Anarchisme

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L'anarchisme est, comme le marxisme, un mouvement radical et révolutionnaire. Avec les marxistes-révolutionnaires, les anarchistes ont un certain nombre de points communs : ils sont révoltés contre la société pourrie que nous connaissons, ils affirment que la division en classes de la société n'est pas inévitable et éternelle, ils combattent les oppressions, il s'opposent à l'idée que les masses seraient par nature incultes et égoïstes, etc.

Mais que l'anarchisme poursuive des objectifs nobles n'implique pas qu'il se donne réellement les moyens de ses fins et qu'il soit autre chose qu'une impasse. Les marxistes estiment que les fondements théoriques de l'anarchisme sont entâchés de faiblesse qui conduisent en pratique à entraver la lutte de l'humanité pour son émancipation. Cet article constitue une présentation et une critique marxistes de l'anarchisme.

1 Les idées de l'anarchisme

Il existe plusieurs variétés d'anarchisme. Certains ont une vision de classe, d'autres pas. Certains croient dans l'efficacité de l'organisation politique, d'autres pas. Le rapport des anarchistes au syndicalisme varie selon les courants. Certains sont terroristes, d'autres pacifistes. Certains se revendiquent de Proudhon, d'autres de Bakounine, d'autres de Kropotkine... Par conséquent, l'anarchisme est une cible mouvante pour la critique. Malgré cette difficulté de méthode, il existe des constantes idéologiques qui permettent malgré tout de doter le mot anarchisme d'un contenu :

1.1 La vision anarchiste de l'Etat

Etymologiquement, le mot anarchie signifie "absence de pouvoir". Les anarchistes sont opposés à toute forme d'Etat et de gouvernement, car ils considèrent que tout Etat, c'est-à-dire tout corps spécial d'hommes et de femmes exerçant une autorité légale sur une société, est une forme d'oppression. Pour en finir avec l'oppression, pour atteindre la liberté, le pouvoir d'Etat doit céder la place à l'autogouvernement de la communauté.

On peut faire à cette conception une critique fondée sur le sens commun, c'est-à-dire sur l'idéologie bourgeoise dominante : une société sans Etat serait livrée à une guerre permanente de tous contre tous, il est naturel qu'un groupe d'individus domine les autres, etc. Cette critique est tout à fait fausse : l'anthropologie nous prouve que l'être humain peut vivre dans une société sans Etat et pourtant tout aussi organisée que la nôtre. Pendant des dizaines de milliers d'années (jusqu'à il y a 5 000 ou 2 000 ans), la société a vécu sans classe et sans Etat. Là où l'anarchisme s'embourbe, en revanche, c'est quand il s'agit d'expliquer comment on se débarrasse de l'Etat.

Les anarchistes expliquent que l'Etat sera détruit au cours d'une révolution au cours de laquelle la classe ouvrière renversera les institutions de l'Etat comme l'armée, la police, les tribunaux, les institutions parlementaires, etc. Et de fait, toutes les grandes révolutions populaires du XXe siècle ont donné lieu à des processus allant dans ce sens. Le problème est de savoir par quoi cet Etat doit être remplacé. Les anarchistes, se séparant du marxisme sur ce point, pensent que le vieil appareil étatique doit être immédiatement remplacé par une communauté sans Etat, ni gouvernement, ni autorité centrale.

Or si les révolutionnaires adoptaient une attitude conforme à ces principes, cela serait tout à fait désastreux, pour deux raisons :

  • ces principes ne prennent pas en compte la résistance des anciennes classes dominantes, qui ne reculent devant rien pour récupérer le pouvoir qu'elles ont perdus, qui seront aidées par les classes dominantes des Etats étrangers, qui saboteront l'économie, etc. Pour se défendre contre ces menées contre-révolutionnaires, le peuple a besoin de tribunaux révolutionnaires, d'une police, de prisons, etc., bref, d'un Etat révolutionnaire solide et coordonné ;
  • un Etat révolutionnaire est indispensable à l'établissement d'un nouvel ordre économique. Au cours d'une révolution, la société est encore divisée en classes, en fractions opposées les unes aux autres. Pour organiser l'économie dans son intérêt, la classe ouvrière, au lendemain d'une révolution, a besoin d'institutions qui représentant ses intérêts. Il faut aussi que des institutions prennent en charge le versement des allocations aux personnes qui en dépendent encore.

L'anarchisme est faible sur cette question. Il a un point de vue idéaliste : après la révolution, toutes les difficultés seront écartées par la seule force de la volonté pure des masses. C'est oublier que l'éveil politique et social des masses, pendant une révolution, ne peut pas être homogène. Pendant une révolution, il y a même des fractions de la classe ouvrière qui passent du côté de la contre-révolution. Pendant une grève, les travailleurs sont parfois obligés de protéger physiquement leur grève en installant des piquets de grève, pour décourager une minorité d'entre eux de saboter la grève en allant au travail. L'Etat révolutionnaire est en quelque sorte une forme plus élevée du piquet de grève.

