Partie II. Essai de définition du rôle d'un parti communiste

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XIII. L'ère de Noske[modifier le wikicode]

Les combats de janvier à Berlin terminent la première phase de la révolution, celle des illusions démocratiques, comme disait Rosa Luxemburg, ou, si l'on préfère, celle de la croyance en la transition pacifique vers le socialisme. Deux mois de gouvernement social-démocrate n'ont réglé aucun des problèmes que se posent les travailleurs, réalisé aucun de leurs espoirs. La paix certes est revenue. On meurt pourtant dans toutes les villes d'Allemagne. On a froid et faim comme au plus dur de la guerre. Le suffrage universel n'a par lui-même réglé aucune des difficultés économiques. Épuisée par la tension des années de guerre, ravagée par les secousses de la défaite et de la révolution, la machine semble s'effondrer. Les usines ferment et le chômage s'étend : 180 000 chômeurs en janvier à Berlin, 500 000 en mars. Il n'y a plus assez de cargos ni de wagons pour transporter des vivres qu'il faudrait acheter, mais qu'on ne peut payer. Le marché noir continue de fleurir, enrichissant les trafiquants, mais corrompant toutes les couches sociales. Un monde s'effondre qu'aucune phrase ne peut ressusciter. Qui va lui succéder ?

La classe ouvrière a vu lui échapper une victoire qu'elle croyait tenir. Derrière ceux qui étaient ses chefs reconnus, certains désignent du doigt le visage même de ses pires ennemis. L'ère des promesses et de la croyance en un avenir facile s'évanouit. On est de nouveau dans la guerre - une autre forme de guerre -, on la subit ou on la mène. Parmi les travailleurs, on ne croit plus aux arbres de la liberté ni aux embrassades générales. On ne croit plus à rien, ou l'on prend un fusil. Contre les plus farouches de ces combattants ouvriers qui vivent leur apocalypse, se dressent le patronat, le corps des officiers et ces soldats de métier qui ont choisi le métier de la guerre civile, ces hommes sans espoir qui ne savent qu'obéir et se battre, ces « réprouvés », produits, eux aussi, de quatre années de guerre.

Tel est le premier volet du tableau. L'autre, c'est que les luttes ouvrières changent de caractère à partir de janvier : moins de manifestations et de défilés, mais des grèves plus dures. Moins de mots d'ordre politiques, mais des revendications économiques fondamentales. Les travailleurs continuent, ici ou là, à se battre les armes à la main, soit parce qu'ils veulent encore s'en prendre à la presse, soit parce qu'on tente de les désarmer. jour après jour, cependant, semaine après semaine, les troupes d'assaut révolutionnaires s'amenuisent sous le poids de la défaite et de la désillusion ; les assauts s'éparpillent alors même que grandit la conscience qu'une lutte d'ensemble dirigée et coordonnée par un centre unique pourrait seule venir à bout de la détermination des classes possédantes. Mais, dans une situation où son intervention aurait été décisive et où il pouvait trouver tous les éléments d'une construction rapide, le parti communiste est pratiquement absent.

L'assassinat de Liebknecht et de Rosa Luxemburg n'est pas le seul coup qu'il ait reçu. Franz Mehring ne survit que quelques semaines au double assassinat ; sa santé altérée n'a pas résisté au choc[1]. Au même moment, Johann Knief, tuberculeux depuis les années de guerre, s'alite : il mourra en avril, après une longue agonie clandestine[2]. Radek, traqué par toutes les polices, est arrêté le. 12 février, peut craindre pendant plusieurs jours pour sa vie, mais obtient finalement la protection d'une cellule de prison et le prestige de l'homme par qui l'on peut ouvrir une discussion avec les Russes[3]. Leo Jogiches qui, une fois de plus, tente de rassembler des débris de l'organisation, échappe pendant plus de deux mois à la police qui le traque. En mars pourtant, il est arrêté et abattu, sous prétexte, lui aussi, de « tentative' de fuite »[4]. Eugen Léviné, rescapé du massacre des défenseurs de l'immeuble du Vorwärts en janvier, organisateur et tribun, partout sur la brèche, est dépêché en Bavière par la centrale et, après l'écrasement de la république des conseils de Munich, pris, jugé condamné à mort et fusillé[5].

Pour diriger ces combats politiques aussi bien que militaires, faire le coup de feu contre les corps francs, dénoncer parmi les travailleurs parti majoritaire et dirigeants syndicaux, il n'y a pas d'organisation centralisée ni même homogène, seulement des groupes, des individus, voire des tendances. Une nouvelle direction des luttes émerge, qui ne compte pas dans ses rangs de communistes. Les efforts des délégués révolutionnaires berlinois sont relayés et élargis par ceux qu'accomplissent dans les autres régions industrielles d'autres militants, comme eux en général cadres syndicaux et membres du parti social-démocrate indépendant. Lors du congrès des conseils de décembre, les contacts se sont resserrés autour des Berlinois avec des hommes qui sont les dirigeants reconnus de larges secteurs ouvriers d'avant-garde, Otto Brass, du syndicat des métallos, de la Ruhr, Wilhelm Koenen, de Halle[6]. Dans la Ruhr et en Allemagne centrale, les conseils ouvriers ont eu dès le début un caractère moins proprement politique que dans le reste du pays, mais peut-être aussi une base plus large. Ils ont en tout cas conservé leur rôle au centre de l'activité ouvrière et c'est d'eux que partent les revendications économiques. Au cours de la deuxième phase de la révolution, c'est la lutte pour la socialisation qui entraînera dans la grève, puis le combat armé, des centaines de milliers d'ouvriers, social-démocrates compris.

La vague de janvier[modifier le wikicode]

L'historien ouest-allemand Eberhard Kolb caractérise janvier comme le mois des « putschs communistes »[7]. Affirmation très répandue, mais discutable. Les putschs de janvier, dans l'Allemagne entière, ne constituent des putschs véritables que si l'on admet que le soulèvement berlinois en était un. La plupart du temps en effet l'action des militants révolutionnaires présente les mêmes caractères que celle de Berlin : offensive limitée, à moitié engagée, souvent inspirée par un réflexe de défense, elle tient plus du geste de colère que du complot et se résume le plus souvent à des manifestations armées et à des tentatives d'occupation de journaux social-démocrates ou réactionnaires. Engagée tantôt pour soutenir les révolutionnaires berlinois et tantôt pour protester contre la répression qui les frappe, elle tourne court, brisée généralement par l'action des autorités locales social-démocrates et la seule intervention des forces de police ordinaires ou des milices bourgeoises.

A Dresde, le 9 janvier, une manifestation révolutionnaire qui se dirige vers les locaux du journal social-démocrate est dispersée par la police. Le 10, nouvelle manifestation, en force cette fois, et la police tire, faisant quinze morts dans les rangs des manifestants[8]. Le surlendemain, toutes les activités du K.P.D. (S) sont interdites[9]. A Stuttgart, le 10, manifestation armée, occupation des locaux du Neue Tageblatt et publication d'un organe révolutionnaire : le lieutenant Hahn, élu des conseils de soldats, placé par les social-démocrates à la tête de la police, fait arrêter pour « complot » tous les dirigeants communistes du Wurtemberg : Edwin Hoernle, Fritz Rück, Willi Münzenberg, Albert Schreiner[10]. A Leipzig, les communistes ont pris la tête de manifestations de chômeurs, occupé l'imprimerie d'un journal pour y tirer des tracts. Le conseil des ouvriers et des soldats, à forte majorité indépendante, condamne leur action et leur fait évacuer les lieux[11]. A Duisburg, le communiste Rogg, président du conseil des ouvriers et des soldats, a autorisé et couvert la saisie d'un journal social-démocrate : il est désavoué par le conseil et révoqué[12].

Ailleurs, la partie se termine par un match nul, au moins provisoirement. A Hambourg, une manifestation des révolutionnaires aboutit au sac du Hamburger Echo, le 9 janvier. Le lendemain, alors que se déroule une puissante contre-manifestation social-démocrate, des éléments de la police arrêtent le président du conseil local, Laufenberg, et il faut l'intervention de la milice ouvrière pour arracher sa libération. Le 11, heurt entre deux manifestations, et bataille rangée place de l'Hôtel de Ville entre manifestants social-démocrates et miliciens « rouges ». Laufenberg doit promettre la réélection prochaine du conseil au suffrage universel[13]. A Halle, chacun des camps semble successivement près de l'emporter. L'armée a réoccupé les casernes, et le conseil des ouvriers et des soldats se fait protéger par une milice organisée autour des marins rouges de Meseberg. Les échanges de coups de feu sont quotidiens. Le 12, les soldats tentent un coup de main contre la « Kommandantur rouge » : ils sont repoussés. Le 16,ils arrêtent Meseberg, mais doivent le remettre en liberté le lendemain sous la menace des mitrailleuses de Ferchlandt, qui commande la garde rouge[14].

La prise du pouvoir par les éléments révolutionnaires ne se produit qu'à Düsseldorf et à Brême. A Düsseldorf, c'est la milice ouvrière, appelée «régiment de sécurité », qui prend l'initiative pendant la nuit du 9 au 10 janvier, occupe les points stratégiques, arrête les principaux contrerévolutionnaires. Le conseil élit un exécutif de cinq membres présidé par l'indépendant Karl Schmidt, tandis que le communiste Seidel prend en mains la police[15]. A Brême, le conseil ouvrier a été réélu le 6 janvier. Les indépendants ont 8 520 voix et 58 élus, les social-démocrates 14 680 et 113 élus, les communistes 7 190 voix et 57 élus. Indépendants et communistes détiennent donc de justesse la majorité absolue. Les social-démocrates refusent de siéger[16]. Après des négociations fiévreuses entre dirigeants, au terme d'une manifestation de rues, l'indépendant Frasunkiewicz proclame la république des conseils sur le territoire de Brême. Un exécutif est désigné, formé de neuf commissaires du peuple, dont quatre communistes[17]. Dès le 14, la milice ouvrière doit intervenir pour réprimer une tentative de putsch appuyée par le président du conseil des soldats. Le nouveau gouvernement révolutionnaire laisse se dérouler, le 19, les élections à la Constituante, mais durcit son attitude devant les menaces d'intervention armée : le communiste Breitmeyer prend la tête de la police[18], le conseil envoie les communistes Jannack et Karl Becker prendre respectivement contact avec les autorités révolutionnaires de Leipzig et Hambourg pour leur demander secours[19]. Noske, qui vient d'apprendre que les mineurs de la Ruhr menacent de se mettre en grève si les corps francs attaquent Brême, décide de prendre le risque : en quarante-huit heures, la division Gerstenberg reprend la ville, faisant une centaine de, victimes. Le 4 au soir, l'ordre de Noske règne à Brême[20].

Les mineurs de la Ruhr entrent en grève[modifier le wikicode]

Effectivement, à quelques jours près, la jonction pouvait s'effectuer entre Brême et la Ruhr, où l'agitation n'a cessé de grandir depuis novembre, où grèves et incidents se multiplient. A la fin de décembre, des éléments révolutionnaires, indépendants de gauche ou communistes, ont pris la majorité dans plusieurs villes, à Hamborn, Mülheim, Oberhausen notamment[21]. Les milices ouvrières s'organisent un peu partout et le premier heurt se produit avec elles devant Hagen, le 9 janvier, obligeant à la retraite le corps franc du capitaine Lichtschlag[22].

Ici, c'est la question de la socialisation qui est au centre de l'agitation ouvrière. Le congrès des conseils a décidé qu'il y serait procédé rapidement, en commençant par les mines de charbon. Le 11, le conseil des ouvriers et des soldats d'Essen, à l'unanimité, décide d'occuper les locaux du syndicat patronal et d'y installer ses propres commissions de contrôle : il s'agit pour lui des mesures concrètes d'application de la socialisation qu'il a décidée le 10[23]. Dans toute la région, les social-démocrates suivent le mouvement, les uns parce que la socialisation est une vieille revendication à laquelle ils tiennent, les autres parce que l'agitation est à son comble et que la tenue même des élections serait compromise s'ils se heurtaient à la majorité ouvrière sur cette question. Le 13 se tient à Essen une conférence régionale des conseils d'ouvriers et de soldats qui approuve l'initiative du conseil d'Essen et désigne une commission chargée de préparer la socialisation des mines[24]. C'est la « commission des neuf », qui comprend trois social-démocrates, trois indépendants et trois communistes[25]. Dans un appel commun, les représentants des trois partis invitent les grévistes, ici ou là, à reprendre le travail puisque les mines vont être arrachées aux patrons[26]. Sur proposition du communiste Hammer, il est décidé de procéder, dans tous les puits, à l'élection de représentants ouvriers afin de construire sur tout le bassin houiller la pyramide des conseils[27].

Le gouvernement Ebert fait savoir qu'il approuve les revendications des mineurs, nomme commissaires du Reich en Rhénanie-Westphalie le haut fonctionnaire Röhrig, le magnat vRégler et le syndicaliste Hué[28]. Ni Hué ni Limbertz ne dissimulent qu'il s'agit avant tout d'apaiser l'agitation ouvrière dans ce secteur vital[29] et, le 19, les élections à l'Assemblée constituante se déroulent normalement dans toute la Ruhr.

Le 19, Noske fait approuver par l'Assemblée une ordonnance organisant provisoirement l'armée, la Reichswehr : le commandement lui en est confié en tant que ministre de la guerre, les sept points de Hambourg sont abrogés, les pouvoirs de conseils annulés, ceux des officiers rétablis[30]. En même temps, il a préparé la contre-offensive et la liquidation des conseils[31]. Le 27 au soir, ceux de Wilhelmshaven, que dirige un jeune instituteur communiste envoyé de Brême, Jörn, sont écrasés par un corps d'élite, la brigade de marine du capitaine Ehrhardt[32]. La division Gerstenberg - corps franc de 3 000 hommes - se met en marche dans la direction de Brême[33]. L'émotion est immense sur le littoral et, dans tous les conseils, les représentants socialdémocrates majoritaires participent aux protestations : le quotidien social-démocrate de Hambourg prend position contre son propre exécutif en dénonçant le danger du moment :

« Le militarisme prussien est sur le point de recevoir le pouvoir l'aide duquel il peut étrangler toute la révolution »[34].

L'exécutif du conseil de Hambourg vote à une forte majorité la mobilisation - armement du prolétariat compris - et le « soutien de Brême par tous les moyens militaires »[35]. Les troupes de Gerstenberg sont àBrême le 3 ; elles ont terminé le désarmement des milices ouvrières le 5. Le 9, c'est au tour de Bremershaven de tomber[36]. Le parti socialdémocrate de Hambourg renonce à la résistance. Mais à peine la république des conseils de Brême est-elle liquidée que la Ruhr tout entière se remet en mouvement.

Le 6 février, la conférence régionale des conseils confie à Karski - que la centrale du K.P.D. (S) vient d'envoyer dans la Ruhr - la tâche de conseiller de la commission des neuf[37]. Le 7, le conseil des soldats du 70 corps d'armée, qui siège près de Munster, s'émeut des rumeurs selon lesquelles les magnats du charbon auraient conclu un accord avec Noske et versé des sommes importantes pour la « reconquête » de la région minière par les troupes du général von Watter : il décide de ne pas reconnaître l'ordonnance du 19 janvier et de se proclamer autorité suprême dans la région[38]. Sur ordre de Noske, von Watter envoie à Munster le corps franc Lichtschlag[39]. Les membres du conseil des soldats sont arrêtés et un nouveau conseil « élu ». Le corps franc marche ensuite sur Hervest-Dorten, où un notable vient d'être assassiné, et s'en empare le 15, après un bref combat qui fait trente-six morts du côté des défenseurs[40]. Le président du conseil ouvrier, le communiste Fest, accusé du meurtre sans la moindre vraisemblance, est abattu par les soldats qui l'avaient arrêté[41]. Dans l'intervalle, le 14, une nouvelle conférence régionale, à Essen, a menacé de déclencher la grève générale si les troupes du général von Watter n'étaient pas retirées de la région minière[42]. Le meurtre de Fest et l'action de Lichtschlag précipitent les événements. Une conférence, réunie d'urgence à Mülheim, des délégués des conseils les plus radicaux lance le 16 le mot d'ordre de grève générale[43].

Les social-démocrates, dirigés par Limbertz, contre-attaquent à la conférence d'Essen, le 19 février. Ils exigent avant tout débat le désaveu de la conférence de Mülheim. Battus, ils quittent la salle[44]. Les 170 délégués restants, dont 28 social-démocrates, votent pour la grève générale jusqu'au retrait des troupes. Le même jour, il y a dix-neuf morts à Elberfeld, deux à Essen[45]. Le 20, on se bat dans toute la région, à Gelsenkirchen, Bochum, Bottrop, où il y a soixantedouze morts[46]. La situation est très confuse. Le revirement de dernière heure des social-démocrates, l'intervention des troupes donnent à la répression l'avantage de la surprise. Il y avait 183 000 grévistes le 20, il n'y en a plus que 142 000 le 22. Les dirigeants régionaux des conseils, notamment l'indépendant Baade, jugent plus sage d'accepter les ouvertures du général von Watter, qui déclare se contenter du désarmement des milices ouvrières et de la reprise du travail. Les négociations, conduites à Munster, aboutissent : la fin de la grève est proclamée, l'armistice conclu. Quarante-huit heures après, le général von Watter le déclare rompu par les ouvriers, et le corps franc Lichtschlag reprend l'offensive[47]. L'élan des ouvriers de la Ruhr est pour le moment brisé.

La vague rebondit ailleurs. Le 21 février, Kurt Eisner, le dirigeant indépendant des conseils de Bavière, est assassiné par un jeune officier[48]. En apprenant la nouvelle, le conseil d'ouvriers et de soldats de Mannheim, que dirigent l'indépendant Hermann Remmele et le communiste Stolzenburg, proclame la république des conseils[49]. A Leipzig, la majorité du conseil passe aux mains des indépendants de gauche, et Curt Geyer remplace Seger à la présidence[50]. Et surtout, le 24 février, la grève générale éclate en Allemagne centrale.

La grève générale[modifier le wikicode]

Depuis décembre, les indépendants de gauche de l'Allemagne centrale, Koenen, Bernhard Düwell, les Berlinois avec Richard Müller, les gens de la Ruhr avec Otto Brass, ont tenté de coordonner leur action[51]. En fait, ils n'y parviendront pas et ne pourront réaliser le mouvement d'ensemble projeté, en l'absence d'une organisation révolutionnaire solide.

Le mouvement d'Allemagne centrale est pourtant remarquable par les efforts d'organisation et l'obstination lucide de ses dirigeants, les indépendants de gauche Wilhelm Koenen et Bernhard Düwell. Ils parviennent à rassembler autour du noyau des mineurs l'ensemble des corporations ouvrières décisives de la région, cheminots, ouvriers de l'industrie chimique, dont ceux de la Leuna où le frère de Wilhelm Koenen, Bernhard, préside le conseil ouvrier.

En janvier, ils ont réussi à organiser un conseil ouvrier régional provisoire qui, le 17, décide de placer sous son contrôle l'exploitation des mines de la région de Halle[52]. Le 27, les élections aux conseils ont lieu dans tous les puits. Le 29 se tient une conférence des conseils du district, où Wilhelm Koenen présente un rapport sur la socialisation[53]. Ainsi, pour eux, se prépare la jonction entre les travailleurs de la Ruhr et ceux de l'Allemagne centrale.

Le signal de l'action - la grève générale - devait être donné par le congrès des conseils, dont la convocation était primitivement prévue pour février, et qui, seul, aurait eu l'autorité nécessaire pour un tel mouvement d'ampleur nationale[54]. Mais le renvoi de ce congrès sous la pression des social-démocrates, les initiatives des corps francs et du général von Watter dans la Ruhr vont modifier ce plan. Et c'est au terme de la grève dans la Ruhr, au moment où les représentants de la conférence d'Essen se préparent à négocier que, réunis à Halle, les délégués des conseils d'Allemagne centrale lancent le mot d'ordre de grève générale à partifdu 24 février et appellent les ouvriers berlinois à les rejoindre[55]. La conférence, élue par les travailleurs de toutes les entreprises importantes et par nombre d'ouvriers de petites entreprises, est composée pour une moitié d'indépendants, communistes et majoritaires se partageant le reste à égalité[56]. L'objectif essentiel est la « socialisation par le bas », la «démocratisation de l'entreprise »[57]. La grève est presque totale dans le district de Halle dès le 24, et le 25, elle s'étend à la Saxe[58] : à Leipzig, les travailleurs consultés ont donné 34 012 voix pour, 5 320 contre[59]. Curt Geyer, à la tête du « comité restreint des cinq », fait occuper les points stratégiques par les milices ouvrières qui s'apprêtent à défendre la « république des conseils » et la grève[60]. Le 26 février, socialdémocrates et éléments bourgeois répliquent par une « contre-grève » : fonctionnaires, médecins, commerçants, arrêtent le travail à leur tour[61]. C'est à ce moment que Noske ordonne au général Maercker de rétablir l'ordre à Halle, afin de frapper le coeur du mouvement gréviste en train de faire tache d'huile[62] : les résultats des élections au conseil ouvrier du Grand Berlin montrent en effet que la grève risque de s'étendre à la capitale, où indépendants et communistes détiennent ensemble la majorité[63]. Les 3 500 chasseurs de Maercker sont àHalle au matin du 1" mars. Immédiatement submergés, menacés d'être dispersés et désarmés dans la foule, il se retranchent dans les casernes[64]. Le lendemain, un officier, reconnu en civil dans la rue alors qu'il effectuait une mission de renseignement, est lynché par la foule. Maercker donne l'ordre d'abattre sur place quiconque tente de résister[65]. Wilhelm. Koenen échappe de justesse à un enlèvement nocturne[66]. Karl Meseberg est moins heureux : il est arrêté par les chasseurs et disparaît. On retrouvera son cadavre le 19 : lui aussi a été abattu « au cours d'une tentative de fuite ». Depuis le 5 mars, la grève bat de l'aile Le 7, elle est terminée[67].

Or, à cette date, le mouvement vient de se déclencher à Berlin. Déjà, le 21 février, la centrale du K.P.D. (S) dans un appel publié dans Die Rote Fahne avait invité les ouvriers à se rassembler, dans les usines, dans des meetings et si possible des manifestations, afin d'exprimer leur opposition à l'intervention des corps francs dans la Ruhr[68]. Le 27 février, les ouvriers des entreprises d'Etat de Spandau appelaient à une grève de solidarité avec les ouvriers d'Allemagne centrale sur un programme de revendications minimales allant des augmentations de salaires à l'institution d'un tribunal révolutionnaire pour juger les chefs militaires et à l'élection immédiate de conseils d'usine[69]. Le 28 se réunit l'assemblée générale des conseils ouvriers de Berlin : sous la pression d'une délégation comprenant des représentants, membres des trois partis, des ouvriers de l'A.E.G. d'Hennigsdorf[70], elle commence à discuter de l'éventualité d'une grève générale de solidarité avec les grévistes d'Allemagne moyenne et du nord, mais est vite interrompue sous la pression des social-démocrates[71]. Elle élit avant de se séparer un nouveau conseil exécutif : les indépendants recueillent 305 voix, les majoritaires 271, le K.P.D. (S) 99 et les démocrates 95 : sept indépendants, sept socialistes, deux communistes et un démocrate sont élus au conseil exécutif[72]. Le nouvel exécutif, où indépendants et communistes ont ensemble la majorité, se retrouve en face du problème de la grève générale dont il est certain qu'elle n'a de chances d'aboutir que si les social-démocrates s'y rallient. Ces derniers s'efforcent d'empêcher la classe ouvrière berlinoise de se lancer dans l'action tant au moyen de propositions que de mises en garde : le 1"' mats la fraction social-démocrate à l'Assemblée nationale présente une résolution exigeant la socialisation ; le gouvernement dépose le 3 un projet en ce sens. Les représentants majoritaires des conseils ouvriers berlinois envoient le 2 une délégation à Weimar, et, le 3, dans le Vorwärts ils mettent en garde contre la grève générale[73].

Le 3 mars paraît dans Die Rote Fahne un appel signé de la centrale du K.P.D. (S), de sa fraction dans les conseils d'ouvriers et de soldats du Grand Berlin, des délégués communistes des grandes entreprises et de la direction du district du Grand Berlin[74] :

« L'heure est revenue. Les morts se lèvent à nouveau ! »[75].

Dressant le bilan des mois écoulés, il souligne :

« Les Ebert-Scheidemann-Noske sont les ennemis mortels de la révolution. ( ... ) La révolution ne peut aller de l'avant que sur le tombeau de la social-démocratie majoritaire »[76].

Dans cette perspective, il appelle les ouvriers berlinois à lancer la grève générale sur les mots d'ordre de réélection des conseils dans toutes les usines, désarmement des bandes contre-révolutionnaires, rétablissement de la liberté de réunion, constitution d'une garde rouge, retrait des troupes de toutes les zones industrielles occupées, libération des prisonniers politiques, arrestation des assassins de Liebknecht et Luxemburg, mise en accusation et jugement des chefs militaires et des dirigeants majoritaires « traîtres à la révolution » et complices des assassinats de janvier, paix immédiate et reprise des relations diplomatiques avec la république des soviets. Les responsables communistes insistent auprès des travailleurs pour qu'ils se réunissent, organisent leur grève, mènent les discussions nécessaires dans les usines mêmes :

« Ne vous laissez pas entraîner à de nouvelles fusillades ! Noske n'attend que cela pour provoquer une nouvelle effusion de sang ! »[77].

Le même jour, plusieurs assemblées générales des ouvriers de grandes entreprises de la capitale, notamment Knorr-Bremse, de Lichtenberg, votent des résolutions en ce sens. Réunies en même temps que l'assemblée du conseil berlinois, les délégations de Siemens, Spandau, Schwarzkopf, entre autres, décident d'aller ensemble exiger le lancement du mot d'ordre de grève générale. Leur pression sur l'assemblée est décisive : la décision de grève générale est prise à une très large majorité, entraînant la presque totalité des délégués social-démocrates[78]. La résolution adoptée réclame la reconnaissance des conseils, l'exécution des sept points de Hambourg, la libération des détenus politiques et d'abord de Ledebour, la levée de l'état de siège, l'arrestation de toutes les personnes liées aux meurtres politiques, l'organisation d'une garde ouvrière, la dissolution des corps francs, la reprise de relations politiques et économiques avec le gouvernement soviétique[79]. Le conseil exécutif décide que la grève sera étendue à tous les journaux, àl'exception d'un organe d'information publié sous sa propre responsabilité[80].

Dès le lendemain pourtant, les représentants communistes se retirent du conseil qui fait fonction du comité de grève. Malgré leurs protestations, en effet, Richard Müller a défendu le principe de la participation à la direction du mouvement de délégués majoritaires - qui ont voté la grève -, au nom du respect de la démocratie. Le 4, parlant pour la fraction communiste Herfurt[81] déclare :

« La grève générale est dirigée contre le gouvernement dirigé par le S.P.D. et contre sa politique. Prendre les représentants de cette politique dans la direction de la grève signifie trahir la grève générale et la révolution. Les conséquences de cette trahison sont manifestes aujourd'hui, où presque toute la presse contrerévolutionnaire paraît, en particulier le Vorwärts, tandis que la presse révolutionnaire ne paraît pas. Le parti communiste d'Allemagne refuse de porter, de quelque façon que ce soit, la responsabilité de cette trahison. Pour manifester sa plus énergique protestation, il retire ses membres du conseil exécutif »[82].

Dès le 3 mars, jour de la proclamation de la grève, le gouvernement prussien, en vue « de protéger la population laborieuse du Grand Berlin des entreprises terroristes d'une minorité et de lui éviter la famine », a proclamé l'état de siège[83]. Investi des pouvoirs civils et militaires, Noske interdit toute réunion publique en plein air, toute manifestation ou défilé, ainsi que la parution de nouveaux journaux, prévoit que toute infraction sera réprimée par les armes et passible des tribunaux militaires[84]. Dans la nuit du 3 au 4 mars, des incidents éclatent dans plusieurs quartiers de Berlin entre policiers et ouvriers[85]. Plusieurs pillages de magasins se produisent, dans lesquels les révolutionnaires et les grévistes vont dénoncer l'oeuvre de provocateurs[86]. Au matin du 4, tenant un prétexte, Noske donne aux corps francs l'ordre de marcher sur Berlin[87].

Le 4, une foule énorme se rassemble au début de l'après-midi sur la place Alexandre à proximité de la préfecture de police : la colère y monte rapidement quand parviennent les nouvelles des Incidents de Spandau : les corps francs ont désarmé les soldats qui gardaient le dépôt de mitrailleuses et des fusillades se sont produites[88]. Un détachement des corps francs de von Lüttwitz tente de pénétrer dans la foule : l'officier qui le commande est malmené, et les chars d'assaut interviennent, tirant sur la foule pour faire évacuer la place : c'est « une effroyable boucherie »[89]. Au conseil exécutif, Richard Müller, au nom des grévistes, se désolidarise des fauteurs de trouble et des auteurs de pillage. Le parti communiste, par tract, met en garde contre les tentatives de dévoyer le mouvement et de l'entraîner dans la voie des « putschs militaires »[90].

La situation s'aggrave encore le 5 mars, à la suite de l'intervention des corps francs contre un détachement de la division de marine à la gare de Lehrt. Une délégation des marins se rend à la préfecture de police, réclame la garde du bâtiment, qu'elle considère comme une garantie. Von Lüttwitz refuse. L'un des parlementaires, Rudolf Klöppel, est tué en sortant d'une balle dans le dos. L'incident est décisif : les marins, dans leur majorité, se retournent contre les corps francs et entament la lutte l'arme au poing, certains distribuant à la foule les stocks d'armes à leur disposition[91]. Le 6, les troupes de von Lüttwitz, chars d'assaut, mitrailleuses, mortier et artillerie, lancent l'assaut contre le Marstall et le bâtiment de la division marine[92]. Le parti communiste, par tract, souligne que les combats armés sont le fait des marins et de certaines unités de la défense républicaine qui ont en janvier, frappé les travailleurs dans le dos :

« Nous luttons pour le socialisme et contre le capitalisme, et leurs chefs luttent pour leurs postes militaires contre leurs employeurs avec qui ils se sont brouillés. C'est tout cela et plus encore qui nous sépare d'eux. Entre eux et nous n'existe aucune solidarité politique »[93].

Le même jour, l'assemblée du conseil des ouvriers connaît d'orageux débats. Les indépendants proposent de durcir la grève en l'étendant à la fourniture de l'eau, du gaz et de l'électricité. Les délégués socialdémocrates s'y opposent violemment : mis en minorité, ils quittent l'assemblée, démissionnent du comité de grève, lancent un appel à la cessation de la grève' qu'ils diffusent par tracts et affiches[94]. La commission des syndicats de Berlin, dominée par les majoritaires, prend position dans le même sens. Les uns et les autres dénoncent une mesure qu'ils jugent « aventuriste », dont ils disent qu'elle ne frappera que les quartiers ouvriers et qu'elle y rendra la grève impopulaire. La majorité est réduite. Richard Müller, à son tour, démissionne du comité de grève[95]. La riposte des troupes de von Lüttwitz est immédiate : ils occupent les centrales qui alimentent les quartiers bourgeois et y font rétablir le service par les soins de l'organisation de briseurs de grève, la Technische Nothilfe[96]. La grève est vaincue, aussi bien par Noske que par la défection des socialdémocrates. Le 7, l'assemblée générale des conseils se déclare favorable à la reprise du travail à cinq conditions : pas de sanction pour faits de grève, libération des détenus pour faits de grève, évacuation des usines occupées militairement, retrait des corps francs de Berlin, levée de l'état de siège et dissolution des tribunaux militaires d'exception[97].

Le 8 au matin, les combats ont cessé à peu près partout marins et francstireurs ouvriers ont été chassés du centre de la capitale où ils ont pendant quelque temps tiraillé des toits. Le comité de grève, admettant la défaite, lance l'ordre de reprendre le travail sans conditions, après des pourparlers infructueux avec Noske[98]. Le dernier secteur où l'ordre ne soit pas complètement rétabli est celui de Lichtenberg, et des bruits alarmants ont déjà circulé sur le sort de sa garnison. Dans la matinée du 9 mars, la rédaction berlinoise de la Berliner Zeitung am Mittag est prévenue par un haut fonctionnaire militaire que la direction de la police de Lichtenberg a été prise d'assaut et ses soixante-dix occupants sauvagement massacrés. Comme le rédacteur en chef hésite à publier une telle nouvelle, il reçoit un second coup de téléphone du conseiller Doyé, un des principaux fonctionnaires du ministère de l'intérieur, qui confirme l'information et demande sa publication immédiate, au besoin dans une édition spéciale. La vérité est que cinq policiers ont trouvé la mort au cours de bagarres de rue[99]. Mais Noske saisit l'occasion tendue et vraisemblablement bien préparée ; il fait placarder sur les murs de Berlin l'avis suivant :

« La brutalité et la bestialité des spartakistes qui luttent contre nous m'obligent à donner l'ordre suivant : toute personne prise les armes à la main dans la lutte contre le gouvernement sera fusillée séance tenante »[100].

Le soir et le lendemain, 10 mars, la presse se déchaîne contre les « assassins ». Le Vorwärts déclare que cette décision est « l'unique réplique possible aux atrocités de Lichtenberg »[101]. La garde montée, dans un ordre du jour, annonce qu'elle fusillera sur place toute personne chez qui on aura trouvé des armes[102]. Ainsi orchestré, le véritable massacre, le seul de cette semaine sanglante, commence, perpétré précisément par ceux qui dénoncent celui, imaginaire, de Lichtenberg. Noske admettra dans ses mémoires le chiffre de 1200 victimes civiles[103] ; les révolutionnaires pensent que le nombre réel était proche de 3 000, dont plusieurs centaines de fusillés sans jugement[104]. Le prétendu « massacre de Lichtenberg » a son pendant, malheureusement authentique, lui, dans l'exécution à la mitrailleuse de vingt-neuf marins, arrêtés par surprise au moment où ils venaient chercher leur solde[105]. L'exécuteur, le lieutenant Marloh, les a choisis pour « leur air intelligent » parmi plusieurs centaines de prisonniers, après avoir reçu du colonel Reinhard l'ordre d'en fusiller « cent cinquante si nécessaire »[106]. Noske écrira :

« Un fait aussi triste ne pouvait se produire que dans une atmosphère saturée de sang »[107].

Dans la masse des victimes anonymes se retrouve Leo Jogiches, arrêté le 10 mars et abattu pour « tentative de fuite » par le brigadier Tamschik, chef de poste de police[108].

La liquidation des derniers foyers[modifier le wikicode]

La Ruhr avait repris le travail au moment où l'Allemagne centrale se mettait en grève. La grève commençait à Berlin quand les ouvriers d'Allemagne centrale revenaient vers les usines et les mines. Au moment même où s'éteignent dans la capitale les derniers combats, la Ruhr entre de nouveau en ébullition.

Dès le début de mars, les social-démocrates qui avaient quitté la commission des neuf aussitôt après les élections lancent une violente campagne contre elle et en particulier contre Karski[109], accusé de la conduire au nom des intérêts bolcheviques à un sabotage des houillères, puisque appelant à la grève au moment même où vient d'être acquis le principe de la nationalisation[110]. En même temps, gardes bourgeois et corps francs s'emploient à réduire les noyaux ouvriers les plus durs[111]. Mais la température remonte pendant tout le mois de mars, dans les mines et la métallurgie[112]. Le syndicat des mineurs menace d'exclure ceux qui participeraient à la conférence des conseils convoquée à Essen pour le 30 mars[113]. Les 475 délégués, représentant 195 puits, décident, contre huit opposants, et en considération de la trahison du mouvement de janvier par l'organisation syndicale, de fonder une nouvelle organisation, l'Union générale des mineurs. Ils décident à l'unanimité la grève des mineurs le 1- avril sur les revendications mêmes qui étaient celles de la grève berlinoise de mars[114]. Ils élisent un conseil central de neuf membres, cinq indépendants, dont Teuber, et quatre communistes[115]. La grève générale se prolongera dans la Ruhr pendant tout le mois d'avril et sera marquée par « une répression simple et sanglante », comme dit Rudolf Coper[116]. Le 7 avril, le social-démocrate Severing est nommé commissaire du Reich[117]. Le 9. Lichtschlag fait arrêter les neuf à Essen[118]. Une vive opposition se manifeste dans toutes les réunions du syndicat des mineurs, le nombre des grévistes augmente, passant de 158 592 au 1" avril à 307 205 le 10, selon le syndicat « majoritaire ». Le 15, les corps francs entrent l'arme au poing dans la salle où se réunit la nouvelle direction clandestine de la grève, tirent sur les délégués qui s'enfuient, arrêtent les autres. Il y a quarante-cinq morts à Düsseldorf, des expéditions punitives contre Hagen et Remscheid, à Dortmund et Bochum, où sont réprimées des émeutes de la faim. La résistance des populations, terriblement touchées, faiblit : il n'y a plus que 128 776 mineurs grévistes le 20 avril, et le mouvement meurt lentement[119]. Au début mai, l'ordre de Hugenberg, Vögler, Krupp et Thyssen règne à nouveau dans la Ruhr.

Il va bientôt régner sur toute l'Allemagne. Le 6 avril, le gouvernement socialiste a fait arrêter à Magdebourg Alwin Brandes, dirigeant indépendant et deux de ses camarades. Les milices ouvrières, le « régiment de la garde » que dirige Artelt, chef des mutins de Kiel en novembre, riposte en arrêtant deux otages, le ministre Landsberg et le général von Kleist[120]. Les troupes du général Maercker marchent sur la ville qu'elles occupent le 10, dispersant une manifestation ouvrière en faisant sept morts[121], libérant les otages, désarmant les miliciens, arrêtant les dirigeants indépendants[122].

Le 12, pourtant, elles plient bagage, laissant sur place trois bataillons, et prennent la direction de Brunswick, où le conseil, sous l'impulsion de l'indépendant Sepp OErter, dispose de milices solides et où vient de se déclencher une grève des cheminots[123]. Renforcés par la brigade de marine du capitaine Ehrhardt, les chasseurs lancent l'attaque le 17 au matin, et la ville tombe sans résistance[124]. Les principaux dirigeants révolutionnaires sont arrêtés, mais Eichhom et Dorrenbach, réfugiés à Brunswick au lendemain des journées de janvier, échappent pour la seconde fois aux corps francs[125].

Bientôt va venir le tour de la Saxe ouvrière. Le 12 avril, une manifestation de mutilés de guerre, à Dresde, dégénère en violences : Neuring, l'ancien président du conseil des ouvriers et des soldats de la ville, ministre de la guerre du gouvernement saxon, refuse de discuter de leurs revendications avec une délégation qui comprend un communiste. Il est lynché et jeté à l'Elbe[126]. Noske proclame l'état de siège[127]. De Magdebourg, le général Maercker envoie le lieutenant-colonel Faupel, avec 1500 hommes, mais ce dernier va se contenter de tenir fermement Dresde, car il estime ses effectifs insuffisants[128]. Son arrivée provoque le durcissement des dirigeants de Leipzig : sous la poigne énergique d'un « comité des cinq », qu'animent Curt Geyer et son camarade de parti le syndicaliste Arthur Lieberasch, ils se préparent à une résistance qui prévoit la proclamation de la grève générale à la première attaque[129]. Leipzig, que l'on dit protégée par 60 000 miliciens ouvriers armés, est parfaitement calme[130]. Die Rote Fahne et la centrale du K. P. D. (S) y ont cherché refuge. Le 10 mai, estimant le danger écarté, les « cinq »annoncent la levée du dispositif d'alerte. La nuit suivante, les chasseurs de Maercker entrent par surprise et occupent la ville, où ils brisent énergiquement la grève générale de protestation[131]. Sur leur élan, ils prennent Eisenach le 19 mai[132] et réussissent à y capturer Dorrenbach, qui sera abattu à la prison de Moabit, dans les mêmes conditions que Jogiches et par le même gardien[133]. Puis ils réduisent Erfurt, que dirigeait le conseil ouvrier sous l'indépendant Petzold[134].

A cette date, pourtant, le centre de leur activité s'est tourné vers la Bavière. L'assassinat de Kurt Eisner y avait ouvert une période de confusion extrême, sous l'égide du gouvernement du social-démocrate Hoffmann. Le 7 avril, la république des conseils est proclamée à Munich par une curieuse coalition dans laquelle figurent indépendants, anarchistes et même le ministre majoritaire Schneppenhorst. Aucune explication entièrement satisfaisante n'a pu être don-née de cette étrange initiative, et la thèse de la provocation ne peut encore être absolument écartée. Les communistes de Munich, récemment réorganisés sous la direction énergique d'Eugen Léviné[135], dénoncent cette « mascarade », cette « pseudo-république des conseils » sans autre perspective qu un combat inégal et qui va fournir un opportun prétexte à l'intervention des corps francs.

Il est dans ces conditions difficile de comprendre pourquoi, en riposte àune tentative de putsch contre-révolutionnaire à Munich le 13 avril, les communistes prennent à leur compte la défense du pouvoir des conseils à Munich[136], alors que les perspectives ne sont pas fondamentalement modifiées par le fait que les communistes se sont assuré la majorité dans les conseils d'usine de la capitale bavaroise. Un comité exécutif, dirigé par Léviné, prend en main l'organisation d'une défense sans espoir[137]. Un succès de P « armée rouge » bavaroise, que dirige le poète Ernst Toller, décide le gouvernement Hoffmann à faire appel aux corps francs. Les révolutionnaires munichois, déchirés jusqu'au dernier moment par des querelles, qu'ils tentent de régler à coups de putsch, se battront avec acharnement contre les hommes du général von Oven, parmi lesquels se distingue la brigade de marine Ehrhardt. Les soldats nettoient au lanceflammes les derniers îlots de résistance[138].

L'exécution, au cours des dernières heures, de dix conspirateurs monarchistes, et l'arrestation comme otages de plusieurs centaines de notables de la ville sur ordre du jeune commandant communiste de l'armée rouge Rudolf Egelhofer, serviront à alimenter la légende des exécutions massives d'otages par ces nouveaux « Communards », et joueront ici le même rôle que le « massacre de Lichtenberg » à Berlin. Plusieurs centaines de révolutionnaires bavarois sont exécutés sans jugement, dont Egelhofer et Gandorfer, Landauer étant battu à mort. Toller et Mühsam, le poète anarchiste, sont condamnés à de lourdes peines. Quant à Léviné, présenté comme un agent bolchevique, il est jugé par une cour martiale, condamné à mort et fusillé[139]. C'est devant ses juges qu'il prononce la phrase célèbre : « Nous autres, communistes, sommes tous des morts en sursis ! »[140].

Pendant des années, la propagande de la grande presse et de la droite fera de la révolution munichoise l'épouvantail du grand soir où se déchaînent les criminels de droit commun et Munich, bastion de la réaction, sera le berceau du nazisme.

Avec la république des conseils de Munich, la révolution allemande commencée le 7 novembre 1919 semble avoir jeté ses derniers feux. En réalité, c'est toute la vague révolutionnaire d'après guerre qui reflue sans avoir débordé au-delà des territoires des pays vaincus. Avec elle disparaissent les illusions nourries pendant cette période sur la facilité de la prise du pouvoir.

La proclamation pacifique de la république soviétique de Hongrie avec Béla Kun le 21 mars 1919 avait semblé un moment indiquer que la révolution européenne allait s'étendre comme une tache d'huile. Dans l'Autriche couverte de conseils ouvriers où les social-démocrates refusent, eux aussi, de revendiquer le pouvoir pour les conseils et se rallient à l' « Assemblée nationale »[141], le parti communiste semble progresser à pas de géant, passant entre mars et mai de 10 000 à 50 00 membres[142] ; une république soviétique slovaque est proclamée[143]. Mais ainsi que l'écrit Yvon Bourdet,

« par leur refus de prendre le pouvoir-, les socialistes autrichiens interrompaient la chaîne de la révolution sociale ; s'ils avaient agi autrement, les trois républiques prolétariennes se seraient réciproquement renforcées et auraient sans doute provoqué un élan révo lutionnaire irrésistible qui se serait propagé dans l'Europe entière »[144].

Ni les communistes autrichiens ni les communistes hongrois ne sont à même de comprendre cette donnée de fait. Béla Kun - à qui pourtant les communistes russes reprocheront plus tard l'unité réalisée avec les socialdémocrates hongrois - tente de forcer à Vienne le cours de l'histoire. A la mi-mai, son émissaire, Ernst Bettelheim, néophyte zélé à l'image des gauchistes allemands, arrive à Vienne, muni de fonds importants et prétendant agir au nom de l'Internationale communiste. Le 26 mai, il obtient d'un comité central élargi la formation d'un « directoire » de trois membres chargé de préparer la prise du pouvoir. Le « comité des soldats révolutionnaires » qu'il inspire prépare l'insurrection pour le 15 juin, terme fixé par la commission d'armistice pour une réduction massive des effectifs des milices ouvrières[145]. Mais, Le 13, les dirigeants socialdémocrates, ayant eu vent du complot, commencent leurs préparatifs préventifs. Otto Bauer, qui est secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, obtient des Alliés qu'ils renoncent à la clause du désarmement partiel des milices, lequel procurerait à l'insurrection des troupes armées de miliciens redoutant le chômage[146]. A l'initiative de Friedrich Adler, le conseil ouvrier de Vienne - où les communistes ne constituent qu'une minorité, le dixième environ - condamne l'insurrection projetée et, le soir même, malgré Bettelheim, le directoire communiste la décommande[147]. C'est en vain que Béla Kun télégraphie que « tout est prêt » et qu'il s'agit d'une « question de vie ou de mort »[148]. Les dirigeants communistes décident d'organiser, à la place de l'insurrection prévue, une grande manifestation. Mais l'arrestation dans toutle pays de plusieurs centaines de militants communistes dans la nuit du 14 au 15 va transformer cette manifestation, le 15, en émeute, faisant vingt morts et des centaines de blessés[149].

La défaite de Vienne condamne la « Commune de Budapest ». Aux prises avec des difficultés insurmontables dans le domaine économique, manquant d'expérience, pris à la gorge par l'opposition des paysans à des mesures de communisme de guerre, par une contre-révolution sûre de ses appuis extérieurs, serré de près par les armées alliées qui ont des agents jusque dans ses étatsmajors, le gouvernement de Béla Kun finit par démissionner le I° août entre les mains du soviet de Budapest. Quelques jours après, les troupes roumaines entrent dans la capitale hongroise, où s'installe le gouvernement de l'amiral Horthy : la terreur blanche commence[150].

L'ordre règne de nouveau dans toute l'Europe centrale : la jonction ne s'est pas réalisée entre les révolutions allemande, autrichienne et hongroise, et la révolution russe. Pourtant, dans toute l'Europe - et particulièrement en Allemagne - se poursuit l'organisation des révolutionnaires commencée pendant la guerre et dont le retard apparaît à beaucoup comme l'une des causes essentielles de cette sanglante défaite.

XIV. Stabilisation en Allemagne et révolution mondiale[modifier le wikicode]

Pendant que se réglait en Allemagne à coups de fusil et de lance-flammes la première phase de la révolution, l'Internationale communiste prenait corps. Dès le lendemain de la révolution de novembre, en effet, les bolcheviks cherchaient à en poser les fondements. La fondation du parti communiste allemand constituait pour eux la condition nécessaire et suffisante de son existence[151] et sa proclamation était la première tâche concrète à accomplir. Les délais nécessaires à la circulation des écrits et des hommes allaient pourtant remettre cette fondation formelle au lendemain de l'assassinat des vériables fondateurs du parti allemand.

Au mois de décembre, Edouard Fuchs, avocat, membre de la Ligue Spartacus, parvient à Moscou, porteur d'une lettre adressée par Rosa Luxemburg à Lénine[152]. Quelques jours plus tard, ce dernier prend les premières initiatives qui vont aboutir à la réunion de la conférence socialiste internationale qui se proclamera congrès de fondation par l'Internationale communiste[153]. Pourtant la voie n'est pas directe. Rosa Luxemburg, acquise a l'idée de la nécessité historique d'une nouvelle Internationale, jugeait en effet que le moment n'en était pas encore venu. Deux jours avant le congrès de fondation du K.P.D. (S), elle avait, au témoignage d'Eberlein, exprimé son opposition à toute proclamation immédiate :

« L'existence d'une nouvelle Internationale révolutionnaire capable d'agir était subordonnée à celle de plusieurs partis révolutionnaires en Europe occidentale. ( ... ) La fondation de l'Internationale, alors qu'il n'y avait en Occident qu'un seul parti communiste, et de fondation récente, ne ferait qu'affaiblir l'idée d'une Internationale révolutionnaire »[154].

Ce point de vue, défendu après l'assassinat de Rosa Luxemburg par Leo Jogiches, prévaut à la centrale quand, début janvier, elle se concerte sur la réponse à donner à l'invitation du parti bolchevique pour la conférence internationale de Moscou[155]. Les délégués qu'elle mandate pour s'y rendre[156] reçoivent mandat de voter contre la fondation de la nouvelle Internationale, reçoivent même - si l'on en croit Ernst Meyer[157] - instruction de quitter le congrès si elle devait être proclamée en dépit de l'opposition du parti allemand. Compte tenu des difficultés de communications et des tâches qui accablent la direction du jeune parti, Eberlein sera finalement le seul à atteindre Moscou où , sous le pseudonyme de Max Albert, il participe aux travaux de la conférence et prend position contre une fondation que son parti estime prématurée[158]. Il raconte :

« Les camarades russes, Trotsky, Boukharine, Racovski surtout, s'efforcèrent de me convaincre de la nécessité d'une action immédiate. ( ... ) Lénine décida finalement que, si le parti allemand maintenait son opposition, la fondation de l'Internationale serait différée »[159].

Apparemment, un hasard devait en décider autrement. Une intervention enflammée du communiste autrichien Steinhardt, arrivé après l'ouverture et décrivant la montée révolutionnaire en Europe centrale, un nouvel appel passionné de Racovski, la nouvelle, peut-être, de l'assassinat de Leo Jogiches, et surtout la pression de cette assemblée ardente parviennent à fléchir Eberlein, qui se contente de s'abstenir lors du vote décisif[160]. L'Internationale communiste est fondée. Elle a comme président Zinoviev et comme siège Moscou, deux faits dont personne, sur le moment, n'entrevoit la portée, car chacun pense la même chose que Trotsky :

« Si aujourd'hui Moscou est le centre de la III° Internationale, demain - nous en sommes profondément convaincus - ce centre se déplacera vers l'ouest, à Berlin, Paris, Londres. Si c'est avec joie que le prolétariat russe a accueilli dans les murs du Kremlin les représentants de la classe ouvrière mondiale, c'est avec plus de joie encore qu'il enverra ses représentants au 2° congrès de l'Internationale communiste dans l'une des capitales d'Europe occidentale. Car un congrès communiste international à Berlin ou Paris signifiera le triomphe complet de la révolution prolétarienne en Europe et probablement dans le monde entier »[161].

Pour les militants bolcheviques comme pour la majorité des militants révolutionnaires dans le monde, la révolution allemande n'a pas péri au cours des premiers mois de 1919, et va resurgir dans toute sa puissance. Le seul problème est celui du délai.

L'appréciation de Radek[modifier le wikicode]

De tous les dirigeants bolcheviques, Karl Radek est le seul à avoir une connaissance directe de la première phase de la révolution allemande, dont il a été en partie le témoin. Son régime de détention s'étant assoupli, il écrit de sa cellule le 11 mars à l'écrivain Alfons Paquet, à l'époque en voyage en Russie soviétique. Après avoir dit qu'il était hostile au soulèvement de janvier - « La prise du pouvoir politique n'est pas possible si nous n'avons pas derrière nous la majorité de la classe ouvrière »[162] -, il insiste sur ce qui l'a le plus frappé dans le cours de la révolution allemande. Les masses se sont instinctivement orientées vers l'organisation des conseils ouvriers, vers les formes proprement soviétiques. Le phénomène est d'autant plus remarquable qu'aucune propagande réelle n'avait été menée en profondeur en faveur des conseils. Dans de telles conditions, selon lui, la défaite de la révolution ne peut être imputée aux masses elles-mêmes, mais seulement aux conditions dans lesquelles elles ont dû se battre, en l'occurrence, à l'absence d'organisation :

« Il manque en Allemagne un grand parti révolutionnaire : les communistes sont d'abord une direction, mais non un parti avec une tradition, comme nous l'étions nous, en Russie, en 1917 »[163],

La comparaison avec la révolution russe permet de mieux saisir à son sens les problèmes spécifiques de la révolution allemande en cours :

« jamais nous n'avons eu à livrer des combats comme ceux de janvier ou ceux d'aujourd'hui, où l'on sacrifie de façon absurde tant de sang et tant de richesse ; nous avions de l'autorité dans les masses, nous les tenions en mains. Les communistes allemands, eux, ne les tiennent pas encore et c'est ce qui a signifié fusillades et déchaînement. Nous avions avec nous des organisations de masses, des syndicats, révolutionnaires depuis leur création ou nés de la révolution ellemême. Les syndicats allemands, orgueil de la classe ouvrière allemande, résumé de son génie d'organisation, étaient nés à une époque de marasme politique et de développement économique ; ils étaient donc réformistes. La puissance de l'organisation n'a pas été construite au cours de la révolution, et celle-ci, avant de s'être donné des organisations nouvelles, disperse ses forces de façon chaotique. Pis, les organisations dont la classe ouvrière allemande a hérité se placent aux côtés de la bourgeoisie, constituent la base de la contre-révolution. Voilà pourquoi la révolution est un élément sauvage, déchaîné. Et encore ceci : nous avons marché au pouvoir par la voie de la lutte pour la paix, et l'armée était avec nous ; la bourgeoisie ne pouvait pas, comme elle le fait en Allemagne, frapper grâce à l'appui de mercenaires. Et, finalement, la bourgeoisie en Allemagne, est bien plus forte qu'elle ne l'était en Russie »[164].

Cette situation ne signifie pas, à ses yeux, que la révolution n'a pas de chances de vaincre en Allemagne, mais que la lutte y sera beaucoup plus longue :

« La guerre civile sera beaucoup plus acharnée et destructrice en Allemagne qu'en Russie. Vous me connaissez assez pour savoir avec quelle tristesse j'écris cela »[165].

L'espoir réside dans la perspective de la révolution mondiale, qui se ranimera avec la montée inévitable de la vague révolutionnaire dans les pays vainqueurs :

« Personne ne peut savoir à quel rythme les choses se passeront dans les pays de l'Entente. Entre-temps, les classes ouvrières allemande et russe se retrouveront côte à côte - non d'ailleurs pour une guerre contre l'Entente, comme je l'avais supposé en octobre, car l'Entente ne peut plus faire la guerre, et la révolution n'en a pas besoin. ( ... ) Dès qu'apparaîtra en Allemagne un gouvernement ouvrier énergique, les éléments de désorganisation seront rapidement surmontés, précisément à cause de ces traditions d'organisation qui aujourd'hui aboutissent à des résultats différents »[166].

« Cette perspective est la seule qui permette de surmonter le sentiment qui me submerge, moi, devant cette hémorragie interminable et sans objectif clair »[167].

La république de Weimar[modifier le wikicode]

En fait, la république allemande a pris forme dans les six premiers mois de 1919, pendant la tournée des corps francs de Noske. Mais, d'une certaine façon, la constitution de la république de Weimar est le prolongement de la révolution de novembre, le fruit de la poussée de millions de travailleurs allemands, y compris ceux qui font confiance à Ebert et à Noske pour une Allemagne unifiée et démocratique.

On peut en effet considérer que la première conséquence de la révolution de novembre a été l'achèvement de la révolution bourgeoise avortée au milieu du XIX° siècle. Car la Constitution de Weimar ne se contente pas de « sauver » l'unité du Reich : suivant l'expression de l'homme qui en a inspiré la rédaction, Hugo Preuss, elle « la consacre, la renforce et l'affermit »[168].Elle fait de l'Allemagne un Etat unitaire, décentralisé, composé d'un nombre plus restreint de pays (Länder), dont les autorités sont compétentes pour les affaires locales. Le gouvernement du Reich se voit réserver la politique intérieure et extérieure, les finances, les postes, les voies fluviales et ferroviaires.

L'achèvement de la révolution bourgeoise est également sensible dans l'organisation de la vie politique. La Constitution garantit les droits, fondamentaux, qu'elle énumère : l'égalité devant la loi, l'inviolabilité des personnes et des domiciles, le secret des correspondances et des conversations téléphoniques, la liberté de pensée, d'opinion, la liberté de presse et de réunion, la représentation des minorités, le suffrage universel.

Le pouvoir législatif est partagé entre deux assemblées. Le Reichsrat est formé de délégués des Linder, désignés par leurs gouvernements, qui émanent eux-mêmes de Landtag élus au suffrage universel. Ses pouvoirs sont réduits à un veto suspensif. Un conseil économique, le Reichswirtschaftsrat, étudie les projets de loi en matière économique et sociale, dont il a également l'initiative : les organisations syndicales d'ouvriers et employés y sont représentées au même titre que les associations patronales. Les social-démocrates voient dans son institution la preuve du caractère social de la nouvelle démocratie. De toute façon, c'est le Reichstag qui prédomine en matière législative. Il est élu pour quatre ans, au suffrage universel, par les citoyens des deux sexes ayant au moins vingt ans, suivant un système de représentation proportionnelle avec répartition des restes sur le plan national. Les ministres et le chancelier sont responsables devant lui.

Mais les pouvoirs du président de la république sont considérables. Il est élu, comme le Reichstag, par l'ensemble des électeurs allemands, pour sept ans, et rééligible. C'est lui qui désigne le chancelier et, sur proposition de ce dernier, les différents ministres. Il promulgue les lois, mais peut auparavant exiger un référendum s'il l'estime souhaitable ou si un dixième des électeurs le demandent. Il est le chef de la diplomatie, de la bureaucratie et de l'armée. L'article 48 de la Constitution lui donne la possibilité d'exercer une véritable dictature et en fait le successeur réel de l'empereur : il peut, par ordonnance, décréter l'état de siège, instituer des tribunaux d'exception, prendre toutes mesures utiles à la sécurité du Reich et dissoudre le Reichstag. C'est en fait dans l'institution présidentielle que les classes dirigeantes et leur fer de lance, l'armée, ont placé leur garde-fou : toutes les dispositions démocratiques ne sont en définitive que clauses secondaires au regard de l'article 48, qui laisse à l'Etat la force suffisante pour briser toute tentative révolutionnaire ou même toute évolution démocratique inquiétante dans le cadre constitutionnel. C'est ainsi que la tournée des corps francs de Noske, la répression de mars à Berlin, plus tard l'instauration de la dictature hitlérienne, prennent place dans le cadre de la Constitution que ses défenseurs présentaient à l'époque comme « la plus démocratique du monde ».

La coalition gouvernementale[modifier le wikicode]

Comme le laissait prévoir leur rôle depuis 1918, les social-démocrates majoritaires sont au centre de la vie politique dans cette assemblée où ils avaient affirmé qu'ils détiendraient la majorité. En fait, avec 11 500 000 voix sur 30 000 000 millions de votants, le parti social-démocrate n'a obtenu que 39 % des sièges le 19 janvier. Mais il ne saurait être question pour leurs partenaires de droite de les écarter des responsabilités du pouvoir dans une situation aussi troublée. Ils sont pour leur part décidés à continuer à « exercer des responsabilités », ce qui implique des coalitions parlementaires avec les partis bourgeois. Ces derniers manifestent d'ailleurs leur bonne volonté, puisque c'est par 277 voix sur 328 votants que Friedrich Ebert est élu président de la république. Le premier chancelier à lui succéder sera Philip Scheidemann, puis leur camarade de parti Bauer. Les ministres social-démocrates sont en minorité dans ces cabinets, mais Noske conserve, sous ces deux chanceliers, le ministère décisif de la guerre.

Toutes les forces bourgeoises ne participent pas. A l'extrême-droite, les nationaux-allemands, derrière Helfferich, de la Deutsche Bank, Hugenberg, administrateur des entreprises Krupp, disposent d'énormes moyens financiers et d'une puissante presse d'information. Les populistes manifestent le même conservatisme, le même nationalisme, le même antisémitisme, mais se montrent plus soucieux de s'ouvrir la possibilité de bonnes relations d'affaires avec les pays de l'Entente. A leur tête, d'autres magnats de l'industrie, Hugo Stinnes, dont le konzern étend ses tentacules, le banquier Riesser, président de la Ligue de la Hanse, le banquier Cuno, successeur de Ballin à la tête de la Hamburg-Amerika Linie, et surtout Gustav Stresemann, l'ancien secrétaire général de l'Union des industriels saxons. Eux aussi disposent d'énormes moyens d'information et de propagande.

La majorité parlementaire des cabinets Scheidemann et Bauer commence à partir des démocrates ; la clientèle de ceux-ci s'étend plus largement du côté de la petite bourgeoisie, quoiqu'ils soient eux aussi dirigés par des hommes d'affaires, banquiers comme Melchior et Dornburg, et les représentants des deux grands potentats de l'électricité, Walter Rathenau, de l'A. E. G., et Karl Friedrich von Siemens. Devenu parti populaire chrétien, le Centre demeure le parti de l'Eglise, se faisant le propagandiste de la collaboration de classes et de la « communauté d'intérêts » entre patrons et ouvriers, notamment par l'intermédiaire des syndicats chrétiens. Ses journaux, Germania, Völkische Zeitung, de Cologne, sont lus dans toutes les classes sociales, y compris parmi les travailleurs. Ses dirigeants sont des hommes issus de la bourgeoisie moyenne, Mathias Erzberger, Josef Wirth, Fehrenbach.

La nouvelle coalition doit faire face à de graves difficultés. Par suite du blocus, la place de l'Allemagne a été occupée sur le marché mondial par les Alliés. L'organisme économique, tendu à l'extrême pendant la guerre, est épuisé, et la fin des hostilités a révélé l'ampleur des ravages. Il n'y a plus de commandes militaires pour soutenir l'effort de l'industrie, cependant que la masse des démobilisés grossit la foule des chômeurs. L'outillage est fatigué. Les capitaux ont commencé à fuir, les charges budgétaires sont devenues écrasantes. La concentration revêt des aspects de gigantisme démentiel : la fortune des Thyssen et des Krupp a quintuplé pendant la guerre ; celle de Stinnes est passée de trente millions à un milliard de marks. En fait, les « barons » du grand capital sont les maîtres de l'Allemagne et dictent leurs conditions a une coalition parlementaire qui n'a d'autre issue que de s'incliner. Bientôt les mesures sociales adoptées au lendemain de la révolution de novembre sont battues en brèche par l'inflation montante, annihilées par le chômage grandissant. La masse du peuple allemand paie la note écrasante de la guerre et la révolution demeure à l'ordre du jour quand bien même les difficultés de la tâche sont maintenant sous les yeux de tous.

Une révolution seulement ajournée[modifier le wikicode]

Pour les bolcheviks aussi, la révolution allemande est seulement ajournée. Ils pensent toujours, en 1919, comme Lénine qui s'écriait l'année précédente devant le congrès panrusse des soviets :

« Nous ne sommes pas seulement un peuple faible et arriéré, nous sommes aussi ce peuple qui a su, non du fait de ses mérites particuliers ou d'une prédestination historique, mais par suite d'un concours de circonstances historiques, assumer l'honneur de lever le drapeau de la révolution socialiste internationale. Je sais bien, camarades, et je l'ai dit plus d'une fois, que ce drapeau est entre des mains faibles et que les ouvriers du pays le plus arriéré ne le garderont, pas en main si les ouvriers des pays avancés ne lui viennent pas en aide. Les transformations socialistes que nous avons accomplies sont à bien des égards faibles et insuffisants : elles serviront d'indication aux ouvriers avancés d'Europe occidentale qui se diront : « Les Russes n'ont pas commencé de la bonne façon ce qu'il fallait faire »[169].

