I. Les fondements méthodologiques de la théorie de l'utilité marginale et du marxisme

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Toute théorie tant soit peu sérieusement élaborée doit se présenter sous forme d’un tout déterminé, dont les parties sont liées logiquement. Une critique conséquente rencontrera donc inévitablement le fondement de cette théorie, sa méthode, car c’est elle qui fait le joint entre les différentes parties du système théorique d’ensemble. Par conséquent, nous commencerons par la critique des prémisses méthodologiques de la théorie de l’utilité marginale, par quoi nous n’entendons nullement son caractère déductif, mais ses traits caractéristiques dans le cadre de la méthode abstraite déductive. Pour nous, toute théorie de l’économie politique, du fait même qu’elle est théorie, est abstraite — en quoi le marxisme se trouve parfaitement d’accord avec l’école autrichienne[1]. Toutefois, cet accord est purement formel ; sans lui, la possibilité de confronter la théorie des autrichiens à celle de Marx n’existerait pas, car ce qui nous intéresse ici, c’est le contenu concret de la méthode abstraite, méthode propre à l’école autrichienne et qui la met en opposition si radicale avec le marxisme.

L’économie politique, en effet, est une science sociale et se fonde — que les théoriciens s’en rendent compte ou non — sur une certaine conception de la nature de la société ainsi que des lois de son développement. Autrement dit : toute théorie économique repose sur certaines prémisses de caractère sociologique à partir desquelles on envisage le côté économique de la vie sociale. Ces prémisses peuvent être clairement formulées, ou demeurer obscures, elles peuvent êtres érigées en un système cohérent ou n’être que de « vagues opinions » — en tout cas il faut qu’elles existent. Ce fondement, dans l’économie politique de Marx, réside dans la théorie sociologique du matérialisme historique. L’école autrichienne, au contraire, ne possède aucune base sociologique cohérente ou tant soit peu précise ; il faut en assembler les rudiments à partir de sa théorie économique. C’est pourquoi l’on se heurte parfois à des contradictions entre les idées générales sur la nature de « l’économie politique » et les fondements réels de la théorie autrichienne de l’économie[2]. C’est donc celle- ci qui retiendra notre attention. Les bases sociologiques de la science économique qui caractérisent le marxisme sont les suivantes : reconnaissance de la primauté de la société sur l’individu, reconnaissance du caractère historique, passager, de toute structure économique et enfin reconnaissance du rôle dominant de la production. Ce qui distingue l’école autrichienne, au contraire, c’est son individualisme méthodologique, ses conceptions non historiques, qui prennent pour point de départ la consommation. Dans notre Introduction nous avons essayé de donner de cette différence de principe entre le marxisme et l’école autrichienne une explication socio-génétique : cette différence, ou plus exactement cette opposition, nous l’avons qualifiée de socio-psychologique. Il nous reste à l’analyser sous son aspect logique.

1. Objectivisme et subjectivisme en économie politique[modifier le wikicode]

Dans son article bien connu, publié à l’occasion de la parution du IIIe Livre du Capital de Marx, Werner Sombart, confrontant les deux méthodes de l’économie politique, la méthode subjectiviste et la méthode objectiviste, considère le système de Marx comme l’émanation d’un « objectivisme outrancier » ; l’école autrichienne, au contraire, serait, à son avis, « le développement le plus conséquent dans la voie opposée »[3].

Cette caractéristique nous paraît tout à fait juste. On peut en effet aborder l’étude des phénomènes sociaux en général, et des phénomènes économiques en particulier, de deux manières : d’une part, on peut estimer que la science s’appuie sur l’analyse de la société en tant que tout qui détermine à n’importe quel moment donné les phénomènes de la vie économique particulière — en ce cas la science a pour tâche de découvrir les connexions et les lois existant entre les différents phénomènes d’ordre social, qui déterminent les phénomènes individuels ; mais d’autre part on peut estimer que la science doit s’appuyer sur l’analyse des lois qui président à la vie individuelle, les phénomènes sociaux étant en quelque sorte le résultat des phénomènes individuels — en ce cas la science aurait pour tâche de faire dériver les phénomènes et les lois de l’économie sociale de ceux de la vie économique individuelle.

En ce sens, Marx est sans aucun doute un « objectiviste outrancier » en sociologie comme en économie politique. Aussi sa théorie économique fondamentale — celle de la valeur — doit- elle être rigoureusement distinguée de celle des classiques, et notamment de celle d’A. Smith. La théorie de la valeur-travail d’A. Smith se fonde sur l’évaluation individuelle des biens, celle-ci correspondant à la quantité et à la qualité de travail investi; c’est une théorie de la valeur-travail subjectiviste. La théorie de la valeur, selon Marx, est au contraire une loi des prix objective, c’est-à-dire sociale; sa théorie est donc une théorie de la valeur-travail objectiviste, qui ne s’appuie sur aucune espèce d’évaluation individuelle, mais exprime uniquement la corrélation entre les forces productives sociales données et le prix des marchandises, tels que ceux-ci s’établissent sur le marché[4]. C’est par référence à la théorie de la valeur et des prix que Sombart montre le mieux la différence entre les deux méthodes.

« Non que Marx songe le moins du monde — dit Sombart — à rechercher les mobiles des échanges qui ont lieu, non plus que ses calculs procèdent à partir du coût de production. Non, sa démarche est la suivante : les prix sont le résultat de la concurrence. Comment ? la question reste ouverte. Cependant la concurrence, à son tour, est réglée par le taux de profit, et celui-ci par le taux de la plus-value, qui est lui-même réglé par la valeur, laquelle est l’expression d’un fait socialement déterminé, c’est-à-dire de la force productive sociale. Dans le système, cette succession est inversée : valeur-plus-value-profit-concurrence-prix, etc. Pour résumer la chose en une seule phrase : chez Marx il ne s’agit jamais de motivation, mais toujours de limitation de la volonté individuelle des sujets économiques[5]».

Pour l’école subjectiviste, la méthode est inverse : « la « motivation » de l’acte économique (individuel) se trouve toujours au centre du système »[6].

Cette différence est fort justement mise en relief. En effet, tandis que Marx considère « le mouvement social comme un processus d’ordre naturel, régi par des lois non seulement indépendantes de la volonté, de la conscience et des intentions humaines, mais qui au contraire déterminent leur volonté, leur conscience et leurs intentions »[7], Böhm-Bawerk fait de la conscience individuelle du sujet économique le point de départ de son analyse.

« Les lois sociales que l’économie politique a pour tâche de découvrir — écrit Böhm-Bawerk — reposent sur des actes concordants des individus. La concordance des actes, à son tour, est due à des causes concordantes qui les déterminent. Dans ces conditions, il y a toutes chances pour que les lois sociales s’expliquent par les mobiles qui guident les actes des individus, c’est- à-dire que cette explication doit remonter à ces mobiles »[8].

L’opposition entre les méthodes objectiviste et subjectiviste n’est donc qu’une opposition entre la méthode sociale et la méthode individualiste[9]. Toutefois la définition des deux méthodes que nous venons de citer a besoin d’être complétée. Il faut avant tout souligner l’indépendance de la volonté, de la conscience, et des intentions humaines, dont il est question chez Marx ; ensuite il faut définir plus exactement le « sujet économique », sur lequel s’appuie l’école autrichienne. « ...Ces conditions sociales déterminées [sont] le produit des hommes, tout comme le drap, la toile, etc. »[10]. Mais cela ne veut pas dire que le résultat social, ce « produit » dont parle Marx, existe dans la conscience des sujets en tant que but ou mobile agissant. La société moderne, construite de façon anarchique — car c’est cette société-là qu’étudie l’économie politique, — avec son marché où l’on voit agir des forces élémentaires (concurrence, fluctuation des prix, bourse, etc.) démontre amplement que le « produit social » gouverne ses créateurs, qu’en outre le résultat des mobiles qui font agir les sujets économiques individuels (mais non pas isolés), non seulement ne correspond pas à ces mobiles euxmêmes, mais sont parfois en opposition violente avec eux[11]. C’est ce qui illustre le mieux l’exemple de la formation des prix. Un certain nombre d’acheteurs et de vendeurs se présentent sur le marché, estimant à un taux (approximatif) donné leur propre marchandise et celle des autres; à la suite de leur débat il se forme un certain prix de marché, qui ne coïncide nullement avec l’estimation individuelle de la majorité des contractants. Qui plus est, pour toute une série de « sujets économiques » le prix établi peut avoir un effet proprement foudroyant, les bas prix pouvant les contraindre à cesser leur activité; ils sont « ruinés ». Ce phénomène est encore plus saillant sur le marché des valeurs, ce qui précisément donne lieu au « jeu de hasard » de la bourse. Dans chacun de ces cas, qui sont typiques de l’économie sociale moderne, on peut dire que les phénomènes sociaux sont « indépendants » de la volonté, de la conscience et des intentions de l’homme; mais il serait faux de considérer cette indépendance comme s’il s’agissait de deux phénomènes distincts, entièrement indépendants l’un de l’autre; il serait ridicule d’affirmer que l’histoire humaine ne se fait pas à travers la volonté des hommes, mais en dehors d’elle (une telle « conception matérialiste de l’histoire » n’est qu’une caricature bourgeoise du marxisme); c’est le contraire qui est vrai : les deux séries de phénomènes — l’action individuelle et les phénomènes sociaux — sont intimement liés génétiquement.

