V. La théorie du profit (suite)

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1. Deux raisons à la surestimation des biens actuels : la différence entre les besoins et les moyens de les satisfaire à des époques différentes ; la sous-estimation systématique des biens futurs[modifier le wikicode]

Nous avons vu dans le chapitre précédent que le profit se réalise au moment de la vente de la marchandise par le capitaliste ; mais potentiellement le profit se forme au moment de l’achat du travail. En règle générale les estimations subjectives des biens actuels sont supérieures à celles des biens futurs. Mais étant donné que les estimations subjectives déterminent la valeur d’échange objective ainsi que le prix, les biens actuels de la même espèce prévalent généralement sur les biens futurs en ce qui concerne non seulement leur valeur subjective, mais aussi leur prix[1]. La différence entre les prix payés par les capitalistes pour l’achat des biens futurs, notamment du travail[2], et ceux réalisés par la vente des marchandises résultant du processus de production (la « maturation » des biens actuels), représente le profit du capital. Nous aurons donc à examiner comment se forme ce profit, et nous commencerons par l’analyse des estimations subjectives, d’où naît la valeur objective et dans chaque cas concret le prix.

Böhm-Bawerk invoque trois raisons pour lesquelles les biens actuels sont estimés à un taux supérieur aux biens futurs ; 1) la différence entre les besoins et les moyens de les satisfaire à des époques différentes ; 2) la sous-estimation systématique des biens futurs ; 3) la supériorité technique des biens actuels. Examinons donc les arguments de Böhm-Bawerk, en commençant par le premier :

« Une première raison capitale, entraînant une différence de valeur entre les biens actuels et les biens 1futurs réside dans la différence du rapport entre besoins et satisfaction aux différentes époques. »[3]

Cette « raison » pour laquelle les biens actuels sont estimés à un taux supérieur est censée se retrouver dans deux cas typiques : premièrement, dans tous les cas où les hommes se trouvent dans une situation difficile ; deuxièmement, dans les estimations de tous ceux qui comptent sur une situation assurée dans l’avenir (médecins et avocats débutants, etc.). Pour ces deux catégories les 100 florins « actuels » comptent beaucoup plus que les florins « futurs », car dans le futur « le rapport entre besoin et satisfaction » peut revêtir pour elles un aspect beaucoup plus favorable. Cependant, il existe toute une série de personnes pour lesquelles ce rapport entre besoin et satisfaction est exactement inverse : leur situation, relativement bonne dans le présent, sera plus mauvaise dans l’avenir. En ce cas — dit Böhm-Bawerk — il faut observer ceci : le bien actuel, un florin par exemple, peut être dépensé actuellement ou dans l’avenir. Ceci vaut surtout pour l’argent, parce qu’il peut facilement se conserver. Le rapport entre biens actuels et biens futurs se présente alors de la manière suivante : les biens futurs ne peuvent satisfaire que les besoins futurs ; il n’en va pas de même des biens actuels qui, eux, sont aptes à satisfaire ces besoins futurs, en plus des besoins actuels, se situant à une époque plus ou moins rapprochée. Ici encore il y a deux possibilités : 1° Les besoins actuels et les besoins d’un proche avenir sont moins importants que les besoins futurs — et en ce cas le bien actuel est supprimé afin de couvrir les besoins futurs ; la valeur de ce bien est déterminée par l’importance de ces besoins futurs ; le bien actuel équivaudra quant à sa valeur au bien futur[4].

2° Les besoins actuels sont plus importants — en ce cas la valeur du bien actuel dépasse celle du bien futur, ce bien ne tirant sa valeur que des besoins futurs, mais nullement des biens actuels. Il s’ensuit que les biens actuels peuvent être de valeur équivalente, mais nullement inférieure à celle des biens futurs. Mais même leur équivalence est diminuée selon Böhm-Bawerk par la constante possibilité d’une détérioration relative de la situation matérielle dans le proche avenir : grâce à cette possibilité les biens actuels revêtent quelques chances supplémentaires d’utilisation avantageuse, ce qui ne saurait être le cas pour les biens futurs : « Au pire des cas les biens actuels ont donc une valeur égale à celle des biens futurs ; en règle générale, ils ont l’avantage d’être utilisables comme provision de réserve. »[5]

Selon Böhm-Bawerk, seuls constituent des exceptions les cas où la conservation des biens actuels est impossible ou présente des difficultés.

Il faut donc distinguer trois catégories de personnes : 1) Un très grand nombre se trouve à présent dans une situation plus mauvaise que dans l’avenir ; 2) Un deuxième groupe également fort nombreux conserve les biens actuels à titre de provision de réserve, afin de pouvoir les utiliser dans l’avenir ; et enfin 3) Une faible couche de personnes pour qui « certaines circonstances empêchent ou menacent la communication entre le présent et l’avenir » — et qui estiment les biens actuels à un taux inférieur à ceux de l’avenir. Mais dans l’ensemble, les estimations subjectives ont tendance à s’élever lorsqu’il s’agit de biens actuels et à baisser lorsqu’il s’agit de biens futurs.

Telle est la « première raison » de la surestimation des biens actuels.

Essayons donc d’analyser cette « raison ». Il convient de souligner avant tout que la question, ainsi posée, est historiquement limitée, car elle ne vaut que pour une économie d’échange ; elle est totalement exclue de toute espèce d’économie naturelle. Ce qui est vrai non seulement pour les biens de conservation difficile, mais aussi pour d’autres, comme l’ont déjà fait observer Pierson et Bortkievicz : « Celui à qui l’on offrirait autant de charbon, de vin, etc. qu’il en consommera vraisemblablement durant toute sa vie ne manquerait pas de décliner cette offre », — note Pierson en commentant la théorie de Böhm-Bawerk, avec laquelle il est d’ailleurs d’accord sur le fond — « quant à l’argent, c’est tout autre chose »[6].

Nous avons vu ensuite que selon Böhm-Bawerk la surestimations des biens actuels par rapport aux biens futurs découle dans une large mesure du fait que les biens actuels couvrent également d’importants besoins futurs, dont ils tirent du reste leur valeur. Supposons que nous ayons à faire à une personne dont la situation, relativement bonne dans le présent, s’annonce cependant moins bonne pour l’avenir. Les 10 florins qu’elle possède maintenant couvrent maintenant un besoin de 100 unités ; étant donné que cette personne disposerait plus tard d’une somme moindre, la valeur des 10 florins s’élèverait par exemple à 150 florins. Il faudrait en conclure que la personne en question devrait estimer les 10 florins à un taux supérieur aux 10 florins actuels. Cependant, la conclusion de Böhm-Bawerk est différente, car il dit : étant donné que les 10 florins seront conservés et pourront donc servir dans l’avenir, ils possèdent dès à présent la valeur des florins futurs. C’est de cette manière que la valeur future anticipe sur le présent. Mais ce raisonnement — la possibilité de transférer la valeur du bien futur sur le bien présent — contredit l’idée fondamentale de Böhm-Bawerk relative à la formation du profit. Que se passerait-il par exemple si nous appliquions l’idée de Böhm-Bawerk aux moyens de production ?

Tout moyen de production, qu’il s’agisse de machines ou de travail, peut être considéré sous un double aspect : comme un bien actuel ou comme un bien futur (un bien n’est actuel que dans la mesure où il y a possibilité de réaliser la valeur dès maintenant, et que l’on se trouve en présence d’une forme matérielle, telle que machines, etc.). On peut réaliser la valeur d’un moyen de production donné dans le présent — on peut le vendre et en retirer par exemple 100 unités de valeur; on peut aussi l’investir dans le processus de production et en obtenir après un certain temps 150 unités de valeur. La valeur future du moyen de production est donc égale à 150 ; la valeur actuelle, par contre, est égale à 100 unités de valeur. Or, si nous admettons, à l’exemple de Böhm-Bawerk, que l’on peut estimer la valeur des biens actuels selon leur valeur future, on s’aperçoit qu’en ce qui concerne précisément les moyens de production, cela est tout à fait inexact, sinon on verrait disparaître toute différence entre ce que le capitaliste débourse lui-même et ce qu’il empoche par la suite ; on verrait disparaître l’agio, qui, selon Böhm-Bawerk constitue le fondement du profit. L’erreur de Böhm-Bawerk consiste en ce qu’il exclut pour les valeurs futures la possibilité d’un emploi actuel[7].