Il est intéressant de rapprocher du point de vue de Lénine l'analyse faite en 1919 par Paul Levi. Constatant la radicalisation en profondeur d'une avant-garde prolétarienne en Allemagne, malgré la passivité de la majorité des ouvriers, il souligne la puissance des conditions qui portent la révolution mondiale :

« Ce sont les circonstances objectives qui ont poussé vers la révolution avec une force d'airain un prolétariat aussi peu doué pour la révolution et aussi peu porté vers elle que le prolétariat allemand »[170].

Tirant le bilan de la première vague allemande, il précise :

« C'est en Allemagne que se décidera le sort de la révolution mondiale, et ce non pas à cause d'une imaginaire supériorité du prolétariat allemand, mais parce que, même après la révolution du 9 novembre, la bourgeoisie allemande est demeurée aussi dangereuse qu'auparavant, par son talent d'organisation, sa puissance et sa brutalité ( ... ) et qu'elle n'est devenue que plus dangereuse encore en endossant le vêtement neuf et séduisant de la social-démocratie. G.) C'est à cause du danger que constituent pour la révolution mondiale le militarisme allemand et la bourgeoisie allemande que nous considérons l'Allemagne aujourd'hui encore comme le cœur de la révolution mondiale, le terrain sur lequel se décidera son destin »[171].

Dans un article de la Pravda, Trotsky, au printemps de 1919, tente cependant d'expliquer ce que les bolcheviks appellent désormais le « retard » de la révolution allemande. Ecartant l'analogie avec la révolution russe, il souligne que le facteur décisif de l'échec de la première vague a été le rôle joué par la social-démocratie :

« L'Histoire a manifesté une fois de plus une de ses contradictions dialectiques : ce fut précisément parce que la classe ouvrière allemande avait dépensé la plus grande partie de son énergie dans la période précédente à l'édification d'une organisation se suffisant à elle-même ( ... ) que, lorsque s'ouvrit une nouvelle période, une période de transition vers la lutte révolutionaire ouverte pour le pouvoir, la classe ouvrière allemande se trouva absolument sans défense sur le plan de l'organisation »[172].

Pour lui, comme pour Radek, c'est donc l'absence d'un parti communiste comparable au parti bolchevique qui explique les caractères originaux de la révolution allemande :

« Non seulement la classe ouvrière est obligée de lutter pour le pouvoir, mais encore elle doit, en même temps, créer sa propre organisation et entraîner ses futurs dirigeants dans le cours même de la lutte. Il est vrai que, dans les conditions de l'époque révolutionnaire, ce travail d'éducation est accompli sur un rythme fiévreux, mais il faut néanmoins du temps pour l'accomplir. En l'absence d'un parti révolutionnaire centralisé, avec une direction de combat dont l'autorité soit acceptée universellement par les masses ouvrières, en l'absence de noyaux dirigeants du combat, de chefs éprouvés dans l'action, mis à l'épreuve de l'expérience à travers les différents centres et régions du mouvement prolétarien, ce mouvement, en explosant dans les rues, devient nécessairement intermittant, chaotique, se traîne, ( ... ) Ces grèves qui explosent, ces insurrections et ces combats de rue constituent à l'heure actuelle l'unique forme de mobilisation ouverte possible des forces du prolétariat allemand libéré du joug du vieux parti, et, en même temps, dans les conditions données, l'unique moyen d'éduquer de nouveaux dirigeants et de construire un nouveau parti »[173].

Mais l'important, souligne-t-il est que cette construction ne parte pas de zéro : l'acquis historique, la tradition prolétarienne, l'empreinte marxiste du mouvement social-démocrate demeurent. C'est sur eux que reposeront en définitive les fondations du nouveau parti :

« Le niveau politique et culturel des ouvriers allemands, leurs traditions et leur capacité d'organisation demeurent hors de pair. ( ... ) Des dizaines de milliers de cadres ouvriers ( ... ) sont en train de s'éveiller et de se dresser de toute leur stature »[174].

Les troupes de la révolution victorieuse de demain, la masse des ouvriers avancés seront gagnées par les communistes au sein du parti social-démocrate indépendant, au sujet duquel Trotsky écrit :

« Si la mission historique du parti indépendant de Kautsky-Haase consiste àintroduire des hésitations dans les rangs du parti gouvernemental et à offrir un refuge à ses éléments effrayés, désespérés ou indignés, alors, a contrario, le tumultueux mouvement dans lequel nos frères d'armes spartakistes sont en train de jouer un rôle aussi héroïque aura entre autres comme effet de provoquer une démolition ininterrompue de la gauche du parti indépendant, dont les éléments les meilleurs et les plus dévoués sont entraînés dans le mouvement communiste »[175].

La victoire de la révolution se trouve au terme de cette reconquête :

« La révolution, traînante, mais opiniâtre, resurgissant toujours, approche du moment critique où, ayant mobilisé et entraîné ses forces pour le combat, elle portera le dernier coup mortel à l'ennemi de classe »[176].

Mouvements profonds dans la classe ouvrière[modifier le wikicode]

Un des éléments qui permettent de mesurer l'importance des transferts d'opinion au sein de la classe ouvrière allemande dans cette période se trouve dans les résultats des élections générales du 19 janvier.

La première constatation qui s'impose est celle de l'échec total du boycottage gauchiste décidé par le congrès de fondation du K.P.D. (S). Il y a environ 36 millions de votants, soit deux fois et demi plus qu'en 1912, dont les deux tiers environ votent pour la première fois, et parmi eux 54 % de femmes : or, plus de 83 %des électeurs prennent part au vote - pourcentage supérieur à celui obtenu au cours des consultations précédentes, comme d'ailleurs au cours des suivantes[177].

La seconde est la faillite du pronostic émis avant les élections, pendant leur campagne pour la convocation de l'Assemblée constituante, par les partisans d'Ebert : avec 13 800 000 voix, les deux partis « socialistes » ont moins de voix que les partis bourgeois réunis, qui en obtiennent pour leur part 16 500 000. Il est vrai que ces élections se tiennent après quelques mois de gouvernement « socialiste » à bien des égards décevants. Mais les vraies causes de la victoire des partis bourgeois sont celles-là mêmes qu'avait dénoncées en novembre et décembre les adversaires de la Constituante. Les grandes sociétés capitalistes ont contribué sans compter au « fonds électoral » qu'elles ont constitué depuis 1908 : à elles seules, les quatre grandes banques, Deutsche Bank, Dresdner Bank, Darmstädter Bank et Disconto-Gesellschaft, n'ont pas versé moins de trente millions de marks dans les caisses électorales des différents partis[178]. Les élections se déroulent en outre dans une atmosphère de répression sous le régime de l'état de siège, et Noske, dans ses mémoires, évoque le significatif tableau qu'offre le jour du dimanche électoral, la banlieue ouvrière de Neukölln, avec les mitrailleuses en batterie sur les places et les patrouilles de militaires circulant dans les rues, fusil braqué[179].

Cela dit, si l'on compare avec les résultats d'élections antérieures à la guerre, le vote du 19 janvier traduit, malgré ces circonstances peu favorables, une forte poussée à gauche : ensemble, les deux partis social-démocrates obtiennent 46 % des voix, alors que le parti social-démocrate uni de 1912 n'en avait, au mieux, obtenu, que 34,8 %. Plus intéressante encore est la comparaison circonscription par circonscription.

Sur ce plan, la première remarque que fait M. Drabkin, observateur attentif des statistiques électorales, est le progrès impressionnant accompli par le parti social-démocrate majoritaire dans les zones rurales les moins industrialisées, par rapport aux élections de 1912 : 50,1 % en Prusse orientale contre 14,8, 34,2 % en Prusse occidentale contre 9,7, 41 % en Poméranie contre 24. En second lieu, dans certaines régions industrielles parmi les plus importantes, la social-démocratie d'Ebert subit de très lourdes pertes. Dans le district de Halle-Merseburg, où le S.P.D. avait eu en 1912 42,6 % des voix, il n'en obtient en janvier 1919 que 16,3, les indépendants en recueillant 44,1. A Leipzig, les 35 % de voix social-démocrates de 1912 deviennent 20,7 % pour les majoritaires, 38,6 pour les indépendants. A Düsseldorf, les proportions respectives sont de 42 % en 1912 pour 34,6 et 22,5 % en 1919, en Thuringe, les chiffres correspondants sont 47,5, 34,6 et 22,5 %. Dans ces régions industrielles, le total des voix social-démocrates dépasse la majorité absolue, mais, très souvent, c'est le parti indépendant qui recueille la plus grande partie des voix ouvrières. Particulièrement significatifs apparaissent de ce point de vue les résultats électoraux à Berlin, où le parti social-démocrate avait eu 75,3 % des voix en 1912 et où il n'en obtient que 36,4, les indépendants en ayant, quant à eux, 27,6 %. Dans les quartiers ouvriers de Wedding et de Friedrichshain, les deux partis ont sensiblement le même nombre de voix. Soulignant ce double mouvement des voix du S.P.D., en progrès dans les zones rurales, en perte de vitesse et sérieusement concurrencé par les indépendants dans les régions industrielles, M. Drabkin en conclut à l'influence croissante des électeurs petits-bourgeois du S.P.D.[180].

Même si cette remarque est fondée, une partie de la classe ouvrière demeure derrière le parti d'Ebert, surtout dans les petites villes. C'est dans les grands centres industriels que les indépendants commencent à regrouper sur leurs candidats des majorités ouvrières, entamant quelques-unes des plus solides positions de son adversaire. Le fait important est qu'en cette période, dont personne ne doute qu'elle ne conserve un caractère de stabilisation précaire, le parti communiste, clandestin et en pleine crise, soit apparemment à l'écart de la compétition.

XV. Le Parti Communiste après janvier 1919[modifier le wikicode]

La répression du « soulèvement » de janvier a porté au parti communiste allemand un rude coup. Dans les mois qui suivent, ses militants sont engagés sur tous les fronts, au premier rang de tous les combats, sans coordination, sans centralisation : malgré la proclamation du K.P.D. (S), la classe ouvrière allemande n'a pas encore de parti révolutionnaire, seulement des détachements épars qu'une direction élue en janvier ne parvient pas à homogénéiser.

Paul Levi[modifier le wikicode]

La centrale est reconstituée dans les premiers jours de mars. L'homme qui prend la succession des grands morts de janvier, Paul Levi, est relativement neuf dans le mouvement, mais il n'est pas, au moins sur le moment, contesté. D'une génération plus jeune que les fondateurs de Spartakus - il n'a que trente six ans -, c'est le fils d'un banquier d'Hechingen. Avocat à Francfort avant guerre, il a très tôt adhéré au parti social-démocrate et été élu conseiller municipal. Mais il ne devient véritablement militant qu'à la suite de sa rencontre, en septembre 1913, avec Rosa Luxemburg, dont il assure la défense dans le procès à propos de son discours de Bockenheim[181]. C'est elle qui l'introduit dans le cercle restreint des révolutionnaires qui refusent l'union sacrée. Mobilisé, il est l'un des premiers correspondants du groupe né au soir du 4 août et est très durement traité à l'armée[182]. Encore sous l'uniforme, il sera l'un des douze délégués à la conférence qui se tient le 5 mars 1915 dans l'appartement de Pieck à Berlin[183]. A la fin de 1916, réformé, il passe en Suisse l'accueil qui lui est réservé dans les milieux d'émigrés internationalistes montre qu'on le tient pour une personnalité importante du mouvement révolutionnaire allemand. Il exprime une vive hostilité non seulement à l'égard des social-chauvins, mais aussi des centristes, ce qui en fait un élément intéressant pour les bolcheviks[184]. Lénine, qui, dans sa correspondance, déplore chez lui certaines tendances qu'on appellera plus tard « gauchistes »[185] écrira, des années plus tard, après sa rupture définitive avec le communisme :

« J'ai fait sa connaissance par l'intermédiaire de Radek en Suisse, en 1915 ou 1916. Déjà alors Levi était bolchevik »[186].

C'est en effet Radek qui l'a introduit auprès de Lénine et Zinoviev. En décembre 1916, avec Guilbeaux et Sokolnikov, il est l'un des fondateurs du « groupe socialiste international » qui va publier La nouvelle Internationale, revue au titre significatif[187]. Il est devenu Paul Hartstein, et c'est sous ce nom que, sur proposition de Zinoviev, il entre le 1° février, à la conférence d'Olten, au bureau de la gauche zimmerwaldienne[188]. Précieux contact, tant pour Radek, ce hors-la-loi du mouvement ouvrier allemand, que pour Lénine, qui cherche toujours un pont vers l'Allemagne. Levi se montre un allié des bolcheviks dans la discussion de 1917, puisqu'il se prononce pour la scission et la rupture avec les centristes dans les colonnes d'Arbeiterpolitik[189]. Il signe le manifeste des internationalistes pour le départ de Lénine, puis revient en Allemagne, où il devient l'un des rédacteurs des lettres de Spartakus et un dirigeant du groupe.

Après la révolution de novembre, membre de la centrale, il est rédacteur de Die Rote Fahne et l'un des meilleurs orateurs spartakistes. C'est lui qui accueille Radek - à qui le lient des mois de cohabitation et de camaraderie à Davos[190] - et facilite la reprise de contact entre l'envoyé des bolcheviks et les dirigeants spartakistes[191]. Au congrès de fondation, il s'est vu confier la tâche ingrate de présenter le rapport sur l'Assemblée nationale - ce qui fera de lui la cible favorite des gauchistes, qui l'accusent de briguer un siège de député. En janvier, il maintient le contact avec Radek et s'efforce de convaincre la centrale qu'elle doit condamner nettement la politique aventuriste de Liebknecht et Pieck[192]. Arrêté comme Pieck, Eberlein, Jogiches, il réussit comme eux à reprendre sa liberté quelques heures après l'assassinat de Luxemburg et Liebknecht, qu'il apprend au début d'un interrogatoire[193]. Les jours suivants, il est avec Jogiches un des piliers de l'enquête sur le double assassinat et, à sa mort, son unique remplaçant possible. Au lendemain du prétendu « massacre de Lichtenberg », sa tête est mise à prix par les corps francs pour 20 000 marks[194].

Dans le parti, on lui reproche son style de vie de grand bourgeois - la gouvernante qui ouvre sa porte[195], ses goûts raffinés, sa collection de jades chinoises[196], sa passion pour l'égyptologie, les éditions savantes de textes anciens qu'il lit dans le texte et cite de mémoire dans ses interventions, son goût des références à l'histoire romaine, des Gracques à Catilina - et puis son donjuanisme[197], une certaine arrogance d'intellectuel, des manières hautaines, de la susceptibilité et un manque de chaleur dans les rapports. Pourtant, en ces heures dramatiques pour le petit parti, ce sont seulement ses qualités qui comptent, son intelligence et sa culture, son courage moral, son sens des responsabilités. Il traîne comme un boulet le fardeau des tâches illégales mais les accomplit mieux que les autres. Son autorité et son activité l'imposent : c'est entre ses mains que repose, à partir de mars, la direction du parti[198].

Il est de ceux qui considèrent l'action de janvier comme une erreur monumentale. C'est vraisemblablement lui qui écrit à ce sujet, faisant porter, par patriotisme de parti, au seul Ledebour la responsabilité de l'affaire :

« Ledebour voulait prendre le pouvoir dans une conjoncture où il manquait à peu près toutes les conditions de la dictature du prolétariat, puisque le prolétariat était en partie derrière Scheidemann, en partie derrière Haase, et en partie derrière ... Ledebour. Dans une pareille situation, donner à une action révolutionnaire un objectif inaccessible - aussi certainement qu'on peut compter cinq doigts sur une main -, nous appelons cela du putschisme »[199].

Il vient juste d'assumer la direction du parti illégal quand, de Leipzig, où la centrale vient de chercher refuge après la semaine sanglante de Berlin, il écrit à Lénine le 27 mars une lettre signée de son pseudonyme de Suisse, Paul Hartstein[200]. Il y décrit la situation, l'exaspération et l'impuissance du prolétariat, la froide volonté des gardes blancs d'exterminer le mouvement révolutionnaire, et surtout les dangers que celui-ci court de son propre fait :

« Nous faisons, en toute circonstance, notre possible pour retenir les gens afin qu'ils ne donnent pas au gouvernement de possibilité d'opérer une saignée. (...) Il existe en Allemagne un courant syndicaliste (...) : il est souvent difficile de retenir nos gens de commettre de telles folies. Surtout, nous avons, à l'intérieur de notre organisation, venant d'un certain côté, de véritables tentatives de coup d'Etat»[201].

Il informe Lénine des progrès réalisés au cours des derniers mois par le parti indépendant, mais lui fournit des détails sur la complicité de ses dirigeants avec Ebert, comme s'il redoutait que les Russes ne se laissent prendre aux manœuvres des indépendants qui font publiquement profession de sympathie pour la révolution russe, et formule le souhait que les bolcheviks condamnent nettement la politique de Kautsky et du parti indépendant.

Deux jours auparavant, à l'annonce de la proclamation à Budapest de la république hongroise des conseils, il exprimait ses inquiétudes dans une comparaison implicite avec le soulèvement de Berlin :

« La nouvelle révolution hongroise qui a remplacé la démocratie bourgeoise par le gouvernement des conseils n'est pas le prix immédiat d'une bataille que le prolétariat hongrois aurait victorieusement livrée à la bourgeoisie et aux hobereaux hongrois. Elle n'est pas le résultat d'un corps à corps entre le prolétariat et la bourgeoisie, où celle-ci aurait été jetée à bas. Elle est la simple conséquence de ce que la bourgeoisie hongroise - il n'y a pas d'autre mot - a crevé. Elle a sombré dans la honte et l'avilissement et, tout ce qui reste, c'est le prolétariat»[202].

L'unification réalisée à Budapest entre les communistes et les social-démocrates qui ont déclaré accepter la dictature des conseils lui paraît de mauvais augure :

« Au début de notre révolution, il y a eu aussi l'« union de tous les socialistes ». Les canailles qui ont trahi le prolétariat hongrois comme Ebert et Scheidemann ont trahi le prolétariat allemand s'enthousiasment maintenant pour la république des conseils et la dictature du prolétariat. C'est un danger qui, dès aujourd'hui, guette la révolution hongroise, et nous devons le dénoncer, dans l'intérêt de nos frères hongrois comme dans celui du mouvement allemand »[203].

Il n'approuve pas non plus la décision des communistes de Munich, dirigés par Léviné, d'établir, dans les circonstances où ils l'ont fait, un gouvernement des conseils dont ils constituent t'unique armature, contrairement aux consignes données. Il écrit aux communistes suisses :

« Nous croyons que nos camarades munichois se sont doublement trompés, d'abord parce qu'ils se sont laissés entraîner à défendre cette caricature de république des conseils dont ils s'étaient d'abord moqués (…), ensuite en permettant que cette action défensive se transforme sans aucune nécessité en action offensive, puisqu'ils ne se sont pas contentés d'empêcher le coup de main, mais sont passés à la dictature des conseils sans s'inquiéter le moins du monde du reste du pays »[204].

Bientôt, il tirera un bilan d'ensemble :

« C'était une erreur de croire que quelques troupes d'assaut du prolétariat pouvaient remplir la tâche historique qui est celle du prolétariat. Berlin et Leipzig, Halle et Erfurt, Brême et Munich ont traduit dans les faits ce putschisme et démontré que seul l'ensemble de la classe prolétarienne de la ville et de la campagne peut s'emparer du pouvoir politique »[205].

L'expérience qu'il fait du parti l'amène à la conclusion que les conditions de sa fondation en décembre 1918 ont lourdement handicapé son développement. Les spartakistes sont désormais coupés des centaines de milliers d'ouvriers qui ont rejoint le parti indépendant[206], mais se sont en revanche lié les mains avec des éléments aventuristes, gauchistes, les « putschistes », qu'il rend responsables, par leur inexpérience, leur légèreté et leur impatience, des défaites de 1919 et de la triste situation du parti, que l'illégalité empêche de gagner au communisme l'avant-gardité ouvrière véritable. Très vite, il va se demander comment corriger l'erreur du congrès de fondation, éliminer du parti les éléments anarchisants ou syndicalistes, retrouver le contact avec les travailleurs.

Heinrich Brandler[modifier le wikicode]

Levi n'est pas le seul de son avis dans le jeune parti : les survivants de la centrale sont avec lui, à l'exception peut-être de Paul Frölich, qui est pourtant solidaire de la centrale contre ses adversaires gauchistes[207]. Il a l'appui total de Clara Zetkin qui, conformément aux accords passés en décembre avec Rosa Luxemburg et Jogiches, a attendu le congrès indépendant de mars pour rompre et rejoindre le K.P.D. (S)[208]. Il a aussi apparemment le soutien sans réserves de l'organisation locale la plus nombreuse, celle de Chemnitz. Dans cette cité ouvrière de Saxe, en effet, c'est par 1 000 voix contre 3 que les militants du parti indépendant ont décidé en janvier de rompre avec leur direction et de rallier le parti communiste derrière leurs dirigeants locaux, Fritz Heckert et Brandler, tous deux vieux spartakistes. Au mois de mars, quand l'exécutif indépendant commence à reconstruire à Chemnitz une organisation locale, le parti communiste y compte déjà plus de 10 000 militants[209]. Il n'y est pas, comme dans les autres centres, une petite minorité activiste mais, toutes proportions gardées, un parti de masses exerçant dans la classe ouvrière - notamment au syndicat du bâtiment - d'importantes responsabilités. L'organe du parti à Chemnitz, Der Kämpfer, prend position contre ce qu'il appelle les « aventures » et défend dans l'immédiat une politique d'union ouvrière dans l'action, écrivant notamment en juillet :

« Les putschs, les émeutes, les révoltes ne servent à rien; au contraire, ils aident la contre-révolution. Travailler de façon unitaire, avec une claire conscience de l'objectif, au rassemblement de la classe ouvrière encore peu capable d'action politique, telle est la voie à suivre, difficile certes, mais unique »[210].

Heinrich Brandler est le dirigeant des communistes de Chemnitz : ce maçon de trente-huit ans est un vétéran du parti social-démocrate et du mouvement syndical; il est le seul à avoir fait, depuis novembre 1918, l'expérience de l'action au sein des conseils ouvriers d'une organisation communiste de masse. En franche opposition avec les gauchistes de l'aile utopiste du parti, fidèle à la tradition spartakiste de la recherche de l'unité de la classe par la lutte et en accord avec la théorie bolchevique des soviets, il écrit que les conseils ouvriers sont le moyen d'unifier la classe ouvrière en même temps que d'atteindre son but final, le communisme :

« Cette unité de la classe ouvrière sera d'abord le résultat de la lutte victorieuse pour le pouvoir elle-même. Elle se fera, elle n'est pas donnée. La réalisation de cette unité de la classe prolétarienne au sens le plus large du terme est une tâche dont dépend la victoire de la révolution sociale. Un moyen d'atteindre cette unité, c'est la constitution de conseils. Aucune organisation, ni parti politique, ni syndicat, ni coopérative de consommation, n'est en mesure de réaliser en elle l'union de toute la classe. Ces organisations ont aujourd'hui une signification énorme et un rôle historique exceptionnel. (...) Dans la lutte pour tout le pouvoir politique, pour la transformation de tout l'ordre social capitaliste, elles ne suffisent pas, parce qu'elles ne sont nécessairement jamais capables de rassembler plus qu'une partie de la classe. Il en va autrement des conseils. (...) L'organisation des conseils est aussi vaste que le mode de production capitaliste lui-même. C'est à travers l'organisation des conseils que le dernier des prolétaires exploités comprend sans peine et s'incorpore au mouvement total »[211].

La compréhension de cette question-clé, base même de la théorie bolchevique des soviets, va de pair avec la prise de conscience du recul de la révolution, Le premier affrontement entre gauchistes et partisans de Levi se produit à la conférence clandestine du K.P.D. (S) qui se tient à Francfort-sur-le-Main, les 16 et 17 août[212]. Willi Münzenberg, qui, depuis sa sortie de prison, mène la bataille contre ceux qu'il appelle « les bonzes du parti », développe la thèse suivant laquelle le champ d'action du parti doit être les conseils révolutionnaires dans les usines, réclame une condamnation définitive du « parlementarisme », c'est-à-dire de la participation aux élections et au Parlement. Contre lui, Levi expose le point de vue de la centrale et le justifie par une analyse différente de la situation et du rapport de forces :

« La révolution est, selon toute apparence, arrivée à un point mort, de sorte qu'on peut parler de son épuisement. Nous sommes au terme d'une époque, celle qui s'est engagée le 9 novembre et qui a conduit à la défaite de la révolution. (...) Nous sommes entrés dans la phase où la révolution s'effiloche, et nous ne pourrons plus désormais nous attendre à de grands mouvements de masse »[213].

Radek[modifier le wikicode]

En août également, le regime de détention de Karl Radek ayant été assoupli, Paul Levi peut reprendre un contact qui sera régulier pendant plusieurs mois. Les deux hommes se connaissent depuis des années; ils ont eu la même appréciation du « soulèvement de janvier », partagent la même hostilité au gauchisme. Le renfort est précieux pour Levi, car Radek est l'émissaire du parti bolchevique, et lui apporte non seulement ses conseils mais sa caution morale. Radek a pu de son côté mesurer, au cours des mois passés en Allemagne, l'ampleur de la tâche qui attend les révolutionnaires allemands. Il vient d'écrire à Alfons Paquet que la route des bolcheviks a été jonchée de roses en comparaison de celle que doivent suivre les communistes allemands[214]. Il ne s'attend pas à la victoire du jour au lendemain :

« La révolution mondiale est un processus très lent où l'on peut s'attendre à plus d'une défaite. Je ne doute pas que, dans chaque pays, le prolétariat ne soit obIigé de construire sa dictature et de la voir s'effondrer à plusieurs reprises avant de l'emporter définitivement »[215].

Les deux hommes ont de longues discussions, échangent une abondante correspondance. Radek insiste sur l'importance du travail dans les syndicats, où sont regroupés des millions de travailleurs et auxquels les communistes ont systématiquement tourné le dos jusque-là. Pour lui, il est vital que le parti comprenne l'erreur qui était celle de la majorité du congrès de fondation sur ce point. Levi reconnaît le bien-fondé de la position de Radek mais, s'il consent à appeler les militants à ne pas quitter les syndicats, il se refuse pourtant à engager la bataille pour y faire revenir ceux qui en sont partis, pour y faire entrer ceux qui s'en sont tenus à l'écart, et à lancer le mot d'ordre : « Tous dans les syndicats »[216]. La discussion de l'expérience bavaroise les divise également : Levi désapprouve Léviné d'avoir lancé le parti dans une bataille qu'il savait perdue; Radek estime que Léviné n'avait rien d'autre à faire, car les communistes ont le devoir d'être toujours avec les ouvriers quand ces derniers combattent leur ennemi de classe[217]. Levi, enfin, veut abandonner la direction du parti. Il dit qu'il est au-dessus de ses forces de poursuivre cette tâche sous le poids de la méfiance et de l'hostilité des éléments gauchistes de l'organisation[218]. Radek s'emploie à le convaincre de rester à son poste ; il lui écrit même que son retrait constituerait une désertion, un acte pour lequel, au cours de la révolution, un dirigeant serait fusillé. Levi se laisse convaincre[219].

De ces discussions sort, sous la plume de Radek une brochure qui fait date dans l'histoire du communisme en Allemagne. Terminée en novembre 1919, dans la cellule de la prison de la Lehrerstrasse, Le Développement de la révolution mondiale et la tactique des partis communistes dans la lutte pour la dictature du prolétariat[220] constitue la première tentative d'application à l'Europe occidentale des analyses qui ont permis le triomphe de la révolution en Russie. Le prisonnier d'Etat qu'est Radek commence par y rappeler que la base des perspectives de la révolution mondiale n'est pas dans le désir qu'en ont les communistes, mais dans les contradictions objectives croissantes de l'impérialisme, et résulte donc d'une analyse de la situation économique et politique mondiale ainsi que des tendances de son développement[221]. C'est également en fonction de ses contradictions insurmontables, lesquelles lui commandent de faire peser sur le prolétariat sa propre dictature, que la bourgeoisie va contribuer d'elle-même à disperser les illusions démocratiques des masses et à faire pénétrer en leur sein l'idée que seule la dictature du prolétariat, « dictature de la majorité du peuple travailleur »[222], est capable de mettre fin à sa dictature à elle,

En fonction de cette analyse, les partis communistes doivent proposer au prolétariat une tactique et une stratégie ne reposant pas sur une courte campagne, mais au contraire axées sur une guerre longue, où la défensive succède à l'offensive et dans laquelle il ne doit négliger aucune des armes à sa disposition[223], L'illusion d'une victoire rapide est née, de l'avis de Radek, d'une mauvaise interprétation des leçons de la révolution russe, dont les conditions, dans un cadre historique identique, n'étaient pas du tout les mêmes que celles de la révolution européenne, D'abord parce que la guerre - qui, en Russie, a mobilisé la paysannerie aux côtés du prolétariat - a pris fin, et parce que la paysannerie occidentale est loin d'avoir la même homogénéité que la paysannerie russe[224], Ensuite parce que la bourgeoisie russe était jeune, faible, étroitement soumise au capital étranger et qu'elle n'est parvenue au pouvoir pour la première fois qu'en mars 1917, dans les conditions de la guerre, qui l'obligeaient à le partager avec l'armée, tandis que la bourgeoisie européenne est ancienne, bien organisée sur la base de la concentration économique, expérimentée par des décennies d'exercice du pouvoir et, enfin, instruite par l'expérience russe[225], Conduisant sa révolution en pleine guerre, le prolétariat russe est parti à l'assaut les armes à la main : le prolétariat occidental, lui, a dû rendre ses armes avec la démobilisation, cependant que la bourgeoisie armait ses corps spécialisés, et il devra lancer les mains nues ses premières attaques[226], Enfin, dans les pays développés, les illusions dans la capacité du capitalisme de surmonter sa crise sont plus grandes, notamment parmi la couche privilégiée de l'aristocratie ouvrière: bien qu'à la fin cette dernière ne puisse que rejoindre le prolétariat, il est incontestable que les prochaines grandes luttes prolétariennes auront un caractère réformiste. Le processus de transformation de la conscience des masses sera donc long[227].

C'est en fonction de cette analyse qu'il faut aborder la question de la lutte économique et de la lutte politique, On ne doit pas les séparer l'une de l'autre, sous peine de courir le risque de tomber dans les déviations « syndicalistes» ou « putschistes », aussi dangereuses l'une que l'autre. Sur ces deux terrains, il faut mener sans se lasser tous les combats partiels, car le sort de la bataille sera tranché seulement quand le prolétariat, « rassemblé dans ces combats, plein de volonté révolutionnaire, arrachera victorieusement les organes de pouvoir à la minorité bourgeoise»[228].

Dans cette longue lutte, la seule condition préalable de succès - ou de victoire aux moindres frais - est l'existence de partis communistes capables d'analyser les situations données des différentes étapes des combats en fonction de l'issue et de l'objectif final. Les « syndicalistes » se paient de mots quand ils disent que les masses dirigent leurs propres combats : les masses dirigent effectivement ce combat, mais en fonction de leur expérience et des mots d'ordre qui leur sont proposés. C'est le parti communiste qui seul peut tirer les leçons des expériences et proposer des mots d'ordre clairs :

« Le parti communiste est le parti de la libre discussion dans les pauses entre les combats, pas un club de discussion dans le feu de la lutte, mais une direction. Il est l'état-major de la révolution prolétarienne et il ne peut donner des ordres, mais seulement convaincre »[229].

Hors de Russie, les partis communistes sont trop jeunes encore pour comprendre l'ensemble de leurs tâches. Leur premier devoir consiste à dresser un inventaire de leurs forces et de leurs moyens d'intervention. En Allemagne, ils doivent d'abord tenir compte de l'existence de syndicats de masse, organisant plus de six millions de travailleurs, et dirigés par des contre-révolutionnaires[230], ensuite de la puissance du parti social-démocrate et d'un parti social-démocrate indépendant, qui tous deux écrasent de leur supériorité un parti communiste illégal qui n'a guère plus de 80 000 membres.

A partir de cette analyse du rapport des forces réel, Radek engage la polémique avec les gauchistes, qui ne se préoccupent pas de savoir comment ils peuvent gagner une partie au moins de ceux des travailleurs - l'écrasante majorité - qui ne sont pas organisés chez les communistes :

« La conception puérile suivant laquelle il y a d'un côté les petits partis communistes, de l'autre les contre-révolutionnaires, et, entre eux, du vent, à partir de quoi nous pourrions former nos organisations de la révolution mondiale, n'a rien à voir avec la méthode du communisme. Elle résulte d'un sectarisme communiste infantile »[231].

Les partis communistes doivent éviter de se comporter en sectes de prêcheurs et être capables de constituer leur propre organisation, leur propre programme et leur propre tactique, tout en prenant part aux luttes partielles. Généralement partis d'une base purement propagandiste, ils doivent résister à une autre tentation, infantile, celle du putschisme, qui cherche à « réaliser au début ce qui est à la fin de son chemin »[232], sectarisme qui les conduit à boycotter les élections, c'est-à-dire en définitive à faire reposer leur lutte sur les sentiments d'une infime minorité[233]. Cependant - et c'est là incontestablement l'écho de la discussion avec Levi - les communistes, qui combattent à juste titre putschisme et sectarisme, ne doivent pas tomber dans l'excès inverse, la passivité, et ont le devoir de toujours chercher à mettre les masses en mouvement. Radek formule à ce sujet une critique précise contre la centrale :

« Au moment où Noske mobilisait ses gardes blancs centre Munich, le prolétariat allemand était encore trop faible pour aider la république des conseils de Munich à vaincre par un soulèvement d'ensemble, une adhésion à ses buts. Mais, si les partis révolutionnaires avaient manifesté, pendant les combats, par des meetings, des manifestations et des grèves au centre du mouvement, sa solidarité avec Munich, il aurait peut-être pu contraindre le gouvernement à renoncer au bain de sang. (...) Le parti communiste n'est pas le parti de l'attente[234] du grand chambardement à venir, mais celui du renforcement, de la radicalisation des actions du prolétariat »[235].

Au nom de ce principe fondamental, il condamne le mot d'ordre, lancé par les gauchistes, de sortie des syndicats: quitter les syndicats, c'est se couper des masses, s'isoler, se cantonner volontairement dans le rôle de secte en renonçant à gagner dans l'action les prolétaires qui ne sont pas encore communistes, mais veulent lutter pour la défense de leurs conditions de vie[236]. La question est, pour les partis communistes, une « question de vie ou de mort » : toute initiative scissionniste contredit, au sens le plus strict du terme, les intérêts du communisme[237]. Et Radek développe la nécessité de l'«éducation» des masses prolétariennes. insistant notamment sur le rôle capital des conseils d'usine et du mot d'ordre de « contrôle ouvrier sur la production », seul capable d'éduquer les masses et de les préparer à l'exercice du pouvoir[238].

Radek aborde enfin le problème qui va être, au cours de l'année suivante, le centre de la stratégie communiste, mais aussi l'enjeu d'une intense bataille politique interne, celui des éléments «hésitants » du socialisme, en d'autres termes, des partis centristes - en Allemagne, du parti indépendant :

« Nous pensons qu'il ne s'agit pas tellement de pousser les éléments de gauche à la scission d'avec le Centre, mais de les aider à chasser les dirigeants droitiers des organismes centraux et locaux, et de construire ainsi, par la fusion des deux armées communistes du prolétariat, un grand parti communiste. Si le parti communiste parvenait à vaincre les éléments anarcho-syndicalistes dans ses rangs et à adopter un cours ferme et politiquement actif, si, dans chaque action politique concrète, il parvenait à mettre le parti indépendant devant l'alternative, ou bien de prendre part aux actions engagées pour les besoins évidents des masses ouvrières révolutionnaires, ou bien de perdre son influence, les masses ouvrières indépendantes de l'U.S.P. seraient contraintes dans la pratique à un bloc avec le K.P.D. Les dirigeants de droite de l'U.S.P. ne pourraient à la longue y participer, et devraient ou être chassés du parti ou condamnés à l'impuissance totale. Mais (...) un tel développement ne sera possible que si le K.P.D. lutte pour parvenir à la clarté de ses conceptions et devient le point de rassemblement spirituel du mouvement ouvrier allemand. S'il n'y parvient pas, la tactique décidée par son congrès de fondation ne pourra être appliquée : il ne provoquera pas la scission des autres partis; c'est lui-même qui connaîtra les scissions et l'effondrement »[239].

Et comme si, déjà, il s'adressait aux militants « de gauche » du parti indépendant, le prisonnier de la Lehrerstrasse termine sa brochure par un appel à renforcer l'Internationale communiste, « rassemblement de toutes les tendances révolutionnaires de la vieille Internationale »[240], et à défendre la révolution russe :

« Pensez en continents! », lançait aux impérialistes anglais Joë Chamberlain. « Pensez en continents et en siècles! », tel est l'appel de l'Internationale communiste au prolétariat »[241].

Autour de ce texte va s'engager la discussion qui culminera sur le plan international avec la brochure de Lénine sur le gauchisme. En Allemagne, il est considéré comme l'expression du point de vue des bolcheviks, En fait, si Bronski, revenu de Moscou, pense, avec Radek, que « la première vague a échoué » et qu'il faut maintenant « organiser les masses en vue de la prochaine»[242], Boukharine, à Moscou, il n'est pas d'accord et pense qu'en Allemagne le pouvoir est toujours au bout des fusils d'une insurrection prochaine[243]. Or il n'est pas le seul à le penser : nombreux sont en effet en Europe les communistes qui tirent des défaites de 1919 des conclusions tout à fait opposées à celles de Levi et de Radek. Et d'abord, comme il était prévisible en Allemagne même, au sein du K.P.D. (S).

Les gauchistes du K.P.D. (S)[modifier le wikicode]

A mesure que les actions isolées se révèlent de plus en plus vouées à l'échec, les plus enragés des militants communistes commencent à s'interroger : la « combativité des masses », qui avait pour eux justifié leur propre impatience révolutionnaire, disparaît. Dénoncer la trahison des dirigeants social-démocrates se révèle vite insuffisant pour réveiller dans la masse des travailleurs la soif d'action. Ces hommes qui ont cru le pouvoir à portée de main se mettent à la recherche de raccourcis, de recettes nouvelles leur permettant, soit de surmonter l'apathie des masses, soit de faire la révolution malgré elle.

La grande majorité des militants se retrouve dans ce courant gauchiste, celui-là même qui l'avait emporté au cours du congrès de fondation du parti. Les événements de janvier ne font que renforcer encore leur détermination, leur haine des opportunistes, des dirigeants majoritaires et des syndicats. Le courant ne s'exprime pas seulement à travers des éléments responsables des I.K.D., comme l'ancien député saxon Otto Rühle, ou le Brêmois Karl Becker, les Hambourgeois Wolffheim et Laufenberg. Il entraîne aussi des hommes comme Willi Münzenberg, formé en grande partie sous l'influence de Lénine en Suisse, de vieux spartakistes comme Merges, du Brunswick, et les dirigeants de l'organisation communiste berlinoise Wendel et Karl Schröder. Tous expriment la même impatience, la même exaspération et une quête éperdue de nouveaux moyens d'action. Tous rejettent en bloc les «compromissions», la participation aux «parlements bourgeois », prônent le boycottage des élections comme arme de classe et la propagande en faveur du boycottage comme moyen de débarrasser les masses de leurs illusions démocratiques[244]. Tous considèrent que les syndicats, corporatistes et réformistes, sont devenus des « chiens de garde » du capitalisme, qu'ils servent à dévoyer la lutte spontanée des travailleurs et que les révolutionnaires doivent lutter afin de les détruire en tant qu'obstacles à la conscience de classe et à la lutte révolutionnaire. Tous opposent « les masses » aux « chefs », l'action « spontanée » à l'organisation, forcément « bureaucratique» à leurs yeux. Tous profitent du mode fédéraliste d'organisation adopté au congrès de fondation et des conditions d'illégalité pour affirmer l'autonomie des groupes locaux, l'indépendance et l'initiative politique des militants « de base », contester le rôle dirigeant de la centrale[245].

A Hambourg, sous l'influence de l'ancien I.W.W. Fritz Wolffheim, se développe le courant que Bock qualifie d'«unioniste » - terme qu'il préfère à celui, généralement employé, de «syndicaliste »[246]. L'idée centrale en est la nécessité de mettre fin à la traditionnelle séparation d'organisations et à la division du travail entre parti et syndicat : les « unions » doivent être les organisations ouvrières uniques, cumulant fonctions économiques et politiques, dont la base est l'entreprise et l'organisme le plus élevé l'union d'industrie. C'est en faveur d'une telle « organisation révolutionnaire d'entreprise » que se prononce, dès février 1919, le journal communiste de Hambourg Kommunistische Arbeiter-Zeitung. La campagne en faveur des unions va de pair avec la dénonciation systématique des syndicats traditionnels et le soutien des initiatives scissionnistes qui donnent naissance à de telles « unions ». Wolffheim justifie théoriquement cette politique. Pour lui, les syndicats ont correspondu à la phase historique de développement du capitalisme et permis le rassemblement de la classe sur ses revendications économiques, mais ils constituent désormais, dans la phase de destruction du capitalisme, des obstacles à abattre sur le chemin de la révolution[247]. Les communistes de Hambourg proposent de dissoudre les syndicats et de distribuer leurs fonds aux chômeurs; en août, l'organisation du district du K.P.D. (S) de Hambourg déclare incompatibles l'appartenance au parti et à un syndicat[248].

Pour eux, en effet, l'une et l'autre formes traditionnelles ont fait faillite avec les opportunistes : il faut désormais surmonter la scission de fait du prolétariat, éparpillé entre partis réformistes et syndicats corporatistes et, partout, soumis à l'autorité de « chefs »; il faut, pour cela, rassembler les travailleurs « à la base », sur le lieu de leur travail, dans ces « unions » sur la base des usines où s'effacerait toute distinction entre action syndicale et action politique, et dont le seul fondement programmatique consisterait en l'acceptation de l'idée de dictature des conseils ouvriers comme seule force d'accession au socialisme. Partisans, eux aussi, des « unions », les militants de Brême, dont Karl Becker se fait sur ce point le porte-parole[249], et ceux de Berlin, Karl Schröder et Wendel, ne remettent pas en question la nécessité du parti communiste, qui doit au contraire, à leurs yeux, créer, soutenir, diffuser les unions. Le 7 octobre, à l'assemblée berlinoise des conseils, la fraction du K.P.D. (S), par la bouche de Rasch, somme les indépendants d'opposer à la « révolutionnarisation » des syndicats la perspective de construction d'organisations révolutionnaires d'usine, et déclare qu'elle quittera la séance si son point de vue n'est pas accepté. Tous les efforts des indépendants de gauche, Richard Müller, Malzahn, Neumann, Däumig, dans cette assemblée que les social-démocrates majoritaires ont depuis des mois désertée, sont vains, face à la détermination des communistes berlinois qui invoquent la « trahison » des syndicats officiels et le « succès » de l'A.A.U.[250].

En fait, critiquant leur propre version du marxisme révolutionnaire, tendant désespérément de forcer le succès après une année de cruels échecs, bien des militants du parti communiste retrouvent simplement, sous les mots d'ordre et à travers une pratique qu'ils estiment « nouveaux », des tendances très proches des courants anarchistes et syndicalistes contre lesquels le marxisme s'était initialement imposé au sein du mouvement ouvrier, mais qui renaissent sous le poids de la défaite et de l'impuissance face aux bureaucraties. C'est ce que pense Paul Levi, pour qui ces théories constituent « un retour en arrière, vers l'aube du mouvement ouvrier »[251].

Convaincu de l'ampleur du mal, il tente d'abord de ressaisir les fils d'une organisation qui n'existe que sur le papier : c'est l'objet de la conférence d'avril 1919, où le pays est divisé en vingt-deux districts, chacun étant dirigé par un secrétaire qui a pour mission de « rassembler tous les éléments communistes », dont la majorité sont encore épars dans les rangs indépendants, « de nouer des liens d'organisation entre les camarades », d' « organiser des groupes locaux »[252].

Mais les débats de la conférence d'août 1919[253] lui démontrent qu'il faut agir de façon plus radicale : certain qu'il ne dispose pas des moyens de contraindre les éléments gauchistes à accepter la discipline sous l'autorité de la centrale, il se décide pour la scission. L'essentiel, pour lui, est de ramener le parti dans la voie du marxisme, ce qui implique par priorité la correction des décisions du congrès de fondation. L'essentiel est de disposer d'une organisation construite sur des bases marxistes, si réduite soit-elle. Décidé à utiliser sa position à la tête de la centrale, il va de l'avant, bien décidé, s'il le faut, à exclure la majorité des militants pour guérir le parti. Et c'est dans cet esprit qu'il prépare le 2° congrès, lequel se tient, à partir du 20 octobre 1919, dans la région de Heidelberg, changeant quotidiennement de lieu et de couverture.

Instruit par l'expérience des premiers mois de 1919 comme par celle du congrès de fondation, il s'efforce d'abord de modifier le mode de représentation des groupes locaux, dont les plus importants numériquement - ceux-là mêmes qui le soutiennent, comme celui de Chemnitz - ont été sous-représentés, puisque aucun groupe n'avait, au congrès de fondation, plus de trois délégués, même s'il avait plus de 250 membres[254]. Prenant au sérieux le rôle de « centrale » de la direction, il prend des initiatives qui relèvent d'une conception effectivement plus centraliste que celle du 1° congrès[255] : c'est ainsi qu'il obtient la dissolution de la Ligue des soldats rouges, devenue le refuge des gauchistes et des éléments les plus aventuristes, véritable « garde rouge » à l'intérieur et sur les marges du parti[256]. Cette mesure ne provoque apparemment sur le coup aucune protestation, mais, prise dans les conditions difficiles de l'illégalité, elle sera bientôt dénoncée par ses adversaires comme un gage de bonne volonté donné par lui au gouvernement de Noske, et un premier pas vers la capitulation.

Le congrès de Heidelberg[modifier le wikicode]

Dès l'ouverture du congrès, Paul Levi passe à l'attaque dans un rapport qui constitue à la fois un rappel des principes communistes, une analyse de la situation politique et un réquisitoire contre les thèses des gens de Hambourg qu'il dépeint comme des « syndicalistes ». La centrale propose de commencer par une discussion et l'adoption des principes des fondements de l'action du parti, puis d'examiner les points particuliers en discussion, à travers les thèses qu'elle présente sur le parlementarisme et la question syndicale. Les thèses sur les principes soulignent que la révolution ne peut consister en un « coup isolé », qu'elle est « un processus de montée et de descente, de flux et de reflux », le résultat d'une lutte acharnée menée par une classe « qui n'a pas encore complètement conscience de ses tâches ni de ses forces »[257]. Les communistes, dans le but précisément de développer cette conscience, ont le devoir d'utiliser tous les moyens pour y parvenir, y compris la participation aux élections et particulièrement le militantisme au sein des syndicats. Elles dénoncent comme des « utopistes petits-bourgeois » les partisans des « unions ouvrières » qui « croient que des mouvements de masses peuvent être provoqués sur la base d'une forme particulière d'organisation, donc que la révolution est une question de forme d'organisation »[258].

La première discussion éclaire la tactique de la centrale : ses adversaires sont divisés. Unis dans leur hostilité au parlementarisme et aux syndicats, ils sont séparés par des divergences plus importantes encore sur les principes, notamment sur le rôle du parti communiste. Aussi Wolffheim tente-t-il de retourner la situation par une modification de l'ordre du jour, proposant de discuter d'abord du parlementarisme et des syndicats, et seulement ensuite des principes. Levi défend l'ordre du jour avec des arguments simples : la discussion et l'accord sur les principes constituent des préalables, sur la base desquels les autres questions pourront être réglées dans la clarté. Par 23 voix contre 19, le congrès maintient l'ordre du jour proposé par la centrale[259]. Par 24 voix contre 18, il décide de donner le droit de vote aux membres de celle-ci[260].

Les gauchistes sont pris de court. Les mœurs anciennes, l'émiettement de l'organisation sous les coups de la répression, leur avaient fait sous-estimer le danger que pouvait constituer pour eux cette centrale élue au congrès de fondation et composée de militants en réalité minoritaires tant dans ce congrès que dans le parti lui-même. Or il est clair que son objectif est d'exclure ses adversaires les plus déterminés. Laufenberg nie que le débat soit un débat politique, affirme que Levi n'a brandi l'épouvantail du syndicalisme que pour provoquer une scission : celle-ci lui est nécessaire pour permettre un rapprochement avec les indépendants de gauche et une politique parlementariste. Il dit que les thèses que Levi vient de présenter n'auraient pas la moindre chance d'être adoptées par les militants du parti si ceux-ci les connaissaient[261]. De son côté, Wolffheim se plaint que la centrale n'ait jamais cherché à engager la discussion avec l'organisation de Hambourg : il n'a jamais, dit-il, reçu de sa part d'autres critiques que dans le domaine financier; il vient seulement de découvrir qu'il existait aussi des désaccords politiques[262]. En fait, le terrain même sur lequel se situent ces orateurs montre que le coup préparé par Levi a réussi. Parmi les autres délégués, Schnellbacher déclare que le parti se trouve de nouveau devant le vieux débat « entre Marx et Bakounine »[263]. Münzenberg, qui appartient aux rangs des adversaires de la participation aux élections, condamne certes ce qu'il appelle « l'activité trop propagandiste » de la centrale, mais ne fait pas de l'« anti-parlementarisme » une question de principe, et surtout se dresse contre la conception « fédéraliste » du parti défendue par Hambourg :

« Le caractère fédéraliste des luttes isolées en Allemagne a clairement démontré les dangers du fédéralisme »[264].

Les thèses sur les principes et la tactique, mises aux voix l'une après l'autre, sont adoptées, celle qui condamne résistance passive et sabotage comme moyens d'action, d'extrême justesse, par 25 voix contre 23. L'exclusion des adversaires des principes - présentée par Levi comme une nécessité pour la clarté et la cohésion - est acquise par 21 voix contre 20. L'ensemble des thèses est finalement adopté par 31 voix contre 18[265]. Les délégués de l'opposition, Laufenberg, Wolffheim, Rühle, Schröder, Wendel, Becker et les autres, ne reviendront pas au congrès : le même soir, après un débat, l'opposition refuse la création immédiate d'un nouveau parti proposée par Wolffheim et Laufenberg[266], Malgré tout, la voix de la scission est ouverte.

Il reste à Levi à surmonter l'opposition du groupe qu'on appelle alors le « groupe-tampon» et qu'animent Willi Münzenberg et Georg Schumann. Ces derniers, tout en acceptant les thèses sur la tactique et les principes et en affirmant leur fidélité à la conception marxiste et bolchevique du parti, continuent à s'opposer à la participation aux élections[267]. Mais les délégués adoptent en définitive les thèses présentées par Levi et le principe de la participation[268]. Les thèses votées ensuite sur la question syndicale précisent que les communistes militent à l'intérieur des syndicats afin de détacher les masses ouvrières de la bureaucratie syndicale, qui constitue le principal obstacle au développement de la conscience révolutionnaire : c'est le devoir des militants communistes de demeurer dans les syndicats chaque fois et aussi longtemps qu'ils peuvent y gagner des combattants à la révolution[269].

Paul Levi a gagné la première manche de sa lutte pour le redressement du K.P.D. (S), en obtenant du 2° congrès qu'il revienne sur les plus néfastes des prises de position de son congrès de fondation : c'est ce qu'il explique dans un message adressé à tous les militants[270].

Radek et Lénine contre la scission[modifier le wikicode]

Dans une lettre envoyée de sa cellule au congrès du parti, Radek avait nettement pris position sur tous les points essentiels en faveur des thèses de Paul Levi, qui reflètent d'ailleurs le contenu de leurs discussions; il expose ce qu'il considère comme les leçons essentielles de la révolution russe, tant sur la participation aux élections, le militantisme dans les syndicats que sur la centralisation du parti[271]. En revanche, il a été très surpris d'apprendre, à la veille du congrès, grâce à une lettre de Bronski apportée à la prison par une militante autrichienne émigrée depuis août 1919 à Berlin, Elfriede Friedländer[272], que Levi avait l'intention de faire exclure les adversaires des thèses sur les principes. Il utilise à son tour la messagère de Bronski pour tenter par une lettre de dernière minute de dissuader Levi d'aller jusqu'à une mesure qui signifie en fait la scission. Levi ne tiendra pas compte de ce message[273].

Radek - qui écrira, mais beaucoup plus tard, que les thèses de Heidelberg comportaient quelques « formulations opportunistes[274] » - est d'autant plus sensible sans doute à la forme revêtue par la scission en train de se préparer que nombre de ses anciens camarades et partisans de Brême, Karl Becker en tête, et même, à Hambourg, le communiste russe Zaks-Gladniev - qui milite sous le nom de Fritz Sturm - sont dans les rangs des organisations de l'opposition rejetées à Heidelberg, parce que solidaires, contre le K.P.D. (S), de Wolffheim et Laufenberg. Il reprend contact avec eux afin, écrira-t-il, d'organiser sur de meilleures bases la lutte contre Laufenberg et son groupe, et de conserver au mouvement communiste des militants qu'il apprécie[275] pour avoir été, au moins partiellement, leur maître à penser.

Les bolcheviks, quant à eux, ne peuvent pas ne pas reconnaître que les thèses de Heidelberg sont dans la ligne de leur politique, ni leur refuser un soutien sans réserve. Mais ils n'en condamnent pas moins nettement la scission. Lénine, qui a appris la nouvelle par radio, s'adresse dès le 18 octobre à la centrale allemande pour lui dire que l'opposition gauchiste à laquelle elle s'est heurtée n'est qu'un signe de jeunesse et d'inexpérience, et qu'il eût été préférable d'entamer avec elle la discussion politique plutôt que de l'exclure préalablement à tout débat sérieux. Ignorant les conditions exactes dans lesquelles s'est déroulé le congrès, il s'exprime avec beaucoup de prudence sur la forme, précisant cependant :

« Si la scission était inévitable, il faut vous efforcer de ne pas l'aggraver, faire appel à l'arbitrage du comité exécutif de l'Internationale, forcer les « gauchistes » à formuler leurs divergences dans des thèses et dans une brochure »[276].

Tout en confirmant son accord au fond, il adjure les dirigeants allemands de ne pas ménager leur efforts afin de rétablir l'unité des communistes allemands : sans qu'il y ait eu entre eux la moindre concertation, il est donc exactement sur la même position que Radek. Mais Levi est, pour sa part, bien décidé à aller jusqu'au bout.

XVI. L'opposition gauchiste et la scission[modifier le wikicode]

Les lendemains du congrès de Heidelberg n'apparaissent guère favorables à Levi et à la centrale. Non seulement la prise de position des bolcheviks laisse la porte ouverte à une révision de leur attitude scissionniste, que Radek condamne nettement, mais encore il est évident que la majorité des militants du parti demeurent fidèles à leurs porte-drapeau gauchistes. L'opposition, en effet, rencontre un écho quand elle dénonce les méthodes «bureaucratiques » employées contre elle et la détermination de la centrale de chasser du parti tous les opposants. Les conditions de clandestinité dans lesquelles se déroule cette crise interne rendent en effet plausible l'accusation selon laquelle l'objectif de Levi serait la conclusion d'une alliance à perspectives électoralistes avec les social-démocrates indépendants, et l'exclusion des gauchistes le prix payé pour ce rapprochement.

Un parti en lambeaux[modifier le wikicode]

A l'exception de Chemnitz, ce sont les plus gros districts qui ont soutenu l'opposition dans sa bataille à la veille du congrès de Heidelberg. Ils restent solidement entre ses mains et repoussent par de fortes majorités les thèses adoptées au congrès : ainsi à Essen, où 43 militants seulement, sur un effectif de 2 000 environ, approuvent les thèses de la centrale[277]. A Hambourg, à Brême, à Berlin, à Dresde, bastions de l'opposition, la centrale prend l'initiative de convoquer directement les militants pour leur soumettre l'approbation des décisions du congrès et obtenir d'eux le désaveu des militants locaux : les résultats sont médiocres, pour ne pas dire catastrophiques[278]. Si l'on en croit, par exemple, Ruth Fischer, dans le district de Berlin-Brandebourg, qui comptait 12 000 militants à la veille du congrès de Heidelberg, 36 seulement sont présents pour en entendre le compte rendu présenté par Wilhelm Pieck[279]. La scission est consacrée à Berlin par une conférence de district qui se tient le 4 janvier et au cours de laquelle les dirigeants du district appellent à refuser de reconnaître les décisions du congrès[280]. Après des mois de bataille, en mars 1920, le district contrôlé par la centrale ne comptera pas plus de 800 militants[281]. Le comité central des 4 et 5 janvier va pourtant de l'avant dans l'application des décisions du congrès de Heidelberg et procède en bloc à l'exclusion de tous les districts et organisations dont les conférences ont refusé d'accepter les thèses et d'admettre l'exclusion des délégués de l'opposition : dès février 1920, les districts du Nord, du Nord-Est, de Saxe occidentale et de Berlin-Brandebourg sont exclus du parti; d'autres organisations, celles de Thuringe et d'Elberfeld-Barmen, sont en voie de l'être[282]. Les militants restés fidèles à la centrale - la frontière entre le « parti » et l' « opposition » manque de netteté - ne sont pas pour autant de la meilleure trempe. Au congrès de Karlsruhe, en février 1920, Heinrich Brandler, qui revient de la Ruhr, n'hésite pas à affirmer :

« Nous n'avons pas encore un parti. (...) Ce qui existe, en Rhénanie-Westphalie, est pire que si nous n'y avions rien. (...) Il ne sera pas possible d'y construire le parti communiste dans un délai rapproché. (...) Ce qui y a été fait a discrédité notre nom et notre parti. (...) Il en résulte que nos hommes n'ont pas la moindre autorité parmi les travailleurs »[283].

Au cours du même débat, Eberlein conteste cette appréciation, mais révèle qu'il n'y a plus d'organisation contrôlée par la centrale dans des centres comme Brême, Hambourg, Hanovre, Dresde, Magdebourg et que nombre de groupes locaux ont rompu avec elle toutes relations[284].

En fait, en dehors de Stuttgart, où le nombre de militants serait passé depuis Heidelberg de 4 600 à 5 300[285], et de Chemnitz - de 14 à 16 000[286]-, le parti communiste allemand n'est plus implanté que sous la forme de petits groupes isolés.

Le national-bolchevisme[modifier le wikicode]

La centrale est pourtant servie par les développements qui se produisent au sein de l'opposition, et notamment par les fracassantes prises de position de Wolffheim et Laufenberg, dont Levi avait fait ses cibles pendant et après le congrès.

Dès octobre 1918, les deux responsables hambourgeois avaient défendu, au sein de leur organisation locale, la thèse de la nécessaire transformation de la révolution en guerre populaire révolutionnaire contre les impérialistes de l'Entente, en alliance avec la Russie soviétique. En mai 1919, ils avaient, avec une grande violence, pris position contre l'éventuelle signature, par le gouvernement allemand, du traité de Versailles, considérée comme une capitulation devant l'impérialisme mondial[287], Cependant, dans la période précédant le congrès de Heidelberg, ils n'insistent pas sur cette perspective, guerroient à la fois contre la participation aux élections et aux syndicats - en faveur des « unions» et contre la centralisation du parti : Levi, à Heidelberg, les attaque sur ce terrain et les taxe de « syndicalisme », mais ne fait aucune allusion à leurs positions en faveur de la « guerre révolutionnaire ».

Or, dès le lendemain du congrès de Heidelberg, les militants de Hambourg tentent, en même temps, d'unifier l'opposition derrière eux et de l'entraîner sur leurs positions nationalistes de type nouveau, L'organe communiste de Hambourg, Kommunistische Arbeiterzeitung, lance un appel au regroupement des organisations de l'opposition:

« Toutes les organisations de parti du parti communiste allemand qui pensent que la dictature du prolétariat doit être la dictature de la classe ouvrière et non la dictature des dirigeants d'un parti, qui pensent en outre que les actions révolutionnaires de masse ne sont pas commandées d'en haut par un groupe de chefs, mais doivent émaner de la volonté des masses elles-mêmes et être préparées par le rassemblement sur le plan de l'organisation des prolétaires révolutionnaires dans les organisations de masse révolutionnaires sur la base de la démocratie la plus large, sont invitées à se mettre en liaison avec l'organisation du parti de Hambourg »[288].

Le 3 novembre, sous forme de supplément du Kommunistische Arbeiterzeitung, le district de Hambourg publie un texte dû à la plume de Wolffheim et Laufenberg : « Guerre populaire révolutionnaire ou guerre civile contre-révolutionnaire - Première adresse communiste au prolétariat allemand[289]. » Ils y défendent la thèse de la « prolétarisation » de la nation allemande, et de la nécessité d'une alliance de la nation-prolétaire avec la révolution russe pour une guerre révolutionnaire contre l'Entente, Leur thèse se précise avec un second pamphlet, « Communisme contre spartakisme »[290], dans lequel ils mêlent un exposé sur la nécessité de la « paix civile » - la bourgeoisie devant accepter le rôle dirigeant du prolétariat pour sauver la nation - à de furieuses attaques contre Paul Levi, ne reculant même pas devant l'antisémitisme, puisqu'ils le traitent de « Judas de la révolution allemande », l'accusant d'avoir en 1918, par sa propagande défaitiste, « poignardé le front allemand »[291].

Critiqués au sein même de l'opposition - où le seul élément responsable qui les soutiendra sera Friedrich Wendel -, violemment attaqués par les dirigeants de l'Internationale et ceux du K.P.D. (S)[292] - c'est Radek qui invente pour leur théorie le nom de « national-bolchevisme » -, Wolffheim et Laufenberg demeurent cependant partie prenante de l'organisation de l'opposition, dont ils constituent, dans les derniers mois de 1919 et les premiers de 1920, les fleurons les plus spectaculaires.

Tentative d'explication théorique de Pannekoek[modifier le wikicode]

Au moment où Wolffheim et Laufenberg commencent à se discréditer en tant que porte-parole de l'opposition communiste de gauche, les gauchistes allemands reçoivent le renfort des communistes hollandais Gorter et Pannekoek. Dès la fin de novembre 1918, Hermann Goner s'est en effet rendu à Berlin, où il collabore avec les éléments gauchistes, influençant en particulier Karl Schröder, se faisant le théoricien des « organisations révolutionnaires d'entreprise » et vraisemblablement l'un des inspirateurs, en février 1920, de l'Allgemeine Arbeiter-Union, première tentative d'unification « unioniste» à l'échelle de l'Allemagne[293].

Anton Pannekoek revient en Allemagne à la même époque, rejoint ses anciens camarades et disciples de Brême et de Berlin, collabore à la presse des I.K.D. puis à celle des organisations locales gauchistes du K.P.D. (S)[294]. Dès le lendemain du congrès de Heidelberg, il s'attelle à la tâche de l'explication théorique des divergences entre la centrale et les gauchistes, dans une série d'articles du Kommunist de Brême sur « Les Divergences en matière de tactique et d'organisation» et surtout dans son étude - publiée sous le pseudonyme de K. Horner - sur « La Révolution mondiale et la tactique communiste »[295]. Bientôt, oubliant leur impatience de l'année 1919, la majorité des gauchistes vont se retrouver derrière l'analyse de Pannekoek pour dénoncer l'opportunisme de la centrale allemande et les tendances similaires des dirigeants de l'Internationale et du parti russe, dans une polémique dirigée pour l'essentiel contre Radek.