L’indépendance dont nous parlons s’entend exclusivement dans le sens suivant : les résultats des actes individuels, devenus objectifs, gouvernent chacune de leurs parties isolément. Le « produit » domine son « créateur », étant entendu que la volonté individuelle est déterminée à chaque moment par les résultantes déjà obtenues des rapports de volonté des différents « sujets économiques » : l’homme d’affaires vaincu dans la lutte concurrentielle ou le financier en faillite sont forcés d’abandonner le terrain, bien qu’auparavant ils aient fait figure de grandeurs actives, de « créateurs » du processus social, lequel finit par se retourner contre eux-mêmes[12].

Ce phénomène traduit le caractère irrationnel, « élémentaire », du processus économique qui se déroule dans le cadre de l’économie de marché et apparaît si distinctement dans la psychologie du fétichisme des marchandises que Marx fut le premier à dévoiler et à analyser si magistralement. C’est précisément dans l’économie marchande que se produit ce processus de « chosification » (Verdinglichung) des rapports humains où les « expressions chosifiées » (Dingausdrücke), en raison du caractère élémentaire du développement, mènent une existence autonome, « indépendante », soumise à des lois spécifiques qui ne s’appliquent qu’à cette existence.

Nous nous trouvons donc en présence de plusieurs séries de phénomènes d’ordre individuel, dont découlent plusieurs séries de phénomènes sociaux; il est hors de doute que ces deux catégories (d’ordre individuel et d’ordre social) tout comme les différentes séries d’une même catégorie, obéissent à certains impératifs, notamment en ce qui concerne les diverses séries de phénomènes sociaux et leur interdépendance. La méthode de Marx consiste précisément dans la détermination des lois qui président aux rapports entre les différents phénomènes sociaux. En d’autres termes : Marx examine les lois qui président aux résultats des volontés singulières, sans examiner, en tant que telles, ces volontés elles-mêmes; il examine les lois qui régissent les phénomènes sociaux, en faisant abstraction de leur rapport avec les phénomènes qui relèvent de la conscience individuelle[13].

Examinons maintenant les « sujets économiques » de Böhm-Bawerk.

Dans son article relatif au livre de K. Menger (Untersuchungen, etc.) Böhm-Bawerk, d’accord avec les adversaires de l’école autrichienne et avec Menger lui-même, admet que les « sujets économiques » de la nouvelle école ne sont rien d’autre que des atomes de la société. La nouvelle école a pour tâche de « destituer les méthodes historiques et organiques en tant que méthodes souveraines d’investigation des sciences sociales... et... de réinstaurer la méthode exacte, atomistique »[14] (souligné par l’auteur).

Ici le point de départ de l’analyse n’est pas tel membre particulier d’une société donnée, dans ses rapports sociaux avec ses semblables, mais « l’atome » isolé, le Robinson économique. C’est dans cet esprit que Böhm-Bawerk choisit ses exemples pour exposer ses vues. « Un homme se trouve près d’une source d’où jaillit en abondance une excellente eau potable » — voilà comment débute l’analyse de la théorie de la valeur de Böhm-Bawerk[15].

Puis il fait défiler : un voyageur dans le désert[16] , un agriculteur isolé du monde entier[17] , un colon « dans sa cabane isolée au milieu de la forêt vierge »[18] , etc. On trouve chez K. Men- ger des exemples du mêmes genre : « Les habitants d’une forêt vierge »[19] , « les habitants d’une oasis »[20] , « un individu atteint de myopie sur une île déserte »[21], « un agriculteur travaillant isolément »[22] , etc.

C’est le même point de vue que Bastiat, le plus « doucereux » des économistes, formula jadis avec tant de soin. Dans ses Harmonies économiques il écrit :

« Les lois économiques agissent d’après le même principe, qu’il s’agisse d’une nombreuse agglomération d’hommes, de deux individus ou même d’un seul, condamné par les circonstances à vivre dans l’isolement. L’individu, s’il pouvait vivre quelque temps isolé, serait à la fois capitaliste, entrepreneur, ouvrier, producteur et consommateur. Toute l’évolution économique s’accomplirait en lui. En observant chacun des éléments qui la composent : le besoin, l’effort, la satisfaction, l’utilité gratuite et l’utilité onéreuse, il se ferait une idée du mécanisme tout entier, quoique réduit à sa plus grande simplicité. »[23]

Et auparavant : « j’affirme que l’économie politique aura atteint son but et rempli sa mission quand elle aura définitivement démontré ceci : ce qui est vrai de l’homme est vrai de la société »[24].

C’est exactement ce que dit Jevons : « La forme générale des lois de l’économie politique vaut aussi bien pour l’individu isolé que pour tout un peuple. »[25]

Quel que soit le caractère ancien et vénérable de ce point de de vue, il n’en est pas moins absolument faux. La société n’est pas (comme on l’admet consciemment ou non) une somme arithmétique d’individus isolés ; l’activité économique de chaque individu suppose au contraire un milieu social déterminé où les rapports sociaux des différentes économies trouvent leur expression. Les mobiles de l’homme vivant isolément sont totalement différents de ceux de « l’être social »

(Zoon politïkon) : le premier est entouré de la seule nature, des choses à l’état de viriginité originelle; le second n’évolue pas seulement dans la « matière », mais aussi dans un milieu social. En effet : s’il s’agissait uniquement d’une somme d’économies isolées sans aucune espèce de contact entre elles, s’il n’existait aucun milieu spécifique, que Rodbertus appelle très justement « communauté économique », il n’existerait pas non plus de société. Certes, il est théoriquement possible d’englober en un concept unique un ensemble d’économies séparées et isolées les unes des autres, de les faire entrer de force pour ainsi dire dans un « ensemble ». Mais cet « ensemble » serait tout autre chose que la société, car celle-ci est un système d’économies étroitement liées, agissant de façon permanente les unes sur les autres. Alors que dans le premier le rapport est forgé par nous-mêmes, il est, dans le second, donné par la réalité[26].

De sorte que le sujet économique isolé, s’il peut être considéré en tant que membre d’un système économique social ne saurait faire figure « d’atome » isolé de tout. Dans ses actes le sujet économique s’adapte à l’état déterminé des phénomènes sociaux ; ceux-ci font obstacle à ses mobiles individuels ou, pour parler comme Sombart, ils les « limitent »[27].

Ceci s’applique non seulement à la « structure sociale économique », c’est-à-dire aux rapports de production, mais aussi aux phénomènes socio-économiques issus d’une structure donnée.

Ainsi l’estimation individuelle des prix, par exemple, s’adapte-t-elle toujours aux prix déjà existants; la tendance à investir le capital, pour une banque, dépend du taux de l’intérêt du moment; l’investissement de capital dans telle ou telle branche de l’industrie est déterminé par le profit que rapporte cette branche industrielle; l’estimation d’une parcelle de terre dépend de sa rente et de son taux d’intérêt, etc. Il est vrai que les mobiles individuels exercent une « action contraire » ; mais il faut souligner qu’antérieurement ces mobiles eux- mêmes sont déjà investis d’un contenu social ; on ne peut donc pas faire dériver les « lois sociales des mobiles du sujet isolé »[28]

. Mais si, au lieu de fonder nos investigations sur l’individu isolé, nous faisions entrer dans ses mobiles le moment social en tant que donnée, nous serions pris dans un cercle vicieux : nous nous efforçons de dériver le « social », c’est-à-dire « l’objectif, de l’individuel », c’est-à-dire du « subjectif », alors qu’en fait nous le dérivons du social; c’est ce qu’on appelle tomber de Charybde en Scylla.

Nous avons vu que les mobiles de l’individu isolé sont le point de départ de l’école autrichienne (Böhm-Bawerk). Sans doute trouve-t-on dans les travaux de ses représentants certaines considérations assez justes sur la nature du social en tant que tout. Mais en réalité ses recherches débutent d’emblée par l’analyse des mobiles des sujets économiques, en faisant abstraction de toute corrélation sociale. C’est cette attitude qui caractérise les nouveaux théoriciens de la bourgeoisie, et c’est précisément celle que l’école autrichienne s’emploie à appliquer strictement à l’ensemble de ses constructions. Si bien qu’elle est forcée d’introduire en fraude le « social » dans les mobiles individuels de ses « atomes sociaux » dès qu’elle tente d’expliquer le moindre phénomène social.

Elle tombe alors infailliblement dans un énorme cercle vicieux.

En effet cette erreur logique irrémédiable se révèle déjà dans l’analyse de la théorie de la valeur subjective de l’école autrichienne, pierre angulaire de tout édifice théorique dont ses promoteurs sont si fiers. Cependant, cette erreur, à elle seule, suffit à détruire le sens de l’idéologie économique scientifique du bourgeois moderne, échafaudée avec tant de ruse, « car — comme Böhm-Bawerk lui-même le fait justement observer — c’est un crime méthodologique que d’ignorer dans une étude scientifique la chose même qu’il s’agit d’expliquer »[29].

Ceci nous amène à conclure que le « subjectivisme » de l’école autrichienne, isolant intentionnellement le « sujet économique » en l’absence de toute considération des rapports sociaux[30], ne peut qu’aboutir à la banqueroute logique de tout le système; car celui-ci est tout aussi peu satisfaisant que la vieille théorie du coût de production, qui tournait désespérément à vide à l’intérieur d’un cercle magique.

Sans doute peut-on se demander si, de façon générale, il est possible de saisir théoriquement la vie économique, d’en dégager les principes, sans déterminer les principes des mobiles individuels; autrement dit : « l’objectivisme », qui est à la base de la théorie marxiste, est-il possible ?