Sans doute, les biens imaginaires futurs ne sauraient réaliser leur valeur dans le présent. Mais les moyens de production qui, eux, existent matériellement dans le présent n’entrent précisément d’aucune façon dans la catégorie des « florins imaginaires ». De deux choses l’une : ou les biens actuels ne peuvent pas emprunter leur valeur à l’utilité future (dans les limites évidemment de la première raison sous examen) ; et alors la surestimation des biens actuels ne se pose pas, car l’estimation des biens actuels et futurs à un taux égal tombe d’elle-même ; ou les biens actuels peuvent tirer leur valeur de l’utilité future, et alors on ne s’explique pas d’où Böhm-Bawerk fait naître le profit (encore une fois dans les limites de la première raison seulement). Dans un cas comme dans l’autre le résultat n’est guère à l’honneur de Böhm-Bawerk.

Considérons la question sous l’angle de la réalité capitaliste actuelle, c’est-à-dire du point de vue des capitalistes et des ouvriers, en commençant par ces derniers. Les ouvriers vendent leur marchandise, le travail, que les capitalistes achètent à titre de moyen de production, c’est-à-dire de bien futur, en échange de florins « actuels ». L’ouvrier vend « bénévolement son travail (bien futur) contre une valeur inférieure à celle qu’aura le produit du travail. S’il en est ainsi, ce n’est nullement parce que l’ouvrier peut compter sur un rapport plus favorable entre ses besoins et leur satisfaction, mais à cause de la position sociale relativement faible de l’ouvrier »[8]. Il n’a d’ailleurs guère d’espoir de « remonter la pente », ce qui explique la situation du prolétariat dans tous les pays. Donc, la « première raison » de la surestimation des biens actuels par rapport aux biens futurs s’avère déjà totalement fausse en ce qui concerne les motivations de la valeur de la part des ouvriers. Explication tout aussi incorrecte en ce qui concerne les estimations des entrepreneurs capitalistes. A ce sujet, c’est Böhm-Bawerk lui-même qui dit :

« Si les capitalistes convertissaient leur fortune tout entière en biens actuels, c’est-à-dire s’ils la consommaient pour en jouir actuellement, les besoins actuels se trouveraient apparemment couverts à l’excès, tandis que les besoins futurs resteraient entièrement découverts... Pour les possesseurs d’une fortune qui excède les besoins actuels, et pour autant qu’il ne s’agit que des rapports proprement dits entre les besoins et leur couverture dans le présent et dans l’avenir, les besoins actuels en tant que tels ont même moins de valeur que les biens futurs. »[9]

Pour le capitaliste dont les biens actuels excèdent ses propres besoins, ceux-ci sont utiles dans la mesure où il s’en sert de manière productive, c’est-à-dire dans la mesure où il les transforme en biens futurs. C’est la raison pour laquelle ce ne sont pas les biens actuels, mais au contraire les biens futurs, en l’espèce le travail, qui est estimé à un taux supérieur. On voit donc qu’aussi bien du point de vue de la demande que de celui de l’offre, « la première raison » est absolument incorrecte. Considérons maintenant la « seconde raison ». Böhm-Bawerk croit la discerner dans le fait suivant : « Nous sous-estimons systématiquement nos biens futurs ainsi que les moyens nécessaires à leur satisfaction. »[10] Böhm-Bawerk n’a aucun doute sur le fait lui-même qui, selon lui, se manifeste seulement à des degrés différents selon la nation, l’âge et la personne ; chez les enfants et les sauvages il se montre tout à fait crûment. Trois raisons donnent lieu à ce phénomène. 1) les lacunes dans notre perception des besoins futurs. 2) l’insuffisance de notre volonté, qui préfère le présent, même lorsque nous comprenons le caractère néfaste d’une telle attitude; 3) « l’idée de la brièveté et de la précarité de la vie ».

A notre avis cette « seconde raison » est tout aussi fausse que la première. Dans la mesure où il s’agit d’une économie, il existe un plan de travail économique déterminé qui doit tenir compte non seulement des besoins présents mais aussi de ceux de l’avenir. Les sauvages et les enfants évoqués par Böhm ne démontrent rien du tout. Quelle influence peuvent exercer l’insuffisance de notre volonté, « la conception lacunaire de l’avenir », voire « l’idée de la brièveté et de la précarité de la vie » sur les réflexions et les calculs de l’industriel moderne ? L’économie a sa logique propre, et les ressorts de l’activité économique, les réflexions économiques sont tout aussi éloignés de ceux qui meurent, des enfants et des sauvages, que le ciel est distant de la terre. L’épargne, quand elle est avantageuse, la perspective d’une conjoncture favorable, des plans d’avenir compliqués, etc. — tels sont les caractéristiques de l’économie capitaliste ; s’il arrive que le capitaliste ne soit guère qu’un « enfant », il ne l’est qu’en ce qui concerne son « argent de poche », — mais lorsqu’il s’agit de valeurs d’importance capitale, d’opérations purement économiques, tout se passe selon les calculs les plus minutieux. Ce qui fait dire fort justement à Wieser :

« Il me semble... qu’à l’état de civilisation tout bon administrateur, voire tout administrateur moyen, sait dans une certaine mesure se rendre maître de cette défaillance propre à la nature humaine [la sous-estimation des biens futurs. N.B.]... Sous ce rapport l’instigation à la prévoyance étant particulièrement forte, il ne faut pas s’étonner de la voir plus efficace en ce domaine qu’en tout autre. »[11]

Même du point de vue de Böhm-Bawerk il est en outre inadmissible d’expliquer le profit du capital par le « risque » inhérent à l’« avenir », car, comme le dit Bortkievicz,

« la théorie de Böhm-Bawerk tend à expliquer l’intérêt du capital au sens propre, c’est-à-dire l’intérêt net, et non l’intérêt brut, qui se compose entre autres de la prime de risque, laquelle tient compte du facteur insécurité et disparaît lorsqu’il est question d’intérêt net »[12].

Penchons-nous maintenant sur les ouvriers et les capitalistes. Böhm-Bawerk semble croire que l’ouvrier peut assumer lui-même le rôle de capitaliste et recevoir dans l’avenir le produit de son travail; l’ouvrier préfère cependant en obtenir, ne fût-ce qu’une parcelle, dans le présent, car il « sous-estime systématiquement » les biens futurs. Mais en réalité les choses se passent tout autrement. L’ouvrier vend sa force de travail, non pas parce qu’il « sous-estime » les biens futurs, mais parce qu’il ne dispose d’aucun moyen de se procurer quelque bien que ce soit sinon par la vente de sa force de travail. Le choix entre la production individuelle et celle qui provient de l’usine patronale n’existe pas pour lui ; il n’a aucune possibilité de transformer le bien futur — « travail » — en un bien actuel ; aussi n’estime-t-il nullement son travail comme un bien futur — idée qui lui est totalement étrangère. C’est là un état de fait si évident que même des économistes bourgeois, à moins d’ériger l’apologie du capitalisme en système ou d’y mettre l’ardeur de Böhm-Bawerk, sont obligés de l’admettre.

« L’ouvrier industriel — écrit le professeur Lexis — ne pouvait plus utiliser sa force de travail par ses propres moyens, il lui fallait pour cela les nouveaux et puissants moyens de production dont disposait le capital et auxquels il n’avait accès qu’aux conditions posées par celui-ci. L’ouvrier ne dispose pas d’une économie productive à lui, le produit de son travail ne lui appartient pas et lui est indifférent, son économie à lui consiste dans l’acquisition et la dépense de son salaire. » (souligné par l’auteur)[13].

Voilà comment se passent les choses du côté de l’ouvrier. Voyons maintenant comment se déroule le processus du côté du capitaliste. A cet égard, Böhm-Bawerk admet lui-même que dans la mesure où les capitalistes agissent comme tels, et non comme des « gaspilleurs », la surestimation des biens actuels n’entre pas en ligne de compte[14]. Tout comme la première raison, nous voyons donc que la « deuxième raison », elle aussi n’a pas plus de validité du côté de la demande que de celui de l’offre.