Pannekoek tire en effet des premiers mois de la révolution allemande une conclusion opposée à l'analyse des gauchistes dans cette période : pour lui, l'expérience allemande fait en effet ressortir « la nature des forces, qui fera nécessairement de la révolution en Europe de l'Ouest un processus de longue durée »[296]. Pensant - comme Levi l'affirmait dès la conférence de Francfort en août 1919 - que l'Allemagne est désormais entrée dans une phase de stagnation, il écrit :

« Deux tendances se manifestent. (...) L'une (...) veut radicaliser les esprits, éclairer par la parole et par l'action, et s'efforce, pour cette raison, d'opposer avec la plus grande vigueur les principes nouveaux aux idées anciennes. L'autre, désireuse d'amener à l'activité pratique des masses qui s'y montrent peu enclines, cherche à éviter le plus possible de les choquer et fait ressortir ce qui unit plutôt que ce qui sépare. La première entend provoquer un clivage net et clair, la seconde vise à rassembler; le nom de tendance « radicale » convient à la première, celui d' « opportunisme » à la seconde. ( ... ) Il est hors de doute que l'opportunisme va prendre une singulière importance au sein de l'Internationale communiste»[297].

L'idée centrale du nouvel opportunisme lui paraît être celle selon laquelle un parti, grand ou petit, serait capable à lui seul, de réaliser la révolution :

« Pas plus qu'un petit parti radical, un grand parti de masse ou une coalition de divers partis ne sauraient mener à bien une révolution. Celle-ci est l'œuvre des masses, elle se déclenche spontanément. ( ... ) Ce qui sépare les communistes des social-démocrates, c'est l'intransigeance avec laquelle les premiers mettent en avant les principes nouveaux (système des soviets et dictature). L'opportunisme au sein de la III° Internationale emploie le plus souvent possible les formes et les méthodes de lutte léguées par la II° Inrernationale. Après que la révolution russe eut remplacé le parlementarisme par le système des soviets et édifié le mouvement syndical sur la base des usines, certaines tentatives - les premières - de suivre ce modèle virent le jour en Europe. Le parti communiste d'Allemagne boycotta les élections à l'Assemblée nationale et propagea l'idée d'une sortie organisée, immédiate ou progressive, des syndicats. Mais lorsqu'en 1919 la révolution se mit à refluer et à stagner, la direction du parti opta pour une tactique nouvelle, revenant au parlementarisme et soutenant les vieilles organisations contre les unions »[298].

La cause de la victoire de la bourgeoisie allemande sur la révolution de 1918-1919 réside à son avis dans un « facteur caché », « le pouvoir spirituel de la bourgeoisie sur le prolétariat » :

« C'est parce que les masses demeurent encore totalement soumises au mode de pensée bourgeois qu'après l'effondrement de la domination bourgeoise elles l'ont rétablie de leurs propres mains »[299].

L'exemple allemand permet de comprendre les problèmes de la révolution prolétarienne dans un pays où le mode de production bourgeois et une haute culture existent depuis des siècles :

« (Il) montre à l'œuvre des forces concrètes que nous avons désignées ici sous le nom d'hégémonie des conceptions bourgeoises : la vénération de formules abstraites du genre de la « démocratie »; la puissance des habitudes de pensée et de points du programme, tels que la réalisation du socialisme grâce à des chefs parlementaires et à un gouvernement socialistes; le manque de confiance du prolétariat en lui-même ( ... ) mais, bien plus encore, la croyance dans le parti, l'organisation, les chefs qui, des dizaines d'années durant, avaient personnifié la lutte, les buts révolutionnaires »[300].

Rejetant la thèse de la « minorité agissante », écartant l'illusion selon laquelle le pouvoir était à la portée des révolutionnaires, Pannekoek estime qu'il s'agit de développer au sein du prolétariat les bases d'un pouvoir de classe permanent. Tâche longue et difficile, qui contraint les révolutionnaires à reconsidérer les perspectives non seulement de Marx, mais des bolcheviks, en ce qui concerne la révolution dans les pays avancés :

« Les pays appelés à constituer le centre du nouvel univers communiste sont en effet ces pays nouveaux où les masses, loin d'être intoxiquées par les miasmes idéologiques de la bourgeoisie, sont sorties, avec les débuts de l'industrialisation, de la vieille passivité résignée, en même temps que s'éveillent en leur sein un sentiment communautaire, l'esprit communiste; pays où il existe également les matières premières nécessaires à mettre les techniques les plus modernes, héritées du capitalisme, au service de la rénovation des formes de production traditionnelles et où l'oppression est telle qu'elle engendre inévitablement la lutte et la combativité, mais où il n'existe pas de bourgeoisie excessivement puissante et capable de bloquer cette rénovation »[301].

Analyse originale, pessimiste pour l'immédiat mais confiante dans l'avenir, et dont le seul point commun avec l'idéologie gauchiste, telle qu'elle s'est jusque-là manifestée dans l'opposition, semble être l'hostilité à la formation de partis reconnaissants le rôle des « chefs » et admettant la possibilité d'un travail révolutionnaire dans les parlements bourgeois et les syndicats réformistes. L'opinion de Pannekoek est aux antipodes du pronostic de Laufenberg, rendant compte en novembre du congrès de Heidelberg et accusant la centrale de « manque de confiance dans les masses », puisqu'elle se refuse à agir comme si le problème du pouvoir devait être réglé au cours de l'hiver qui vient[302].

Ce n'est pas là pourtant la principale des contradictions de l'opposition, qui doit se situer également par rapport à la révolution russe et au rôle des partis communistes, ainsi que, plus concrètement, par rapport au parti officiel et à l'adhésion à l'Internationale.

L'opposition en crise[modifier le wikicode]

En partie sous l'influence de Pannekoek, et probablement de Radek, qui pèse de tout son poids sur ses vieux camarades de Brême, en partie sous l'effet de la réaction aux thèses nationalistes, se développe au sein de l'opposition un courant qui peut être considéré comme conciliateur. Dès le lendemain de l'adresse des dirigeants de Hambourg, les responsables de Brême réagissent contre le courant national-bolcheviste, qu'ils vont condamner sans ambiguïté, et créent un « bureau d'information» pour l'ensemble de l'opposition[303]. Le 23 décembre 1919, ce bureau, soutenu par l'organisation communiste de Brême de l'opposition, forte de ses 8 000 membres, lance un appel qui constitue une tentative raisonnée pour éviter la scission. Il se prononce en effet pour la convocation, à la fin de janvier, d'une nouvelle conférence du parti à laquelle seraient représentées toutes les organisations, quelle qu'ait été leur position à l'égard des thèses adoptées à Heidelberg, et pour la poursuite immédiate de la discussion commencée et prématurément interrompue à Heidelberg, avec un engagement, de la part de la centrale, de renoncer immédiatement à toute mesure de type scissionniste, exclusions ou autres[304].

En février 1920, lors de la fondation de l'A.A.U., c'est Karl Becker, au nom des militants de Brême, qui présente le point de vue « marxiste », minoritaire : il refuse de considérer que l'union ainsi constituée puisse se substituer au rôle du parti communiste et persiste à considérer les unions comme une forme simplement plus démocratique de « syndicat d'industrie »[305]. A la fin du mois, le 3° congrès du parti communiste est saisi par l'organisation exclue du district de Brême de propositions d'amendements aux thèses de Heidelberg[306] : les communistes de Brême, qui condamnent nettement les dispositions de Wolffheim et Laufenberg, affirment en même temps qu'ils ne sont pas prêts à la scission. Au même congrès, l'un des responsables du Kommunistiche Arbeiterzeitung, Karl Eulert, vient affirmer l'attachement de la rédaction du journal et de nombre de militants de Hambourg à l'unité du parti[307].

Dans le même temps, Franz Pfemfert proclame de son côté la « banqueroute du K.P.D. (S) » et se rapproche d'Otto Rühle qui, à travers le syndicalisme, chemine vers l'anarchisme, oppose, sous couleur de « communisme anti-autoritaire », le fédéralisme, le refus de la discipline, le culte de la spontanéité, qu'il juge « prolétariens », à la discipline, la centralisation, l'organisation, « bourgeoises » par essence, et se prononce pour un « socialisme sans chefs, sans Etat, sans domination »[308].

Dans ces conditions, on comprend que la centrale ait maintenu au congrès de Karlsruhe une position très ferme. Malgré les inquiétudes de Walcher, jugeant désormais inutiles des exclusions qui ne feraient que freiner le retour vers le parti des éléments sains de l'opposition[309], le congrès confirme les décisions de Heidelberg et refuse de discuter avec les communistes de Brême tant qu'ils n'auront pas rompu tout lien avec le groupe « nationaliste-petit-bourgeois de Wolffheim et Laufenberg »[310]. L'opposition gauchiste semble près de se décomposer, et la centrale peut compter sur la pression renforcée qu'exerce sur elle l'exécutif de l'Internationale, qui vient d'inviter ses représentants à une discussion directe, à Moscou[311]. Soudée seulement par une commune opposition aux hommes de la centrale et des positions de principe sous-tendues par des analyses profondément divergentes, l'opposition semble incapable de se décider à une clarification qui signifierait rupture ouverte dans ses rangs. Elle semble encore moins capable d'organiser un nouveau parti.

XVII. Le problème du centrisme[modifier le wikicode]

L'éclatement du K.P.D. (S) et les conditions d'illégalité dans lesquels il se débat expliquent que les travailleurs qui, depuis 1918, font l'expérience de la politique social-démocrate, ne soient guère attirés par lui, même quand l'exemple russe les tente. Paul Levi l'expliquera en 1920 à Moscou :

« Les masses qui, par centaines de milliers, désertaient la social-démocratie autrefois toute-puissante, avaient le choix entre le parti social-démocrate indépendant, demeuré légal pendant toute cette période, et le parti communiste allemand, illégal pendant ce même temps, et parfois totalement à l'écart de la scène politique. Il est tout à fait clair que, dans ces conditions, le parti social-démocrate indépendant devait nécessairement devenir la grande organisation des masses révolutionnaires »[312].

A la seule exception, en effet, de Chemnitz, où Brandler et Heckert avaient été capables, en janvier 1919, d'entraîner au K.P.D. (S) la presque totalité des ouvriers indépendants, la masse des anciens social-démocrates révolutionnaires, des anciens radicaux, comme le gros des jeunes gagnés à la révolution par la guerre, la révolution russe, la révolution de novembre et ses lendemains, sont demeurés dans le parti de Haase et Dittmann où, depuis, des dizaines et des centaines de milliers d'autres les ont rejoints. D'une centaine de milliers d'adhérents au moment de la révolution, le parti indépendant passe à plus de 300 000 en mars 1919[313].

Nouvelle chance pour le communisme[modifier le wikicode]

En dépit de sa confusion et malgré les divergences qui opposent les uns aux autres ses dirigeants sur toutes les questions, le parti social-démocrate indépendant a ainsi gagné au cours de l'année 1919 une véritable majorité d'ouvriers d'avant-garde. Ses militants occupent en particulier dans les syndicats des positions solides, qui contribuent à faire de lui le pôle de regroupement des adversaires de la collaboration de classe. Au 10° congrès des syndicats, à Nuremberg, du 30 juin au 5 juillet 1919, ce sont deux militants indépendants, Robert Dissmann et Richard Müller, qui ont été les porte-parole d'une opposition réclamant la rupture avec les collectifs de travail patronat-travailleurs, l'abandon de la politique de concertation et de la collaboration de classes, le retour à un syndicalisme de lutte de classes[314]. Ils ont réussi à rassembler 179 délégués - contre 445 à la commission générale - dans le vote sur la confiance à la direction sortante, 181 - contre 420 - à l'issue du débat d'orientation[315]. Au congrès de Stuttgart du syndicat des métallos, c'est une opposition dirigée par les mêmes militants indépendants qui a réussi, fait sans précédent, à renverser la majorité, faisant condamner par 194 voix contre 129 la politique de la direction sortante et rassemblant la majorité pour une orientation de lutte de classes devant se concrétiser immédiatement par la démission des représentants syndicaux de tous les organismes de « collectif de travail » avec le patronat[316]. Le syndicat des métallos une fois passé aux mains de Dissmann et d'une équipe qui rassemble la quasi-totalité des anciens délégués révolutionnaires de Berlin[317], ce sont des secteurs entiers du mouvement syndical qui rompent avec la politique réformiste des majoritaires et rallient les indépendants. A Berlin, les majoritaires perdent la direction du syndicat des métaux et y sont remplacés par les indépendants Oskar Rusch et Otto Tost qui, du coup, prennent le contrôle du cartel des syndicats de la capitale[318]. Il en est de même du syndicat d'industrie des métiers de l'imprimerie, dont l'organe, Graphischer Block, devient à partir du 1° septembre 1919 celui de toute l'opposition de gauche dans les syndicats. A Halle, l'exécutif du cartel local est pris en main dès le mois de mai par l'indépendant de gauche Bovitsky, puis le secrétariat local du travail par son camarade de parti et de tendance Lemke[319]. Les positions syndicales de ces hommes, Dissmann, Richard Müller, Rusch, Tost, Niederkirchner, Malzahn, Neumann, chez les métallos, Bottcher chez les imprimeurs, Teuber chez les mineurs, sont d'autant plus solides qu'ils ne sont pas contestés sur la gauche par les communistes[320]. Ces derniers, en effet, depuis novembre 1918, ont pratiquement déserté les syndicats, soit par principe, soit qu'ils en aient été exclus. Ils ont été partie prenante dans l'organisation de nombreuses « unions », comme l'Union des mineurs de la Ruhr fondée en mars 1919 à Essen[321]. Dans les syndicats traditionnels, lorsqu'ils y sont restés, il n'est d'ailleurs par rare que les militants du K.P.D. (S) se tiennent par purisme à l'écart des responsabilités syndicales : c'est ainsi que Sepp Miller, élu à la direction nationale du syndicat des métaux, en tant que dirigeant incontesté des métallos de Brême, par le congrès de Francfort, refuse de siéger, pour n'avoir pas à « s'asseoir à la même table » que des « socialtraîtres »[322]. Levi est impressionné par les résultats que les indépendants ont obtenu dans leur travail syndical. Il estime que c'est l'irresponsabilité des éléments putschistes, dont il vient d'exclure les chefs de file, qui a tenu à l'écart de la fondation du K.P.D. (S) les principaux dirigeants de gauche du parti indépendant, et que les masses ouvrières qui les ont ralliés depuis[323] ne sont allés vers eux que parce que le parti communiste était illégal[324] et que son aventurisme ne pouvait que les effrayer[325]. Il est persuadé que c'est de la capacité du parti communiste à conquérir les indépendants de gauche et leur base de masse que dépendent les chances de développement du communisme en Allemagne, et par conséquent de victoire de la révolution prolétarienne. Ainsi serait à ses yeux corrigés l' « aberration » du développement historique du mouvement allemand : le fait que n'ait pas été constitué avant guerre un noyau révolutionnaire, le fait que le K.P.D. (S) ait été fondé, dans les pires conditions de janvier 1919, sur une orientation gauchiste qui le coupait de la masse des travailleurs avancés[326].

La naissance de la gauche indépendante[modifier le wikicode]

Il faudra cependant un certain temps pour que se structure, au sein du parti social-démocrate indépendant, un courant de gauche nettement orienté vers le communisme et pour qui les positions de l'Internationale communiste constituent une caution et un contrepoids face à la pratique des communistes allemands que, de toute façon, ils rejettent. C'est en mai 1919, après le 2° congrès, que Clara Zetkin, comme prévu, a rompu et rejoint le K.P.D. (S)[327]. Contre Haase, porte-parole de la direction, le groupe des Berlinois, délégués révolutionnaires en tête, dénonce, derrière Däumig et Richard Müller, l'« opportunisme » et le « réformisme » des dirigeants. Leurs idées rencontrent d'autant plus d'écho que les débuts de la Constituante ne constituent pas pour la droite un bon thème de propagande : dans l'atmosphère de répression déchaînée par les hommes de Noske, la perspective de la « réunification socialiste » qui, un mois auparavant encore, était ouvertement exprimée par le groupe dirigeant[328] manque de force d'attraction. La gauche demeure cependant confuse, à l'image de ses inspirateurs. Däumig présente un contre-rapport dans lequel il développe longuement ce qu'il appelle « le système des conseils»[329], étroitement inspiré du schéma d'organisation soviétique, qu'il oppose au vieux système démocratique parlementaire. Sur ce point au moins il ne présente aucune divergence avec le mot d'ordre communiste du pouvoir des conseils, mais souligne son profond désaccord avec ce qu'il appelle la « tactique putschiste » des communistes. Il invite les délégués à prendre garde au danger qu'ils représentent de ce point de vue dans une période de radicalisation des masses : si le parti indépendant ne se prononce pas pour les conseils, le parti communiste se développera à sa gauche[330].

La résolution finale résulte d'un compromis et, comme le souligne Eugen Prager[331], reflète simultanément les deux tendances qui s'opposent désormais dans le parti. Elle rappelle en effet que celui-ci est construit sur la base du vieux programme d'Erfurt et précise qu'à la lumière des expériences révolutionnaires récentes il se déclare partisan du « système des conseils », qui « rassemblent » les travailleurs dans les usines, donnent au prolétariat le droit d'« autogestion dans les entreprises, les municipalités, l'Etat » et préparent « la transformation de l'économie»[332]. Elle affirme que l'objectif du parti est « la dictature du prolétariat », ce dernier étant le « représentant de la grande majorité du peuple » (Vertreter der grossen Volksmehrheit). Pour parvenir à ce but, elle n'exclut aucun moyen de lutte politique ou économique, « y compris le parlementarisme » et condamne « les violence irréfléchies »[333]. Elle se prononce enfin pour la « reconstruction de l'Internationale ouvrière sur la base d'une politique révolutionnaire socialiste dans l'esprit des conférences internationales de Zimmerwald et de Kienthal »[334]. La droite du parti s'est en définitive tirée à bon compte du 2° congrès: elle conserve la direction sur la base d'un compromis qui ne lui lie pas les mains et lui permet de poursuivre sa propre politique. Résolution typique d'un parti centriste, la résolution finale laisse ouverts les désaccords réels : c'est ainsi que Däumig, élu avec 104 voix à la présidence du parti immédiatement après Haase, qui en obtient 159, refuse de partager avec lui cette responsabilité et rend son mandat au congrès, qui le remplace par Crispien[335]. Dans les mois qui suivent, la résistance de la droite aux pressions accrues de la gauche, la mauvaise volonté de la majeure partie de la presse du parti à défendre le « compromis ». la reprise des relations internationales enfin, vont aggraver les divergences.

La résolution du congrès de mars est en effet la base sur laquelle le parti indépendant doit œuvrer à la « reconstruction » de l'Internationale dont Kautsky s'est fait le champion - et qui n'est autre que la reconstruction de la II° Internationale sur ses bases d'avant 1914, assortie d'une amnistie mutuelle des partis. A Berne, en février, la délégation du parti, conduite par Haase et Kautsky, avait voté avec la majorité une résolution condamnant implicitement la « dictature », c'est-à-dire le bolchevisme[336]. A Lucerne, en août, les délégués indépendants se rangent dans la minorité qui désire garder la porte ouverte aux communistes; mais ils condamnent encore une fois les méthodes de violence en dépit de l'adhésion de leur propre congrès à la « dictature du prolétariat »[337]. En fait, l'échec de ces deux conférences, leur incapacité à remettre sur pied très vite de réels organismes internationaux et même à s'accorder sur leur nécessité, sapent les efforts des « reconstructeurs » et, au lendemain même de la conférence de Lucerne, Kautsky doit admettre que l'adhésion à la III° Internationale est en train de gagner de nombreux partisans[338].

La masse des militants indépendants ne peut en effet envisager avec indifférence une adhésion à une Internationale qui tolèrerait la présence des social-démocrates de leur pays, les « socialistes à Noske ». En outre, la proclamation de l'Internationale communiste - que les dirigeants indépendants, y compris ceux de gauche, sont unanimes à juger au moins « prématurée » - exerce sur eux une attraction incontestable : cette Internationale là bénéficie du prestige de l'Octobre victorieux, et le sentiment est profond qui dresse les militants contre tout ce qui ressemble à une tentative d'isoler les Russes. De tels facteurs contribuent à renforcer une aile gauche qui commence à agir en tendance organisée[339]. Une nouvelle génération de dirigeants émerge, des hommes pour qui l'expérience de novembre et des mois de réaction qui ont suivi impose une ligne révolutionnaire dure, une organisation sérieuse, la construction d'une véritable Internationale de partis de combat. A l'ancien noyau berlinois des Däumig, Richard Müller, Adolf Hoffmann - dont Ledebour se sépare par antibolchevisme - se joignent maintenant des hommes plus jeunes, souvent anciens des Jeunesses, actifs pendant la guerre et la révolution, et qui n'ont pas au même degré subi l'influence des mœurs et de l'état d'esprit dans le parti avant guerre : les Wilhelm Koenen, Anton Grvbvicz, Bernhard Düwell, Stoecker, Curt Geyer, Böttcher, Remmele, qui, tous, ont été organisateurs de conseils et animateurs de comités révolutionnaires. Pour eux, la question d'une fusion avec le parti communiste, empêtré dans la crise nourrie par son sectarisme, ne se pose pas par elle-même[340], mais ils attachent une grande importance au problème des rapports avec l'Internationale communiste.

La question est posée devant la conférence d'Iéna les 9 et 10 septembre 1919. Faut-il ou non que le parti se rende à la conférence de Genève qui va tenter de ressusciter la II° Internationale? Déjà, les progrès de la gauche sont évidents : des journaux influents comme Hamburger Volkszeitung, que dirige le talentueux Wilhelm Herzog, ou encore le Gothaer Volksblatt, ont pris position pour l'adhésion à la III° Internationale et la fusion avec le K.P.D. (S), ainsi que des assemblées générales de militants à Halle et à Zella-Mehlis, et, un peu partout, des minorités de plus en plus décidées[341]. Le nouveau rapport des forces se traduit clairement dans le cours des débats. Hilferding, qui expose le point de vue de la direction - celui de l'aile droite - se prononce cette fois contre la réunification avec le parti social-démocrate qu'il souhaitait encore au début de l'année. Il se prononce également contre l'adhésion à la II° Internationale en voie de reconstitution. Mais il est également contre l'adhésion à la III°, dont il pense qu'elle n'a guère plus de chance de survie que le régime soviétique : on ne monte pas sur un bateau en train de couler; dans le cas où, par miracle, elle se développerait, elle se trouverait sous l'emprise totale des communistes russes. Sa conclusion indique donc une voie centriste:

« La direction du parti a décidé d'entrer en rapports avec tous les groupes de gauche afin de s'adresser avec eux aux bolcheviks pour rechercher une entente. ( ... ) Le temps nous aidera et amènera le moment où il sera possible de créer une Internationale capable de devenir un instrument révolutionnaire »[342].

Le procédé est bien imaginé : ne pas tenir compte de la III° Internationale, conclure un bloc international avec un certain nombre d'autres partis de gauche et, seulement ensuite, s'adresser aux bolcheviks, reviendrait effectivement à retourner la situation en faveur du parti indépendant. En fait, si le congrès à venir devait suivre Hilferding, le parti indépendant se ferait l'instrument principal de l'initiative lancée par le parti socialiste suisse au lendemain de Lucerne, la « reconstruction» de l'Internationale sur les bases d'avant 1914 après condamnation platonique du social-chauvinisme, solution « centriste» qui sera celle de l'Union des partis socialistes de Vienne, qualifiée de « deuxième Internationale et demie» par ses adversaires communistes.

Au nom de la gauche, Walter Stoecker réclame la discussion et l'étude du problème de l'adhésion à la III° Internationale. Le mouvement ouvrier mondial a selon lui besoin avant tout de clarté, et Hilferding lui propose une solution ambiguë cherchant en réalité seulement à préserver pour l'avenir les chances d'une réconciliation générale sur une base d'amnistie réciproque. Or, la grande leçon de la faillite de la II° Internationale en août 1914, c'est qu'il faut « une Internationale construite sur des bases entièrement nouvelles », « sur des bases révolutionnaires claires », capable « d'entreprendre et de diriger le combat contre le capitalisme mondial. La fondation à Moscou d'une nouvelle Internationale est un fait, qu'on la juge ou non prématurée. Il ajoute que la défense de la révolution russe est le premier devoir présent des révolutionnaires :

« C'est notre devoir que d'être par tous les moyens et avec toutes nos forces aux côtés de nos frères et camarades russes, quoi que nous puissions penser de certains aspects de leur tactique. L'apport d'un parti d'un million de membres comme le nôtre signifierait sans aucun doute pour les Russes un renfort moral considérable. Un tel soutien va en outre dans le sens de notre intérêt propre, car la chute de la république russe des conseils déchaînerait sur toute l'Europe une dangereuse vague de réaction »[343].

Entre la conférence d'Iéna, en septembre, et le congrès de Leipzig, en décembre 1919, la gauche fait de nouveaux progrès[344]. Assemblées générales et conférences de cercles se prononcent, nombreuses, pour l'adhésion à la III° Internationale et pour la dictature du prolétariat contre le régime parlementaire. Au congrès, cette tendance obtient d'importants résultats. Tout d'abord, la disparition du programme d'action du parti de la référence à la nécessaire « conquête de la majorité », prétexte invoqué par l'aile droite pour rejeter la prise du pouvoir jusqu'au lendemain de la conquête de la majorité électorale. Ensuite, le texte précise que la « dictature du prolétariat » ne peut reposer que sur la base du « système des conseils », et que l'action de type parlementaire doit en tout état de cause être subordonnée aux exigences du moyen d'action essentiel, l'action de masses. Sur ce point, des réserves sur le régime soviétique et la condamnation de la terreur, excusable en Russie par les conditions spécifiques de la guerre civile, constituent une concession à la droite qui provoquera la colère des bolcheviks[345].

Les résultats du débat sur l'affiliation internationale sont moins nets. Après avoir décidé, par 227 voix contre 54, de rompre avec la II° Internationale[346], le congrès repousse, par 170 voix contre 111, la résolution de Wa1ter Stoecker pour l'adhésion à la III° Internationale[347]. Finalement, c'est une nouvelle fois par 227 voix contre 54[348] qu'il adopte une résolution de compromis, à mi-chemin entre la position d'Hilferding et celle de Stoecker : après avoir rappelé l'accord du parti avec l'Internationale communiste sur les problèmes fondamentaux de la révolution et du socialisme, elle appelle à la construction d'une Internationale révolutionnaire capable d'agir, qui rassemblerait, outre les partis adhérant actuellement à la III° Internationale, « les partis socia1révolutionnaires des autres pays ». Au cas où ces derniers se déroberaient, le parti indépendant aurait alors à entreprendre seul les pourparlers pour son adhésion à l'«Internationale de Moscou»[349].

Le tournant est capital. C'est, une fois de plus, Radek qui intervient pour en montrer la portée, et pour indiquer aux communistes allemands ce qu'il exige d'eux[350]. Selon lui, en effet, le congrès de Leipzig constitue « une victoire des masses ouvrières indépendantes sur leurs dirigeants opportunistes »[351], mais une victoire qu'il est nécessaire de consolider. Car le parti indépendant ne pourra prendre place réellement - et non pas seulement de façon formelle - dans l'Internationale, que s'il devient un parti de combat. Et cette transformation dépend en partie du K.P.D. (S). Radek précise :

« Ce n'est que dans la mesure où le parti communiste surmontera sa propre crise qu'il pourra aider les travailleurs indépendants à surmonter la crise de leur propre parti, et à construire ainsi la base de la réunification du prolétariat révolutionnaire allemand »[352].

Aussi est-il nécessaire de corriger bien des réactions du parti communiste et de sa presse, qui continuent souvent à traiter le parti indépendant comme si le congrès de Leipzig n'avait pas eu lieu, et comme si les indépendants en étaient encore à leur position de 1919. Certains communistes persistent à élever la scission à la hauteur d'un principe permanent, alors que le prolétariat allemand ne saurait vaincre avant d'avoir rassemblé ses forces sur une base révolutionnaire. C'est cette tâche, et elle seule, qui est à l'ordre du jour en Allemagne, sous une forme concrète qu'il n'est pas encore possible de déterminer. La tactique des communistes par rapport à cet objectif fondamental doit être, selon Radek, déterminée désormais à partir de la reconnaissance de deux faits :

« 1° que les masses du parti indépendant sont communistes; 2° qu'il y a au sein de leur direction une aile gauche qui veut sincèrement s'engager dans la voie révolutionnaire »[353].

En réalité, malgré les réticences qui se manifestent dans les rangs du K.P.D. (S), c'est bien le problème de la fusion entre communistes et indépendants de gauche qui commence à être posé à travers la question de l'adhésion à la III° Internationale du parti social-démocrate indépendant. Une telle perspective constitue un danger mortel pour la droite de ce parti qui vient en outre de perdre - avec Hugo Haase, assassiné sur les marches du Reichstag par un militant d'extrême-droite[354] - son dirigeant le plus écouté. Coincés entre l'impossible réunification avec les « socialistes de Noske » dont ils partagent au fond les convictions réformistes tout en réprouvant leurs méthodes brutales, et les dangers qu'ils appréhendent sur la route qui mène à Moscou, les dirigeants indépendants, Dittmann, Crispien, Hilferding, sont acculés à la défensive. Ils brandissent l'épouvantail de la scission, le fantôme des « aventuristes » spartakistes, accusent Curt Geyer et Stoecker de travailler en étroite liaison avec Levi et d'être en fait des agents du K.P.D. (S), organisateurs d'une fraction procommuniste dans leur propre parti[355]. Ils s'efforcent surtout de convaincre le secteur décisif de leurs cadres, les militants qui animent l'opposition syndicale à Legien, que « l'adhésion à Moscou» les entraînerait, à la suite de Spartakus, dans la voie de la scission syndicale, voire de la destruction des syndicats : de ce point de vue, la pratique de nombre de militants communistes - bien que récemment condamnée par les thèses du congrès de Heidelberg sur la « question syndicale» - leur fournit un argument de poids[356]

En réalité, même « de gauche », nombre de militants indépendants, partisans de l'adhésion à l'Internationale communiste, ne souhaitent pas une scission qui affaiblirait leur parti : ils pensent que l'évolution normale qui a ramené un Bernstein vers la social-démocratie majoritaire et écarté de la direction à Leipzig plusieurs éléments droitiers, finira par refouler Kautsky et ses disciples, avoués ou non, sans que des mesures formelles d'exclusion fassent courir le risque d'amputation massive que signifie toujours une scission. Ils expriment également des réserves sur les principes de centralisation de l'organisation communiste tels que les énoncent les bolcheviks, et demeurent sensibles - conformément à la tradition radicale allemande - à tous les arguments concernant le danger d'une dictature bureaucratique de l'appareil sur le parti, ou encore la nécessaire préservation de l'indépendance des syndicats à l'égard du parti. De vifs ressentiments, personnels et politiques à la fois, opposent enfin, malgré les efforts de Levi, dirigeants communistes et dirigeants de la gauche indépendante : ces derniers estiment en effet que l'histoire, qui a fait de leur parti un parti de masses et du K.P.D. (S) une secte, leur a donné rétrospectivement raison au moment de la scission de 1918[357].

Esquisse d'une discussion avec Lénine[modifier le wikicode]

L'ensemble de ces problèmes va être abordé, à la fin de 1919 et au début de 1920 par une discussion politique - indirecte, à distance, mais publique - entre Lénine et les communistes allemands. Dans son « Salut aux communistes italiens, français et allemands », rédigé le 10 octobre 1919, Lénine a en effet abordé quelques-unes des questions qu'il juge essentielles pour le mouvement révolutionnaire allemand, et en particulier celle de la scission du K.P.D. (S) et des relations avec les indépendants.

Il y proclame son « admiration sans réserve » pour « la lutte héroïque » du journal berlinois Die Rote Fahne - celui de la centrale - et s'en prend aux social-chauvins et aux centristes qui se réjouissent de la scission dans les rangs communistes. Pour lui, les divergences entre communistes dans un contexte de croissance rapide et de persécution violente constituent simplement une crise de croissance :

« Les divergences entre communistes sont (...) des divergences entre les représentants d'un mouvement de masse qui grandit sans cesse. Ce sont des divergences sur une seule base essentielle, commune, solide comme un roc, celle de la reconnaissance de la révolution prolétarienne, de la lutte contre les illusions démocratiques bourgeoises et le parlementarisme démocratique bourgeois, de la reconnaissance de la dictature du prolétariat et du pouvoir des soviets »[358].

Rappelant les divergences passées au sein de la fraction et du parti bolchevique, il s'efforce en même temps de persuader l'ensemble des communistes allemands que la scission n'était pas nécessaire, et que, pour l'essentiel, la centrale avait raison contre l'opposition :

« Ce serait une faute (...) grave que d'abandonner les idées du marxisme et sa ligne pratique (parti politique ferme, centralisé) pour les idées et la pratique du syndicalisme. Il faut faire en sorte que le parti prenne part aussi aux parlements bourgeois, aux syndicats réactionnaires, aux « conseils d'usine » mutilés, châtrés par les Scheidemann, partout où il y a des ouvriers, où l'on peut parler à des ouvriers, influer sur la masse ouvrière »[359].

A cette unité de principe des communistes, Lénine oppose l'unité factice des indépendants, dont il attaque particulièrement l'aile gauche:

« Cette aile gauche allie peureusement, sans égards pour les principes, les vieux préjugés de la petite bourgeoisie sur les élections parlementaires à la reconnaissance communiste de la révolution prolétarienne de la dictature du prolétariat, du pouvoir des sovIets»[360].

Cette prise de position de Lénine est très gênante pour les dirigeants communistes allemands : d'une part, elle est une nouvelle condamnation de la scission qu'ils ont conduite contre leur aile gauchiste; d'autre part, elle accable l'aile gauche indépendante qu'ils veulent attirer à eux. Elle est immédiatement utilisée par la direction du parti indépendant qui, par la bouche de Crispien, reprend précisément cette analyse. August Thalheimer s'efforce d'y répondre dans une brochure qui reproduit le « Salut» de Lénine, la circulaire de l'exécutif de l'Internationale du 1° septembre 1919 et ses propres commentaires[361].

Il conteste d'abord que la lettre de Lénine puisse être tenue pour un jugement définitif sur l'aile gauche du parti indépendant, dans la mesure où Lénine lui-même admet n'avoir sur l'Allemagne que de maigres informations, dans la mesure aussi où elle a été écrite avant le congrès de Leipzig qui a, selon lui, créé une situation nouvelle. Et il explique la position du K.P.D. (S) sur l'aile gauche du parti indépendant :

« Ils se sont fourvoyés avec les masses, ils se sont développés avec les masses, il se développeront encore avec elles, et ils se tromperont encore et plus encore avec elles. Notre position à l'égard de leurs erreurs et de leurs faiblesses sera, comme auparavant, celle d'une critique franche et brutale. Mais nous ne songeons pas à les mettre dans le même sac, sur le plan moral et intellectuel, que les traîtres au socialisme, que les fossiles de l'époque de la stagnation purement parlementariste du mouvement ouvrier allemand »[362].

Ayant ainsi signifié à Lénine que les communistes allemands ne sauraient confondre les Däumig, Koenen, Stoecker et autres dirigeants de gauche avec les Kautsky, Hilferding, Crispien qui constituent l'aile droite de leur parti, Thalheimer entreprend de discuter son appréciation de la scission survenue avec les gauchistes : les communistes allemands pensent aussi que les questions purement tactiques ne doivent pas provoquer de scission dans un parti communiste et, de ce point de vue, le parti allemand a donné l'exemple lors de son congrès de fondation, où les décisions gauchistes de la majorité n'ont pas menacé son unité. Cependant, il affirme qu'au congrès de Heidelberg il ne s'agissait pas que de questions tactiques, mais d'un tout autre enjeu :

« En vérité, ces questions tactiques, surtout dans leur coloration hambourgeoise, conduisaient à des prises de position qui niaient le fondement même du parti. La conversion du parti en une société de propagande, plus tard la préparation de sa dissolution dans la masse des organisations d'entreprise, dans lesquels le clair contenu politique conquis par le parti au cours de cette année se serait de nouveau dissous dans la brume de la confusion, tout cela conduisait le parti vers la mort. Beaucoup de camarades n'avaient pas saisi ce danger. Il était du devoir de la centrale de s'en occuper, avec les moyens les plus énergiques, avant qu'il ne soit trop tard »[363].

Aussi, loin de considérer avec Lénine que la scission de Heidelberg constitue pour le parti allemand une retraite ou un recul, Thalheimer affirme qu'elle est au contraire un exemple :

« Elle n'est pas seulement significative de l'unique point de vue de la révolution allemande, elle constitue le premier pas grâce auquel le parti allemand peut éclairer pour la classe ouvrière des pays occidentaux les problèmes tactiques qui se poseront à elle sous une forme ou sous une autre »[364].

Poliment, mais fermement, il rejette l'argument d'autorité, la valeur universelle de l'exemple russe:

« Le milieu historique de l'Allemagne est plus proche de ceux des pays occidentaux que ne l'est celui de la Russie. Les expériences allemandes en matière de tactique seront par conséquent d'une valeur particulière pour les Occidentaux »[365].

La scission avec les gauchistes, la volonté de gagner l'aile gauche du parti social-démocrate indépendant, dessinent une voie originale pour la construction du parti communiste par rapport à la Russie, dont le cadre et l'histoire étaient fort différents. Et, sur ce point, Karl Radek, qui a vécu la révolution allemande vaincue après avoir connu la révolution russe victorieuse, généralise les premières leçons de cette double expérience et nourrit la démonstration de Thalheimer contre les gauchistes en écrivant:

« Le parti communiste ne peut pas vaincre avant que la majorité du prolétariat soit prête à prendre le pouvoir entre ses mains. Mais il peut se lancer dans d'importantes actions prolétariennes, manifestations, grèves de masse, si, dans les questions quotidiennes concrètes qui touchent de façon aiguë les intérêts du prolétariat, la majorité du prolétariat est prête à de telles actions partielles, indépendamment du fait qu'elle n'admet pas encore la nécessité de la dictature du prolétariat »[366].

De son côté, Brandler, qui a éprouvé à Chemnitz la valeur mobilisatrice de l'unité ouvrière dans le combat et combattu l'impatience gauchiste, recherche une voie révolutionnaire qui échappe au dilemme du « tout ou rien ». Le bilan des expériences gauchistes, particulièrement négatif en Allemagne, lui inspire la recherche de mots d'ordre adaptés à l'état d'esprit du moment des travailleurs, mais susceptibles de leur faire faire une expérience politique décisive, en d'autres termes, de les gagner graduellement au communisme dans l'action. Il affirme devant le premier congrès des conseils d'usine la nécessité de ce qu'on appellera plus tard les mots d'ordre « de transition» :

« Nous ne pouvons pas faire la révolution avec les hommes tels que nous désirerions qu'ils soient; nous devons la faire, ou tout au moins la commencer, avec les hommes tels qu'ils sont. C'est dans le cours même de la révolution que les hommes commencent à changer. (...) Le problème est de (...) leur proposer des tâches concrètes qui correspondent à leurs forces. J'y attache beaucoup d'importance ; nous devons déterminer l'objectif des étapes. Comprendre la signification du but socialiste final ne sert à rien maintenant. Ce qu'il s'agit de savoir, c'est : « Qu'avons-nous à faire, aujourd'hui ou demain, pour nous rapprocher de ce but ? »[367].

Ce n'est pas vers les gauchistes et leurs actions « pour l'honneur », ce n'est pas vers ceux qui confondent la masse des syndiqués et les bureaucrates qui les dirigent la masse des travailleurs indépendants et les Crispien - que le parti communiste allemand doit se tourner pour appliquer une telle politique. S'il veut se diriger vers les masses encore trompées par les dirigeants réformistes et opportunistes, s'il veut progresser dans les masses syndiquées et se gagner l'aile gauche des indépendants, il lui faut d'abord se démarquer sans ambiguïté des courants gauchistes. C'est pourquoi Thalheimer repousse la suggestion que fait Lénine de revenir sur la scission consommée à Heidelberg. Il estime que cette scission constituait une opération chirurgicale nécessaire. Mais il lui concède en même temps que, dans un véritable parti communiste - ce que le K.P.D. (S) doit pouvoir devenir maintenant -, il y a place pour des divergences sur la tactique.

Seulement, le chemin du K.P.D. (S) vers la victoire de la révolution allemande lui paraît devoir être plus lent, plus pénible, plus difficile à discerner que celui du parti bolchevique, dont il admet volontiers que l'expérience est à la fois plus ancienne et plus riche. Il souligne :

« Les expériences de ces deux voies et des deux partis unis se sont déjà révélées précieuses pour le développement positif des partis ouvriers d'Occident. La Russie communiste et l'Allemagne communiste ont encore à résoudre ensemble d'immenses tâches en matière de tactique comme de pratique politique »[368].

Ainsi se déroule sur un pied d'égalité cette première discussion publique à distance entre communistes russes et allemands sur la question de savoir comment gagner les masses pour pouvoir faire la révolution. Bientôt, cependant, le cours de la lutte des classes en Allemagne va poser les problèmes en termes nouveaux : ceux des rapports entre les communistes et les travailleurs organisés dans les autres partis ouvriers et dans les syndicats, certes, mais aussi ceux des rapports entre communistes allemands et communistes russes.

XVIII. Le putsch de Kapp[modifier le wikicode]

L'instauration d'un régime républicain n'avait fondamentalement rien changé aux structures de l'Allemagne impériale. Pour les grands capitalistes, les hobereaux, les généraux, elle constituait un pis-aller, un mal nécessaire au moins tant que les travailleurs n'étaient pas dégrisés. Aux ouvriers, elle apportait dans l'ensemble une déception cruelle : moins d'une année après la révolution dont ils avaient attendu le pain, la paix et la liberté, le pain était cher, la liberté précaire et la paix un diktat.

Le problème politique se pose ainsi dans les termes même où l'avaient posé avant guerre les marxistes de la génération d'Engels, avec une acuité accrue par les souffrances de la guerre et de l'après-guerre. Plus que jamais en effet le nationalisme demeure l'arme idéologique essentielle des classes possédantes. Le fait que la guerre se soit terminée par une défaite et que les conditions de paix soient dictées par les vainqueurs permet d'attribuer tous les maux qui accablent l'Allemagne aux capitalistes et impérialistes étrangers, et à leurs complices - spartakistes et autres - qui ont « poignardé dans le dos » la « glorieuse armée invaincue ».

Le traité de Versailles[modifier le wikicode]

Les conditions du traité de Versailles constituent un apport substantiel à la propagande sur ce thème. Les tractations entre Alliés ont été longues. Entre eux, un seul objectif commun: maintenir en Allemagne un rempart contre le bolchevisme, que ce soit la subversion intérieure ou la menace de la république des soviets. Pour le reste, leurs objectifs sont contradictoires, et les visées françaises sur la Ruhr et pour l'hégémonie européenne se heurtent à la coalition anglo-américaine pour une Allemagne solvable qui puisse servir en Europe de contrepoids aux ambitions françaises.

Compromis entre les Alliés, le traité contribuera à renforcer en Allemagne les tendances nationalistes et pangermanistes qu'il prétend extirper. L'Allemagne perd toutes ses colonies, est amputée du huitième de son territoire, du dixième de sa population d'avant guerre. Ses forces militaires sont réduites sur terre à une armée de 100 000 hommes, armée de métier insuffisante pour faire face à une guerre, mais incomparable dans la guerre civile. Les Alliés occupent pour quinze ans la Rhénanie et trois têtes de pont qui leur ouvrent l'Allemagne, tandis que les frontières méridionale et orientale demeurent fortifiées. Les avoirs allemands à l'étranger, ainsi qu'une partie de la flotte, sont confisqués. Jusqu'à la décision alliée sur le montant définitif des réparations prévues, l'Allemagne est astreinte au paiement de provisions en espèces et de livraisons en nature. Enfin, les responsables de la politique de guerre et les principaux « criminels de guerre » doivent être livrés aux autorités alliées afin d'être jugées par des tribunaux internationaux.

Pour les communistes allemands comme pour l'Internationale, la paix de Versailles est un acte de même nature que la guerre, un « brigandage impérialiste ». Elle signifie un répit, le retard de la révolution dans les pays de l'Entente; mais il n'est d'autre réplique, à la paix impérialiste comme à la guerre impérialiste, que la lutte pour la révolution mondiale. De leur côté, les nationalistes mettent l'accent sur les aspects qu'ils jugent infamants du traité, les visées françaises sur la Ruhr, les encouragements donnés aux tendances « séparatistes » visant au morcellement de l'Allemagne, les livraisons et les réparations humiliantes, l'occupation étrangère, notamment l'utilisation par l'armée française de troupes africaines, qu'ils appellent la « honte noire ». Ils soulignent l'humiliation nationale, la « colonisation» de l'Allemagne, traitée selon eux comme un « peuple de nègres » et proclament incompatible avec l'honneur allemand la livraison, réclamée par les Alliés, des responsables de la guerre.

Sous le poids de ces arguments qui rencontrent dans toutes les couches de la population allemande un large écho, bien des hommes politiques estiment que le traité est inacceptable : parmi eux Scheidemann, qui démissionne à la veille du vote au Reichstag et est remplacé par son camarade de parti Bauer. Noske se fait l'avocat de la signature du traité et refuse les ouvertures du capitaine Pabst pour instaurer une dictature militaire en vue de la résistance nationale[369].

En fait, le corps des officiers, dans son ensemble, sait qu'il n'existe pas d'autre issue que la capitulation. Peut-être espérait-il un geste « pour l'honneur ». Le général Groener conserve ses fonctions pour permettre la signature du traité aux conditions de l'ennemi, mais se retire ensuite dans un souci d'unité, imitant Hindenburg[370]. Une commission d'organisation de l'armé de temps de paix est mise sur pied, sous la direction du général von Seeckt[371].

Le putsch de Kapp - von Lüttwitz[modifier le wikicode]

Les officiers sont particulièrement sensibles à la menace que constitue l'exigence alliée de l'extradition des « criminels de guerre» : dès le 26 juillet 1919, ils l'ont fait savoir au gouvernement[372], où Noske les soutient d'ailleurs sans réserve. Mais la bouffée de mécontentement et d'angoisse provoquée par cette exigence va être bientôt relayée par le retour des corps francs qui, depuis 1919, ont lutté dans les pays baltes contre l'armée rouge et dont les Alliés, ayant assuré leur relève, ont exigé le retour 4. Au premier rang des militaires qui songent de plus en plus au putsch se trouve le général von Lüttwitz, commandant des troupes de Berlin, lequel se considère comme le successeur de Hindenburg et le gardien des traditions et de l'honneur de l'armée[373].

Le sort des corps francs n'est pas seul en cause : la réduction des effectifs imposée par le traité de paix inquiète les militaires de tout rang. Si les troupes d'élite sont dissoutes, le sort d'une bonne partie des cadres sera réglé du même coup. La brigade de marine du capitaine de vaisseau Ehrhardt, installée à Doberitz, aux portes de Berlin[374], va servir de test : le général von Lüttwitz donne en effet à son chef l'assurance qu'il ne laissera pas, « en une période si lourde d'orages, briser une troupe pareille »[375]. Il accuse la « faiblesse » du gouvernement face à la « menace bolcheviste », parle ouvertement de coup d'Etat, et le chef de la police de Berlin, le colonel Arens, tente de le dissuader en l'amenant à une entrevue avec les chefs parlementaires de la droite[376]. Ces derniers, qui mènent campagne pour la dissolution de l'Assemblée et la réélection du président de la République, ne parviennent pourtant pas à le convaincre de l'imprudence de ses projets : le général ne croit qu'à la force de ses bataillons et pense que les élections seront bien meilleures s'il a auparavant balayé les politiciens. Il se lance donc dans une conspiration dont les principales têtes sont, avec lui, Ehrhardt, Ludendorff, et un civil Wolfgang Kapp, directeur de l'agriculture en Prusse, représentant des junkers et des hauts fonctionnaires impériaux[377]. Entreprise hasardeuse, prématurée ou trop tardive, dont les autorités n'ignoreront pas grand-chose, mais qui bénéficie de complicités à tous les postes-clés[378].

Le conseil de cabinet, réuni le 12, examine la situation et renvoie la décision nécessaire à sa réunion du 15[379]. Mais, le jour même, Noske lance quelques mandats d'arrêt contre les conspirateurs aux activités les plus voyantes, comme le capitaine Pabst[380]. Poussé dans ses retranchements, le général von Lüttwitz rejoint le camp de Doberitz. L'officier supérieur chargé par Noske de s'assurer de la situation au camp téléphone pour annoncer son arrivée, et revient en assurant que tout est calme[381]. Dans la nuit même, la brigade du capitaine Ehrhardt se met en marche vers le centre de la capitale.

Les insurgés lancent un ultimatum qui exige la démission d'Ebert et l'élection d'un nouveau président, la dissolution du Reichstag et de nouvelles élections, et, en attendant, un cabinet de techniciens avec un général au ministère de la guerre[382]. Noske, qui convoque les chefs militaires non liés au complot dans son bureau à 1 heure 30, s'entend répondre qu'il n'est pas question de résister les armes à la main[383]. Le conseil des ministres, réuni à 3 heures, décide finalement d'évacuer la capitale, n'y laissant que deux de ses membres, dont le vice-chancelier Schiffer[384] : avant l'aube, la quasi-totalité du gouvernement et plus de deux cents députés ont pris la route de Dresde où ils pensent trouver protection auprès du général Maercker[385].

Aux premières heures de la matinée, les hommes d'Ehrhardt occupent Berlin, hissant le drapeau impérial sur les édifices publics. Installé à la chancellerie, Kapp promulgue ses premiers décrets, proclame l'état de siège, suspend tous les journaux, nomme commandant en chef le général von Lüttwitz. A midi, il peut considérer que tous les états-majors et toutes les forces de police de la région militaire de Berlin se sont ralliées à son entreprise[386]. Inquiets de l'attitude du général Maercker, les membres du gouvernement ont repris la route, cette fois dans la direction de Stuttgart, où ils pensent pouvoir compter sur le général Bergmann[387]. Au soir du 13 mars, il semble que le putsch l'ait emporté sans effusion de sang puisque, nulle part, l'armée ni la police ne font mine de s'y opposer, et les autorités du Nord et de l'Est reconnaissent le nouveau gouvernement.

L'écrasement du putsch[modifier le wikicode]

Pendant que le gouvernement prend la fuite, la résistance s'organise pourtant. Dès le matin, Legien réunit la commission générale des syndicats : à 11 heures, celle-ci lance de mot d'ordre de grève générale[388]. De son côté, Wels, un des rares dirigeants social-démocrates à être resté sur place, fait rédiger et imprimer une affiche, qu'il fait suivre des signatures des ministres socialdémocrates - qu'il n'a évidemment pas consultés[389] - et qui appelle à la grève générale sur le thème de l'union contre la contre-révolution et pour la défense de la république[390]. Le parti social-démocrate indépendant appelle aussi les ouvriers à la grève générale « pour la liberté, pour le socialisme révolutionnaire, contre la dictature militaire et le rétablissement de la monarchie »[391]. Des pourparlers s'engagent, à l'initiative de Legien, pour la constitution d'un comité central de grève qui serait constitué à partir de toutes les organisations ouvrières et dont l'autorité déborderait largement celle de la seule commission générale. Mais l'accord ne peut se faire, puisque les majoritaires, Wels et ses camarades, entendent défendre ce qui est pour eux le « gouvernement de la république » alors que les indépendants ont bien précisé qu'il ne s'agisse en aucun cas de défendre le « gouvernement Ebert-Noske »[392]. Il y aura donc deux « comités centraux de grève » à Berlin, l'un autour de Legien, avec les syndicats, A.D.G.B., A.f.A. et Ligue des fonctionnaires, ainsi que le parti social-démocrate, l'autre qui rassemble les dirigeants des syndicats berlinois, Rusch et ses camarades, et les dirigeants du parti indépendant[393], que le K.P.D. (S) rejoindra plus tard[394].

C'est Legien qui a pris l'initiative de la lutte. A l'aube du 13 mars, il a refusé de fuir, stigmatisé l'attitude des dirigeants social-démocrates, jeté dans la balance en faveur de la grève générale toute son autorité et son poids d'homme d'appareil. Lui, le vieil adversaire de la grève générale, le réformiste prudent, patriarche des révisionnistes, l'homme qui incarne des décennies de collaboration de classes, décide de passer dans la clandestinité et de prendre tous les contacts - y compris avec les communistes pour assurer la défaite du putsch. Il se révèle d'ailleurs plus proche des masses que ne le sont alors les dirigeants communistes. En l'absence de Levi, qui purge une peine de prison, sous la pression des responsables berlinois Friesland et Budich, de tendance gauchiste et contre l'opposition du seul Jakob Walcher[395], la centrale du K.P.D. (S) lance en effet un appel, vraisemblablement rédigé par Bronski, que Die Rote Fahne publie le 14 mars : il exprime la conviction qu'il n'y a pas, pour le moment, de riposte possible au putsch militaire en dehors de la lutte encore à venir pour le pouvoir :

« Les travailleurs doivent-ils en cette circonstance passer à la grève générale? La classe ouvrière, hier encore chargée de fers par EbertNoske, désarmée, dans les pires conditions, est incapable d'agir. Nous croyons que notre devoir est de parler clair. La classe ouvrière entreprendra la lutte contre la dictature militaire dans les circonstances et avec les moyens qu'elle jugera propres. Ces circonstances ne sont pas encore réunies »[396].

Mais les ouvriers allemands n'ont pas entendu cet appel à la passivité. Dès le 14 mars, qui est pourtant un dimanche, il est possible de mesurer l'emprise et l'ampleur du mouvement. Les trains s'arrêtent les uns après les autres. A Berlin, à 17 heures, il n'y a plus ni trams, ni eau, ni gaz, ni électricité. Un peu partout éclatent des bagarres entre militaires et ouvriers. La veille, il y a déjà eu des réactions: à Chemnitz, à l'initiative des communistes que dirige Brandler, constitution d'un comité d'action comprenant les syndicats et tous les partis ouvriers : il prend les devants, en l'absence de troupes, constitue une milice ouvrière, l'Arbeiterwehr, qui occupe la gare, la poste, l'hôtel de ville. A Leipzig, les négociations sont entamées entre partis ouvriers, mais les communistes refusent de signer le texte préparé par les autres organisations pour appeler à la grève générale. Dans la nuit du 13 au 14, les premiers incidents violents se produisent à Dortmund, entre police et des manifestants ouvriers[397]. Le 14, les premiers combats commencent dans la Ruhr. Le général von Watter donne à ses troupes l'ordre de marcher sur Hagen, où les ouvriers s'arment : social-démocrates et indépendants lancent un appel commun à la grève générale[398]. A Leipzig, les hommes des corps francs ouvrent le feu sur une manifestation ouvrière : il y a vingt-deux morts, et les combats se poursuivent[399]. A Chemnitz, les organisations ouvrières décident la constitution immédiate d'une milice ouvrière de 3 000 hommes[400]. A Berlin, prenant conscience de son erreur initiale, la centrale du K.P.D. (S) rédige un nouvel appel, qui reste cependant encore en retard sur le développement de la lutte puisqu'il ne fait pas sien le mot d'ordre d' « armement du prolétariat » :

« Pour la grève générale! A bas la dictature militaire! A bas la démocratie bourgeoise! Tout le pouvoir aux conseils ouvriers! (...) A l'intérieur des conseils, les communistes lutteront pour la dictature du prolétariat, pour la république des conseils! Travailleurs! N'allez pas dans les rues, réunissez-vous tous les jours dans vos entreprises! Ne vous laissez pas provoquer par les gardes blancs! »[401].

En fait, dès le 15 mars le gouvernement Kapp-Lüttwitz est complètement paralysé. Le socialiste belge Louis De Brouckère écrit :

« La grève générale (...) les étreint maintenant de sa puissance terrible et silencieuse »[402].

Tout est mort dans Berlin, où le pouvoir ne parvient pas à faire imprimer une seule affiche. Au contraire, dans la Ruhr, où le corps frapc Lichtschlag s'est mis en mouvement, il a été tout de suite attaqué par des détachements d'ouvriers armés[403]. On se bat, de même, à Leipzig, à Francfort, à Halle et à Kiel. Les marins de Wilhelmshaven se sont mutinés, et arrêtent l'amiral von Leventzow et quatre cents officiers[404]. A Chemnitz, toujours sous l'impulsion des communistes, un comité d'action formé de représentants des partis ouvriers appelle les ouvriers à élire leurs délégués aux conseils ouvriers d'entreprise[405]. Quelques heures plus tard, ces délégués, désignés par 75 000 ouvriers au scrutin de liste à la proportionnelle, élisent à leur tour le conseil ouvrier de la ville : dix communistes, neuf social-démocrates, un indépendant et un démocrate[406]. Heinrich Brandler est l'un des trois présidents de cet organisme révolutionnaire, dont l'autorité et le prestige s'étendent sur toute une région industrielle où les forces de répresssion sont désarmées ou neutralisées, et les ouvriers armés[407]. Il écrira quelques mois plus tard, non sans fierté:

« A Chemnitz, nous avons été le premier parti à lancer les mots d'ordre de grève générale, désarmement de la bourgeoisie, armement des ouvriers, réélection immédiate des conseils ouvriers politiques. Nous avons aussi été les premiers, grâce à la force du parti communiste, à faire passer ces mots d'ordre dans la réalité »[408].

Un danger nouveau apparaît pourtant, précisément dans la région même où les initiatives des communistes de Chemnitz semblent permettre la construction d'un solide front de résistance ouvrière aux putschistes. Un militant du K.P.D. (S), Max Hoelz, a été au cours de l'année 1919 l'organisateur de violentes manifestations de chômeurs dans la région de Falkenstein. Menacé d'arrestation, il est passé ensuite dans la clandestinité, où il s'est lié avec des éléments activistes de l'opposition, et a organisé, dans cette région misérable de l 'Erzgebirge- Vogtland écrasée par un chômage général, des détachements armés, sortes de « guérilleros urbains », groupes de chômeurs ou de tout jeunes gens armés qui s'en prennent aux policiers et parfois aux caisses des usines et aux banques, ou aux agents patronaux[409]. Dans cette région ravagée par la crise, il fait figure, après ses trois arrestations et ses trois évasions, de Robin des bois des temps modernes[410]. Dès la nouvelle du soulèvement de Kapp, il attaque, se fait ouvrir les portes de la prison de Plauen, recrute et organise sommairement des unités de guérillas qu'il baptise « gardes rouges» et commence à harceler la Reichswehr, organisant des raids contre ses détachements isolés, pillant magasins et banques pour financer ses troupes et ravitailler de façon spectaculaire les habitants des faubourgs ouvriers[411]. Sa conception « activiste » de l'action, la façon dont il substitue des actions de commandos à l'action de masses, l'effroi qu'il provoque jusque dans une partie de la population ouvrière suscitent les inquiétudes de Brandler et des communistes de Chemnitz, qui le condamnent comme aventuriste et stigmatisent certaines de ses initiatives comme provocatrices[412].

Dans la Ruhr, un phénomène comparable, mais qui entraîne des masses ouvrières plus nombreuses, donne naissance à ce qu'on appellera l'« armée rouge » : un comité d'action formé à Hagen sous l'impulsion des militants indépendants Stemmer, un mineur, et Josef Ernst, métallo, crée un « comité militaire » : en quelques heures, 2 000 travailleurs en armes marchent sur Wetter, où les ouvriers sont aux prises avec les corps francs[413].

Le 16 mars, il semble qu'on se batte ou qu'on s'y prépare dans l'Allemagne entière, sauf peut-être dans la capitale, où la supériorité militaire des troupes semble écrasante. L'armée rouge des ouvriers de la Ruhr marche sur Dortmund[414]. Les corps francs et la Reichswehr tiennent le centre de Leipzig contre des détachements ouvriers improvisés[415]. A Kottbus, le major Buchrucker donne l'ordre de fusiller sur place tout civil porteur d'armes[416]. A Stettin, où s'est constitué un comité d'action sur le modèle de Chemnitz, c'est dans la garnison qu'on se bat entre partisans et adversaires du putsch[417]. De la prison berlinoise où il est détenu depuis plusieurs semaines, Paul Levi écrit à la centrale une lettre d'une grande violence : il critique sa passivité et son manque d'initiative, son aveuglement devant les possibilités offertes aux révolutionnaires par la lutte contre le putsch[418]. D'ailleurs, dans l'ensemble du pays, et à l'exception de Berlin, les responsables communistes ont réagi comme lui. Les militants de la Ruhr ont appelé à l'armement du prolétariat et à l'élection immédiate de conseils ouvriers d'où seraient exclus les partisans de la démocratie bourgeoise[419]. Les courriers qui ont apporté les instructions élaborées le 13 par la centrale ont été partout fraîchement reçus et les ordres détruits[420]. Presque chaque fois, sans tenir compte des instructions centrales, les communistes ont appelé à la grève générale et participé à son organisation. Plusieurs groupes de l'opposition - celui de Hambourg, notamment - ont en revanche adopté une position attentiste justifiée par le refus de l'action commune avec les « social-traîtres»[421] : ni à Berlin, ni à Dresde, autour de Rühle[422], les gauchistes ne jouent de rôle. En revanche, de différentes régions d'Allemagne, des militants de l'opposition, Appel, de Hambourg, Karl Plattner, de Dresde[423], vont rejoindre les combattants ouvriers de la Ruhr.

A Berlin, Kapp, aux abois, négocie avec le vice-chancelier Schiffer, qui représente le gouvernement Bauer. Kapp accepte dans l'intérêt commun que le général Groener tente une médiation auprès du président Ebert. Mais Ebert ne se presse pas[424]. Kapp, aux prises avec la grève générale, lutte en réalité « contre des problèmes qui dépassent les forces humaines », selon l'expression de Benoist-Méchin[425]. Son gouvernement est en quelque sorte suspendu dans le vide. Le pain, la viande commencent à manquer dans la capitale. Le directeur de la Reichsbank refuse de payer les dix millions de marks que lui réclame Kapp[426]. Le 16 mars, à 13 heures, celui-ci donne l'ordre « de fusiller les meneurs et les ouvriers des piquets de grève à partir de 16 heures »[427]. Cette fois, c'est le grand patronat lui-même qui s'émeut devant une mesure qui risque de déclencher la guerre civile; à la tête d'une délégation, Ernst von Borsig en personne assure à Kapp qu'il faut renoncer à la force :

« L'unanimité est si grande au sein de la classe ouvrière qu'il est impossible de distinguer les meneurs des millions d'ouvriers qui ont cessé le travail »[428].

Les ouvriers de la Ruhr ont repris Dortmund à six heures du matin. Dans la nuit du 16 au 17, un régiment de pionniers se mutine à Berlin même, emprisonne ses officiers. Il faut l'intervention du fer de lance du putsch, la brigade de marine Ehrhardt, pour obtenir leur libération[429]. Si les putschistes s'obstinent, la guerre civile est inévitable et la victoire ouvrière probable, tant sur eux que sur le gouvernement, dont la base et les possibilités d'action se restreignent d'heure en heure, puisque l'armée, putschiste ou « neutre », a cessé désormais d'être sûre.

