sûr, une vérité approximative, pas littéralement exacte. Qui tranchera notre différend ? En se référant aux déclarations des Cadets ? Mais je ne prends pas les politiques au mot. [En se référant] aux actes des Cadets ? Oui, je crois à ce critère. Et quiconque considère l’ensemble du comportement politique des Cadets en général devra admettre que ce que dit la « Rumeur » est fondamentalement vrai.
  60. Moskovskiye Vedomosti (bulletin de Moscou) étaitle plus grand journal deRussie en termes de tirage avant d'être dépassé parles quotidiensde Saint‑Pétersbourg au milieu du XIXe siècle. Le quotidien acquit progressivement un caractère semi‑officiel, bien qu'il appartenait nominalement à l'université jusqu'en 1909, date à laquelle il fut repris par les cercles des Cent‑Noirs. [Trad.]
  61. exprimer ce qui est. [Éd.]
  62. Pièce d'armure qui recouvre et protège la poitrine. [Trad.]
  63. En janvier 1906, lors du IIe Congrès du Parti Cadet, on ajouta à son nom : « parti de la liberté du peuple » ; Le point suivant figurait dans le programme du parti : « La Russie doit devenir une monarchie constitutionnelle et parlementaire ». [Trad.]
  64. L'époque « Sturm und Drang » [Tempête et Passion] peut être grossièrement attribuée à la période de 1765 à 1790 . Le terme « Sturm und Drang » remonte à la comédie du même nom de Friedrich Maximilian Klinger . L'époque est caractérisée par de jeunes écrivains âgés de vingt à trente ans qui protestaient contre trois circonstances différentes avec leurs œuvres . D’une part, le mouvement de protestation était dirigé contre le monde courtois de la noblesse et d’autres dirigeants absolus et incontestables. D'un autre côté, il y a eu des protestations contre les conceptions morales dépassées de la bourgeoisie , considérées comme étroites et sans joie. Enfin, la tradition littéraire est remise en question . L'ère « Sturm und Drang » est également connue sous le nom de « l' âge du génie » , au cours de laquelle les gens se sont rebellés contre les exigences de la raison et d'une vie modérée du siècle des Lumières . Le « génie » vivait selon ses propres lois, règles et souhaits , mais en tenant compte de l'existence des autres. L'accent était mis sur l'être humain naturel dans son individualité, qui agit selon son cœur et ses sentiments. [Trad.]
  65. Osvobozhdeniye (« Libération ») était unmagazinelibéral durant les dernières années révolutionnaires de l'Empire russe , avant leManifeste d'octobre 1905. Le périodique fut créé en 1902 et fut en circulation clandestine jusqu'en 1905. Il fut publié àStuttgart etParis, successivement. La publication était régulièrement introduite clandestinement en Russie. Elle prônait l'établissement d'une monarchie constitutionnelle , parallèlement à l'octroi de tous les droits civils en Russie. Les contributeurs comprenaient Pavel Milyukov , qui pendant une courte période en 1917 deviendra ministre des Affaires étrangères, et Piotr Struve, qui fut peut‑être le plus influent en tant que rédacteur en chef d' Osvobozhdeniye . [Trad.]
  66. Rossiiskaia sotsial‑demokraticheskaia rabochaia partiia. Parti Ouvrier Social‑Démocrate Russe (POSDR). [Trad.]
  67. Maria Alexandrovna Spiridonova est une révolutionnaire russe d'inspiration populiste, une des rares femmes, avec Alexandra Kollontaï, qui ait joué un rôle de premier plan dans la Révolution russe. Membre du Parti socialiste-révolutionnaire, elle assassine le 15 janvier 1906 Gavriil Loujenovski, un conseiller provincial de Tambov, qui avait mené une répression féroce contre une révolte paysanne. En représailles, Spiridonova fut violée et torturée sous la direction du capitaine cosaque Avramov, et vit sa peine de mort commuée en travaux forcés à perpétuité. Libérée par la révolution de février 1917, elle adhèrera au Parti socialiste-révolutionnaire de gauche, qui finissent par se révolter contre le pouvoir bolchevik en juillet 1918. En 1921, elle fut enfermée dans un hôpital psychiatrique sur l'ordre de Félix Dzerjinski. En 1923, elle est condamnée à trois ans d'exil. Elle écrira toutefois plus tard qu'« à l'époque soviétique, les sommets du pouvoir, les vieux bolcheviques, Lénine y compris, m'ont ménagée et, en m'isolant dans le déroulement de la lutte, toujours de façon très vigoureuse, ont en même temps pris des mesures pour qu'on ne m'humilie jamais. » Elle fut persécutée sous Staline, puis exécutée en septembre 1941, en même temps que Christian Rakovski. [Trad.]