« Des trois moments..., les deux premiers ne s’appliquent donc pas à la masse des capitalistes [nous avons vu qu’il en est de même en ce qui concerne les ouvriers. N.B.]. Cependant, le fameux troisième moment peut ici s’avérer valable : la supériorité technique des biens actuels [souligné par l’auteur] ou ce qu’il est convenu d’appeler la « productivité du capital. »[15]

Il ne nous reste donc plus qu’à analyser la troisième « raison » — la supériorité technique des biens actuels.

2. La troisième raison de surestimation des biens actuels : leur supériorité technique[modifier le wikicode]

Cette troisième raison à laquelle Böhm-Bawerk attache une importance décisive consiste dans le fait que « pour des raisons techniques, les biens actuels constituent en règle générale des moyens plus appropriés à satisfaire nos besoins et nous garantissent donc une utilité marginale plus grande que les biens futurs »[16]. Il faut ici faire une observation préalable. Nous avons toujours eu lieu de croire que les biens actuels « biens de consommation » étaient pour Böhm-Bawerk des biens de premier ordre, au pire des florins « actuels » facilement convertibles en biens d’usage, qui à leur tour couvrent de façon tout à fait immédiate les besoins humains. C’étaient en effet des florins que le capitaliste échangeait, tout comme une véritable marchandise, contre le « bien futur », c’est-à-dire le travail. Mais en l’espèce il s’agit de tout autre chose. Ici Böhm-Bawerk n’oppose plus des moyens de production aux moyens de consommation, il compare au contraire les moyens de production, les différentes catégories de moyens de production, entre eux. Ce qui entraîne de multiples conséquences que nous examinerons plus loin.

Revenons à notre sujet. Le paragraphe précédent nous a montré que selon Böhm-Bawerk le processus de production est d’autant plus fructueux qu’il dure longtemps. Prenons une unité quelconque de moyen de production, par exemple un mois de travail, en l’appliquant à des processus de production techniquement différents ; le résultat s’avérera différent selon la durée du processus de production. A titre d’explication Böhm-Bawerk illustre cette phrase par le tableau suivant :

Tableau I. — Un mois de travail dans l’année.

1909 1910 1911 1912
Rapport pour

la période

économique

(c’est-à-dire

jusqu’à la fin

de l’année

1909 100 Unités de

production

1910 200 100
1911 280 200 100
1912 350 280 200 100
1913 400 350 280 200
1914 440 400 350 280
1915 470 440 400 350
1916 500 470 440 400

Pour satisfaire les besoins de l’année 1909, dit Böhm-Bawerk, un mois de travail de l’année

1910 ou 1911 ne rapporte encore rien du tout ; le mois de travail de l’année 1909 rapporte 100 unités de production ; pour satisfaire les besoins de l’année 1914, un mois de travail de l’année 1911 = 350, de l’année 1910 = 400, de l’année 1909 = 440 unités de production.

« Quel que soit le laps de temps qui serve de terme de comparaison, la quantité de moyens de production ancienne (actuelle) se montrera toujours techniquement supérieure à la même quantité plus récente (future). » Cette supériorité, poursuit Böhm-Bawerk, est non seulement d’ordre technique, mais économique : le produit qui provient d’une branche « plus capitaliste », c’est- à-dire dont le procédé de production est plus long, est supérieur à celui de la branche moins capitaliste non seulement quant au nombre, mais aussi quant à la valeur générale des unités fabriquées.

« Mais est-elle [la quantité de moyens de production plus ancienne] supérieure également quant au niveau de son utilité marginale et à sa valeur ? Cela est tout à fait certain. Car si, pour toutes sortes de besoins imaginables auxquels on peut ou l’on veut la destiner, elle met à notre disposition une plus grande quantité de moyens propres à les satisfaire, il est évident qu’elle doit avoir une plus grande importance pour notre bien-être. »[17]

A une seule et même époque, dit Böhm-Bawerk, une plus grande quantité de produits prendra donc aux yeux d’une seule et même personne une plus grande valeur. Voilà pour ce qui est de la valeur du produit. Comment se pose alors la question de la valeur des moyens de production ? Nous avons vu, dans le paragraphe correspondant relatif à la valeur, que la valeur des moyens de production appliqués à des usages différents est déterminée par le maximum de la valeur du produit, c’est-à-dire par la valeur du produit fabriqué dans les conditions les plus favorables.

« Lorsqu’il s’agit de biens qui peuvent s’employer alternativement à des fins multiples, ayant des utilités marginales d’importance différente, c’est l’utilité marginale la plus forte qui est décisive. En l’espèce ce sera donc le produit qui représente la somme de valeur la plus élevée. »[18]

Ceci dit, on s’attendrait évidemment à ce que la valeur des moyens de production dépende de la quantité maxima de produits, c’est-à-dire de la prolongation maxima du processus de production. Mais en fait — et il convient d’insister sur ce point — la réponse fournie par la théorie de Böhm-Bawerk est différente. La valeur globale la plus élevée, dit en effet notre auteur, « ne coïncide pas forcément avec le produit qui contient le plus grand nombre de pièces : au contraire, ils ne coïncident que rarement, sinon jamais. Car le plus grand nombre de pièces, nous l’obtiendrions par un processus de production démesurément long, d’une durée de 100 ou 200 ans peut-être. Mais des biens qui ne seraient disponibles qu’au temps de nos petits-fils et de nos arrière-petits-fils, n’ont pour ainsi dire aucune valeur pour notre estimation actuelle »[19].

C’est pourquoi la valeur globale la plus élevée correspondra à celui des produits dont le nombre de pièces, multiplié par la valeur de chaque pièce, donne une grandeur maxima, en quoi il faut tenir compte « du rapport entre le besoin et sa satisfaction dans la période économique en question et... la perspective de réduction intervenant en matière de biens futurs »[20] (c’est-à-dire la diminution de valeur. N.B.).

Admettons qu’il s’agisse de la « première raison », c’est-à-dire du perfectionnement des conditions d’approvisionnement; admettons encore que la valeur correspondante (décroissante) d’une unité de produit, que Böhm-Bawerk appelle la « véritable » valeur, soit pour l’année productive 1909 = 5 ; 1910 = 4 ; 1911 = 3,3 ; 1912 = 2,5 ; 1913 = 2,2 ; 1914 = 2,1 ; 1915 = 2 : 1916 = 1,5. Les chiffres correspondants seront alors, lorsqu’il s’agira de la deuxième raison, la réduction en perspective, égaux à : 5 ; 3,8 ; 3 ; 2,2 ; 1,8 ; 1,5 ; 1. Nous admettons donc avec Böhm-Bawerk l’hypothèse de la diminution de valeur des « biens futurs » par rapport aux biens « actuels », étant donné les deux raisons précédemment examinées.

Ce dont s’autorise Böhm-Bawerk pour dresser les tableaux suivants :

Tableau II. — Un mois de travail en l’année 1909 donne :

Pour la période économique Nombre de produits

par pièce

Véritable utilité marginale d’une pièce Réduction en perspective de la valeur d’une pièce Valeur globale du produit total
1909 100 5 5 500
1910 200 4 3.8 760
1911 280 3.3 3 840
1912 350 2.5 2.2 770
1913 400 2.2 2 800
1914 440 2.1 1.8 792
1915 470 2 1.5 703
1916 500 1.5 1 500

Tableau III. — Un mois de travail de l’année 1912 donne :

Pour la période économique Nombre de produits par pièce Véritable utilité marginale d’une pièce Réduction en perspective de la valeur d’une pièce Valeur globale du produit total
1909 5 5
1910 4 3.8
1911 3.3 3
1912 100 2.5 2.2 220
1913 200 2.2 2 400
1914 280 2.1 1.8 504
1915 350 2 1.5 525
1916 400 1.5 1 400

Ces tableaux montrent que la valeur maxima du travail fourni en 1909 (840 unités de valeur) est plus élevée que le maximum de la valeur résultant du travail postérieur, celui de l’année 1912 (525). Si l’on fait aussi les calculs nécessaires pour les années 1910 et 1911 en résumant le tout dans un tableau analogue au tableau I, on obtient les chiffres suivants[21]:

Tableau IV. — Un mois de travail en l’année.