Le 17 mars, Kapp, qui a pris conscience de sa défaite, choisit la fuite[430]. Pressé par des officiers plus politiques que lui de mettre fin à l'aventure, le général von Lüttwitz l'imite à quelques heures de distance, laissant même au vice-chancelier Schiffer le soin de rédiger sa lettre d'explication[431]. Ses adjoints, qui ne répondent déjà plus de leurs troupes, demandent que le commandement soit remis à un général qui ne se soit pas compromis dans le putsch : von Seeckt sera cet homme providentiel[432]. Au total, le putsch n'a pas duré plus d'une centaine d'heures, et il a bel et bien été écrasé par la réaction ouvrière, au premier chef la grève générale.

Mais les conséquences n'en sont pas épuisées. Le même jour en effet éclatent à Berlin les premiers combats armés : échange de coups de feu à Neukölln, construction de barricades par les ouvriers à la porte de Kottbus[433]. A Nuremberg, la Reichswehr tire sur une manifestation ouvrière, faisant vingt-deux morts et déclenchant en contre-coup une véritable insurrection[434]. A Suhl, les milices ouvrières s'emparent d'un centre d'entraînement de la Reichswehr et y mettent la main sur un important stock d'armes et de munitions[435]. A Dortmund, la police, contrôlée par les social-démocrates se range du côté de l'« armée rouge » contre les corps francs[436]. Partout la grève générale se poursuit. La question est désormais de savoir si la fuite précipitée de Kapp va permettre de l'arrêter, et à quel prix, ou bien si la vague révolutionnaire imprudemment soulevée par les kappistes conduit à une nouvelle guerre civile[437].

Si, en effet, cette fois, l'Allemagne ne s'est pas couverte d'un réseau de conseils ouvriers élus - Chemnitz et la Ruhr demeurent l'exception -, elle l'est en revanche d'un réseau serré de comités exécutifs (Vollzugsräte) ou comités d'action, formés par les partis et syndicats ouvriers et que la lutte contre les putschistes et l'organisation de la défense ont conduits à jouer le rôle de véritables pouvoirs révolutionnaires, posant, dans la pratique, et au cours même de la grève générale le problème du pouvoir et celui, plus immédiat, du gouvernement[438].

Le problème du gouvernement ouvrier[modifier le wikicode]

Les conséquences politiques du putsch sont en réalité plus profondes encore. Même dans les régions où il ne s'est créé ni conseils ouvriers ni milices ouvrières, même là où les travailleurs se sont contentés de suivre l'ordre de grève sans prendre les armes, la secousse a été sérieuse. Pour des millions d'Allemands, l'initiative des chefs militaires signifie en effet la faillite de la direction social-démocrate : Noske, « socialiste des généraux », lâché par eux une fois sa besogne accomplie, est complètement discrédité et sa carrière politique se termine.

De plus, ce sont les ouvriers qui, par une grève générale déclenchée à l'insu du gouvernement à majorité social-démocrate, et en quelque sorte malgré lui, ont vaincu les putschistes. Les militants des différents partis, jusque-là dressés les uns contre les autres, se sont rapprochés dans le combat : pour la première fois depuis l'avant-guerre, ils se sont battus côte à côte contre l'ennemi de classe. Le prestige des dirigeants syndicaux est accru : Legien lançait l'ordre de grève générale au moment où Noske et Ebert prenaient la fuite; on attend désormais d'eux qu'ils prennent des responsabilités politiques.

Le trouble est profond dans les rangs du parti social-démocrate. Le président Otto Wels pose, le 30 mars, le problème en ces termes :

« Comment faire pour sortir le parti du chaos dans lequel il s'est trouvé entraîné par le combat en commun contre la réaction? »[439].

Dans de très nombreuses localités, les militants et même les organisations social-démocrates ont marché avec les communistes et les indépendants sur des mots d'ordre contraires à ceux de leur direction nationale. A Elberfeld, par exemple, un dirigeant du S.P.D. est allé jusqu'à signer avec les représentants des indépendants et du K.P.D. (S) un appel à la lutte pour « la dictature du prolétariat »[440]. Le Vorwärts traduit le sentiment de la quasi-totalité des ouvriers allemands en écrivant :

« Le gouvernement doit être remanié. Non sur sa droite, mais à gauche. Il nous faut un gouvernement qui soit décidé sans réserves à lutter contre la réaction militariste et nationaliste, et qui sache se gagner la confiance des travailleurs aussi loin que possible sur sa gauche »[441].

Or, dès avant la fuite de Kapp, il est clair que l'on cherche à ressouder le front entre la Reichswehr et les partis gouvernementaux face au réveil de la classe ouvrière. Le vice-chancelier Schiffer et le général von Seeckt lancent ensemble, au nom du gouvernement, un appel pour le retour au calme, pour l'unité nationale « contre le bolchevisme »[442]. Le parti social-démocrate est déchiré entre des tendances contradictoires, mais c'est aussi le cas, dans une certaine mesure, du parti social-démocrate indépendant, particulièrement dans les localités où ses dirigeants de droite se sont alignés sur la politique de capitulation des social-démocrates majoritaires[443]. Les militants - et la presse du parti traduit largement cette réaction - expriment la poussée unitaire de la classe au coude à coude dans la grève, et son exigence de garanties sur le plan gouvernemental. Au contraire, l'appareil et le groupe parlementaire penchent pour la restauration de la coalition parlementaire, le dernier lançant un appel dans lequel il affirme que la poursuite de « la grève du peuple » après la fuite des chefs factieux constitue une menace pour l'unité du « front républicain»[444]. En même temps, une proclamation, signée conjointement de Schiffer et du ministre prussien de l'intérieur, le social-démocrate Hirsch, assure que la police et la Reichswehr ont fait tout leur devoir et qu'elles n'ont à aucun moment été complices du putsch[445]. Cette « amnistie » est évidemment nécessaire pour le rétablissement de l'ordre, en vue duquel le gouvernement proclame le 19 mars l'état d'urgence renforcé[446].

Le gouvernement, sauvé par la grève générale, va-t-il utiliser contre les ouvriers les généraux qui ont refusé de combattre les putschistes? Ebert et Noske vont-ils conserver le pouvoir et les ouvriers ne se sont-ils battus que pour les y maintenir? La réponse, politique, dépend en grande partie des dirigeants des partis et syndicats ouvriers.

Dans la lutte qui s'engage, les travailleurs disposent d'un atout formidable : leur grève. Legien en a conscience. Dès le 17 mars, il s'est adressé au comité exécutif des indépendants en leur demandant d'envoyer des représentants à une réunion de la commission générale des syndicats[447]. L'exécutif a délégué Hilferding et Koenen, à qui Legien a proposé la formation d'un « gouvernement ouvrier », formé des représentants des partis ouvriers et des syndicats. Il justifie sa proposition en expliquant qu'aucun gouvernement n'est désormais possible en Allemagne contre les syndicats, et que ces derniers, dans une situation exceptionnelle, sont prêts à assumer leurs responsabilités. Ni les représentants du parti indépendant, ni le cheminot Geschke, qui a été également invité à cette réunion où il représente le K.P.D. (S), ne peuvent évidemment donner de réponse avant d'avoir consulté les organismes responsables de leurs partis : ce qu'ils font[448]. Au cours de la réunion de l'exécutif indépendant, Wilhelm Koenen et Hilferding se prononcent pour l'acceptation de la proposition de Legien et pour l'ouverture de négociations en vue de constituer un gouvernement ouvrier. Crispien, président du parti et dirigeant de son aile droite, proteste qu'il ne saurait s'asseoir à la même table que des « assassins d'ouvriers », et qu'aucune discussion n'est possible avec les « traîtres à la classe ouvrière » que sont les membres de la commission générale. Däumig, leader de l'aile gauche, lui emboîte le pas, et affirme qu'il est prêt à démissionner de ses fonctions et même du parti si l'exécutif engage de telles négociations. Koenen et Hilferding ne trouvent que peu d'écho auprès de leurs camarades : Stoecker et Rosenfeld, autres dirigeants de la gauche, s'étonnent de la position prise par Koenen et demandent simplement que l'exécutif n'oppose pas un refus brutal qui risquerait de n'être pas compris par les millions de travailleurs en grève. Au vote, le refus catégorique proposé par Crispien et Daumig l'emporte largement[449].

Mais Legien n'abandonne pas pour autant la partie. Le lendemain, 18 mars, malgré la pression des éléments social-démocrates proches de l'appareil qui insistent pour terminer la grève, puisque le putsch auquel elle ripostait est battu, il fait décider par le conseil général sa prolongation tant qu'il n'aura pas été accordé à la classe ouvrière de garanties suffisantes quant à la composition et à la politique du gouvernement. De laborieuses discussions commencent entre les dirigeants des syndicats et les représentants du gouvernement. Legien prévient ses interlocuteurs qu'il n'hésitera pas, s'il le juge nécessaire, à constituer lui-même un « gouvernement ouvrier » qui s'opposerait par la force au retour du gouvernement Bauer dans la capitale, même si cette initiative devait signifier, comme il en a conscience, une guerre civile[450]. Il pose un certain nombre de préalables absolus, la démission de Noske du gouvernement du Reich, celle des deux ministres prussiens Heine et OEser, l'entrée au gouvernement de dirigeants syndicalistes à des postes-clés, une répression sévère contre les putschistes et leurs complices, une épuration radicale de l'armée et de la police. Il répète qu'il existe une possibilité immédiate de constituer un gouvernement ouvrier avec des représentants des syndicats et des deux partis social-démocrates.

Par sa décision de lancer le mot d'ordre de grève générale, par son opposition ouverte aux dirigeants du parti social-démocrate, la direction des syndicats a ouvert au sein de ce parti une crise sans précédent qui secoue jusqu'à son appareil au niveau le plus élevé, l'exécutif et le groupe parlementaire. Mais c'est l'attitude des indépendants qui est déterminante. Or, pour eux, le problème n'est pas simple. La gauche s'est coupée en deux, Däumig s'opposant à Koenen. Une partie de la droite, avec Crispi en lui-même, est revenue sur sa première réaction, dès la soirée du 17 mars, où une nouvelle délégation de l'exécutif s'est lancée à la recherche de Legien pour l'informer de son désir de reprendre la discussion. Däumig est cependant irréductible : il affirme ne pouvoir accepter que le parti cautionne un gouvernement dit « ouvrier » qu'à la condition que ce dernier se prononce pour la dictature du prolétariat et le pouvoir des conseils ouvriers[451]. Malgré l'opposition de ses camarades de tendance qui contrôlent les syndicats à Berlin, il l'emporte. La majorité de la gauche estime avec lui que le gouvernement ouvrier proposé par Legien ne pourrait incarner qu'une nouvelle mouture de ce qu'elle appelle « le régime de Noske », une simple réédition du gouvernement Ebert-Haase de 1918[452]. Quant à la droite, elle se détermine finalement par rapport aux risques d'une telle entreprise sous le feu des critiques de sa gauche et la menace d'une scission, dans une conjoncture qui ferait d'elle au gouvernement un fragile alibi de gauche[453]. Legien doit renoncer.

Il lui reste cependant à poser au gouvernement ses conditions pour la reprise du travail. Au matin du 19, au terme de longues négociations, les représentants du gouvernement s'engagent solennellement à remplir les conditions dictées par Legien et qu'on appellera les « neuf points des syndicats » :

  1. La reconnaissance par le futur gouvernement du rôle des organisations syndicales dans la reconstruction économique et sociale du pays.
  2. Le désarmement et le châtiment immédiat des rebelles et de leurs complices.
  3. L'épuration immédiate des administrations et entreprises de tous les contre-révolutionnaires, la réintégration immédiate de tous les salariés révoqués ou licenciés pour leur activité syndicale ou politique.
  4. Une réforme de l'Etat sur une base démocratique en accord et avec la collaboration des syndicats.
  5. L'application intégrale des lois sociales en vigueur et l'adoption de nouvelles lois plus progressistes.
  6. La reprise immédiate des mesures de préparation de la socialisation de l'économie, la convocation de la commission de socialisation, la socialisation immédiate des mines de charbon et de potasse.
  7. La réquisition des vivres en vue du ravitaillement.
  8. La dissolution de toutes les formations armées contre-révolutionnaires et la formation de ligues de défense sur la base des organisations syndicales, les unités de la Reichswehr et de la police fidèles lors du putsch n'étant pas touchées.
  9. Le départ de Noske et de Heine[454].

Sur ces bases, le 20 mars, l'A.D.G.B. et l'A.f.A. décident d'appeler à la reprise du travail[455]. La plupart des ministres et des parlementaires reprennent le chemin de la capitale. Mais ni le parti indépendant ni le comité de grève du Grand Berlin n'ont donné leur accord, et la décision reste formelle en attendant les assemblées de grévistes, qui sont en général convoquées pour le dimanche 21.

Or, l'accord des grévistes est loin d'être acquis. De nombreuses assemblées prennent position contre la décision des centrales, estimant que le gouvernement s'est contenté de faire des promesses pour lesquelles les ouvriers n'ont aucune garantie, et que l'arrêt du travail équivaudrait à lui accorder un chèque en blanc[456]. De plus, l'entrée des troupes « gouvernementales » dans les faubourgs de Berlin a conduit à plusieurs incidents violents avec les ouvriers armés, coups de feu. arrestations[457], Au comité de grève du Grand Berlin se présente un messager porteur d'un appel au secours des ouvriers de la Ruhr pressés par la Reichswehr. Les représentants du K.P.D. (S), suivis par de nombreux ouvriers indépendants, prennent position contre l'arrêt de la grève: Pieck et Walcher expliquent qu'il faut protéger les ouvriers de la Ruhr et poursuivre le mouvement jusqu'à ce que leur sécurité soit garantie, c'est-à-dire jusqu'à l'armement du prolétariat. Enfin, la question du gouvernement ouvrier est pour la première fois posée publiquement. Däumig dénonce ce qu'il considère comme des manœuvres de Legien et son « opération-gouvernement », dont l'unique objectif est selon lui de réintégrer les indépendants dans le jeu parlementaire et de fournir une couverture à gauche à la coalition affaiblie[458]. Sur ce problème, les représentants communistes n'ont pas de mandat : ils disent apprendre en séance le contenu des propositions de Legien[459] et ne parler qu'à titre personnel. Walcher souligne qu'un gouvernement ouvrier tel que le proposent les syndicats serait « un gouvernement socialiste contre Ebert et Haase » et qu'il n'aurait donc aucun besoin, contrairement à ce que demande Däumig, de proclamer formellement sa « reconnaissance de la dictature du prolétariat » pour constituer, par son existence même, un pas en avant, une conquête pour le mouvement ouvrier. Tourné vers les délégués des syndicats, il affirme :

« Si vous prenez au sérieux vos engagements, si vous voulez vraiment armer les ouvriers et désarmer la contre-révolution, si vous voulez vraiment épurer l'administration de tous les éléments contre-révolutionnaires, alors cela signifie la guerre civile. Dans ce cas, il va de soi que non seulement nous soutiendrons le gouvernement, mais encore que nous serons à la pointe du combat. Dans le cas contraire, si vous trahissez votre programme et si vous frappez les travailleurs dans le dos, alors, nous - et nous espérons bien que dans ce cas nous serons suivis par des gens venant de vos propres rangs -, nous entreprendrions la lutte la plus résolue, sans réserve et avec tous les moyens à notre disposition »[460].

Au terme d'une séance houleuse, il est finalement décidé, avec l'appui des délégués du K.P.D. (S), d'appeler à ne pas terminer la grève avant d'avoir obtenu des garanties concernant notamment le point 8, l'intégration d'ouvriers dans les forces de « défense républicaine[461] ». Dès la fin de la réunion, des négociations s'ouvrent entre les délégués des deux partis social-démocrates et des syndicats. Pour les dirigeants social-démocrates majoritaires, il est d'un intérêt vital d'enfoncer un coin entre communistes et indépendants et d'obtenir l'arrêt de la grève générale. Bauer, au nom de la fraction social-démocrate, s'engage à respecter les quatre conditions : retrait des troupes de Berlin sur la ligne de la Spree, levée de l'état de siège renforcé, engagement de ne prendre aucune mesure offensive contre les travailleurs armés, particulièrement dans la Ruhr, enrôlement, en Prusse, de travailleurs dans les « groupes de sécurité », sous contrôle syndical[462].

La décision véritable sur l'arrêt de la grève générale est entre les mains des indépendants, et peut-être la pression communiste aurait-elle pu durcir la gauche. Mais la centrale du K.P.D. (S) est, à son tour, en pleine crise. Au moment où part la circulaire n° 42 datée du 22 mars 1920, précisant pour les militants la position du parti sur le problème, nouveau pour eux, de la constitution éventuelle d'un gouvernement ouvrier[463], la centrale, après une réunion orageuse qui s'étend sur une partie de la nuit du 21 et la matinée du 22, décide de désavouer ses quatre représentants au comité central de grève pour leur vote favorable à la décision de la veille subordonnant notamment la reprise du travail à l'incorporation d'ouvriers dans des formations « républicaines », qu'elle juge une duperie, et pour leur prise de position favorable à un « gouvernement ouvrier ». A une faible majorité, elle vote en outre le texte d'une déclaration adressée au comité central de grève :

« La centrale du K.P.D. déclare qu'elle est en désaccord avec les revendications formulées dans le tract du comité central de grève du Grand Berlin du 21 mars sur plusieurs points, notamment sur la revendication de l'enrôlement des travailleurs, fonctionnaires et employés armés, dans des formations républicaines de confiance ou militaires. Elle déclare en outre qu'elle n'a pas soutenu la proposition de former un gouvernement de coalition entre les syndicats et l'U.S.P.D. »[464].

Cette déclaration sera lue au comité de grève à midi. Quelques heures plus tard, la direction du parti social-démocrate indépendant, malgré l'opposition de Däumig, Stoecker, Koenen, Rosenfeld et Curt Gever, se déclare satisfaite des nouvelles concessions des social-démocrates[465]. Un texte rédigé dans la soirée du 22, signé de Legien, pour l'A.D.G.B., Aufhäuser pour l'A.f.A., Juchacz pour le parti social-démocrate et Crispien pour l'U.S.P.D., appelle donc à la reprise du travail en fonction des nouvelles concessions et promesses gouvernementales[466]. La direction berlinoise des syndicats, alignant sa position sur celle de Däumig, se prononce pour une « interruption » et contre l' « arrêt » de la grève, et refuse de signer[467].

Réunie dans la matinée du 23, la centrale du K.P.D. (S) dénonce ce qu'elle nomme une capitulation, et invite les ouvriers à poursuivre la grève pour le désarmement des corps francs, de la Reichswehr et des formations bourgeoises paramilitaires, pour l'armement du prolétariat, la libération des prisonniers politiques ouvriers, le pouvoir des conseils ouvriers[468]. Pourtant, la reprise du travail s'amorce. En outre, renversant sa position de la veille, la centrale prend une nouvelle position sur le problème du gouvernement ouvrier, donnant finalement raison sur ce point à Walcher et Pieck[469]. Soulignant que le putsch de Kapp a signifié la rupture de la coalition entre bourgeoisie et social-démocratie, et que le combat contre la dictature militaire a par conséquent pour objectif « l'élargissement du pouvoir politique des travailleurs jusqu'à l'écrasement de la bourgeoise », elle rappelle que l'établissement de la dictature du prolétariat exige un parti communiste puissant, soutenu par les masses, et précise :

« L'étape actuelle du combat, où le prolétariat n'a à sa disposition aucune force militaire suffisante, où le parti social-démocrate majoritaire a encore une grande influence sur les fonctionnaires, les employés et les autres couches de travailleurs, où le parti social-démocrate indépendant a derrière lui la majorité des ouvriers des villes, prouve que les bases solides de la dictature du prolétariat n'existent pas encore. Pour que les couches profondes des masses prolétariennes acceptent la doctrine communiste, il faut créer un état de choses dans lequel la liberté politique sera presque absolue et empêcher la bourgeoisie d'exercer sa dictature capitaliste »[470].

En fonction de cette analyse, elle juge souhaitable la formation d'un gouvernement ouvrier :

« Le K.P.D. estime que la constitution d'un gouvernement socialiste sans le moindre élément bourgeois et capitaliste créera des conditions extrêmement favorables à l'action énergique des masses prolétariennes, et leur permettra d'atteindre la maturité dont elles ont besoin pour réaliser leur dictature politique et sociale. Le parti déclare que son activité conservera le caractère d'une opposition loyale tant que le gouvernement n'attentera pas aux garanties qui assurent à la classe ouvrière sa liberté d'action politique, et tant qu'il combattra par tous les moyens la contre-révolution bourgeoise et n'empêchera pas le renforcement de l'organisation sociale de la classe ouvrière. En déclarant que l'activité de notre parti « conservera le caractère d'une opposition loyale », nous sous-entendons que le parti ne préparera pas de coup d'Etat révolutionnaire, mais conservera une liberté d'action complète en ce qui concerne la propagande politique en faveur de ses idées »[471].

Prise de position capitale, susceptible de modifier le rapport des forces au sein de la gauche et du parti indépendant, mais déjà tardive, et qui ne sera, surtout, connue que le 26 mars. A cette date, la situation a beaucoup évolué. Le 22 au matin, sous le coup des informations concernant les premiers heurts entre forces armées et ouvriers au lendemain de l'arrêt de la grève, les négociations ont repris entre partis et syndicats et de nouveau les dirigeants examinent la possibilité de constituer, comme l'écrit la Sozialdemokratische Parteikorrespondenz, un « gouvernement purement socialiste ou gouvernement ouvrier»[472]. Les indépendants, achevant de rectifier leur prise de position du 17mars, ne demandent pas en préalable une déclaration gouvernementale en faveur de la dictature du prolétariat[473].

Le même jour se tient, sous la présidence de Malzahn, l'assemblée des conseils d'usine du Grand Berlin. Däumig y défend l' « interruption » de la grève, et Pieck sa poursuite. Däumig rappelle son opposition au gouvernement ouvrier, Pieck, au contraire, explique la position de son parti :

« La situation n'est pas mûre pour une république des conseils, mais elle l'est pour un gouvernement purement ouvrier, En tant qu'ouvriers révolutionnaires, nous désirons ardemment un gouvernement purement ouvrier. (...) Le parti social-démocrate indépendant a rejeté le gouvernement ouvrier, et, ainsi, dans une conjoncture politique favorable, il n'a pas su saisir les intérêts du prolétariat. (...) Le gouvernement ouvrier viendra, il n'est pas d'autre voie vers la république des conseils »[474].

Après un débat confus[475], la motion de Däumig est votée à une large majorité. La fin de la grève est acquise. Mais il n'y aura pas de gouvernement ouvrier. Dans les négociations qui se poursuivent, Crispien souligne en vain que la centrale du K.P.D. (S) et l'exécutif indépendant sont parfaitement d'accord sur deux points : ils n'entreront en aucun cas dans un gouvernement de coalition, et il n'est pas pour le moment question d'une « dictature des conseils », alors qu' « un gouvernement purement ouvrier est tout à fait possible »[476]. Les négociations n'aboutissent pas.

Le 23, l'exécutif a établi un programme en huit points qu'il propose comme base possible d'accord pour un gouvernement ouvrier : il est publié le 24[477]. Le 25, Vorwärts explique qu'un gouvernement ouvrier, souhaité, selon lui, par les majoritaires, n'aurait été possible que si les partis bourgeois avaient accepté de le soutenir au Reichstag et qu'il n'aurait eu d'autre signification qu'un élargissement de la coalition aux indépendants. II conclut que le parti social-démocrate saura prendre ses responsabilités pour « construire sous un autre nom un gouvernement qui réalise les mêmes objectifs »[478].

Le quotidien social-démocrate ne fait là que rendre publique une position déjà passée dans la réalité. Depuis la fin de la grève, qui a renforcé considérablement sa position, Ebert, revenu à Berlin, a entamé des pourparlers dans la perspective d'un élargissement de la coalition. Le veto opposé par Legien à l'entrée dans le cabinet de l'homme d'affaires Cuno, son exigence de voir éliminer le vice-chancelier Schiffer, entraînent l'échec de l'opération et la démission du cabinet Bauer[479]. Le jeu parlementaire retrouve ses règles, et, le 26, Ebert offre à Legien le poste de chancelier et mission de former le nouveau cabinet : la commission générale décide qu'il refusera. Elle ne peut, à son avis, prendre seule cette responsabilité gouvernementale dans des conditions qui ne sont plus celles de la semaine précédente, notamment sous le feu de la critique de la presse - qui reparaît - et dénonce quotidiennement avec violence le rôle occulte de « contre-gouvernement » des dirigeants syndicaux[480]. La voie est libre pour le replâtrage, et c'est finalement au social-démocrate Hermann Müller qu'il est fait appel, le même jour[481]. Le 27, le ministère est constitué, avec le démocrate Gessler à la Reichswehr, en remplacement de Noske. Un gouvernement de même type est formé en Prusse. Le revirement de Däumig qui, au cours de l'assemblée des conseils d'usine de Berlin, déclare que « seul un gouvernement purement socialiste porté par la confiance des travailleurs peut résoudre la situation»[482] est trop tardif: l'occasion est passée.

L'unique conséquence de la « déclaration d'opposition loyale » de la centrale du K.P.D. (S) réside finalement dans la tempête qu'elle soulève dans le parti, à commencer par le comité central qui la désavoue, par 12 voix contre 8, et affirme :

« Le devoir des membres du K.P.D. est de diriger toutes leurs énergies en vue de la modification des rapports de force réels par des moyens révolutionnaires. La question d'une éventuelle combinaison gouvernementale est donc d'un intérêt secondaire par rapport à la lutte du prolétariat pour son armement et la construction de conseils ouvriers »[483].

En attendant, les hésitations des socialistes et des communistes sur la question du gouvernement n'ont pas peu contribué à la modification du rapport de force réel, que les événements de la Ruhr vont encore accentuer.

La revanche de la Reichswehr[modifier le wikicode]

Au lendemain du putsch, la Ruhr a été à l'avant-garde de la lutte armée et de l'organisation du pouvoir ouvrier : un réseau de conseils ouvriers et de comités d'action y a pris localement le pouvoir, et le comité d'action de Hagen, véritable direction militaire révolutionnaire, dispose d'une centaine de milliers d'ouvriers en armes. A partir du 18 mars, les unités ouvrières passent à l'offensive, la Reichswehr replie ses troupes éparpillées : l'une d'elles laisse aux ouvriers de Düsseldorf 4000 fusils, 1 000 mitrailleuses, des canons, des mortiers et des munitions[484]. Les ouvriers semblent les maîtres dans la semaine qui suit.

En fait, dès cette date, les ouvriers de la Ruhr, en pointe par rapport à leurs camarades du reste du pays, sont dangereusement isolés. Social-démocrates, indépendants et même communistes ont partout ailleurs reconnu de bon ou de mauvais gré la situation créée par la reprise du travail et l'échec des pourparlers pour la formation d'un « gouvernement ouvrier ». Au comité de grève de Berlin, les émissaires de la Ruhr, Wilhelm Düwell, le 21 mars, Graul le 23, ont décrit la situation dans la région, le danger que crée la pénurie alimentaire. Dès le 23 mars, la centrale a envoyé Wilhelm Pieck sur place[485]. La division est profonde : le comité de Hagen, formé de majoritaires et d'indépendants, a incorporé deux communistes, Triebel et Charpentier, mais leur parti vient de les désavouer parce qu'ils ont accepté d'ouvrir les négociations sans avoir été mandatés pour cela[486]. A Essen, le comité exécutif qu'inspirent les communistes, songe à déborder le comité de Hagen quand celui-ci s'engage dans la voie des négociations.

Le 18, le comité d'action de Hagen appelle les ouvriers non armés à reprendre le travail. Le 20, il fait connaître ses exigences à l'égard de la Reichswehr et de son chef, le général von Watter, qui a attendu le 16 mars pour se désolidariser de von Lüttwitz : désarmement de la Reichswehr, évacuation totale de la zone industrielle, formation d'une milice contrôlée par les organisations ouvrières : en attendant, « l'ordre sera assuré par des formations ouvrières armées »[487]. Bauer répond télégraphiquement que ces conditions sont inacceptables, von Watter et ses troupes ne s'étant pas rangés du côté du putsch[488]. Les ministres Giesberts et Braun viennent épauler le commissaire du Reich, Severing, pour une négociation en vue d'un accord sur la base des « neuf points des syndicats»[489], Les conversations s'ouvrent à Bielefeld, le 23 mars, dans une vaste assemblée qui regroupe les représentants des conseils des principales villes, quelques maires et les représentants des partis et syndicats ouvriers, dont Charpentier et Triebel, les deux communistes membres du comité d'action de Hagen. Une commission restreinte élabore un texte qui est finalement approuvé le 24 par tous les participants[490]. Les représentants du gouvernement y confirment leur accord avec le programme des syndicats, donnent leur caution à une collaboration temporaire, pour l'application de l'accord, entre autorités militaires et représentants ouvriers : Josef Ernst est adjoint à Severing et au général von Watter[491]. Il est prévu que, dans une première étape, les ouvriers garderont sous les armes des troupes aux effectifs limités, contrôlées par les autorités qui les reconnaîtront comme forces auxiliaires de police; le gros des armes sera rendu. En tout état de cause, les combats doivent prendre fin immédiatement[492].

Or ces accords ne sont pas respectés. Pourtant Wilhelm Pieck, qui a appris leur signature lors de son arrivée à Essen, insiste pour qu'on accepte un armistice qui permettrait aux ouvriers de conserver des armes et d'organiser solidement la milice qui leur est provisoirement concédée[493]. Mais il ne parvient pas à convaincre les membres du conseil exécutif d'Essen, qui ne se jugent pas engagés par un accord auquel ils n'ont pas eu part. D'ailleurs, sur la gauche de ce comité contrôlé par le K.P.D. (S), ceux de Duisbourg et Mülheim, dirigés par des communistes de l'opposition, et les militants des puissantes unions ouvrières locales, parmi lesquels l'influence des anarchistes est réelle, dénoncent les « traîtres» qui ont signé et appellent à poursuivre la lutte. Il y a, en fait, foule d'autorités révolutionnaires rivales, six ou sept « directions militaires» et, entre elles, surenchère[494]. Le 24 mars, le conseil exécutif d'Essen se réunit en présence de Josef Ernst et d'un délégué du « front » de Wesel, où les ouvriers attaquent la caserne. Les représentants de Mülheim condamnent à l'avance tout armistice, mais avouent qu'ils manquent de munitions. Le conseil refuse de reconnaître les accords, sur quoi le comité de Hagen le déclare dissous et réitère son ordre de suspendre les combats : décision sans effet[495]. Le lendemain 25 mars se tient, toujours à Essen, une réunion de délégués de soixante-dix conseils ouvriers de la Ruhr, avec les principaux chefs de l' « armée rouge ». Pieck intervient pour souligner que les accords n'offrent aucune garantie, et proposer que les ouvriers gardent leurs armes en attendant, sans pour autant provoquer les combats. L'assemblée élit un conseil central formé de dix indépendants, un majoritaire et quatre communistes. Pieck dira : « Nous n'avons pas réussi à convaincre les camarades du front qu'il valait mieux cesser la lutte »[496]. Pourtant, deux jours après, le conseil central d'Essen décide, contre l'opinion des chefs militaires, mais au vu de la situation générale, de demander au gouvernement l'ouverture de pourparlers d'armistice[497]. Le lendemain se tient à Hagen une conférence de délégués des trois partis ouvriers. Pieck y intervient pour dire que la situation n'est pas mûre pour une république des conseils, mais qu'il faut lutter pour l'armement du prolétariat, le désarmement de la bourgeoisie, la réorganisation et l'élection des conseils ouvriers[498]. La décision est prise de négocier, mais de se préparer à proclamer à nouveau la grève générale en cas d'offensive de la Reichswehr[499]. Une nouvelle assemblée des conseils, convoquée le 28 par le conseil central d'Essen, confirme cette position : Levi y est présent[500]. Mais, le même jour, le chancelier Hermann Müller fait savoir au conseil central qu'il exige préalablement à toute négociation la dissolution des autorités illégales et la remise des armes[501].

En fait, pendant ce temps, les combats n'ont pas cessé, et le conseil central n'a pas réussi à imposer dans l'ensemble de la zone industrielle une autorité nécessaire à la conduite de sa politique. A Wesel, la garnison est assiégée depuis plusieurs jours[502] et les chefs de l'« armée rouge du front de Wesel » lancent des appels au combat enflammés, que le conseil central stigmatise comme « aventuristes »[503]. A Duisbourg et Mülheim, des éléments « unionistes » menacent de saboter les installations industrielles et de « détruire l'outil » en cas d'avance des troupes[504]. Un comité exécutif révolutionnaire, installé à Duisbourg sous l'autorité du gauchiste Wild, décide la saisie des comptes bancaires et de tous les produits alimentaires, appelle à l'élection de conseils ouvriers par les seuls ouvriers « se plaçant sur le terrain de la dictature du prolétariat »[505]. Les incidents commencent à éclater entre ouvriers de tendances opposées, partisans ou adversaires de l'armistice, partisans ou non du sabotage. Un militant de l'opposition, Gottfried Karrusseit, lance des proclamations incendiaires[506] qu'il signe du titre de « commandant en chef de l'armée rouge » Pieck le traitera de « petit-bourgeois enragé », En fait, pas plus que le comité d'action de Hagen quelques jours plus tôt, le conseil central d'Essen n'a la force de garantir un cessez-le-feu. Exploitant cet éparpillement et les querelles internes du camp ouvrier, le général von Watter exige des dirigeants d'Essen qu'ils lui fassent remettre dans les vingt-quatre heures quatre canons lourds, dix légers, deux cents mitrailleuses, seize mortiers, vingt mille fusils, quatre cents caisses d'obus d'artillerie, six cents d'obus de mortiers, cent mille cartouches. Si armes et munitions ne lui sont pas livrées dans le délai prescrit, il considérera que les dirigeants ouvriers ont refusé de désarmer leurs troupes et violé l'accord[507]. Le conseil d'Essen réplique à cet ultimatum provocateur par l'appel à la grève générale[508].

La situation en Allemagne en mars 1920, au lendemain du putsch de Kapp

Le 30 mars, les délégués du conseil d'Essen sont à Berlin, où ils participent à une réunion qui comprend les dirigeants de tous les syndicats et partis ouvriers, dont Pieck et Paul Levi : ils décident à l'unanimité de demander au gouvernement Müller de prendre des mesures pour que soit respecté l'accord de Bielefeld, et que les militaires soient mis hors d'état de nuire, Cinq de leurs représentants, dont Paul Levi, sont reçus par le chancelier Hermann Müller, à qui ils demandent le rappel du général von Watter[509]. Initiative vaine: le chancelier réplique que les accords sont violés unilatéralement, invoque pillages, saisies des comptes en banque et menaces de sabotage pour justifier le « maintien de l'ordre »[510], De retour à Essen, Pieck y trouve une extrême confusion, la majorité des membres du conseil central s'étant rendus à Munster pour négocier avec Severing et ayant presque tous été arrêtés en route par les troupes[511], Une nouvelle assemblée générale des conseils de la région industrielle se tient cependant le 1° avril à Essen, avec 259 représentants de 94 conseils[512]. Pieck, l'indépendant Œttinghaus, et le représentant de Mülheim, Nickel, y rendent compte de ce qui s'est passé à Berlin, et l'assemblée définit une position sur les conditions d'armistice. Elie lance un appel pour la défense et le développement du réseau des conseils[513], Le 3 avril, les troupes de von Watter se mettent en marche. Elles ne rencontrent qu'une résistance sporadique, le chaos et la discorde entre dirigeants paralysant toute velléité de coordination de la défense[514], Le comportement des troupes pendant cette réoccupation du bassin est tel qu'il provoque l'indignation de Severing lui-même[515], Bientôt les tribunaux militaires vont frapper de lourdes peines de prison les militants ouvriers accusés de crimes ou délits de droit commun, en réalité mesures de réquisition ou de combat. Un mois après l'écrasement du putsch par la grève générale, les complices des putschistes prennent dans la Ruhr une bonne revanche[516].

En fait, les événements de ce mois de mars 1920 ont une grande portée. Une fois de plus, certes, la Reichswehr a rétabli l'ordre, mais, cette fois, la crise dans le mouvement ouvrier semble atteindre son paroxysme. Les hésitations de la centrale, ses tergiversations et ses tournants n'ont pas permis au K.P.D. (S) de tirer de l'événement tout le bénéfice qu'il aurait pu en attendre. Il va pourtant s'efforcer d'attiser la crise qui bouillonne encore dans les partis social-démocrates.

C'est aux ouvriers social-démocrates ou influencés par la social-démocratie, aux cadres et aux adhérents des syndicats, que Paul Levi, le 26 mars, s'adressait devant l'assemblée générale des conseils d'usine :

« Au moment où Kapp-Lüttwitz ont fait leur putsch et mis en péril le régime Ebert-Bauer comme Spartakus ne l'avait jamais encore fait, on n'a pas osé appeler à lutter contre eux les armes à la main. Alors qu'on voulait se battre les armes à la main. Comment cela est-il possible?

Il fallait en appeler de nouveau aux forces qui ont bâti la république allemande, il fallait en appeler au prolétariat et il fallait lui mettre des armes dans les mains. C'était parfaitement possible (Protestations), oui, c'était parfaitement possible (Interruption « Non! »), c'était possible, exactement comme il était possible d'appeler le prolétariat à la grève générale, de l'appeler aux armes. De même qu'il était possible, en Rhénanie-Westphalie, d'organiser une armée à partir des propres forces du prolétariat, de même il était devenu possible au gouvernement d'armer le prolétariat ailleurs. Mais il ne l'a pas même voulu, car il savait qu'au moment où il repoussait le putsch des Kapp-Lüttwitz grâce aux forces prolétariennes, il remettait en même temps au prolétariat le moyen qui lui permettrait d'atteindre son objectif ultime, et qu'il dirait : « Nous sommes prêts à défendre la république, nous sommes prêts à assumer cette défense, mais il ne nous suffit pas de restaurer le trône d'Ebert et Bauer! » Je dis que le gouvernement Ebert-Bauer n'a pas voulu prendre cette décision il en est resté à ses vieilles recettes et a cherché à négocier des compromis avec ces forces devant lesquelles il avait pris la fuite de Berlin à Dresde. Je pense que, dans cette situation, il serait tout à fait faux de parler d'un « nouveau danger », car c'est bien le seul et vieux danger qui menaçait depuis le premier jour et qui a maintenant atteint le stade critique, un stade où le rapport de forces est si serré qu'il faut qu'à brève échéance soit tranchée la question de savoir quelle force prendra l'Etat en mains, avant tout cet Etat qui est là! »[517].

La scission du parti sur sa gauche[modifier le wikicode]

L'une des premières conséquences, moins du putsch lui-même que de la politique du parti communiste pendant le putsch et dans ses lendemains, le touche directement : c'est la décision de l'opposition de constituer un parti communiste scissionniste. L'abstentionnisme de la centrale aux premières heures du putsch, la politique unitaire et défensive de Brandler dans sa forteresse de Chemnitz[518], les hésitations et les tentations de la centrale devant la perspective d'un « gouvernement ouvrier », l'appui donné par les dirigeants de la centrale aux accords de Bielefeld et la condamnation par eux des actions aventuristes conduites dans la Ruhr, renforcent de nouveau le courant activiste, redonnent vie aux aspirations gauchistes, semblent confirmer leurs analyses sur l'« opportunisme » de la politique de la centrale. L'opposition, jusque-là en pleine décomposition, en reçoit une vigueur nouvelle,

A l'initiative des militants berlinois, particulièrement de Karl Schröder, que conseille Hermann Gorter, se réunit à Berlin les 4 et 5 avril une conférence de l'opposition communiste allemande qui rassemble, dans les conditions difficiles de la période, onze délégués de Berlin et vingt-quatre des différents districts de Brandebourg, Nord, Nord-Ouest, Thuringe, Saxe occidentale et orientale, Elberfeld-Barmen, sous la coprésidence de trois militants des principaux groupes, Hambourg, Berlin, Dresde. Les délégués affirment représenter 38 000 militants, soit plus de la moitié des membres du parti[519]. La conférence, malgré l'opposition de Pfemfert et d'Otto Rühle[520], proclame la fondation du parti communiste ouvrier d'Allemagne (K.A.P.D.) qui se déclare membre de l'Internationale communiste tout en condamnant comme opportuniste le travail militant dans les parlements bourgeois et les syndicats réformistes et en affirmant la « trahison » de la « centrale Levi»[521]. Dans les thèses qu'adopte son congrès de fondation, le nouveau parti, qui se prononce pour la dictature du prolétariat, définit le parti communiste comme « la tête et l'arme du prolétariat» et lui assigne comme rôle de lutter contre l'opportunisme et de développer la conscience de classe du prolétariat, « même au prix d'une opposition superficielle et évidente des grandes masses ». Il se propose comme modèle de parti communiste dans cette Europe occidentale où la bourgeoisie dispose de l'idéologie démocratique comme arme essentielle de défense. Pour l'organisation des luttes préparatoires à la conquête du pouvoir, il prône la constitution et le développement des « conseils d'usine révolutionnaires » et des « Unions » d'entreprise. Son appel aux travailleurs allemands souligne :

« Le K.A.P.D. n'est pas un parti traditionnel. Il n'est pas un parti de chefs. Son travail essentiel consistera à soutenir l'émancipation du prolétariat à l'égard de toute direction. (...) L'émancipation du prolétariat à l'égard de toute politique traître et contre-révolutionnaire de quelconques dirigeants est le plus authentique moyen de sa libération »[522].

Le 4° congrès du K.P.D. (S), qui se tient dix jours après la naissance du K.A.P.D., ne lui consacre aucun temps de ses discussions. Les dirigeants communistes sont apparemment convaincus que l'événement est secondaire qui a vu la naissance d'une organisation se situant sur les positions théoriques de Pannekoek mais associant dans ses rangs aussi bien Wolffheim et Laufenberg que Rühle et Pfemfert - et que les meilleurs éléments de l'opposition, les communistes de Brême, avec Becker, ont refusé de rallier. En réalité, c'est d'un autre côté qu'ils tournent leurs regards. Les élections générales, qui auront lieu le 6 juin 1921, vont leur apporter des indications sur les conséquences politiques du bouleversement des rapports politiques et sociaux à la suite du putsch et de ses lendemains. Les partis bourgeois recueillent, ensemble, 15 000 000 de voix, contre 11 000 000 aux partis ouvriers. Des deux côtés, les extrêmes se renforcent. Le Centre perd plus de 2 500 000 voix, les démocrates 3 300 000, cependant que populistes et nationaux-libéraux, franchement à droite, en gagnent plus d'un million chacun. De l'autre côté, le parti social-démocrate est le grand vaincu, recueillant seulement 6 000 000 de voix et revenant avec 102 députés contre 11 900 000 voix et 165 députés en janvier 1919. Le fait capital est la montée des voix du parti social-démocrate indépendant, qui passe de 2 300 000 à plus de 5 000 000 de voix, et de 22 à 84 députés, égalant presque le vieux parti majoritaire, et le surclassant dans presque tous les centres industriels. Les communistes, pour leur première participation à des élections générales, obtiennent des résultats plus modestes ; 589 000 voix, et quatre députés, dont Clara Zetkin et Paul Levi.

La masse des électeurs ouvriers a bougé pour la première fois : le résultat du scrutin montre que les travailleurs se détournent nettement de la social-démocratie. Mais c'est pour rallier les social-démocrates indépendants. Voilà, pour les dirigeants de la centrale, une leçon bien plus importante que la naissance, sur leur gauche, du parti gauchiste K.A.P.D.

XIX. Le K.P.D. (S) au carrefour[modifier le wikicode]

Au lendemain du putsch de Kapp et de la grève générale qui l'a écrasé, le parti communiste allemand tient son 4° congrès, les 14 et 15 avril 1920, dans la clandestinité : situation surprenante qui s'explique par un renversement de situation dans lequel il porte sa part de responsabilité. La politique du parti allemand pendant la « kappiade » va devenir l'objet de débats passionnés non seulement en Allemagne, mais dans l'Internationale entière.

Une critique admise par tous[modifier le wikicode]

Un fait est évident : la centrale a commis, aux premières heures du putsch, une erreur magistrale en proclamant, le 13 mars, que la classe ouvrière ne bougerait pas le petit doigt pour défendre la république bourgeoise contre les putschistes. Même Béla Kun, dont le gauchisme impénitent n'incline pas aux distinguos subtils, relève dans son analyse des événements de mars un antagonisme entre ce qu'il appelle « la contre-révolution démocratique » et « la contre-révolution antidémocratique », et explique ainsi que la première ait pu, pour abattre la seconde, recourir à des « armes révolutionnaires » comme la grève générale et l'appel à l'initiative du prolétariat[523].

Le premier accusateur de la centrale a été Levi lui-même. Il était, le 13 mars, détenu depuis quelques jours dans la prison de la Lehrerstrasse. C'est dans sa cellule qu'il a appris le putsch, et la position prise par ses camarades. C'est de sa cellule qu'il a aussitôt adressé à la centrale une lettre[524] dans laquelle il n'hésite pas à affirmer que la proclamation du 13 mars constitue « un crime », « un coup de poignard dans le dos de la plus grande action du prolétariat allemand »[525] :

« Je ne puis conserver mon calme quand je pense que l'occasion que nous attendions depuis des mois s'est enfin présentée. La droite a fait une bêtise colossale et, au lieu de profiter de la situation pour assurer à notre parti, comme en 1918, un rôle dirigeant, cette dérision puérile ! (...) Je ne vois pas comment le parti pourra se remettre d'un tel coup »[526].

Selon lui, trois mots d'ordre s'imposaient aux communistes, que la classe tout entière pouvait reprendre et faire siens : l'armement du prolétariat, la lutte contre les putschistes jusqu'à leur capitulation sans conditions, l'arrestation immédiate de leurs dirigeants et complices :

« Avec ces trois mots d'ordre, le K.P.D. aurait donné à la grève la perspective qui lui manque aujourd'hui. Avec ces mots d'ordre, au bout de quelque temps, on aurait vu la justesse de ce que la centrale du parti communiste a placé à la base de son analyse, à savoir que les social-démocrates ne prendraient pas part, ou du moins ne pourraient pas prendre part à l'action jusqu'au bout. Et alors — mais alors seulement — le moment serait venu de montrer aux masses qui avait trahi leur cause, qui portait la responsabilité de leur échec. Alors — mais alors seulement —, quand les masses auraient repris nos mots d'ordre, et quand leurs « chefs » auraient refusé de les conduire jusqu'au bout et les auraient trahi, le cours des événements en aurait amené d'autres dans la direction des conseils : conseils, congrès des conseils, république des conseils, abolition de la république démocratique. (...) Et alors, après six mois d'un tel développement, nous aurions eu la république des conseils »[527].

Personne ne songe à contester cette sévère appréciation, même pas les auteurs de l'appel du 13 mars. Les dirigeants de l'Internationale, qui le considèrent comme une faute d'une gravité exceptionnelle, insistent, Zinoviev le premier[528], pour que la lettre de Paul Levi soit intégralement publiée dans la revue de l'Internationale, où elle ouvre une ample discussion sur la politique du K.P.D. (S), pendant et après le putsch de Kapp : publication qui vaut à Levi un surcroît d'autorité, en même temps qu'elle ébranle un peu plus celle de ses camarades de la centrale.

Telle quelle, la position de Paul Levi n'est pourtant pas suffisante. Elle dénonce la faute — et son mérite est de l'avoir fait sur-le-champ — mais ne l'explique pas. Aussi certains vont-ils s'employer à découvrir ce qu'ils appellent les « racines» de cette erreur. Béla Kun, par exemple, s'en prend à l'analyse faite par Radek du rythme de la révolution dans les pays occidentaux, démentie à ses yeux par le putsch et la réaction ouvrière, par la radicalisation accélérée de la classe ouvrière ; axé sur une perspective à long terme, le parti communiste allemand s'est laissé surprendre par ce changement de rythme[529]. Mais Radek, de son côté, n'est pas disposé à servir de bouc émissaire. Dans un long « essai critique » qui paraît à la suite de l'article de Levi dans le même numéro de la revue de l'Internationale[530], il qualifie l'appel de la centrale du 13 mars d' « erreur impardonnable ». Pour lui, comme pour Levi, « le parti communiste devait se laisser aller et se confier aux vagues de la lutte pour l'approfondir et la conduire plus avant»[531]. Il est nécessaire de chercher à savoir pourquoi il s'est refusé à le faire. Or la raison s'en trouve, selon lui, au sein même de la centrale, dans l'état d'esprit des dirigeants allemands, leur pratique politique routinière, leur incapacité à comprendre les tournants de la situation objective. Il rappelle les problèmes posés dans le parti en 1919 par les tendances putschistes et gauchistes qui y prévalaient, et la lutte correctement menée contre elles par la centrale. Mais, pour lui, c'est cet antiputschisme, devenu systématique, qui est à l'origine d'une nouvelle déviation, une tendance à la passivité, un refus de l'action :

« L'antiputschisme, chez eux, a conduit à une sorte de quiétisme : de l'impossibilité de conquérir en Allemagne le pouvoir politique — établie empiriquement en 1919 —, ils ont en mars 1920 conclu à l'impossibilité de l'action en général, conclusion qui était déjà fausse l'an dernier ! »[532].

Parlant du point de vue de l'exécutif de l'Internationale, il écrit :

« Il n'est pas possible de donner de Moscou des directives concrètes au parti communiste allemand et nous considérons toujours que c'est à lui qu'il appartient de déterminer lui-même sa ligne. Mais, de même que le comité exécutif de Moscou avait bien compris l'année dernière que ceux qui, dans le mouvement allemand, luttaient contre les putschistes avaient raison, de même il est devenu pour lui évident aujourd'hui que la propagande doctrinaire antiputschiste n'est plus qu'un frein »[533].

Le 4° congrès du K.P.D. (S) ne va guère s'étendre sur l'erreur du 13 mars. Walcher, qui la critique, en rejette la responsabilité sur les dirigeants du district de Berlin et mentionne à ce propos les interventions de Budich et de Friesland[534]. Thalheimer plaide non-coupable et rejette également la responsabilité de l'orientation erronée sur les Berlinois. Rappelant l'insuffisance des liaisons entre la centrale et le reste du parti, soulignant la faiblesse du parti à Berlin, le seul district dont les dirigeants ont été consultés, il admet que leur point de vue a effectivement prévalu dans la déclaration du 13 mars, mais souligne que s'y exprimait également la crainte de voir se renouveler des « erreurs putschistes ». « J'ai combattu, assure-t-il, ces objections, mais il a été impossible de les balayer rapidement »[535]. Quant à Ernst Friesland, le responsable du district de Berlin, il se tait sur cette question[536], reconnaissant ainsi tacitement une responsabilité que ses biographes tenteront d'expliquer par son gauchisme, « la passivité du gauchiste isolé »[537].

Il est en tout cas intéressant de remarquer que le congrès ne s'intéresse guère aux problèmes soulevés, par exemple, par la politique pratiquée face au putsch par Brandler et les communistes de Chemnitz[538]. Alors que l'introduction de Brandler à sa brochure[539] sur l'action contre le putsch souligne que les communistes doivent chercher avant tout à réaliser l'unité de front des travailleurs et, par là, développer la crise au sein du parti social-démocrate en y suscitant une aile gauche unitaire, le congrès — et Brandler lui-même — se taisent sur ce point.

Un débat entrouvert[modifier le wikicode]

Les contradictions internes — la renaissance du putschisme, et la tendance « opportuniste » de leurs adversaires — sont révélées plus clairement par l'autre discussion, celle qui concerne le mot d'ordre de « gouvernement ouvrier » posé par les initiatives de Legien et la « déclaration d'opposition loyale » de la centrale à l'égard d'un éventuel « gouvernement purement socialiste ».

Ni Walcher ni Pieck n'avaient dissimulé leur désir de voir les indépendants accepter d'entrer dans un tel gouvernement. Quelques semaines plus tard, la reconstitution d'un gouvernement de coalition parlementaire entre le parti social-démocrate et ses alliés du centre et du parti démocrate ravive les regrets. Déjà une forte minorité du comité central estime qu' « un gouvernement ouvrier qui romprait définitivement avec la coalition bourgeoise, qui contribuerait à l'armement des ouvriers et engagerait une lutte énergique pour le désarmement de la bourgeoisie », serait souhaitable, dans la mesure où, s'appuyant sur la classe ouvrière rassemblée autour de ses conseils ouvriers révolutionnaires, il pourrait raccourcir et faciliter le long et pénible chemin qui conduit au but final[540]. C'est une conception semblable qui a inspiré la position de Pieck et Walcher, et des rédacteurs de la déclaration d'opposition loyale. Pour la première fois dans l'histoire du mouvement communiste est posé le problème d'une forme gouvernementale transitoire qui constitue une rupture avec un gouvernement de type parlementaire et qui ne soit pas encore la dictature du prolétariat, le gouvernement des conseils.

Nombre de responsables dans le parti allemand comme dans l'Internationale, considèrent qu'il s'agit là d'une véritable hérésie. Béla Kun écrit que la croyance en un gouvernement « purement ouvrier » constitue la première des trois illusions démocratiques qui se sont manifestées en mars 1920 dans le mouvement allemand : le soutien de ce qui serait, selon lui, dans le meilleur des cas, le fruit d'une crise de la démocratie bourgeoise, signifie tout simplement un alignement sur une « utopie réactionnaire »[541]. Les orateurs se succèdent au 4° congrès pour reprendre des affirmations du même ordre. Eulert estime qu'un tel gouvernement ne saurait être que « réactionnaire et anti-ouvrier »[542]. Edwin Hoernle dit qu'il n'aurait servi qu'à « compromettre le prolétariat »[543]. Clara Zetkin pense qu'il aurait donné aux indépendants le meilleur des alibis pour ne pas lutter en vue du pouvoir des conseils[544]. Tous pensent, plus ou moins confusément, que le « gouvernement ouvrier » proposé par Legien n'aurait pu être essentiellement différent de ce qu'avait été en 1918 le gouvernement Ebert-Haase.

Mais la discussion qui se poursuit dans les colonnes de la presse allemande et internationale montre qu'il existe des divergences plus profondes. L'une des attaques les plus virulentes émane de Paul Frölich[545], pour qui l'hypothèse « selon laquelle la voie du gouvernement de coalition à la république des conseils passerait par un gouvernement socialiste est complètement antidialectique[546] ». Selon lui, un « prétendu gouvernement socialiste » n'aurait pu être bâti que sur la base d'un compromis entre dirigeants social-démocrates et indépendants dans le cadre parlementaire[547]. Ernst Meyer, beaucoup plus modéré dans la forme, affirme dans une lettre ouverte à l'exécutif que l'hypothèse même de l'existence d'une « forme intermédiaire entre la dictature du prolétariat et celle de la bourgeoisie » lui paraît « peu vraisemblable »[548] et, de ce point de vue, il condamne aussi la déclaration d'opposition loyale, qui ne répond pas à la mission et la tâche d'un parti communiste[549].

L'intervention de Radek n'est pas moins sévère. Il y a, selon lui, un lien entre la prise de position de la centrale le 13 mars et sa déclaration d'opposition loyale. En adoptant cette déclaration et cette position favorable au gouvernement ouvrier projeté, les dirigeants du parti ont abandonné leur mission historique de dirigeants révolutionnaires et se sont comportés « en ratiocineurs et non en combattants »[550]. Alors que les indépendants de gauche, qui avancent vers le communisme, exprimaient, par leur refus, le réflexe sain du prolétariat révolutionnaire qui ne veut pas s'allier avec les social-démocrates de droite dans un gouvernement même prétendument socialiste, les dirigeants de la centrale communiste ont fait ce qu'ils ont pu pour les conduire à accepter cette compromission en leur assurant en substance que leur mission historique était de duper une fois de plus le prolétariat. Car, pour lui, la déclaration d'opposition loyale a abusé les masses en leur donnant des illusions sur la possibilité de construire un gouvernement révolutionnaire sans avoir préalablement désarmé les contre-révolutionnaires. Elle a été interprétée comme une déclaration de renonciation à la violence révolutionnaire dans un moment où, précisément, il fallait appeler la classe ouvrière à se battre et à recevoir « l'épée à la main » un gouvernement en réalité essentiellement dirigé contre elle[551]. Le verdict est féroce ; au « crétinisme parlementaire » des social-démocrates, une partie de la centrale communiste a substitué un « crétinisme gouvernemental »[552].

Face à ces procureurs, les avocats de la déclaration d'opposition loyale paraissent timides. Pieck, par exemple, se défend énergiquement d'avoir en quoi que ce soit compromis le parti, affirme que son seul but était de démasquer les indépendants, dont le refus se situait en réalité sur le terrain de la démocratie bourgeoise et laissait le champ libre à Crispien et à Ebert. Il répète au congrès que les indépendants ont à son sens commis une lâcheté en faisant passer leur intérêt de parti avant celui du mouvement révolutionnaire, tout en affirmant que les communistes, précisément parce qu'ils sont, eux, de véritables partisans de la dictature du prolétariat, ne pouvaient en aucun cas participer à un tel gouvernement[553]. Brandler qui, par ailleurs, estime qu'un gouvernement ouvrier serait à la fois souhaitable et possible sur la base d'un mouvement de masses allant jusqu'à l'insurrection et construisant des conseils ouvriers, se contente de dire au congrès que la déclaration, au moment où elle a été publiée, a freiné le mouvement des masses[554]. Thalheimer, lui, ne se dérobe pas, et même contre-attaque. Pour lui la déclaration répondait à une question posée par les masses. Les communistes n'ont pas à répondre aux masses de façon dogmatique, ils doivent les aider à faire leur expérience. Or, pour elles, les indépendants sont encore une « feuille blanche », et l'expérience du gouvernement ouvrier les eût aidées à se défaire de leurs illusions[555]. Répondant à Frölich[556], il l'accuse d'être victime d'une « rechute de maladie infantile », de négliger les leçons de 1919, des événements de janvier à Berlin et de la révolution bavaroise et de perdre de vue que l'unique problème posé pour le moment aux communistes est celui de la construction de leur propre parti, ce parti révolutionnaire nécessaire pour la victoire finale[557]. Ce sont les mêmes thèmes que Bronski — M. J. Braun — développe avec moins d'habileté quand il écrit que le parti indépendant, parce qu'« il n'est pas un parti communiste », avait le devoir de démontrer les conséquences pratiques de sa position de principe en acceptant les offres de Legien[558]. Traçant un parallèle entre l'insurrection de Kornilov et le putsch de Kapp, il affirme que la base des critiques de gauche contre la centrale réside dans la volonté d' « anticiper sur l'itinéraire de lutte par lequel la classe ouvrière a dû passer, mais de le faire sans avoir les expériences nécessaires »[559].

La position de Paul Levi[modifier le wikicode]

La position de Levi est apparemment plus subtile. Il ne se prononce pas en effet sur la déclaration d'opposition loyale prise en elle-même et en dehors de tout contexte : pour lui, l'erreur initiale, l'abstentionnisme de la centrale le 13 mars et sa passivité ont en effet privé le parti communiste de toute prise réelle sur les événements. C'est, selon lui, de ces fautes capitales de communistes que les indépendants tirent force et audience, et, dans cette situation, la centrale ne pouvait guère aller au-delà de cette déclaration, parvenue aux travailleurs après la reprise du travail, et qui n'était pour les communistes qu'une occasion d'expliquer les chances qui avaient été gâchées[560]. En posant la question dans ces termes, Levi prenait la position la plus confortable, puisque la déclaration du 23 mars apparaissait comme la conséquence de celle du 13 dans laquelle il n'avait aucune part de responsabilité et qu'il avait le premier dénoncée.

Mais cette prudence ne lui permettra pas d'éviter les attaques. En fait, au cours des semaines qui suivent le putsch de Kapp, se dessinent les grandes lignes d'une offensive contre lui. Dans son article sur la « kappiade », Paul Frölich le met directement en cause, protestant contre l'interprétation qu'il donne de la phrase du programme de Spartakus selon laquelle les communistes ne sauraient s'emparer du pouvoir que « sur la base clairement exprimée de la volonté de la grande majorité de la classe ouvrière »[561], critiquant dans sa conclusion à la fois Levi nommément et ce qu'il appelle — dans un style qui rappelle celui du K.A.P.D. — « la haute bureaucratie du parti »[562]. De son côté, Radek va ouvrir la polémique contre Levi à propos des leçons des révolutions bavaroise et hongroise de 1919, et, sans le nommer toutefois, à propos de la critique qu'il fait de l'attitude du parti pendant le putsch de Kapp. Il est évident en effet, pour tous les lecteurs allemands, que c'est en Levi que s'incarne le plus nettement la tendance « antiputschiste » dont Radek assure qu'elle s'est transformée en « quiétisme ». Pour qu'aucun doute ne subsiste - puisque après tout Levi n'a pas partagé l'erreur du 13 mars -, la critique de Radek se termine par une violente attaque de ce qu'il appelle le « possibilisme communiste »[563] Contredisant implicitement les perspectives tracées par Levi dans sa lettre à la centrale, Radek souligne que l'une des formes de ce possibilisme communiste — qui n'est que le revers de la médaille du putschisme — consiste à tracer des perspectives en prévoyant dans le cours de la révolution des « étapes » entre la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne qu'il juge peu vraisemblables, démarche qu'il considère comme un opportunisme qui n'ose pas dire son nom : le grand danger à ses yeux est que le parti allemand ne s'engage « dans une politique centriste sous le drapeau du communisme », et tout indique qu'il tient Levi pour l'éventuel porte-drapeau d'une telle politique[564].

Ainsi deux combats se mènent au même moment au sein du parti allemand comme de l'Internationale. Débat théorique à peine formulé, en tout cas superficiellement traité, autour du problème du gouvernement ouvrier moins encore que de la déclaration d'opposition loyale, dans lequel s'affrontent procureurs dogmatiques et avocats prudents, soucieux de mettre en relief les circonstances atténuantes et récusant l'accusation de révisionnisme. En même temps, lutte de plus en plus ouverte et directe, offensive de Radek et de ses fidèles contre Levi et son équipe de la centrale. Aucun des deux ne sera tranché dans l'immédiat. Le débat théorique en effet, est interrompu par l'intervention de Lénine, sous la forme d'une annexe rédigée en mai à La Maladie infantile du communisme. Tout en condamnant vigoureusement les formulations qu'il juge erronées sur « la démocratie bourgeoise qui ne serait pas la dictature de la bourgeoisie », ou l'emploi de l'expression « gouvernement socialiste » au lieu de « gouvernement de social-traîtres », s'élevant rapidement au-dessus des règlements de compte et des discussions de théologiens, Lénine affirme que la déclaration d'opposition loyale procédait d'une « tactique juste quant au fond », « parfaitement juste dans ses prémisses fondamentales et sa conclusion pratique »[565]. Quelques semaines plus tard, après avoir lu la critique de la centrale rédigée par Béla Kun dans Kommunismus, Lénine écrit à ce propos que Kun « oublie ce qui est la substance même, l'âme vivante du marxisme : l'analyse concrète d'une situation concrète ». Il ajoute :

« Si la majorité des ouvriers des villes ont abandonné les tenants de Scheidemann pour les kautskistes et si, au sein du parti kautskiste (« indépendant » par rapport à la tactique révolutionnaire juste), ils continuent à passer de l'aile droite à l'aile gauche, c'est-à-dire en fait au communisme, si la situation est telle, est-il permis d'éluder la prise en considération de mesures de transition et de compromis à l'égard de ces ouvriers ? Est-il permis de négliger, de passer sous silence l'expérience des bolcheviks qui, en avril et en mai 1917, on, mené quant au fond cette politique de compromis, quand ils déclaraient : renverser purement et simplement le gouvernement provisoire (de Lvov. Milioukov, Kerenski et autres) est impossible, car les ouvriers des soviets sont encore pour eux, il faut d'abord obtenir un changement dans l'opinion de la majorité ou d'une grande partie de ces ouvriers ? Il me semble que cela n'est pas permis »[566].