  68. G. Berdyaev ! MM. les rédacteurs de "l'Étoile Polaire" ou de "Liberté et Culture" ! Voici un autre sujet de longs cris,.... c'est‑à‑dire de longs articles contre le "hooliganisme" des révolutionnaires. Ils traitent Tolstoï de bourgeois ! ! ‑ kel orrer (Quelle horreur), comme l'a dit la dame, agréable à tout point de vue. « Liberté et culture » ‑ un hebdomadaire, organe de l'aile droite du Parti Cadet, a été publié à Saint‑Pétersbourg au lieu de « L'Étoile Polaire » du 1er (14) avril au 31 mai (13 juin) 1906, avec la participation étroite de P. B. Struve. 8 numéros ont été publiés. La publication a été suspendue en raison d'une forte baisse du tirage. "Une dame agréable à tout point de vue" est un personnage du poème "Les Âmes Mortes" de Nikolaï Gogol.
  69. Le « brentanisme » est une doctrine libérale bourgeoise qui admet la lutte « de classe » du prolétariat pourvu qu’elle n’aille pas jusqu’à la révolution, et qui est représentée par l’économiste allemand Brentano. [Trad.]
  70. "Sans titre" - hebdomadaire politique publié à Saint-Pétersbourg de janvier à mai 1906 par un groupe mi-cadet, mi-menchévique d'intellectuels bourgeois russes. Sous couvert de leur non-partisanerie formelle, ils prêchaient les idées du libéralisme bourgeois et de l'opportunisme, et soutenaient les révisionnistes de la social-démocratie russe et internationale. [Éd.]
  71. Et leurs semblables. [Éd.]
  72. Mets en balance, par exemple, la revue " Russkiye Vedomosti", No. 1 pour 1906, sur les activités de l'Union paysanne - cette délation de la démocratie révolutionnaire auprès de Doubassov pour ses aspirations pougatcheviennes, pour avoir approuvé la saisie des terres, la création d'un nouveau pouvoir, etc. Même les Cadets de gauche de "Bez Zaglaviya" [Sans titre] (n° 10) ont fait honte à "Russkiye Vedomosti", en la comparant à juste titre à "Moskovskiye Vedomosti". Malheureusement, les Cadets de gauche font honte à "Russkiye Vedomosti" comme s'ils cherchaient à se justifier. "Bez Zaglaviya" défend l'Union paysanne mais n'incrimine pas la bourgeoisie contre-révolutionnaire. Je ne sais pas si cette façon peu décente de polémiquer avec "Russkiye Vedomosti" peut s'expliquer par la "peur des Juifs" ou par le fait que M. Blank écrit dans cet organe. Les Cadets de gauche sont des Cadets après tout. [Lénine] Le mécontentement des paysans et d'une classe naissante d'ouvriers, exploités par leurs propriétaires et lourdement taxés par la fiscalité d'un État en pleine croissance déclenchent au xviie et xviiie siècles de nombreuses révoltes paysannes dont la plus importante, menée par le cosaque Pougatchev, parvient à menacer le trône avant d'être écrasée (1773). [Trad.]
  73. En 1872, Friedrich Engels a écrit une série d'article intitulée « Sur la question du logement ». La cible de sa polémique, Arthur Mülberger, et son rapport avec Proudhon. L'ironie de leurs échanges, c'est qu’Engels, par ses obsessions avec la controverse entre Marx et Proudhon antérieure à 1848 (La misère de la philosophie) et les conflits alors en cours au sein de l'AIT, a en quelque sorte contribué à faire de Mülberger un « proudhonien »…Mülberger, qui semble s’être éclipsé quelque peu du mouvement socialiste après la controverse avec Engels, revient sur la scène avec une série d’articles sur Proudhon, dont 5 seront regroupés ensemble en 1891 dans le volume Studien über Proudhon. Loin de renier le terme de « Proudhonien », Mülberger devient le propagandiste No1 du bisontin en langue allemande ... [Trad.]
