La Vie ouvrière
La Vie ouvrière est le magazine que la Confédération générale du travail (CGT) publie en France à destination des syndiqués, des salariés et plus largement de tous les publics intéressés par le syndicalisme et le monde du travail née modestement en 1909, la « revue bi-mensuelle » créée par un militant syndicaliste révolutionnaire hors norme, Pierre Monatte se perpétue plus d’un siècle après sa création, non sans changement. Elle doit cette longévité à l’organisation syndicale dont elle a été longtemps l’organe officiel, la CGT.
1 Naissance[modifier | modifier le wikicode]
Née en 1895, la CGT, très marquée par les idées libertaires, se plaçait sur le terrain de la lutte de classe et se donnait pour objectif de renverser le système capitaliste. Contrairement à la plupart des pays européens, le mouvement syndical unifié dans la CGT était dirigé par des militants en opposition au Parti Socialiste, auquel ils reprochaient son opportunisme, notamment son parlementarisme. Les syndicalistes révolutionnaires l'expliquaient par des arguments antipolitiques et antiétatiques.
A cette époque, militants et dirigeants de la CGT subissaient une répression patronale et policière systématique. Des dirigeants confédéraux se retrouvaient en prison. Le recours à la manière forte s'intensifia avec le gouvernement Clemenceau. Au cours de l'année 1907, lors des grèves des dockers nantais, des électriciens parisiens ou des ouvriers de la chaussure de Raon-l'Etape, Clemenceau lança la troupe contre les grévistes. Des ouvriers furent tués ou blessés. Le gouvernement révoqua 200 agents des Postes. Au total, cela se traduisit par 20 ouvriers tués, 667 blessés, 392 révocations et 104 années de prison. La CGT se développait pourtant, quadruplant ses effectifs entre 1902 et 1908 pour regrouper 400 000 syndiqués.
En 1909, Clemenceau, après une grève ayant donné satisfaction aux agents des postes et télégraphes, prononça révocations et mutations d'office au lendemain du 1er Mai. Une nouvelle grève se solda par une répression accrue. C'est dans ce contexte qu'un noyau de militants de la CGT, ayant pour principal animateur Pierre Monatte, et auquel participaient des dirigeants confédéraux ou de fédérations syndicales, sentit la nécessité d'armer l'avant-garde syndicale.
1.1 La vie enseigne, l'étude précise[modifier | modifier le wikicode]
Monatte et les animateurs de la revue étaient convaincus que la meilleure école reste celle de la lutte de classe. La Vie ouvrière allait rallier ceux à qui l'action quotidienne ne suffisait pas et qui recherchaient des éléments d'information et de réflexion pour mener une action cohérente et raisonnée. " On s'habitue à se nourrir des nouvelles du quotidien. On se laisse ballotter par les vents de toutes les idées contraires, sans prendre le temps de se ressaisir, de digérer ce qu'on a absorbé. Il faut réagir contre ce courant de paresse intellectuelle ", expliquait la revue. Il y avait là une critique des insuffisances des dirigeants de la CGT dont la politique s'avérait incapable de dégager une perspective claire pour la classe ouvrière.
Grâce à cet effort de clarification et de formation, les animateurs de La Vie Ouvrière furent les premiers à saisir les menaces de guerre. A l'encontre du sentiment répandu à l'époque qu'une guerre européenne était impossible.
1.2 Des internationalistes indéfectibles[modifier | modifier le wikicode]
Lorsque la guerre de 1914 se déclencha, Monatte, épaulé par Rosmer depuis 1912, et le noyau de La Vie Ouvrière restèrent isolés mais fidèles à leurs conceptions internationalistes au milieu du déferlement de chauvinisme. Mais il ne pouvait être question de continuer la publication de la revue, privée de lecteurs. En décembre 1914, Monatte démissionna du Comité confédéral de la CGT pour marquer son désaveu de la politique d'union sacrée menée par le secrétaire de la CGT d'alors, Léon Jouhaux, et la plupart des autres dirigeants. Cette opposition à la guerre devait être sanctionnée par l'envoi de Monatte au front, où il fera toute la guerre, tandis que les " dirigeants syndicalistes jusqu'au-boutistes ", restèrent planqués à l'arrière.
Les syndicalistes internationalistes découvrirent cependant qu'il n'était pas si isolés puisque les socialistes russes et serbes s'étaient prononcés contre la guerre. Des socialistes russes, exilés à Paris, faisaient paraître un quotidien malgré le harcèlement de la police et la censure. S'étant lié à Monatte, Trotski le décrit ainsi : " Ancien instituteur, puis correcteur d'imprimerie, le type même de l'ouvrier parisien par son aspect, homme de grande intelligence et de caractère, Monatte ne dévia pas une minute dans le sens d'une acceptation résignée du militarisme et de l'État bourgeois. Mais où chercher une issue ? A cet égard, nous n'étions pas d'accord. Monatte " niait " l'État et la lutte politique. L'Etat, passant outre à cette négation, força Monatte à revêtir le pantalon rouge quand il se fut prononcé ouvertement contre le chauvinisme syndical. "
Trotski se lia aussi à Rosmer, plus proche du marxisme, auprès duquel il trouva un appui solide lors de la révolution de 1917 et de la création de la IIIe Internationale. Une fois la guerre finie, Monatte, Rosmer et le noyau de militants fidèles, rejoints par une jeune génération de syndicalistes révolutionnaires, décidèrent de relancer en 1919 La Vie Ouvrière, sous forme hebdomadaire pour toucher un public ouvrier plus large. Objectif : " Redresser la CGT et défendre la Révolution russe, celle des Soviets ". La Vie Ouvrière regroupa l'aile révolutionnaire de la CGT et, quand Jouhaux expulsa celle-ci, l'hebdomadaire devint l'organe de la CGT-U, adhérente à l'Internationale Syndicale Rouge, liée à la nouvelle Internationale.
Rosmer entraîna Monatte à collaborer à L'Humanité, devenu le quotidien du jeune Parti Communiste, puis à y adhérer en 1924, puisque tous deux se reconnaissaient dans les bolcheviks : " L'État et la révolution, de Lénine nous parlait au coeur ", avait écrit Monatte. Mais Monatte et Rosmer furent très vite exclus d'un Parti Communiste qui tombait sous l'emprise stalinienne. Les bureaucrates russes qui se ralliaient à Staline préféraient disposer dans les partis communistes en cours de formation de militants dociles plutôt que de militants de la trempe de Rosmer ou Monatte, qui avaient su préserver les idées prolétariennes, internationalistes, face à la déferlante de chauvinisme engendrée par la guerre.
Le stalinisme étendit aussi son emprise sur la CGT-U. Pour lui conserver son caractère indépendant, Monatte confia la direction de La Vie Ouvrière en janvier 1922 à Gaston Monmousseau et Pierre Sémard, anciens syndicalistes révolutionnaires, ralliés eux aussi au PC, mais qui le suivirent dans sa dégénérescence stalinienne, dévoyant ainsi la publication.
Il reste que, de 1909 à 1914, puis à nouveau de 1919 à 1922, La Vie Ouvrière, revue bimensuelle puis hebdomadaire, a concentré dans ses pages ce que les militants ouvriers les plus conscients de l'époque pouvaient penser des méfaits de la société capitaliste.