Le verdict de Lénine allait suffire pour clore formellement le débat entrouvert la déclaration d'opposition loyale tenue pour une position de compromis correcte mais mal formulée, il restait que le mouvement communiste international n'avait aucunement tranché le problème du gouvernement ouvrier que les circonstances venaient de lui poser.

Vers un parti communiste de masse[modifier le wikicode]

Tous les protagonistes de la discussion, divisés sur les rythmes, étaient pourtant d'accord sur l'essentiel, la nécessité de construire en Allemagne un parti communiste capable d'intervenir directement dans la lutte de classes, d'y prendre ses responsabilités en lançant ses propres mots d'ordre, en un mot d'y assumer un rôle dirigeant. Réfutant les arguments de Paul Frölich, Thalheimer relevait le fait que deux questions étaient désormais posées concrètement au parti communiste allemand : comment construire un parti communiste suffisamment fort et soudé — « la question de nos liens avec le parti indépendant » — et « comment lier l'action de ce parti suffisamment fort et révolutionnaire avec celle des masses prolétariennes qui sont à l'extérieur et celle des masses de la petite bourgeoisie »[567]. Double question qui allait se poser longtemps.

Il est en effet un point sur lequel tous les communistes se retrouvent au lendemain du putsch de Kapp : la vie politique s'est ranimée, la période du repli des communistes appartient au passé et il leur est de nouveau possible de lutter avec succès pour conquérir au sein de la classe ouvrière le rôle dirigeant auquel ils aspirent. C'est à ce problème. bien plus qu'aux débats ouverts par les événements de la période précédente, que Levi consacre ses interventions au 4° congrès, s'efforçant de donner une explication du mouvement qui s'est déroulé en profondeur au sein des masses ouvrières allemandes :

« Le prolétariat, au cours de ces dix-huit mois, s'est plus ou moins séparé dans son for intérieur de son ancienne direction et s'est plus ou moins clairement tourné vers le communisme. Mais (...) un tel mouvement à l'intérieur du prolétariat ne peut se produire sous la forme du réveil, un beau matin, d'un prolétariat découvrant qu'il n'est plus socialiste majoritaire, mais indépendant ou communiste. (...) Il faut que se produise un événement précis qui suscite dans le prolétariat la prise de conscience que son propre sentiment a changé »[568].

Or c'est à ce point précis que se situe l'irremplaçable intervention du parti — donc la nécessité pour lui d'être capable à la fois d'une analyse correcte et d'une discipline sans défaillance. Pour Levi, le fait capital, c'est l'existence, au sein du parti indépendant, d'une avant-garde ouvrière qui pousse en avant ses dirigeants de gauche. Cette avant-garde doit être gagnée au communisme :

« Il doit être absolument clair pour nous que c'est l'aile gauche du parti indépendant qui constitue la troupe qui mènera les combats révolutionnaires. (...) Nous devons nous persuader qu'il nous faut nous adresser aux masses du parti indépendant comme si elles étaient communistes. (...) Les masses du parti social-démocrate indépendant sont nôtres par l'esprit et par le sang. Il serait absurde de cogner sur elles, et, à travers elles, sur les masses prolétariennes »[569].

Ruth Fischer, pendant des années implacable adversaire de Levi, confirmera plus tard ce diagnostic en écrivant :

« Le putsch de Kapp développa de nouveaux élans dans le parti indépendant. Après deux années d'expérience avec von Lüttwitz, Seeckt, Watter, Ehrhardt, les ouvriers s'étaient convaincus que ces gens-là ne seraient pas désarmés par de belles formules. Ils avaient perdu tout espoir de voir le gouvernement social-démocrate agir contre le réarmement, public et caché, de la restauration. Le sentiment dominant chez eux, en ce printemps de 1920, était : « Nous avons besoin d'une organisation qui puisse lutter contre les corps francs supérieurement organisés et leurs alliés de l'armée »[570].

Cette organisation, l'Internationale communiste, ou plutôt le parti bolchevique, leur en proposaient le modèle. Il fallait pourtant, du côté des communistes, briser, au cours de l'effort pour cette conquête, bien des préjugés et des habitudes acquises au cours des années de lutte contre le centrisme, surmonter bien des réticences, oublier bien des formules toutes faites. Levi, au 4° congrès, semble en tout cas le seul dirigeant allemand à formuler clairement l'objectif, la conquête des ouvriers qui forment la base du parti, le moteur de l'aile gauche indépendante. Ernst Meyer ne nie pas que la gauche soit susceptible de progresser vers le communisme, mais affirme qu'elle n'y parviendra qu'à une condition, si les communistes sont capables de « cogner dur » sur elle[571]. Eulert — qui est de Hambourg, où Thaelmann est l'un des chefs de file d'une gauche très prolétarienne — et Brandler lui-même affirment que, pendant les événements de mars, ils n'ont pas aperçu de « gauche » dans le parti indépendant[572], et Friesland que cette prétendue gauche « manque de volonté révolutionnaire »[573]. La majorité des interventions révèle chez les vieux spartakistes une attitude de mépris un peu aristocratique, en même temps qu'un sectarisme, non exempt de naïveté, à l'égard des « masses » du parti indépendant. Il semble que la réciproque soit vraie : les ouvriers indépendants n'ont guère de considération pour les communistes allemands, leurs querelles, leurs valses-hésitations, leur organisation minuscule, le dogmatisme qui leur a fait prêcher la passivité face aux putschistes de Berlin.

XX. Moscou et les révolutionnaires allemands[modifier le wikicode]

Ainsi, à peine les dirigeants de la centrale allemande pensaient-ils avoir surmonté les conséquences des erreurs commises à partir de novembre 1918, particulièrement lors du congrès de fondation, que les premiers mois de 1920 et surtout la situation créée par le putsch de Kapp-Lüttwitz révèlent la plus sérieuse faiblesse du jeune parti communiste, son incapacité à s'adapter aux modifications brutales de la situation. D'un autre côté, les débats du 4° congrès, tenus dans la clandestinité, mettent en lumière le relatif isolement de Paul Levi au sein de la centrale, soulignent les obstacles dressés sur la route de l'unification des révolutionnaires allemands — indépendants de gauche, communistes, communistes ouvriers — par les résidus de querelles passées, la vivacité des antagonistes personnels. Moins de six mois après, cependant, le parti social démocrate indépendant crée les conditions de la fusion entre le K.P.D. (S) et l'U.S.P.D. en décidant d'adhérer à l'Internationale communiste.

Les bolcheviks, l'Internationale et l'Allemagne[modifier le wikicode]

L'existence et l'action de l'Internationale communiste elle-même ont constitué dans ce développement un facteur décisif : ce n'est pas, finalement, vers Spartakus que sont allés, avec leurs dirigeants de gauche, la masse des ouvriers indépendants, mais plus simplement « vers Moscou », comme disaient à l'époque partisans et adversaires.

Pour les bolcheviks, la création d'une puissante Internationale était une question de vie ou de mort. Rappelant, au cœur de l'année 1920, les combats révolutionnaires livrés en Europe depuis 1917 et leur issue décevante. Nicolas Boukharine écrivait :

« Tout cela démontre qu'il n'est pas possible que la révolution russe remporte définitivement la victoire sans la victoire de la révolution internationale. La victoire du socialisme est l'unique salut pour le monde dont la chair est mutilée et saignée à blanc. Mais, sans la révolution prolétarienne en Europe, il est impossible que le prolétariat socialiste de Russie remporte une victoire durable. (...) Les révolutions sont les locomotives de l'Histoire. Dans la Russie arriérée, le prolétariat seul peut monter sur cette locomotive et en être l'irremplaçable conducteur. Mais il ne peut rester toujours dans les limites fixées par la bourgeoisie : il cherche à arriver au pouvoir et au socialisme. Le problème qui est posé en Russie ne sera pas résolu entre les murs de la nation. La classe ouvrière se heurte là à une muraille qui ne saurait être forcée que par l'assaut de la révolution ouvrière internationale »[574].

C'est à la lumière de cette analyse qu'il faut comprendre les efforts des Russes pour construire l'Internationale communiste. Boukharine conclut :

« Ce n'est qu'autant que le prolétariat en a conscience et se groupe autour de l'organisation de classe du socialisme international qu'il est, non seulement en intention, mais en fait, une force révolutionnaire capable de transformer le monde »[575].

A première vue les conditions n'étaient guère favorables à la construction en commun d'une Internationale par les bolcheviks et les spartakistes. Lénine et Rosa Luxemburg s'étaient nettement opposés sur des questions capitales, le rôle et la nature du parti, puis la nécessité même de la scission. En fait, seule la révolution russe avait rapproché les deux tendances. En 1917 — et si l'on excepte Radek, qui n'était pas vraiment allemand —, Lénine n'avait gagné au bolchevisme aucun militant allemand, quelle qu'ait pu être son influence sur Levi ou sur certains éléments de Brême. C'était la force d'attraction de la révolution russe, le prestige gagné par les bolcheviks dans leur lutte, la haine commune de l'ennemi de classe, en un mot la situation objective plus que les convergences des analyses, qui avaient rapproché dirigeants bolcheviques et spartakistes.

Sans doute doit-on admettre également que les circonstances qui avaient réduit la délégation bolchevique allemande au congrès de fondation à deux militants étrangers au mouvement allemand lui-même et à une personnalité aussi contestée chez les spartakistes que Radek, ont pu peser aussi sur les premiers rapports directs entre eux. Ce n'est en outre pas un hasard si les militant, de Brême soulignent à cette époque les divergences entre communisme et spartakisme — que Wolffheim et Laufenberg tenteront de systématiser — ni si un homme comme Knief — sans doute le militant allemand le plus proche des bolcheviks — se tient volontairement à l'écart de la fondation du K.P.D. (S). De même, l'existence, au sein de Spartakus, d'une minorité hostile à l'adoption du mot « communiste » dans le titre du nouveau parti, le mandat donné par la centrale à ses délégués à Moscou de s'opposer fermement à la fondation de la III° Internationale, révélaient des réticences, mais contribuaient également à un certain malaise, annonçant des rapports difficiles, au moins empreints de méfiance réciproque. La mort tragique de Liebknecht et Rosa Luxemburg, l'auréole de martyrs qui était désormais la leur rendaient difficile de la part des bolcheviks une critique politique de leur action. Enfin et surtout, la lecture des rares lignes consacrées dans la presse du parti russe ou de l'Internationale, ou dans les écrits de Lénine en 1918-19, au mouvement ouvrier allemand, révèle l'absence d'informations précises et de liaisons politiques régulières, un contexte de toute façon peu favorable à la clarification politique qui aurait été la condition nécessaire pour homogénéiser les analyses, les perspectives et les mots d'ordre.

Il n'y a aucun militant allemand dans le premier exécutif de l'Internationale. Edouard Fuchs à la veille du 1° congrès, Eberlein pour le congrès lui-même, Ernst Meyer au cours des mois qui suivent, ne font à Petrograd ou à Moscou que de brefs séjours. Formellement membre de l'Internationale, le K.P.D. (S) en est indépendant dans la pratique, puisque les militants liés aux bolcheviks ou membres de leur parti avec qui ils sont en contact en Allemagne — Radek, Bronski, Zaks-Gladniev — sont eux-mêmes coupés de toute liaison avec les Russes. La première liaison sérieuse et régulière n'est établie qu'à partir de l'automne 1919 : à cette date arrive à Berlin un délégué de l'exécutif que l'histoire connaît sous le nom de « camarade Thomas », faute d'avoir pu percer le secret de son identité réelle[576]. L'homme qui se fait appeler ainsi avait travaillé en 1917-18 à la mission russe de Berne, d'où il s'était fait expulser en novembre 1918. Revenu en Russie, affecté à la « section de propagande » qui dépendait de l'exécutif des soviets, il avait pris part à la préparation du congrès de fondation, qui l'avait porté à son bureau. Rédacteur à Petrograd de l' Internationale communiste, il y avait publié un article sur l'Allemagne sous le pseudonyme de James Gordon. Au début de l'été 1919, il est désigné pour se rendre à Berlin afin d'y mettre sur pied un secrétariat d'Europe occidentale de l'Internationale communiste, ce qu'il expliquera plus tard sous des formules laconiques :

« L'activité de l'I.C. devait être organisée en Occident et tout d'abord en Allemagne. Et, sans le concours de vieux militants rompus au travail clandestin, on ne l'organiserait pas. Il fallait les envoyer de Moscou »[577].

Muni d'un important « trésor de guerre »[578], l'émissaire de l'Internationale atteint donc Berlin à la fin de l'automne, au terme d'un voyage mouvementé. Il y prend tout de suite contact avec Radek[579] et avec la centrale du K.P.D. (S). Rapidement, il parvient à mettre sur pied à Hambourg, puis à Leipzig, des maisons d'édition, dont l'une publie en allemand Die Kommunistische Internationale. C'est à son initiative que se tient à Francfort-sur-le-Main une conférence des partis et groupes communistes occidentaux qui approuve des « thèses », très semblables à celles du congrès de Heidelberg, préparées par Thalheimer. En collaboration avec Radek, il avait déjà mis sur pied un « bureau d'Europe occidentale » composé de militants allemands ou liés au K.P.D.(S). Radek lui-même, Thalheimer, Bronski, Münzenberg et Edouard Fuchs[580].

Il est difficile de considérer ce bureau comme une émanation de l'exécutif de l'I.C. : de même que Bronski, envoyé du parti bolchevique, s'était identifié en Allemagne aux éléments les plus antigauchistes du parti, de même le secrétariat d'Europe occidentale prend nettement position contre les éléments gauchistes et semble même, dans les thèses qu'il élabore à la fin de 1919, se situer très en retrait des positions de l'exécutif et même du congrès de fondation, puisqu'il appelle à la « fondation » de l'Internationale de la révolution mondiale[581]. La venue de Thomas à Berlin sert surtout à établir des liaisons clandestines sérieuses entre Berlin et Moscou qui permettront bientôt à l'exécutif d'être informé en quelques semaines de ce qui se passe en Allemagne, et d'organiser les passages clandestins.

Sans doute l'influence russe ne se fait-elle sentir que par les contacts directs, en Allemagne même, avec certains militants : contacts de Radek avec ses amis de Brême, qu'il arrive en définitive à arracher à l'opposition et à ramener au K.P.D. (S)[582], contact., de Thomas à Berlin avec certains militants qui jouissent de la confiance des Russes, notamment Ernst Reuter-Friesland[583], dont les rapports avec les dirigeants berlinois de l'opposition — Schröder, en particulier — favorisent les plans de l'exécutif d'un rapprochement entre l'opposition et la centrale, même au lendemain du congrès de Heidelberg. La discussion publique qui se déroule à distance entre Lénine et Thalheimer n'est qu'un des aspects des relations de l'époque entre spartakistes et bolcheviks. Elles demeurent toutefois épisodiques, matériellement difficiles : au lendemain du putsch de Kapp, un manifeste de l'Internationale, rédigé en termes très généraux, salue en même temps la victoire de la grève générale sur les putschistes et la naissance de l'armée rouge allemande[584] : publié le 25 mars à Moscou, il est révélateur de l'ignorance de l'exécutif quant à la situation exacte qui prévaut en Allemagne à cette date.

Le putsch de Kapp, les erreurs commises en la circonstance par la centrale du K.P.D. (S), vont marquer un tournant dans l'état d'esprit des membres de l'exécutif : intervenir dans les affaires du parti allemand devient, pour eux, une obligation politique impérieuse. La première véritable intervention a lieu, on l'a vu, à propos de la déclaration d'opposition loyale de la centrale à l'égard d'un éventuel gouvernement ouvrier, au cœur de la question la plus controversée dans le parti allemand même. Elle met au jour d'importants désaccords, qui passent à l'intérieur même de l'exécutif et de son « petit bureau ». Condamnée par Radek comme par Boukharine, par Béla Kun aussi bien que Clara Zetkin, la déclaration d'opposition loyale est finalement soutenue par Lénine.

Cette première discussion, vite interrompue par la prise de position de Lénine et le renvoi, sur sa proposition de l'ensemble du débat au prochain congrès de l'Internationale, présente des caractéristiques qui apparaîtront dans toutes les grandes discussions au sein du mouvement communiste international : le recours, comme références, à des citations de Marx, voire de Lénine, à des exemples tirés de la politique des bolcheviks à tel ou tel moment de l'histoire russe, et la comparaison permanente avec les événements de l'année 1917 constituent les armes favorites des protagonistes. Lénine lui-même donne l'exemple : l'expérience russe est à ses yeux un atout majeur dans la discussion engagée en 1920 sur le gauchisme et, par là même, sur la méthode de construction des partis et de l'Internationale.

Conflit international avec les gauchistes[modifier le wikicode]

La discussion de fond ne peut être qu'internationale. C'est certes en Allemagne que s'est manifesté avec le plus de vigueur le courant gauchiste, et que s'est produite la première scission à gauche d'un P.C., celle qui aboutit en avril 1920 à la naissance du K.A.P.D. Mais la tendance gauchiste est loin d'être proprement allemande et l'ensemble du mouvement communiste occidental est pénétré de son influence. C'est au sein du parti communiste néerlandais que se trouvent les principaux théoriciens du courant, les anciens animateurs du groupe « tribuniste », Henriette Roland-Holst, Hermann Gorter et Anton Pannekoek, dont la contribution au débat international sera capitale.

Une gauchiste britannique, Sylvia Pankhurst, provoque le premier échange sur ce terrain. En juillet 1919, elle écrit à Lénine, au nom de la British Socialist Workers' Federation, afin de lui demander son soutien pour son organisation qui condamne toute action des révolutionnaires sur le plan parlementaire. Le malentendu — banal dans les conditions de l'époque — est évident. La réponse de Lénine est très politique, empreinte en même temps du souci d'éviter d'inutiles querelles : il suggère, à titre provisoire, la constitution de deux partis communistes anglais regroupant les révolutionnaires selon le critère de leur attitude à l'égard des élections et de la participation des communistes aux parlements bourgeois[585]. En même temps, une circulaire de l'exécutif ouvre la discussion dans l'Internationale[586]. Soucieux de ne pas engager un dialogue de sourds, ni un faux débat sur les principes, l'exécutif commence par rappeler le cadre dans lequel doit être menée, selon lui, la discussion : la révolution russe d'octobre 1917 a tracé à l'intérieur du mouvement ouvrier une nouvelle ligne de clivage. Le « programme universel et unificateur » des communistes implique en effet la « reconnaissance de la lutte pour la dictature du prolétariat sous la forme du pouvoir soviétique ». Dans ces conditions, la discussion sur l'utilisation du parlement bourgeois par les communistes n'est obscure que par suite d'une confusion entre le parlementarisme, expression d'un choix politique en faveur du système parlementaire, et la participation de révolutionnaires à des assemblées élues qu'ils utilisent comme des tribunes. Participer aux élections ne peut être considéré comme une règle absolue. Mais il ne saurait être question de s'y opposer par principe. La circulaire affirme : « Il n'y a pas matière à scission sur cette question secondaire »[587].

Or c'est vers cette époque que Rutgers, communiste hollandais, parvient à Amsterdam avec la mission, reçue à Moscou, de fonder un secrétariat d'Europe occidentale de l'Internationale communiste qui serait également chargé de la liaison avec l'Amérique[588]. La mission de Rutgers recouvre celle qui a été confiée à Thomas, ce qui n'a rien d'extraordinaire si l'on considère la difficulté des communications et la nécessité d'assurer au mieux l'existence d'une antenne en Europe occidentale[589]. Le résultat va être pourtant un sérieux conflit entre le bureau d'Amsterdam, animé par les communistes hollandais, aux fortes tendances gauchistes, et le secrétariat de Berlin, inspiré par le KP.D. (S). Le 3 février 1920, en effet, se réunit à Amsterdam une conférence internationale convoquée par Rutgers, avec la participation de délégués mandatés du parti hollandais, des différents groupes britanniques, de l'Américain Louis Fraina, du Russe Borodine, retour du Mexique, de représentants non mandatés d'Indonésie, de Chine, de Hongrie, une vingtaine au total[590]. Il n'y a aucun délégué du K.P.D. (S) ni du secrétariat de Berlin : selon Clara Zetkin, ils n'ont été prévenus de la tenue de la conférence que l'avant-veille de son ouverture, le 31 janvier[591]. La conférence se déroule pendant quatre jours, puis doit s'interrompre : la police disposant d'un agent qui a enregistré les débats, les délégués étrangers sont arrêtés et expulsés[592].

Elle ne reprendra pas. Clara Zetkin, qui arrive alors avec Paul Frölich, Münzenberg et une déléguée suisse, est accueillie par la police hollandaise, décidément bien informée ; elle proteste avec indignation auprès de Rutgers et des autres contre la tenue de ce qu'elle appelle une « conférence-croupion » aussi mal préparée[593]. Le K.P.D. (S) a d'autres sérieux motifs de mécontentement : la conférence a adopté sur la question syndicale des thèses très proches de celles de l'opposition allemande, et en outre a élu un bureau de trois membres, tous Hollandais, Wijnkoop, représentant du P.C. hollandais, Henriette Roland-Holst, gauchiste notoire, et Rutgers lui-même, qui vient dans son parti de s'aligner sur les gauchistes[594]. Les Allemands pensent donc qu'on a tenté de les écarter et de court-circuiter le secrétariat de Berlin ; ils soulignent que les délégués n'ont pas reçu communication des thèses adoptées par le K.P.D. (S) au congrès de Heidelberg[595]. De toute façon, les résultats de la conférence sont minces et se résument à la décision de confier au P.C. américain l'organisation d'un sous-bureau pour le continent, ainsi qu'à l'engagement de tous d'organiser dans les trois mois une nouvelle conférence[596]. Il faut bien admettre que l'activité du bureau d'Amsterdam ne contribue guère à la clarification. Le 3° congrès du K.P.D. (S) tenu à Karlsruhe en février proteste contre ses activités et ses initiatives[597]. Bientôt, le bureau d'Amsterdam va se prononcer publiquement contre la politique du K.P.D. (S) pendant la période du putsch de Kapp et se ranger du côté du K.A.P.D.[598]. Au mois d'avril, une résolution de l'exécutif met fin à sa mission :

« Nous sommes convaincus que les divergences avec les camarades hollandais seront rapidement résolues. Contrairement à la II° Internationale, nous ne dissimulons pas nos divergences, et nous ne nous permettons pas de formulations ambiguës. Sur nombre de questions (syndicats, parlement), le bureau hollandais à adopté une attitude différente de celle du bureau exécutif. Il n'a pas informé le comité exécutif de ses divergences avant de réunir la conférence internationale d'Amsterdam. En conséquence, le comité exécutif déclare que le mandat du bureau d'Amsterdam a perdu sa validité et le révoque. Les fonctions du bureau hollandais sont transférées au secrétariat d'Europe occidentale »[599].

Mais à peu près à la même époque se manifestent dans le mouvement communisme mondial d'autres signes du courant gauchiste incarné par le bureau d'Amsterdam. L'un de ses principaux centres va être groupé autour de la revue Kommunismus, qui paraît à Vienne en qualité d'organe de l'Internationale pour l'Europe du Sud-Est, depuis le début de 1920. Le parti communiste autrichien, comme le parti communiste hollandais, représente dans la classe ouvrière de son pays un courant très isolé, aux tendances sectaires prononcées, comme l'a démontré son comportement pendant l'année 1919, notamment lors de la « Bettelheimerei »[600]. De plus, il est fortement influencé par le petit groupe des émigrés hongrois fixés en Autriche après la défaite de la révolution de 1919, notamment par l'ancien commissaire du peuple à l'éducation, Gyorgy Lukacs, qu'une violente opposition fractionnelle dresse contre Béla Kun[601]. Au moment où le courant gauchiste s'exprime en Europe occidentale, tant à travers les écrits de Gorter et Pannekoek qu'à travers les positions défendues par le K.A.P.D. et les groupes gauchistes britanniques, les deux hommes interviennent en sa faveur. Abordant la question du parlementarisme[602], Lukacs conteste le point de vue — celui de Lénine — selon lequel cette question relève non des principes, mais de la tactique. Pour lui, le problème est de savoir quel est exactement le rapport de forces. Dans une situation où la classe ouvrière est sur la défensive, elle doit, selon lui, utiliser les moyens parlementaires afin de se renforcer. En revanche, quand la classe ouvrière est en pleine offensive, il est de son devoir de créer ses propres organismes de classe, les soviets, et, dans ces conditions, la participation à des élections revêt l'aspect d'une renonciation à une perspective révolutionnaire concrète et ouvre la voie à l'opportunisme[603]. L'article est une condamnation implicite de la participation aux élections dans la situation européenne, et une prise de position contre l'exécutif[604].

Béla Kun, de son côté, manifeste avec éclat des tendances semblables en se prononçant sur la question[605]. Il prend position contre ce qu'il qualifie de « boycottage syndicaliste » ou « passif », en faveur boycottage du « boycottage actif », qu'il définit comme « une agitation révolutionnaire aussi large que si (le parti) participait aux élections et que si son agitation et son action avaient pour but de gagner le plus grand nombre possible de voix prolétarienne »[606].

Au même moment, l'Italien Bordiga commence aussi à développer à l'intérieur de son journal Il Soviet les thèmes antisyndicalistes et anti-parlementaristes qui seront les fondements de la gauche italienne[607]. La première organisation communiste belge, groupée autour de van Overstraeten à Bruxelles, développe à son tour les mêmes positions[608].

Lénine contre le gauchisme[modifier le wikicode]

Lénine a commencé à rédiger sa brochure sur le gauchisme, La Maladie infantile du communisme : le gauchisme, comme débutait le conflit entre l'exécutif et le bureau d'Amsterdam. Avec ce texte, le débat quitte le terrain de la seule Allemagne pour revêtir la forme d'une bataille internationale publique d'idées. L'intention de Lénine est de permettre aux partis communistes en train de naître de bénéficier de l'expérience bolchevique. Le bolchevisme est, pour lui, un condensé de l'expérience révolutionnaire globale, tant de l'art de l'attaque que de celui de la défense. Sans vouloir pour autant en faire un modèle, Lénine affirme :

« L'expérience a montré qu'en ce qui concerne certaines questions essentielles de la révolution prolétarienne, tous les pays passeront par où a passé la révolution russe »[609].

Or le mouvement communiste international qui est en train de grandir dans l'élan de la révolution russe ne connaît du bolchevisme que l'histoire de sa lutte contre l'opportunisme. Il ignore encore celle qu'il a dû mener contre ce que Lénine appelle « l'esprit révolutionnaire petit-bourgeois »[610].

Les gauchistes en effet nient la nécessité d'un parti révolutionnaire, opposent en permanence « les masses » à leurs « chefs » ou « dirigeants ». C'est là, pour Lénine, une distinction qui crée pour le mouvement révolutionnaire un réel danger. Car il existe effectivement, à l'intérieur de la classe, « une aristocratie ouvrière opportuniste, petite-bourgeoise », dont « les chefs n'ont jamais cessé de passer du côté de la bourgeoisie » : ces « chefs »-là sont effectivement « entièrement détachés des « masses », c'est-à-dire des larges couches de travailleurs, de la majorité des ouvriers les plus mal payés ». C'est le devoir des révolutionnaires que d'œuvrer pour détacher « les masses » de ces « chefs »-là[611]. Mais ils ne peuvent y parvenir que s'ils voient la situation telle qu'elle est :

« Nous devons entreprendre l'édification du socialisme, non pas en partant de l'imaginaire, non pas avec du matériel humain que nous aurions spécialement formé à cet effet, mais avec l'héritage du capitalisme »[612].

Les gauchistes, s'appuyant sur la constatation — évidente — que les dirigeants des syndicats ont partie liée avec la bourgeoisie contre la révolution, appellent les révolutionnaires à quitter les syndicats et à lutter pour leur destruction. Or c'est essentiellement au sein des syndicats réformistes et par leur intermédiaire que les « chefs » réactionnaires conservent leur emprise sur les « masses ». Le devoir des communistes est donc, au contraire, de militer à l'intérieur des syndicats afin de disputer aux « chefs » réformistes la direction des « masses » :

« Renoncer à l'action au sein des syndicats rétrogrades, c'est abandonner les masses ouvrières à l'influence des leaders réactionnaires de l'aristocratie ouvrière, des ouvriers embourgeoisés »[613].

Lénine juge qu'il est inadmissible de ne pas livrer la bataille sur le terrain où précisément elle doit et peut être gagnée, quand « des millions d'ouvriers passent pour la première fois de l'état d'inorganisation aux formes élémentaires, aux formes les plus simples et les plus accessibles d'organisation, c'est-à-dire à l'organisation syndicale ». La tâche des communistes est « de convaincre les autres travailleurs, de savoir travailler parmi eux, et de ne pas se séparer d'eux »[614]. Les gauchistes accusent volontiers les prolétaires d'être contre-révolutionnaires : c'est qu'ils prennent « leur désir pour une réalité objective »[615].

« On ne saurait fonder une tactique révolutionnaire sur le seul sentiment révolutionnaire »[616].

Tant que les communistes n'ont pas la force de dissoudre le Parlement, c'est-à-dire tant qu'ils n'ont pas réussi à convaincre la majorité des travailleurs que le Parlement est une duperie, ils ont le devoir d'y être présents, précisément pour le démasquer, de l'utiliser afin d'éclairer, par ce moyen comme par les autres, les travailleurs dupés. Lénine pense que si le parti communiste allemand ne s'est pas développé au lendemain de la révolution de novembre, c'est, entre autres raisons, parce qu'il a commis en janvier 1919 l'erreur de boycotter les élections à l'Assemblée nationale et de laisser ses militants abandonner les syndicats réformistes :

« Le capitalisme ne serait pas le capitalisme si le prolétariat pur n'était pas entouré de la masse bigarrée des types qui font la transition du prolétariat au sous-prolétariat. (…) D'où l'absolue nécessité pour l'avant-garde du prolétariat, pour sa partie consciente, le parti communiste, de recourir à des accords, à des compromis. (...) Le tout est de savoir employer cette tactique à élever et non à abaisser, dans les rangs du prolétariat, le niveau général de conscience, d'esprit révolutionnaire, de capacité de lutte et de victoire »[617].

En définitive, il pense que le gauchisme est une « maladie infantile » du communisme et que ses progrès en Europe occidentale ne relèvent pas du hasard :

« Dans beaucoup de pays d'Europe occidentale, le sentiment révolutionnaire est aujourd'hui, on peut le dire, une « nouveauté » ou une « rareté » attendue trop longtemps, en vain, avec trop d'impatience. Et peut-être est-ce pour cela que l'on cède avec tant de facilité au sentiment »[618].

Le problème est d'autant plus important que la tâche des révolutionnaires en Europe occidentale est plus ardue :

« Etant donné la situation historique concrète, extrêmement originale de 1917, il a été facile à la Russie de commencer la révolution socialiste, tandis qu'il lui sera plus difficile qu'aux autres pays d'Europe de la continuer et de la mener à son terme »[619].

Les communistes d'Europe occidentale doivent absolument comprendre que, comme l'écrivait déjà Tchernychevski, « l'action politique n'est pas un trottoir de la perspective Nevski » :

« Il faut à tout prix faire en sorte que les communistes de gauche et les révolutionnaires d'Europe occidentale et d'Amérique dévoués à la classe ouvrière ne paient pas aussi cher que les Russes retardataires l'assimilation de cette vérité »[620].

La fréquence des références aux thèses de l'opposition allemande, au parti social-démocrate indépendant dont les militants ouvriers sont en marche vers le communisme, montre quelle est la préoccupation de Lénine : empêcher le gauchisme du mouvement communiste allemand de constituer un obstacle à la fusion, dans un parti révolutionnaire, de tous les éléments ouvriers, dont une minorité se trouve au sein des deux partis communistes et la grande majorité au parti social-démocrate indépendant.

La réponse d'Hermann Gorter[modifier le wikicode]

C'est Gorter qui répond à Lénine au nom des gauchistes[621]. Il déplore la publication de sa brochure, dont il estime qu'elle va renforcer en Occident la position des chefs opportunistes de partis socialistes qui ont déjà adhéré ou s'apprêtent à adhérer à la III° Internationale. Pour lui, Lénine se trompe, parce qu'il transpose mécaniquement en Occident l'expérience russe, alors que l'Europe de l'Ouest et de l'Est constituent deux mondes profondément différents. Le prolétariat occidental ne peut en effet, à la différence du prolétariat russe en 1917, compter sur l'appui d'une masse de paysans pauvres, qui n'existe pas. Il est complètement isolé au sein de la société : pour cette raison, les efforts exigés des masses pour le succès de la révolution sont plus grands et le rôle des chefs bien moindre. La puissance du prolétariat occidental dans la lutte révolutionnaire ne peut reposer que sur sa qualité. Le rôle des communistes est donc d'abord d' « élever les masses comme unité et somme d'individus à un degré supérieur de développement, d'éduquer les prolétaires, un par un, pour en faire des lutteurs révolutionnaires en leur faisant voir clairement que tout dépend d'eux »[622].

Gorter est persuadé que Lénine ignore tout de la situation réelle du prolétariat d'Europe occidentale, et qu'il se berce d'illusions quand il écrit que « l'avant-garde est gagnée » ou encore que « le temps de la propagande est révolu »[623]. Depuis des décennies, en effet, les ouvriers occidentaux sont sous l'étroite dépendance idéologique de la culture bourgeoise, et particulièrement des idées bourgeoises sur la démocratie parlementaire. La bourgeoisie, selon la formule d'Anton Pannekoek, « a forgé sur ce modèle le cerveau populaire » et l'ouvrier, embrigadé dans les syndicats, ligoté par l'illusion que les batailles décisives se gagnent avec des bulletins de vote, a perdu sa capacité d'agir. Pour la lui rendre, il faut détruire radicalement ses illusions, ce qui signifie évidemment éviter de l'y ancrer en participant aux élections, et lui donner ensuite les moyens d'agir de sa propre initiative. Les communistes doivent non seulement se garder de renforcer les syndicats réformistes en y militant, mais au contraire les détruire en tant qu'obstacles à l'action et écrans devant la conscience ouvrière. A leur place, ils doivent préconiser une organisation du type « conseils », « révolutionnaire parce qu'elle permet aux ouvriers de décider de tout : l' « union ouvrière », formée, contrairement aux syndicats, non sur la base de l'industrie ou du métier, mais sur la base de l'entreprise. Lénine se trompe lourdement quand il appelle les communistes des pays occidentaux à construire des « partis de masse » : de tels partis renouvelleraient inéluctablement les erreurs opportunistes de la social-démocratie. Il faut, selon Gorter, consacrer tous les efforts à la création et à l'éducation de « noyaux purs et solides de communistes »[624].

Les mois qui suivent le putsch de Kapp et pendant lesquels se déroule la polémique publique entre Lénine et les gauchistes voient également se dérouler des pourparlers en coulisse entre représentants de l'Internationale et délégués du K.A.P.D. à Moscou, ainsi que bien des luttes internes au sein de l'appareil communiste international. A Berlin, un conflit éclate entre le bureau d'Europe occidentale et le secrétariat de l'Internationale des jeunes, que le bureau accuse de manifester des tendances gauchistes et même semi-anarchistes. Münzenberg, de son côté, accuse les gens du bureau d'Europe occidentale de menées fractionnelles, et affirme qu'ils se refusent à transmettre à l'exécutif les documents et lettres émanant de la direction de l'Internationale des jeunes. Au mois de juin, malgré les efforts de conciliation déployés par le représentant du parti russe au bureau, Abramovitch-Zaleski, dit Albrecht, il obtient le soutien unanime du bureau pour une sévère condamnation des pratiques de Thomas et de ses services[625]. Ainsi s'esquisse un conflit qui va aboutir, un an plus tard, à la mise à l'écart de Münzenberg et à la mise en tutelle de l'Internationale des jeunes par l'exécutif[626]. L'appareil de l'Internationale maintient d'autre part, par-dessus la tête du K.P.D. (S), et peut-être même du bureau d'Europe occidentale, des contacts avec les gauchistes allemands à Berlin même, par l'intermédiaire de Félix Wolf, membre du bureau, mais aussi du parti russe, et de Borodine, que Babette Gross qualifie d' « agent de liaison avec le K.A.P.D. »[627].

Par ailleurs, les discussions commencent dès la fin mai, à Moscou, entre l'exécutif de l'Internationale et des représentants du K.A.P.D. Dès le lendemain de la fondation du K.A.P.D., deux membres de sa direction, Appel et Jung, sont partis illégalement pour la Russie soviétique afin d'y établir un contact avec les représentants de l'Internationale. Parvenus au terme de leur voyage après un long mois et bien des détours, ils reçoivent un accueil fraternel mais se heurtent à une détermination dénuée de toute ambiguïté. Leurs interlocuteurs, parmi lesquels Lénine et Zinoviev, maintiennent leur refus de la stratégie et de la tactique prônées en Allemagne par le K.A.P.D., et Lénine leur communique même le manuscrit, encore inédit, de La Maladie infantile[628]. A la suite de ces entretiens, l'exécutif décide l'envoi en Allemagne d'une « Lettre ouverte du comité exécutif de l'Internationale communiste aux membres du K.A.P.D. » datée du 2 juin 1920. Les dirigeants de l'Internationale y condamnent la politique du K.A.P.D., qualifient sa tactique d' « abandon du communisme » et affirment :

« Sur tous les problèmes importants de principe et de tactique qui aujourd'hui en Allemagne sont posés de façon pressante à l'ordre du jour, ce n'est pas le K.A.P., mais le K.P.D. qui a raison »[629].

En attendant que la question soit définitivement réglée, comme il convient qu'elle le soit, par le 2° congrès de l'Internationale communiste, l'exécutif propose la formation à titre provisoire en Allemagne d'un bureau d'organisation paritaire de représentants des deux partis communistes que présiderait un délégué de l'exécutif, ce qui constituerait la phase préparatoire de la réunification, qui demeure l'objectif de l'exécutif[630]. La « Lettre ouverte », cependant, mettra de longues semaines à atteindre l'Allemagne: dans l'intervalle, sans nouvelles d'Appel et Jung, le K.A.P.D. a envoyé à Moscou deux autres représentants au 2° congrès de l'Internationale et cette initiative comme le choix des délégués va poser le problème en termes nouveaux.

Débats autour des révolutions de 1919[modifier le wikicode]

C'est également dans la période qui s'étend entre le putsch de Kapp et le 2° congrès de l'Internationale communiste que se développe un débat sur les révolutions bavaroise et hongroise de 1919, commencé depuis la fin de l'année 1919, qui oppose Radek et son disciple Paul Frolich à Paul Levi. Radek a ouvert le feu, peu après sa libération, et transporte dans le domaine public le contenu des discussions qu'il a eues avec Levi sur ces questions au cours de l'automne 1919[631]. Comme Lénine, il pense que la cause principale de l'échec de Béla Kun et des communistes hongrois a été leur incapacité, voire leur refus, de créer un parti communiste véritable, nettement coupé des hommes, comme des traditions et pratiques de la social-démocratie, ainsi que de leur esprit de conciliation à l'égard, non seulement des social-démocrates de type « majoritaire », mais encore et surtout des « centristes » de type « indépendant ». Esquissant une comparaison avec l'Allemagne, il s'efforce de démontrer le caractère centriste de la politique des dirigeants de la gauche indépendante, les Richard Müller et Däumig, caractérisée par des oscillations entre une tendance qu'il qualifie de « putschiste-blanquiste » au lendemain de janvier ou de mars, et des conceptions « proudhoniennes », opportunistes, dans l'intervalle. Ce sont ces oscillations, caractéristiques à ses yeux du « centrisme », qui en font, en période révolutionnaire, le danger principal pour une direction révolutionnaire. Car les défaites de Hongrie et de Bavière ne s'expliquent pas autrement, selon lui, que par la collaboration des communistes avec ces centristes, indépendants bavarois, social-démocrates de gauche hongrois, qui ont réussi à ôter toute détermination et toute lucidité aux dirigeants de la révolution et à priver les masses d'une direction.

Tel est également le point de vue de Paul Frölich, qui, sous le pseudonyme de Paul Werner, consacre une brochure à l'étude de la révolution bavaroise, dont il explique la défaite finale par la « trahison » des indépendants[632]. Bientôt Radek revient à la question hongroise dans la préface qu'il rédige en janvier 1920 pour l'ouvrage du communiste hongrois Béla Szanto[633]. Il y conduit une vive polémique contre les opinions communément admises dans les rangs communistes allemands selon lesquels la république hongroise des conseils aurait été une construction de l'esprit, le résultat d'un accord de sommet entre communistes et social-démocrates, indépendamment de l'action de classe du prolétariat lui-même. Visant ouvertement Paul Levi et ses camarades de la centrale allemande, il dénonce l'abus qu'ils font, à son avis, de la phrase du programme de Spartakus selon laquelle le parti communiste allemand n'était pas disposé à prendre le pouvoir seulement parce qu'Ebert-Scheidemann avaient fait leur temps et se trouvaient dans l'impasse. Ce jugement, à ses yeux circonstanciel et correct dans la situation berlinoise de janvier, ne pouvait être élevé à la hauteur d'un principe général d'action révolutionnaire. Il écrit :

« La conception d'un simple effondrement de la coalition bourgeoise social-démocrate dans lequel le processus de l'effondrement de l'Etat bourgeois n'irait pas de pair avec celui du rassemblement des forces prolétariennes est complètement antihistorique »[634].

Il estime que les communistes allemands en Bavière, de même que les communistes en Hongrie, ne pouvaient se dérober devant leur devoir de lutte révolutionnaire pour le pouvoir quand bien même la situation internationale vouait les révolutions de Munich et Budapest à un écrasement rapide :

« Nous devons être là où la classe ouvrière lutte, là où elle va au combat, que nous devions vaincre ou subir la défaite»[635].

Radek ironise aux dépens de ceux qu'il appelle les « raisonneurs politiques », qui ne sont prêts au combat que si « l'Histoire leur assure la victoire par contrat[636] ». Pour lui, les communistes hongrois ne pouvaient pas non plus se dérober devant les offres d'unité des social-démocrates, qui répondaient aux aspirations profondes des masses, à partir du moment où les social-démocrates se déclaraient partisans de la dictature du prolétariat. Ils auraient dû, tout en acceptant l'unité, lutter simultanément contre les illusions sur une victoire pacifique et sans violence ; il fallait accepter l'unité et en même temps dresser des potences ! Telle est en effet pour lui la leçon de la révolution russe et de la guerre civile ; on ne doit pas se contenter de thèses, mais agir en révolutionnaires. Et, dans ce cas, la défaite servira aux prolétaires du reste du monde d'exemple et de leçon d'énergie.

Directement visé, Levi relève le défi. Il pense, comme Rosa Luxemburg, que la conscience de classe du prolétariat constitue la condition nécessaire pour la prise du pouvoir et affirme :

« Ce qui est décisif, ce n'est pas l'élément négatif du côté de la bourgeoisie, mais l'élément positif du côté du prolétariat. (...) Le signal positif pour la prise du pouvoir du prolétariat se trouve dans le prolétariat seul et s'exprime dans le stade d'évolution révolutionnaire qu'il a atteint »[637].

Contrairement à ce que pense Radek, il n'y a pas corrélation entre le degré de confusion et de désorganisation atteint par la bourgeoisie et le degré de clarté et d'organisation atteint par le prolétariat. L'exemple allemand — la « grande illusion » de l'« unité » en novembre 1918 — le démontre clairement :

« A une totale impuissance et à une confusion momentanées de la bourgeoisie n'ont pas répondu clarté et décision dans le prolétariat, mais au contraire une impuissance et une confusion tout aussi grandes »[638].

Essayant de préciser la pensée de Rosa Luxemburg, Levi écrit :

« Normalement, entre la nuit bourgeoise et le jour prolétarien se glisse un crépuscule. (...) Dans une telle situation, quand la force de la bourgeoisie peut en certains cas avoir à ce point diminué qu'il serait déjà matériellement possible à une minorité infime de s'emparer du pouvoir, nous, communistes, nous sommes placés devant la première tâche positive que nous ayons à accomplir : l'organisation du prolétariat en tant que classe au sein des conseils. Et je crois que le résultat, le niveau atteint par ce processus d'organisation de la classe prolétarienne — qui, naturellement, ne peut être de façon précise conforme à un formulaire sur le « système des conseils », mais consistera en une succession de hauts et de bas, de manifestations, d'interventions, de luttes, etc. — indique le moment où les communistes doivent prendre le pouvoir. Je pense que c'est cela et rien d'autre que Rosa Luxemburg a voulu exprimer »[639].

L'erreur des communistes hongrois est donc bien, selon Levi, d'avoir voulu prendre, et d'avoir pris, le pouvoir alors que le prolétariat n'était pas prêt, alors que, comme en Allemagne en 1918, sa conscience de classe était encore obscurcie par les tragiques illusions sur « l'unité de tous les socialistes ». Sans nier la nécessité de la terreur de classe, Levi réfute avec énergie l'argument de Radek sur la nécessité d'« ériger des potences »[640]:

« Elever l'érection de potences à la hauteur d'une méthode pour unifier et souder le prolétariat au moment de la constitution du pouvoir des conseils, procéder à l'organisation et à la consolidation du prolétariat non pas sur la base de la « volonté claire et sans équivoque de la grande majorité du prolétariat », de son « accord conscient avec les idées, les buts et les méthodes de lutte » du communisme, mais sur la base d'exécutions capitales et de pendaisons, me paraît — je ne veux pas être trop dur — une méthode très malheureuse. (...) A ma connaissance, la république des conseils russes n'a pas placé la potence dans son emblème entre la faucille et le marteau ; je crois que cette omission n'est pas l'effet du hasard ni d'une simple pudeur, mais qu'elle provient de ce que la république russe des conseils est, elle aussi, construite sur d'autres bases que celles que recommande le camarade Radek pour la Hongrie. Le lien qui fait la cohésion du prolétariat en tant que classe n'est sans doute pas une guirlande de roses, mais ce n'est pas non plus la corde d'un gibet »[641].

Les fautes des communistes en Bavière sont d'une autre nature. Réorganisés et épurés par Léviné, les communistes bavarois ne se sont en effet pas laissés prendre au piège de l'unité socialiste. Très correctement, ils ont refusé de soutenir le « monstre » qu'était la première république des conseils de Bavière née de l'accord entre anarchistes, majoritaires et indépendants. Mais ils ont pris le pouvoir parce que les ouvriers de Munich le voulaient, et parce qu'ils ont pensé, comme Radek, que leur devoir était d'être avec les masses ouvrières, même quand elles se trompaient. Levi estime en effet que la responsabilité des communistes ne se réduit pas à la solidarité avec les masses à tel ou tel moment, mais qu'elle est de diriger l'action pour tout le prolétariat et pour toute la période révolutionnaire. Ce qui caractérise les communistes, c'est qu'ils ont un objectif révolutionnaire, universel et la responsabilité de conduire les masses ouvrières à la victoire :

« Lancer les mots d'ordre que les masses ont précisément toujours à la bouche sans tenir compte du vaste contexte de la révolution, ce n'est pas communiste, c'est « indépendant ». Si nous, communistes, devions nous placer toujours inconditionnellement sur les positions des masses, si nous devions lutter toujours pour leurs objectifs de lutte du moment, nous abdiquerions non seulement notre droit politique à nous déterminer nous-mêmes, mais nous nierons en outre notre rôle dirigeant dans la révolution. Nous n'en serions plus alors la tête, mais la queue »[642].

Retournant contre Radek l'exemple de la révolution russe, il démontre que c'est précisément cette attitude qui a été celle des bolcheviks en juillet 1917 : ils n'ont pas hésité, à Petrograd, à se situer contre le courant et à braver une impopularité provisoire pour défendre une perspective qu'ils estimaient juste. Citant Lénine, il rappelle qu'

« il ne suffit pas d'être un partisan du socialisme ou un communiste. Il faut encore, à chaque moment, savoir trouver dans la chaîne le maillon particulier qu'il faut tirer de toutes ses forces pour saisir toute la chaîne et préparer de façon durable le passage au maillon suivant. Et, de ce point de vue, ce n'est pas du tout reculer, mais au contraire s'accrocher durablement à la révolution que de lancer des mots d'ordre tactiques qui permettent d'éviter une défaite certaine ou prévisible »[643].

La conclusion de Levi porte sans aucun doute l'empreinte des décevantes années 1918-1919, car l'habitude des défaites ne lui en a pas donné le goût :

« Depuis les journées de lutte armée de Berlin en janvier et mars 1919, depuis la fin de Munich et celle de la Hongrie, ma foi dans les vertus miraculeuses de la défaite est ébranlée. Je ne crois pas que l'on ait raison de passer aussi légèrement que le fait Radek sur des défaites aussi lourdes que la défaite hongroise. (...) J'ai peur que, les choses étant ce qu'elles sont, la situation en Hongrie ne permette pas avant longtemps au prolétariat de ce pays de déployer cette « volonté renforcée et approfondie» (dont parle Radek). Je ressens la Hongrie, de même que Munich, comme à porter au passif, non à l'actif, de la révolution mondiale, et ne puis me persuader que c'est agir en direction communiste que de conduire des actions comme s'il était indifférent que leur résultat soit à porter à l'actif ou au passif. Et je suis encore moins disposé à dire qu'il faut provoquer une défaite si on ne peut provoquer une victoire — sous prétexte que la défaite aussi a du bon »[644].

En fait, la discussion autour des révolutions bavaroise et hongroise n'est pas, en Allemagne surtout, une discussion académique. Ce que Levi combat à travers les arguments de Radek c'est au moins autant le putschisme, qui a été, dans le parti: sa bête noire, que la forme militaire du bolchevisme de guerre civile qui s'exprime à travers les arguments en faveur de la terreur, et c'est, de toute façon, ce que les spartakistes ont tendance à considérer comme une manifestation de « blanquisme », la tentation pour le parti de se substituer au prolétariat, l'illusion gauchiste des années d'après-guerre. De leur côté, des hommes comme Radek et Frölich flairent dans l'hostilité de Levi au putschisme une tendance à l'attentisme, une inclination à la seule activité propagandiste, une forme subtile d'opportunisme qui, sous prétexte de convaincre et de gagner la majorité des prolétaires, renoncerait en fait à l'action révolutionnaire, qu'elle remettrait toujours à une conjoncture plus favorable. Les divergences, pour le moment, ne sont pas fondamentales, mais elles risquent de le devenir. En attendant, le problème reste posé en ces termes : comment construire le parti communiste, comment gagner au communisme les centaines de milliers d'ouvriers qui ont tourné le dos au parti de Noske, d'Ebert et de Scheidemann et qui ont constitué la base du parti social-démocrate indépendant, ce parti « centriste » qui constitue en fait aujourd'hui, aux yeux des dirigeants de Berlin comme de ceux de Moscou, l'obstacle à la conquête par le communisme d'une substantielle fraction de la classe ouvrière ?

L'Internationale et les indépendants[modifier le wikicode]

Ce problème précis de la conquête des masses qui suivent les dirigeants indépendants a fourni à Lénine, dans La Maladie infantile, l'exemple qui lui sert à démontrer la nécessité des compromis. Contre les partisans des « petits noyaux durs et solides », il écrit que les événements récents ont confirmé l'opinion qu'il avait toujours défendue, « à savoir que la social-démocratie révolutionnaire d'Allemagne (...) était encore plus près qu'aucun autre parti du parti dont le prolétariat révolutionnaire a besoin pour triompher »[645]. Il en voit la preuve non seulement dans la continuité entre la « social-démocratie révolutionnaire » et Spartakus qui a donné naissance au parti communiste allemand, mais dans l'évolution interne du parti de masses qu'est le parti indépendant :

« Aujourd'hui, en 1920, après toutes les faillites et les crises honteuses de la guerre et des premières années qui l'ont suivie, il est clair que, de tous les partis d'Occident, c'est précisément la social-démocratie révolutionnaire d'Allemagne qui a donné les meilleurs chefs, qui s'est guérie, qui a repris ses forces avant les autres. On le voit aussi bien pour le parti spartakiste et pour l'aile gauche du parti social-démocrate indépendant d'Allemagne qui mène une lutte sans défaillance contre l'opportunisme et la faiblesse des Kautsky, des Hilferding, des Ledebour et des Crispien »[646].

En 1919, pourtant, Lénine était loin de porter une appréciation aussi favorable sur l'aile gauche du parti indépendant. Dans un article consacré à la conférence de Berne, il s'en était pris avec vigueur à son porte-parole, Däumig, qu'il avait accusé de « byzantinisme », de « servilité à l'égard des préjugés philistins de la petite bourgeoisie », dont il disait que le « gauchisme » ne « valait pas un liard », qu'il était un « parti bourgeois couard » et un « geignard réactionnaire »[647]. C'est la même méfiance qui semble inspirer l'attitude de Radek avant le congrès de Leipzig.

Le développement de la gauche du parti indépendant pendant l'année 1919, le ralliement du parti au principe de la dictature du prolétariat, la décision de Leipzig concernant l'Internationale, avaient infléchi l'attitude des dirigeants de l'exécutif sans pour autant modifier leur attitude fondamentale à l'égard des dirigeants du centre et de la droite: il s'agit pour eux désormais de gagner la majorité des travailleurs qui suivent le parti indépendant à une adhésion à l'Internationale communiste qui ne saurait qu'avoir des conséquences importantes sur ce parti lui-même. Dès le lendemain du congrès de Leipzig, Radek, à la veille de son retour en Russie, a une discussion officielle avec l'exécutif indépendant sur les perspectives d'adhésion[648]. Le 15 décembre, Crispien, au nom du parti, s'adresse à l'exécutif de l'Internationale en même temps qu'aux partis socialistes d'Europe hostiles à la II° Internationale, en leur proposant l'organisation d'une conférence internationale qui pourrait se tenir en Allemagne ou en Autriche[649]. Ainsi s'esquisse l'application de la tactique élaborée par les dirigeants indépendants : tout faire pour n'être pas seuls en face des Russes.

Les réactions des différents organismes de l'Internationale sont révélatrices d'un certain manque d'homogénéité. Le secrétariat d'Europe occidentale — dont le siège est à Berlin — est le premier à répondre, de façon brutale et comme si le congrès de Leipzig ne constituait pas un élément nouveau. Il signifie aux indépendants qu'ils ont encore à faire la preuve qu'ils sont révolutionnaires, et il se refuse à toute discussion avec des partis qui comptent encore dans leurs rangs des « social-patriotes »; il déclare ne pouvoir envisager avec le parti indépendant que des négociations publiques, à travers lesquelles il est clair qu'il entend mener une lutte politique impitoyable[650].

La réponse de l'exécutif en date du 5 février est bien plus positive[651]. Sans doute ce texte, signé de Zinoviev, constitue-t-il pour une bonne part un réquisitoire sévère contre la direction du parti indépendant, dont la politique a été « une oscillation continuelle entre la trahison ouverte du type Noske et la voie du prolétariat révolutionnaire ». Sans doute Zinoviev lance-t-il contre les indépendants bien des accusations, comme celles d'entretenir dans les masses des illusions parlementaires, d'effrayer les travailleurs allemands et de les prévenir contre la révolution prolétarienne en dénonçant la terreur en Russie soviétique, de négliger la lutte antimilitariste et de n'avoir admis que du bout des lèvres la dictature du prolétariat. Comme le secrétariat d'Europe occidentale, l'exécutif reproche aux dirigeants indépendants les relations qu'ils maintiennent avec des partis social-démocrates, leur refus de soutenir les luttes des peuples coloniaux, la présence dans les rangs de leur parti d'un Kautsky, adversaire déclaré du bolchevisme, et surtout, en ouvrant des pourparlers simultanés avec l'I.C. et tous les partis centristes, de « saboter les décisions du congrès de Leipzig »[652]. L'appel qu'il lance « aux ouvriers allemands conscients » pour débattre de cette réponse « dans des assemblées ouvrières publiques » et exiger « des dirigeants du parti indépendant des réponses claires et précises », constitue à l'évidence une invitation à la lutte fractionnelle et à l'organisation, de l'extérieur, d'une pression avec une scission en perspective. Mais il ne rompt pas pour autant les ponts et se déclare prêt à recevoir à Moscou les représentants des partis, quels qu'ils soient, « qui se déclarent prêts à rompre définitivement avec la II° Internationale ». Il laisse même entrevoir l'étendue des concessions possibles de sa part en précisant :

« Le comité exécutif a pleinement conscience qu'il est nécessaire, à cause des caractères complexes et spécifiques des développements révolutionnaires, de tenir compte de toutes les particularités. Nous sommes entièrement disposés à élargir la III° Internationale, à prendre en considération l'expérience du mouvement prolétarien dans tous les pays, à améliorer et élargir l'expérience du mouvement prolétarien dans tous les pays, à améliorer et élargir le programme de la III° Internationale sur la base de la théorie marxiste et de l'expérience de la lutte révolutionnaire dans le monde entier »[653].

Les choses, pourtant, vont en rester là pendant des mois, résultat d'une partie de cache-cache où le parti indépendant proclame qu'il n'a pas reçu de réponse de l'exécutif à sa lettre du 15 décembre et réclame en vain, après avoir pris la décision de principe d'envoyer une délégation à Moscou, l'adresse à laquelle il peut joindre l'intermédiaire que constitue pour lui, dans les négociations avec l'exécutif, le secrétariat d'Europe occidentale[654]. Quand les négociations reprennent, bien des événements se sont produits, le putsch de Kapp et la riposte ouvrière, la revanche de la Reichswehr, les élections générales et, au début d'avril, la fondation du parti gauchiste, le K.A.P.D.[655], qui va compliquer la tâche des négociateurs communistes, même si, en définitive, elle lève une hypothèque réelle sur les rapports entre le K.P.D. (S) et les indépendants[656].

Début avril en effet, Michel Borodine se présente au local central du parti social-démocrate indépendant : il est envoyé par l'exécutif de l'Internationale et porteur d'une lettre d'introduction du secrétariat d'Europe occidentale ainsi que de la lettre de Zinoviev en date du 5 février[657]. Les dirigeants indépendants s'étonnent de la lenteur de la transmission de ce document, qu'ils ne publieront pourtant eux-mêmes qu'à partir du 20 mai — et pas dans toute leur presse[658] —, alors que le K.P.D. (S) le rend public à partir du 23 avril[659]. L'entretien entre Crispien et Borodine se borne à des questions posées par le dirigeant indépendant, qui proteste de la bonne foi de ses camarades et réitère sa proposition d'envoyer, dès la fin de la campagne électorale, une délégation pour ouvrir directement des négociations à Moscou[660]. La presse communiste fait maintenant directement campagne pour l'adhésion des indépendants à l'Internationale[661]. L'aile gauche indépendante prend des positions de combat, et Wilhelm Herzog titre son éditorial dans Forum : « De Leipzig à Moscou. Clarté à tout prix ! »[662] Il se met d'ailleurs à cette époque d'accord avec Borodine pour faire à Moscou un séjour qui va lui valoir de virulentes attaques de la part de Freiheit[663]. Les conversations directes se poursuivent à Berlin à partir du 30 avril, avec la venue d'Alexandre Chliapnikov, qui est invité le 7 mai à une session de l'exécutif indépendant : il y dément catégoriquement que l'Internationale fasse de l'exclusion de quelque indépendant de droite que ce soit une condition d'ouverture des pourparlers pour l'adhésion, et qu'une fusion avec le K.D.P. (S) constitue en quoi que ce soit un préalable à l'adhésion à l'Internationale, comme le suggère Crispien[664].

Tout, dès lors, s'accélère: à la pression en coulisses et la main tendue pour des négociations, s'ajoute la pression publique de l'Internationale sur les militants du parti indépendant à travers la presse et les militants communistes. Radek, en sa qualité de secrétaire de l'Internationale, s'adresse « à l'U.S.P. »[665], s'étonne du silence de ses dirigeants, qui n'ont pas répondu à la lettre du 5 février, proteste contre le fait qu'ils ne l'ont pas publiée, pas plus d'ailleurs que leur propre réponse[666], et réitère la proposition d'envoi d'une délégation à Moscou en vue de négociations directes, ce qui constituerait pour lui le test de la sincérité des dirigeants indépendants[667]. L'exécutif indépendant répond télégraphiquement qu'il est d'accord pour envoyer des délégués à Moscou. Le 9 juin, il apprend par le secrétariat d'Europe occidentale l'ordre du jour du 2° congrès mondial auquel il est invité à envoyer des délégués, ce qu'il fait dans ses sessions des 11 et 19 juin[668].

On avait été tout près de la rupture et, en ce même mois de juin, une lettre de l'exécutif, signée non seulement de Zinoviev et de Radek, mais de Lénine lui-même et des autres dirigeants russes[669], réitérait l'accusation de sabotage des décisions de Leipzig par les dirigeants indépendants, affirmant à l'adresse des militants :

« Leur attitude montre combien nous avions raison quand nous affirmions que voue admission dans la III° Internationale n'était possible que par-dessus la tête de nos dirigeants »[670].

L'appel ainsi lancé aux militants, organisations locales et régionales du parti indépendant à se réunir pour élire directement des délégués qui les représenteraient à Moscou signifiait de la part de l'exécutif le choix de la route de la scission préalable, la moins sûre et assurément la plus coûteuse : la désignation par le parti indépendant de quatre délégués officiels, Crispien et Dittmann d'une part, Stoecker et Däumig de l'autre, laisse ouvertes toutes les possibilités, Mais il est clair que, de son côté, le K.P.D, (S) a des positions dures, puisque son comité central décide, le 17 juin, d'exiger du parti indépendant, au cas où il accepterait les conditions d'admission, de donner la preuve de sa volonté révolutionnaire en excluant ses dirigeants de droite[671], Il affirme en même temps sa détermination de s'opposer à toute admission, sous quelque forme que ce soit, du K.A.P.D. dans l'Internationale :

« II n'y a pas en Allemagne de place pour deux partis communistes »[672].

La question du K.A.P.D. provoque en effet au sein du mouvement communiste des hésitations analogues. Là aussi, les réactions du secrétariat d'Europe occidentale ne sont pas identiques à celles de l'exécutif. Le premier a, dès le 18 avril, porté sévère condamnation contre les scissionnistes, qu'il accuse formellement d'être liés aux défenseurs de la théorie du « national-bolchevisme » et d'avoir eu des contacts avec certains agents des putschistes de Kapp pendant les événements de mars, où ils ont en outre développé des thèmes aventuristes et prôné terrorisme et sabotage[673]. Il conteste la prétention du nouveau parti à être membre de la III° Internationale, alors qu'il s'arroge le droit d'attaquer violemment les partis qui y ont déjà adhéré[674]. C'est une fin de non-recevoir.