  74. Dans l'Anti-Dühring paru en 1878, Engels fait, à partir d'une polémique, un exposé d'ensemble du socialisme scientifique, en réfutant les thèses d'Eugen Duhring, qui affirmait la valeur des idées éternelles, en s'opposant à Darwin et défendant un matérialisme non dialectique. Acceptant le capitalisme, il voulait en supprimer les contradictions. Il exerçait par là une influence sur le Parti social-démocrate. Combattant l'idéalisme de Dühring, Engels réhabilite le matérialisme qui est, à ses yeux, une véritable conception du monde. [Trad.]
  75. Il s'agit du désaccord au sein de la fraction social-démocrate du Reichstag allemand sur la question de la subvention aux bateaux à vapeur (Dampfersubvention). Fin 1884, le chancelier allemand Bismarck, dans l'intérêt de la politique coloniale allemande, a demandé au Reichstag d'approuver une subvention pour les compagnies de navigation à vapeur afin d'organiser des voyages réguliers vers l'Asie orientale, l'Australie et l'Afrique. Alors que l'aile gauche de la fraction sociale-démocrate, menée par Bebel et Liebknecht, rejette la subvention pour les bateaux à vapeur, l'aile droite, qui constitue la majorité de la fraction, menée par Auer, Dietz et d'autres, avant même le débat officiel au Reichstag, est favorable à l'octroi de la subvention aux sociétés de bateaux à vapeur. Lors du débat au Reichstag en mars 1885, l'aile droite de la fraction sociale-démocrate vote en faveur des lignes de navigation d'Asie orientale et d'Australie ; elle conditionne son accord au projet de Bismarck à l'acceptation de certaines de ses exigences, notamment que les nouveaux navires soient construits dans des chantiers navals allemands. Ce n'est qu'après le rejet de cette exigence par le Reichstag que l'ensemble de la fraction vota contre le projet gouvernemental. Le comportement de la majorité de la fraction a provoqué une réaction brutale de la part du journal social-démocrate et des organisations sociales-démocrates. Les désaccords étaient si vifs qu'ils faillirent provoquer une scission dans le parti. F. Engels critiqua vivement la position opportuniste de l'aile droite de la fraction social-démocrate (voir K. Marx et F. Engels. Œuvres, vol. XXVII, 1935, pp. 441-445, 456, 457, 471). [Éd.]
  76. Les "Jeunes" de la social-démocratie allemande sont une opposition petite-bourgeoise semi-anarchiste apparue en 1890. Son noyau principal était constitué de jeunes écrivains et étudiants (d'où le nom de l'opposition), qui prétendaient être les théoriciens et les dirigeants du parti. Cette opposition, ne comprenant pas les conditions d'activité du parti qui ont changé après l'abolition de la loi d'exception contre les socialistes (1878), nie la nécessité d'utiliser des formes légales de lutte, s'oppose à la participation de la social-démocratie au parlement, accuse le parti de défendre les intérêts de la petite bourgeoisie et de faire preuve d'opportunisme. Lorsque la Gazette des travailleurs de Saxe, l'organe des Jeunes, tente de déclarer Engels solidaire de l'opposition, il oppose un refus catégorique à cette "colossale impudeur" et soumet les vues et la tactique des Jeunes à une critique dévastatrice. [Éd.]
  77. "Severny Golos" - journal juridique quotidien, organe commun du RSDLP (POSDR) ; il a été publié à Saint-Pétersbourg à partir du 6 décembre 1905 après que le gouvernement a fermé les journaux "Novaya Zhizn" et "Nachalo", sous la direction conjointe des bolcheviks et des mencheviks. Le troisième numéro du 8 décembre 1905, le journal a été fermé par le gouvernement. La suite de "Severny Golos" est le journal "Nash Golos" (Notre voix), qui paraît une fois le 18 décembre 1905. Le deuxième numéro de "Nash Golos" n'a pas été publié, la police ayant dispersé la composition dans l'imprimerie. [Trad.]
  78. "Natchalo" - journal quotidien légal menchevique, publié à Saint-Pétersbourg du 13 novembre au 2 décembre 1905. 16 numéros ont été publiés. [Trad.]
