Partie I. De la guerre à la révolution - Victoire et défaite du gauchisme

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IV. La guerre et la crise de la social-démocratie[modifier le wikicode]

Le 31 juillet 1914, le bureau socialiste international lançait son appel à la lutte contre la guerre, et Jean Jaurès tombait sous les balles de Raoul Villain. Le 1° août, le gouvernement allemand déclarait la guerre à la Russie et proclamait l'état d'urgence. Le 2, l'exécutif du parti social-démocrate se réunissait pour définir l'attitude des élus au Reichstag dans la question du vote des crédits militaires réclamés par le chancelier Bethmann-Hollweg.

Les dirigeants étaient profondément divisés : tandis que le vieux révisionniste David et le secrétaire du parti, Scheidemann, se prononçaient pour le vote des crédits militaires[1], Haase et Ledebour réclamaient un vote hostile conforme aux positions de principe du parti. Après discussion, la décision était renvoyée au lendemain. A la réunion de la fraction social-démocrate du Reichstag, la droite attaque la première : David brandit la menace que l'autocratie russe fait peser sur les libertés allemandes, souligne le risque d'une interdiction du parti, en cas de vote hostile, la portée d'un tel geste dans l'atmosphère d'excitation guerrière qui règne. Il affirme être décidé à ne pas accepter la discipline de vote sur une question d'une telle importance[2].

Les adversaires du vote des crédits sont loin de faire preuve de la même détermination. Lorsque la fraction décide, par 78 voix contre 14, de voter les crédits militaires, les quatorze opposants - parmi lesquels Haase, Ledebour, Liebknecht, Otto Rühle - acceptent de respecter la discipline le lendemain. Mieux, à la séance du Reichstag du 4 août, c'est Hugo Haase, président du parti et porte-parole de la fraction, qui apporte le soutien unanime des social-démocrates au chancelier, c'est-à-dire à la politique de guerre. Il justifie ce geste par le souci de défense nationale d'un peuple épris de liberté et de culture et menacé par le despotisme tsariste, et exprime le souhait que, la sécurité de l'Allemagne une fois assurée par les armes, les belligérants puissent conclure au plus vite une paix durable garantissant l'amitié entre les peuples. Votant les crédits et approuvant la guerre, le parti social-démocrate s'affirme en même temps attaché à l'Internationale, au socialisme et à la paix. Une page de l'histoire mondiale était tournée[3].

Signification et conséquences du 4 août[modifier le wikicode]

Il est a posteriori facile de démontrer que le vote du 4 août était la conséquence logique du développement de l'activité politique social-démocrate au cours des années précédentes. Pourtant la nouvelle frappa d'étonnement nombre de contemporains bien informés : sceptique devant le numéro du Vorwärts qui donnait l'information, Lénine envisagea un instant l'hypothèse d'un faux imaginé par l'état-major allemand[4]. Le 25 juillet encore, moins de dix jours auparavant, le parti avait solennellement affirmé dans un manifeste :

« Le prolétariat conscient d'Allemagne, au nom de l'humanité et de la civilisation, élève une vibrante protestation contre les fauteurs de guerre. (...) Pas une goutte de sang d'un soldat allemand ne peut être sacrifiée à la soif de pouvoir du groupe dirigeant autrichien, aux appétits impérialistes du profit. »[5]

Le 30 juillet, devant le caractère apparemment inéluctable de l'engrenage, l'exécutif avait baissé les bras en parlant d'« efforts inutiles » et de « devoir accompli », mais il n'avait pas pour autant embouché la trompette guerrière de la lutte en faveur de la civilisation menacée[6].

Les documents manquent encore aujourd'hui sur les motifs véritables, exprimés ou non, des dirigeants social-démocrates, et sur leurs pensées intimes au cours de cette semaine cruciale. Scheidemann a avoué avoir été fortement impressionné par l'ampleur des manifestations chauvines de Berlin[7]. Une lettre et des notes d'Ebert reflètent sa peur que la guerre et la réanimation inévitable à terme du mouvement ouvrier russe ne redonnent vigueur aux plans du « groupe de Rosa »[8]. Il semble bien, en effet, que la peur ait été le sentiment dominant. Dès le 30 juillet, dans la soirée, Ebert et Otto Braun étaient partis en Suisse avec la caisse du parti[9]. En application de la loi sur l'état de siège, les autorités militaires disposaient de pouvoirs dictatoriaux : elles pouvaient évidemment anéantir du jour au lendemain le gigantesque édifice patiemment construit, annuler les conquêtes sociales, détruire les organisations, interdire la presse, arrêter militants et dirigeants, rayer d'un trait de plume tous les résultats de décennies d'action, de propagande, d'organisation social-démocrates. La terrible pression exercée par la presse d'information, les autorités constituées, l'appareil d'État, la résurgence brutale de sentiments chauvins élémentaires semblaient créer un courant irréversible, et bien des militants étaient tentés de s'y fondre sans esprit de retour, eux qui n'avaient l'habitude ni de l'isolement, ni de la lutte à contre-courant, encore moins celle de la répression brutale et de l'illégalité. Konrad Haenisch, en quelques heures, renie ses années de combat au premier rang des radicaux de gauche, et rallie le camp des patriotes, assurant qu'il a ainsi résolu «un conflit entre deux âmes »[10]. Le phénomène n'est ni unique ni nouveau : Carl Schorske rappelle à son propos l'autre 4 août, cette nuit de 1789 où la noblesse de France abandonna ses privilèges, « renonçant à ses propres principes d'organisation sociale »[11].