Le communiqué du 3 juin, de l'exécutif, laisse en revanche la porte ouverte au retour des scissionnistes et à leur affiliation à l'Internationale[675]. Une lettre ouverte, en date du 2 juillet, adressée par l'exécutif « aux membres du KA.P.D. », s'en explique[676]. S'adressant « aux ouvriers révolutionnaires » de ce parti, l'exécutif rappelle que la scission ne s'imposait pas selon lui et que la réunification demeure possible, si le K.A.P.D. la désire réellement. Mais il estime nécessaire que soient données des garanties de ses intentions, qui pourraient être constituées au minimum par l'exclusion de Wolffheim et Laufenberg et des tenants du « national-bolchevisme » compromis en mars avec les militaires[677], ainsi que celle d'Otto Rühle, qui se comporte en ennemi ouvert de la révolution russe et du parti bolchevique[678]. Il rappelle les positions de l'Internationale en faveur de la participation aux élections et au travail militant dans les syndicats, affirme son accord de principe avec le K.P.D. (S), dont il souligne une fois encore qu'il est le seul parti allemand membre de l'Internationale. Il rappelle toutefois qu'il est en « désaccord total » avec les raisons données par la direction du KP.D. (S) pour sa déclaration d'opposition loyale, et admet que « la centrale de Spartakus n'a pas toujours été ni assez prudente ni assez patiente dans sa lutte contre les éléments de l'opposition»[679]. Il fait enfin des propositions concrètes en vue de la réunification : la formation d'un bureau paritaire K.P.D. (S) - K.A.P.D. sous la présidence d'un représentant de l'exécutif, et l'envoi au 2° congrès mondial d'une délégation du K.A.P.D.[680].

C'est donc au 2° congrès que va revenir la tâche de régler le problème de la réunification des communistes allemands et, à travers l'adhésion à l'Internationale communiste de tout ou partie des masses du parti indépendant, de réaliser un pas important dans la voie de la construction en Allemagne d'un « parti communiste de masses ». La besogne n'est pas facile et l'exécutif désire de toute évidence une unification totale dans laquelle l'esprit révolutionnaire et combatif du K.A.P.D. viendrait corriger les tendances opportunistes que véhicule le parti social-démocrate indépendant et le penchant à la passivité de la direction du K.P.D. (S).

XXI. Les grandes espérances de 1920[modifier le wikicode]

Le I° congrès de l'Internationale n'avait comporté qu'une participation réduite de délégués non russes, pour la plupart sans mandat. Le II° congrès, lui, voit un afflux de délégués étrangers. Depuis quelques mois, le courant en faveur de l'adhésion à la III° Internationale gagne du terrain dans tous les partis socialistes du monde. Les partis norvégien et italien ont déjà donné leur adhésion ; des partis de masse aussi importants que le parti socialiste français et le parti social-démocrate indépendant d'Allemagne frappent à la porte de l'Internationale, dont l'attraction s'exerce également sur les troupes syndicalistes, comme les I.W.W. d'Amérique, et les organisations syndicales de masse comme la C.N.T. espagnole. Cette situation politique se double, en ces derniers mois de la guerre civile, d'une situation militaire favorable. A la fin du mois d'avril 1920, le gouvernement polonais du maréchal Pilsudski a attaqué la Russie soviétique, relançant la guerre civile que le baron Wrangel soutenu et financé par le gouvernement français, conduit dans le sud-ouest du territoire russe. Le gouvernement bolchevique a d'abord redouté une offensive générale de l'Entente relayant l'offensive polonaise, et Radek a averti la centrale du K.P.D. (S) que le conflit polono-russe ouvrait des perspectives nouvelles : le 18 mai, un manifeste de l'exécutif a lancé un appel au prolétariat mondial pour la défense par tous les moyens de la Russie soviétique contre « la Pologne blanche ». Mais, en juillet, la guerre a pris un tour surprenant pour beaucoup : l'armée rouge sous le commandement de Michel Toukhatchevski a mis en déroute l'armée polonaise et, à son tour, elle contre-attaque, marchant sur Varsovie.

Un congrès optimiste[modifier le wikicode]

Lors de la séance d'ouverture du congrès, le 19 juillet, Zinoviev est solennel :

« Le 2° congrès de l'Internationale est entré dans l'Histoire au moment même où il s'ouvrait. Souvenez-vous de ce jour. Sachez qu'il est la récompense de toutes nos privations, de notre lutte hardie et décidée. Dites et expliquez à vos enfants sa signification. Gardez dans vos cœurs l'empreinte de cette heure »[681].

Il racontera plus tard :

« Il y avait dans la salle du congrès une grande carte où l'on marquait tous les jours les positions de nos armées. Les délégués, tous les matins, la regardaient avec un intérêt renouvelé. C'était une sorte de symbole : les meilleurs représentants du prolétariat international (...) suivaient chaque avance de nos armées, et tous comprenaient parfaitement que, si les objectifs militaires de notre armée se réalisaient, cela signifierait une immense accélération de la révolution prolétarienne internationale »[682].

Délégués étrangers et dirigeants russes sont d'accord sur ce point. Au cours de la discussion d'un appel rédigé par Paul Levi et adressé au prolétariat mondial au sujet de la guerre de Pologne, Ernst Däumig, l'un des quatre délégués du parti social-démocrate indépendant allemand, s'écrie :

« Toute avance d'un kilomètre réalisée par l'armée rouge (...) est un pas vers la révolution en Allemagne »[683].

Des modifications de dernière minute aux projets de texte sont opérées par les Russes eux-mêmes pour tenir compte de ce qu'ils considèrent comme une conjoncture nouvelle. C'est ainsi que le projet de résolution sur les tâches rédigé par Lénine le 4 juillet comprenant la phrase :

« La tâche actuelle des partis communistes n'est pas d'accélérer la révolution, mais d'accélérer la préparation du prolétariat »[684].

devient dans le texte soumis finalement par lui au congrès :

« La tâche actuelle des partis communistes est maintenant d'accélérer la révolution, sans la provoquer par des moyens artificiels avant qu'ait pu être réalisée la préparation adéquate »[685].

Tout semble prouver aux révolutionnaires que la vague révolutionnaire de l'après-guerre, jusque-là confinée dans les pays vaincus, est en train de s'étendre aux pays vainqueurs, France, Grande-Bretagne, Italie. Dans cette optique, la construction de véritables partis communistes devient plus urgente encore. Pour une révolution qui vient, il faut, très vite, une organisation, un instrument, une direction. Lénine écrit :

« La II° Internationale est définitivement battue. Les partis intermédiaires et les groupes du « centre », voyant que la situation est tout à fait désespérée, tentent de s'appuyer sur l'Internationale communiste qui se renforce de plus en plus; ils espèrent toutefois conserver une « autonomie » qui leur permettrait de poursuivre leur ancienne politique opportuniste ou centriste. L'Internationale communiste est jusqu'à un certain point à la mode. Le désir de certains dirigeants du « centre » d'adhérer maintenant à la III° Internationale prouve indirectement que l'Internationale communiste a gagné la sympathie de l'immense majorité des ouvriers conscients du monde entier, et devient une puissance de jour en jour croissante »[686].

Les demandes d'adhésion des partis centristes à l'Internationale doivent donc être examinées avec la plus grande circonspection. S'ils étaient en effet acceptés sans conditions, ce serait avec, à leur tête, des dirigeants opportunistes dont les bolcheviks pensent qu'on ne saurait attendre que le « sabotage actif de la révolution », comme l'ont démontré les expériences hongroise et allemande. Le temps manque pour les éliminer par une lutte politique de l'intérieur. Il faut donc se prémunir contre les dangers qu'ils peuvent introduire dans l'Internationale, « mettre une serrure (...), une garde solide à la porte », comme dit Zinoviev[687].

Ce souci, et celui de concentrer en quelques formules l'expérience des luttes du parti bolchevique et d'en faire l'instrument d'une clarification politique à l'occasion de l'adhésion des partis à l'Internationale, conduisent les communistes russes à proposer au 2° congrès dix-neuf conditions d'admission des groupes et partis au sein de l'Internationale communiste, adressées tant aux partis membres qu'aux partis candidats à l'admission, qu'il s'agisse de partis de type « centriste » comme l'U.S.P.D., contenant encore de forts courants social-démocrates, ou de partis de type gauchiste comme le K.A.P.D. Les dix-neuf conditions[688], que le congrès modifiera pour en faire en définitive les célèbres « vingt et une conditions », expriment ainsi la conception bolchevique du parti communiste.

Le premier devoir des communistes est de donner à leur agitation et leur propagande quotidiennes un « caractère effectivement communiste » : l'objectif de la dictature du prolétariat, qui est celui des partis communistes, doit être présenté aux masses ouvrières de façon que « sa nécessité découle des faits de la vie quotidienne notés au jour le jour»[689]. Il faut écarter (le verbe est souligné dans le projet) systématiquement des postes responsables des éléments réformistes ou centristes, mettre partout à leur place des communistes éprouvés, des ouvriers que l'on sort du rang, si nécessaire, pour les remplacer.

L'activité des communistes ne peut se contenter de se déployer dans le cadre autorisé par la légalité bourgeoise :

« Dans presque tous les pays d'Europe et d'Amérique, la lutte de classes entre dans la phase de la guerre civile. Dans ces conditions, les communistes ne peuvent pas se fier à la légalité bourgeoise. Ils doivent créer partout une organisation parallèle illégale qui puisse, au moment décisif, aider le parti à remplir son devoir envers la révolution »[690].

Dans cet ordre d'idées, les communistes doivent conduire systématiquement agitation et propagande à l'intérieur de l'armée et y créer des cellules communistes : le refus de mener un tel travail — en partie illégal — est considéré comme incompatible avec l'appartenance à l'Internationale. Toujours dans la perspective de la prise du pouvoir prochaine, les partis communistes doivent déployer une agitation systématique et régulière en direction des travailleurs des campagnes, en s'appuyant sur des ouvriers avant conservé des attaches rurales.

L'une des obligations les plus impérieuses consiste en la rupture déterminée avec le social-patriotisme des réformistes comme avec le social-pacifisme des centristes. Les communistes doivent démontrer systématiquement aux ouvriers que, « sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, aucune cour internationale d'arbitrage, aucun débat sur la réduction des armements, aucune réorganisation « démocratique » de la Société des nations ne sauraient sauver l'humanité de nouvelles guerres impérialistes »[691]. La rupture avec réformistes et centristes doit être réalisée dans tous les partis : « L'Internationale l'exige absolument et sous forme d'ultimatum », ce qui signifie notamment l'expulsion des rangs des partis adhérents de personnalités réformistes notoires comme l'Italien Turati. De même, les partis communistes doivent lutter contre les entreprises impérialistes de leurs propres bourgeoisies, « soutenir, non en paroles, mais par des actes, tout mouvement de libération dans les colonies »[692].

La neuvième condition reprend les thèmes développés au cours de la polémique contre les gauchistes en faisant aux partis une obligation du travail au sein des syndicats, la garantie étant constituée sur ce plan par la constitution de cellules « entièrement subordonnées au parti dans son ensemble » à l'intérieur des syndicats. Ce sont ces « cellules » — on dira plus tard ces « fractions » — qui, « par un travail constant et opiniâtre, doivent gagner les syndicats à la cause du communisme », « démasquer la trahison des social-patriotes et les hésitations du centre ». De la même façon, les communistes doivent utiliser les parlements bourgeois comme tribunes d'agitation révolutionnaire, mais doivent en même temps revoir la composition des groupes parlementaires en les épurant et en les subordonnant étroitement aux comités centraux. Au sein des syndicats, ils doivent lutter contre « l'Internationale des syndicats jaunes d'Amsterdam », s'efforcer d'obtenir la rupture des syndicats avec elle et le renforcement de ce que le texte de la résolution appelle « le rassemblement international en voie de réalisation des syndicats rouges adhérant à l'Internationale communiste »[693]. Chaque comité central doit se subordonner les services d'édition et de presse du parti.

En matière d'organisation, les partis communistes doivent être organisés conformément au principe du centralisme démocratique, et la treizième condition précise :

« Dans la période actuelle de guerre civile exacerbée, un parti communiste ne saurait faire son devoir que s'il est organisé de la manière la plus centralisée, que s'il y règne une discipline de fer confinant à la discipline militaire »[694].

Il appartient d'ailleurs sur ce terrain à la direction des partis communistes de veiller à l'intégrité de ses rangs en y faisant procéder à une épuration périodique qui permettra, dans les cas des partis ayant une activité légale, l'élimination systématique des membres douteux.

La quinzième condition précise qu'il est du devoir des partis communistes de « soutenir sans réserve toute république soviétique dans sa lutte contre les forces contre-révolutionnaires[695] ».

Les quatre dernières conditions précisent les obligations qui devraient peser dans l'immédiat sur les partis adhérents ou désireux d'adhérer à l'Internationale : obligation de réviser leurs anciens programmes conformément aux conditions nationales et aux décisions de l'Internationale ; ratification de ces révisions par l'exécutif ; caractère rigoureusement obligatoire des décisions du congrès mondial et de l'exécutif; obligation, pour tout parti désireux d'adhérer, de prendre le nom de « parti communiste », « (section de la III° Internationale communiste) », afin de faire apparaître clairement la différence entre les partis communistes et les anciens partis « socialistes » ou « social-démocrates » qui ont trahi la classe ouvrière ; obligation enfin pour tous ces partis de convoquer leur congrès dès la fin du congrès mondial, afin de ratifier les conditions posées[696].

Telles quelles, ces conditions, que le congrès renforcera encore, sont draconiennes. Pour tous les partis d'origine social-démocrate ou centriste, qu'ils soient ou non dans l'Internationale, comme pour les groupements gauchistes qui aspirent à y entrer ou à y demeurer, elles impliquent à bref délai une scission, et les dirigeants bolcheviques en ont conscience. Trotsky le proclame :

« Il est hors de doute que le prolétariat serait au pouvoir dans tous les pays s'il n'y avait entre eux (les partis communistes) et les masses, entre la masse révolutionnaire et l'avant-garde, une machine puissante et complexe, les partis de la II° Internationale et les syndicats qui, à l'époque de la décomposition et de la mort de la bourgeoisie, ont mis leur appareil à son service. (...) A partir de maintenant, à partir de ce congrès, la scission de la classe ouvrière va s'accélérer dix fois : programme contre programme, tactique contre tactique, méthode contre méthode»[697].

Aucun d'entre eux, sans doute, ne sous-estime les conséquences négatives de toute scission du mouvement ouvrier, mais, persuadés qu'ils sont que le monde est dans une phase de « guerre civile exacerbée » et que le moment de la prise du pouvoir est proche, au moins dans les pays les plus avancés, ils se décident pour l'application de ces conditions sans véritable discussion préalable.

Le K.A.P.D. et les conditions d'admission[modifier le wikicode]

La première conséquence de l'élaboration des conditions d'admission élaborées dans le parti russe va être une sérieuse détérioration des relations entre l'exécutif et le K.A.P.D. A la fin du mois de mai, sans nouvelles d'Appel et Jung ni des négociations qui se déroulent à Moscou, le K.A.P.D. a décidé d'envoyer Otto Rühle comme délégué au 2° congrès : il sera suivi dans son voyage clandestin, début juillet, par August Merges[698].

Otto Rühle, que son évolution idéologique est en train d'éloigner du communisme, et qui a été hostile par principe, dès le départ, à la fondation du K.A.P.D. comme « parti ». réagit très mal au contact des réalités russes en pleine dictature du communisme de guerre. Frappé par ce qu'il considère comme des pratiques « ultra-centralistes », il juge absurde et néfaste la volonté des soviétiques d'appliquer un tel système aux partis communistes et à l'Internationale elle-même. Merges et lui-même prennent nettement position contre les conditions d'admission, qu'ils jugent inadmissibles parce qu'entachées à la fois d'opportunisme et de centralisme. Ils les considèrent comme la répétition à peine modifiée des thèses de la centrale au congrès du K.P.D. (S.) à Heidelberg — origine de la scission allemande —, ce que Rühle exprime en ces termes :

« Elles étaient maintenant un peu amplifiées, un peu plus frisées sur le plan de la théorie, et considérablement aggravées sur le plan centralisme et dictature »[699].

Devant l'opposition manifestée par les deux délégués du K.A.P.D., Radek dit qu'il ne saurait être question de les admettre au congrès. Lénine et Zinoviev ayant confirmé ce point de vue, Rühle et Merges quittent Moscou et reprennent le chemin de l'Allemagne[700]. Cet échec ne fait pas l'affaire des bolcheviks et des membres de l'exécutif, pour qui la présence des gauchistes serait précieuse au moment où il s'agit de discuter serré avec des éléments centristes aux tendances droitières. Un exécutif qui se tient au lendemain du départ des deux délégués des gauchistes allemands décide de leur faire une proposition de conciliation en leur offrant la participation au congrès non comme délégués à part entière mais comme délégués à titre consultatif. Les deux représentants du K.A.P.D. reçoivent la proposition sur le chemin du retour, alors qu'ils n'ont pas encore quitté la Russie soviétique, mais ils la repoussent, d'un commun accord, et poursuivent leur voyage[701], solution heureuse, en définitive, pour l'exécutif, puisque, on le verra, la délégation du K.P.D. (S), mise devant le fait accompli de l'invitation faite au K.A.P.D., avait pour sa part décidé qu'elle quitterait le congrès au cas où Merges et Rühle, ou tout autre responsable du KA.P.D., y participerait, fût-ce à titre consultatif[702]!

Les indépendants et les conditions d'admission[modifier le wikicode]

La bataille autour des conditions d'admission se livre principalement au cours des débats avec les délégués des indépendants allemands, que les Russes, épaulés par les délégués communistes étrangers, s'efforcent de convaincre — et de contraindre, si nécessaire —, afin de mieux préparer la décision finale qui, de toute manière, appartient au congrès de leur parti. Dittmann et Crispien, qui représentent l'aile droite et l'appareil de l'U.S.P.D. sentent que, quoique la presse du parti dans son ensemble, l'appareil dans sa presque totalité, soient hostiles à l'adhésion, le courant « de gauche » grandit tous les jours, et leur impose cette négociation dans une position précaire, au sein même d'un congrès communiste international, dans la capitale de la révolution mondiale.

Dittmann se déclare d'accord avec les thèses soumises par l'exécutif au congrès, mais présente un certain nombre d'objections. La première concerne les objectifs proclamés des partis adhérant à l'Internationale. Il explique :

« Si notre parti adoptait ces thèses dans leur forme actuelle, il perdrait alors son caractère légal, et nous croyons que nous devons utiliser tous les moyens légaux pour rassembler les masses ouvrières. (...) Nous savons que la grève générale ne suffit pas pour prendre le pouvoir, que l'insurrection armée est nécessaire. Mais si nous affirmons cela ouvertement dans nos thèses, notre parti cessera du coup d'être un parti légal »[703].

Protestant contre une assertion de Radek qui a dit que les dirigeants indépendants pourraient être du jour au lendemain arrêtés et fusillés, il développe :

« Nous croyons que nous devons utiliser jusqu'au bout les moyens légaux. Nous avons plus de cinquante quotidiens. Cette presse est un moyen de propagande et d'action révolutionnaire que nous devons maintenir et qui serait tout entier perdu si nous tombions dans l'illégalité. (...) Les communistes savent par expérience combien est difficile la propagande pour un parti illégal »[704].

Il élève également d'autres objections sur la question de la « centralisation » des partis et de l'Internationale :

« J'ai été de tout temps, déjà dans la vieille social-démocratie, partisan d'une forte centralisation. Mais, précisément, l'expérience de la social-démocratie bureaucratisée a détourné de la centralisation nombre d'ouvriers révolutionnaires. C'est une réaction compréhensible contre le bureaucratisme centralisé de la vieille social-démocratie. Aussi nous heurtons-nous à une tendance hostile à la centralisation du parti. Le congrès de Gotha, par exemple, a refusé le contrôle de la presse par la centrale. Cet état d'esprit ne pourra être surmonté qu'après un délai important »[705].

Pour sa part, Crispien se déclare d'accord avec les thèses sur quatre points essentiels : une organisation centralisée de l'Internationale, la centralisation du parti que l'U.S.P.D. doit pouvoir réaliser, la rédaction d'un programme, après qu'un congrès aura permis de réaliser la synthèse des résolutions de Leipzig et de celles de Moscou. En ce qui concerne les moyens de lutte, il déclare :

« Nous vivons dans la période de la lutte pour le pouvoir, et notre mouvement doit conserver son caractère légal. Les masses ne comprendraient pas un parti illégal. Nous ne pouvons pas nous prononcer ouvertement pour l'armement du prolétariat. (...) En revanche, un mouvement purement illégal est possible pour nous. Nous voulons employer tous les moyens pour lutter, mais nous ne pouvons le déclarer ouvertement et officiellement »[706].

Les délégués indépendants sont harcelés par les représentants de l'exécutif. Zinoviev leur demande s'ils croient réellement que le fait de ne pas se déclarer en faveur du travail clandestin constitue une protection vis-à-vis de la répression. Radek leur oppose qu'aucun parti qui se veut révolutionnaire ne peut se dispenser de conduire dans l'armée un travail de propagande qui nécessite un appareil illégal. Ernst Meyer se déclare sceptique quant aux affirmations de Crispien et Dittmann sur leur accord avec les thèses, et demande des garanties pour l'avenir. Zinoviev souligne que l'important n'est pas d'avoir cinquante quotidiens, mais de répandre les idées révolutionnaires, et pose aux dirigeants indépendants le problème de la rupture avec Hilferding. Le Suisse Humbert-Droz souligne les aspects internationaux du problème, le fait que des ailes de tous les partis centristes conservent le contact avec la II° Internationale, accuse les éléments droitiers de chercher à corrompre de l'intérieur la III° Internationale et conclut qu'il faut rendre impossible l'adhésion d'éléments opportunistes. Crispien recule, mais sans rompre, tout en laissant entrevoir une issue dans l'avenir :

« Notre parti a toujours évolué de plus en plus vers la gauche. Il s'est déjà débarrassé de ses droitiers. Bernstein a démissionné. Kautsky n'a aucune influence et ne joue plus aucun rôle dans le parti. Il est impossible de dire que Kautsky et Strobel construisent une aile droite. Ils sont seuls et isolés »[707].

En fait, la résistance de Crispien et Dittmann à des principes que les militants communistes considèrent comme fondamentaux provoque un durcissement au sein de la commission : au paragraphe 7, elle ajoute, comme « réformistes notoires », aux noms de Turati et Modigliani, ceux de Kautsky et Hilferding notamment, et, sur proposition de Lénine lui-même, introduit l'obligation de publier dans la presse des sections les textes de l'exécutif, et la tenue d'un congrès extraordinaire qui approuve les conditions d'admission dans les quatre mois, pour les partis demandant leur adhésion[708].

La discussion sur les conditions d'admission se déroule au congrès les 29 et 30 juillet. Zinoviev, qui rapporte, souligne que l'Internationale, simple société de propagande, doit devenir organisation de combat, ce qui implique une rupture totale avec l'état d'esprit et les idées kautskystes[709]. Radek prononce un réquisitoire contre la politique de l'U.S.P.D. depuis novembre 1918[710]. Ernst Meyer s'attache plus particulièrement aux faits et gestes de sa direction depuis le congrès de Leipzig, proclame sa méfiance à l'égard de toutes les déclarations des dirigeants indépendants : c'est dans la pratique qu'un parti révolutionnaire fait ses preuves, et le parti indépendant ne pourra avoir une pratique révolutionnaire s'il ne se décide pas à se débarrasser de ses éléments opportunistes. Le représentant du K.P.D. (S) précise d'ailleurs qu'il souhaite une intervention directe de l'exécutif auprès des ouvriers indépendants afin d'organiser la scission nécessaire[711]. Crispien et Dittmann parlent en fin de la première journée. Crispien insiste sur le fait que son parti est d'accord pour l'essentiel avec les thèses de l'Internationale, mais s'élève contre la perspective d'exclusions, source de scissions, toujours préjudiciables. Se refusant à critiquer les Russes, il conteste seulement que leur expérience ait une portée universelle, et affirme notamment que la terreur constitue une forme circonstancielle de la lutte pour le socialisme dont les pays occidentaux pourront faire l'économie[712]. Dittmann s'efforce de répondre au réquisitoire de Radek et plaide pour la direction de l'U.S.P.D. dont il affirme qu'elle a toujours été avec les masses des travailleurs allemands[713].

Le lendemain, Racovski reprend le discours de Dittmann justifiant la politique de collaboration dans le gouvernement Ebert et s'écrie :

« Les indépendants allemands, malheureusement, dans la mesure où ils sont représentés ici par les camarades Dittmann et Crispien, semblent n'avoir rien oublié au cours de ces deux ou trois années mais semblent n'avoir non plus rien appris »[714].

Lénine se consacre à une critique brève mais percutante de la méthode de pensée de Dittmann et Crispien et s'efforce de démontrer qu'elle est entièrement inspirée de la méthode de Kautsky[715]. Paul Levi reprend les termes des interventions de Crispien et Dittmann pour développer ses idées sur les relations entre parti et masses, et souligne qu'à son avis les indépendants, en cherchant à être « avec les masses », commettent sur le rôle du parti une « erreur fondamentale », le privant de ce qui est sa raison d'être, jouer le rôle de direction révolutionnaire des masses[716]. Däumig regrette que les débats de la veille lui aient inspiré le sentiment que l'Internationale n'était encore formée que de sectes : il proteste contre la caricature faite de son parti, notamment par Radek, rappelle qu'il a toujours été formé de deux ailes nettement opposées, souligne les responsabilités passées des communistes, rappelle la fondation du K.P.D. (S) avec des éléments « indésirables », mais se prononce pourtant pour l'acceptation sans réserve des conditions d'admission, qu'il s'engage à défendre dans le parti à son retour en Allemagne[717]. Stoecker enfin s'étonne de l'appel à la scission lancé la veille par Ernst Meyer. Il souligne, lui aussi, les points essentiels d'accord entre l'U.S.P.D. et l'Internationale et rappelle que le K.P.D. (S) a longtemps répandu en Allemagne les idées qui sont aujourd'hui celles du K.A.P.D. scissionniste. Partisan de l'acceptation des conditions d'admission, il termine par un appel à resserrer les rangs des révolutionnaires pour la lutte à mener dans quelques mois[718].

Les dix-neuf conditions sont devenues successivement dix-huit, par fusion de deux d'entre elles, puis vingt et une par adjonction d'additifs présentés l'un par Humbert-Droz, l'autre par Bordiga : les partis adhérents devront, dans le congrès qui ratifiera l'adhésion, élire à leur comité central, deux tiers au moins de membres s'étant prononcés pour l'adhésion à l'I.C. avant le 2° congrès mondial, et ils devront exclure, après leur congrès, tous les adversaires des vingt et une conditions[719].

Désaccords en coulisse?[modifier le wikicode]

La question désormais posée au parti social-démocrate indépendant est dépourvue de toute ambiguïté : il doit accepter, pour prix de son admission dans l'Internationale communiste, l'exclusion de Hilferding, Kaustsky et autres, ce qui signifie en fait la scission du parti, puisque Crispien et Dittmann s'y opposent. Zinoviev le leur dit d'ailleurs clairement au cours d'une ultime rencontre entre l'exécutif et les quatre délégués indépendants[720].

Sur ce point, Paul Levi a formulé des réserves au cours des débats en commission : partisan des conditions d'admission, qu'il vote avec l'écrasante majorité des délégués au congrès, il souligne à huis clos qu'il lui semble important d'éviter de prendre des mesures d'organisation susceptibles de revêtir un caractère vexatoire. La lutte qui commence, dans le monde entier, au sein des partis ouvriers et socialistes sur la question de l'adhésion à l'Internationale communiste, va être une lutte sans merci. Les communistes ont intérêt à ce qu'elle apparaisse clairement comme une lutte politique. Inclure dans les conditions d'admission des clauses concernant l'organisation risque de laisser dévier cette lutte « vers le terrain de l'organisation, donnant aux «bonzes» l'occasion qu'ils souhaitent de se déchaîner sur ce terrain et de taire les aspects politiques ». Il est donc d'avis de rejeter au second plan les problèmes touchant les statuts et autres points d'organisation, et de concentrer tous les efforts pour « mettre au premier plan les conditions politiques à remplir »[721]. Il est clair qu'il redoute pour l'Allemagne l'exploitation que ne manqueront pas de faire, des conditions qui les visent, les Hilferding soutenus par Crispien et Dittmann : le résultat pourrait être de maintenir hors de l'Internationale et du futur parti allemand unifié une importante fraction des ouvriers révolutionnaires à qui ces problèmes masqueraient les options politiques essentielles. Le dirigeant de la centrale allemande ne semble pas partager entièrement l'optimisme de la majorité du congrès sur les perspectives révolutionnaires en Europe : il insiste sur la nécessité d'épurer les partis adhérents par le moyen d'une large discussion politique ; en effet, il n'y a pas urgence, la révolution n'étant pas pour demain. En commission, il défend l'ancien texte de Lénine contre la nouvelle rédaction proposée[722]. Il mécontente Lénine et la presque totalité des délégués en manifestant une pessimiste prudence au sujet d'un soulèvement possible des travailleurs allemands à l'approche de l'armée rouge[723].

Il existe d'autres indices d'une tension croissante entre Levi et les dirigeants russes, particulièrement Zinoviev. Au début du congrès, elle revêt la forme d'une crise aiguë à propos de la décision de l'exécutif d'admettre le K.A.P.D. aux débats. Ce sont les dirigeants russes, soucieux d'« activer » le parti allemand, qui ont soufflé cette proposition à l'exécutif: pour eux, approche de nouveau le moment où les combattants révolutionnaires du K.A.P.D. seront précieux dans les rangs de l'Internationale. Dès leur arrivée, les délégués du K.P.D. (S) sont reçus par le bureau politique du parti russe, qu'ils s'efforcent vainement de convaincre, et ils prennent ensuite la décision d'annoncer qu'ils quitteront le congrès si les délégués du K.A.P.D. y sont admis[724]. Ils sont soutenus par Radek, à qui cette prise de position contraire à la discipline du parti russe vaudra d'être écarté du poste de secrétaire de l'exécutif qu'il occupait depuis son retour d'Allemagne[725]. L'accès de fièvre tombe brusquement, Rühle et Merges, les délégués du K.A.P.D. ayant finalement refusé de prendre part au congrès. Mais, de façon générale, l'attitude de la délégation allemande, le ton employé par Levi qui est son porte-parole, sont sévèrement jugés, tant par Boukharine qui fait contre les Allemands l'unanimité de l'exécutif, que par Rosmer qui, des années plus tard, les accusera de s'être livrés à une « manœuvre de dernière heure »[726]. Les Russes — en particulier Boukharine et Zinoviev — y voient une preuve d'hostilité à leur égard, la fidélité des Allemands aux vieilles querelles et aux anciens griefs de Rosa Luxemburg et Leo Jogiches, et reprennent volontiers contre eux, au moins dans les couloirs, les critiques déjà énoncées, soit dans le parti allemand lui-même, soit par Radek, sur le « manque de contact avec les masses », l' « antiputschisme exagéré » de la centrale, qui aboutirait à une attitude de passivité[727]. Levi est le premier visé, et il devra rappeler à ceux qui le qualifient de « droitier » qu'il a été le premier dirigeant, lors du putsch de Kapp, à critiquer la passivité de la centrale du moment[728]. Mais il semble avoir éprouvé beaucoup d'amertume de ces attaques et confie à ses proches qu'il commence, en effet, à se demander si Rosa Luxemburg et Leo Jogiches n'avaient pas finalement raison de s'opposer à la fondation d'une Internationale où n'existerait pas de contrepoids suffisant à l'influence des bolcheviks[729]. Rien de cela cependant ne transparaît en séance et Levi est élu à l'exécutif, suppléant d'Ernst Meyer, premier élu par le congrès et qui va rester à Moscou, où il travaillera au sein du « petit bureau ».

Une autre décision du 2° congrès aura d'importantes conséquences pour l'avenir du mouvement ouvrier allemand. La question syndicale y est, comme dit Rosmer, « longuement discutée, sans ampleur et sans profit »[730], sur la base d'un rapport de Radek, notoirement incompétent[731]. La résolution, adoptée après un vif débat et malgré l'opposition des Anglais et des Américains, reprend la ligne définie auparavant par l'exécutif et résumée dans les vingt et une conditions. Quoique le congrès ne se prononce pas formellement sur la création d'une nouvelle Internationale syndicale, c'est au cours même de ses travaux que se constitue, sous la présidence de Lozovski, un « comité international provisoire » pour la convocation et la préparation d'un « congrès international des syndicats rouges » destiné à engager, à l'échelle mondiale, la lutte contre l'Internationale syndicale « jaune » d'Amsterdam. « Décision fatale », commente l'historien britannique E.-H. Carr[732], prise dans la confusion en tout cas, et qui servira de prétexte aux social-démocrates pour mener à bien dans les syndicats une scission qui est souvent leur ultime recours, mais dont ils peuvent ainsi rejeter la responsabilité sur les communistes, liés, à partir de cette date, à l'Internationale syndicale rouge.

La bataille pour la majorité des indépendants[modifier le wikicode]

Les débats du 2° congrès avaient été dominés par les soucis allemands des dirigeants de l'Internationale et les vingt et une conditions élaborées dans le but d'éliminer les indépendants de droite. Dans la bataille politique qui suit le 2° congrès mondial, l'exécutif de l'Internationale voit le premier d'une série de combats pour conquérir les ouvriers adhérents des partis socialistes et centristes, étape décisive sur la voie de la construction de « partis communistes de masses ».

L'exécutif jette dans la balance tout son poids et son prestige afin de conquérir la majorité du parti indépendant, ce parti ouvrier de plus de 800 000 membres, avec ses organisations de tout type, ses cinquante-quatre quotidiens et, surtout, ses cadres ouvriers. Le problème n'est pas un problème allemand, mais un problème international, traité en quelque sorte de puissance à puissance entre le parti social-démocrate indépendant et l'Internationale, elle-même émanation du parti et de la révolution russe. Le KP.D. (S) né de Spartakus est refoulé au second plan : ce sont les militants de la Russie d'octobre 1917 qui s'adressent directement aux indépendants allemands. C'est le problème de Moscou que posent partisans et adversaires.

La délégation des indépendants est revenue de Moscou divisée. Däumig et Stoecker se sont prononcés pour l'acceptation pure et simple des vingt et une conditions, ce qui implique une fusion à court terme avec le K.P.D. (S). Dittmann et Crispien, eux, demandent aux militants de rejeter ces conditions et, avec elles, le « centralisme » et la « dictature de Moscou ». Une conférence préparatoire au congrès montre que le parti est divisé en deux tendances sensiblement égales[733]. L'appareil dans sa quasi-totalité, la presse du parti, ses élus et une importante fraction des responsables syndicaux sont contre l'acceptation des vingt et une conditions. Mais le courant en faveur de « Moscou » est chaque jour plus fort. L'appui direct qu'il prend sur le K.P.D. (S) lui permet de réagir en rendant coup pour coup, opposant direction à direction, appareil à appareil[734]. La droite comprend que le temps travaille pour les partisans de l'Internationale : elle accélère les préparatifs afin de mettre rapidement fin à une discussion qui l'accule à la défensive. Le congrès sera « préparé » en cinq semaines, sa date étant finalement avancée de huit jours, du 20 octobre primitivement prévu, au 12[735].

Le 29 septembre, le présidium de l'exécutif adresse à tous les membres du parti social-démocrate indépendant une lettre ouverte dans laquelle il dresse le bilan des pourparlers. Il explique qu'un processus de différenciation est en cours dans le monde entier au sein de tous les partis « centristes », et qu'il est du devoir de l'Internationale communiste de l'accentuer et de l'accélérer afin de libérer les militants ouvriers de ces partis de l'emprise des dirigeants réformistes. Il affirme :

« Nous ne pouvons accepter dans l'Internationale communiste tous ceux qui manifestent le désir de la rejoindre. D'une certaine façon, l'Internationale communiste est devenue une mode. Nous ne voulons pas que notre Internationale communiste ressemble à la II° Internationale banqueroutière. Nous ouvrons largement nos portes à toute organisation révolutionnaire prolétarienne de masse, mais nous réfléchirons plus de dix fois avant d'ouvrir les portes de l'Internationale communiste à des nouveaux venus du camp des dirigeants petits bourgeois, bureaucrates, opportunistes comme Hilferding et Crispien »[736].

Après avoir insisté sur la nécessité de l'existence et de l'action de partis communistes puissants et centralisés capables de conduire victorieusement le prolétariat dans la guerre civile, la lettre ouverte de l'exécutif poursuit :

« Le principe du centralisme est également valable à l'échelle internationale. L'Internationale communiste sera une association centralisée d'organisations ou ne sera pas. (...) La guerre impérialiste a créé une situation dans laquelle la classe ouvrière d'aucun pays ne peut faire aucun pas sérieux en avant qui n'ait de répercussions dans le mouvement tout entier et dans la lutte de classe des ouvriers dans tous les autres pays. Toutes les questions fondamentales de notre vie se décident maintenant à l'échelle internationale. Nous avons besoin d'une Internationale qui agisse comme un état-major international des prolétaires de tous les pays. Nous ne pouvons transformer l'Internationale communiste en une simple boîte à lettres. ( ... )

Il y a des circonstances historiques dans lesquelles la scission est le devoir sacré de tout révolutionnaire. »

Et elle conclut que les circonstances exigent précisément cette scission, « si nous voulons, au moment décisif, être fermes, unis, résolus »[737].

Dans toutes les villes d'Allemagne, les deux tendances s'affrontent passionnément. La presse communiste est le principal soutien de la gauche des indépendants, qui n'ont pour eux que quelques journaux c'est seulement le 1° octobre que va paraître leur organe Kommunistiscbe Rundschau. A gauche, Paul Levi dirige la bataille avec Däumig, Stoecker, Curt Geyer, Wilhelm Koenen. De l'autre côté, avec Crispien et Dittmann, le dirigent des métaux Robert Dissmann[738], un ancien de l'aile gauche pourtant, est l'âme de la résistance. Il mobilise dans tout le parti les cadres syndicaux contre les « diviseurs » de Moscou qui, dit-il, préparent, avec leur conférence des syndicats rouges, la scission des syndicats après celle des partis.

Chacun se détermine, suivant la formule de Clara Zetkin, que la droite fait également sienne, « pour ou contre Moscou »[739]. Toutes les questions pendantes du mouvement ouvrier sont passionnément débattues sous les formes les plus polémiques. Pour la droite, le choix est entre l'« indépendance », l'« autodétermination des partis socialistes », la « liberté d'opinion », et le « diktat des papes de Moscou », la « colonisation » et même la « barbarie asiatique ». Pour la gauche, il est entre l'« opportunisme », le « réformisme » et la « collaboration de classes » et l'« organisation révolutionnaire centralisée », la « discipline » et la « conscience de classe ». La droite rappelle la faillite de la social-démocratie majoritaire due, assure-t-elle, à la centralisation bureaucratique et à l'omnipotence de l'appareil. La gauche — et les communistes — rétorquent que c'est la mentalité opportuniste, bourgeoise et réformiste qui a permis que les moyens prévalent sur la fin, qui a placé les armes précieuses que constituent la centralisation et la discipline au service d'une politique de trahison de la classe ouvrière. La droite rappelle le rôle des communistes dans le déclenchement des putschs en 1919 : les communistes ripostent en rappelant le rôle joué par Ledebour lors du soulèvement de janvier 1919 à Berlin[740].

L'enjeu du combat est international, et chaque camp mobilise ses alliés dans tous les pays. Finalement, les principaux protagonistes de cette bataille ne sont pas Allemands. Pour le représenter en Allemagne, l'exécutif de l'Internationale communiste délègue Zinoviev lui-même, Lozovsky, déjà sur place, et Boukharine[741] qui, en définitive, ne viendra pas. De son côté, la droite reçoit l'appoint du menchevik Jules Martov, l'ancien compagnon, puis adversaire de Lénine, récemment exilé de Russie, de socialistes français, depuis le « social-chauvin » Grumbach jusqu'au « centriste » Jean Longuet, petit-fils de Marx. Les votes pour la désignation des délégués se déroulent dans une atmosphère tendue et donnent lieu à des résultats extrêmement serrés dans presque toutes les localités importantes. A Berlin, les partisans de l'acceptation des vingt et une conditions l'emportent par 15 531 voix contre 13 856, ce qui représente pour le congrès douze délégués de la gauche contre onze. Parmi les premiers, les anciens délégués révolutionnaires, Heinrich Malzahn, qui conduit la liste, Paul Eckert, Paul Scholze[742]. Dans plusieurs congrès de district ou d'Etat, c'est la scission, avant même le congrès national : ainsi dans le Wurtemberg, où les partisans de la gauche, que dirige Bottcher, se retirent en signe de protestation[743], en Basse-Rhénanie, où les partisans de Crispien quittent le congrès qu'ils jugent « illégal » et « antistatutaire » après y avoir été mis en minorité[744].

Pourtant, lorsque Zinoviev débarque à Stettin du vapeur esthonien Wasa, Curt Geyer peut lui annoncer triomphalement : « Nous avons la majorité! »[745] Une majorité faible, estimée par la gauche elle-même, à la veille de l'ouverture du congrès, à un peu moins de 50 000 voix au total[746].

Le congrès de Halle d'octobre 1920[modifier le wikicode]

Quand le congrès extraordinaire du parti social-démocrate indépendant s'ouvre à Halle le 12 octobre, la lutte pour les mandats qui s'est déroulée pendant les semaines précédentes a pratiquement consommé la scission. Zinoviev, en pénétrant dans la salle du congrès, constate qu'il y a en réalité « deux partis dans la salle »[747]. Spectacle étonnant d'ailleurs que la reconnaissance officielle de cet état de fait par les deux tendances qui en ont, d'avance, tiré les conséquences : le présidium du congrès est lui-même constitué sur une base paritaire, et le congrès a donc en permanence deux présidents, Dittmann, pour la droite, et Otto Brass, pour la gauche. Les indépendants de gauche l'expliquent à Zinoviev : ils ont accepté la parité de tous les organismes du congrès, présidium et commission des mandats compris, car ils redoutent que la droite ne saisisse le premier prétexte venu pour rompre avant qu'il y ait eu discussion sur le fond, et pouvoir incriminer ainsi les « méthodes » et la « dictature » des partisans de Moscou[748]. La discussion se déroule dans une atmosphère survoltée, interrompue parfois par de violents tumultes mais, le plus souvent, passionnément suivie par des délégués qui, quelle que soit leur tendance, ont conscience de vivre un événement d'une importance historique pour l'avenir du mouvement ouvrier.

Le congrès débute par les interventions des délégués du parti au 2° congrès mondial : dans l'ordre, Crispien, Däumig, Dittmann et Stoecker. Ce ne sont encore qu'escarmouches. La lutte commence véritablement quand Zinoviev monte à la tribune. Il va parler plus de quatre heures, en allemand, avec beaucoup de difficultés et une certaine appréhension, au début, puis avec une autorité qui lui permet de remporter le plus grand succès oratoire d'une carrière déjà bien remplie. Il discute les quatre points sur lesquels les indépendants de droite affirment avoir des divergences avec les communistes : la politique agraire des bolcheviks, la politique nationale en Orient, la question syndicale, la terreur et le rôle des soviets. Il affirme que les bolcheviks ont, en matière agraire, suivi la seule politique qui pouvait mener à la victoire de la révolution. En s'opposant, « au nom du marxisme », au mot d'ordre du partage des terres, les opportunistes révèlent l'étroitesse de leurs vues et surtout leur incapacité à saisir le caractère mondial de la révolution. Car il n'y aura pas de révolution prolétarienne internationale sans révolution nationale et agraire en Orient et en Extrême-Orient, pas de révolution prolétarienne en Europe sans soulèvement armé des paysans de la Chine et de l'Inde. En niant les problèmes coloniaux, les opportunistes, comme les social-démocrates, soutiennent en fait l'impérialisme. C'est la même attitude fondamentale qui explique leurs diatribes contre la « terreur rouge » et la « dictature » du parti, car ils n'ont pas mis du tout la même énergie à défendre le prolétariat russe contre la « terreur blanche » déclenchée par des « gouvernements » que soutenaient leurs frères social-démocrates. Après la faillite de la II° Internationale, la bourgeoisie conserve dans le mouvement ouvrier un bastion : « la prétendue Internationale syndicale » d'Amsterdam, devenu aujourd'hui l'ennemi numéro un des révolutionnaires dans le mouvement ouvrier.

En réalité, selon Zinoviev, les véritables divergences ne se situent pas autour des vingt et une conditions posées par l'Internationale communiste :

« Nous sommes en train de réaliser la scission, non parce que vous voulez, au lieu de vingt et une, dix-huit conditions, mais parce que nous sommes en désaccord sur la question de la révolution mondiale, de la démocratie et de la dictature du prolétariat »[749].

Ce congrès, dit Zinoviev, lui rappelle les congrès des social-démocrates russes de années qui suivaient 1905, dans lesquels s'affrontaient mencheviks et bolcheviks. Car c'est de cela qu'il s'agit : « communisme mondial ou réformisme ». Aux côtés de Hilferding se tiennent tous les chefs de file du réformisme, Kautsky et Dittmann, les anciens collaborateurs d'Ebert, et Salomon Grumbach, le social-chauvin français, Jules Martov, bien entendu, et les « mencheviks anglais », Henderson et MacDonald. A tous Zinoviev dit que la peur de la révolution est la seule motivation de leur politique, même quand ils tentent de le dissimuler derrière des phrases sur le « chaos » ou la « famine », et tout ce qui se passe, selon eux, en Russie. Crispien, en rendant compte du 2° congrès de l'Internationale, a dit qu'à son avis le mouvement socialiste se trouvait aujourd'hui dans la même situation que Marx et ses camarades en 1849, « comme si, précise Zinoviev la révolution mondiale ne pouvait plus se produire dans un avenir proche »[750].

La vérité est que la droite bâtit ses perspectives sur celle d'un développement pacifique, depuis longtemps dépassé. Elle ne croit pas à la révolution mondiale. Elle ironise sur le « fanatisme », la « naïveté », les « illusions » des révolutionnaires :

« Peut-on douter que, sans ce prétendu « fanatisme » des masses, la libération de la classe ouvrière serait du domaine de l'impossible ? »[751].

La vérité est autre. Le président de l'Internationale proclame : « Nous sommes en 1847 ! » La révolution frappe à la porte, aussi bien dans les Balkans qu'en Grande-Bretagne, mais particulièrement ici, en Allemagne. Dans toute l'Europe occidentale, la situation est objectivement révolutionnaire : l'unique rempart qui assure encore la défense de la bourgeoisie, c'est l'aristocratie ouvrière, avec ses « chefs » syndicaux et politiques qui paralysent la classe ouvrière de l'intérieur. C'est ce « fer de lance de la bourgeoisie » qu'il faut détruire aujourd'hui afin de pouvoir vaincre demain. L'acceptation par le congrès du parti social-démocrate indépendant des vingt et une conditions sera le premier pas vers la victoire de la révolution prolétarienne en Allemagne.

A Hilferding revient la lourde tâche de réfuter des arguments qui ont incontestablement porté sur le congrès. Théoricien subtil, le disciple de Kautsky n'est pas un tribun, et l'attaque dévastatrice de l'orateur bolchevique le contraint à la défensive. Pour combattre la conception d'une Internationale et de partis centralisés, il invoque l'autorité de Rosa Luxemburg et cite longuement sa polémique contre Lénine en 1904. Pour défendre la politique des indépendants en 1918-1920, il plaide en faveur du « réalisme », s'abrite même derrière Lénine pour qui « la république vaut mieux que la monarchie, et une république bourgeoise avec une assemblée constituante (...) mieux qu'une république sans assemblée constituante ». Pour lui, la politique préconisée par les bolcheviks est un « jeu de banco, un pari sur lequel on ne peut pas construire un parti »[752]. Il est faux de dire que les adversaires des vingt et une conditions sont les adversaires de la révolution prolétarienne ou même qu'ils nient la montée révolutionnaire actuelle. Il affirme :

« Il existe bien des tendances à un développement révolutionnaire dans l'Europe occidentale d'aujourd'hui, et il est de notre devoir de les diriger et de les conduire plus loin. Mais, camarades, le cours du développement révolutionnaire ne peut pas être déterminé de l'extérieur ; il dépend des rapports de forces économiques et sociale, entre les classes dans les pays donnés, et il est utopique de supposer qu'on puisse l'accélérer par quelque mot d'ordre, sous une impulsion externe[753]».

Il dénonce pour finir la politique de scission des communistes comme une catastrophe pour le mouvement ouvrier et l'Internationale centralisée comme une dangereuse utopie.

Les ténors ont parlé, les jeux sont faits. L'intervention de Martov, toute brûlante de la passion du vieux lutteur menchevique pour qui « les bolcheviks emploient tous les moyens, même les plus équivoques et les plus douteux afin de se maintenir au pouvoir »[754] et ne désirent une Internationale que pour pouvoir disposer d'un instrument docile, est trop « russe » pour convaincre les délégués. Celle de Lozovski, tout entière dirigée contre les « dirigeants jaunes » de l'Internationale syndicale d'Amsterdam, provoque les protestations indignées de Dissmann et de ses amis, inquiète certainement ceux qui, gagnés pour l'essentiel aux thèses communistes, demeurent attachés au principe de l'unité syndicale. Finalement, par 237 voix contre 156, le congrès vote l'acceptation des vingt et une conditions d'adhésion à l'Internationale communiste et le début des négociations pour la fusion avec le parti communiste allemand.

C'est la scission, immédiatement annoncée par les dirigeants de l'aile droite qui contestent le droit du congrès de mettre fin à l'existence du parti et décident de le continuer[755]. Mais, sur le moment, c'est avant tout un triomphe pour l'Internationale communiste, et même un triomphe personnel pour son président Zinoviev. Expulsé d'Allemagne, où il ne sera finalement resté que douze jours, il exulte dans le récit qu'il fait de son voyage :

« On peut le dire, on doit le dire, le prolétariat allemand s'est, le premier en Europe, tiré d'une crise sans précédent, et a resserré ses rangs. La vieille école l'a emporté. Le travail des meilleurs révolutionnaires allemands n'a pas été vain. Un grand parti communiste est né en Allemagne. Cela va entraîner des événements d'une signification historique sans précédent »[756].

Le président de l'Internationale souligne que les prolétaires constituent en Allemagne la majorité de la population et qu'ils sont mieux organisés que partout ailleurs. Jusqu'à maintenant, il manquait une orientation révolutionnaire aux masses ouvrières organisées qui n'ont pas une claire conscience de leurs buts. La cause en est dans l'existence de l' « aristocratie ouvrière »[757], ces 100 000 fonctionnaires syndicaux qui sont « la meilleure garde blanche du capital allemand »[758]. Il était nécessaire de les exclure pour pouvoir mener la lutte révolutionnaire :

« La scission était nécessaire, inévitable : elle s'est produite. Il nous reste à dire : mieux vaut tard que jamais! »[759].

Cette scission nécessaire ouvre en réalité la voie de la reconstruction de l'unité révolutionnaire : un parti communiste fort de 5 à 600 000 membres viendra à bout des chefs réactionnaires de l'aristocratie ouvrière[760]. Une page est tournée dans l'histoire de la classe ouvrière d'Europe.

La naissance du parti communiste unifié (V.K.P.D.)[modifier le wikicode]

Le parti communiste était prêt. Quelques semaines après le 2° congrès mondial, il avait modifié son titre, supprimé la référence, désormais historique, à Spartakus, et arboré le sous-titre de « section allemande de l'Internationale communiste ». Dans Die Rote Fahne Levi célèbre comme un événement naturel et nécessaire « la fin de l'U.S.P.D. ». Les ouvriers social-démocrates qui avaient au cours de la guerre, « cette première partie de la révolution », coupé les liens avec le vieux parti avaient entraîné avec eux une partie de ses dirigeants, pacifistes et socialistes conservateurs, pour qui « c'était l'alpha et l'oméga que de revenir au programme d'Erfurt, « la base » de l'unification de tous les socialistes » :

« C'est à Halle qu'a été définitivement enterré le programme d'Erfurt, avec sa démocratie formelle, ses « revendications immédiates », sa révolution comme perspective pour l'éternité, sa « stratégie de l'usure » et son réformisme, Il a fait son œuvre, Qu'il repose en paix ! »[761].

La minorité de l'U.S.P.D. qui demeure autour des dirigeants avec la plus grande partie de l'appareil, de la presse, des élus et, bien entendu, la caisse, a son avenir dans la social-démocratie majoritaire. Quant à la gauche, elle s'est ralliée au communisme et l'heure est venue du rassemblement des combattants révolutionnaires séparés depuis 1919. Levi écrit :

« Fin de l'U.S.P.D.! jubile le Vorwärts. Oui, l'U.S.P.D. est mort avec le programme d'Erfurt. Mais le communisme est là ! »[762].

Le 23 octobre, le comité central du K.P.D. (S) salue la rupture consommée à Halle entre la majorité du parti indépendant et sa minorité de droite, et se prononce pour la fusion la plus rapide possible des deux organisations révolutionnaires allemandes en un « parti communiste unifié »[763]. Le 24, la direction élue à Halle, les indépendants de gauche, lancent un appel au parti et aux militants. Rejetant sur la droite le « crime » d'avoir délibérément organisé la scission afin de briser le front du prolétariat, ils affirment : « Nous sommes le parti ! » et poursuivent néanmoins :

« La voie de l'unification du prolétariat révolutionnaire conscient, la voie de la construction d'une puissante section allemande de l'Internationale communiste est ouverte, et nous la suivrons »[764].

Le 27 octobre paraît le numéro 1 du quotidien Die Internationale, « organe de l'U.S.P.D. (gauche) ».

Mais l'exécutif continue à souhaiter une unification totale des forces révolutionnaires allemandes, c'est-à-dire du parti indépendant fidèle aux décisions prises à Halle et des deux partis communistes, K.P.D. (S.) et K.A.P.D. Il l'écrit dans une lettre adressée à ces trois organisations :

« Pratiquement, dans l'Europe entière, les forces de la classe ouvrière sont aujourd'hui si grandes que la victoire du prolétariat ne présenterait que peu de difficulté si la classe ouvrière était suffisamment préparée à remplir sa mission historique. Ce dont la classe ouvrière manque aujourd'hui, c'est d'une orientation théorique claire, de la conscience de ses propres buts, de la claire compréhension de sa voie révolutionnaire »[765].

L'obstacle principal qui se dressait en Allemagne sur la voie de cette prise de conscience, c'était, et c'est encore, les 100 000 fonctionnaires syndicaux permanents. En libérant le mouvement ouvrier de l'emprise de cette couche au service de la bourgeoisie, le congrès de Halle a « frayé la voie à la victoire de la révolution prolétarienne »[766].

Il est de ce point de vue significatif que le K.A.P.D. lui-même ait traduit dans ses prises de position l'énorme impression produite sur ses militants par les décisions et surtout les promesses de Halle. Au cours de son congrès, tenu du 1° au 4 août 1920, il avait finalement dû se résoudre à lever la principale hypothèque pesant jusque-là sur ses rapports avec l'exécutif en excluant de ses rangs Wolffheim et Laufenberg ainsi que leurs camarades partisans du national-bolchevisme[767]. La hargne antibolchevique et anti-Internationale d'Otto Rühle, revenu de Moscou en adversaire déterminé de l'adhésion à l'Internationale, en dénonciateur acharné de la « dictature de parti » à la russe et de « l'Internationale des chefs » avait regroupé contre la tendance qu'il animait avec Franz Pfemfert un courant ouvertement favorable à l'adhésion : une large majorité, inspirée essentiellement par Karl Schröder et le groupe de Berlin avait condamné comme une « lourde faute » le comportement de Merges et Rühle à Moscou et leur refus de participer au 2° congrès mondial. A la session de son comité central des 30 et 31 octobre et à la suite de discussions menées au début du mois avec Zinoviev, la majorité du K.A.P.D. fait un autre pas en avant : d'une part, elle exclut Rühle — comme le lui demandait depuis juillet l'exécutif — en l'accusant d'activité visant à détruire le parti, d'autre part, elle décide l'envoi à Moscou pour des négociations directes avec l'exécutif d'une délégation solide et représentative de la nouvelle majorité et de son orientation nouvelle : Karl Schröder, Hermann Gorter et Rasch partent à leur tour pour Moscou[768], ouvrant ainsi la perspective de la fin de la scission à gauche.

En attendant, la fusion se réalise en quelques semaines entre les indépendants de gauche et le parti communiste. Elle ne se produit certes pas dans les formes espérées par l'exécutif. Dans la bataille juridique qui suit le congrès, en effet, l'appareil indépendant, en d'autres termes, la droite, réussit à préserver l'essentiel de ses ressources matérielles, caisses, locaux, journaux. Lors du congrès de fusion en décembre, on estime en outre que, sur les 800 000 adhérents du parti social-démocrate indépendant à la veille de la scission[769], 400 000 environ ont rallié le parti unifié[770] : le reste s'est dispersé entre les individus et les groupes qui reviennent à la social-démocratie majoritaire, le parti-croupion resté autour de Crispien, dont l'appareil est désormais trop lourd pour les masses qui ont à le supporter[771] et ceux — plusieurs centaines de milliers — qui, brisés par la violence du conflit ou profondément déchirés, ont décidé d'abandonner tout militantisme politique.

A travers les congrès préparatoires qui se tiennent en novembre est progressivement mis en place le processus de fusion qui culminera dans le congrès d'unification du 4 au 7 décembre 1920. Ainsi se trouve réalisé le rassemblement en un seul parti des éléments révolutionnaires dont la division et la dispersion avaient été si cruellement ressenties en 1918-1919. Le congrès d'unification constitue le correctif du congrès de Gotha de 1917, la revanche de l'échec, en janvier 1919, des pourparlers entre spartakistes et délégués révolutionnaires de Berlin. Il semble qu'il permette de surmonter les conséquences de la fondation d'un parti communiste dans des conditions qui étaient, en janvier 1919, loin d'avoir été favorables. Au sein du nouveau parti unifié se retrouvent les hommes de la vieille garde des radicaux d'avant guerre, le noyau des fidèles de Rosa Luxemburg, mais aussi les social-démocrates de gauche de toujours, les Ernst Däumig, Friedrich Geyer, Adolf Hoffmann, Emil Eichhorn, dont Lénine disait qu'ils étaient « les anneaux vivants qui relient le parti aux larges masses ouvrières dont ils possèdent la confiance »[772]. Avec eux, les militants ouvriers, les cadres organisateurs de la classe, les dirigeants des grandes grèves de masses de Berlin pendant la guerre, les constructeurs des conseils ouvriers, le noyau des délégués révolutionnaires berlinois de la guerre et de la révolution, Richard Müller lui-même, et les Wegmann, Paul Eckert, Scholze, Heinrich Malzahn et Paul Neumann, dont Lénine dit que « ce sont des gens comme eux qui forment les larges colonnes aux rangs solides du prolétariat révolutionnaire », et que « c'est sur leur force indomptable que tout repose dans les usines et dans les syndicats »[773]. Tous ces hommes retrouvent la vieille garde spartakiste qui cohabite désormais, dans le nouveau parti, avec les militants de toutes les régions d'Allemagne qui ont, depuis 1917, dirigé les combats révolutionnaires, Erich Wollenberg, rescapé de l'armée rouge des conseils de Bavière, Hermann Remmele, le métallo de Mannheim, les frères Bernhard et Wilhelm Koenen, de Halle, le typographe saxon Paul Bottcher, Bernhard Düwell, de Zeitz, le docker Ernst Thaelmann, de Hambourg, le métallo de Remscheid Otto Brass, et Curt Geyer, l'ancien président du conseil ouvrier de Leipzig en 1919.

Ruth Fischer, parlant du congrès d'unification, écrit qu'il se tint « dans une atmosphère d'ambiguïté et d'obscurité »[774]. Elle estime que les ouvriers venus avec les indépendants de gauche toléraient les théoriciens spartakistes comme d'inévitables appendices de l'Internationale, et que, de l'autre côté, les intellectuels spartakistes se contentaient d'accueillir, au nom de la nécessité historique, un matériel humain longtemps convoité mais trop fruste à leur goût. Tableau d'un équilibre trop simpliste pour être vrai. Le maçon Brandler n'est pas moins représentatif des spartakistes que son ami le philosophe Thalheimer ; et l'universitaire Karl Korsch, l'historien de l'antiquité Arthur Rosenberg, sont des produits typiques du parti indépendant au même titre que le fruste « Teddy » Thaelmann, dont les fougueuses interventions déclenchent parfois l'hilarité. Le problème posé était celui d'une fusion rapide dans le cours d'un combat commun d'organisations qui s'étaient jusqu'alors battues séparément: toute construction d'un parti passe par de telles difficultés, ni plus ni moins considérables que les problèmes de générations ou de milieux professionnels différents.

Au sein de la nouvelle centrale, mixte[775], que complète un secrétariat, le congrès d'unification installait deux présidents. L'un était l'ancien indépendant Däumig, l'autre Levi, exigé par les indépendants[776]. L'homme qui s'était voulu le trait d'union entre Rosa Luxemburg et Lénine, le champion de la conquête des ouvriers révolutionnaires du parti indépendant au communisme, était effectivement le symbole de cette unification et sans doute sa meilleure chance. Malgré son désir, nettement exprimé, de se retirer de la vie politique active, il le comprit et accepta[777].

XXII. Une conception allemande du communisme : Paul Levi[modifier le wikicode]

Après le congrès de Halle, et pour la première fois depuis la fondation de l'Internationale communiste, un parti communiste de masse existe dans l'un des pays les plus avancés d'Europe, précisément dans cette Allemagne que les révolutionnaires considèrent toujours comme la plaque tournante de la révolution prolétarienne. Victoire de l'Internationale communiste, dont le prestige a joué un rôle capital, ou victoire personnelle de Paul Levi qui a, presque seul, imposé à un K.P.D. (S) réticent et à une Internationale sur ses gardes la poursuite jusqu'à son terme de cette bataille politique qu'il avait le premier entrevue et recherchée ? Le débat reste ouvert. Il nous semble pourtant nécessaire, à cette étape, de tenter de retracer la physionomie du premier parti communiste de masse telle qu'elle apparaît à travers les analyses de l'homme qui l'a conçu.

Le cadre : la révolution mondiale[modifier le wikicode]

Nulle part n'apparaît mieux qu'en Allemagne le lien privilégié qui unit la révolution russe et son parti bolchevique à la construction des autres partis communistes. Levi s'écrie, au congrès d'unification :

« Ce n'est pas un événement allemand. Il n'y a plus d'événement allemand dans la révolution mondiale. Ce à quoi nos assistons, c'est à la formation du premier membre important et constitué sur le plan de l'organisation de l'Internationale des opprimé, aux côté, de la Russie soviétique »[778].

Sur la route qui mène inéluctablement le monde du capitalisme au socialisme, les différents prolétariats nationaux n'avancent pas du même pas : le développement de la révolution mondiale est aussi inégal que celui du capitalisme, dont il n'épouse même pas la courbe. C'est ainsi que les Etats-Unis, pays le plus avancé du monde dans le cadre du capitalisme, en sont, sur le plan de l'organisation ouvrière, au stade le plus primitif, celui de l'organisation unique, « one big union » — celui-là même qui a fait faillite, un siècle plus tôt, à l'aube du développement prolétarien, en Grande-Bretagne, avec le chartisme. C'est ainsi également que le prolétariat allemand a vu réduire à néant en quelques années les efforts de deux générations de militants dans le domaine de l'éducation socialiste et de l'organisation politique. C'est ainsi enfin que le prolétariat russe, formé et organisé sous le talon de fer du tsarisme, îlot numériquement faible dans l'immense océan rural, a été le premier à poser le problème de l'avenir de l'humanité dans les termes de la révolution mondiale. Les échecs de la révolution allemande s'expliquent dans ce cadre:

« Le plus grand obstacle au développement des forces communistes en Europe occidentale n'a pas été la bourgeoisie, mais les organisations ouvrières, et tous les mouvements révolutionnaires jusqu'à ce jour se sont brisés contre ce rempart »[779].