  79. "Nouvelle vie" est un quotidien social-démocrate politique et littéraire (bolchevique). Le premier journal social-démocrate de Russie publié légalement. Le premier numéro fut publié le 27 octobre 1905, avec un supplément gratuit : le programme du Parti social-démocrate. À partir du 9e numéro, Lénine, revenu de l'étranger, en devient le rédacteur. Le 27 décembre 1905, pour l'impression du premier manifeste ouvrier, le journal fut fermé. Au bureau du journal, depuis décembre 1905, des abonnements au journal jeunesse « Jeune Russie » (1906) étaient effectués. [Trad.]
  80. Des années "super" (en allemand dans le texte). [Trad.]
  81. Action de déposer une couche d'étain sur une pièce métallique pour la préserver de l'oxydation. Il s'agit ici d'une métaphore pour la réparation des dégâts causés par le "tourbillon". [Trad.]
  82. Bernhard Heinrich Martin Karl von Bülow est un homme d'État allemand, ministre des Affaires étrangères de 1897 à 1900 et chancelier impérial de 1900 à 1909. [Trad.]
  83. C'est-à-dire l'écrasement de l'insurrection de Moscou de décembre 1905. [Trad.]
  84. Alexandre III de Russie, 1845-1894 est empereur de Russie, du 2 mars 1881 (14 mars dans le calendrier grégorien) jusqu'à sa mort. Il est le dernier empereur de Russie mort sur le trône.
  85. - une période de tempête et de pression. Éd.
  86. Novoïé Vrémia (« Temps Nouveau ») est un journal publié à Saint-Pétersbourg de 1868 à 1917. Le journal tient d'abord une ligne libérale, et publie un article élogieux au moment de la publication en russe du Capital de Karl Marx, mais sous la direction d'Alexeï Souvorine, il devient un soutien des milieux ultraconservateurs, à l'instar des articles réactionnaires et antisémites d'un Viktor Bourénine. Lénine a appelé N. V. « …un exemple de journaux corrompus. Novobremenctvo (Temps modernes) est devenu une expression synonyme des concepts : apostasie, renégat, flagornerie » . [Trad.]
  87. L'auteur de l'expression "masse grise" (les petites gens, « la masse grise et fruste du peuple ») serait N. K. Mikhaïlovski, 1842-1904, sociologue et écrivain politique russe, le chef de file des populistes, qui utilisait la littérature comme un instrument de propagande auprès des paysans. N. K. Mixajlovskij, «En alternance», revue "Écrits du pays", 1877,Saint-Pétersbourg,18/5, p. 12. Cf aussi: Aleksandr Nikiforov, qui s'exprime de la manière suivante au sujet du Lumpen, la masse : << Le résultat de la campagne du régime communiste contre le peuple fut la transformation des nationalités multiples dans notre pays en une population privée de la foi, de la culture, des traditions, du langage, de la moralité, bref [sa transformation] en une masse. Et c'est ainsi que la lutte de la masse avec la personnalité initiée lors de la révolution d'octobre s' est terminée: la personnalité, ses possibilités d'expression et de réalisation, fut eliminée; les nations comme communautés ethniques et culturelles furent presque détruites. La societe soviétique était devenue homogène : tous sont devenus des laboureurs soumis a l' État communiste sans se distinguer les uns des autres ... C'est cette absence de visage et l'homogénéité qui sont caractéristiques de la masse: la masse sans visage, victorieuse en octobre 1917 et détentrice du pouvoir, essaya de transformer tous les peuples de notre pays en une masse grise identique. ]e crains qu'elle n'ait en grande partie réussie. » ; Borodaj, ]u., Nikiforov, A.,« Between East and West: Russian Renewal and the Future», Studies in East European Thought, 1995. [Trad.]
  88. Nikolai Karlovich Riman, officier russe, participant actif à la répression de la révolution de 1905 . [Trad.]
  89. Filonov, F.V. (décédé en 1906) - conseiller provincial. En 1905-1906, il fut l'un des chefs des expéditions punitives du tsarisme dans la province de Poltava. En décembre 1905, il commet un massacre sanglant contre les paysans de la ville de Bolshie Sorochintsy et du village. Ustivitsy. Tué par un membre du Parti socialiste révolutionnaire. [Trad.]