Böhm-Bawerk lui-même répond affirmativement à cette question : «... non par des principes d’action sans principes de motivation, mais certainement par une connaissance des principes d’action sans connaissance de la motivation conjointe ! »[31] Böhm admet toutefois que « la source objectiviste de la connaissance... ne peut fournir au mieux qu’une faible partie, à elle seule tout à fait insuffisante, de l’ensemble des connaissances accessibles, vu qu’en matière économique, il s’agit essentiellement des démarches conscientes, concertées, des hommes »[32].

L’abstraction individualiste-psychologique, par contre, que l’école autrichienne s’emploie précisément à propager, donne de bien piètres résultats[33]. Il ne s’agit pas seulement de l’abstraction en tant que telle. Nous avons justement précisé plus haut que celle-ci est nécessaire à tout acte de connaissance. Mais l’erreur des autrichiens consiste à faire abstraction des phénomènes sociaux tout en en faisant l’objet de leurs recherches. C’est ce que R. Stolzmann a fort bien formulé : « Que l’on simplifie au maximum les types économiques par l’analyse et l’abstraction, cela ne saurait les empêcher d’être sociaux, d’avoir pour objet une économie sociale. »[34] Car il est inadmissible de passer de l’individuel pur au social; quand même un tel processus de transition historique aurait réellement existé, c’est-à-dire : si les hommes étaient effectivement passés d’un état d’isolement à « l’être social », ce processus ne donnerait lieu qu’à une description purement historique et concrète, solution purement idéographique (cinématographique) du problème : même en ce cas il serait impossible d’établir une théorie de type nomographique. Supposons par exemple que des producteurs individuels isolés entrent en relation, troquent leurs marchandises et se mettent peu à peu à former une société moderne, fondée sur l’échange. Prenons maintenant les estimations subjectives de l’homme moderne. Elles s’appuient sur les prix antérieurs (ce que nous démontrerons plus longuement par la suite); ces prix à leur tour résulteraient des mobiles des sujets économiques appartenant à une époque plus ou moins éloignée; mais ces prix, eux aussi, dépendaient de ceux qui s’étaient formés à une époque encore plus lointaine; ces derniers étaient également le résultat d’estimations subjectives, établies sur la base de prix encore plus anciens, etc. En toute dernière analyse, nous en arrivons ainsi aux estimations des producteurs isolés — estimations qui en réalité n’ont plus rien à voir avec les prix, car elles sont dépourvues de tout arrière-fond de lien social, de société. Toutefois, une telle analyse des estimations subjectives, prenant pour point de départ l’homme moderne et aboutissant à l’hypothétique Robinson, ne serait rien de plus qu’une simple description historique où l’on verrait les mobiles de l’homme isolé se transformer en ceux de l’homme moderne, sauf que ce processus se ferait en sens inverse. Une telle analyse équivaut à une pure et simple description; il serait tout aussi vain de vouloir ériger sur cette base une théorie générale des prix ou de la valeur d’échange. Tenter d’élaborer une théorie de ce genre entraînerait inévitablement le système dans un cercle vicieux, car si nous voulons rester dans le cadre d’une théorie générale, nous devons adopter l’élément social comme une grandeur donnée, alors qu’il s’agit précisément de l’expliquer; dépasser cette grandeur, — ce serait, comme nous l’avons vu, transformer la théorie en histoire, c’est-à-dire nous engager dans un tout autre domaine de la recherche scientifique. Il ne nous reste donc qu’une seule méthode d’investigation, la combinaison entre la méthode déductive-abstraite et la méthode objective; combinaison hautement caractéristique de l’économie politique marxiste. C’est la seule manière de construire une théorie qui, au lieu d’engendrer d’incessantes contradictions internes, fournit un véritable moyen d’investigation de la réalité capitaliste.

2. Le point de vue historique et le point de vue non historique.

Dans ses Théories de la plus-value, Marx écrit au sujet des Physiocrates :

« Leur grand mérite fut de concevoir ces formes [les formes du mode de production capitaliste, N.B.] comme des formes physiologiques de la société, issues de la nature même de la production et indépendantes de la volonté, de la politique, etc. Ce sont des lois matérielles. La seule erreur des Physiocrates fut d’avoir conçu la loi matérielle de la société à un stade historique déterminé, comme une loi dominant uniformément toutes les formes de la société. »[35]

C’est là une fort bonne définition de la différence entre le point de vue purement social et la conception historico-sociale. On peut considérer « l’économie sociale dans son ensemble », sans saisir toute l’importance des formes sociales spécifiques, devenues historiques. Il est vrai qu’à notre époque la conception non historique va de pair avec le défaut de compréhension des rapports sociaux; il faut néanmoins distinguer entre ces deux questions méthodologiques, car la possibilité d’être objectif n’implique pas du tout la garantie que les problèmes soient posés historiquement. Un exemple nous en est fourni par les Physiocrates. Exemple que l’on voit se répéter dans la littérature économique moderne chez Tougan-Baranowsky, dont la « théorie de la distribution sociale » peut s’appliquer à n’importe quelle société constituée en classes (et par conséquent n’explique rien du tout)[36].

Marx souligne avec rigueur le caractère historique de sa théorie économique, ainsi que le caractère relatif de ses lois. « Je pense que... chaque période historique possède ses lois propres... Aussitôt que la vie a dépassé un stade d’évolution donné, aussitôt qu’elle passe d’une phase donnée à une autre, elle commence à obéir à d’autres lois »[37]. Ce qui ne veut pas dire que Marx conteste l’existence de toute loi générale présidant la marche de la vie sociale à ses différents stades d’évolution. La théorie matérialiste de l’histoire établit par exemple des lois qui permettent d’expliquer l’évolution sociale générale. Mais cela n’exclut pas les lois historiques particulières de l’économie politique qui, à l’encontre des lois sociologiques, expriment la nature d’une structure sociale déterminée, à savoir celle de la société capitaliste[38].

Il convient ici de prévenir une objection possible : on pourrait affirmer, en effet, que l’acceptation du principe historique mène forcément à un type théorique monographique, purement descriptif, c’est-à-dire à un point de vue identique à celui de l’école dite « historique ». Mais une telle objection dénote une confusion entre notions de genres différents. Prenons une proposition générale quelconque d’ordre statistique par exemple, qui est une science monographique par excellence : la statistique démographique établit la « loi empirique » suivante : pour 100 naissances de filles, on enregistre 105 à 108 naissances de garçons. Cette « loi » est de caractère purement descriptif et n’exprime aucune causalité générale. Une loi théorique d’économie politique au contraire peut s’exprimer par une formule de causalité : A, B et C étant donnés, D doit également se produire; autrement dit : l’existence de conditions, de « causes » déterminées, entraîne des conséquences déterminées. Il va de soi que ces « conditions » peuvent aussi avoir un caractère historique, c’est-à-dire qu’elles n’existent en réalité qu’à un moment déterminé. Du point de vue purement logique, peu importe où et quand ces conditions se réalisent en fait, et moins encore si elles se produisent ou non; en ce sens nous sommes en présence de « lois éternelles »; d’autre part, et dans la mesure où elles se produisent réellement, ce sont des « lois historiques », car elles dépendent des « conditions » qui n’existent qu’à une étape historique déterminée[39]. Mais ces conditions étant données, leurs conséquences découlent d’elles-mêmes. C’est précisément ce caractère inhérent aux lois théoriques de l’économie, qui autorise leur application à des pays et à des époques où l’évolution sociale atteint un niveau qui leur correspond; voilà pourquoi les marxistes russes, par exemple, ont pu prédire avec justesse « le sort du capitalisme en Russie », bien que les matériaux empiriques concrets sur lesquels s’appuyait l’analyse marxiste aient concerné l’Angleterre[40].

Le caractère « historique » des lois de l’économie politique ne suffit donc nullement à transformer celle-ci en une science de type monographique. D’autre part, seul le point de vue historique peut apporter quelque lumière en ce domaine.

En tant que science, l’économie politique ne peut avoir pour objet que la société marchande, plus précisément la société marchande capitaliste. Si nous avions à faire à une économie organisée de façon quelconque, telle l’économie oikos de Rodbertus, à celle du communisme primitif, au Landgut féodal, ou à l’économie socialisée de 1’ « Etat » socialiste, nous ne rencontrerions pas un seul problème dont la solution relèverait de l’économie politique théorique; ces problèmes relèvent de l’économie marchande, notamment de sa forme capitaliste : ce sont les problèmes de la valeur, du prix, du capital, du profit, des crises, etc. Ceci n’est pas le fait du hasard; c’est justement au moment où domine le système de la « libre concurrence » plus ou moins prononcé, que l’on constate très nettement dans le processus économique la façon élémentaire dont la volonté et les buts s’effacent devant l’enchaînement objectif des faits sociaux. Le phénomène que Marx appelle « le caractère fétichiste de la marchandise », et qu’il a brillamment analysé dans Le Capital, ne caractérise que la production marchande proprement dite et sa forme suprême, la production capitaliste. C’est ici que le rapport personnel des hommes dans le processus de production devient un rapport impersonnel entre choses, celles-ci apparaissant sous forme du « hiéroglyphe social »[41] de la valeur (Marx).

D’où le caractère « énigmatique » propre au mode de production capitaliste, et l’originalité des problèmes qui se posent pour la première fois à l’investigation théorique. « Ce n’est pas à cause du « caractère typique de la liberté économique », mais à cause de l’originalité du système de la concurrence sur le plan théorique, lequel implique le plus grand nombre d’énigmes théoriques en même temps que la plus grande difficulté à les résoudre[42], que l’analyse de la société capitaliste présente un intérêt particulier, et confère une forme logique particulière à la science économique qui étudie les lois de la vie élémentaire de la société moderne, et érige les lois indépendantes de la conscience humaine — « lois naturelles régulatrices » — semblables à la loi de la gravité que l’on constate lorsque les tuiles vous tombent sur la tête[43].