Il importe donc de bien comprendre que, contrairement à ce qu'ont longtemps semblé croire les bolcheviks, la révolution allemande ne peut ni ne doit suivre le modèle russe de 1917 :

« Dans aucun pays d'Europe occidentale la révolution ne progressera au rythme rapide sur lequel elle s'est apparemment précipitée en Russie de février à novembre 1917 ; apparemment, parce qu'on était enclin à oublier que la révolution russe avait déjà fait ses classes dix ans auparavant, et qu'elle a pu mettre à profit pour le prolétariat l'enseignement reçu en 1905, 1906 et 1907, pendant dix années d'un travail méthodique. Et déjà, le seul fait que nous soyons entrés dans la révolution, en Allemagne et en Europe occidentale, sans parti communiste, le fait qu'il ait dû se former dans le cours même de la révolution, et que précisément pour cette raison les erreurs. les fautes, les imperfections et les demi-mesures du prolétariat aient été doublées et triplées pendant la révolution, tout cela exclut un cours aussi clair et aussi linéaire de la révolution en sept mois que celui que la révolution russe a suivi jusqu'en novembre 1917 et ensuite »[780].

Cela posé, la nécessité d'un parti communiste allemand se fait d'autant plus sentir. Pour Levi, le problème n'est pas en effet seulement celui de la révolution allemande, de la révolution en Allemagne, mais celui de la révolution mondiale en Allemagne. Il n'existe pas, à ses yeux, de secteurs dans le monde où la lutte des classes revêtirait des aspects et se fixerait des objectifs différents. La bourgeoisie allemande, le militarisme allemand, constituent pour lui une menace concrète pour l'ensemble de la révolution mondiale et l'Allemagne le champ de bataille sur lequel le prolétariat européen livrera la bataille décisive. Pour cette raison, le parti communiste allemand dont le rôle sera déterminant, a une importance particulière pour la révolution mondiale. Il est nécessaire que tous les partis de l'Internationale apprennent de lui, de son expérience et de ses fautes, et le critiquent, non en référence au modèle russe, mais par rapport à ses tâches concrètes actuelles, qui sont, non pas de commencer la révolution dans un pays arriéré à l'aide d'un parti fermement constitué, mais de l'étendre dans un pays hautement développé tout en construisant le parti révolutionnaire indispensable :

« Nous sommes aujourd'hui dans le cours non seulement d'une révolution allemande, mais dans celle de la révolution mondiale, et face à toute possibilité d'action, il ne faut jamais perdre de vue toute possibilité de réaction, non seulement sur place, mais encore pour la révolution mondiale »[781].

La conquête du prolétariat[modifier le wikicode]

La supériorité des communistes russes réside en ceci qu'ils ont réussi, entre février et octobre 1917, à gagner au communisme la majorité du prolétariat de Russie. S'il n'en a pas été de même en Allemagne, en 1918-1919, c'est parce que la révolution du 10 novembre constituait moins une victoire du prolétariat que la faillite de la bourgeoisie. Polémiquant tant contre Karl Radek que contre les gauchistes du K.A.P.D., Levi soutient en effet que la conscience de classe du prolétariat constitue la condition nécessaire de sa prise du pouvoir. C'est pour y parvenir que les communistes ont comme première grande tâche positive à accomplir l'organisation « du prolétariat en tant que classe au sein des conseils ». C'est la conquête de la majorité des travailleurs dans les soviets qui constitue le secret de la victoire des bolcheviks en Russie. Et, sous cet angle-là, leur victoire est exemplaire. Levi écrit déjà dans les thèses soumises au 2° congrès du K.P.D. (S) :

« Dès avant la conquête du pouvoir, il est de la plus extrême importance de renforcer les conseils existants et d'en créer de nouveaux. Ce faisant, il ne faut d'abord pas perdre de vue qu'on ne peut ni créer ni maintenir de conseils ni d'organismes de type conseils à coups de statuts, de règlements électoraux, etc. Ils ne doivent leur existence qu'à la volonté révolutionnaire et à l'action révolutionnaire des masses, et ils constituent pour le prolétariat l'expression idéologique et organisationnelle de sa volonté de pouvoir, exactement comme le Parlement est celle de la bourgeoisie. C'est également pourquoi les conseils ouvriers sont les porteurs tout désignés des actions révolutionnaires du prolétariat. A l'intérieur de ces conseils, les membres du parti communiste allemand doivent s'organiser en fraction afin d'élever par des mots d'ordre appropriés les conseils ouvriers à la hauteur de leur tâche révolutionnaire, et afin de prendre la direction des conseils et des masses ouvrières »[782].

L'expérience négative de la révolution allemande — le refus de siéger dans les conseils aux côtés des majoritaires, la tentative de forcer leurs décisions de l'extérieur, les tendances « putschistes » manifestées au cours des premiers mois de 1919 — viennent ainsi confirmer l'expérience positive de la révolution russe victorieuse. Car l'éducation révolutionnaire du prolétariat ne peut être l'œuvre que d'un parti révolutionnaire.

Levi et les communistes allemands pensent en 1920 que l'histoire a définitivement réglé la vieille polémique sur le parti entre Lénine et Rosa Luxemburg. Levi déclare :

« Il s'agit du vieux problème de la construction des partis socialistes. Je ne veux rien dissimuler. Il s'agit de nouveau de la vieille divergence entre Lénine et Rosa Luxemburg, la vieille divergence sur cette question : « Comment se constituent des partis social-démocrates (selon la terminologie de l'époque)? » Là-dessus, l'histoire a tranché. Lénine avait raison. On peut également former des partis socialistes et communistes par cette sélection ultra-rigoureuse. Dans une période d'illégalité, par la sélection la plus rigoureuse, et simplement par le processus mécanique d'addition d'un communiste à un autre, il a formé un bon parti, et peut-être, camarades, si nous avions devant nous une période de dix années d'illégalité, peut-être nous déciderions-nous à suivre cette voix »[783].

Tous pensent, du même coup, que l'histoire a également réglé la querelle de l'organisation et de la scission nécessaire entre opportunistes et révolutionnaires :

« Il n'est pas aujourd'hui en Allemagne un seul communiste qui ne regrette que la fondation d'un parti communiste n'ait pas été réalisée depuis longtemps, à l'époque de l'avant-guerre, que les communistes ne se soient pas regroupés, dès 1903, même sous la forme d'une petite secte, et qu'ils n'aient pas constitué un groupe, même réduit, mais qui aurait au moins exprimé la clarté »[784].

Mais il se refuse à tirer de cette constatation des considérations générales. La scission ne saurait être selon lui élevée à la hauteur d'un principe :

« Dans les époques révolutionnaires, où les masses évoluent rapidement dans une direction révolutionnaire, contrairement à celles où le processus de transformation est plus lent et plus pénible, il peut être avantageux pour des groupes d'opposition, radicaux ou communistes, de demeurer à l'intérieur des grands partis, pourvu qu'il leur soit possible de montrer à découvert leur visage de communistes, de procéder sans obstacle à leur agitation et à leur propagande »[785].

Pour Levi, marqué par la faillite de 1914, il ne faut jamais perdre de vue que le parti n'est en définitive rien de plus qu'un instrument historique pour trancher un combat de classe :

« La question n'est pas pour les communistes d'obtenir le parti le plus grand, mais le prolétariat le plus conscient. En ce sens, le parti n'est rien, la révolution et le prolétariat sont tout »[786].

Sur ce point, Levi se trouve en contradiction avec la majorité des militants qui constituent son nouveau parti. Pour eux, le parti est tout, parce qu'il est l'instrument de leur efficacité, l'irremplaçable outil qui peut leur donner la victoire.

L'atmosphère politique s'est profondément modifiée au sein de la classe ouvrière allemande depuis 1918, où l'exemple russe se traduisait par l'impact magique du mot « conseil ouvrier » et la recette de l'insurrection armée détruisant le vieil appareil d'Etat des classes dominantes. Les travailleurs allemands veulent disposer d'une force plus efficace que les conseils ouvriers impuissants de 1918 ; ils en attendent un changement radical de leurs conditions de vie qui ne leur paraît plus possible que par le recours à l'une des traditions les plus solides du mouvement ouvrier de leur pays : l'organisation, dont la planification est un synonyme. C'est à eux que Zinoviev s'adresse quand il écrit :

« Nous possédons une issue, un espoir. Nous allons à la suppression complète de l'argent. Nous payons les salaires en nature. Nous introduisons les trolleys sans billet. Nous avons des école, gratuites, des cantines gratuites, quand bien même elles sont provisoirement pauvres, des appartements sans loyer, l'éclairage gratuit. Nous avons réalisé tout cela très lentement, dans les conditions les plus difficiles. Nous avons dû combattre sans cesse, mais nous possédons une issue, un espoir, un plan »[787].

C'est là un langage clair pour les ouvriers indépendants qui rejoignent les spartakistes dans les rangs du parti unifié. En fait, le seul qu'ils soient prêts à entendre après ces années de dure déception, la découverte que la « spontanéité » et l'inorganisation ne sont génératrices que de défaites, la confirmation de la vanité des espérances électoralistes. La persistance, la continuité de la tradition ouvrière social-démocrate d'organisation contribuent, avec ces circonstances favorables, à faire du parti, de sa cohésion, de sa discipline, de son efficacité, de sa capacité à organiser et à concentrer les forces ouvrières, l'objectif essentiel des efforts des militants révolutionnaires, et à créer une atmosphère propice à la construction, dans le parti et pour lui, d'un solide appareil.

Le nouveau parti compte des centaines de milliers de membres, et ses dirigeants pensent même qu'il atteint ou dépasse le demi-million. Il possède trente-trois quotidiens, des journaux ou revues spécialisés, édite une « correspondance de presse », organise des écoles. Il dispose de ressources matérielles importantes, d'hommes de bonne volonté, d'une confiance que traduisent ses scores dans les consultations électorales, en général le quart des voix qui vont au vieux parti social-démocrate. Il se sent fort et il veut démultiplier sa force.

L'organisation qu'il se donne au lendemain de la fusion combine les traits traditionnels, « social-démocrates de la vieille époque » — la tradition de la « vieille école » qu'il revendique très haut —, avec les méthodes inspirées de celles du bolchevisme[788]. Elle est tout entière axée sur la nécessité de développer l'influence du communisme. L'un des premiers « départements » spécialisés créés auprès de la centrale est consacré au travail des militants communistes dans les syndicats : le Gewerkschaftsabteilung s'attelle à la « conquête des syndicats » sous la direction des métallos communistes, le noyau des anciens délégués révolutionnaires[789]. Un autre département est fondé qui s'occupe de la propagande et de l'organisation dans les régions rurales, quelque peu délaissées jusque-là. Des « spécialistes » envoyés par l'exécutif aident à la réorganisation — parfois l'organisation — rationnelle d'un appareil clandestin, et particulièrement celui qui se consacre aux questions militaires, le M.-Apparat, et aux renseignements, le N.-Apparat[790]. Des dizaines de militants deviennent « professionnels », que ce soit pour la presse ou les entreprises du parti — imprimeries ou maisons d'édition — ou dans son appareil de secrétaires, voire son appareil clandestin. Pour eux comme pour les autres militants, c'est le parti qui est tout, parce qu'il est l'irremplaçable instrument de la révolution à venir, et l'appareil est sa colonne vertébrale.

Le parti et l'Internationale[modifier le wikicode]

Le parti unifié est né sous l'égide de l'Internationale, et Paul Levi le souligne. Pour lui, l'Internationale communiste n'existe que depuis 1920. Sa proclamation, en 1919, n'avait été, en quelque sorte, qu'une expression de la solidarité du prolétariat international avec la révolution et la Russie soviétique ; c'est seulement à son 2° congrès, en 1920, qu'en se donnant des statuts elle s'est véritablement organisée, comme il dit, en « parti des partis, c'est-à-dire en parti qui embrasse et réunit en lui les partis communistes du monde »[791]. Contrairement à Rosa Luxemburg en 1918, les dirigeants du parti communiste unifié ne sont pas embarrassés par le fait que la constitution de l'Internationale, d'abord, l'unification des communistes allemands ensuite, aient dû l'une et l'autre passer à la fois par Moscou et les dirigeants de la Russie soviétique : l'histoire est à leurs yeux un processus dialectique, et c'est désormais par l'intermédiaire de l'Internationale ainsi fondée que le prolétariat mondial parviendra à assimiler l'expérience acquise depuis la révolution russe par les différents partis, notamment le leur, parviendra à cette homogénéisation sans laquelle il n'est pas d'organisation internationale. Paul Levi dit à ce sujet :

« Nous pensons que les Allemands ne sont pas un peuple élu, ni pour le bien, ni pour le mal, et nous croyons que les expériences que nous avons faites en Allemagne seront faites également par les autres partis occidentaux. Les mêmes conflits qu'en Allemagne, exactement les mêmes, se reproduiront en France, en Grande-Bretagne et partout. Peut-être ne prendront-ils pas un tour aussi aigu à cause du prix dont nous avons, nous, payé cet apprentissage »[792].

C'est également sans aucune gêne apparemment que Levi, au lendemain du 2° congrès de l'Internationale communiste, critique ouvertement certaines initiatives de son comité exécutif notoirement inspirées et soutenues par les dirigeants du parti russe. Au cours du congrès, les représentants allemands ont énergiquement protesté contre la proposition, avancée par les Russes et adoptée par l'exécutif, d'admettre comme invitées et à titre d'organisations « sympathisantes » des organisations de type anarcho-syndicalistes. Levi le dit :

« Instruits par l'expérience, nous avons combattu l'idée d'admettre dans l'Internationale communiste des éléments qui ne soient pas strictement communistes. (...) Guidés par cette idée, nous avons dit que nous ne laisserions pas obscurcir la ligne claire et unitaire et les limpides idées du communisme par quelques concessions que ce soit aux Russes »[793].

Il admet d'ailleurs le danger qui naît, pour l'Internationale, du rôle prééminent joué par le parti au pouvoir en Russie. Il déclare sur ce point :

« Les camarades russes sont pouvoir d'Etat et organisation de masse. En tant que pouvoir d'Etat, ils ont à entreprendre en direction de la bourgeoisie des démarches qu'en tant que parti ils ne sauraient entreprendre par égard pour les masses prolétariennes. (...) On peut, bien entendu, concevoir théoriquement qu'il existe là un risque, celui que, si le lien entre l'Internationale communiste et le pouvoir d'Etat devenait très étroit, elle n'agisse plus elle-même en tant que parti ou superparti, pourrait-on dire, uniquement inspiré par le point de vue du communisme, mais qu'elle se place sur le terrain du jeu diplomatique entre les forces bourgeoises dont les bolcheviks doivent tenir compte, non en tant que parti, mais en tant qu'appareil d'Etat. (...) C'est un risque théoriquement concevable, mais dont je ne puis imaginer qu'il puisse devenir réel. Et, à mon sentiment, il n'est pas possible qu'il devienne réel, en raison de l'identité qui existe entre les intérêts de l'Internationale communiste, d'une part, et ceux de la République soviétique en tant qu'Etat politique, de l'autre, parce que l'identité entre les deux, de manière générale, et trop grande pour qu'une différence d'intérêt puisse se faire jour »[794].

Les résultats du 2° congrès de l'Internationale communiste donnent du reste satisfaction aux dirigeants communistes allemands et en particulier à Levi sur des points qui ont été au centre des débats internes puis externes avec les gauchistes du mouvement communiste allemand. La condamnation par le congrès des partisans — notamment le P.C. autrichien — du boycottage des élections parlementaires, son affirmation que les communistes doivent militer à l'intérieur des syndicats réformistes pour y disputer aux dirigeants opportunistes la confiance des travailleurs, leur paraissent une confirmation de leurs propres positions passées, parfois vivement critiquées, à l'époque, dans les milieux dirigeants de l'Internationale. On comprend pourquoi le discours de Levi, lors du congrès d'unification des communistes allemands, revêt par moments des accents d'allégresse : sur le plan du programme, l'Internationale communiste est fondée sur la conception du communisme qu'il a défendue pendant ces deux années et, sur celui de l'organisation, le parti communiste allemand (Ligue Spartakus), devenu parti communiste allemand unifié (V.K.P.D.), est désormais un parti de masses qui peut prétendre gagner au communisme la majorité des travailleurs allemands.

Il reste que les rapports entre la direction allemande, en particulier Paul Levi, et l'exécutif de l'Internationale sont loin d'être définitivement clarifiés. L'homme qui projette, à travers l'Internationale qu'il préside, les expériences et les objectifs du parti russe, considère en effet d'un tout autre œil que Levi les problèmes de la lutte de classe en Allemagne. Marqué par l'expérience des trois années écoulées de révolution et de guerre civile en Russie, Zinoviev écrit dans le premier numéro de la Kommunistische Rundschau :

« Tous les travailleurs conscients doivent comprendre que la dictature de la classe ouvrière ne peut se réaliser qu'à travers la dictature de son avant-garde, c'est-à-dite de son parti communiste. (...) Nous n'avons pas besoin simplement d'un parti communiste, il nous faut un parti communiste fortement centralisé, avec une discipline de fer et une organisation militaire »[795].

Le conflit était inévitable entre cette conception et celle que Levi développait pour renouer avec la tradition allemande.

XXIII. Les débuts du parti unifié[modifier le wikicode]

L'année 1920 marque à la fois la fin de la guerre civile et la constitution en Allemagne d'un parti communiste de masse. Mais l'année 1921 est pour le communisme mondial celle de l'insurrection de Cronstadt, de la première crise grave à l'intérieur de la révolution, celle du tournant, l'abandon du communisme de guerre, l'adoption de la Nep. Depuis la fin de la guerre civile à l'automne, les communistes russes sont plongés dans leurs dissensions, la discussion syndicale au cours de laquelle s'exprime le désarroi d'hommes voyant sous leurs yeux se décomposer le pays qui, pendant deux ans, a été le champ d'une féroce bataille. Fascinés par leurs propres problèmes, ils ne comprendront pas sur le moment que la situation internationale s'est, elle aussi, modifiée ; le temps est révolu des assauts convulsifs d'un prolétariat enragé de souffrance qui sent le pouvoir à portée de ses mains ; il faut admettre que le capitalisme s'est « stabilisé », qu'il a survécu à la crise révolutionnaire d'après guerre et qu'il s'est découvert de nouvelles ressources, une nouvelle capacité de durer.

La prise de conscience de ces conditions nouvelles, leur acceptation, ne se font pas en une fois, mais par à-coups : elles constituent l'enjeu de luttes passionnées. La révolte contre la réalité qui dissipe les « illusions de l'enfance », selon le mot de Boukharine[796], prend des formes tragiquement puériles : des militants, des dirigeants communistes cherchent à forcer les ouvriers au combat, brisent, dans leur impatience, la mécanique parce qu'elle ne fonctionne plus comme autrefois, agissent comme si incantations et imprécations suffisaient à produire des miracles, comme s'il suffisait de vouloir la révolution pour quelle soit ...

Les perspectives concrètes de 1920[modifier le wikicode]

Résumant, au début de 1921, dans un débat à huis clos, les problèmes politiques posés au cours de l'année 1920, Radek devait décrire en ces termes les grandes espérances de cet été l'exaltation :

« Pendant la guerre contre la Pologne, l'exécutif croyait que les mouvements révolutionnaires étaient en train de mûrir en Europe occidentale, que, dans la marche vers l'ouest, le but n'était pas d'imposer le bolchevisme à la pointe des baïonnettes, mais seulement de briser la croûte de la puissance militaire des classes dirigeantes, dans la mesure où il existait déjà des forces internes suffisantes déclenchées en Allemagne pour conserver le contrôle de tout. La seconde pierre angulaire de la politique de l'exécutif était son appréciation de la situation allemande concrète. L'exécutif pensait qu'en Allemagne les choses étaient déjà en train de mûrir pour la prise du pouvoir politique. Nous pensions que, si nous tenions Varsovie, il ne serait pas nécessaire de poursuivre juqu'au bout notre avance vers l'Allemagne »[797].

Le « schéma allemand » n'était pourtant pas le seul. Radek précise :

« Il y avait une autre école de pensée dans le comité exécutif, celle qu'on appelle la tendance du Sud-Est, qui soutenait qu'il fallait tenter la percée non en Allemagne, mais quelque part ailleurs, dans les pays à la structure agraire explosive, Galicie orientale, Roumanie, Hongrie, et qui était convaincue que, si nous étions arrivés à la Drave et la Save, la révolution serait accélérée dans les Etats balkaniques et serait créé l'arrière-pays agricole nécessaire pour la révolution italienne. Car la création d'un arrière-pays agricole est aussi cruciale pour la révolution italienne que pour la révolution allemande »[798].

Cependant, la masse des militants, et sans doute des cadres, était restée très en dessous de ces nuances et avait cru en la proche victoire de la révolution en Europe.

Le tournant objectif de 1920[modifier le wikicode]

C'est au mois de juillet 1921 que l'Internationale communiste opère le tournant que lui dicte la reconnaissance d'une situation nouvelle où la prise du pouvoir n'est pas à l'ordre du jour immédiat. Mais la nouvelle situation a pris forme dès 1920. L'offensive de l'été menée par l'armée rouge de Toukhatchevski n'a été qu'un mirage. Sa foudroyante contre-attaque avait sonné pour la plupart des communistes le glas du capitalisme en Europe, le tocsin de l'insurrection, et Boukharine, dans un article retentissant pour une « politique d'offensive révolutionnaire », avait soutenu qu'on pouvait et devait exporter la révolution à la pointe des baïonnettes[799]. Un « gouvernement provisoire » formé de vétérans communistes polonais attendait, prêt à se mettre à la tête des prolétaires polonais, dont le soulèvement était attendu à l'arrivée de leurs « libérateurs ».

Les délégués du 2° congrès mondial de l'Internationale avaient partagé ces espoirs. On y considérait d'un œil soupçonneux Levi qui demeurait sceptique quant au désir des ouvriers allemands de se soulever à l'arrivée des cavaliers de Boudienny. Le passé récent revêtait à la lumière des opérations militaires des couleurs nouvelles riches de promesses : Jean Brécot — pseudonyme de Gaston Monmousseau — écrivait que la grève des cheminots français au mois de mai avait marqué « le réveil de la conscience prolétarienne» en France, « le premier pas du prolétariat français vers l'action révolutionnaire internationale »[800].

D'ailleurs le mouvement révolutionnaire semblait s'étendre bien au-delà des frontières de la vieille Europe, dont l'encerclement et les contradictions internes annonçaient l'irrémédiable transformation. Le 1° septembre s'était tenu à Bakou le premier « congrès des peuples de l'Orient » ; des délégués indiens, chinois, turcs, iraniens, kurdes, acclamaient la révolution mondiale contre l'impérialisme dont Zinoviev, flanqué de Radek et de Béla Kun, leur montrait le chemin. L'Internationale s'étendait au Proche et à l'Extrême-Orient.

Pendant que Zinoviev écourtait en Allemagne sa tournée triomphale, les événements semblaient se précipiter. Au début de septembre 1920, le prolétariat de l'Italie du Nord avait déclenché le grand mouvement d'occupation des usines sous la direction de ses conseils de fabrique et l'inspiration du petit noyau des communistes turinois groupés autour de l'Ordine Nuovo et d'Antonio Gramsci. De grands combats de classe s'annonçaient en Tchécoslovaquie, où l'Etat prenait la défense des vieux dirigeants de la social-démocratie contre les communistes qui voulaient leur arracher le contrôle du parti. L'adhésion à l'Internationale des indépendants allemands, celle, probable et proche, de la majorité du parti socialiste français, paraissaient démontrer le caractère irrésistible de l'élan qui, dans tous les pays, transportait vers la III° Internationale et son programme de révolution prolétarienne les masses ouvrières.

Or le bilan de l'année 1920 se révélait bientôt négatif. Les adversaires de la marche sur Varsovie, Trotsky, Radek, et une partie des communistes polonais, sceptiques quant aux possibilités de l'exportation de la révolution les armes à la main, avaient eu raison contre Lénine. Non seulement les ouvriers et les paysans pauvres polonais ne s'étaient pas soulevés, mais encore ils avaient lutté, derrière leurs généraux et leurs magnats, avec les conseillers de l'Entente, pour leur « indépendance », contre les soldats rouges. L'avance victorieuse de l'armée rouge avait fait place à une retraite précipitée, laquelle avait conduit à l'armistice. Le « comité d'action » contre l'intervention en Pologne, en qui Lénine avait salué « le soviet de Londres » n'avait pas survécu à la fin des combats. La grève des cheminots français n'avait été que le sommet de la vague. En Italie, le refus des éléments social-démocrates de droite et des dirigeants syndicaux de s'engager dans la bataille provoquait chez les travailleurs scepticisme et découragement, le début d'un reflux sur lequel le fascisme commençait à mordre, fort de la grande peur de la bourgeoisie. Les grévistes de Tchécoslovaquie étaient battus en décembre les armes à la main.

Lénine notait dès décembre le « ralentissement du rythme » de la révolution européenne[801]. Mais Zinoviev écrivait aux socialistes italiens que la révolution prolétarienne frappait à leur porte[802]. Peut-être était-il convaincu que seule une victoire révolutionnaire de l'Internationale pourrait faire faire à la Russie l'économie d'un tournant en préparation, qu'il n'acceptait qu'à contre-cœur après l'avoir vigoureusement combattu dans les discussions au bureau politique[803]. Il appliquait en tout cas, ce faisant, les résolutions du 2° congrès de l'Internationale. Autour de lui, l'appareil de celle-ci, les hommes de l'exécutif, rescapés de la révolution hongroise, émigrés rouges de Moscou, plénipotentiaires à l'expérience courte, mais à l'autorité considérable, demeuraient convaincus que rien d'essentiel ne s'était produit depuis août 1920 et surtout que la tâche des partis communistes qu'ils avaient pour mission d'aider à se transformer, de social-démocrates de gauche qu'ils étaient, en bolcheviks authentiques, était plus que jamais de travailler à accélérer une révolution qui grondait.

Tension entre Levi et l'exécutif[modifier le wikicode]

Des désaccords sur l'appréciation de la situation internationale sous-tendaient les réticences de Levi au cours du 2° congrès de l'Internationale, tant au sujet des conditions d'admission que des tâches immédiates des partis communistes. De ce point de vue, il avait incontestablement eu raison contre Lénine. Mais il n'était pas besoin de ce motif supplémentaire pour nourrir la méfiance à son égard des membres russes de l'exécutif. Meyer s'en explique sans ambages devant le congrès du K.P.D. : les dirigeants russes — Zinoviev en particulier — ressentent comme une véritable défiance à leur égard la « réserve » des Allemands. Ils redoutent — sans doute à la suite de Radek — que l'antiputschisme de Levi et de la centrale ne se soit transformé en hostilité et en résistance à toute action. C'est pourquoi ils désirent, maintenant plus qu'auparavant, la fusion avec le K.A.P.D. qui permettrait selon eux « d'ajouter ainsi à la ligne sûre et correcte du parti allemand un peu de l'élan révolutionnaire qui (…) se trouve dans une proportion plus importante au sein du K.A.P.D. »[804].

Les adversaires de Levi le guettent au tournant sur cette question du K.A.P.D. Dès septembre 1920, Maslow, un jeune intellectuel d'origine russe qui s'efforce de reconstruire une tendance « gauche » à Berlin dans le K.P.D., pose dans Kommunismus la question de l'unification des forces prolétariennes en Allemagne sous cet angle, critique explicite de l'attitude de Levi[805]. Quelques semaines plus tard, dans la même revue, le Hongrois Lukacs souligne les dangers que comporte pour la révolution allemande l'unification entre communistes et indépendants, sans le K.A.P.D. Affirmant que « l'organisation révolutionnaire des masses n'est possible que dans le cours de la révolution elle-même », il se demande si les dirigeants du nouveau parti unifié ont réellement la volonté de réaliser la mobilisation révolutionnaire du prolétariat allemand[806]. Ces attaques ouvertes coïncident avec les efforts de Radek en direction d'indépendants de gauche comme Curt Geyer ou Herzog pour assurer à l'exécutif d'éventuels points d'appui dans une lutte contre Levi, présenté comme « opportuniste » et « communiste de droite »[807]. Au cours d'une session de l'exécutif de l'Internationale, le parti allemand est vivement critiqué pour n'avoir pas cherché à élargir et généraliser la grève des ouvriers électriciens de Berlin que dirigeait l'un des siens, Wilhelm Sült[808]. Au congrès du K.P.D. précédant l'unification, un vif incident éclate, Radek accusant Levi de « ne rien vouloir faire d'autre que de former des communistes jusqu'à ce que le parti ait des cheveux blancs sur sa tête super-intelligente »[809]. Urbahns, délégué de Hambourg, présente une résolution qui critique l'activité du groupe parlementaire, évidemment dirigée contre Levi[810]. Elle est repoussée, mais, au congrès d'unification, le projet de manifeste rédigé par Levi et approuvé par la centrale provisoire est écarté dans des conditions obscures[811] au profit d'un texte de Radek introduit au dernier moment, qui affirme notamment :

« Alors qu'un parti qui n'a que l'audience de dizaines de milliers d'hommes recrute ses adhérents avant tout par la propagande, un parti dont l'organisation regroupe des centaines de milliers et qui a l'audience de millions doit recruter avant tout par l'action. Le V.K.P.D. a suffisamment de force pour passer tout seul à l'action là où les événements le permettent et l'exigent »[812].

De son côté, Levi, dans l'article qu'il consacre au congrès d'unification, maintient son point de vue en écrivant :

« L'instauration du communisme par la voie de la dictature prolétarienne est la plus grande tâche qui ait jamais incombé dans l'histoire à une classe. Elle ne peut être celle d'une petite partie de cette classe ou d'un seul parti, isolé, elle ne peut être que celle des larges masses du prolétariat, de la classe en tant que telle. Les communistes, en tant que fraction la plus avancée du prolétariat, n'ont pas seulement à diriger et à formuler le plus nettement possible les lutte, contre la bourgeoisie, ils doivent aussi avoir conscience qu'ils ne constituent qu'une fraction de la classe prolétarienne. (...) La tâche des communistes (...) est de conquérir les cœurs et les cerveaux de la classe prolétarienne et de tous ses organes, qui, aujourd'hui, retiennent à la bourgeoisie des fractions de la classe ouvrière »[813].

Cette polémique indirecte et feutrée va bientôt tourner à la crise ouverte.

L'admission du K.A.P.D. comme « parti sympathisant »[modifier le wikicode]

Depuis Halle — occasion de discussion entre Zinoviev et les dirigeants berlinois du K.A.P.D. —, les relations ont repris, nettement améliorées, entre l'exécutif et le parti gauchiste allemand. Du côté du K.A.P.D., on croit possible, avec Gorter, une entrée au sein de l'Internationale qui permettrait au K.A.P.D. d'y constituer, contre la tendance « révolutionnaire-opportuniste » prédominante, une tendance « révolutionnaire-marxiste »[814]. L'objet de la mission des trois délégués du K.A.P.D., qui se rendent illégalement en Russie en novembre, est d'obtenir pour leur parti le statut de parti sympathisant, lequel leur procurerait aide matérielle et contacts internationaux sans pour autant les obliger à une révision de leur programme[815].

Schröder, Rasch et Gorter ont à Moscou plusieurs discussions avec Lénine, Zinoviev, Trotsky, Boukharine, et prennent part à deux sessions de l'exécutif, élargi pour la circonstance. Le 24 novembre, c'est Gorter qui présente le rapport[816], et Trotsky, au nom de l'exécutif, le contre-rapport, véritable réquisitoire. Pour lui, l'attitude des gauchistes n'est pas seulement « puérile », mais aussi « provinciale », « idéaliste », « pessimiste », reflétant leur propre impuissance, particulièrement celle des communistes hollandais, réduits depuis des années à l'état de secte. Les gauchistes en général et Gorter en particulier confondent la minorité — aristocratie et bureaucratie ouvrière, notamment dans les syndicats — avec la majorité, les millions de prolétaires prisonniers des appareils qu'ils prétendent « embourgeoisés » mais qu'en réalité ils se refusent à émanciper. Les communistes doivent savoir « percer la croûte » : si la classe ouvrière occidentale était réellement embourgeoisée, cela signifierait la fin des espoirs des révolutionnaires. Gorter, après Pannekoek, reprend la démarche intellectuelle de Bernstein scrutant la situation mondiale à l'intérieur des pays avancés sans tenir compte de la situation mondiale. Affirmer, comme il le fait, que le prolétariat anglais est « isolé », c'est négliger le fait que la révolution mondiale revêt le double caractère de révolution prolétarienne en Occident, agraire et nationale en Orient. La révolution dans un seul pays n'est pas concevable sur une longue course et c'est de la révolution mondiale qu'il s'agit. Trotsky conclut en affirmant une fois de plus, contre Gorter, que l'expérience bolchevique du parti de masse doit être complètement assimilée dans le mouvement communiste mondial sur la base d'une analyse au plan mondial[817].

A une écrasante majorité, au terme de cette discussion, l'exécutif décide l'admission à titre provisoire du K.A.P.D. comme « parti sympathisant » avec « voix consultative » au sein de l'Internationale. Zinoviev, dans son discours de clôture, souligne :

« Il n'y a en toute logique que deux issues à cette situation. A la longue, il est impossible d'avoir deux partis dans un seul pays. Ou bien le K.A.P.D. se transformera réellement en un parti communiste d'Allemagne, ou bien il cessera de faire parti des nôtres même comme sympathisant seulement »[818].

La résolution d'admission ouvre la perspective de la conquête des « meilleurs éléments du K.A.P.D. », réaffirme la fausseté des positions « kapistes » sur les parlements et les syndicats, et la nécessité de la fusion du K.A.P.D. avec le futur parti unifié[819]. Le K.A.P.D., dont le 3° congrès, en février 1921, approuvera l'admission comme « parti sympathisant », appelle cependant, dès la session de décembre de son comité central, à une « lutte irréconciliable contre toute forme d'opportunisme» dans l'Internationale, mais accepte évidemment l'aide financière importante offerte par le comité exécutif et la constitution d'un « collectif d'action » avec le K.P.D.[820].

Or ce dernier réagit vivement, malgré le télégramme de l'exécutif qui lui promet que des explications publiques vont être données à la classe ouvrière allemande sur les raisons de cette admission[821]. La centrale est unanime à protester, et Levi écrit en son nom dans Die Rote Fahne un article intitulé : « Une Situation intenable »[822] évoquant l'attitude du K.A.P.D. vis-à-vis des syndicats, il affirme :

« La situation désormais créée par le comité exécutif de l'Internationale communiste n'est tolérable ni pour nous ni pour le K.A.P.D.. et, pour l'Internationale communiste, elle est au plus haut point funeste. (...)

Nous sommes pour une discipline internationale rigoureuse et pour que l'exécutif dispose de tous les pouvoirs que lui confèrent les statuts de l'Internationale communiste. Mais aucune des dispositions des statuts de l'Internationale communiste ne nous oblige à reconnaître comme des coups de génie toutes les décisions de l'exécutif de l'Internationale communiste, et nous disons ouvertement : la décision concernant le K.A.P.D. n'a pas été un coup de génie, mais bien le contraire »[823].

Radek, à son tour, réplique vertement, avec une perfide allusion à « la vieille aversion social-démocrate, profondément enracinée, contre les travailleurs qui ne sont pas tout à fait clairement révolutionnaire »[824].

Levi tente alors de porter le débat au niveau de ce qu'il appelle les « questions de tactique ». Au centre de sa démonstration, il place l'idée que le passage de la propagande à l'action, rendu possible par l'unification, doit se dérouler en Allemagne selon une ligne et en fonction de conditions que la révolution russe n'a pas connues. Le parti est certes un parti de masses, mais « ce fait à lui seul ne lui permet pas pour autant de disposer souverainement, et sans égard pour d'autres couches prolétariennes, du destin de la révolution allemande ». Il doit donc s'efforcer de gagner les masses non seulement par la propagande, mais en les entraînant dans des actions qui leur permettent de « saisir dans la lutte leur intérêt ». C'est cela même que les bolcheviks ont réalisé dans les soviets en 1917 ; faute de conseils, les communistes allemands doivent y parvenir par le travail au sein des syndicats, où se trouvent rassemblés la grande masse des travailleurs :

« II n'est absolument pas correct de traiter les masses prolétariennes qui sont encore aujourd'hui à notre droite avec moins d'application et de patience que nous n'en avons pour les camarades prolétaires de notre classe qui croient être à notre gauche »[825].

L'essentiel, pour le parti communiste allemand, est, selon Levi, d'entraîner les masses dans des actions communes sans renoncer à rien de ce qui compose le visage d'un communiste, mais sans non plus effrayer inutilement — notamment par des alliances avec des éléments anarchisants — ces masses prolétariennes à la droite du parti qui constituent son champ de recrutement.

La « lettre ouverte »[modifier le wikicode]

La première initiative importante dans le sens de la politique esquissée par Levi va venir de la base[826]. A Stuttgart, le parti communiste a conquis de solides positions dans le syndicat des métallos, que préside l'un des siens, Melcher, et dans le cartel local. Sensibles aux revendications qui se font jour dans les rangs des travailleurs non communistes et surtout leur aspiration à l'unité, ils font prendre aux organismes syndicaux qu'ils animent l'initiative de demander aux directions nationales du D.M.V. et de l'A.D.G.B. d'entreprendre immédiatement une lutte d'ensemble pour l'amélioration concrète du sort des travailleurs. Après une assemblée au cours de laquelle Melcher et ses camarades réussissent à mettre en minorité Robert Dissmann en personne, ils réclament, au nom des 26 000 métallos syndiqués de Stuttgart, l'organisation, dans l'unité, d'un combat de classe pour les cinq revendications ouvrières qu'ils jugent essentielles : baisse des prix des produits alimentaires, inventaire de la production et augmentation des allocations de chômage, diminution des impôts sur les salaires et imposition des grosses fortunes, contrôle par les ouvriers des fournitures de matières premières et de ravitaillement, ainsi que de leur répartition, désarmement des bandes réactionnaires et armement du prolétariat. La centrale, qui approuve cette initiative, publie l'appel des métallos de Stuttgart[827] et incite en outre à l'organisation, dans toutes les localités et entreprises, d'assemblées ouvrières qui auraient à formuler ainsi les revendications communes et à décider des moyens à engager pour les arracher.

Une nouvelle tactique prend forme, dont les linéaments se cherchaient depuis 1919 dans les écrits de Levi, Brandler, Radek Thalheimer. Radek pense qu'il faut reprendre au compte du parti cette initiative des métallos de Stuttgart[828]. Levi est immédiatement convaincu, mais la centrale manifeste beaucoup de réticences[829]. Pourtant, comme les secrétaires de district, consultés, sont unanimement favorables à ce projet[830], la centrale, le 7 janvier, adopte le texte d'une « lettre ouverte » qu'elle va adresser à toutes les organisations ouvrières, partis et syndicats, où elle leur propose d'organiser en commun une action sur des points précis à propos desquels l'accord est possible entre elles. La lettre ouverte, publiée le 8 janvier 1921, mentionne la défense du niveau de vie des travailleurs, l'organisation de l'autodéfense ouvrière armée contre les groupes de droite, la campagne pour la libération des détenus politiques ouvriers, la reprise des relations commerciales avec la Russie soviétique. Elle précise :

« En proposant cette base d'action, nous ne dissimulons pas un instant, ni à nous-mêmes ni aux masses, que les revendications que nous avons énumérées ne peuvent venir à bout de leur misère. Sans renoncer, fût-ce un instant, à continuer de propager dans les masses ouvrières l'idée de la lutte pour la dictature, unique voie de salut. sans renoncer à appeler et à diriger les masses dans la lutte pour la dictature à chaque moment propice, le parti communiste allemand unifié est prêt à l'action commune avec les partis qui s'appuient sur le prolétariat pour réaliser les revendications mentionnées plus haut.

Nous ne dissimulons pas ce qui nous sépare des autres partie et qui nous oppose à eux. Au contraire, nous déclarons : nous ne voulons pas, de la part des organisations auxquelles nous nous adressons, une adhésion du bout des lèvres aux bases de l'action que nous proposons, mais l'action pour les revendications que nous avons énumérées.

Nous leur demandons : êtes-vous prêts à entamer sans délai, en commun avec nous, la lutte la plus impitoyable pour ces revendications ?

A cette question claire et sans ambiguïté, nous attendons une réponse tout aussi claire et sans équivoque : la situation exige une réponse rapide. C'esr pourquoi nous attendrons une réponse jusqu'au 13 janvier 1921.

Si les partis et syndicats auxquels nous nous adressons devaient se refuser à entamer la lutte, le parti communiste allemand unifié s'estimerait alors contraint de la mener seul, et il est convaincu que les masses le suivraient. Dès aujourd'hui, le parti communiste allemand unifié s'adresse à toutes les organisations prolétariennes du Reich et aux masses groupées autour d'elles en les appelant à proclamer dans des assemblées leur volonté de se défendre ensemble contre le capitalisme et la réaction, de défendre en commun leurs intérêts »[831].

Que cette lettre ait été rédigé par Levi seul ou en collaboration avec Radek, ou par Radek, avec ou sans la collaboration de Levi, il est certain qu'elle exprime la ligne politique défendue par Levi depuis plusieurs mois. De son côté, Radek, qui rédige, pour Die Internationale, sous le pseudonyme de Paul Bremer, un article sur « La Construction du front unique prolétarien de lutte »[832], la défend avec énergie et conviction. Il la justifie par l'analyse de la conjoncture politique générale :

« Les ouvriers social-démocrates sont pleins d'illusions démocratiques. Ils espèrent encore pouvoir améliorer leur situation dans le cadre de la société capitaliste et considèrent les communistes comme des scissionnistes conscients du mouvement ouvrier. Si les communistes, disent-ils, n'avaient pas organisé la scission de la classe ouvrière, et si le prolétariat était resté uni, il aurait eu la majorité au Reichstag et tout aurait bien marché. (...) Il est clair que, dans cette situation, nous ne pouvons compter sur des mouvements spontanés et non organisés en Allemagne, à moins que les masses ne soient remuées par des événements extérieurs. Dix millions d'ouvriers sont membres des syndicats. Ils ont les yeux fixés sur leurs chefs et attendent des mots d'ordre. (...) La stratégie communiste doit être de convaincre ces larges masses de travailleurs que la bureaucratie syndicale et le parti social-démocrate, non seulement refusent de lutter pour une dictature ouvrière, mais encore ne luttent pas pour les intérêts quotidiens les plus fondamentaux de la classe ouvrière »[833].

Partis et syndicats refusent de répondre ou opposent une fin de non-recevoir. Mais l'écho rencontré — quoi qu'en aient dit les historiens occidentaux — est grand, tant du côté des ouvriers que de la bureaucratie syndicale. L'exécutif de l'A.D.G.B. accuse les communistes de chercher, par des initiatives fractionnelles et antisyndicales, à « détruire les syndicats »[834] et menace d'exclusion les organisations locales qui reprendraient à leur compte la lettre ouverte[835]. Les dirigeants du syndicat du bâtiment excluent Heckert et Brandler, ainsi que Bachmann, le président de l'union locale de Chemnitz[836], organisent à Halle une union locale scissionniste[837]. La centrale du K.P.D. riposte par un « Appel à tout le prolétariat allemand[838] », dans lequel elle invite les ouvriers à organiser des assemblées démocratiques afin d'imposer à leurs dirigeants leurs revendications et leur volonté de mener au combat d'ensemble pour leur satisfaction. De telles assemblées se tiennent effectivement et les propositions des communistes y sont approuvées par des travailleurs inorganisés ou membres de l'un ou l'autre des partis social-démocrates. Ainsi, le 11 janvier, celle des délégués des chantiers navals Vulkan, de Stettin[839], le 17 celle des ouvriers et employés de Siemens à Berlin, qui se déroule au cirque Busch, le 19, celle des cheminots de Munich, et, dans les jours qui suivent, celles des métallos de Dantzig, Leipzig, Halle, Essen, des cheminots de Leipzig, Schwerin, Brandebourg et Berlin, le congrès national des selliers et tapissiers, l'assemblée des mineurs de Dorstfeld et une grande assemblée ouvrière à Iéna donnent toute leur approbation à la lettre ouverte et se prononcent pour l'organisation de la lutte sur le programme qu'elle propose[840]. Les élections syndicales ou aux conseils d'usine qui se déroulent à ce moment montrent l'écho rencontré par les communistes, expliquent la volonté de répression des dirigeants syndicaux : aux élections dans le syndicat du bois de Berlin, 6 586 voix pour les candidats communistes, 5 783 pour les indépendants, 500 pour les social-démocrates ; à l'organisation locale des métallos de Essen, 6 019 pour les communistes, 3 940 pour la liste commune de leurs adversaires[841]. Et c'est finalement un succès pour le K.P.D. et sa lettre ouverte que la remise au gouvernement, le 26 février, des dix revendications des syndicats allemands dans la lutte contre le chômage[842] qui permettra l'organisation de grèves, de manifestations, et l'entrée dans l'action de secteurs importants.

Cependant, la lettre ouverte fait l'objet de nombreuses attaques au sein du mouvement communiste lui-même. Qualifiée d' « opportuniste, démagogique et génératrice d'illusions » par le K.A.P.D.[843], elle est aussi l'objet des sarcasmes de la nouvelle gauche berlinoise en train de se constituer autour de jeunes intellectuels, Ruth Fischer[844], Arkadi Maslow[845] et Ernst Friesland, et la cible des attaques de Kommunismus[846]. Elle est surtout vivement critiquée par Zinoviev et Boukharine qui, contre Radek, obtiennent sa condamnation par le « petit bureau » de l'exécutif le 21 février 1921. Lénine intervient auprès de l'exécutif pour que soit révisé ce jugement hâtif : sur son insistance, la question est finalement mise au nombre de celles qui devront être discutées dans le cadre de la préparation du 3° congrès de l'Internationale[847].

Les divergences au sein de la centrale allemande et de l'exécutif sur la question allemande tournent désormais autour de deux axes différents : d'une part, les Russes — au premier chef Zinoviev — considèrent Levi avec une méfiance croissante, et Radek semble occupé à saper son autorité à l'intérieur du parti; d'autre part, les Allemands de la centrale semblent d'accord avec Radek sur les questions capitales de tactique du moment, et s'opposent sur ce terrain à Zinoviev. Dans la discussion qui semblait sur le point de s'ouvrir à propos du « front Unique prolétarien » en tant qu'arme essentielle et objectif de lutte des communistes, Levi et Radek devaient se trouver dans le même camp, cibles des mêmes attaques. Mais cette discussion n'aura pas lieu dans l'immédiat. Dans les semaines qui suivent la publication de la lettre ouverte, une série de circonstances vont au contraire amener Levi et Radek à se ranger dans deux camps opposés.