Donne pour la

période

économique

1909 1910 1911 1912
1909


1910


1911

500


760


840


580


600



300

1912 770 616 440 220
1913

1914

1915

1916

800

792

705

500

700

720

660

470

560

630

600

440

400|

504

525

400

« Le mois de travail actuel dépasse donc effectivement tous les mois futurs non seulement quant à sa productivité technique, mais aussi quant à son utilité marginale et à sa valeur. »[22]

Böhm-Bawerk tient donc pour acquis que les biens productifs actuels dépassent les biens productifs futurs non seulement sous l’aspect technique mais aussi au point de vue économique. Böhm-Bawerk en arrive aux biens actuels proprement dits, c’est-à-dire aux biens d’usage actuels en se livrant à la réflexion suivante : la possession d’une certaine provision de biens d’usage actuels permet d’utiliser des moyens de production dans les processus les plus productifs ; si l’on ne possède que des moyens d’existence réduits, on ne peut attendre longtemps la fabrication du produit. Une certaine quantité de moyens d’existence est liée à une certaine durée de production. On s’aperçoit alors que plus tôt nous sommes en possession des moyens de production mieux nous sommes en mesure d’en profiter. Si nous avons une provision de biens de consommation actuels pour une durée de 10 ans le bien de production actuel peut être utilisé durant l’ensemble de ces 10 années ; tout bien futur, au contraire, restera dans le processus de production pendant un laps de temps plus court : si nous obtenons le moyen de production après 3 ans seulement, alors le maximum du processus de production sera vieux de 10 ans moins 3, c’est-à-dire 7 ans, etc.[23]

« L’enchaînement, dit Böhm-Bawerk, est le suivant : en disposant d’une somme de moyens de consommation actuels nous couvrons notre subsistance durant la période économique en cours, ce qui libère les moyens de production dont nous disposons durant la dite période (travail, usage du sol, salaires de capital (Kapitalgehalter) alors disponibles pour les besoins techniquement plus rentables de l’avenir. »[24]

Autrement dit : étant donné que les biens productifs actuels ont plus de valeur que ceux de l’avenir et que l’existence de biens de consommation actuels favorise ce moment, ces derniers reçoivent un certain agio. La supériorité de valeur des biens productifs actuels entraîne l’augmentation de valeur des biens de consommation actuels.

Voilà pour la « troisième raison ». Avant de passer à la critique de cet argument le plus important et, selon nous, le plus scolastique, de Böhm-Bawerk, formulons brièvement une fois encore l’enchaînement de ses idées :

1° Les biens productifs actuels fournissent une plus grande quantité de produits que les biens futurs.

2° La valeur de ce produit à chaque moment donné, de même que le maximum de valeur, sont plus grands quand il s’agit de biens productifs actuels.

3° C’est pourquoi la valeur des moyens de production actuels est supérieure à celle des biens futurs.

4° Etant donné que les biens de consommation actuels permettent d’affecter les moyens de production aux opérations les plus productives, c’est-à-dire de les utiliser immédiatement pour une longue durée de temps, les biens de consommation actuels ont une valeur supérieure à celle des biens de consommation futurs.

Venons-en maintenant à l’examen critique de cette argumentation. Au sujet du paragraphe 1 : les biens de production actuels, dit Böhm-Bawerk, fournissent une plus grande quantité de produits. A titre de preuve figure le Tableau I. Pour que l’argumentation de Böhm-Bawerk tienne debout, il faut éliminer tout ce qui se rapporte aux deux premières « raisons » de surestimation des biens actuels. Il faut prendre la quantité de produits obtenue, indépendamment de la question de savoir quand elle est obtenue. Cependant, dans le tableau de Böhm-Bawerk, les séries de production s’arrêtent toutes au terme de la même année. Mais admettons que le moment où nous obtenons le produit soit sans importance pour nous, les résultats auxquels nous aboutissons sont, comme l’a montré Bortkievicz, essentiellement différents.

TABLEAU I. — Un mois de travail dans l’année.

1909 1910 1911 1912
Donne

pour

la

période

économique

1909 100 Unités

de

produit

1910 200 100
1911 280 200 100
1912 350 280 200 100
1913 400 350 280 200
1914 440 400 350 280
1915 470 440 400 350
1916 500 470 440 400

Or, si nous admettons que les séries de production des années 1909, 1910, 1911, et 1912 ont une durée égale, alors la quantité de produits sera elle aussi la même qu’en 1909 ; il n’existe pas de différence quant à la quantité de produits. La seule différence consistera alors dans le fait que cette quantité de produits, de grandeur égale, ne sera pas obtenue au même moment, c’est-à- dire : plus un moyen de production sera éloigné du moyen « actuel », plus le résultat, semblable quant à sa grandeur absolue, serait tardif.

TABLEAU l a. — Un mois de travail dans l’année.

1909 1910 1911 1912
1909 100
1910 200 100
1911 280 200 100
1912

1913

1914

350

400

440

280

350

400

200

280

350

100

200

280

1915 470 440 400 350
1916 500 470 440 400
1917 500 470 440
1918

1919

500 470

500

Tandis qu’un mois de travail de l’année 1909 fournit dès l’année 1916, 500 unités de produit, un mois de travail de l’année 1910 fournirait ces mêmes 500 unités de produit non pas en 1916, mais seulement en 1917, un mois de travail de l’année 1911 fournirait la même quantité en 1918, etc. D’où il ressort que : si nous faisons abstraction de la différence d’évaluation des produits plus précoces et plus tardifs, la quantité du produit reste la même.

A propos du paragraphe 2. Nous en arrivons maintenant à la question de la valeur du produit et de la valeur maxima. Nous avons vu plus haut que si l’on s’en tient strictement au point de vue de Böhm-Bawerk, la valeur maxima devrait résulter de la prolongation matérielle du processus de production et par conséquent aussi de l’augmentation maxima de la quantité de produits. Mais cela, Böhm-Bawerk le nie, en s’autorisant du fait que les produits fabriqués au temps de nos arrière-petit-fils n’auront pour nous presque plus de valeur du tout. Cette hypothèse sur laquelle se fondent ses calculs est méthodologiquement irrecevable : en faisant d’avance état de la sous-estimation des biens futurs (conditionnée soit par la première, soit par la seconde « raison ») nous rendons impossible l’analyse de la « troisième raison », c’est-à-dire précisément celle qui nous intéresse présentement. En réalité, Böhm-Bawerk introduit subrepticement l’effet du premier ou du deuxième facteur et ce n’est que grâce à cela qu’il obtient des résultats qu’il attribue à l’effet d’un troisième facteur. Comment, en effet, a-t-il obtenu une valeur maxima différente pour le produit des moyens de production ayant une durée de production différente ? Uniquement en diminuant à deux reprises la valeur du produit en fonction du facteur temps :

1909 5 1913 2.2
1910 4 1914 2.1
1911 3.3 1915 2
1912 2.5 1916 1.5
1909 5 1913 2
1910 3.8 1914 1.8
1911 3.2 1915 1.5
1912 2.2 1916 1

Les deux premières colonnes montrent la diminution de la valeur des biens sous l’effet des « conditions d’approvisionnement toujours meilleures », les deux autres — montrent la diminution de la valeur sous l’effet des réflexions sur la vanité de la vie humaine, etc., c’est-à-dire de la deuxième raison. Sinon, le même chiffre 5 figurerait tous les ans. Or, si nous dressons un tableau semblable au Tableau IV, en admettant pour toutes les séries verticales une diminution de valeur parallèle à l’augmentation de la quantité de produits, nous obtenons le Tableau IVa[25].

TABLEAU IV. — Un mois de travail dans l’année.

1909 1910 1911 1912
1909

1910

500

760

380
1911 840 600 300
1912 770 616 440 220
1913 800 700 560 400
1914

1915

1916

792

705

500

720

660

470

630

600

400

504

525

400

TABLEAU IV a. — Un mois de travail dans l’année.