Ce caractère élémentaire, résultant de conditions extrêmement complexes, est lui-même un phénomène historique qui affecte uniquement la production des marchandises[44]. Seule l’économie sociale inorganisée engendre ces phénomènes spécifiques, où l’adaptation mutuelle des différentes parties de « l’organisme de production » s’effectue en dehors de la volonté humaine, consciemment orientée dans ce but. En régime de planification de l’économie sociale, la distribution et la redistribution des forces de production sociales constituent un processus conscient fondé sur des données statistiques ; dans l’anarchie de la production actuelle, ce processus s’accomplit par tout un mécanisme de transfert des prix, par leur hausse et leur baisse, par leur pression sur les profits, par toute une série de crises, etc. ; bref, ce n’est pas le calcul raisonné de l’ensemble, mais la force aveugle de l’élément social qui se manifeste à travers toute une série de phénomènes économicosociaux — et notamment le prix du marché; voilà ce qui caractérise la société moderne et ce qui fait l’objet de l’économie politique. En société socialiste l’économie politique perdra sa raison d’être : il n’en restera qu’une « géographie économique » — science de type monographique — ainsi qu’une « politique économique », science normative; car les rapports entre les hommes seront simples et clairs, la formulation fétichisée, chosifiée, de ces rapports disparaîtra, et les lois propres à la vie élémentaire seront remplacées par les démarches conscientes de la société. Il n’en faut pas plus pour démontrer que l’étude du capitalisme exige l’étude de ses traits fondamentaux, traits qui distinguent « l’organisme de production » capitaliste de tout autre ; car l’étude du capitalisme est précisément l’étude de ce qui distingue le capitalisme et toute autre structure sociale. Dès que l’on fait abstraction des originalités typiques du capitalisme, on en arrive à des catégories générales applicables à n’importe quels rapports de production sociaux, ce qui par suite empêche d’expliquer le processus d’évolution tout à fait spécifique et historiquement déterminé du « capitalisme moderne ». C’est dans l’oubli de ce principe — dit Marx — « que réside... toute la sagesse des économistes modernes, qui prouvent la pérennité et l’harmonie des rapports sociaux existants »[45].

On doit souligner que le capitalisme est la forme évoluée de la production des marchandises. Ce qui caractérise cette forme, ce n’est pas l’échange proprement dit, mais l’échange capitaliste; la force de travail s’y présente comme marchandise sur le marché, et les rapports de production (« la structure économique de la société ») implique non seulement les rapports entre producteurs de marchandises mais encore ceux qui existent entre la classe capitaliste et les ouvriers salariés. En plus de l’étude des conditions générales de l’économie marchande (l’existence de cet élément à lui seul correspondrait à la théorie de la production marchande simple), l’analyse du capitalisme exige donc l’étude de la structure spécifique du capitalisme lui- même. Seule cette façon de poser la question permet d’établir une théorie économique véritablement scientifique. Si l’on ne cherche pas à conclure par la glorification et l’immortalisation des rapports capitalistes, mais à étudier ceux-ci sur une base théorique, il faut faire ressortir et analyser ses propriétés caractéristiques. C’est de cette manière que procède Marx. Dans son livre I du Capital, on lit en effet : « Dans les sociétés où règne le mode de production capitaliste, la richesse apparaît comme « une gigantesque collection de marchandises », la marchandise prise isolément en étant la forme élémentaire. Nous commencerons donc notre étude par l’analyse de la marchandise. »[46]

C’est ainsi que l’investigation s’oriente dès le début dans un sens historique. Par la suite, l’analyse marxiste démontre que toutes les notions économiques fondamentales ont un caractère historique[47].

« Dans toutes les conditions sociales, le produit du travail — écrit Marx à propos de la valeur — est objet d’usage, mais il n’y a qu’une époque déterminée de l’évolution historique, où le travail dépensé en vue de la production d’un objet d’usage constitue son caractère « chosifié » (gegenstandlich), c’est-à-dire sa valeur, et transforme le produit du travail en marchandise. »[48]

Marx dit la même chose à propos du capital : «... le capital n’est pas une chose, mais un rapport de production sociale déterminé, appartenant à une forme de société historique déterminée ; il s’incarne dans une chose à laquelle il confère un caractère social spécifique. Le capital n’est pas la somme des moyens de production matériels produits. Le capital, c’est l’ensemble des moyens de production transformés en capital, lesquels, par eux- mêmes, sont aussi loin de constituer du capital que l’or ou l’argent ne constituent par eux-mêmes de la monnaie »[49].

Il est intéressant de confronter cette définition avec celle que Böhm-Bawerk donne du Capital :

« Nous nommons en général capital un ensemble de produits servant de moyens d’acquisition des biens. De ce concept général du capital se dégage le concept plus étroit du capital social.

Nous nommons capital social, un ensemble de produits servant de moyens pour acquérir des biens ayant une valeur au point de vue de l’économie sociale; ou ... en bref, un ensemble de produits intermédiaires »[50].

Les points de départ sont donc diamétralement opposés. Tandis que pour Marx le caractère historique d’une catégorie donnée est sa marque distinctive, nous voyons Böhm-Bawerk faire abstraction de l’élément historique ; pour Marx, il s’agit de rapports humains historiquement déterminés, tandis que Böhm-Bawerk ne s’attache qu’aux rapports généraux entre l’homme et les choses. En effet, dès que l’on cesse d’envisager le changement des rapports historiques des hommes entre eux, la seule chose qui subsiste, c’est le rapport de l’homme à la nature; en d’autres termes : à la place des catégories historico-sociales on trouve des catégories « naturelles ». Il est évident que les catégories « naturelles » n’expliquent pas le moins du monde les catégories historico-sociales, car comme Stolzmann le note fort justement, « les catégories naturelles ne fournissent que des possibilités techniques à la formation des phénomènes économiques »[51].

En effet, le processus de travail, le processus de production et de répartition des biens, se présente toujours sous des formes déterminées, historiquement différentes : ce sont elles seules qui engendrent des phénomènes économico-sociaux déterminés. Car c’est une idée parfaitement intenable que de considérer, à l’instar du « colonel Torrens » et de Böhm-Bawerk, la « pierre du sauvage comme l’origine du capital »[52] et le sauvage comme un capitaliste. C’est seulement lorsque, sur la base de la production de marchandises[53] , les moyens de production sont monopolisés, en tant que propriété, par une seule classe, et opposés à la propriété des ouvriers, la force de travail, la seule marchandise dont ils disposent — c’est alors seulement qu’apparaît le véritable phénomène appelé capital ; par conséquent c’est alors seulement que peut aussi se produire le « profit du capitaliste ». Il en est de même pour la rente. Le seul fait du revenu différentiel du sol lorsqu’il s’agit de parcelles différentes, ou, pour citer la fameuse formule : « la loi du revenu décroissant du sol » (même si elle existait sous la forme où elle est défendue par les malthusiens les plus radicaux) ne suffirait nullement à créer le phénomène de la rente foncière. Celle-ci n’apparaît que lorsque, sur la base de la production de marchandises, le sol est monopolisé en tant que propriété par la classe des propriétaires fonciers. En ce qui concerne la différence de revenu des diverses parcelles et la « loi » en question, les parcelles représentent uniquement les conditions techniques, étant donné que ce sont elles qui, en somme, rendent possible le phénomène social, c’est-à-dire, la rente[54].

Lorsque BöhmBawerk reproche à certains de ses critiques, de ne pas distinguer la « nature de la chose » de la « forme dans laquelle elle se présente », ces plaintes ne reposent sur rien. Le capital ne se définit pas par le fait qu’il représente « l’ensemble des produits intermédiaires » (définition qui est celle des moyens de production), mais par le fait qu’il constitue un rapport social particulier, entraînant toute une série de phénomènes économiques, tout à fait étrangers à d’autres époques. On peut dire évidemment que le capital est la forme sous laquelle apparaissent les moyens de production dans la société actuelle, mais on ne saurait affirmer que le capital moderne est la forme sous laquelle apparaît le capital en général et que celui-ci est identique aux moyens de production.

Le phénomène de valeur a lui aussi un caractère historique. Même si l’on considère comme juste la méthode individualiste de l’école autrichienne et si l’on essaye de déduire la valeur simplement de la « valeur subjective », c’est-à-dire de l’estimation individuelle des différentes personnes, il faut, même en ce cas, tenir compte du fait que dans l’économie moderne le psychisme du « producteur » a un tout autre contenu que celui du producteur dans l’économie naturelle (et notamment du psychisme d’un homme « assis au bord d’un ruisseau » ou errant affamé dans le désert). Le capitaliste moderne, qu’il représente l’industrie ou le capital commercial, ne s’intéresse absolument pas à la valeur d’usage du produit : il « travaille » à l’aide d’une « main-d’œuvre » louée exclusivement pour le profit, et tout ce qui l’intéresse c’est la valeur d’échange.

Cela démontre que même le phénomène fondamental de l’économie politique, celui de la valeur, ne peut s’expliquer par le fait, valable pour tous les temps et tous les peuples, que les biens satisfont un besoin humain quelconque. Pourtant, telle est bien la méthode de l’école autrichienne[55].