En fait, une période nouvelle s'ouvrait en ce mois d'août 1914. Il n'était désormais plus possible, ni aux social-démocrates allemands, ni aux socialistes français, d'escompter, au moins dans l'immédiat, une voie pacifique vers le socialisme au moment où les contradictions interimpérialistes aboutissaient au conflit armé. Aux dirigeants surpris dans leur routine, placés devant des choix dont ils ne mesuraient peut-être pas la portée, sur le seuil d'événements qu'ils étaient incapables de seulement imaginer, la situation nouvelle apportait doutes, hésitations, désarroi. Le gouvernement faisait le reste. Dans les derniers jours de juillet, le ministère de l'intérieur s'était employé à rassurer les dirigeants des syndicats, leur assurant qu'ils n'avaient rien à redouter, que la patrie avait besoin de tous ses fils, et d'eux en particulier[12]. Par la bouche des social-démocrates de droite, la bourgeoisie allemande offrait une issue tentante avec la survie des organisations, mieux même, leur officialisation, la reconnaissance de leur rôle, de leur nécessité pour le maintien d'une « paix civile » face au danger extérieur. Une fois de plus, mais avec des arguments plus convaincants, les classes dirigeantes offraient aux dirigeants ouvriers un rôle, justifié par la reconnaissance de l'existence d'un intérêt national commun aux travailleurs et aux patrons, bref, la réintégration de la classe ouvrière et de son parti dans la communauté nationale, dans la patrie allemande.

Dès le 2 août, les syndicats concluent avec le patronat un accord proscrivant grèves et lock-out, prolongeant toutes les conventions collectives pour la durée des hostilités[13]. Le 3 août, autour de David et de Scheidemann, ils sont une trentaine de députés décidés, quoi qu'il arrive, à voter les crédits militaires, sûrs du soutien des dirigeants syndicaux[14]. Les promesses gouvernementales d'une « nouvelle orientation » après la guerre, les assurances qu'aucune mesure ne saurait être prise contre les organisations ouvrières si elles jouent le jeu, les possibilités entrevues de carrières politiques nouvelles achèvent de faire pencher la balance. Les hésitants se rallient à la droite. Quant aux quatorze députés de gauche qui auraient voulu voter contre les crédits militaires et la guerre, l'emprise de l'idéologie unitaire, l'attachement et le patriotisme de parti sont si forts qu'aucun d'entre eux ne se résoudra à enfreindre la discipline de fraction. Haase et Liebknecht lui-même respectent une décision prise par une majorité dont certains membres avaient pourtant affirmé d'avance qu'ils ne respecteraient pas cette discipline si la décision leur était contraire.

Le tournant était beaucoup plus décisif que ne le croyaient ces hommes qui s'inclinaient devant « le parti ». Les social-démocrates s'engageaient dans la guerre et la cautionnaient. Les affirmations d'attachement aux principes, à la solidarité internationale des travailleurs, à la paix, au socialisme, l'assurance du caractère purement défensif de la guerre, le refus indigné de toute annexion éventuelle n'apparaissaient bientôt que pour ce qu'ils étaient, de piètres précautions oratoires devant une réalité qui s'appelait schrapnells, bombes, mitraille, gaz asphyxiants et visées impérialistes. Bientôt les dirigeants social-démocrates seront aussi « annexionnistes » que les chefs militaires ou politiques. Ils expliqueront aux ouvriers allemands que l'armée de Guillaume Il, en luttant contre le tsarisme et l'impérialisme britannique, défend les chances du socialisme et assure sa future victoire. En France, les socialistes affirment de leur côté qu'il faut, pour assurer les chances du socialisme, en finir d'abord avec le militarisme allemand et l'impérialisme pangermaniste. L'Internationale est morte le 4 août 1914.