1909 1910 1911 1912
1909 500
1910 760 500
1911 840 760
1912

1913

1914

770

800

792

840
770
800
1915

1916

705

700

792

705

800

792

770

800

1917 500 705 792
1918

1919

500 705

500

En comparant les Tableaux IV et IVa on s’aperçoit que dans le Tableau IV le maximum de « valeur » est différent (840, 720, 630, 525), mais que dans le Tableau IVa il reste le même (840). Cette différence résulte uniquement du fait que dans le Tableau IV la diminution était notée en fonction du temps, de sorte que la deuxième colonne verticale commence par un autre chiffre (380 au lieu de 500). La diminution de valeur du Tableau IV a au contraire n’est notée qu’en fonction de la quantité de produits ; les chiffres initiaux des quatre séries sont les mêmes, la quantité de produits étant elle aussi la même[26]. On comprend alors que si l’on aboutit à des résultats supérieurs en ce qui concerne la productivité économique des moyens de production actuels, cela tient uniquement à ce que les deux moments en question ont été inclus dans les calculs. On obtient évidemment le même résultat (quoique légèrement inférieur quant à la quantité), si l’on n’opère qu’avec un des deux moments (que ce soit le premier ou le second). En tout cas, il est évident qu’en tant que facteur indépendant la fameuse « troisième raison » est tout bonnement inexistante. Ce qui résout également la question relative à la valeur des moyens de production actuels et futurs (point 3).

Point 4. Admettons cependant le bien-fondé des trois premières « raisons » de la « troisième raison »», Böhm-Bawerk ne s’en trouverait pas plus avancé en ce qui concerne le passage des biens productifs aux biens de consommation. Nous savons que son argumentation sur ce point est la suivante : étant donné que les biens de production actuels ont plus de valeur que les biens futurs, les biens de jouissance actuels ont eux aussi plus de valeur que ceux de l’avenir. Les biens de jouissance sont donc considérés comme moyens de production des moyens de production, si l’on peut dire, les biens de production représentant de plus le facteur déterminant, les biens de jouissance le facteur à déterminer. Cependant, cette proposition contredit le point essentiel de toute la doctrine, à savoir que les biens de jouissance sont de nature primaire, les biens de production, d’un ordre plus éloigné, étant des grandeurs qui dérivent de leur valeur. Il s’avère donc que là encore l’explication de Böhm-Bawerk se meut dans un cercle vicieux[27]. La valeur du produit détermine la valeur des moyens de production, la valeur des moyens de production détermine celle du produit; ce qui est déjà en soi-même une contradiction. Mais sans même s’arrêter à cela, le rapport entre la détermination de la valeur des biens actuels sous l’effet de leur utilité marginale et la détermination qui résulte de la productivité technique et économique accrue des moyens de production actuels, reste toujours aussi inexplicable. A supposer que l’utilité marginale d’un certain stock de biens actuels soit de 500 ; si les deux premières raisons sont absolument inopérantes et que momentanément l’effet de la troisième ne se manifeste pas non plus, le stock futur des mêmes biens sera lui aussi de 500. Supposons encore qu’à la suite de la période de production la plus avantageuse, qui de son côté est due à l’existence de notre stock, nous ayons 800 unités de valeur, qu’en raison d’un décalage d’une année (c’est-à-dire d’un processus de production plus court) nous n’en obtenions au contraire que 700. Selon Böhm-Bawerk, on devrait alors constater une augmentation de la valeur des biens actuels par rapport aux biens futurs. C’est ce qui se produirait (nous envisageons les deux cas limites) soit si la valeur des biens actuels s’élevait au-delà de 500, ou si celle des biens futurs baissait en deçà de 500. La première de ces éventualités ne se pose pas, car cela constituerait une infraction manifeste à la loi de l’utilité marginale. La deuxième éventualité peut-elle se présenter ? Pas davantage. On ne comprend pas le moins du monde comment les biens perdraient de leur valeur pour la seule raison qu’à leur aide on ne peut pas faire une chose qui ne figure absolument pas dans « l’échelle des besoins ». C’est évidemment absurde. L’explication est très simple. L’échafaudage purement artificiel de Böhm-Bawerk suppose que les biens de consommation dépendent, quant à leur valeur, des biens de production ; les biens de consommation sont considérés en un sens comme des moyens de production en vue de la production de moyens de production. Ainsi la base même de sa construction fondamentale s’effondre définitivement. Les fondements de la théorie reposaient sur l’utilité marginale des biens de consommation, qui sont le fond primaire de toute valeur. Mais, dès que les biens de consommation sont considérés comme moyens de production, la théorie de l’utilité marginale dans son ensemble perd tout sens.

En outre, toute l’argumentation de Böhm-Bawerk relative à la « troisième raison » se fonde sur la différence de durée des processus de production : en ce cas c’est précisément de l’avantage que présentent les processus de production plus longs que l’on fait dériver le profit. Mais comme Böhm-Bawerk, nous l’avons vu plus haut, reconnaît l’insuffisance des deux premières raisons, il ne reste en définitive plus que la « supériorité technique des biens actuels » pour expliquer le profit. Cependant, il est hors de doute que même en présence des processus de production de durée égale, le profit ne cesse pas d’exister pour autant. Si (pour employer la terminologie marxiste), la composition organique du capital est la même dans toutes les branches de production, autrement dit si la composition organique du capital est la même dans chaque branche de production particulière de la composition sociale moyenne du capital, cela ne suffit nullement à faire disparaître le profit. La seule chose qui diffère de la « réalité » concrète, c’est que le taux moyen de profit est réalisé directement en l’absence de tout passage de capitaux d’une branche industrielle à une autre. D’autre part, le « profit différentiel » ou surprofit, réalisé dans une entreprise isolée qui dispose d’une technique perfectionnée, mais qui n’est pas encore devenue le bien commun de tous, ne saurait servir d’exemple au profit tout court ; car même en cas de parité technique, c’est-à-dire en tant que revenu spécifique, ce profit n’apparaît pas comme celui d’un entrepreneur pris isolément, mais comme celui de l’ensemble de la classe capitaliste. « Si tous les capitalistes — dit Stolzmann — sont capables de tirer le même avantage d’une productivité accrue, le surprofit devient impossible, la « plus-value » ne peut plus être tirée de la divergence entre des quantités de produits fabriqués sans détour capitaliste et les quantités de produits fabriqués avec ce détour. »[28]

Or, si nous considérons les mobiles des capitalistes et des ouvriers, on constate l’état de fait suivant. Pour l’ouvrier, il n’est pas question d’un choix entre l’un ou l’autre processus de production, pour la simple raison qu’en tant qu’ouvrier il n’a aucune possibilité d’accéder à une production indépendante. En ce qui concerne l’ouvrier une telle façon de poser la question est à elle seule tout bonnement absurde. Mais en ce qui concerne les capitalistes, les armes de Böhm-Bawerk se retournent contre lui- même, car : le travail, en tant que moyen de production permet au capitaliste d’emprunter n’importe quel « détour » ; les florins actuels resteraient du capital mort s’ils n’étaient pas fécondés par le travail. En d’autres termes : les « biens actuels » n’ont de sens pour le capitaliste que dans la mesure où il peut les transformer en travail, (nous faisons abstraction des autres moyens de production). S’agissant ici de la confrontation de l’argent et du travail (sans parler des biens d’usage qui, comme tels, sont absolument superflus pour le capitaliste), le travail possède du point de vue du capitaliste une valeur subjective supérieure. C’est ce qui découle du simple fait de l’échange; si le capitaliste n’avait pas avantage à acheter le travail, c’est-à-dire s’il ne l’avait pas subjectivement évalué à un taux plus élevé sur ses florins, il ne se serait pas avisé de l’acheter. Car le capitaliste envisage à l’avance le profit qu’il peut réaliser — c’est ce qui le guide dans chacune de ses évaluations.

Formulons maintenant la question d’une autre manière. Supposons qu’il s’agit de 1.000 florins actuels et futurs. Le capitaliste évaluera-t-il les 1.000 florins actuels à un taux plus élevé que les 1.000 florins futurs ? Sans aucun doute. Pourquoi ? Mais pour la simple raison que « l’argent fait de l’argent ». La supériorité accordée à l’argent comptant repose sur des opérations de crédit, donc en dernière instance sur le profit. Cet exemple caractéristique de la société capitaliste ne saurait expliquer le « revenu sans travail », car cet exemple suppose précisément celui-ci. Par ailleurs, il y a une autre manière encore de prouver que la supériorité de valeur des biens actuels ne peut servir d’explication à la formation du profit. Nous avons vu qu’en analysant la « troisième raison », l’argument principal de Böhm-Bawerk en faveur de la surestimation des biens actuels et de l’explication du profit, consiste dans le fait que les biens actuels permettent l’emploi de méthodes productives. Admettons un moment que cet avantage des biens actuels soit réel. Imaginons encore que le capitaliste, ne disposant pas d’argent comptant, soit obligé de se procurer de l’argent à intérêt, afin de bénéficier des processus de production prolongés. Il est évident que son profit ne peut s’expliquer par la supériorité de la somme actuelle sur la somme future. Ce qui démontre que la « troisième raison » est également fausse.