C’est ce qui nous amène à la conclusion que la voie méthodologique empruntée par l’école autrichienne, est complètement fausse, car elle ne tient aucun compte des singularités du capitalisme. Une économie politique qui se pose pour but d’expliquer les conditions économico-sociales, c’est-àdire les rapports entre les hommes, doit être une science historique. « Celui qui voudrait placer l’économie politique de la Terre de Feu — observe Engels de façon pertinente et mordante — sous les mêmes lois que celles de l’Angleterre actuelle, n’aboutirait manifestement à rien de plus qu’à des lieux communs d’une banalité parfaite. »[56]. Ces « lieux communs » peuvent s’élever sur une base plus ou moins spirituelle, mais cela n’expliquera pas les particularités de l’ordre social capitaliste, que l’on aura d’abord éliminé. De sorte que cette « économie » hypothétique « construite » par BöhmBawerk, et dont il examine les « lois », est tellement éloignée de notre monde d’iniquité qu’elle ne peut plus servir à le mesurer.

C’est d’ailleurs ce que les initiateurs de la nouvelle orientation commencent à comprendre.

Aussi Böhm-Bawerk écrit-il dans la dernière édition de son Capital :

« J’aurai surtout tenu à combler une lacune..., il faudrait examiner... l’influence de ces soi-disant « catégories sociales », et voir quel est le pouvoir et la signification des rapports de force et d’autorité issus des organismes sociaux... Ce chapitre de l’économie sociale n’a pas encore été écrit de manière satisfaisante... Pas plus par les théoriciens de la valeur marginale que par les autres. »[57]

On peut dire à l’avance que ce « chapitre » ne pourra jamais être écrit de façon « satisfaisante » par les représentants du marginalisme, étant donné qu’ils ne considèrent pas la « catégorie sociale » comme une partie intégrante et organique de la « catégorie purement économique », mais qu’ils la considèrent comme une grandeur extérieure, située au-delà de l’économie.

A l’opposé de Böhm, Stolzmann, un des défenseurs de la méthode « sociale-organique », auquel nous nous sommes référé à plusieurs reprises, observe : « L’objectivisme entre ainsi dans une phase nouvelle, il devient non seulement social, mais aussi « historique »; il ne reste plus de vide entre l’étude systématique- logique et historique-logique, le champ d’investigation est le même pour les deux, ayant tous deux pour objet la connaissance de la réalité historique »[58]. Mais longtemps avant Stolzmann, la liaison entre la méthode classique abstraite, « l’objectivisme » et « l’historisme », a été résolu par Karl Marx et cela sans nulle fioriture éthique.

Et voilà comment, sur ce point aussi, la théorie « surannée » du prolétariat devance toutes les autres[59].

3. Le point de vue de la production et celui de la consommation[modifier le wikicode]

Lorsqu’on a commencé à traiter le mode de production moderne de façon théorique — écrit Marx — « ... on s’est nécessairement appuyé sur les phénomènes superficiels du processus de circulation... La véritable science de l’économie moderne commence seulement là où la réflexion théorique passe du processus de circulation au processus de production »[60]. Böhm-Bawerk au contraire, ainsi que l’ensemble de l’école autrichienne, prend la consommation comme point de départ de son analyse.

Tandis que Marx considère la société avant tout comme un « organisme de production », et l’économie comme « processus de production », la production se trouve reléguée, chez BöhmBawerk, tout à fait à l’arrière-plan ; l’analyse de la consommation, des besoins et des désirs du sujet économique occupe la première place[61]. Il ne faut donc pas s’étonner si ce ne sont pas les biens économiques, en tant que produits, qui servent de point de départ à l’analyse, mais une quantité donnée (a priori) de ceux-ci, une « provision », dont on ignore d’où elle provient. De plus, l’ensemble de la théorie de la valeur se trouve ainsi désignée, à l’avance, comme point central du système théorique. Le facteur production étant éliminé dès l’abord, il en résulte une théorie de la valeur étrangère à toute production. D’où le singulier emploi de la méthode de « l’abstraction isolante » : aussi, dans l’analyse de la valeur, Böhm-Bawerk ne fait-il pas produire des biens à ses Robinsons, mais leur en fait perdre, y « renoncer ». La possibilité de production ou de reproduction y est considérée, non comme un phénomène qu’il s’agit avant tout d’analyser, mais comme une difficulté à vaincre[62]. Il est donc logique que « l’utilité » devienne l’idée fondamentale de l’école autrichienne, idée d’où dérive ensuite celle de la valeur subjective, puis celle de la valeur objective. Car le concept d’utilité ne suppose ni « dépense de travail » quelconque, ni production; il exprime non un rapport actif, mais un rapport purement passif avec les choses, non une « capacité d’objectivation », mais un certain rapport avec une donnée invariable. C’est pourquoi ce concept d’utilité peut s’appliquer avec succès à des cas où les personnes agissantes sont des « naufragés », des « myopes », des « voyageurs » affamés, échoués sur une île inhabitée et autres avortons dus à l’imagination d’un professeur.

Il va de soi qu’une telle conception exclut à l’avance toute possibilité de comprendre les phénomènes sociaux ainsi que leur développement. La force d’impulsion de ceux-ci consiste dans la croissance des forces productives, de la productivité du travail social, dans l’élargissement des fonctions productives de la société. Sans consommation, pas de production — cela est hors de doute : toute activité économique a toujours les besoins pour mobile. Mais d’autre part la production elle aussi agit de manière décisive sur la consommation. Selon Marx, cette influence a trois aspects : en premier lieu, la production crée le matériel de la consommation, en second lieu, elle détermine le mode de celle-ci, c’est-à-dire son caractère qualitatif; enfin elle crée de nouveaux besoins[63].

Tel est l’état de fait, si l’on considère les rapports réciproques entre production et consommation en général, c’est-à-dire sans lien avec une structure historique donnée. Lorsqu’on examine le capitalisme, il convient d’ajouter un élément important, qui est, pour parler avec Marx : «... le « besoin social » c’est-à-dire ce qui règle le principe de la demande, essentiellement déterminé par le rapport des différentes classes entre elles et par leur position économique respective, donc notamment et d’abord par le rapport de la plus-value totale avec le salaire, et ensuite par le rapport des différentes parties entre lesquelles se fractionne la plus-value (profit, intérêt, rente foncière, impôts, etc. »[64]. Ce rapport des classes entre elles se forme et se transforme à son tour sous l’influence de la croissance des forces productives.

On constate donc avant tout que : le dynamisme des besoins est déterminé par le dynamisme de la production. D’où il faut conclure, premièrement : que dans l’analyse du dynamisme des besoins, il faut prendre comme point de départ le dynamisme de la production; deuxièmement : que la quantité donnée de produits, qui suppose un état statique de la production, suppose du même coup un état statique de la consommation, autrement dit un état statique du complexe d’ensemble que constitue la vie économique, par conséquent de la vie tout court[65].

C’est justement « le développement des forces productives » que Marx plaçait en tête de tout : car tout son immense travail théorique avait pour but « de dévoiler la loi du mouvement économique de la société moderne »[66]. Mais, pour employer sa propre expression, dévoiler « la loi du mouvement » là où le mouvement, où un quantum de produit « tombé du ciel », n’existent pas, voilà qui n’est pas facile[67].

Aussi peut-on être sûr d’avance que le point de vue de la consommation sur lequel se fonde le système autrichien s’avérera parfaitement stérile dans toutes les questions concernant le dynamisme social, c’est-à-dire dans les problèmes les plus importants de l’économie politique. « La manière dont se développe la technique dans une société capitaliste — dit Charasov — d’où provient le profit capitaliste — toutes ces questions fondamentales, ils [c’est-à-dire les représentants de l’école autrichienne (N.B.)] sont incapables de les poser correctement, à plus forte raison de les résoudre. »[68]

A cet égard, les aveux de Josef Schumpeter, un des plus ardents défenseurs du marginalisme, sont fort intéressants. Il eut le courage de déclarer franchement que dans tous les cas où il s’agit de développement, l’école autrichienne n’avait rien à dire.

« Nous voyons alors — dit-il — que notre système statique n’explique, de loin, pas tous les phénomènes économiques, tels que l’intérêt et le gain de l’entrepreneur. »[69]

« ...Que notre théorie, dans la mesure où elle est solidement fondée, reste défaillante vis-à-vis des phénomènes les plus importants de la vie économique moderne. »[70]

« De plus, elle échoue vis-à-vis de tout phénomène qui... ne s’explique que du point de vue du développement. En font partie les problèmes relatifs à la formation du capital et autres, notamment celui du progrès économique et des crises. »[71]

Il s’avère donc que la plus récente théorie des « savants » bourgeois fait faillite dans les questions fondamentales, précisément les plus importantes de notre époque. L’accumulation gigantesque et rapide du capital, la concentration et la centralisation de celui-ci, le progrès technique extraordinairement rapide, la réapparition régulière enfin des crises industrielles, phénomène spécifiquement capitaliste, qui ébranle le système social-économique jusque dans ses racines — tout cela est, de l’aveu même de Schumpeter, « un livre fermé à sept sceaux ». Et c’est justement dans le domaine où la pensée du savant bourgeois piétine, que la théorie marxiste a le plus grand rendement, à tel point que les fragments mutilés de la doctrine marxiste passent parfois, même aux yeux des ennemis les plus acharnés du marxisme, comme le dernier mot de la sagesse[72].