Premières résistances[modifier le wikicode]

Personne n'a jamais songé à contester l'importance de l'événement, l'ampleur du tournant. Mais les désaccords commencent dès qu'il s'agit d'en analyser les causes.

S'élevant contre ce qu'il appelle la thèse communiste de la « trahison » des chefs, Franz Borkenau s'est attaché à montrer la puissance de la « vague de patriotisme » qui déferlait alors en Allemagne et ailleurs, par-dessus les frontières des convictions partisanes. Il y voit la preuve que, dans le monde moderne, les passions politiques sont enflammées moins par les antagonismes de classe que par les antagonismes nationaux. Parlant de la situation en Allemagne, il écrit :

« Les chefs ont fait exactement ce que voulaient les masses, et s'ils avaient agi autrement ils n'auraient eu aucun soutien des masses. ( ... ) Le prolétariat révolutionnaire s'est révélé un mythe. »[15]

Sa thèse sur ce point reprend presque exactement celle qu'avance Kautsky en 1914 et dans les années suivantes[16]. Mais un examen approfondi en montre la fragilité. En effet, dans le cas de la social-démocratie allemande, ce que Kautsky et Borkenau appellent « l'apathie des masses » est incontestable : la décision de voter les crédits militaires ne se heurte, de la part des ouvriers, membres du parti ou non, à aucune résistance ouverte. Elle n'est contredite par aucun mouvement, aucune grève, aucune manifestation, aucun refus massif des ordres de mobilisation, aucune mutinerie de réservistes. Pourtant, ces remarques ne sont que constatations, sans prétention possible à l'explication.

Il est clair en effet que ce que Borkenau appelle ici « les masses » n'est rien d'autre qu'un nombre élevé d'individus dont la volonté de se battre ou de capituler, les sentiments et les réactions ne pouvaient s'exprimer que collectivement, à travers un corps, une organisation. Avant le 4 août 1914, le parti social-démocrate était cette organisation, celle des ouvriers allemands. Le 4 août 1914, les dirigeants de ce parti et des syndicats ont décidé, à la place des « masses » et sans les avoir consultées, pour laquelle on envoya plus de trois cents télégrammes : seule Clara Zetkin répondit sans détours ni réserves. Il fallut renoncer[17].

Les révolutionnaires allemands se trouvaient dans un état d'atomisation totale. Ils allaient en outre apprendre à leurs dépens que, dans un parti qu'ils considéraient encore comme le leur, ils pouvaient subir une répression qui doublait celle de l'État et de sa police. Déjà l'interdiction, édictée le 1" août, de toute manifestation et réunion publique, traçait un cadre général interdisant l'expression politique des adversaires de la guerre. L'exécutif du parti allait étendre cet état de siège au parti lui-même. L'expérience de Karl Liebknecht a été, à cet égard, décisive, tant pour lui-même que pour l'avenir de la gauche allemande. Au début d'août, il croyait encore que les possibilités d'expression de l'opposition à l'intérieur du parti demeuraient intactes et qu'il était raisonnable d'espérer parvenir à un redressement par une discussion politique interne. C'est dans cette optique qu'il suggérait à l'exécutif l'organisation d'un meeting contre la propagande annexionniste, dont il pensait faire le point de départ de la correction de ce qu'il considérait encore comme le faux pas du 4 août[18]. L'exécutif refusa.

Fin août, il se rend en Belgique occupée, s'informe sur les atrocités commises par l'armée allemande. Le 3 septembre, il proteste contre un journal de Brême qui a parlé du groupe parlementaire unanime le 3 août[19]. Le 21 septembre, il se rend à Stuttgart où ses amis politiques l'ont invité : les autorités militaires interdisent la réunion publique prévue, mais il a une longue discussion avec les militants, qui lui reprochent son vote du 4 août. Il leur révèle les dissensions au sein de la fraction du Reichstag, l'existence d'une opposition au vote des crédits, reconnaît son erreur :

« Vos critiques sont absolument justifiées. (J'aurais dû) crier mon « Non » en plein Reichstag. (...) J'ai commis une faute grave. »[20]

Il est rappelé à l'ordre par l'exécutif pour avoir divulgué ces informations[21]. Le 10 octobre, il répond en invoquant la structure démocratique du parti qui permet, écrit-il, « à tout camarade ( ... ) de prendre position, même contre les autorités les plus élevées »[22]. Le 17 octobre, une information est ouverte contre lui par la justice militaire pour des faits remontant à avant la guerre. Le 10 novembre, l'organe du syndicat du bâtiment que dirige le révisionniste Winnig réclame son exclusion. Ainsi que l'écrit Carl Schorske,

« le changement des rapports du parti envers l'État exigeait qu'il garde son opposition sous contrôle, qu'il maintienne la « paix civile » à l'intérieur du mouvement ouvrier »[23].