Nous venons d’examiner sous divers angles l’argument principal de Böhm-Bawerk, et nous avons toujours abouti au même résultat : cette argumentation repose sur des bases entièrement scolastiques, tirées par les cheveux, d’une part contraires à la réalité (l’évaluation de l’ouvrier et du capitaliste) de l’autre en contradiction avec elle-même (telle la « troisième raison », qui dérive plus ou moins des deux premières, la définition de la valeur des biens de jouissance par la valeur des biens de production et inversement, etc.). Ses efforts pour ramener le profit à la diversité technique des différentes entreprises (voies de production plus longues, plus courtes) couvrent visiblement le désir de voiler les raisons générales du profit, lesquelles tiennent à la situation de classe de la bourgeoisie — profit dont l’emploi d’une terminologie bizarre et l’argumentation scolastique, sophistiquée, ne vise pas à expliquer mais au contraire à voiler la formation.

3. Le fonds de subsistance. L’offre et la demande des biens actuels. L’origine du profit[modifier le wikicode]

Il nous reste à répondre à la question de savoir ce que sont en définitive les « biens actuels », dont l’échange contre des biens futurs — le travail — est censé être la cause de la formation du profit. A cette question Böhm-Bawerk répond par sa thèse sur le « fonds de subsistance ».

« ... Dans une économie, l’offre en avances de subsistance consiste, à peu de chose près, dans la somme totale de son état de fortune, — à l’exception des biens fonciers. Ce stock a pour fonction d’entretenir la population pendant le laps de temps qui va de la mise en œuvre de ses forces productives originelles à l’obtention de son fruit consommable, c’est-à-dire durant la période de production sociale moyenne; période de production sociale que l’on peut compter d’autant plus largement que la réserve de fortune accumulée est importante. »[29]

« Ce qui se présente sur le marché comme offre de crédits de subsistance, c’est en fait le stock entier de fortune accumulée par la société, sauf la partie insignifiante qui consomme son propre avoir. »[30]

« Le stock de fortune entier de l’économie sert de fonds de subsistance ou fonds de crédit d’où la société tire sa subsistance durant la période de production sociale habituelle. »[31]

Le « stock de fortune » total de la société comporte également des moyens de production, c’est-à-dire des éléments matériels du capital constant, impropres à la consommation immédiate, ce qui n’empêche pas Böhm-Bawerk d’incorporer ce « stock de fortune » au fonds de subsistance sous prétexte qu’il se produit une « maturation » constante des biens futurs en biens actuels.

Il faut encore préciser la position des partis, c’est-à-dire des acheteurs et des vendeurs qui font commerce des divers biens actuels et futurs. En ce qui concerne l’offre de biens actuels, Böhm-Bawerk souligne ceci : l’ampleur de l’offre de moyens de subsistance consiste dans l’ensemble des biens capitaux accumulés, à l’exception des biens fonciers et déduction faite des sommes que « dépensent à titre de prêts ou à titre définitif d’une part les possesseurs en voie d’appauvrissement, d’autre part ceux qui produisent par leurs propres moyens indépendants »[32].

« L’intensité de l’offre » est[33] telle que « pour les capitalistes la valeur d’usage subjective des biens actuels ne dépasse pas celle des valeurs futures. A la limite ils seraient donc prêts à donner pour dix florins disponibles dans deux ans, ou, ce qui revient au même, pour une semaine de travail qui leur rapporte dix florins en deux ans, près de dix florins actuels »[34].

La demande de biens actuels provient :

1° De nombreux ouvriers salariés. Une partie d’entre eux évalue son travail à 5 florins, une autre partie même à 2 florins 1/2 (!!)

2° D’un petit nombre de personnes, à la recherche de crédits de consommation, qui sont prêts à payer un certain agio pour des biens actuels.

3° D’une série de petits producteurs indépendants, à la recherche de crédits de production dont ils ont besoin pour prolonger la période de production.

Etant donné que pour tous les vendeurs, prétend ensuite Böhm-Bawerk, l’estimation des biens actuels et futurs est à peu près la même, mais que les acheteurs surestiment les biens actuels, la résultante dépend de la prépondérance numérique de l’un ou de l’autre.

Il s’agit donc de prouver « que l’offre en biens actuels doit être numériquement dépassée par la demande »[35].

C’est ce que Böhm-Bawerk essaye de prouver de la manière suivante : « Dans toute nation, fût elle la plus riche, dit-il, l’offre trouve ses limites dans l’état momentané de la fortune nationale. La demande, par contre, est une grandeur pratiquement illimitée : son degré d’accroissement est au moins égal à celui du pouvoir de rendement de la production, et même chez les nations les plus riches ce degré dépasse de beaucoup l’état de la possession du moment. »[36] La prépondérance est donc du côté de la demande. Et comme le prix de marché est forcément plus élevé que le prix offert par l’acheteur exclu de la lutte concurrentielle et qu’en outre ce prix contient déjà un certain agio pour biens actuels (la surestimation des biens actuels par les acheteurs), le prix de marché contiendra lui aussi un certain agio pour biens actuels[37]. « Intérêt et agio — dit Böhm-Bawerk — sont inévitables. »[38]

Tel est le point final de la théorie du profit de Böhm-Bawerk. Passons maintenant à son analyse critique.

Ce qui frappe avant tout, c’est le caractère artificiel et contradictoire de la notion de « fonds de subsistance ». Le « fonds de subsistance » qui est censé comprendre les seuls biens actuels, implique tout ce qui n’est pas bien foncier et article de consommation des capitalistes, c’est-à-dire qu’il implique tous les moyens de production. Böhm-Bawerk se croit autorisé à adopter cette idée du fait que les biens futurs deviennent par « maturation » des biens actuels, les moyens de production se transformant en articles de consommation. Mais ceci n’est juste qu’à demi, car les moyens de production se transforment non seulement en moyens de consommation mais également en moyens de production. Au cours du processus de reproduction sociale il faut fabriquer non seulement des biens de consommation mais aussi des moyens de production. Qui plus est, dans une reproduction élargie la part des moyens de production augmente sans cesse — par rapport au coût en travail. Il est donc tout à fait inadmissible d’éliminer le capital constant de l’analyse. Au fond, Böhm-Bawerk répète la vieille erreur d’Adam Smith relevée par Marx dans le Livre II du Capital, erreur qui consiste à décomposer la valeur de la marchandise en v (capital variable) et pl (plus-value), tout en négligeant complètement c (capital constant).