4. Conclusions[modifier le wikicode]

Nous avons examiné jusqu’ici les trois erreurs qui sont au point de départ de l’école autrichienne : le subjectivisme, le point de vue non historique, et celui de la consommation. Ces trois points de départ logiques, qui tiennent aux trois traits fondamentaux de la mentalité du bourgeoisrentier, entraînent inévitablement les trois erreurs théoriques fondamentales de l’école autrichienne, erreurs qui se répètent sans cesse dans les différentes parties du « système » théorique général : ce sont les « cercles vicieux » dus à la méthode subjectiviste ; puis l’impuissance à expliquer les formes spécifiquement historiques du capitalisme, qui provient d’une conception non historique ; et enfin la banqueroute complète dans tous les problèmes relatifs au développement économique — banqueroute qui découle nécessairement de l’idée qu’ils se font de la consommation. Toutefois, on aurait tort de penser que tous ces « motifs » agissent indépendamment les uns des autres ; les complexes psychiques, tout autant que les complexes logiques, sont des grandeurs complexes, où divers éléments se combinent et se confondent de diverses manières, et dont les effets se font sentir plus fortement ou plus faiblement, en fonction des autres éléments auxquels ils sont liés.

Aussi toute erreur concrète qui se révélera par la suite dans l’analyse détaillée de la théorie de Böhm-Bawerk s’appuiera non sur un seul « motif de pensée » des nouveaux théoriciens, mais sur plusieurs à la fois. Ce qui ne nous empêchera pas de choisir, dans la gamme des moments qui s’enchaînent, les trois moments fondamentaux qui, dans leurs différentes configurations, forment la source des innombrables « faux pas » de Böhm-Bawerk. Ces « faux pas » révèlent du même coup l’impuissance de la bourgeoisie fin de siècle à la pensée théorique.