Les autorités militaires et l'appareil du parti conjuguent leurs efforts dans ce même sens. Le 5 août, déjà, l'exécutif avait décidé le report du congrès sine die et pour la durée de la guerre, se réservant donc pour cette période exceptionnelle les pouvoirs qu'il avait reçus dans de tout autres circonstances[24]. Les autorités militaires interdisent les assemblées de militants de Stuttgart le 21 septembre, de München-Gladbach le 4 novembre, de Leipzig le 24 et d'Altona le 29, mais, ailleurs, ce sont les secrétaires qui empêchent les assemblées générales en refusant tout simplement de les convoquer : à Hambourg, une seule assemblée générale a lieu sur quatre districts, parce que des éléments radicaux l'ont convoquée eux-mêmes par-dessus la tête des instances régulières[25]. Les journaux radicaux sont l'un après l'autre musclés par cette double répression : Rheinischen Zeitung suspendu pour deux jours le 11 septembre, Volksblatt de Bochum interdit le 20, Echo vom Rheinfall et Dantziger Zeitung le 25[26]. Le Vorwärts, dont plusieurs rédacteurs - Cünow, Däumig, Hilferding - ont fait savoir leur désaccord à l'exécutif[27], est suspendu pour trois jours le 21 septembre, pour une durée indéterminée le 28[28]. Les autorités militaires ne l'autorisent à reparaître le 1° octobre qu'après une démarche de Haase et de Richard Fischer qui prennent, au nom du parti, l'engagement que le journal ne parlera plus désormais de « lutte de classes »[29]. En novembre, c'est l'exécutif wurtembergeois qui élimine de Schwäbische Tageblatt la rédaction radicale autour de Crispien et Walcher et remet la direction au révisionniste Keil[30].

Pour les plus lucides des opposants, il est vite évident que tous les moyens seront employés pour les bâillonner, et qu'aucune chance ne leur sera donnée de s'adresser à la base. Ils doivent donc envisager d'agir en s'exprimant publiquement tant qu'ils en ont la possibilité. Cela signifie briser la discipline. La décision en est douloureuse à prendre pour ces militants dont le parti a été l'univers et la raison de vivre : ils ont le sentiment de piétiner une partie d'eux-mêmes et leur santé en est parfois durement ébranlée[31]. Devant l'effondrement de ses dernières illusions, les nerfs secoués par l'importance du geste, mais conscient qu'il le doit à ceux qui n'ont pas abandonné l'idéal socialiste, Liebknecht se décide à accomplir le pas décisif : il ne lui reste plus qu'un seul moyen d'exprimer son opposition, c'est de voter lui-même contre les crédits militaires, de voter contre la décision du parti[32]. Au cours d'une discussion dramatique dans l'appartement de Ledebour, pendant la nuit du 1° au 2 décembre, il ne parvient à convaincre aucun des autres députés opposants qu'il faut à tout prix se décider à ce geste spectaculaire[33]. Le 3 décembre, au Reichstag, il vote seul contre les crédits, faisant ainsi de sa personne et de son nom prestigieux le symbole de l'opposition et le centre de ralliement de ses forces éparses.

La scission est désormais en marche. Il faudra des années avant qu'elle soit définitivement consommée, dans des conditions finalement aussi confuses que pouvaient le laisser prévoir les hésitations des adversaires du tournant du 4 août au cours des mois qui avaient suivi cette décision historique.

Prise de position des bolcheviks[modifier le wikicode]

Lénine et les dirigeants bolcheviques émigrés sont les premiers à adopter sur les conséquences du 4 août une position nette. C'est aux environs du 24 août en effet que Lénine rédige le projet de texte sur « Les Tâches de la social-démocratie révolutionnaire », qui exprime déjà l'essentiel de ce que sera la ligne bolchevique dans les années qui viennent[34].

Pour lui, le caractère de la guerre, « bourgeoise, dynastique, impérialiste », ne fait aucun doute. La position des dirigeants de la social-démocratie est une « trahison pure et simple du socialisme »[35]. Non qu'ils aient eu réellement la possibilité d'empêcher la guerre en adoptant d'autres attitudes, mais parce qu'ils ont abandonné la position de classe du prolétariat face à la guerre impérialiste :

« Les partis ouvriers ( ... ) ne se sont pas opposés à l'attitude criminelle des gouvernements, mais ont appelé la classe ouvrière à aligner sa position sur celle des gouvernements impérialistes. Les leaders de l'Internationale ont trahi le socialisme en votant les crédits de ,guerre, en reprenant les mots d'ordre chauvins de la bourgeoisie de « leurs pays », en justifiant et en défendant la guerre, en entrant dans les ministères bourgeois des pays belligérants, etc. Si le socialisme se trouve ainsi déshonoré, la responsabilité en incombe avant tout aux social-démocrates allemands, qui étaient le parti le plus fort et le plus influent de la II° Internationale. »[36]