« Raison de plus — dit Marx — pour que A. Smith [Böhm-Bawerk, N.B.] ait dû s’apercevoir que la valeur des moyens de production fabriqués annuellement qui égale la valeur des moyens de production en circulation à l’intérieur de cette sphère de production — les moyens de production qui servent à fabriquer des moyens de production — c’est-à-dire une part de valeur égale à la valeur du capital constant ici employé, est une part absolument exclue ici de toute composante de valeur engendrant un revenu, non seulement en raison de la forme naturelle sous laquelle cette valeur existe, mais encore à cause de sa fonction de capital. »[39]

Cette notion du « fonds de subsistance » est plus insensée encore lorsqu’il s’agit d’une confrontation de biens actuels et futurs. Car le propos de Böhm-Bawerk est d’élucider le rapport d’échange entre les biens actuels d’une part et les biens futurs (travail), de l’autre. Les biens actuels et les biens futurs auraient dû s’opposer ici dans leur polarité ; dans cette optique le fonds de subsistance ne peut être que la totalité des biens actuels offerts sur le marché. Böhm-Bawerk lui-même a intitulé le paragraphe en question : « Le marché général des moyens de subsistance. » Aussi Böhm-Bawerk en soustrait-il fort logiquement les biens de consommation « biens actuels » — qui entrent dans la consommation individuelle des capitalistes, car sur le marché, ces biens ne font pas l’objet de la demande des travailleurs. Mais, d’autre part il inclut dans ce fonds des moyens de production, qui sont de toute évidence des biens futurs, en les opposant ensuite au travail, — bien également futur — quoiqu’il n’y ait aucun rapport entre ces deux catégories de biens. De plus, Böhm-Bawerk inclut dans la demande celle des personnes à la recherche de crédit productif, c’est-à dire des personnes dont la demande ne va pas à des biens de jouissance, mais à des moyens de production (l’ouvrier veut manger, le capitaliste veut « prolonger les processus de production »). Tout l’échafaudage prend ainsi l’aspect d’un incroyable brouillamini d’éléments hétérogènes. D’autre part, la seule raison pour laquelle les personnes qui cherchent du crédit de production peuvent être assimilées à des ouvriers, c’est que les deux catégories perçoivent l’équivalent de marchandises sous forme d’argent. C’est uniquement de ce point de vue que l’on peut dire : « Le marché de l’emprunt et celui du travail sont deux marchés où ... les marchandises demandées et offertes sont les mêmes, c’est-à-dire des biens actuels ... Ouvriers salariés et demandeurs de crédits sont donc deux branches de la même demande; leurs effets prennent appui les uns sur les autres, forment conjointement le prix. »[40] C’est seulement sur le plan de la monnaie que l’on peut considérer ces deux catégories ensemble. Car dès que l’on envisage la demande de « biens de jouissance », autrement dit le « marché des moyens d’existence », toute ressemblance entre l’ouvrier et le demandeur de crédits de production s’évanouit.

Analysons maintenant le rapport entre la demande de biens actuels et leur offre. La théorie de Böhm-Bawerk rend à ce sujet deux sons de cloche. D’une part, tout l’édifice théorique semble reposer sur l’achat de travail en tant que fait social, le profit étant dérivé de la sous-estimation des biens futurs de la part des ouvriers ; d’autre part, c’est la demande de biens actuels de la part des demandeurs de crédits de production qui en dernière instance est censée fournir l’explication du profit.

Dans le premier cas, c’est la concurrence entre ouvriers — dans le second, celle des capitalistes entre eux qui joue le rôle décisif. Cette dernière idée[41] ne résiste pas à la critique, ne serait-ce que parce qu’elle ne saurait expliquer la source du profit de la classe capitaliste ; le marché de l’emprunt, le paiement d’intérêts sur emprunt — tout cela n’est qu’une redistribution des valeurs entre deux groupes de la même classe capitaliste; mais cette redistribution n’explique pas non plus l’origine du surplus de valeur. Théoriquement, on peut imaginer une société où il n’existe pas de marché d’emprunt du tout, ce qui n’abolirait nullement l’existence du profit. Il ne nous reste donc qu’à considérer la concurrence des ouvriers entre eux comme fondement du profit. Ici les choses se présentent pour Böhm-Bawerk de la façon suivante, comme nous l’avons déjà indiqué : les capitalistes avancent aux ouvriers les moyens de subsistance (achat de travail) étant entendu que les ouvriers estiment leur travail à un taux inférieur à celui du produit futur ; d’où l’agio sur les biens actuels. La prépondérance numérique des ouvriers a pour effet de former sur le marché l’agio tiré des biens actuels. On pourrait en conclure que le profit provient justement de la position socialement faible de la classe ouvrière. Mais comme la moindre allusion à cette idée fait sortir notre professeur de ses gonds, il ne se lasse pas, en dépit des contradictions qui en résultent, d’affirmer que tous les ouvriers trouvent toujours du travail, que la demande de travail n’est nullement inférieure à l’offre, et que par conséquent on ne saurait considérer la concurrence entre les ouvriers comme la source du profit Voici un exemple de ce genre de raisonnement :

« Or, les conditions défavorables aux acheteurs peuvent être compensées par une concurrence vivace parmi les vendeurs. Si les vendeurs sont peu nombreux, ils ont en revanche plus de biens actuels à faire fructifier... C’est heureusement la règle générale dans la vie. »[42]

Mais laissons ces faux pas, si importants soient-ils au point de vue théorique. Admettons que le profit résulte malgré tout de l’achat de bien futur — du travail — et voyons comment les choses se passent dans la réalité entre capitalistes et ouvriers et comment Böhm-Bawerk se les figure. C’est ici que l’on tombe sur une réflexion qui renverse toutes les conceptions de Böhm-Bawerk : car sa théorie repose sur l’hypothèse selon laquelle le capitaliste fait au travailleur une avance ; en effet ses idées principales supposent que le travail mûrit peu à peu et que ce n’est qu’à l’état de maturité complète qu’il fournit le profit; la différence de valeur entre le coût et la recette résulterait de ce que le travail serait payé avant que ne commence le processus de travail, c’est-à-dire que ce paiement correspond à la valeur que possède le travail en tant que « bien futur ». Mais c’est précisément hypothèse, fondée sur rien, qui est contraire à la réalité. En fait les choses se passent de façon inverse : ce n’est pas le capitaliste qui avance le salaire à l’ouvrier, mais celui-ci qui avance au capitaliste sa force de travail. Le paiement ne se fait pas avant, mais après le processus de travail. Ce fait se vérifie notamment dans le salaire aux pièces, où le salaire dépend du nombre de pièces achevées. « Mais l’argent que l’ouvrier reçoit du capitaliste, il le perçoit seulement après lui avoir fourni l’usage de sa force de travail, une fois que celle-ci est déjà réalisée dans la valeur du produit du travail. Le capitaliste tient cette valeur entre ses mains avant de la payer... Elle [la force de travail, N.B.] a déjà fourni sous forme de marchandise l’équivalent payable à l’ouvrier avant que le capitaliste ne la lui paye sous forme d’argent. L’ouvrier crée donc lui-même le fonds monétaire qui sert au capitaliste à le payer. »[43]

Sans doute existe-t-il des cas où le paiement se fait à l’avance; mais d’abord ce phénomène n’est nullement caractéristique de la vie économique moderne, ensuite il n’entame en rien notre affirmation. Car s’il y a profit même lorsque le salaire est payé au terme du processus de travail, il est évident que son existence doit être due à quelque autre phénomène et nullement à la différence entre biens actuels et biens futurs.

Il faut considérer comme un phénomène de cet ordre le pouvoir social du capital, qui repose sur le fait que les capitalistes en tant que classe ont monopolisé les moyens de production, ce qui oblige l’ouvrier à céder une partie de son produit. L’inégalité sociale, l’existence d’antagonismes sociaux — voilà le fait fondamental de la vie économique moderne ; ce sont ces rapports de classes dans le domaine économique, c’est-à-dire les rapports de production, qui constituent la « structure économique », caractéristique de la société capitaliste ; toute théorie qui néglige l’analyse de cette structure est condamnée d’avance à l’impuissance. Mais la volonté de dissimuler l’antagonisme de classe est telle que la science bourgeoise moderne s’applique à échafauder mille « déclarations » insipides, à accumuler des arguments vides de sens, à élaborer des « systèmes » entiers, à exhumer des « théories » depuis longtemps oubliées, et à rédiger des monceaux de volumes — à seule fin de prouver que « dans la nature du profit... il n’est rien par quoi il pourrait paraître contraire à l’équité et à la justice ».