  1. Il se meurt le 29 janvier 1919 (Ill. Gesch., p. 519).
  2. Bock (op. cit., p. 432) précise qu'il mourut le 6 avril 1919 des suites d'une opération d'appendicite.
  3. Radek, November..., passim.
  4. Ill. Gesch. , p. 367.
  5. Condamné le 4, il est exécuté le 6 juin 1919 (El. Gesch., p. 396).
  6. Vorwärts und..., p. 397.
  7. Kolb, op. cit., p. 315.
  8. Ibidem, pp. 315-316.
  9. Ibidem, p. 316.
  10. Ill Gesch., p. 376 ; Kolb, op. cit., p. 315.
  11. Ibidem, p. 299 ; Vorwärts und..., p. 411.
  12. Kolb, op. cit., p. 315;
  13. Vorwärts und..., p. 259 ; Comfort, op. cit., p. 54.
  14. Vorwärts und..., p. 370-371.
  15. Ibidem, p. 484.
  16. Ibidem, p 198.
  17. Ibidem, p. 199.
  18. Ibidem, p. 202.
  19. Ibidem, p. 184.
  20. Vorwärts, 5 janvier 1919.
  21. Ill. Gesch., p. 314-315.
  22. Ibidem, p. 115.
  23. Von Œrtzen, op. cit., p. 213.
  24. Spethmann, op. cit., pp. 149 sq. ; Ill. Gesch., pp. 313 sq.
  25. Ibidem, Von Œrtzen, op. cit., p. 113 ; l'appel de la « commission des neuf » pour la socialisation, dans Dok. u. Mat., II/3, pp. 56-58.
  26. Dok. u. Mat., II/3, p. 59.
  27. Ill. Gesch., p. 317.
  28. Ibidem, p. 318.
  29. Voir des citations de leurs discours, ibidem, p. 318.
  30. Texte dans G. Ritter et S. Miller, op. cit., pp. 188-190.
  31. Noske, op. cit., pp. 78-79. 32.
  32. Ill. Gesch., p. 341.
  33. Ibidem, p. 342.
  34. Hamburger Echo, 31 janvier 1919, cité par Comfort, op, cit., p. 70.
  35. Ibidem, p. 70.
  36. Ibidem, pp. 345-346.
  37. Ill. Gesch., p. 320.
  38. Ibidem.
  39. Ibidem, p. 321.
  40. Ibidem, pp. 320-321.
  41. Ibidem, p. 322.
  42. Ibidem, p. 321-322.
  43. Ibidem.
  44. Ibidem, p. 322-323.
  45. Ibidem, p. 323.
  46. Ibidem, p. 324.
  47. Ibidem, p. 326.
  48. Ibidem, p. 326.
  49. Vorwärts und...., pp. 515-518, 536.
  50. Kolb, op. cit.., p. 299.
  51. Ibidem, p. 125.
  52. Von Œrtzen, op. cit., p. 136.
  53. Ibidem, pp. 136-137.
  54. Ibidem, p. 86, n. 2.
  55. Ill. Gesch., p. 373.
  56. Ill. Gesch., p. 373.
  57. Ibidem, Von Œrtzen, op. cit., p. 143.
  58. Résolution des conseils de Leipzig dans Dok. u. Mat., II/3, p. 200.
  59. Ibidem, p. 201.
  60. Kolb, op. cit., p. 299.
  61. Benoist-Méchin, op. cit., p. 226.
  62. Ibidem, pp. 226-227.
  63. Ill. Gesch., p. 359.
  64. ibidem, p. 376, Benoist-Méchin, op. cit., p. 227.
  65. Ibidem, pp. 228-229.
  66. Vorwärts und...., pp. 402-403.
  67. Ill. Gesch. p. 377.
  68. Die Rote Fahne, 21 février 1918 Dok. u. Mat., II/3, pp. 181-182.
  69. Die Rote Fahne, 1° mars 1919; Dok. u. Mat., II/3, p. 202.
  70. Ibidem, p. 204.
  71. Ill. Gesch., p. 359 précise que la réunion s'est terminée à 15 heures, le local devant être libéré pour un bal.
  72. Ibidem, les élections dans les usines s'étaient déroulées avec listes concurrentielles et non sur « accord » et « parité » comme en novembre.
  73. Ill. Gesch., p. 359.
  74. Die Rote Fahne, 3 mars 1919 ; Dok. u. Mat., II/3, pp. 282-286.
  75. Ibidem, p. 282.
  76. Ibidem, pp. 283-284.
  77. Ibidem, p. 285. Noske était revenu dans la nuit du 1° au 2 mars (Noske, op. cit., p. 101).
  78. Ill. Gesch., p. 360.
  79. Dok. u. Mat., p. 389.
  80. Ill. Gesch . p. 360. Le premier numéro parut le 4 mars sous le titre Mitteilungsblatt des Vollzugsrats der Arbeiter und Soldatenrâte Gross-Berlins.
  81. A l'époque, un des dirigeants gauchistes du K.P.D. à Berlin. Il passera dans l'opposition, puis au KA.P.D. gauchiste et à la Ligue des communistes de Laufenberg, avant d'être démasqué comme provocateur au service de la Reichswehr (Freiheit, 25 mars 1921).
  82. Dok. u. Mat., p. 291.
  83. Noske, op. cit., p. 103.
  84. Ibidem, p. 104.
  85. Ill. Gesch., p. 361. Noske va jusqu'à parler de « trente-deux postes de police attaqués » (op. cit., p. 105).
  86. Benoist-Méchin attribue ces pillages à « des éléments douteux » mais déclare peu probable l'intervention de « provocateurs » (p. 234). Thèse inverse dans Ill. Gesch., p. 362.
  87. Noske, op. cit., p. 106.
  88. Ill. Gesch. p. 363.
  89. Benoist-Méchin, op. cit., I, p. 236.
  90. Dok. u. Mat., II/3, p. 292.
  91. Ill. Gesch., p. 362 ; Benoist-Méchin, op. cit., p. 237.
  92. Ibidem, pp. 237-239.
  93. Tract mentionné par Ill. Gesch., p. 362, reproduit dans Noske, op. cit., p. 110. L'historien soviétique V. F. Chelike (p. 187) assimile l'attitude de la centrale du K.P.D.(S) et de Paul Levi au cours des journées de mars à Berlin à celle des communistes de Munich, que ce dernier devait traiter de « putschistes » ; mais les textes qu'il cite ne sont pas convaincants par rapport à l'ensemble de ceux qui sont connus par ailleurs (« Natchalo Martovskikh boev 1919 v Berline », Nojabr'skaja Revoliutsija, pp. 169-198). Rappelons (cf. note 21) que le représentant de la fraction communiste, le gauchiste Herfurt qui refusa de siéger au comité de grève, était au service de la Reichswehr, ce que l'historien soviétique semble ignorer.
  94. Ill. Gesch., p. 364.
  95. Ibidem.
  96. Coper, op. cit., p. 241.
  97. Dok. u. Mat., II/3, pp. 302-303.
  98. Ill. Gesch., p. 364.
  99. Ill. Gesch., p. 365 ; Benoist-Méchin, op. cit., I, p. 241.
  100. Noske, op. cit., p. 120, dit que là est la source de la « rumeur », le nombre de victimes ayant été grossi dix fois.
  101. Benoist-Méchin, op. cit., p. 242. Noske, op. cit., p. 109, ne cite que la deuxième partie de la phrase.
  102. Benoist-Méchin, op. cit., p. 242.
  103. Noske, op. cit., p. 110.
  104. Ill. Gesch., p. 367. Benoist-Méchin, op. cit., p. 247, estime 10000 le nombre des blessés civils.
  105. Ill. Gesch., p. 369.
  106. Ibidem, pp. 369-371. Le rapprochement est saisissant avec l'épisode de l'exécution des communards sur l'ordre du général de Galliffet.
  107. Noske, op. cit., p. 110.
  108. Ill. Gesch., p. 367.
  109. Horst Schumacher, Sie nannten ibn Karski, pp. 171-172 ; le Vorwärts du 4 avril parlera du « bolcheviste russe Dr Karski ».
  110. Ill. Gesch., p. 327.
  111. Ibidem, pp. 328-329.
  112. Ibidem, p. 327.
  113. Ill. Gesch., pp. 29-31.
  114. Dok. u. Mat., II//3, pp. 343-344.
  115. Ill. Gesch., p. 329.
  116. Coper, op. cit., p. 243.
  117. Ill. Gesch., p. 331.
  118. Ill. Gesch., p. 332.
  119. Ibidem, p. 333.
  120. Ibidem, p. 378, Benoist-Méchin, op. cit., p. 283.
  121. Ibidem, pp. 286-287.
  122. Ill. Gesch., p. 380.
  123. Benoist-Méchin, op. cit., p. 290 ; Kolb, op. cit., pp. 294-295.
  124. Ill. Gesch., p. 381 ; Noske, op. cit., pp. 127-129.
  125. Ill. Gesch., p. 381.
  126. 6
  127. Noske, op. cit., pp. 145.
  128. Benoist-Méchin, op. cit., p. 342.
  129. Appel de l'U.S.P.D. de Leipzig à la résistance dans Dok. u. Mat., II/3, pp. 395-398.
  130. Kolb, op. cit., p. 300.
  131. Ill. Gesch., p. 382.
  132. Ibidem, pp. 382-383.
  133. Ibidem, p. 368.
  134. Mitchell, Revolution in Bavaria, pp. 305-307.
  135. Ibidem, p. 309. Le 18 mars, la centrale dirigée par Levi lui avait écrit qu'il fallait absolument éviter tout prétexte à une intervention militaire (lettre de la centrale, ibidem, p. 308). Léviné était arrivé à Munich le 5 mars et y avait épuré le parti, le réorganisant sur la base des cellules d'usine et mettant fin à l'étroite collaboration avec les anarchistes menée avant lui sous la direction de Max Levien (Ibidem, p. 308).
  136. Mitchell, op. cit., pp. 318-320 ; Beyer, Von der Novemberrevolution zur Räterepublik in München, pp. 93-97.
  137. Beyer, op. cit., pp. 97-102.
  138. Ill. Gesch., p. 396; Benoist-Méchin, op. cit., I, pp. 335-337.
  139. Mitchell, op. cit., pp. 330-331 ; Beyer, op. cit., pp. 136-138.
  140. Die Aktion, 1919, p. 485. Son discours devant le tribunal vient d'être réédité dans Die Münchner Rätepublick, témoignages et commentaires, publié sous la direction de Tankred Dorst, pp. 157-167. Ici, p. 167.
  141. Présentation par Yvon Bourdet de Max Adler, Démocratie et conseils ouvriers, pp. 33-35.
  142. L. Laurat, « Le Parti communiste autrichien », Contributions à l'histoire du Comintern, p. 77.
  143. Ibidem.
  144. Yvon Bourdet, op. cit., p. 32.
  145. Laurat, op. cit., p. 77.
  146. Ibidem, p. 78 ; Bourdet, op. cit., p. 34.
  147. Laurat, op. cit., pp. 78-81 ; Bourdet, op. cit., p. 35.
  148. Cité d'après 0. Bauer, Die Osterreichische Revolution, pp. 140-142, et E. Bettelheim, Der Kampf, 1919, pp. 646-649, par Julius Braunthal, Geschichte der Internationale, II, p. 162.
  149. Laurat, op. cit., pp. 78-81 ; Bourdet, op. cit., p. 35. Ce que l'on appellera la « Bettelheimerei » est soumis dès le 30 octobre, dans Die Rote Fahne, à une critique féroce d'Arnold Struthahn - en réalité, Karl Radek -, qui développera ses attaques contre cette conception « putschiste » et « semi-blanquiste » étrangère au communisme dans le n° 9 de Die Kommunistiscbe Internationale sous le titre « Die Lehren eines Putschversuches ».
  150. Borkenau, op. cit., pp. 130-133.
  151. Voir chap. VIII.
  152. Ruth Stoljarowa, « Der Aufruf « Zum 1. Kongress der KI », ZfG, n° 11, 1968, p. 1397. Le texte de la lettre, datée du 20 décembre 1918, avait été publié dans la Pravda du 2 février 1919.
  153. Voir sa lettre à Tchitchérine du 27 ou 28 décembre 1918, publiée dans le vol. 50, pp. 227-230 de la 5° édition russe des Œuvres de Lénine; présentée par A. Reisberg, BzG, n' 5, 1965, pp. 838-842.
  154. Eberlein, « Spartakus und die III. Internationale », Inprekorr, n° 28, 29 février 1924, p. 307.
  155. Weber, Der Deutsche Kommunismus, p. 198, n° 54.
  156. Selon la version traditionnelle, ces délégués étaient au nombre de deux, Eberlein et Léviné. Selon une déclaration de la veuve de Léviné, ce dernier devait aller à Moscou, non comme délégué, mais comme représentant de Rosta (Weber, Die Wandlung, I, p. 30).
  157. Bericht 5..., p. 27.
  158. Der 1. Kongress der K.I., p. 76.
  159. Eberlein, op. cit., p. 307.
  160. Der I. Kongress, p. 134.
  161. Izvestija, I° mai 1919.
  162. Lettre reproduite intégralement dans l'introduction d'Alfons Paquet, Der Geist der russischen Revolution, p. VII.
  163. Ibidem, p. VIII.
  164. Ibidem, pp. VILIX.
  165. Ibidem, p. IX.
  166. Ibidem, p. X.
  167. Ibidem, p. XI. Cette lettre a été écrite pendant que s'abattait sur le prolétariat berlinois la répression de Noske contre la grève de mars.
  168. Cité par P. Benaerts, L'Unité allemande, p. 158.
  169. Œuvres, t. XXVII, p. 193.
  170. « La marche de la Révolution en Allemagne », Revue communiste, n° 2, avril 1920, p. 142.
  171. Ibidem.
  172. Pravda, 23 avril 1919 ; Tbe First Five Years ot the CI., I, p. 45.
  173. Ibidem, p. 46.
  174. Ibidem, p. 47.
  175. Ibidem.
  176. Ibidem.
  177. Drabkin, op. cit., p. 543.
  178. Ibidem, p. 539.
  179. Noske, Von Kiel bis Kapp, p. 75.
  180. Drabkin, op. cit., pp. 546-547.
  181. Ch. Beradt, Paul Levi, pp. 12-15.
  182. Cantonné dans une unité territoriale dans les Vosges, il fait une longue grève de la faim contre les conditions « disciplinaires » de son unité (Ibidem, p. 17).
  183. Battel, op. cit., p. 222.
  184. Guilbeaux, Du Kremlin au Cherche-Midi, p. 106.
  185. Œuvres, t. XXXV, p. 271.
  186. Guilbeaux, op. cit., p. 127 ; sur sa présence, témoignage de Münzenberg, cité par Gankin et Fisher, op. cit., p. 538.
  187. Guilbeaux, op. cit., p. 108; Gankin et Fisher, The Bolsheviks and The World War, p. 565. Son premier numéro comportait un éditorial de Loriot «Vers la III° Internationale » (La nouvelle Internationale, n° 1, 1° mai 1917)
  188. Guilbeaux, op. cit., p. 127 ; sur sa présence, témoignage de Münzenberg, cité par Gankin et Fisher, op. cit., p. 538
  189. Voir chap. V.
  190. Selon une lettre privée citée par Ch. Beradt. op. cit., p. 19, Levi et Radek habitaient ensemble et se trompaient tous deux au village quand ils y apprirent le début de la révolution russe. Levi, qui commençait àapprendre le russe, entendit Radek annoncer à sa femme: « Revoljucija v Rossii ».
  191. Radek, November ... , pp. 132-133, témoigne du fait que Levi l'introduisit auprès de tous.
  192. Voir chap. IX.
  193. P. Levi, « Rosa Luxemburg und Karl Liebknecht zum Gedachtnis », Der Klassenkampf, n° 2, 15 janvier 1919, p. 33.
  194. Protokoll des III. Kongresses (Zetkin), p. 296.
  195. Ypsilon, Stalintern, p. 44.
  196. Radek, Soll die V.K.P.D ... , p. 105
  197. H. Gruber, « Paul Levi and the Comintern », Survey, n° 53, octobre 1964, p. 70, parle de la présence à son enterrement de « jeunes femmes en manteaux de fourrure dont plus d'une aurait pu se parer des atours du Veuvage », et signale (Ibidem, p. 85, n. 24) que « Levi est le héros révolutionnaire d'un roman policier qui est compromis par sa vie sexuelle (Heinz Pol, Entweder oder ?, Bremen, 1929) ».
  198. Radek, après la rupture de Levi avec le K.P.D., essaie de minimiser son action. Dans Soll die V.K.P.D ... , il explique qu'il n'a joué le premier rôle, dans la centrale, que parce que Jogiches était, par sa condition d'étranger, obligé de se dissimuler, et, après mars, parce que Thalheimer, « théoricien confirmé », n'était pas orateur (p. 101). Il reconnaît néanmoins qu'il eut « la responsabilité de la direction » après la mort de Jogiches, et qu'il dut être convaincu ... de la conserver (pp. 101-102).
  199. Die Rote Fahne 15 janvier et 5 septembre 1920.
  200. Archives Levi. p 55/4; reproduit intégralement dans P. Levi, Zwischen Spartakus und Sozialdemokratie, pp. 19-22.
  201. Ibidem, p. 20.
  202. Freiheit de Hanau, 24 mars 1919, cité par Levi lui-même dans « Die Lehren des Ungarischen Revolution », Die Internationale, n° 24, 24 juin 1920, p. 32.
  203. Ibidem, p. 33.
  204. Le Phare, n° 1, 1° septembre 1919, pp. 29-30.
  205. « Reinigung », Die Internationale, n° 15/16, 1er novembre 1919, p.283.
  206. Au sein du conseil ouvrier de Berlin où tous les élus indépendants sont des indépendants de gauche issus du cercle des délégués révolutionnaires, ils sont la cible des attaques et des injures des communistes, comme l'indique un rapport signé «Markovski », adressé à Boukharine en septembre, saisi par la police et reproduit d'après Deutsche Allgemeine Zeitung, dans Freiheit du 25 octobre 1919. Il s'agit sans doute de Mme Markovski, déjàmentionnée au chapitre IV.
  207. Il publie en septembre une brochure sur « La Maladie syndicaliste »(d'après Freiheit, 20 novembre 1919).
  208. Protokoll des III. Weltkongresses, p. 668.
  209. Walter Berthold, « Die Kampfe der Chemnitzer Arbeiter gegen die militaristische Reaktion im August 1919 », BzG, n° 1, 1962, p. 127.
  210. Der Kämpfer, 5 juillet 1919.
  211. Kommunistische Zeitfragen, de Chemnitz, n° 1, s. d. (1919), cité par Tjaden, Struktur und Funktion der K.P.D., p. 6.
  212. Protocole conservé dans les Archives Levi, p. 55/9.
  213. Ibidem, reproduit dans Ch. Beradt, op. cit., p. 32; B. Gross, op. cit., pp. 100-101, l'a également utilisé.
  214. Paquet, op. cit., p. VIII
  215. Zur Taktik des Kommunismus : Ein Schreiben an den Oktoberparteitag der K.P.D. 1919, p. 5, brochure écrite en prison (Radek, November ... , p. 156).
  216. Soll die V.K.P.D., p. 102.
  217. Radek, Soll die V.K.P.D ... , p. 102.
  218. Ibidem, p. 101.
  219. Ibidem, p. 103.
  220. K. Radek, Die Entwicklung der Weltrevolution und die Taktik der Kommunistischen Parteien im Kampf um die Diktatur des Proletariats, Berlin, 1919.
  221. Ibidem, pp. 5-10.
  222. Ibidem, p. 12.
  223. Ibidem, p. 15.
  224. Ibidem, pp. 15-16.
  225. Ibidem, p. 17.
  226. Ibidem.
  227. Ibidem, pp. 17-18.
  228. Ibidem, p. 20.
  229. Ibidem, p. 22.
  230. Ibidem, p. 23.
  231. Ibidem, p. 25.
  232. Ibidem, p. 28.
  233. Ibidem, p. 30.
  234. En 1921, Radek reprendra la formule « parti de l'attente »dans son célèbre pamphlet contre Levi. Soll die V.K.P.D. die Partei des Wartens sein ?
  235. Radek, Die Entwicklung, pp. 30-31.
  236. Ibidem, pp. 32-36.
  237. Ibidem, pp. 37.
  238. Ibidem, pp. 45-49.
  239. Ibidem, p. 56.
  240. Ibidem, p. 64.
  241. Ibidem, p. 66.
  242. Radek, November ... , p. 156.
  243. Ibidem, p. 162. Boukharine, leader des « communistes de gauche » en 1918 dans la question de la « paix séparée» de Brest-Litovsk, soutint des positions gauchistes au moins jusqu'en 1921. C'est seulement plus tard qu'il deviendra le chef de file de la « droite ».
  244. Voir la résolution des militants berlinois du K.P.D.(S.) publiée dans Freiheit le 11 septembre : le journal indépendant explique que c'est là l'opinion réelle du K.P.D.(S.), dans lequel la centrale est à contre-courant.
  245. Un « rapport de la centrale à l'exécutif de l'I.C. sur les questions d'organisation C.I.M.L.-Z.P.A., 3/1-16, pp. 2-3, cité par V. Mujbegović, Komunisticka Partija Nemacke 1918-1923, pp. 166-167, n. 5) souligne l'absence d'intérêt pour l'organisation proprement dite dans les rangs communistes : « En juillet 1919, le parti avait en Allemagne 100 000 adhérents, dont seulement un petit nombre étaient de véritables communistes. C'était essentiellement l'hostilité générale au régime de Noske qui amenait chez nous les ouvriers. Sur une telle base, la consolidation du parti était impossible. Les organisations n'ont pas fonctionné, les cotisations n'ont pas été payées. Une telle situation ne s'expliquait pas seulement par les conditions d'illégalité de notre parti, mais par l'idée très répandue dans les rangs des ouvriers allemands que le gouvernement ne pouvait se maintenir au-delà de quelques semaines ou de quelques mois, et que, de cette situation à la dictature des conseils, il n'y avait qu'un pas. C'est cette mauvaise interprétation de la situation qui nous a permis de constater que les camarades considèrent le travail intensif dans l'organisation comme inutile. Il n'a été possible que graduellement d'éliminer cette aversion pour le travail d'organisation. »
  246. Bock, op. cit., p. 124.
  247. Ibidem, p. 130.
  248. Ibidem, pp. 126-127.
  249. Ibidem, p. 130.
  250. Le compte rendu de cette discussion est publié dans Freiheit du 8 octobre 1919. Lorsque Däumig invoque, à propos de la nécessité pour les révolutionnaires de militer dans les syndicats, l'autorité de Radek, il se fait répondre par les communistes que « Radek ne connaît rien à J'Allemagne »! Le communiste Peters demande à ses camarades de ne pas se montrer « irresponsables ,) en quittant J'assemblée. Un communiqué de la centrale, quelques jours plus tard, désavoue officiellement le comportement et les positions politiques des communistes berlinois (cité dans Freiheit, 13 octobre).
  251. Archives Levi, p 24/8, f. 8.
  252. Rapport de la centrale à l'exécutif de l'I.C. sur les questions d'organisation, I.M.L.-Z.P.A., 3/1-16, p. 1, cité par Véra Mujbegović, op. cit., p. 165, n. 1
  253. Archives Levi, P 55/9.
  254. Voir le texte sur le projet de statut rédigé au printemps 1919 dans H. Weber, Der Gründungsparteitag, pp. 304-309, et les remarques sur ce point, p. 305.
  255. Eberlein, Bericht 3 ... , p. 41; Die Rote Fahne, 28 décembre 1921; M. Bock (op. cit., pp. 139 sq.) mentionne à plusieurs reprises les « mesures » ou la « politique » de centralisation de Paul Levi entre mars et août 1919, sans en fournir aucun exemple précis.
  256. En réalité, les éléments communistes de ces Kampforganisationen (K.O.) deviendront l'un des points d'appui de l'opposition, puis du K.A.P.D. (Bock, op. cit., pp. 419-420)
  257. Bercht 2…, p. 61.
  258. Ibidem, p. 30.
  259. Ibidem. Cette décision assure àl'avance l'adoption des thèses de Levi mais, comme elle est acquise après la présentation de son rapport. il est clair qu'elle est prise par les délégués en toute connaissance de cause.
  260. Ibidem, p. 31.
  261. Ibidem, pp. 33-35.
  262. Ibidem, pp. 35-38.
  263. Ibidem, p. 35.
  264. Ibidem, p. 44.
  265. Tous ces votes, ibidem, p. 42; texte des thèses, pp. 60-62.
  266. Ibidem, p. 44 (Schnellbacher).
  267. Ibidem, p. 48.
  268. Ibidem, p. 51; texte pp. 62-64.
  269. Ibidem, pp. 64-67.
  270. Archives Levi, P 19/2, datée du 28 novembre 1919.
  271. K. Radek, Zur Taktik der Kommunismus, ein Schreiben an den Oktober-Parteitag der K.P.D.
  272. Elfriede Eisler, épouse de Paul Friedländer, dirigeante des Jeunesses socialistes autrichiennes, avait contribué à la fondation du P.C. autrichien. Ecartée de sa direction en juillet 1919, elle devait se fixer en août à Berlin et militer désormais sous le nom - emprunté à sa mère - de Ruth Fischer.
  273. Radek, November ... , pp. 157 sq.
  274. Radek, Soll die V.K.P.D ... , p. 104.
  275. Radek, Soll die V.K.P.D ... , p. 104.
  276. Œuvres, t. XXX, p. 83.
  277. Bock, op. cit., p. 227
  278. Ibidem, p. 226.
  279. R. Fischer, op. cit., p. 119.
  280. Freiheit, 6 janvier 1920.
  281. Bericht 2 ... , p. 38; les partisans du K.P.D. jugent ce chiffre exagéré.
  282. Ibidem, pp. 7, 32.
  283. Ibidem, pp. 16-17.
  284. Ibidem, pp. 33-36.
  285. Bericht 3 ... , p. 37.
  286. Ibidem, p. 35
  287. Bock, op. cit., p. 275.
  288. Cité par Bock, op. cit., p. 225.
  289. Publié en brochure à Hambourg en 1919, sous le titre Revolutionärer Volkskrieg oder Konterrevolutionärer Bürgerkrieg.
  290. Publié en brochure à Hambourg en 1920 sous le titre Kommunismus gegen Spartakismus.
  291. Ibidem, pp. 3-4, cité par Bock, op. cit., p. 277.
  292. Voir notamment, de Radek et Thalheimer, Gegen den National· bolshewismus, Berlin, 1920.
  293. Bock, op. cit., p. 429.
  294. Ibidem, pp. 436-437.
  295. « Weltrevolution und Kommunistische Taktik », Kommunismus, n° 28/29, 1° août 1920, pp. 976-1018; larges extraits en français dans Bricianer, op. cit., pp. 163-201.
  296. Bricianer, op. cit., p. 166.
  297. Ibidem, p. 167.
  298. Ibidem, pp. 168-169.
  299. Ibidem, p. 171.
  300. Ibidem, p. 174.
  301. Ibidem, p. 194.
  302. Cité par Bock, op. cit., p. 146.
  303. Bock, op. cit., p. 225.
  304. Ibidem, p. 226.
  305. Ibidem, p. 190.
  306. Ibidem, p. 226; Bericht 3 ... , p. 7.
  307. Bericht 3 ... , pp. 22-23.
  308. Cité dans Erich Eisner, Gegen die Bürger im Marxpelz. Die an tiautoritären « Linken » in der Arbeiterbewegung, pp. 23-24.
  309. Bericht 3 ... , p. 17.
  310. Ibidem, p. 7.
  311. Par lettre du 7 février 1920 (Bericht 3 ... , p. 14).
  312. Archives Levi, P 124/8, p. 2.
  313. Bock, op. cit!., p. 88
  314. Protokoll der Verhandlungen des 10. Kongresses der Gewerkschaften Deutschlands,. intervention de Dissmann, pp. 327-342, et de Richard Müller, pp. 434-452
  315. Ibidem, pp. 404-502.
  316. Die Vierzehnte ordentliche Generalversammlung des Deutschen Mfetallarbeitverbandes in Stuttgart 1919, pp. 19, 182.
  317. Parmi les anciens délégués révolutionnaires qui ont tourné le dos aux organisations syndicales, on peur citer seulement, et bien plus tard, Paul Weyer, passé au K.P.D.(S.), militant « unioniste» qui sera finalement exclu en 1924 (Bock, op. cit., pp. 185, 187).
  318. Freiheit, 19 octobre 1919; F. Opel, Der Deutsche Metallarbeiterverband, p. 85.
  319. Volksstimme de Halle.
  320. Notons, comme exception, que Fritz Winguth, issu lui aussi du cercle des délégués révolutionnaires et membre du K.P.D.(S.), exerce à partir de juillet 1919 des responsabilités dans l'appareil syndical des métaux (Weber, Der Gründungsparteitag, p. 335).
  321. Ill. Gesch., p. 329.
  322. Vorwärts und nicht vergessen (Sepp MiIler), p. 210.
  323. Selon Dittmann (Freiheit, 2 décembre 1919), le nombre de ses adhérents était passé de 300 000 à 750 000 entre mars et décembre 1919.
  324. Archives Levi, P 124/8, p. 2.
  325. Dans les assemblées générales du conseil de Berlin (notamment Freiheit, 8 octobre 1919), ce sont des hommes comme Malzahn, Eckert. Neumann, Däumig qui défendent les positions bolcheviques sur le travail dans les syndicats, contre les membres du K.P.D.(S).
  326. Archives Levi, P 124/8, pp. 2-3.
  327. C. Zetkin, Ausgewählte Reden, vol. II, Introduction, p. XIII.
  328. Voir notamment R. Hilferding, « Die Einigung des Proletariats », Freiheit, 9 février 1919.
  329. Texte de son rapport et de sa réponse dans E. Däumig, Das Réitesystem, 1919, 37 p.
  330. Ibidem, p. 15.
  331. Prager, op. cit., p. 194.
  332. Cité ibidem, p. 193.
  333. Ibidem.
  334. Ibidem, p. 194.
  335. Ibidem, p. 195
  336. Braunthal, op. cit., II, pp. 168-173.
  337. Ibidem, pp. 174-176; Hulse, op. cit., p. 96.
  338. Freiheit, 20 août 1919.
  339. Prager, op. cit., p. 202, date le début de cette organisation des premiers mois de 1919. Radek (November ... , p. 162) signale qu'à la veille de son départ pour la Russie, à la fin de 1919, il a eu avec Däumig une longue discussion, et que ce dernier se prononçait pour la scission de son parti.
  340. Curt Geyer écrit au début de 1920 encore : « La gauche de l'U.S.P.D. n'a pas besoin d'une fusion entre partis. L'U.S.P.D. est le parti révolutionnaire de masses en Allemagne. » (« Nach dem Parteitag », Das Forum, n° 4, janvier 1920, p. 268.
  341. Horst Naumann « Dokumente zum 45 Jahrestag der Gründung der K.I. », BzG, n° 9, 1964, pp. 285-297.
  342. Freiheit, 11 septembre 1919.
  343. Freiheit, 11 septembre 1919; Stoecker, Die proletarische Internationale, p. 23.
  344. Anton Grylewicz devient vice-président de l'organisation berlinoise de l'U.S.P.D. pour quelques mois, avant d'en prendre la tête (Weber, Die Wandlung, II, p. 145).
  345. Prager, op. cit., pp. 209-211.
  346. U.S.P.D. Protokoll ... , p. 399.
  347. Ibidem, pp. 39-40; résultat des votes, p. 399. La motion était également signée par Brass, Koenen, Rosenfeld, Toni Sender.
  348. Ibidem, p. 399
  349. Ibidem, pp. 534·535. La motion résultait d'un compromis entre Hilferding et Ledebour.
  350. Arnold Struthahn, « Der Parteitag der Unabhängigen », Die Internationale, n° 19/20, 2 février 1920, pp. 22-32.
  351. Ibidem, p. 25
  352. Ibidem, p. 32.
  353. Ibidem.
  354. Prager, op. cit., pp. 205-206. Il est abattu le 8 octobre et mourra, après une longue agonie, le 7 novembre (Freiheit, 8 octobre, 8 novembre 1919).
  355. Prager, op. cit., p. 208, va jusqu'à parler de « cellules communistes à l'intérieur du parti » indépendant.
  356. Il est significatif à cet égard que le rapport sur la situation interne du parti au congrès de Leipzig, avec de vives attaques dirigées essentiellement contre Geyer et Stoecker au sujet de leurs liens avec Paul Levi, ait été confié précisément à Robert Dissmann, le dirigeant du syndicat des métallos (Prager, op. cit., pp. 207-208).
  357. Ernst Däumig développera ces arguments à la tribune du 2°congrès de l'Internationale, à l'été de 1920 (Protokoll des..., II, p. 271).
  358. Œuvres, t. XXX, pp. 49-50.
  359. Ibidem, p. 56.
  360. Ibidem, p. 48.
  361. Der Weg der Revolution, 1920, où la réponse de Thalheimer contient un résumé et des citations des commentaires de Crispien. Les gauchistes berlinois avaient donné une large publicité aux attaques de Lénine contre la gauche indépendante : voir l'intervention de Kruger à une assemblée des conseils berlinois (Freiheit, 20 décembre 1919).
  362. Ibidem, p. 18.
  363. Ibidem, p. 19.
  364. Ibidem.
  365. Ibidem
  366. Radek, « Die Entwicklung der deutschen Revolution und die Aufgaben der K.P.», Kommunistische Räte-Korrespondenz, n° 21-22, 20 novembre 1919.
  367. Discours cité par Tjaden, Struktur und Punktion der K.P.O., p. 10.
  368. Der Weg der Revolution, p. 20.
  369. Noske, op. cit., p. 200.
  370. Wheeler-Bennett, op. cit., p. 60.
  371. Lüttwitz, Im Kampf gegen die Novemberrevolution, p. 86.
  372. Wheeler-Bennett, op. cit., pp. 71-72.
  373. Voir son portrait, ibidem, pp. 61-62.
  374. Noske, op. cit., p. 203.
  375. Volkmann, op. cit., p. 273.
  376. Erger, Der Kapp Lüttwitz Putsch, p. 117.
  377. La première rencontre entre Kapp et von Lüttwitz, avait eu lieu le 21 août 1919 (von Lütrwitz, op. cit., p. 97).
  378. Le préfet de police Ernst était au courant (Erger. op. cit., p. 133) et Kapp avait eu le 11 un entretien avec le célèbre conseiller du gouvernement chargé de la police, Doyé. qu'il devait nommer sous-secrétaire à l'intérieur dans son gouvernement (Ibidem, p. 133).
  379. Erger, op. cit., p. 133.
  380. Benoist-Méchin, op. cit., II. p. 86.
  381. Erger, op. cit., p. 136.
  382. Ibidem. p. 140.
  383. Ibidem, pp. 141-143.
  384. Ibidem, p. 149.
  385. Benoist-Méchin, op. cit., p. 93.
  386. Ibidem, pp. 97-98.
  387. Ibidem, p. 97.
  388. Varain, Freie Gewerkschaften, Sozialdemokratie und Staat, p. 173.
  389. Otto Braun, Von Weimar zu Hitler, p. 94.
  390. Fac-similé dans Ill. Gesch., p. 469.
  391. Ibidem, pp. 468-469.
  392. Varain, op. cit., p. 173; selon Wels, cité par Erger, op. cit., p. 196, les indépendants refusaient une action commune avec les majoritaires parce que ceux-ci étaient les vrais responsables de ce qui arrivait.
  393. En fait, seul le second s'intitule direction centrale de la grève (Erger, op. cit., p. 197).
  394. Le K.P.D.(S) expliquera qu'il reprochait au comité de grève « indépendant » de ne pas se prononcer pour la reconstitution immédiate des « conseils ouvriers» (Ill. Gesch., p. 496). C'est le 17 mars seulement que quatre représentants du K.P.D.(S), Pieck, Walcher, Lange et Thalheimer, entreront dans ce comité central, où ils ne resteront que quatre jours (Naumann et Voigtlander, « Zum Problem einer Arbeiterregierung nach dem Kapp-Putsch », BzG, n° 3, 1963, p., 469, n° 32).
  395. Ruth Fischer, op. cit., p. 126; Bericht 4 ... , p. 43.
  396. Die Rote Fahne, 14 mars 1920, Ill. Gesch., pp. 467-468.
  397. Ill. Gesch., p. 495.
  398. Ibidem, p. 496.
  399. Ibidem, p. 489.
  400. H. Brandler, Die Aktion gegen den Kapp-Putsch in Westsachsen, p.7.
  401. Diffusé sous forme de tract le 15 mars, Ill. Gesch., p. 468.
  402. De Brouckère, La Contre-révolution en Allemagne, p. 46, cité par Benoist-Méchin, op. cit., p. 100.
  403. Ill. Gesch., p. 496.
  404. Ibidem, p. 481 ; Benoist-Méchin, op. cit., p. 101.
  405. Brandler, op. cit., pp. 7-8.
  406. Ibidem, p. 21. Les délégués comprenaient 691 communistes, 603 social-démocrates, 100 indépendants et 95 démocrates.
  407. Brandler, op. cit., p. 1, parle d'un contrôle exercé par le conseil ouvrier sur une zone d'un rayon de cinquante kilomètres autour de la ville, à la seule exception de l'Ecole technique, encerclée par les milices ouvrières.
  408. Ibidem, p. 1.
  409. Max Hoelz, Vom Weissen-Kreuz zur Roten Fahne, pp. 51-65.
  410. Brandler, op. cit., p. 56.
  411. Hoelz, op. cit., pp. 85-112.
  412. Brandler, op. cit., pp. 54·60.
  413. Ill. Gesch., p. 496.
  414. Ill. Gesch., p. 497.
  415. Ibidem, p. 489.
  416. Ibidem, p. 479.
  417. Ibidem, p. 479.
  418. Voir chap. XIX.
  419. Tract du district d'Essen, le 13 mars. Ill. Gesch., p. 494.
  420. R. Fischer, op. cit., p. 126.
  421. Ill. Gesch., p. 481.
  422. Brandler, op. cit., pp. 4-5.
  423. Bock, op. cit., biographie de ces deux militants, pp. 427 et 438.
  424. Erger, op. cit., pp. 249-254.
  425. Benoist-Méchin, op. cit., p. 102.
  426. Erger, op. cit., p. 211.
  427. Ibidem, p. 205.
  428. Benoist-Méchin, op. cit., p. 103, n. 2; Erger, op. cit., pp. 205-206.
  429. Benoist-Méchin, op. cit., p. 103
  430. Erger, op. cit., pp. 265-266.
  431. Ibidem, pp. 277-278.
  432. Ibidem, p. 277.
  433. Ill. Gesch., p. 475.
  434. Ibidem, p. 482.
  435. Ibidem, p. 484.
  436. Ibidem, p. 497.
  437. Il est difficile de faire la part, dans les craintes exprimées à droite, de ce qui était peur réelle et de ce qui était tentative d' « intoxication » Une dépêche de l'agence télégraphique Wolff du 17 mars (citée par Erwin Konnemann, « Zum Problem der Bildung emer Arbelterreglerung nach dem Kapp-Putsch » BzG, 1963, n° 6, pp. 904-921) mentionne une liste gouvernementale en circulation et tenue comme déjà officieuse : Däumig comme chancelier, Paul Levi aux affaires étrangères, Curt Geyer à l'intérieur. La dépêche conclut : « Il n'existe plus aucun doute: il n'y a plus qu'un seul ennemi, le bolchevisme. »
  438. V. Mujbegović, op. cit., p. 210; Kurt Finker, « Neue Wege und Erkenntnisse bei der Erforschung des Kampfes der demschen Arbeiter gegen den Kapp-Putsch », BzG, n° 4, 1961, pp. 909-910.
  439. Protokoll der Suzung des SPD-Parteiausscbusses vom 30, und 31-3-1920, p. 4, cité par Erger, op. cit., p. 291.
  440. Erger, op. cit., p. 291.
  441. Vorwärts, édition spéciale, 18 mars 1920.
  442. Ibidem
  443. Par exemple à Leipzig où, le 18 mars, le dirigeant indépendant Richard Lipinski signe avec les autorités civiles et militaires un « accord de cessez-le-feu » qui constitue une véritable capitulation militaire et politique : voir le texte intégral et les commentaires de Brandler dans Brandler, op. cit., pp. 48-49.
  444. Cité dans Erger, op. cit., p. 293 et dans Ill. Gesch.,p.471.
  445. Vorwärts, 20 mars 1920. Cité dans Ill. Gesch., p. 471.
  446. Ill. Gesch., p. 471.
  447. W. Koenen, « Zur Frage der Möglichkeit einer Arbeiterregierung nach dem Kapp-Putsch », BzG, n° 12, 1962, p. 347.
  448. Ibidem, p. 348.
  449. Ibidem.
  450. Protocole des entretiens entre les dirigeants syndicaux et les représentants du gouvernement Bauer, notes de séance du ministre des finances Südekum, publiées par Erwin Könnemann, BzG, n° 2, 1966, p. 273.
  451. Bericht 4 ... , p. 8.
  452. Preiheit, 24 mars 1920.
  453. Prager, op. cit., p. 218.
  454. Könnemann, op. crt., p. 910. n. 19.
  455. Ibiàem, p. 910.
  456. Ill. Gesch., p. 472.
  457. Notamment à Henningsdorf (Ill. Gesch., p. 476).
  458. Bericht 4 ... , p. 38.
  459. E. Konnemann (op. cit., p. 918. n. 41) émet l'hypothèse que Geschke, membre de la direction berlinoise gauchiste, présent, selon Koenen, à la réunion du 17, n'avait pas informé la centrale des propositions de Legien.
  460. J. Walcher, « Die Zentrale der K.P.D.(S) und der Kapp Putsch», Die Kommunistiche Internationale, n° l, 1926, pp. 406.
  461. Freiheit, 24 mars 1920.
  462. Sozialdemokratische Korrespondenz, 1920, n° 5, p. 45.
  463. Die Internationale, n° 1, 1920, p. 18; M. J. Braun, Die Lebren des Kapp Putsches, pp. 30-32.
  464. Bericht 4 .. , p. 39.
  465. Naumann et Voigtlander, « Zum Problem einer Arbeiterregierung nach dem Kapp-Putsch », BzG, 1963, n° 3, p. 470.
  466. Vorwärts, 24 mars 1920; Ill. Gesch., p. 473.
  467. Die Rote Fahne, 26 mars 1920.
  468. Ibidem.
  469. La nouvelle majorité comprend, selon V. Mujbegović, op. cit., p. 203 Pieck, Lange, Walcher, Thalheimer et P. Levi.
  470. Die Rote Fahne, 26 mars 1920.
  471. Ibidem, Bericht 4 ... , p. 29.
  472. Sozialdemohratische Parteikorrespondenz, 1920, n° 5, p. 45.
  473. Krüger, Die Diktatur oder Volksherrschaft, p. 30, cité par Konnemann, op. cit., p. 911 ; Franz Kruger était président du district de Berlin du S.P.D.
  474. Freiheit, 24 mars 1920.
  475. Rasch et Krause v interviennent tous deux - polémiquant entre eux - au nom du K.PD,(S)-Berlin, et Pieck prend acte de « l'existence de deux K.P.D. » (Ibidem.)
  476. Protocole des conversations établi d'après les notes de Südekum, BzG, n° 2, 1966, p. 278. Notons la suggestion de Crispien pour faire accepter aux partis bourgeois la formation d'un gouvernement qui les exclut : leur proposer une représentation indirecte en y faisant entrer des syndicalistes chrétiens !
  477. Preiheit, 24 mars 1920.
  478. Vorwârts. 25 Mars 1920.
  479. Konnemann, op. cit., p. 912.
  480. Varain, op. cit., p. 179.
  481. Konnemann, op. cit., p. 915.
  482. Freiheit, 28 mars 1920.
  483. Bericht 4 ... , p. 28.
  484. Ill. Gmb, p. 500.
  485. Plutôt que l'article paru dans Die Kommunistische Internationale, 15, sous le même titre, nous avons préférer utiliser ici le manuscrit, contenu dans les archives Levi sous le même titre. « Die Stellung der K.P.D. Zum Abbruch der bewaffneten Kampfen im Rhebisch-WestfäIischen Industriegebiet », dans lequel des coupures ont été effectuées pour la publication. Ce texte, f. 1, précise que l'arrivée de Düwell le 21 mars constitue le premier contact depuis le 13 mars entre la Ruhr et Berlin.
  486. Ibidem, f. 2.
  487. Ill. Gesch., p. 500: texte dans Benolst-Méchin, op. cit., II, p. 116.
  488. Ill. Gesch .. p. 500.
  489. Severing, lm Wetter-und Watterwinkel. p. 176. Les ministres arrivent avec l'information que le gouvernement hollandais est décidé à « couper les vivres» à une Ruhr dominée par les révolutionnaires.
  490. Ibidem, p. 177.
  491. Ill. Gesch., p. 503.
  492. Texte des accords, Ibidem, pp. 501-503 et Severing, op. cil, pp. 178, 179.
  493. L'Internationale communiste, n° 15, col. 3364.
  494. Ill. Gesch., p. 500.
  495. Ibidem, p. 503; « Die Stellung der K.P.D. », p. 7.
  496. Ibidem. Pendant ce temps. Levi, à Berlin. réussira, avec Däumig. à convaincre l'assemblée générale des conseils d'usine de s'adresser aux syndicats pour qu'ils lancent à nouveau le mot d'ordre de grève générale (Freiheit, 28 mars 1920) : démarche vaine.
  497. Ill. Gesch., p. 503.
  498. Die Stellung der KP.D. », f. 7.
  499. Ibidem, f. 8.
  500. Ibidem, f. 11.
  501. Severing, op. cit., p. 186.
  502. Ibidem, p, 184.
  503. « Die Stellung der K.P.D.». f. 10.
  504. Au 4° congrès du K.P.D., Levi dira que ces appels au sabotage ont dressé contre leurs auteurs la masse des mineurs et brisé la résistance (Bericht 4 ... , p. 21-22).
  505. « Die Stellung der K. P. D. » f. 9.
  506. Severing, op, cit., pp. 181-182, reproduit l'une d'entre elles et cite une autre proclamation annonçant deux exécutions capitales. Ruth Fischer, op. cit., p. 133, mentionne le même texte sans citer Severing et écrit que Karrusseit était « membre du KA.P.D. », qui n'était en réalité pas encore fondé à cette date; cela signifie que Karrusseit était membre de l'opposition. M. Bock ne fait aucune allusion à son rôle.
  507. Texte dans Seyering, op. cit!., p.187.
  508. Ibidem, p.p. 187-188.
  509. « Die Stellung du K.P.D. », p. 13.
  510. Ibidem, p. 14.
  511. Ibidem, p, 14.
  512. Ibidem, p. 16; 36 délégués appartenaient à la social-démocratie, au parti indépendant et 109 au K.P.D.(S).
  513. Ibidem, p. 20.
  514. Severing (op. cit.), dont le témoignage est, il est vrai, sujet à caution, donne des exemples de ces dissensions : Josef Ernst, indépendant, animateur du comité de Hagen, venu discuter à Mülheim, évite de justesse l'exécution que lui promettent les dirigeants locaux; à Dortmund. Brass échappe au même sort grâce à l'intervention du communiste Weinberg (pp. 184- 186); une proclamation de l'armée rouge appelle à fusiller tous les partisans de la négociation (p. 198).
  515. Ibidem, pp. 208 sq.
  516. Ibidem, pp. 210 sq.; Ill. Gesch., p. 508. Un compte rendu très vivant est fait au Reichstag par Otto Brass (Freiheit, 15 avril 1920) qui sera quelques jours plus tard accusé de « haute trahison » pour avoir donné à la presse étrangère des informations sur les effectifs militaires engagés dans la Ruhr.
  517. Archives Levi, P 60/6.
  518. R. Fischer (op. cit.) p. 216) dit que la réputation de Brandler dans le parti était mauvaise parce qu'on le tenait pour responsable de la « passivité » des communistes de Chemnitz pendant le putsch. Ce n'était là en réalité que la position des gauchistes. Notons une erreur de R. Fischer parlant de l'attitude légaliste de Brandler au cours de son procès « après le putsch », ce qui constitue une évidente confusion avec le procès qui lui fut intenté le 6 juin 1921 après l'action de mars; voir chap. XXV.
  519. Bock, op. cit., p. 228.
  520. Ibidem, p. 283. Ces deux hommes étaient hostiles, non à la scission, mais à la notion même de « parti ».
  521. Programm der K.A.P.D., p. 3.
  522. « Appel au prolétariat allemand », Bock, op. cit., p. 406.
  523. Béla Kun, « Die Eteignisse in Deutschland », Kommunismus, 1920, n° 11, pp. 316-323, n° 12/13, pp. 345-351, n° 14, pp. 403-411, n° 15, p.p. 438-444.
  524. Die Kommunistische Internationale, n° 12, 30 juillet 1920, col. 2 145- 2148.
  525. Ibidem, col. 2143.
  526. Ibidem, col. 2144.
  527. Ibidem, col. 2145-1146.
  528. Récit, jamais démenti, par Levi, Was ist das Verhrechen?, pp. 32-33.
  529. «Die Ereignisse ... ». p. 317.
  530. « Die K.P.D. während der Kapptage — Eine kritische Untersushung ». Die Kommunistische Internatinale, n° 12, 30 juillet 1920, col. 2153-2162.
  531. Ibidem, col. 2153.
  532. Ibidem, col. 2154.
  533. Ibidem, col. 2155-2156.
  534. Bericht 4 ... , p. 43.
  535. Ibidem, pp. 32-33.
  536. Son intervention, ibidem, pp. 45-46.
  537. Brandt et Lowenthal. op. cit., p. 135.
  538. Le livre Arbeitereinheit siegt über Militaristen, paru en 1960, ne mentionne même pas le nom de Brandler.
  539. Brandler, op. cit., pp. 3-6.
  540. Résolution présentée par Brandler au comité central, L'Internationale Communiste, n° 10, col. 16-13.
  541. « Die Ereignisse », p. 410.
  542. Bericht 4 ... , p. 35.
  543. Ibidem, p. 45.
  544. Ibidem, p. 37.
  545. P. Frölich, « Die Kappiade und die Haltung der Panei », Die Internationale, n° 24, 24 juin 1920, pp. 19-31.
  546. Ibidem, p. 28.
  547. Ibidem.
  548. « Offene Schreiben an der Exekutivekomitee ». Die Kommunistische Internationale, col. 2145-2148.
  549. Ibidem, col. 2143.
  550. « Kritische Untersuchung », col. 2 158.
  551. Ibidem, col. 2159
  552. Ibidem, col. 2160.
  553. Bericht 4 ... , pp. 37-40.
  554. Ibidem, p. 55.
  555. Ibidem, p. 33-34.
  556. A. Thalheimer, « Ein Rückfall Von Kinderkrankheit », Die Internationale, n° 25, 24 juillet 1920, pp. 7-19.
  557. Ibidem, pp. 12-13.
  558. M. J. Braun, op. cit., p. 20.
  559. Ibidem, p 23.
  560. Bericht 4 ... , pp. 48-49.
  561. Frölich, op. cit, p. 27.
  562. Ibidem, p. 31.
  563. Radek, « Kritische Untersuchung » ..., col. 2 161.
  564. Ibidem.
  565. Œuvres, t. XXXI, p. 107.
  566. Ibidem, p. 168.
  567. « Ein Rückfall », loc. cit., p. 13.
  568. Bericht 4 ... , p. 23.
  569. Ibidem, p. 51.
  570. R. Fischer, op. cit, p. 134.
  571. Bericht 4 ... , p. 42.
  572. Ibidem, p. 34 et 54.
  573. Ibidem, p. 46.
  574. Boukharine, « La Lutte des classes et la révolution russe », Revue communiste, n° 11, janvier 1921, pp. 385-386.
  575. Ibidem, p. 386.
  576. C'était vraisemblablement Reich, qui n'était pas un « communiste bavarois », comme l'écrit à tort E. H. Carr, op. cit., III, p. 135. Voir le récit qu'il a donné à Boris Nicolaïevsky des premières années de l'Internationale et de sa propre activité dans Contributions à l'histoire du Comintern, pp. 1-28. Warren Lerner, Karl Radek. The Last Internationalist, p. 196, dit que Thomas s'appelait en réalité Rubinstein.
  577. Ibidem, p. 12.
  578. Ibidem, p. 13.
  579. Ibidem  ; Thomas écrit que Radek était alors libéré, alors que celui-ci (November ... , p. 158) écrit qu'il était encore emprisonné lors de leur prise de contact.
  580. Ibidem, p. 15.
  581. Kommunistitcheskii Internatsional, n°7-8, novembre/décembre 1919, col. 1099-1102.
  582. Karl Becker est présent au 4° congrès du K.P.D.(S), au lendemain de la fondation du K.A.P.D. don il s'était désolidarisé.
  583. Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 131.
  584. Pravda, 25 mars 1920.
  585. Lettre datée du 28 août 1919, Œuvres, t. XXIX, pp. 566-572.
  586. « Der Parlamentarismus und der Kampf für die Sowjet », Manifest, Richtlinien, Beschlüsse des ersten Kongresses. Aufrufe und Offene Schreiben des Exekutivkomitees bis zum Zweiten Kongress, pp. 139-146. La circulaire, signée de Zinoviev, est datée du 1° septembre 1919.
  587. Ibidem, p. 146.
  588. Le Phare, n° 8, 1° avril 1920, p. 387 ; Hulse, The Forming of the C.I., p. 153.
  589. Bericht 3…, pp. 78-79
  590. Hulse, op. cit., p. 154.
  591. Bericht 3… , p. 79.
  592. Hulse, op. cit., p. 155.
  593. Bericht 3 …p. 81.
  594. Hulse, op. cit., p. 156.
  595. Bericht 3 ... , p. 79.
  596. Ibidem, p. 82.
  597. Ibidem. pp. 84-85.
  598. Die Rote Fahne 22 avril 1920.
  599. Le Phare, mai-juin 1920, pp. 484-485.
  600. Voir chap. X.
  601. Borkenau, op. cit., pp. 175 sq.
  602. « Die parlamentarische Frage », Kommunismus, n° 6, 1° mars 1920, pp. 161-172.
  603. Ibidem, pp. 164-169.
  604. En fait, Lukacs polémique contre les idées défendues par Lénine dans La Maladie infantile du communisme sans les connaître encore, puisque l'ouvrage n'était pas publié. Lénine dira (Œuvres, t. XXI. p. 167) : « Cet article de G.L. est très gauchiste et très mauvais. Son marxisme est purement verbal ».
  605. « Die Durchführung » Kommunismus, n° 18, 8 mai, pp. 549-555.
  606. Ibidem, p. 552.
  607. Voir les lettres de Bordiga à l' I. C. (10 novembre 1919 et 1° janvier 1920) Rivista Storica dei Socialismo, 1966, n° 27, pp. 183-188.
  608. Le Phare, 1° mars 1920, pp. 334-335.
  609. Œuvres, t. XXXI, p. 25.
  610. Ibidem, p. 26.
  611. Ibidem, p. 37.
  612. Ibidem, p. 45.
  613. Ibidem, p. 48.
  614. Ibidem, p. 49.
  615. Ibidem, p. 53.
  616. Ibidem, p. 59.
  617. Ibidem, p. 70.
  618. Ibidem, p. 59.
  619. Ibidem.
  620. Ibidem, p. 67.
  621. Herman Gorrer, Offener Brief an den Genossen Lenin. Eine Anttwort auf Lenins Broschüre : Der Radikalismus, eine Kinderkrankheit des Kommunismus, Berlin, 1920 (K. A. P. D.). Nous avons utilisé ici la traduction française de 1930. Réponse à Lénine, en la confrontant au texte allemand rééditédans A. Pannekoek et H. Gorter, Organisation und Taktik der proletarischen Revolution, Francfort, 1969.
  622. Gorter, op, cil., p, 24.
  623. Ibidem, pp, 97-98.
  624. Ibidem, p. 108.
  625. B. Gross, op. cit., pp. 107-108.
  626. Ibidem, pp. 117 sq.
  627. Ibidem, p. 116.
  628. Bock, op. cit., p. 253.
  629. Die Rote Fahne, p. 128.
  630. Bock, op. cit, p. 255.
  631. Arnold Struthahn, Die Entwicklung der Weltrevolution und die Aufgaben der K. P., 1919.
  632. Paul Werner, Die Bayrische Räterepublik. Tatsachen und Kritik, 1920.
  633. Béla Szanto, Klassenkämpfe und Diktatur des Proletariats in Ungarn (1910).
  634. Radek, « Die Lehren der Ungarischen Revolution », Die Internationale, n° 21, 25 février 1920, p. 57.
  635. Ibidem, p. 58.
  636. Ibidem.
  637. P. Levi, « Die Lehren des Ungarischen Revolution », Die Internationale, n° 24, 24 juin 1920, p. 35.
  638. Ibidem.
  639. Ibidem, p. 36.
  640. Radek, op. cit., p. 59.
  641. Levi, op. cit., p. 37.
  642. Ibidem, p. 39.
  643. Ibidem.
  644. Ibidem, p. 40.
  645. Œuvres, t. XXX, p 28.
  646. Ibidem.
  647. Œuvres, t. XIX, p. 400.
  648. D'après Freiheit, 25 juin 1920.
  649. Texte dans Freiheit, 2 janvier 1920.
  650. Spartakus, n° 5/6, janvier 1920.
  651. Die Rote Fahne, 23, 26, 27, 28 avril 1920.
  652. Dès le 20 décembre 1919, Däumig, dans Freiheit, avait souligné l'hostilité manifeste de la presse de son parti et ses comptes rendus malhonnêtes, malveillants et incomplets sur le congrès de Leipzig.
  653. Die Rote Fahne. 28 avril 1920.
  654. Freiheit, 26 juin 1920.
  655. Voir chap. XVIII.
  656. La droite indépendante va affirmer qu'il s'agit d'un « élément nouveau » dans la situation, mais la gauche voit s'éloigner ainsi ses adversaires les plus farouches du côté communiste.
  657. Freiheit, 26 juin 1920.
  658. Ibidem. La direction du parti indépendant invoque les nécessités de la campagne électorale et le « manque de papier ».
  659. Voir plus haut, note 78.
  660. Compte rendu sténographique de ces conversations, Freiheit, 26 juin 1920.
  661. Les documents apportés par Borodine sont publiés dans les journaux du K.P.D.(S) et les indépendants accusés de les dissimuler.
  662. Forum, n° 7, avril 1920, pp. 481-484, précédant la lettre de Zinoviev du 5 février.
  663. Il séjournera en Union soviétique de mai à août 1920. Dossier des attaques de Freiheit, de la correspondance de Borodine, Radek et lui-même dans « Die Wut des Hilfergendinges », Forum, n° 11, avril 1920, pp. 866-870.
  664. Freiheit, 26 juin 1920.
  665. Die Rote Fahne, 12 juin.
  666. Elle sera publiée dans Freiheit à partir du 11 juillet.
  667. Voir Freiheit, 31 mai 1920.
  668. Freiheit, 27 juin 1920.
  669. Texte, non daté, dans Manifest Richtlinien ... , pp. 322-325 sous le titre « An alle Orts — und Landesorganisationen der U. S. P. D .. an alle Arbeiter, die Mitglieder der U. S. P. D. sind ».
  670. Ibidem, p. 324.
  671. Die Rote Fahne, 24 juin 1920.
  672. Ibidem.
  673. Les Hambourgeois sont évidemment les premiers visés. Wolffheim pour ses contacts avec les officiers du général von Lettow-Vorbeck (selon une déclaration de Brandler à O. E. Schüddekopf, Linken Leute von Rechts, p. 433, il aurait même été secrétaire du général), mais aussi Laufenberg qui, avec Wolffheim, aurait rencontré Reventlow à la veille du putsch (Ibidem, p. 435). Parmi les autres dirigeants du K. A. P. D. accusés de tels contacts se trouve l'ouvrier berlinois Fritz Rasch : Freiheit publiera (10 juin 1920) une lettre d'un des collaborateurs de Kapp parlant de ses conversations avec les «kappistes » (lettre de von Weimburg, du 14 mars 1920), déclarant que le général von Falkenhausen « n'est pas opposé aux conversations avec M. Rasch ». Rasch démentira (Die Rote Fahne, 16 juin 1920, d'après K. A. Z.).
  674. Die Rote Fahne, 22 avril 1920.
  675. Ibidem, 15 juin 1920.
  676. 'Ibidem, 13, 14, 16, 17, 20 et 21 juillet 1920.
  677. Ibidem, 17 juillet 1920.
  678. Ibidem, 20 juillet 1920. Otto Rühle est en Russie depuis la fin du mois de mai (Bock, op. cit., p. 255).
  679. Die Rote Fahne, 21 juillet 1920.
  680. Ibidem. Merges est déjà parti pour Moscou avec le mandat d'y représenter, avec Rühle, le K. A. P. D. dans des négociations qui commencent le 19 juillet (Bock, Ibidem).
  681. Protokoll des II ... , p. 14.
  682. Compte rendu sténographique du 10° congrès du P.C.R. (b), p. 271, cité par E. H. Carr, Bolshevik Revolution. t. III. p. 188.
  683. Protokoll des II ... , p. 370.
  684. Œuvres, t. XXXI, p. 191.
  685. Protokoll des II…, pp. 751-752. E. Meyer précise devant le congrès du K. P. D. que ce tournant a été dicté par « la situation de crise révolutionnaire créée par l'offensive contre Varsovie » (Bericht 5 ... , p. 118).
  686. Œuvres, t. XXXI, pp. 210. 211.
  687. Protokoll des II..., p. 696.
  688. D'après le texte publié dans Œuvres, t. XXXI, pp. 210·215.
  689. Ibidem, p. 211.
  690. Ibidem, p. 212.
  691. Ibidem, p. 213.
  692. Ibidem, p. 214.
  693. Ibidem.
  694. Ibidem, p. 215.
  695. Ibidem, p. 215.
  696. Ibidem, pp. 215-216.
  697. Discours prononcé an meeting commun des délégués du congrès, des membres du soviet de Moscou, des représentants des syndicats et des comités d'usine le 7 août 1920, traduit par J. Degras, Communist International, t. I, p. 110.
  698. Bock, op. cit., pp. 254-255.
  699. Ibidem, p. 255.
  700. Ibidem, p. 255.
  701. Ibidem.
  702. Bericht 5 ... , pp. 27-29 et 36.
  703. Compte rendu de débats de la commission sur l'adhésion de l'U. S. P. D. à l'I. C. du 25 juillet, Die Rote Fahne 2 septembre 1920.
  704. Ibidem.
  705. Ibidem.
  706. Ibidem.
  707. Ibidem.
  708. Ibidem.
  709. Protokoll des II..., pp. 245-250.
  710. Ibidem, pp. 256-261.
  711. Ibidem. pp. 293-298.
  712. Ibidem, pp. 310-320.
  713. Ibidem, pp. 320-329.
  714. Ibidem, p. 334.
  715. Ibidem, pp. 346-353.
  716. Ibidem, pp. 353-362.
  717. Ibidem, pp. 366-373.
  718. Ibidem, pp. 374-382.
  719. Ibidem, pp. 742-745. Il est intéressant de relever le rôle joué par Bordiga, l'un des plus notoires représentants du courant gauchiste dans l'Internationale.
  720. Compte rendu de l'entretien du 10 août, Die Rote Fahne, 10 octobre 1920.
  721. Compte rendu du 2° congrès mondial, Archives Levi, P 55/7, p. 8.
  722. E. Meyer, Die Rote Fahne, 22 janvier 1922.
  723. M. Buber-Neumann, Von Potsdam nach Moskau, p. 81.
  724. E. Meyer, Bericht 5... , p. 125, 27- 28.
  725. Rosmer, Moscou sous Lénine, p. 116.
  726. Rosmer, op, cit., p. 118.
  727. Meyer, Bericht 5... , p. 28,
  728. Levi, ibidem, p. 35.
  729. « Journal de Russie » de W. Herzog, Forum, V, 7 avril 1921, p. 278 ; déclarations de Brandler et Geyer à R. Lowenthal,« The Bolshevisation of the Spartacus League », International Communism, St Antony's Papers, Projet n°9, p. 44.
  730. Rosmer, op. cit., p. 107.
  731. Protokoll des II ... , pp. 482 sq.
  732. E. H. Carr, op. cit., p. 207.
  733. E. Prager (Geschichte der U.S.P.D., p. 222) affirme, lui, que l'écrasante majorité allait se prononcer pour le rejet des conditions.
  734. L'argument est utilisé au maximum par la droite; les « néo-communistes », comme elle dit, agissent en traîtres au parti, en agents du K.P.D.(S). A la conférence nationale du 6 septembre, Dittmann raconte avec indignation comment il a « surpris » au Reichstag une réunion entre Levi, Gever et W. Koenen (U. S. P.D. Protokoll des Reichskonferenz 1920, p. 176).
  735. Freiheit, 17 septembre 1920, La gauche vote contre et adresse à la presse une protestation, dont ]a publication dans Die Rote Fahne, le 21 septembre 1920, sera dénoncée comme une preuve de « trahison ». L'exécutif se joindra à la protestation (Ibidem, 30 septembre 1920).
  736. Die Rote Fahne, 12 octobre 1920.
  737. Ibidem. 14 octobre 1920.
  738. La ligne de clivage à l'égard de Moscou passe, dans les syndicats, au milieu de l'aile gauche des indépendants. Otto Tost, Schliestedt, Urich, Ziska, sont avec Dissmmn, contre Moscou, et recevront bientôt le renfort d'un transfuge du parti communiste, Paul Lange. Oskar Rusch. Niederkirchner, Grylewicz, Richard Müller, Malzahn, Keumann, Bottcher, sont pour. La gauche perd d'importantes positions, comme la commission locale des syndicats berlinois et la rédaction du Metallarbeiter-Zeitung, enlevée à R. Müller en juillet.
  739. CI. Zetkin, « Der Weg nach Moskau », Die Rote Fahne, 3 octo bre 1920.
  740. « Georg Ledebour, die Revolution und die anderen », Die Rote Fahne, 5 septembre 1920, et la réponse de Ledebour (Freiheit, matin, 25 septembre 1920) fournissent des détails intéressants sur les événements de janvier 1919.
  741. Lettre de Zinoviev datée du 30 septembre, Die Rote Fahne, 2 Octobre 1920.
  742. Freiheit (matin), 5 octobre 1920.
  743. Freiheit, 6 octobre 1920.
  744. Freiheit, 12 octobre 1920.
  745. Zinoviev, Zwöff Tage in Deutschland, p. 5.
  746. Ibidem, p. 11.
  747. Ibidem, p. 13.
  748. Ibidem, p. 13.
  749. Protokoll U, S. P. D" Halle, p. 156.
  750. Ibidem, pp. 47-148.
  751. Ibidem, p. 148.
  752. Ibidem, p. 184.
  753. Ibidem, p. 188.
  754. Ibidem, p. 213.
  755. Prager (op. cit., pp. 226-229) donne un bref compte rendu de ce débat avec le texte intégral du « Manifeste de la social-démocratie indépendante au prolétariat allemand », proposé par Crispien et adopté àl'unanimité.
  756. Zwölf Tage in Deutschland, p. 57.
  757. Ibidem, p. 82.
  758. Ibidem, p. 87.
  759. Ibidem, p. 84.
  760. Ibidem, p. 86.
  761. Die Rote Fahne, 19 octobre 1920.
  762. Ibidem.
  763. Die Rote Fahne, 24 octobre 1920.
  764. Die Rote Fahne, 24 octobre 1920 ; Degras, op, cit., t. I, pp, 202-203.
  765. Die Rote Fahne, 25 octobre 1920.
  766. Ibidem.
  767. Bock, op. cit., p. 280.
  768. Ibidem, p. 256-257.
  769. Jahrbuch für Politik-Wirtschaft Arbeiterbewegung 1922-1923 (Pieck) donne le chiffre de 893 000, dont 135 000 femmes.
  770. Au cours du 3° congrès de l'Internationale, Radek devait préciser que, dans les rapports de la centrale adressés à l'exécutif au moment de l'unification en décembre 1921, il y avait eu une certane tendance à surestimer les effectifs, évalués à 500 000 membres environ. Selon lui, ils ne devaient pas en réalité dépasser les 350 000 (Protokoll des III ... , p. 457). De son côté, Pieck (Jahrbuch 1922-1923) parle de 300 000 indépendants seulement qui auraient effectivement rejoint le V.K.P.D. (p. 647).
  771. Les dirigeants du parti social·démocrate indépendant annonçaient 300 000 membres en 1922, chiffre vraisemblablement excessif (Ibidem, p. 643). De toute façon, réduit au tiers ou au quart de ses effectifs et ressources en cotisations, le parti indépendant avait les plus grandes difficultés à conserver permanents, journaux, écoles qu'avait entretenus un parti de presque un million de membres.
  772. Cité par Cl. Zetkin, Souvenirs sur Lénine, p. 57.
  773. Ibidem, pp. 48-49.
  774. R. Fischer, op. cit., p. 146.
  775. Indépendants : Däumig, Brass, Gäbel, Geyer, Hoffmann, Koenen, Remmele, Stoecker. Spartakistes : Levi, Brandler, Heckert, Pieck, Clara Zetkin.
  776. Radek dira au III° congrès de l'Internationale que la présence de Levi à la tête de la centrale constituait de la part des indépendants une exigence en forme d'ultimatum (« ultimatiue Forderung »), Protokoll du III ... , p. 550.
  777. Là encore, le témoignage de Radek est précieux malgré sa malveillance. Avant le congrès de Halle, il avait déjà écrit à la centrale allemande pour recommander un travail « fraternel » avec Levi. A son retour de Halle, Zinoviev insista pour qu'il conserve la direction, car il jouissait de la confiance des indépendants de gauche. Thalheimer et Radek eurent à le convaincre de ne pas se retirer à Francfort, comme il le désirait, leur répétant : « On ne peut par porter un chien à la chasse dans les bras » (Soll die V.K.P.D, pp, 104-105).
  778. Bericht Über die Verhandlungen der U.S.P.D (Linke) und der K.P.D. (décembre 1920), p. 38.
  779. Archives Levi, p 64/3, p. 14.
  780. Bericht 2 ... , p. 61.
  781. « Die Kehrseite », Die Internationale, n° 9-10, 4 avril 1919, p. 13.
  782. Bericht über den 2. Parteitag ... , p. 24.
  783. « Le début de la crise dans le K.P.D. et l'Internationale », 24 février 1921. Archives Levi, P 64/3. p. 20.
  784. « Der Patteitag des K.P. », Die Internationale, n° 26, 1° décembre 1920, p. 41.
  785. Archives Levi, P 124/8, p. 3.
  786. « Reinigung », Die Internationale, n° 15-16, 1° novembre 1919, p.283.
  787. Zinoviev, Zwölf Tage in Deutschland, p. 74. Notons cependant qu'il exprime plus les aspirations des ouvriers russes que celles de la classe ouvrière allemande àcette époque.
  788. Pour le détail, voir chap. XXVIII.
  789. C'est Richard Müller qui prend la direction du Gewerkscbaftsabteilung. A ses côtés, les plus expérimentés des militants ouvriers du moment, les Brandler et Heckert, du bâtiment, les métallos Malzahn, Fritz Wolff, Walcher, Eckert. (V. Mujbegović, op. cit., p. 341).
  790. Ruth Fischer (op. cit., p. 174) ajoute les groupes Z (sabotage) et T (terreur) sur lesquels nous ne possédons que des informations d'origine douteuse
  791. Archives Levi, P 124/8, pp. 1-2.
  792. Ibidem, p. 3.
  793. Ibidem.
  794. Ibidem, pp. 12-13.
  795. Kommunistische Rundschau, n° 1, 1° octobre 1920.
  796. Bolchevik, n° 2, avril 1924, p. 1.
  797. Compte rendu du comité central du K.P.D. en date du 28 janvier 1921. Archives Levi, p. 50/a 5 reproduit dans Tbe Comintern : Historical Highlights, p. 285. Radek expose ici des idées qu'il a personnellement combattues.
  798. Ibidem, p. 286.
  799. « O natupitel'noj taktike », Kommunistitcheskii Internasional, n° 15, 1920, col. 3073-3075. Uber die Offensivtaktik », Die Kommunistitche Internationale, n° 15, 1920, pp. 67-71 ; en français « De la tactique offensive », Bulletin communiste, n° 14, 7 anil 1921, pp. 219-220.
  800. Revue communiste, n° 6, août 1920. pp. 504-505.
  801. «Discours à l'assemblée des militants de Moscou », 6 décembre 1920, Œuvres, t. XXXI, p. 460.
  802. Message au congrès de Livourne du P.S.I. cité par R. Paris, Histoire du fascisme en Italie, t. I, p. 202.
  803. Voir la discussion prudente sur ce point de E. H. Carr, op. cit., pp. 337-338.
  804. E. Meyer, Bericht über den V. Parteitag, p. 27.
  805. A. Maslow, « Die Proletarische Parteien Deutschlands und ihre Politik in der gengenwärtige Krise », daté du 5 septembre 1920, Kommunismus, n° 36-37, pp. 1298-1317
  806. G. Lukacs, « Der Parteitag der K.P.D. », ibidem, n° 44, pp. 1562-1564.
  807. Herzog, « Russisches Tagebuch ». Forum, V, 7 avril 1921, pp. 275, 278 ; C. Geyer, « Zur Vorgeschichte des III. Weltkongresses », Sowjet, n°8/9, août 1921, p. 241. Curt Geyer avait été délégué aussitôt après le congrès d'unification comme représentant du V.K.P.D. à l'exécutif.
  808. Geyer, op. cit. La grève des électriciens de Berlin, décidée pour le 7 novembre par 1 800 voix contre 60, s'était terminée le 12 par un vote acquis par 704 voix contre 600. Elle avait par ses conséquences pratiques créé dans la capitale une atmosphère de « grand soir » et fait l'objet de très violentes attaques de la presse et du gouvernement. L'organisation de briseurs de grève « Technisches Nothilfe » était intervenue, provoquant de nombreux incidents. Finalement, campagne de presse, menaces de licenciement et de répression étaient venues à bout du mouvement. Les éléments de gauche reprochaient à la centrale de n'avoir pas lancé le mot d'ordre de grève générale, qu'elle jugeait pour sa part aventuriste (Levi, « Die Lehren des Elektrizitätsstreiks », Die Rote Fahne, 12 novembre 1920). R. Fischer, op. cit., p. 119, écrit que le communiste Wilhelm Sült, « homme tranquille et discret ouvrier intelligent et hautement qualifié », « voulait recourir au sabotage -— même faire sauter les centrales ». Dans un compte rendu de débat devant les délégués des conseils d'usine de Berlin paru dans Die Rote Fahne, 12 novembre 1920, l'intervention de Sült fait apparaître son opposition résolue à tout recours au sabotage mais aussi sa détermination d'opposer la violence ouvrière à celle des « jaunes ». Sült devait être exclu par les instances supérieures de son syndicat (Die Rote Fahne. 7 décembre 1920).
  809. Bericht 5 ... , p. 41.
  810. Ibidem, p. 107.
  811. Friesland, Zur Krise unserer Partei, p. 21.
  812. Bericht über den Vereinigungsparteitag, p. 232.
  813. P. Levi, « Die Vereinigungsparteitag », Die Rote Pabne, 4 décembre 1920.
  814. H. Gorter, « Die K.A.P.D., und die 3. Internationale », KAZ, n° 162, 1920, d'après Bock, op. cit., p. 257.
  815. Ibidem, p. 257.
  816. Ce rapport ne paraît pas avoir été publié par le K.A.P.D. (Bock, op. cit., p. 258, n. 37). D'après la réponse de Trotsky, il semble avoir suivi de près l'analyse faite par Pannekoek dans « Révolution mondiale et tactique communiste ». Rosmer (op. cit., pp. 139-140) fait le récit de cette séance de l'exécutif à laquelle il prit part.
  817. Le texte intégral du contre-rapport de Trotsky est reproduit dans Pjat'let Kominterna (éd. angl., The First Five Years of the Communist International, t. I, pp. 137-152).
  818. Protokoll der III ... der K.I., p. 186.
  819. Résolution du 28 novembre 1920 : Komunistitcheskii Internatsional, n° 15, décembre 1920, col. 3 368. Degras, op. cit., I, p. 206.
  820. Bock, op. cit., pp. 258-259.
  821. Levi, le 2 février, dira au C.C. que ce document n'est pas encore parvenu, Archives Levi, P 64/3, f. 11.
  822. « Eine unhaltbare Situation », Die Rote Fahne, 24 décembre 1920.
  823. Ibidem.
  824. Die Rote Fahne, 29 décembre 1920.
  825. Levi, « Taktische Fragen », Die Rote Fahne, 4 janvier 1921.
  826. Encore que ce point soit contesté par Robert Dissmann, qui écrit dans Freiheit du 26 janvier 1921 que l'idée a été soufflée à Melcher, de Berlin, par le communiste Oskar Rusch.
  827. Die Rote Fahne, 2 et 10 décembre 1920.
  828. II s'écrie devant la centrale le 28 février : « Si j'avais été à Moscou, l'idée ne me serait même pas venue » (Archives Levi, P 50/a 5, reproduit dans The Comintern : Historical Highlights, p. 292). Il dira dans Soll die V.K.P.D ... , p. 24, que la proposition fut faite à la centrale par « le représentant de l'exécutif ».
  829. Radek, ibidem, dit que les oppositions venaient d' « une partie des camarades qui étaient des anciens indépendants de gauche ».
  830. Radek, ibidem.
  831. Die Rote Fahne, 8 janvier 1921.
  832. Die Internationale, 1921, n° 1, pp. 1-4, n° 2, pp. 10-16.
  833. Soll die V.K.P.D... , pp. 21-23.
  834. Correspondenzblatt, n° 8, 19 février 1921, p. 110.
  835. Die Rote Fahne, 16 février 1921.
  836. Ibidem, 19 janvier 1921.
  837. W. Raase, Zur Geschichte der deutschen Gewerkschaftsbewegung, 1919-1923, p. 90.
  838. Die Rote Fahne, 21 janvier 1921.
  839. Die Rote Fahne, 15 janvier 1921.
  840. Die Rote Fahne, passim; Raase, op. cit., pp. 89 sq.; Die Märzrkümpfe (F. Knittel), pp. 17.
  841. Graphischer Block, n° 75, 15 février 1921.
  842. Raase, op. cit., p. 91.
  843. Kommunistische Arbeiter Zeitung, n° 61, d'après Freiheit, 15 janvier 1921.
  844. Elfriede Friedländer avait quitté Vienne avec la réputation d'un élément droitier. Tomann avait prévenu Radek qu'elle était « le Martov autrichien » (Radek, November ... , p. 156). C'est sans doute sous l'influence de Maslow qu'elle devint gauchiste. Clara Zetkin, qui lui manifesta de tout temps une grande hostilité - que l'autre lui rendait bien -, allait dire à propos de ses avatars que « ses positions politiques variaient avec les vicissitudes de sa vie sexuelle » (cité par H. Weber, Die Wandlung, II, p. 118). C'est vers cette époque qu'elle adopta le pseudonyme de Ruth Fischer, du nom de jeune fille de sa mère : c'est seulement plus d'un an après qu'elle devait acquérir la nationalité allemande, par le biais d'un mariage à Berlin, avec un militant du nom de Golke (ibidem).
  845. Isaac Tchéréminski, qui devait pour militer prendre le nom de Maslow, n'avait eu jusqu'à l'âge de vingt-six ans aucun lien avec le mouvement ouvrier. Il avait été gagné au communisme en 1919, à la suite de sa rencontre avec Paul Levi et Ruth Fischer.
  846. Selon V. Mujbegović, op. cit., p. 260, n. 7, qui a pu consulter le compte rendu de la séance du comité central du 27 janvier 1921 (I.M.L.-Z.P.A .. 2/2, « Protokoll der Sitzung des Zentralausschusses »), des critiques de gauche y avaient été élevées contre la lettre ouverte, jugée « opportuniste ».
  847. Rapport de Curt Geyer. représentent du V.K.P.D. auprès de l'executif, à la centrale (I.M.L.-Z.P.A.. Archiv, Akte 10/14. if. 292·323) cité par Reisberg, « Die Leninsche Politik der Aktionseinheit ». BzG, n° 1. 1963, p. 62. Geyer mentionna en 1921 la prise de position du petit bureau et l'intervention de Lénine contre elle dans Sowjet n° 8/9, août 1921, p. 242, et l'événement était assez connu pour que des allusions y furent faites tant au 3° qu'au 4° et au 5° congrès de l'Internationale par les principaux intéressés.