Le passage sur les positions de la bourgeoisie impérialiste des dirigeants des principaux partis de l'Internationale a une signification historique d'une grande portée : il signifie « la faillite idéologique et politique » de l'Internationale[37]. Lénine en désigne sans hésitation la cause véritable :

« Cette faiIlite a pour cause fondamentale la prédominance au sein de l'Internationale de l'opportunisme petit-bourgeois dont le caractère, et le danger qu'il constituait, étaient depuis longtemps signalés par les meilleurs représentants du prolétariat de tous les pays. »[38]

Pour lui, le courant opportuniste, qui s'était manifesté avant la guerre sous les formes diverses du réformisme, de la collaboration de classes, du pacifisme, du souci de la légalité et des perspectives parlementaristes, a son couronnement dans l'adoption face à la guerre, d'une attitude inspirée par une idéologie chauvine, résultant en réalité de la pression sociale des couches privilégiées du prolétariat, aristocratie ouvrière et bureaucratie des professionnels des partis et syndicats :

« L'opportunisme a été engendré pendant des dizaines d'années par les particularités de l'époque de développement du capitalisme où l'existence relativement pacifique et aisée d'une couche d'ouvriers privilégiés les « embourgeoisait », leur donnait des bribes du bénéfice du capital, leur épargnait la détresse, les souffrances, et les détournait des tendances révolutionnaires de la masse vouée à la ruine et à la misère. La guerre impérialiste est le prolongement direct et le couronnement de cet état de choses, car c'est une guerre pour les privilèges des nations impérialistes, pour un nouveau partage entre elles des colonies, pour leur domination par d'autres nations. »[39]

Le passage des dirigeants opportunistes dans le camp de la bourgeoisie lors de l'éclatement de la guerre impérialiste implique donc une révision profonde de l'attitude des social-démocrates révolutionnaires. La guerre impérialiste a en effet une profonde signification historique du point de vue du prolétariat et des perspectives révolutionnaires :

« Le socialisme en Europe est sorti du cadre relativement pacifique et limité au cadre national étroit. Après la guerre de 1914-1915, il est entré dans le stade des actions révolutionnaires, et la rupture complète avec l'opportunisme, l'expulsion de ce dernier du sein des partis ouvriers, sont incontestablement à l'ordre du jour. »[40]

En elle-même, la guerre européenne « marque le début d'une époque nouvelle[41] » dans laquelle la tâche historique du prolétariat devient la lutte pour le pouvoir et pour le socialisme :

« La transformation de la guerre impérialiste actuelle en guerre civile est le seul mot d'ordre juste, enseigné par l'expérience de la Commune de Paris, indiqué par la résolution de Bâle en 1912 et découlant des conditions de la guerre impérialiste entre pays bourgeois hautement évolués. »[42]

Dans cette perspective nouvelle, il ne saurait donc être question, comme par le passé, de considérer comme normale, au nom de l'unité, l'existence, au sein des partis ouvriers, d'ailes opportunistes. Soulignant que les dirigeants des partis social-démocrates ont évoqué, pour leur défense, les intérêts matériels mis en question par une éventuelle dissolution des organisations ouvrières, Lénine affirme :

« Les dizaines de milliers de dirigeants, de fonctionnaires et d'ouvriers privilégiés corrompus par le légalisme ont désorganisé l'armée innombrable du prolétariat social-démocrate. »[43]

Le problème n'est donc pas celui de l'unité de la classe ouvrière, qui est toujours « l'arme la plus puissante du prolétariat dans sa lutte pour la révolution socialiste »[44], mais celui de son unité révolutionnaire, qui exige l'élimination de l'élément étranger à la classe, l'opportunisme :

« Il faut être aveugle pour ne pas voir dans l'influence bourgeoise ou petite-bourgeoise sur le prolétariat la cause essentielle, principale, fondamentale de la honte et de la faillite de l'Internationale en 1914. »[45]

Dès septembre 1914, le comité central des bolcheviks se prononce au vu de la faillite de la II° Internationale, pour une nouvelle Internationale, la III° :

« L'unité de la lutte prolétarienne pour la révolution socialiste exige maintenant, après 1914, que les partis ouvriers se séparent absolument des partis opportunistes. »[46]

« La II° Internationale est morte, vaincue par l'opportunisme. A bas l'opportunisme et vive la III° Internationale débarrassée non seulement des « transfuges » mais aussi de l'opportunisme !