  90. Jdanov (vers 1874-1906) était un huissier de police, participant au massacre brutal des paysans de la province de Tambov par le tsarisme en 1905. Tué par des membres du groupe militant socialiste révolutionnaire. [Trad.]
  91. Bien entendu, l'Union des paysans contient également des éléments de désintégration en tant qu'organisation non-classiste. Plus la victoire du soulèvement paysan sera proche et plus cette victoire sera complète, plus la désintégration de cette union sera proche. Mais avant la victoire du soulèvement paysan et pour une telle victoire, l'Union des Paysans est une organisation puissante et vitale. Son rôle sera achevé par la victoire complète de la révolution démocratique bourgeoise, tandis que le rôle des organisations prolétariennes sera alors particulièrement important et particulièrement vital dans la lutte pour le socialisme, tandis que le rôle des organisations cadettes est d'entraver la victoire complète de la révolution bourgeoise, de briller pendant les périodes préparatoires de cette révolution, les périodes de déclin, de stagnation, de domination doubassovienne. En d'autres termes : la paysannerie sera victorieuse dans la révolution démocratique bourgeoise et, par là, épuisera définitivement son caractère révolutionnaire, en tant que paysannerie. Le prolétariat sera victorieux dans la révolution bourgeoise-démocratique et c'est seulement ainsi qu'il déploiera réellement son véritable caractère révolutionnaire socialiste. Et la petite bourgeoisie cadette épuisera son caractère oppositionnel en même temps que ses illusions constitutionnelles se seront demain dissipées.
  92. Werner Sombart est un économiste et sociologue allemand (1863-1941) est le chef de « la jeune école historique » du premier quart du xxe siècle et une figure de la Révolution conservatrice allemande. En 1902, son œuvre majeure, Le Capitalisme moderne (Der moderne Kapitalismus), parue en six volumes, est une histoire systématique de l'économie et du développement économique à travers les âges dans la perspective de l'École historique. [Trad.]
  93. Alexander Solomonovich Izgoev (1872-1935) était journaliste et militant politique du Parti Cadet . Il est devenu journaliste pour le journal cadet 'Retch' (Discours) et pour Russkaya mysl (La pensée russe) de Piotr Struve . Il rejoint le comité central du Parti Cadet en 1906. [Trad.]
  94. Voir mon article dans "Novaya Zhizn" : "Le Parti socialiste et le révolutionnarisme sans parti". (présent volume, pp. 133-141. Ed.).
  95. Voir F. Engels. Marx et la "Nouvelle Gazette rhénane" (1848- 1849)" (K. Marx et F. Engels. Œuvres choisies en deux volumes, vol. II, 1955, pp. 311-319) ; F. Engels. "Révolution et contre-révolution en Allemagne. VII. L'Assemblée nationale de Francfort". K. Marx et F. Engels. Articles de la Neue Rheinische Zeitung du 1er juin au 7 novembre 1848 (Œuvres, 2e éd., vol. 8, p. 46-50 ; vol. 5, p. 9-494). [Éd.]
  96. Voir F. Engels. "La question militaire en Prusse et le parti ouvrier allemand" ; K. Marx et F. Engels. "Déclaration au comité de rédaction du journal "Le Social-Democrate" ; F. Engels. «"Note sur la brochure "La question militaire en Prusse et le parti ouvrier allemand"» ; K. Marx. «Revue de la brochure de F. Engels "La question militaire en Prusse et le parti ouvrier allemand"» ; K. Marx. "Déclaration sur les raisons du refus de coopérer au journal "Le Social-Democrate"» (K. Marx et F. Engels. Œuvres, 2e éd., vol. 16, pp. 35-78, 79, 80, 84-85, 86-89). [Éd.]
  97. «Rus» et «Molva».
  98. P. Milyukov, « Les éléments du conflit », dans Retchy, n° 30, 24 mars — le "credo" extrêmement intéressant d'un conciliateur.
  99. Karl Kautsky est un homme politique et théoricien marxiste allemand, né à Prague le 16 octobre 1854 et mort à Amsterdam le 17 octobre 1938. Principal théoricien de la IIe Internationale ouvrière, il sera considéré comme un gardien rigoureux de l'orthodoxie marxiste. La gauche révolutionnaire l'a tenu en haute estime, avant de le considérer comme un « renégat », et comme le représentant du centrisme. Lénine dans La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, et Trotsky dans Terrorisme et communisme (sous-titré L'Anti-Kautsky) défendront leur politique et l'accuseront en retour de reprendre les théories menchéviks qu'il avait lui-même réfutées en 1905. [Trad.]
