Révolte de Tambov
La révolte de Tambov (1920-1921) fut l'une des révoltes paysannes les plus importantes et les mieux organisées contre le régime bolchévik durant la guerre civile russe. L'insurrection eut lieu sur le territoire du gouvernement de Tambov[1], à moins de 500 km de Moscou. Un des principaux chefs de la rébellion fut Alexandre Antonov, un ancien membre du Parti socialiste révolutionnaire, ce qui amena les autorités soviétiques à qualifier le mouvement d’Antonovchtchina et ses partisans d’Antonovtsi.
Parmi les armées vertes, celle d'Antonov fut, avec celle de Makhno, la seule véritablement organisée.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
La province rurale de Tambov comptait plus de trois millions d'habitants, soit presqu'autant que Moscou et Petrograd réunies.
Au cours de l'année 1917, ce fut une des régions où les bolchéviks s'étaient le moins implantés. Elle restait très majoritairement dominée par les socialistes-révolutionnaires (SR). Une fraction bolcheviste dans le Soviet de Tambov n'apparaît que peu avant l'insurrection d'octobre.
Alexandre Antonov, membre radical du Parti socialiste-révolutionnaire, rejoignit l'aile bolchévique durant la révolution russe en 1917, avant de faire volte-face lorsque ces derniers prirent en 1918 des mesures de réquisitions de récoltes (politique appelée prodrazviorstka).
En 1920, les réquisitions furent portées de 18 à 27 millions de pouds dans la région de Tambov. Les paysans réduisirent leur production de grain sachant que tout ce qu'ils ne consommeraient pas serait confisqué. Remplir les quotas équivalait à mourir de faim.
2 Historique[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Début de la révolte[modifier | modifier le wikicode]
La révolte débuta le 19 août 1920 dans la petite ville de Khitrovo, et s'étendit très vite. Antonov débuta une série d'attaques contre les autorités bolchéviques dans la région de Tambov et devint une sorte de héros populaire parmi les masses paysannes. Il forma une armée paysanne baptisée armée bleue. Contrairement aux autres armées vertes ayant essaimé dans toute la Russie, l'armée bleue reposait sur une organisation politique : l'« Union des paysans travailleurs », d'inspiration socialiste-révolutionnaire. Un congrès élu à Tambov abolit l'autorité soviétique et vota la création d'une assemblée constituante indépendante ; il fut également décidé de donner toute la terre aux paysans[2].
Antonov met en place une organisation efficace de milices paysannes, dotées d'un système de propagande et d'un service de renseignement. Les troupes soulevées étaient très efficaces, certaines étaient même infiltrées au sein de la Tchéka[3]. En mai 1920, le Congrès régional paysan de Tambov adopte un programme insurrectionnel : abolition du Parti Communiste, convocation d'une assemblée constituante sur la base du suffrage universel, abolition des réquisitions...
2.2 Extension[modifier | modifier le wikicode]
En octobre 1920, l'armée paysanne comptait plus de 50 000 hommes, renforcée par de nombreux déserteurs de l'Armée rouge. En janvier 1921, la révolte se répandit aux régions de Samara, Saratov, Tsaritsyne, Astrakhan et de Sibérie. De janvier à mars, les bolcheviks perdent le contrôle des provinces de Tioumen, d’Omsk, de Tcheliabinsk, et d’Ekaterinbourg.
Ces troupes se constituent en unités de guérilla mobiles. Leurs activités consistent à attaquer les systèmes de communication soviétiques, leurs usines, les voies ferrés, et les détachements de l'armée rouge si la taille de leurs détachements est comparable aux leurs. Lorsque les paysans parviennent à faire prisonniers des Rouges, ceux-ci sont cruellement punis : soldats et fonctionnaires bolcheviks sont mutilés, leurs familles torturées, et les victimes sont souvent enterrées vivantes.
La révolte de Tambov fut une des raisons qui poussa les bolchéviks à remplacer la prodrazviorstka par la prodnalog. Le 2 février 1921, le parti bolchévik décida de faire circuler un avis parmi les paysans de la région annonçant le remplacement de la Prodrazviorstka. L'arrêté fut confirmé officiellement au 10e congrès du parti. Le 9 février 1921, les premiers avis circulèrent dans la région de Tambov.
2.3 Répression drastique[modifier | modifier le wikicode]
Devant la menace de l'insurrection, les bolchéviks créèrent une « Commission plénipotentiaire du comité central exécutif panrusse du parti bolchevik pour la liquidation du banditisme dans le gouvernement de Tambov ». La révolte fut écrasée par des unités de l'Armée rouge commandées par Toukhatchevsky (nommé général en avril par le le bureau politique). Le maréchal Joukov reçut sa première décoration lors de l'opération. L'insurrection était si développée que près de 30 000 soldats furent employés, dont des détachements spéciaux de la Tchéka. L'Armée rouge utilisa l'artillerie lourde et des trains blindés.
Toukhatchevsky et Antonov-Ovseenko signèrent un ordre, daté du 12 juillet 1921, qui stipulait : « Les forêts où les bandits se cachent doivent être nettoyées par l'utilisation de gaz toxique. Ceci doit être soigneusement calculé afin que la couche de gaz pénètre les forêts et tue quiconque s'y cache[3]. » Les armes chimiques furent utilisées de la fin juin 1921 jusqu'à la fin 1921, sur ordre direct du commandement de l'Armée rouge et de la direction du parti bolchevik[4]. Les publications des journaux communistes locaux glorifièrent ouvertement la liquidation des « bandits » par utilisation de gaz chimique[4].
Les autorités bolchéviques ouvrirent sept camps de concentration, où au moins 50 000 personnes furent internées, principalement des femmes, des enfants, des vieillards, certains servant d'otages. La mortalité dans les camps atteignait les 15 à 20 % par mois. En janvier 1921, Antonov recourut à la conscription afin d'augmenter ses effectifs. Il réussit à former deux armées de campagne. Ces armées consistaient en 21 « régiments », avec un effectif total estimé à entre 20 et 50000 hommes. Ces armées étaient bien structurées et organisées, et possédaient leurs propres insignes et uniformes. Cependant, les autorités soviétiques qualifièrent les Antonovtsi de bandes de koulaks désorganisées et de bandits.
Le soulèvement fut graduellement étouffé durant l'année 1921. Antonov fut tué en 1922, lors d'une tentative d'arrestation. Les pertes totales parmi la population de la région de Tambov sont estimées à 240 000 personnes au moins[4].
3 Références et notes[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ L'actuelle oblast de Tambov et une partie de celle de Voronej.
- ↑ [Robert Conquest, The Harvest of Sorrow: Soviet Collectivization and the Terror-Famine, Oxford University Press, New York, 1986 (ISBN 0-195-04054-6).
- ↑ 3,0 et 3,1 Collectif, Le Livre noir du communisme, éditions Robert Laffont, Paris, 1997 (ISBN 2-221-08-204-4).
- ↑ 4,0 4,1 et 4,2 B. V. Sennikov, Tambov rebellion and liquidation of peasants in Russia, Posev, 2004 (ISBN 5-85824-152-2).
4 Sources et bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
- Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe 1917-1921 : Armées paysannes, rouges, blanches et vertes, Éditions Autrement, Paris, 2005.