  1. Dans la préface du L. I du Capital, Marx qualifie sa méthode, de méthode déductive de l’école classique. Il serait d’ailleurs absurde d’admettre, comme le font les défenseurs de l’école historique, qu’une loi abstraite n’a jamais rien de commun avec la réalité concrète. « Une loi scientifique exacte », dit Emile Sax, défenseur de l’école autrichienne, « est une conclusion inductive de l’espèce la plus haute et la plus générale : c'est comme telle, et non en tant qu’axiome a priori, qu’elle est le point de départ de la déduction ». (Conrads Jahrbücher fur Nationalôkonomie und Statistik, 1894, III. Folge, vol. 8, p. 116.) Alfred Ammon donne une analyse exacte de cette question dans : Objekt und Grundbegriffe der Theoretischen Nationalôkonomie, Vienne et Leipzig, 1911.
  2. Comparer par exemple p. 259 des : Untersuchungen de K. Menger, où l’on trouvera des définitions assez justes d’un véritable point de départ de la théorie. C’est chez Liefmann que la théorie de l’utilité marginale atteint son degré le plus éminent de la connaissance d’elle-même : Ueber Objekt, Wesen und Aufgabe der Wirtschaftswissenschaft, Conrads Jahrb., 13, 106.
  3. W. Sombart, Zur Kritik des ôkonomischen Systems von Karl Marx, dans Brauns Archiv fiir Soziale Gesetzgebung und Statistik, vol. III, pp. 591-592. Cf. aussi R. Liefmann, loc. cit., p. 5 : « L’opposition entre le mode de pensée individualiste et social ou entre le point de vue privé et économique, me paraît être le problème méthodologique capital de l’avenir. » Nous recommandons au lecteur l’ouvrage de Liefmann, car la méthode individualiste y est appliquée de la manière la plus claire et la plus conséquente.
  4. Cf. par exemple A. Smith, An inquiry into the nature and causes of the wealth of nations, Londres, 1895, vol. I, p. 129 : « Equal quantities of labour at all times and places, may be said to be of equal value to the labourer, ln his ordinary state of health, strength, and spirits; in the ordinary degree of his skill and dexterity, he must always lay down the same portion of his ease, his liberty and his happiness. » (Souligné par l’auteur.) On pourrait citer toute une série de passages semblables. Aussi l’assertion de G. Karasov dans sa polémique contre Kautsky est-elle entièrement erronée : « Pour nous il n’y a aucun doute que dans sa théorie de la valeur, l’école classique ne défend nullement un point de vue individualiste, mais un point de vue strictement social, tout à fait comme Marx lui-même. » (Voir Karasov, Das System des Marxismus, Berlin, 1910, p. 253.) D’autre part, l’assertion de l’auteur selon laquelle il existe aussi des ouvrages marxistes qui contiennent une interprétation subjective de la théorie marxiste, est parfaitement juste. Mais il n’y a pas lieu d’en parler ici.
  5. W. Sombart, loc. cit., p. 591 (souligné par l’auteur).
  6. Ibid., p. 592.
  7. Karl Marx, Le Capital, L. I, p. XVI. La citation empruntée à un compte rendu de Kaufmann, et avec laquelle Marx lui-même est tout à fait d’accord, est rapportée par Marx.
  8. Böhm-Bawerk, Grundzüge der Theorie des wirtschaftlichen Giiterwerts dans Hildebrand Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, 13.13. N.F., p. 78. De même Menger, Untersuchungen über die Methoden der Sozialwissenschaften, etc. Liefmann, loc. cit., p. 40.
  9. Cf. R. Stolzmann, Der Zweck in der Volkswirtschaftslehre, Berlin, 1909, p. 59
  10. Karl Marx, Misère de la philosophie, en allemand, traduction de E. Bernstein et K. Kautsky, p. 91.
  11. Cette circonstance à elle seule met en échec la conception téléologique de la société en tant que « structure fonctionnelle » telle qu’on la trouve notamment chez Stolzmann. « La vie de la nature est dépourvue de toute visée, de toute intention systématique, épargne, économie de force, ...tout comme les hommes dans leurs relations réciproques » (Pr Wipper, Grundzüge einer Theorie der geschichtlichen Erkenntnis, Moscou, 1911, p. 162). Cf. aussi le brillant exposé de «l’indépendance» du résultat des actes individuels chez Engels, Ludwig Feuerbach. Dans sa critique de la méthode « sociale », c’est-à-dire objectiviste, R. Liefmann se cramponne précisément à la critique de la conception téléologique, affirmant que logiquement, tout défenseur de cette méthode devrait l’accepter. Il accuse de téléologie même les marxistes (tel Hilferding), sur lesquels il remporte une faible victoire. En fait il s’agit, dans le marxisme, de la société en tant que système sans sujet.
  12. « Dans les rapports économiques, écrit Strouvé, le sujet économique est considéré dans ses rapports avec les autres sujets de même nature; les catégories inter-économiques (c’est-à-dire les catégories de l’économie marchande, N.B.) expriment les résultats objectifs (ou en voie d’objectivi- sation) de ces rapports : elles ne contiennent rien de « subjectif »; d’autre part, elles ne contiennent pas non plus l’expression directe des rapports entre les sujets économiques et la nature, le monde extérieur; en ce sens elles ne contiennent rien « d’objectif » ou de « naturel » (P. Strouvé, Wirtschaft und Preis, Moscou, 1913, pp. 25-26). D’autre part, Strouvé fait allusion à l’élément « naturaliste » de la théorie de la valeur (« travail fixé ») établissant ainsi une contradiction entre celui-ci et l’élément « sociologique ». Comparer à Marx, Théories de la plus-value, 1, p. 277 : « Cependant, il ne faut pas prendre la matérialisation du travail dans un sens aussi écossais que le fait A. Smith. Quand nous parlons de la marchandise comme matérialisation du travail — comme valeur d’échange — cela même n’est encore qu’un mode d’existence imaginaire, c’est-à-dire social, de la marchandise, qui n’a rien à voir avec sa réalité physique. » « L’erreur provient ici de ce qu’un rapport social se présente sous forme d’objet » (p. 278).
  13. Ce genre de méthode « universaliste », Strouvé la relie au réalisme logique (par opposition à la méthode « singulariste » qui, en logique, est liée au nominalisme). « Dans la science sociale », dit Strouvé, « le mode de pensée réaliste s’exprime notamment par le fait que le système de relations psychiques entre les hommes, c’est-à-dire la société, est considéré non seulement comme unité réelle, comme une somme ou (!) un système, mais aussi comme une unité vivante, comme un être vivant. Des notions telles que société, classe, apparaissent ou deviennent facilement (!!!) des « universaux » de la pensée sociologique. Elles sont facilement hypostasiées » (loc. cit. p. XI). Tout cela, Strouvé ne l’invoque pas pour démontrer l’invalidité de la méthode d’investigation marxiste qu’il identifie au « réalisme logique — ontologique de Hegel et... à la scholastique » (p. XXVI). Il est pourtant évident que chez Marx il n’y a pas l’ombre d’une indication que la société et les groupements sociaux seraient considérés comme un « être vivant » (le terme d’« unité vivante » est pourtant quelque chose de différent et de plus vague). Il suffit à cet égard de comparer la méthode de Marx à celle de l’école « social-organique » par exemple, dont l’ouvrage de Stolzmann apporte la plus récente défense. Marx, lui-même, se rendait parfaitement compte des défauts du réalisme logique de Hegel. « Hegel est tombé, . dans l’illusion de concevoir le réel comme résultat de la pensée qui se concentre, s’approfondit en elle- même et se meut par elle-même, tandis que la méthode qui consiste à aller de l’abstrait au concret n’est pour la pensée que la manière de s’approprier le concret, de le reproduire spirituellement en tant que concret. Ce n’est nullement le processus de naissance du concret luimême » (K. Marx, Einleitung zu einer Kritik der politischen Oekonomie, (Introduction à une critique de l’économie politique), II. Ed., Zur Kritik, Stuttgart, 1907, p. XXXVI).
  14. Böhm-Bawerk, Zeitschrift fiir Privât — und öffentliches Redit der Gegenwart, Vienne, 1884, vol. XI, p. 220.
  15. Böhm-Bawerk, Grundzüge der Theorie des wirtschaftlichen Güterwerts, dans Hildebrands Jahrbiicher fiir Nationalôkonomie und Statistik, vol. 13, p. 9.
  16. Ibid., p. 9.
  17. Ibid
  18. Ibid., p. 30.
  19. Karl Menger, Grundsütze der Volkswirtschaftslehre, Vienne, 1871, p. 82.
  20. Ibid., p. 85.
  21. Ibid., p. 95.
  22. Ibid., p. 96.
  23. Fr. Bastiat, Harmonies Economiques, Bruxelles, 1850, p. 213
  24. Ibid., p. 74. Notons que Bastiat parle de l’homme isolé comme d’une abstraction méthodologiquement utile. Historiquement, celui-ci n’est à ses yeux qu’ « une vision trompeuse de Rousseau » (Cf. aussi pp. 93-94).
  25. « The général form of the laws of Economy is the same in the case of individuals and nations », W. Stanley Jevons, The theory of political economy. Londres et New York, 1871, p. 21. La plupart des « mathématiciens » et des « Américains » ne tiennent aucun compte de cela. Comparer avec Walras, Etudes d’économie sociale (Théorie de la répartition de la richesse sociale), Lausanne, Paris, 1896 : « Il ne faut pas dire que l’individu est la base et la fin de toute société sans ajouter immédiatement que l’état social est aussi la base et le milieu de toute individualité » (p. 90). Chez Clark, c’est l’objectivisme qui domine. La définition suivante de l’économiste américain Thomas Nixon Carver, montre à quel point tout cela est peu approfondi : « The method pursued is that of an analytical study of the motives which govern men in business and industrial life » (The distribution of wealth, New York, 1904, p. xv). Mais d’autre part, le même Carver « objectivise » la théorie de la valeur.
  26. « De tels ensembles forgés par nous-mêmes, qui n’existent pas en dehors de notre conscience, peuvent être opposés à des ensembles réels, créés par la vie elle-même. Les nouveau-nés de toute la Russie européenne n’ont entre eux aucun lien, si ce n’est celui que forment nos tableaux statistiques; les arbres de la forêt se conditionnent réciproquement et constituent une certaine unité, indépendamment du fait qu’ils soient compris par une notion supérieure ou non. » (A. Tchuprov, Eléments d’une théorie de la statistique, Saint-Pétersbourg, 1909, p. 76).
  27. « En partant inductivement de ce qui est donné, nous rencontrons, en considérant la réalité économique... des monceaux de faits qui nous montrent que dans toutes ses appréciations et ses actes, l’individu économique dépend de la situation donnée, dans laquelle se trouve la structure objective de l’ordre économique existant ». (R. Stolzmann, loc. cit., p. 35).
  28. « Le point de départ de tout phénomène social réside toujours dans l’individu; non l’individu isolé qu’étudient ceux qui critiquent Marx, ainsi que les penseurs du xvme siècle, mais l’individu lié à d’autres individus, la masse des individus... où l’être particulier développe une autre vie spirituelle que dans l’isolement. » L. Boudin, Das theoretische System von K. Marx, Stuttgart, 1909, préface de K. Kautsky, p. XIII. Marx, lui-même, a souvent parlé fort clairement de la nécessité d’adopter un point de vue social. « Les individus produisant en société, donc la production socialement déterminée, voilà évidemment le point de départ. Le chasseur, le pêcheur particulier, isolé... appartient à l’imagination sans envergure du XVIIIe siècle » (Introduction à une critique, etc., p. XIII). « La production de l’individu isolé en dehors de la société... est une absurdité tout aussi grande que d’admettre un développement du langage en l’absence de vie commune et de langage commun des individus ». (Ibid.). A ce propos, R. Hilferding observe très justement : « Les mobiles des sujets économiques agissant eux-mêmes, déterminés par la nature des rapports économiques, ne donnent lieu à aucune autre déduction que la tendance à l’établissement d’un équilibre des conditions économiques; mêmes prix pour les mêmes marchandises, même profit pour le même capital, même salaire et même taux d’exploitation pour le même travail. Mais jamais je ne parviendrai par cette voie, à partir de mobiles subjectifs, aux rapports quantitatifs eux-mêmes » (Das Finanz Kapital, p. 235, note).
  29. Böhm-Bawerk, Zum Abschluss des Marxschen Systems. En hommage à Karl Knies, Berlin, 1896, p. 172. Traduit en russe par Georgiewsky, sous le titre : La théorie de Karl Marx et sa critique, Saint-Pétersbourg, 1897.
  30. Il est vrai que les autrichiens eux-mêmes, reconnaissent qu’il s’agit seulement d’une abstraction : « Economiquement, l’homme n’agit pas en être isolé; une économie isolée, au sens strict du terme, est une abstraction » (Emil Sax, Das Wesen und die Aufgabe der Nationalökonomie, Vienne, 1884, p. 12). Mais l’on ne saurait admettre n’importe quelle abstraction : à ce propos, Böhm-Bawerk observe lui-même qu’ « en matière scientifique, les idées et la « logique » ne doivent pas se rendre trop indépendantes des faits, ...qu’en chaque cas d’espèce, on n’a le droit de faire abstraction que de telles particularités qui ne relèvent pas de l’étude du phénomène en cause, qui n’en relèvent réellement, effectivement pas ». Böhm-Bawerk, Zum Abschluss des Marxschen Systems, p. 194.