A ces arguments, les anarchistes répondent souvent que le pouvoir corrompt, et qu'un Etat, même révolutionnaire, engendrerait inévitablement une élite privilégiée attachée au pouvoir. Or l'histoire enseigne que les travailleurs ont plusieurs fois réussi à mettre sur pied des organes de pouvoir révolutionnaires différents, par leur forme et par leur contenu, des anciennes formes de pouvoir d'Etat. Par exemple la Commune de Paris a établi que tous les fonctionnaires devaient être élus, révocables et payés comme un ouvrier. La forme du soviet, inventée pendant la révolution russe de 1905 et généralisée en 1917, permet un véritable contrôle par en bas sur les élus.

La question fondamentale est la suivante : l'Etat surgit dans certaines circonstances économiques et sociales (notamment la division de la société en classes antagonistes) et ne peut être supprimé tant que les conditions de son existence n'ont pas disparu. En refusant d'admettre qu'une nouvelle forme d'Etat est nécessaire après la révolution, l'anarchisme se voue lui-même à la faillite. Quand il est prédominant dans un mouvement révolutionnaire, c'est la révolution qu'il mène à la faillite.

1.2 La vision anarchiste de la direction

Les anarchistes sont également contre toute "direction". C'est compréhensible, dans la mesure où sous le capitalisme, toutes les formes de direction sont associées à l'arrogance, à l'arbitraire, aux privilèges. Les directions politiques des partis de gauche et des syndicats ne sont souvent guère plus attrayantes, et font partie à part entière de l'élite politique. Une direction de ce type est effectivement désastreuse : son rôle fondamental est de trahir les luttes des travailleurs. En 1968, par exemple, les dirigeants du PCF et de la CGT ont tout fait pour canaliser un mouvement potentiellement révolutionnaire et n'avancer que des revendications modestes sur les conditions de travail et les salaires.

De ce constat juste, les anarchistes concluent qu'une direction politique n'est pas souhaitable, qu'elle est toujours dangereuse. Le problème, c'est qu'elle est inévitable. Même dans les mouvements en apparence les plus informels, il y a toujours des directions de fait : dans une émeute, il y a celui ou celle qui donne le signal de l'offensive, celui ou celle qui lance le premier pavé, etc. Cela est vrai aussi pour les anarchistes qui, dans les faits, ont toujours eu des dirigeants : Proudhon, Kropotkine, Makhno, Goldmann, Voline, Cohn-Bendit en Mai 68. En refusant de reconnaître formellement l'existence de dirigeants, en réalité, les anarchistes aggravent les choses. Puisqu'ils ne sont pas élus, les dirigeants anarchistes ne peuvent pas être démis ou révoqués, ni soumis au contrôle démocratique.

L'anarchisme n'est pas capable de résoudre le problème de sa direction. A fortiori, il est incapable de résoudre le problème de la direction de la classe ouvrière dans son ensemble. En refusant de combattre organisationnellement et politiquement pour la direction de la classe ouvrière, les anarchistes laissent le champ libre aux sociaux-démocrates ou aux staliniens.

On peut résoudre le problème en affirmant que l'important n'est pas la direction, mais les masses elles-mêmes. Mais c'est un mauvais argument : on ne peut pas nier le rôle déterminant des dirigeants. Quand il existe un mouvement de masse ou une situation révolutionnaire, la politique des dirigeants peut être le facteur qui détermine une victoire ou une défaite. Pendant la montée du nazisme en Allemagne, les dirigeants du Parti communiste allemand et ceux du Parti social-démocrate ont refusé de constituer un front entre leurs deux organisations. Ce faisant, ils ont considérablement facilité l'accession de Hitler au pouvoir.

Face aux anarchistes, les marxistes doivent donc travailler à construire une direction politique qui soit :

  • authentiquement révolutionnaire ;
  • soumise au contrôle démocratique de ses partisans ;
  • imperméable aux effets corrupteurs du système ;
  • capable de reconnaître la voie que la lutte doit emprunter.

Le fétichisme anti-direction des anarchistes les rend incapables d'assumer cette tâche.