  1. « En règle générale, les biens actuels ont une plus grande valeur subjective qu’un même nombre de biens futurs de la même espèce. Et comme la résultante des évaluations subjectives détermine la valeur d’échange objective, les biens actuels ont aussi en règle générale une valeur d’échange et un prix plus élevé qu’un nombre égal de biens futurs de la même espèce » (Théorie positive, p. 439).
  2. En dernière instance Böhm-Bawerk ramène les dépenses effectuées pour l’achat des moyens de production aux dépenses effectuées pour la jouissance du sol et pour le travail ; « pour plus de simplicité », il s’abstient de tenir compte des premières.
  3. Böhm-Bawerk, Théorie positive, p. 440.
  4. « ...Alors le bien actuel reviendra aussi à ces derniers (aux biens futurs, N. B.) dont il tirera la valeur ; il sera alors de valeur égale à un bien futur qui pourrait dépendre de la même disposition » (Théorie positive, p. 442).
  5. Ibid., p. 443.
  6. L. von Bortkievicz, Le défaut cardinal de la théorie de l’intérêt de Böhm-Bawerk, Schmollers Jahrbücher, vol. 30, p. 947.
  7. « Le bien futur qui ne peut tirer la sienne (valeur, N. B.) que d’une... utilisation future » (souligné par l’auteur). (Böhm-Bawerk, Théorie positive, p. 442.)
  8. Stolzmann, loc. cit., pp. 306-307.
  9. Böhm-Bawerk, Théorie positive, p. 510.
  10. Ibid., p. 445.
  11. Wieser, Natürliche Wert, p. 17. Voir aussi Bortkievicz: « Défaut cardinal de la théorie de l’intérêt de BöhmBawerk », p. 949 : « ...ce qui infirme l’affirmation de Böhm-Bawerk, selon laquelle la tendance à sous-estimer la valeur des bien futurs est générale, c’est le fait que des cas contraires ne sont nullement exceptionnels ». Stolzmann s’exprime de manière analogue, loc. cit., pp. 308-309.
  12. Bortkievicz, loc. cit., p. 950.
  13. H. Lexis, Allgemeine Volkswirtschaftslehre, p. 72. Comparer Parvus, loc. cit., p. 550 : « Pour l’ouvrier la valeur actuelle du travail est une fiction, tout au plus peut-on en parler en termes mathématiques comme d’une grandeur égale à zéro. »
  14. Théorie positive, pp. 520-521.
  15. Ibid., p. 521.
  16. Ibid., p. 454 (souligné par l’auteur).
  17. Ibid., p. 457
  18. Ibid., p. 458.
  19. Ibid., p. 460
  20. Cf. aussi p. 461 du même ouvrage. Ici, Böhm-Bawerk conçoit entre autres la valeur de la somme comme une valeur unitaire, multipliée par le nombre de pièces, ce qui est contraire à sa propre théorie. Il s’efforce vainement de surmonter cette contradiction, pp. 461-462. La question appartient d’ailleurs à un autre domaine; nous l’avons examinée à l’endroit correspondant de la première partie.
  21. Le tableau IV ne diffère du tableau I qu’en ce que ce dernier donne les indications en produit, le tableau IV en valeur.
  22. Théorie Positive, p. 465. Afin de faire comprendre la position de Böhm-Bawerk, notons que sa conception de la « période de production » diffère essentiellement de la conception courante. Selon lui, cette période n’est pas la durée totale qu’exigent toutes les opérations, y compris les opérations préparatoires, car « à notre époque, où la production sans capital a presque entièrement disparu... la période de production de presque chaque bien de jouissance remonterait selon ce calcul à de longs siècles » (p. 156). « Il est plus important et plus juste de considérer le laps de temps qui s’écoule en moyenne entre la dépense des forces productives originaires successivement mises en œuvre, travail et utilisation du sol, et l’achèvement des biens de jouissance finis. La méthode de production la plus fortement capitaliste est celle qui en moyenne rémunère le plus tard la dépense de forces productives originaires qu’elle contient » (p. 157). Si la production d’une unité de bien exige en moyenne une dépense de 100 jours de travail et si, jusqu’à la conclusion du processus 1 journée a été utilisée en 10 ans et chaque journée suivante en 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2 et 1 an, et tous les autres (90) jours immédiatement avant la conclusion de tout le processus, alors la première journée de travail est rémunérée en 10 ans, la deuxième en 9 ans, etc. L’ensemble des 10 jours est rémunéré en moyenne 10 + 9 + 8 + 7 + 6 + 5 + 4 + 3 + 2+1 = 55 100 100 c’est-à-dire après 6 mois environ. Il s’agit de la période de production, c’est-à-dire qu’une unité des moyens de production de 100 jours a été utilisée dans un processus de production dont la période de production est de 6 mois. Plus la période de production est longue, plus la production est lucrative, plus la « productivité du capital » est lucrative. Lewin met fort bien en évidence la confusion et l’absurdité parfaites de cette conception : « Ce qui est particulièrement incompréhensible, c’est comment et pourquoi Böhm-Bawerk parvient à cette moyenne en calculant la période de production. L’outil qui, dans l’exemple ci-dessus, a été fabriqué 10 ans plus tôt et qui a servi à produire le bien de jouissance à présent achevé, appartient totalement et non pour un dixième, à la production de ce bien; les autres produits intermédiaires ne peuvent pas davantage être pris en compte en tant que fractions. Pour le calcul des frais, seule une partie équivalente des moyens de production entre en ligne de compte, tandis que pour déterminer la durée de production, il faut prendre en compte chaque moyen de production en entier » (loc. cit., p. 201). De sorte que la notion de période de production, sur laquelle se fondent les calculs de Böhm, n’a aucun sens. Böhm-Bawerk lui-même ne maintient d’ailleurs pas toujours cette définition.
  23. L’interprétation de Chapochnikov (loc. cit., p. 120) est analogue sur ce point. En fait, la relation entre la durée du processus de production et la quantité de provisions est plus compliquée chez Böhm-Bawerk (comparez Théorie positive, pp. 532-536); mais en l’occurrence c’est sans importance.
  24. Böhm-Bawerk, Théorie positive, p. 469.
  25. Pour plus de simplicité nous admettons le même degré de diminution que celui qui, selon Böhm-Bawerk, résulte des deux première raisons, c’est la série : 5, 3.8, 3.3, 2.2, etc.
  26. Dans ses tableaux, Böhm-Bawerk néglige entre autres de tenir compte du fait que la valeur du produit diminue à mesure que s’accroît sa quantité, c’est-à-dire qu’il fait abstraction du principe le plus important de la théorie de l’utilité marginale.
  27. Comparez Bortkievicz, loc, cit., pp. 957-958 : « En effet, la supériorité technique de biens de production actuels doit par voie indirecte, donner lieu à un agio de valeur en faveur des biens de jouissance actuels, car la libre disposition de ces derniers libère certains moyens de production en vue du service techniquement le plus lucratif de l’avenir. » L’argumentation tourne ici en rond. Car en réalité, un excédent de valeur de biens de production actuels par rapport à des biens de production futurs ne peut exister qu’en raison d’une appréciation différente de biens de production distants dans le temps, et voilà que cette différence d’évaluation doit s’expliquer à son tour par le rapport de valeur entre biens de production actuels et futurs.
  28. Stolzmann, loc. cit., p. 320; comparez aussi Bortkievicz, loc. cit., p. 943, etc.
  29. Théorie positive, p. 525.
  30. Ibid., p. 527.
  31. Ibid., p. 528.
  32. Ibid., p. 528.
  33. La partie consacrée à la valeur nous a appris que du point de vue de l'école autrichienne il est important de connaître non seulement la quantité des biens offerts, et demandés (« ampleur » de l’offre et de la demande), mais aussi les estimations subjectives d’une unité, conçue par l’un et l’autre parti (« intensité »). Seul, le résultat du rapport entre ces deux grandeurs donne lieu à des prix déterminés.
  34. Ibid., p. 538, Böhm-Bawerk reconnaît donc que les capitalistes n’évaluent pas les biens actuels à un taux plus élevé que les biens futurs.
  35. Ibid., p. 541.
  36. Ibid., p. 541. Ici, la concurrence entre capitalistes par suite du crédit à la production est considérée comme la cause principale de la formation du profit.
  37. Comparez p. 540.
  38. Ibid., p. 541.
  39. Karl Marx, Le Capital, L. II, p. 339. Cf. aussi au même endroit le chapitre sur la théorie de Smith relatif à la dissociation de la valeur d’échange en v + pl.
  40. Théorie positive, p. 524.
  41. Cf. par exemple, les pp. 541, 542, 543, 544 de la Théorie positive. Nous en laissons de côté les arguments concernant les personnes à la recherche de crédit de consommation, car Böhm-Bawerk n’attribue presque aucune importance à ces arguments. Cf. note, p. 296.
  42. Ibid., p. 575, souligné par l’auteur.
  43. Karl Marx, Le Capital, L. II, p. 355.