  100. Le révisionnisme est apparu comme un mouvement formel à la fin des années 90 en Allemagne, où l'ancien marxiste Bernstein a donné son nom à ce mouvement, en proposant une série d'« amendements » à Marx, une « révision » du marxisme. Dans des articles de la Neue Zeit en 1896, puis dans le livre « Conditions préalables du socialisme et tâches de la social-démocratie » publié par lui en 1899, Bernstein renonce au marxisme et « révise » Marx sur les principales questions de philosophie, d'économie politique et de politique du marxisme. [Trad.]
  101. Lénine indique sans doute ici le nom de la presse cadette qui loue les mencheviks. (Trad.]
  102. "Tovarishch" (Camarade) - journal quotidien bourgeois, publié à Saint-Pétersbourg du 15 (28) mars 1906 au 30 décembre 1907 (12 janvier 1908). La participation la plus étroite au journal a été assurée par S. N. Prokopovich et E. D. Kuskova. [Éd.]
  103. Les Muravyov sont une famille de comtes (haute noblesse) et hommes d'État tsaristes. Parmi eux: Mikhaïl Nikolaïevitch (1796-1866), dit "le Pendeur", gouverneur général devenu célèbre pour sa répression décisive des soulèvements polonais dans le territoire du Grand-Duché de Lituanie annexé à l'Empire russe ; Mikhaïl Nikolaïevitch (1845-1900), Ministre des Affaires étrangères de l'Empire russe (1897–1900) ; Nikolaï Valerianovitch, (1850-1908), Ministre de la Justice de l'Empire russe, Procureur général (1894-1905). [Trad.]
  104. En français dans le texte [Trad.]
  105. Dicton enregistré dans des sources écrites russes dès la seconde moitié du XVIIIe siècle. Deux pêcheurs, qui connaissaient les secrets de la pêche pouvaient se reconnaître par des détails de comportement, d'expressions, d'habitudes. [Trad.]
  106. La « Zaria » [L'Aube], revue politique marxiste éditée par la rédaction de l'Iskra en 1901 et 1902. Zaria fit paraître les articles suivants de Lénine: « Notes de circonstance », « Les persécuteurs des zemstvos et les Annibals du libéralisme », les quatre premiers chapitres de « La question agraire et les « critiques de Marx » (sous le titre « Messieurs les «critiques » dans la question agraire »), « Revue de la situation intérieure », « Le programme agraire de la social-démocratie russe ». La revue eut quatre numéros. [Trad.]
  107. Dans son article intitulé "Les persécuteurs du zemstvo et les Annibales du libéralisme", V.I. Lenine critique le libéralisme bourgeois, qui s'est ensuite constitué politiquement autour de la revue "Libération" et de son représentant le plus éminent, P.B. Struve. Cet article a été écrit à propos du livre "Autocratie et Zemstvo". Note confidentielle du ministre des finances et secrétaire d'État S. Y. Witte (1899)" avec une préface et des notes de P. B. Struve, et a été publié dans "Zaria" n° 2-3 (voir Œuvres, 5e éd., vol. 5, p. 21-72). Les premiers numéros de Libération furent également critiqués dans les articles de Lénine publiés dans l'Iskra : " Le projet d'une nouvelle loi sur les grèves ", " Lutte politique et politique politicienne " et " G. Struve, démasqué par son collaborateur " (voir Œuvres, 5e éd., vol. 6, p. 399-408 ; vol. 7, p. 34-42, 204-211). [Éd.]
  108. Autre désignation du Parti Cadet. [Trad.]
  109. Envoi de personnes chargées d'une mission. [Trad.]
  110. Voir Karl Marx, Les luttes de classes en France 1848 à 1850 (Marx et Engels, Œuvres choisies , Vol. I, Moscou, 1958, pp. 139-242). [Ed.]
  111. Les Girondins sont un groupement politique de la bourgeoisie pendant la révolution bourgeoise française de la fin du XVIIIe siècle. Les Girondins expriment les intérêts de la bourgeoisie modérée, oscillent entre révolution et contre-révolution et suivent la voie des accords avec la monarchie. [Ed.]