1.3 L'anarchisme et le parti révolutionnaire

Hostiles à toute direction, les anarchistes le sont aussi, logiquement, à tout parti révolutionnaire. Là encore c'est compréhensible dans la mesure où la plupart des partis de gauche sont bureaucratiques, carriéristes, conservateurs, et dans la mesure où dans les pays prétendument socialistes, les partis dits communistes ou socialistes ont été les principaux instruments de la population. Mais la construction d'un parti révolutionnaire est cruciale, tant pour mener la lutte quotidienne que pour le succès futur de la révolution. Cela pour deux raisons essentielles :

  • Pour faire face à un ennemi hautement centralisé et organisé, la classe ouvrière doit organiser ses propres forces ;
  • Il faut une organisation politique qui rassemble la minorité des travailleurs qui sont conscients politiquement, c'est-à-dire qui résistent à l'idéologie dominante, qui condamnent et combattent à la fois le capitalisme, le sexisme, l'homophobie, le racisme, etc.

Au sein des anarchistes, le courant anarcho-syndicaliste admet l'idée d'une organisation de la classe ouvrière, mais sa stratégie est encore inadéquate. A l'idée d'un parti révolutionnaire, les anarcho-syndicalistes opposent celle du syndicalisme révolutionnaire. Mais les syndicats doivent être des organisations de masse qui luttent et négocient en faveur des salariés dans le cadre des rapports de production capitalistes, et non des organisations révolutionnaires : l'idéal est que tous les travailleurs d'une entreprise, hormis ceux qui sont consciemment en faveur du patronnat, qui sont fascistes, etc. soient syndiqués, même si beaucoup d'entre eux conservent des préjugés réactionnaires,Le parti politique, lui, a un autre rôle : il doit mener la bataille pour les idées, la stratégie, la direction révolutionnaire, notamment au sein des syndicats.

Les syndicats révolutionnaires construits par les anarcho-syndicalistes sont en réalité des partis qui ne veulent pas dire leur nom. Leur confusion sur la question les empêchent de développer une stratégie et de formuler des idées claires sur les structures d'organisation.

Cependant, l'opposition des anarchistes au parti révolutionnaire se nourrit à des craintes légitimes : dans l'histoire, de nombreux partis révolutionnaires ont fini par devenir des machines bureaucratiques, autoritaires, élitistes, etc. Mais les anarchistes expliquent souvent ces tares en se référant à la soif de pouvoir des dirigeants, à l'autoritarisme inhérent à certaines formes d'organisation. Mais en réalité, tous ces défauts touchent aussi les organisations anarchistes. Les marxistes les expliquent par les pressions exercées sur les organisations ouvrières par la société capitaliste, et qui jouent à deux niveaux :

  • d'une part, l'exploitation et l'oppression subies par les travailleurs en régime capitaliste leur font perdre la confiance nécessaire en leur propre capacité à contrôler leurs dirigeants ;
  • d'autre part, le capitalisme exerce une influence corruptrice sur les dirigeants ouvriers, qui favorise la bureaucratisation des organisations.

Ces éléments sont cruciaux pour comprendre, notamment, la dégénérescence du bolchévisme en stalinisme. Les anarchistes, au contraire, voient souvent dans le stalinisme une suite logique et inévitable du bolchévisme, déjà inscrite dans les formes d'organisations du Parti bolchévik. Dans des circonstances différentes, les mêmes effets favorisent la domination des syndicats par une couche de permanents coupés de la base, ou des partis ouvriers par leurs parlementaires.

Pour répondre aux craintes des anarchistes, et faire en sorte d'éviter le plus possible les risques de dégénérescence, les marxistes doivent donc adopter quatre mesures essentielles :

  • Le parti doit s'investir dans les luttes des travailleurs. Cela permet d'exercer un contrepoids aux pressions du capitalisme ;
  • Le parti doit adopter des principes révolutionnaires, pour écarter de ses rangs les éléments carriéristes ;
  • Les postes de direction ne doivent pas être liés à des avantages matériels ;
  • Le parti doit être à la fois centralisé et démocratique (c'est-à-dire fonctionner selon les principes du centralisme démocratique). Contrairement à ce que pensent les anarchistes, le centralisme n'est pas un instrument de contrôle par le haut, mais la condition sine qua non du respect de la démocratie interne. Le centralisme, appliqué correctement, permet d'obliger les dirigeants à respecter la ligne élaborée démocratiquement.

2 Les racines sociales de l'anarchisme

Les marxistes sont des matérialistes : en ce sens, ils affirment que les idéologies ne sont pas le pur produit d'un cerveau génial, mais qu'elles sont façonnées par la position sociale des individus qui les portent. Quand une idéologie acquiert une base sociale significative, c'est parce qu'elle correspond aux circonstances, aux inspirations et aux intérêts d'un groupe social.

Quelles sont donc les racines sociales de l'anarchisme ?