La II° Internationale a accompli pour sa part un utile travail préparatoire d'organisation des masses prolétariennes pendant une longue période « pacifique » qui a été celle de l'esclavage capitaliste le plus cruel et du progrès capitaliste le plus rapide : le dernier tiers du XIX° siècle et le début du XX°. A la III° Internationale revient la tâche d'organiser les forces du prolétariat en vue de l'assaut révolutionnaire contre les gouvernements capitalistes, de la guerre civile contre la bourgeoisie de tous les pays pour le pouvoir politique, pour la victoire du socialisme ! »[47]

Mais l'isolement des bolcheviks est presque complet : il n'existe pas en 1914 de forces suffisantes pour mener à bien à l'échelle internationale la scission qui s'impose pour la construction des partis comme d'une Internationale révolutionnaire. Lénine écrit, dans Le Socialisme et la guerre :

« Pour fonder une organisation marxiste internationale, il faut que la volonté de créer des partis marxistes indépendants existe dans les différents pays. L'Allemagne, pays du mouvement ouvrier le plus ancien et le plus puissant, a une importance décisive. Le proche avenir montrera si les conditions sont déjà mûres pour constituer une nouvelle Internationale marxiste. Si oui, notre parti adhérera avec joie à cette III° Internationale épurée de l'opportunisme et du chauvinisme. Autrement, cela voudra dire que cette épuration exige une évolution plus ou moins longue. Dans ce cas, notre parti formera l'opposition extrême au sein de l'ancienne Internationale jusqu'à ce que se constitue dans les différents pays la base d'une association ouvrière internationale se situant sur le terrain du marxisme révolutionnaire. »[48]

En fonction de ces nécessités de l'action sur le plan international, Lénine et les bolcheviks s'efforcent d'élargir le mince groupe de leurs alliés au sein du mouvement international. Il y a là les Hollandais, groupés autour de De Tribune, avec Pannekoek qui a rejoint son pays lors de la déclaration de guerre, les militants de Brême qui collaborent à Bremer-Bürgerzeitung et sont en relation avec Radek et avec Pannekoek[49], le petit groupe berlinois groupé autour de Julian Borchardt qui édite Lichtstrahlen[50] et est également en liaison avec Radek et les gens de Brême. Lénine mettra beaucoup d'espoir, comme le montre sa correspondance avec Radek[51], dans la constitution éventuelle d'un groupe révolutionnaire, le groupe Stern, qui ne verra finalement pas le jour. Il s'efforcera de mettre sur pied, avec ces différents éléments, une revue internationale, Vorbote, que Pannekoek sera chargé de présenter et dans laquelle il publiera une intéressante analyse des racines sociales de l'opportunisme au sein du mouvement ouvrier[52]. Pourtant, dans une lettre au Hollandais Wijnkoop, en juillet 1915, Lénine admet que le moment le plus favorable n'est peut-être pas encore arrivé pour une scission au sein de la social-démocratie allemande : il est d'autant plus nécessaire de lutter pour obtenir partout une rupture totale avec l'opportunisme[53]. Dans le même temps, il presse Radek d'obtenir des Allemands « une prise de position idéologique »[54], une « Prinzipienerklärung claire, complète et précise »[55] :

« Les Hollandais, plus nous, plus les Allemands de gauche, plus zéro, ce n'est rien ; plus tard, ce ne sera pas zéro, mais tout ! »[56]

C'est avec le même objectif que Lénine et ses alliés au sein de la social-démocratie européenne participent en septembre 1915 à la conférence de Zimmerwald, où ils constituent le noyau de ce que l'on appellera la « gauche zimmerwaldienne ». Rendant compte de cette conférence dans Lichtstrahlen, Radek écrit qu'elle constitue un « premier pas vers la restauration de l'Internationale », et que les militants révolutionnaires qui l'ont soutenue malgré les ambiguïtés pacifistes des positions de nombreux participants « l'ont fait en partant de l'idée qu'il était impossible de former d'emblée une organisation de combat à partir des débris de l'ancienne Internationale »[57].

