Avortement
L'avortement est l'interruption d'une grossesse.
Étant donné l'ensemble des contraintes que représente une grossesse et surtout ses conséquences (charge d'élever l'enfant) qui pèse essentiellement sur les femmes, le droit à l'avortement est une revendication féministe majeure. On parle d'interruption volontaire de grossesse (IVG).
1 Tendances historiques[modifier | modifier le wikicode]
Le droit à l'avortement est à la croisée de deux facteurs : la technique (qui rend possible et plus ou moins facile l'avortement) et les normes sociales (droit à disposer de son corps).
1.1 Technique[modifier | modifier le wikicode]
Pendant les 30 glorieuses, des innovations vont potentiellement permettre la maîtrise de son propre corps, en particulier la découverte d'une nouvelle technique de contraception (la pilule), et de la méthode de Karman pour l'avortement...
1.2 Droit à disposer de son corps[modifier | modifier le wikicode]
Le corps des femmes ne leur a jamais entièrement appartenu dans l'histoire. L'interdiction de l'avortement en est une des manifestations.
Souvent, elle s'est faite au nom du natalisme, de l'importance primordiale de la procréation, enrobée idéologiquement d'une sacralité de la vie (discours religieux, condamnations morales de la sexualité pour le plaisir...).
Par ailleurs, la logique du capitalisme lui-même incite parfois les États bourgeois au natalisme. La volonté des femmes de pouvoir choisir (d'avorter, d'avoir moins d'enfants, de n'avoir aucun enfant...) entre en contradiction avec ces logiques.
Une minorité parmi les féministes de la fin du 19e siècle revendique le droit à l'avortement. Parmi elles, il y a notamment un milieu syndicaliste et anarchiste dit "néo-malthusien".
Après la révolution russe de 1917, les communistes adoptent toute une série de lois progressistes sur la famille. En 1920, l'Union soviétique devient le premier pays au monde à légaliser le droit à l'avortement. La même année, la France renforçait sa répression et criminalisait l'avortement. Cependant lorsque le régime devient totalitaire et stalinien, le tournant réactionnaire touche aussi les femmes. L'avortement est supprimé en 1936, sur fond de politique nataliste.
Le droit à l'avortement a été combat majeur du féminisme de la deuxième vague (années 1970), et a obtenu des avancées notables à cette époque. En 1967, le Royaume-Uni est le premier pays à adopter une loi autorisant l'avortement. En France, l’interruption volontaire de grossesse sera dépénalisée par la loi Veil de 1975.
Le droit à l'avortement est toujours un important sujet de bataille à l'échelle mondiale, qui conduit à une opposition entre mouvements "pro-choix" et "pro-vie". Ces dernières années, ce droit est remis en question par une véritable offensive réactionnaire à l'échelle mondiale.
En 1973, aux États-Unis, la Cour suprême décidait d'une interprétation de la constitution qui garantissait le droit à l'avortement (Roe v. Wade). En 2022, sous Donald Trump (qui a nommé des juges conservateurs), la Cour suprême renverse cette jurisprudence. Dans la foulée, 14 États ont rendu illégal l'avortement. En réaction, ailleurs dans le monde, des féministes se mettent à réclamer la protection constitutionnelle du droit à l'IVG. Le 4 mars 2024 la France est devenu le premier pays du monde à avoir constitutionnalisé le droit à l'avortement.
1.3 Rapport à la maternité[modifier | modifier le wikicode]
Les mouvements de femmes ont longtemps revendiqué la maternité comme spécificité, comme fierté, et comme source de légitimité. Par exemple, cela donnerait aux femmes une meilleure sensibilité au sort de leurs enfants, thème qui a longtemps été récurrent dans le pacifisme socialiste et communiste. La féministe Cécile Brunschvicg (1877-1946) expliquait dans les années 1920 que le premier devoir d’une femme est d’avoir des enfants.
La critique de la maternité comme source d’aliénation a néanmoins peu à peu pris en importance. Contre le natalisme et le militarisme, Nelly Roussel lance un appel à la « grève des ventres » en 1919. En 1921, Marthe Bigot parle de « servitude de la maternité »[1]. Un « féminisme de l’égalité », universaliste ou « intégral » se développe et s'oppose au « féminisme maternaliste »[2] ou « social »[3], tout en restant minoritaire.
2 Droit formel et possibilité réelle[modifier | modifier le wikicode]
Cependant, la question du droit formel ne résout pas la question du droit réel, de l'accès effectif aux moyens d'avorter. Par exemple, si les frais d'avortement sont élevées, les femmes pauvres sont moins libres d'avorter que les femmes riches. C'est pour cette raison que par exemple en France, le gouvernement socialiste français a assuré en 1982 le remboursement des frais par la SECU.
Cependant depuis plusieurs décennies l'austérité se renforce, et les coupes budgétaires massives dans la santé entraînent la fermeture de centres IVG et la dégradation des conditions d'accueil de maternité.
On voit par exemple toute l'hypocrisie des macronistes : ils veulent bien acter la constitutionnalisation du droit à l'IVG, mais pas question d'enrayer le manque de moyens dans les centre IVG.
3 Impacts sur la santé[modifier | modifier le wikicode]
Supprimer ou durcir le droit à l'avortement est nuisible à la santé des femmes enceinte, et tend aussi à causer des morts de nouveaux-nés.
Au Texas, qui a restreint le droit à l'avortement en 2021, le nombre de décès de nourrisson a notablement augmenté, parce que des femmes se retrouvent obligées de conserver des fœtus avec des malformations graves, ou parce que la mère est en situation de stress aigu face à une grossesse non désirée.[4]
4 « Droit à la vie »[modifier | modifier le wikicode]
L'attaque principale des anti-avortement est qu'il s'agirait de « meurtres » de vies humaines. Ces conservateurs se prétendent donc des défenseurs du « droit à la vie ». Cependant il s'agit largement d'une hypocrisie, car en général :
- ces conservateurs sont indifférents à de nombreuses autres vies humaines (des sans-abris qui meurent de froid, des migrant·es qui meurent aux frontières...) ;
- ces conservateurs sont hostiles à la contraception car hostiles au sexe non procréatif en général.
Néanmoins, pour parer à cet argument, les défenseur·ses du droit à l'IVG avancent en général que le fœtus n'est pas encore une vraie vie humaine. Cet argument n'est cependant pas un argument suffisamment fort en soi, car d'un point de vue scientifique, il n'existe pas de critère net pour définir une vraie vie humaine. Une autre argumentation est possible, celle proposée par Judith Jarvis Thomson. Elle montre, s'appuyant sur une expérience de pensée (avec un violoniste), que la grossesse représente un cas de sacrifice de liberté (liberté de mouvement, de disposer de son corps) qui peut être consenti volontairement, mais qui ne peut pas être moralement exigé de qui que ce soit.[5]
5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Marthe Bigot, La servitude des femmes, 1921
- ↑ Cette notion est notamment développée dans Gisela Bock et Pat Thane (dir.), Maternity and gender policies. Women and the rise of the European welfare states, Routledege, Londres et New York, 1994. Cité in Ute Gerhard, « Concept et controverses », in Gubin (et al.) (2004),
- ↑ Olive Banks, Faces of feminism, Blasil Blackwell, Oxford, 1986
- ↑ Gemmill A, Margerison CE, Stuart EA, Bell SO. Infant Deaths After Texas’ 2021 Ban on Abortion in Early Pregnancy. JAMA Pediatrics. 2024
- ↑ Monsieur Phi, LE DROIT À L'AVORTEMENT - L'argument du violoniste (J.J. Thomson) - Argument frappant, 16 oct. 2016