Premièrement, l'anarchisme n'est pas l'idéologie de la classe capitaliste : celle-ci est attachée à son Etat, à son ordre social, etc. Mais l'anarchisme n'est pas non plus une idéologie de la classe ouvrière. D'abord, de nombreux penseurs anarchistes rejettent la classe ouvrière ou nient qu'elle puisse devenir l'agent d'une transformation sociale. Ensuite parce que les idées de l'anarchisme (individualisme, hostilité à l'organisation, rejet de l'Etat en général) sont étrangers, pour les raisons que l'on a vues, à l'expérience des travailleurs et aux besoins de la lutte ouvrière. C'est pourquoi l'anarchisme n'a jamais réussi à gagner des fractions significatives de la classe ouvrière, sauf dans le cas de l'anarcho-syndicalisme. C'est donc ailleurs qu'on doit trouver les racines sociales de l'anarchisme.

2.1 Au XIXe siècle et au début du XXe siècle

2.1.1 Petits commerçants et artisans

Au XIXe siècle, les petits commerçants et artisans étaient pauvres et opprimés, mais oeuvraient seuls, contrairement aux ouvriers qui, par nature, étaient regroupés au sein des usines dans de vastes complexes collectifs. Ils détestaient l'Etat et les capitalistes qui les opprimaient et les exploitaient, mais ils ne disposaient pas de la puissance collective de la classe ouvrière. Pour ces classes sociales, l'anarchisme exprimait le rêve d'une société égalitaire de petits producteurs.

2.1.2 Paysannerie

Comme les petits producteurs, les paysans sont opprimés par le capitalisme et, en même temps, possèdent ou aspirent à posséder leur propre parcelle de terre. Au XIXe siècle, les paysans ont donc eux aussi été l'un des terreaux de l'anarchisme, synonyme là aussi d'égalitarisme fondé sur une république des petits producteurs.

2.1.3 Paysannerie nouvellement prolétarisée

Mais ces différentes classes sociales (petits commerçants, artisans, paysans) sont des couches en déclin, condamnées par l'évolution du capitalisme. L'avancée inexorable de l'industrie moderne contraint ces producteurs indépendants à aller grossir les rangs du travail salarié. Il en résulte, au XIXe siècle, une prolétarisation massive. Ce phénomène explique la naissance de l'anarcho-syndicalisme, qui représente une sorte d'idéologie bâtarde : elle puise ses racines dans l'anarchisme, mais dans un anarchisme en quelque sorte adapté à la classe ouvrière où il se développe désormais. L'anarcho-syndicalisme accepte l'idée d'une organisation de la classe ouvrière, suffisamment pour admettre de construire des syndicats, mais pas assez jusqu'à admettre la construction d'un parti et la lutte pour le pouvoir politique. L'anarcho-syndicalisme correspond à la situation transitoire de la paysannerie (et, à un degré moindre, des petits commerçants et artisans) devenus prolétaires mais qui n'ont pas encore rompu avec ses traditions pré-industrielles.

2.2 Dans le capitalisme avancé contemporain

Aujourd'hui, la paysannerie et les artisans et commerçants ne constituent plus une force sociale assez significative pour expliquer pourquoi l'anarchisme a pu reprendre vie dans les années 1970.

2.2.1 Etudiants

La radicalisation politique des années 1970 s'est exprimée en particulier dans le milieu étudiant, dont les effectifs se sont accrus grâce à l'expansion universitaire destinée à satisfaire les besoins du boom économique d'après-guerre. Les étudiants, en sur-effectif dans les universités, ont eu l'impression d'avoir été placés sur une chaîne de production pour les besoins de l'industrie capitaliste. Leur colère en résulta. Mais ils demeuraient séparés, socialement et culturellement, de la classe ouvrière. Cet isolement par rapport à la classe ouvrière explique pourquoi la révolte des étudiants a pris des formes instables, engendrant notamment un renouveau de l'anarchisme.

2.2.2 Jeunes sans emploi

L'approfondissement de la crise du capitalisme à partir du milieu des années 1970 a fait resurgir un chômage de masse. Parmi les jeunes sans emploi est née une couche sociale nouvelle, qui n'a que très peu d'expérience d'un travail stable, détachée de la majorité de la classe ouvrière. Persécutés par la police, les propriétaires immobiliers, ces jeunes peuvent devenir des ennemis de toute autorité et de toute discipline.

2.3 Conclusion

L'anarchisme a donc principalement quatre bases sociales : les petits commerçants et artisans, les paysans, les étudiants et les jeunes sans emploi. ces catégories sociales ont en commun leur position marginale par rapport au coeur du système capitaliste. Cette position engendre la pauvreté, l'exclusion, l'oppression, et donc aussi la colère ; mais elle ôte à ces catégories le pouvoir réel de renverser les rapports de production capitalistes.