Répression et radicalisation[modifier le wikicode]

Malgré son âge, Liebknecht est mobilisé, le 7 février 1915, dans une unité territoriale[58] : militaire inquiétant, transféré d'une unité à une autre, car on redoute son influence, il est pourtant ainsi moins dangereux pour les dirigeants du parti, puisque privé de sa liberté de mouvement. Cela ne l'empêche pas de rédiger, en mai 1915, un tract qui lance la célèbre formule « L'ennemi principal est dans notre propre pays »[59], que Lénine saluera comme la formule révolutionnaire par excellence[60]. Quelques jours après, le 18 février, c'est Rosa Luxemburg qui est arrêtée pour purger sa peine[61]. journaux et journalistes subissent coup sur coup : en février, suspension de Volkszeitung de Koenigsberg, pour trois semaines ; en mars, suspension de la Volksstimme de Magdebourg, interdiction de la Bergische Arbeitsstimme, de la Sozialdemokratische Zeitung de Remscheid en mai, arrestation d'un ancien rédacteur de la Freie Presse[62]. La répression continue : en avril 1916, c'est l'interdiction de Lichtstrahlen[63] et, le 17 octobre de la même année, la confiscation par les autorités militaires du Vorwärts, qu'elles remettent à l'exécutif du parti[64].

De façon générale, la direction social-démocrate joue un rôle de gendarme auxiliaire dans la politique de « paix civile ». La grande industrie et l'état-major travaillent la main dans la main à l'organisation d'une économie de guerre dont les travailleurs supportent le poids. L'inflation finance les dépenses publiques. Les prix des denrées alimentaires augmentent de 50 % dans les deux premières années, tandis que les salaires demeurent bloqués[65]. Le dirigeant syndicaliste Winnig va jusqu'à affirmer :

« Au-dessus des intérêts momentanés des salariés, il y a l'indépendance nationale et l'esprit d'économie du peuple entier. »[66]

Bientôt l'ensemble des salaires, même ceux des ouvriers qualifiés, tendent vers un « minimum alimentaire », lui-même sérieusement compromis par le rationnement et surtout la pénurie. Le pain est rationné dès le 1° février 1915 ; puis c'est le tour de la graisse, de la viande, des pommes de terre. L'hiver 1915-1916 est le terrible « hiver des rutabagas » : les cartes de rationnement donnent « droit » - si les magasins sont approvisionnés - à 1,5 kg de pain, 2,5 kg de pommes de terre, 80 grammes de beurre, 250 grammes de viande, 180 grammes de sucre et un demi-œuf par semaine, total qui atteint le tiers des calories nécessaires[67]. Travailleurs, soldats et marins, population civile, souffrent de la faim, mais l'ancien radical Paul Lensch écrit que le rationnement est une mesure de « socialisme de guerre »[68]. Les dividendes, eux, augmentent régulièrement[69].

Il y a bien longtemps que le conflit n'est plus, pour quiconque, l'expédition fraîche et joyeuse qui menait tout droit à Paris. La guerre des tranchées, enterrée dans la boue et le froid, étouffe les déclamations héroiques. Les hôpitaux bondés, le spectacle des jeunes hommes mutilés, les listes toujours plus longues des morts ou disparus, « tombés au champ d'honneur », ont sonné le glas des illusions entretenues en 1914 par les dirigeants social-démocrates : pour des millions de jeunes Allemands qui pourrissent sur tous les fronts, il n'y aura ni « nouvelle orientation », ni même avenir. Le désir de paix s'exprimerait peut-être dans les masses si le carcan de la répression ne se renforçait tous les jours : le 28 mai 1915, ce sont plus de mille femmes qui manifestent pour la paix devant le Reichstag[70]. Le 2 décembre 1916, le Reichstag a adopté la loi de mobilisation, la Hilfsdienstgesetz, qui lie l'ouvrier à l'entreprise. Tout homme non mobilisé ayant entre dix-sept et soixante ans est tenu de se présenter aux autorités avec un certificat d'emploi ou un certificat émanant d'un employeur précédent : dans le deuxième cas, il est affecté d'office sous quinzaine à une entreprise et court, en cas de refus ou de départ, le risque d'une condamnation pouvant atteindre un an de prison[71].

Il ne reste rien aux prolétaires allemands de leurs conquêtes, de ces libertés que leurs dirigeants les avaient invités à défendre à travers la guerre, et, malgré la répression, leur colère exprime de plus en plus fréquemment. En novembre 1915, des incidents éclatent à Stuttgart et des femmes manifestent contre la cherté de la vie[72] ; au même moment, à Leipzig, la police réprime des tentatives de manifestations contre le prix de la viande[73]. Le 2 février, à Berlin, se produisent des incidents, devant des boutiques vides[74]. Le I° mai 1916, le groupe Internationale appelle à une manifestation contre la guerre impérialiste[75] : plusieurs milliers d'ouvriers et de jeunes sont groupés autour de Liebknecht qui prend la parole sur la place de Potsdam[76]. Il est arrêté, mais, le jour de sa comparution, le 28 juin, 55 000 ouvriers des usines de guerre se mettent en grève à Berlin[77], imités par les travailleurs de Brunswick[78] tandis que ceux de Brême manifestent dans la rue[79]. En juillet, à Borbeck dans la Ruhr, les mineurs débraient pour leurs salaires et leur exemple est imité, ici ou là, dans la Ruhr, pendant l'été[80]. Le 16 août, à Essen, un groupe d'ouvriers manifeste au cri de « Vive Liebknecht »[81]. A Hambourg éclatent de véritables émeutes de la faim[82]. La répression frappe à nouveau : Karski est arrêté le 28 juin, Ernst Meyer le 3 août, Franz Mehring le 15 ; Liebknecht, condamné en première instance à deux ans et demi de forteresse, voit sa peine portée en appel à quatre ans et demi[83].