  31. Böhm-Bawerk, Zum Abschluss des Marxschen Systems, p. 201, note : « Strouvé, qui qualifie de scolastique cette méthode de connaissance (cf. note, p. XXV et p. XXXII de l’édition russe), parle par ailleurs de l’emploi empiriquement justifié de la méthode universaliste. Ce qui n’empêche pas cet auteur de déclarer que le point de vue sociologique, dont on ne saurait se passer en économie politique, ne doit procéder en dernière analyse que de l’homme, de sa psyché (c’està-dire de « l’individu », N.B., p. 26). Et dire que Strouvé prétend ne pas attribuer « grande importance aux subtilités du subjectivisme psychologique », comme s’il n’existait pas de rapport logique entre les « subtilités » et les « grundlagen » ! Le lecteur constatera que Strouvé s’est ménagé une position fort commode. Liefmann, loc. cit., répond négativement à la question de Böhm-Bawerk.
  32. Böhm-Bawerk, Zum Abschluss, etc., p. 202
  33. Même John Keynes, qui adhère à la théorie de l’utilité marginale, admet que les phénomènes de la vie industrielle ne s’expliquent dans toute leur ampleur que par voie déductive, à partir de quelques lois naturelles élémentaires » : Objet et méthode de l’économie politique. Cité d’après la traduction russe, rédaction Manuilov, Moscou, 1899, p. 70.
  34. R. Stolzmann, loc. cit. p. 63, ainsi que la « Catégorie Sociale », pp. 291-292; cf. aussi D. Lifschitz, Zur Kritik der Böhm-Bawerkschen. Werttheorie, Leipzig, 1908, chap. IV, notamment pp. 90-91.
  35. K. Marx, Théories de la plus-value, L. I, p. 34.
  36. Voir Tougan-Baranowsky, Fondements de l’économie politique. Mais tandis que les Physiocrates se faisaient sans s’en douter une idée juste du capitalisme, Tougan-Baranowsky, tout en s’efforçant de le comprendre, ne fait qu’établir des formules creuses (voir N. Boukharine : « Une économie sans valeur », Neue Zeit, 1914, pp. 22-23).
  37. La citation extraite d’un compte rendu de Kaufmann, est rapportée par Marx, dans la préface de la deuxième édition du Capital (L. I, p. XVI).
  38. C’est ce que ne comprennent pas les critiques « bienveillants » eux- mêmes. Cf. Karasov, loc. cit. pp. 260-261
  39. Dans son Histoire de l’économie nationale, le Pr Oncken distingue trois méthodes : la méthode exacte ou philosophique, la méthode historique ou plutôt historico-statistique, et enfin la méthode historico-philosophique, à caractère synthétique (p. 9). Ensuite : « Dans le domaine socialiste, la méthode historico-philosophique est représentée d’une part par Saint-Simon, puis dans le sens du matérialisme extrême par Karl Marx et Friedrich Engels... Il (le matérialisme historique, N.B.) ne saurait combattre avec succès que sur le même terrain, c’est-à-dire historicophilosophique » {Ibid.). C’est reconnaître la fécondité de la méthode marxiste qui, selon Oncken, devrait être unie à l’idéalisme de Kant, afin que la nocivité de la théorie matérialiste de Marx puisse être mieux combattue
  40. C’est ce que Boulgakov ne comprend absolument pas. Voir sa critique du pronostic marxiste dans Philosophie de l’économie.
  41. Karl Marx, Le Capital, L. I, p. 40.
  42. Heinrich Dietzel, Theoretische Sozialökonomie, p. 90.
  43. Karl Marx, Le Capital, L. I, p. 39 (éd. populaire).
  44. « Les phénomènes relevant d’une loi, tels qu’ils existent aujourd’hui... n’ont pu se produire qu’à partir du moment où tout isolement et même toute limitation locale, appartenaient au passé » (Neumann, « Naturgesetz und Wirtschaftsgesetz », Revue d’économie nationale, éditée par Schäffle, 1892, 48” année, 3" cahier, p. 446). M. Strouvé adresse à Marx de grands éloges pour son analyse du fétichisme des marchandises, mais il pense que Marx, ainsi que toute l’école du socialisme scientifique, ont commis une erreur en attribuant à ce phénomène un caractère historique. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas ce même auteur d’établir un lien entre le fétichisme et l’économie marchande qui, de son propre aveu, représente une catégorie historique. (Cf. son Système économique, loc. cit.)
  45. Introduction à une critique..., p. XVI. Ceci fut écrit en 1857, mais convient parfaitement au « vingtième siècle »
  46. Karl Marx, Le Capital, L. I, p. 1.
  47. L’Introduction, maintes fois citée par nous, résume les idées méthodologiques de Marx. En ce qui concerne les « conditions de production » historiques et non historiques, Marx résume ainsi ses idées : « en résumé : il existe des conditions communes à toutes les phases de la production, que la pensée qualifie de générales; mais les prétendues conditions générales de toute production ne sont rien d’autre que ces moments abstraits qui ne correspondent à aucune phase de production réelle, historique », (p. XX).
  48. Karl Marx, Le Capital, L. I, p. 28.
  49. Karl Marx, Le Capital, L. III, 2e partie, p. 349
  50. Böhm-Bawerk, Kapital und Kapitalzins, 1909, vol. II, 1re partie, pp. 54-55. Strouvé, qui a passé par l’école marxiste, défend lui aussi ce point de vue tout à fait superficiel : « La pure activité économique — écrit-il — connaît également des catégories, telles que coût de production, capital, profit, rente » (loc. cit., p. 17); par pure activité économique, il entend « le rapport économique du sujet économique avec le monde extérieur » (Ibid.). Chez Rodbertus, se fait jour une variante plus subtile d’idées analogues ; il distingue la notion logique de la notion historique du capital. En fait, cette terminologie est un voile jeté sur l’apologétique des économistes bourgeois ; par essence elle est totalement superflue, étant donné que l’on dispose pour les « catégories logiques » d’un terme tel que moyen de production. Pour plus de détails à ce sujet voir plus loin l’analyse consacrée à la théorie du profit.
  51. R. Stolzmann, Der Zweck, etc., p. 131.
  52. « La première pierre lancée par le sauvage contre l’animal qu’il poursuit, le premier bâton qu’il saisit pour tirer à lui le fruit qu’il ne peut atteindre de ses mains, est à nos yeux l’appropriation d’un objet en vue d’en acquérir un autre, et c’est ainsi que nous découvrons le capital » (R. Torrens, An Essay on the Production of Wealth, etc., pp. 70-71). (Cf. Karl Marx, Le Capital, L. I, p. 147, note.) La définition du capital selon Böhm-Bawerk, comme « ensemble de produits intermédiaires », coïncide avec l’opinion de Torrens, que Marx raille déjà dans son premier livre du Capital (cf. Bohm-Bawerk, Kapital und Kapitalzins, vol. II, 1re partie, p. 587).
  53. C’est ce dont les critiques de Marx ne tiennent souvent pas compte. Cf. par exemple : Fr. Oppenheimer, La question sociale et le socialisme, notamment la partie : Robinson-capitaliste.
  54. Voir Stolzmann, loc. cit., p. 26, et John Keynes, loc. cit., p. 66 : « ...même la loi de décroissance de la rente foncière comme phénomène naturel, ne saurait à vrai dire, être considérée comme une loi économique. »
  55. « Le point de départ, le fondement du « système » consiste dans l’analyse des phénomènes élémentaires, des activités économiques, humaines dans leur ensemble, in abstracto, donc à l’exclusion des particularités des rapports sociaux » (Emil Sax, L’essence et la tâche de l’économie nationale, p. 68).
  56. Fr. Engels, Monsieur Eugène Diihring bouleverse la science, 3° édition, Stuttgart, 1894, p. 150. Le caractère non historique de l’objectivisme des « mathématiciens » et des « Anglo-Américains » les amène à une conception purement mécanique, où en fait, il n’y a pas de société, mais seulement des objets en mouvement.
  57. Préface à la troisième édition de Kapital und Kapitalzins, vol. II, pp. XVI et XVII.
  58. R. Stolzmann, loc. cit., préface, p. 2. Comparer avec R. Liefmann, loc. cit., p. 5, « La manière de voir dite sociale... appliquée il y a un demi-siècle déjà par Karl Marx ». En même temps Liefmann met très justement en relief les particularités de la méthode marxiste.
  59. Stolzmann se croit tenu de considérer les phénomènes sociaux comme socio-éthiques. En quoi il mélange l’éthique en tant qu’ensemble de normes d’où l’on envisage la réalité économique, et l’éthique en tant que fait lié au fait des phénomènes économiques. Parler de l’économie politique comme d’une science éthique reviendrait, au premier cas, à rien moins que transformer cette science en recettes ; à supposer que dans le second cas on veuille suivre l’exemple de Stolzmann, on pourrait à ce même titre parler de l’économie politique comme d’une science philologique, en quoi la « raison suffisante » consisterait dans le fait que les phénomènes du langage sont eux aussi liés à la vie économique. L’absurdité de 1’« éthique » de messieurs les « critiques » se mesure par exemple au passage suivant : « Le salaire est une grandeur morale » (p. 198, souligné par l’auteur). Il est déterminé non seulement par l’usage et le droit, « mais aussi par la voix de la conscience et la contrainte intérieure, c’est-à- dire par l’impératif du cœur » (p. 198). On rencontre bien d’autres considérations aigres-douces (voir pp. 199, 201, etc.). C’est sa « raison pratique » qui pousse M. Stolzmann à préserver les hommes de l’adhésion au socialisme (p. 17). Dans ce but, il ne recule pas devant la démagogie : « Certes, déclare-t-il, à l’encontre des marxistes, il est infiniment plus simple et irresponsable de se borner à discréditer ce qui existe, à venir en leur offrant des cailloux au lieu de pain... Mais l’ouvrier ne voudra pas attendre », etc. Est-ce également « l’impératif du cœur » qui dicte ce verbiage à Monsieur le Conseiller ? Dans la mesure où Stolzmann est intéressant, il est lié à la théorie et à la méthode de Marx; son éthique pompeuse par contre ne peut plus tenter que messieurs Boulgakov, Frank, et Tougan-Baranowsky.
  60. Karl Marx, Le Capital, L. III, 1re partie, p. 321.
  61. De même Jevons « Political economy must be founded upon a full and accurate investigation of the condition of utility : and, to understand this element, we must necessarily examine the character of the wants and desires of men. We, first of all, need a theory of the consumption of wealth » (The theory of political economy, Londres et New York, 1871, p. 46, souligné par l’auteur). L. Walras, Etudes d’économie sociale, p. 51, ne fait entrer dans l’économie pure que la considération de la richesse, tandis que l’analyse de la production appartient selon lui à l’économie politique appliquée. Carver se rapproche encore davantage de la production. En quoi il est solidaire de Marshall : « In other words, economic activities, rather than economic goods form the subject-matter of the science » (XI). A un autre endroit du même ouvrage, The distribution of wealth, il ordonne ces « activités » de la manière suivante : production, consommation et évaluation (production, consumption, valuation). On trouve chez tous ces auteurs, différentes nuances qui sont un éclecti- cisme, d’une part par rapport à Marx, d’autre part par rapport à Böhm-Bawerk.
  62. Kautsky a raison de dire que l’école autrichienne est allée encore plus loin dans les Robinsonnades du XVIIIe siècle, car pour elle, Robinson ne fabrique pas lui-même ses objets de consommation, mais ceux-ci lui tombent du ciel (L. Boudin, loc. cit. Préface de Kautsky, p. X). Les fameux échanges équivalents de Léon Walras rejoignent tout à fait le point de vue autrichien (cf. L. Walras, Principes d’une théorie mathématique de l’échange, p. 9) : « Etant donné les quantités de marchandises, formuler le système d’équations dont les prix des marchandises sont les racines ». C’est ainsi qu’il formule son objectif. Le lecteur constatera qu’ici encore il n’est pas question de production.
  63. « La production produit la consommation... 1) en lui procurant le matériel; 2) en déterminant le mode de consommation; 3) en faisant apparaître en tant que besoin du consommateur les objets qu’elle a commencé par poser comme production. » Karl Marx, Introduction à une critique, etc., p. XXV.
  64. Karl Marx, Le Capital, L. III, 1re partie, p. 160.
  65. Selon Marx, la production est « le véritable point de départ et par conséquent le moment prédominant » (Introduction, p. XXVII). Le lien qui rattache la théorie économique de Marx à sa théorie sociologique est ici nettement exprimé (ceci à l’intention de ceux qui croient possible de se déclarer « d’accord » avec un aspect de la doctrine de Marx, tout en en rejetant l’autre).
  66. Karl Marx, Le Capital, L. I, p. XIII
  67. Monsieur Frank ne comprend pas pourquoi le travail est mis en relief par rapport aux autres « conditions de production » : la propriété foncière de même qu’une répartition déterminée des produits, etc. ne sont- ils pas « une nécessité éternelle pour l’homme »? La raison pour laquelle c’est justement le travail qui doit servir de marque constitutive des phénomènes économiques — reste complètement dans l’ombre (La théorie marxiste de la valeur et sa signification, pp. 147-148). Les formes de distribution représentent une grandeur dérivée du « genre de production », mais en ce qui concerne le sol, le moment purement statique de la « propriété foncière », elle ne fournit aucune explication des changements, du dynamisme.
  68. G. Karasov, Le système du marxisme, Berlin, 1910, p. 19. Les « échanges équivalents » de Walras sont statiques. De même pour Wilfredo Pareto, Cours d’économie politique, tome I, Lausanne, 1896, p. 10.
  69. Josef Schumpeter, Das Wesen und der Hauptinhalt der theoretischen Nationalökonomie, Leipzig, 1908, p. 564.
  70. Ibid., p. 587.
  71. Ibid., p. 587.
  72. Ceci s’applique également à Tougan-Baranowsky, par exemple, qui passe pour une « autorité » en matière de théorie des crises.