Il n'est plus possible de masquer l'aggravation des contradictions sociales : faute de célébrer l'union sacrée, chefs militaires et politiques s'en prennent aux « agitateurs ». L'opposition des « masses » a en effet encouragé et parfois suscité les organisations, sommaires encore, mais qui lui permettent de s'exprimer et d'agir. Le mouvement socialiste renaît à travers de violentes convulsions, après l'hébétude d'août 1914. Kautsky admet dans une lettre à Victor Adler :

« L'extrémisme correspond aux besoins actuels des masses inéduquées. ( ... ) Liebknecht est aujourd'hui l'homme le plus populaire dans les tranchées »[84].

Les oppositions de gauche[modifier le wikicode]

Très lentement, les efforts d'organisation des révolutionnaires allemands, les radicaux de gauche, commencent à se concrétiser. Le petit noyau d'amis réunis au lendemain du 4 août autour de Rosa Luxemburg s'est maintenu et élargi. Il comprenait au départ, outre Rosa Luxemburg elle-même, Karl Liebknecht, Leo Jogiches et Julian Marchlewski, les vieux compagnons de la social-démocratie polonaise de Rosa Luxemburg, Franz Mehring et Clara Zetkin, ses amis personnels, Paul Levi, son avocat depuis 1913, les journalistes du Vorwärts Ernst Meyer et Ströbel et des militants berlinois introduits par Liebknecht, Wilhelm Pieck, deuxième secrétaire du parti à Berlin dont les liaisons d'homme de l'appareil sont précieuses,Paul Lange et le couple Hermann et Kâthe Duncker[85]. Malgré la présence de militants originaires d'Europe orientale, ce groupe n'a qu'une expérience réduite de l'action clandestine. Tous ses membres sont connus et surveillés de près. Ils n'entreprendront véritablement une propagande clandestine qu'après plusieurs mois, les Duncker étant entrés en contact avec les dirigeants du cercle du parti de Niederbarnim, qui offrent les services de leur appareil technique[86]. Le premier texte est rédigé par Marchlewski : un article de polémique contre Haenisch[87], que les militants de Niederbarnim tirent à la ronéo, la nuit, dans l'appartement de l'un d'eux, avant de l'expédier aux adresses extraites du fichier de Clara Zetkin.

Le groupe poursuit pour le moment un double objectif. D'abord il veut rompre le silence qui pourrait faire croire à l'étranger que les social-démocrates allemands sont unanimes derrière la politique chauvine de leurs dirigeants. En même temps, il faut s'organiser. Liebknecht, Luxemburg, Mehring et Zetkin s'adressent aux journaux socialistes suisses pour faire connaître leur réprobation des déclarations chauvines qu'y ont faites les révisionnistes Südekum et Richard Fischer[88]. Liebknecht, Luxemburg et Mehring écrivent au Labour Leader, de Londres, des messages de Noël : le dernier affirme que la lutte pour la paix et contre les annexions ne saurait être séparée de la lutte de classes, et qu'elle sera menée en Allemagne « avec les dirigeants s'ils le veulent, sans eux s'ils ne font rien, contre eux s'ils résistent »[89]. Peu après, la ronéo de Niederbarnim sert à diffuser dans le parti le texte du discours de Liebknecht contre le vote des crédits de guerre[90]. Dès la fin de décembre, c'est Hugo Eberlein qui est chargé de mettre sur pied un premier embryon d'organisation : un réseau interne au parti, comprenant un homme de confiance par entreprise, un seul responsable par localité pour la liaison avec le centre de diffusion des écrits de l'opposition. Vers le milieu de 1915, il est en contact avec plus de trois cents localités[91]. Le 5 janvier 1915, c'est un autre militant du noyau central, Artur Crispien, qui adresse aux militants tenus pour sûrs une circulaire d'organisation : il obtient en quelques jours des réponses de Dresde, Duisburg, Munich, Dantzig, et de militants connus pour leur influence comme Westmeyer et Dissmann[92]. Une première conférence se tient le 5 mai à Berlin, dans l'appartement de Wilhelm Pieck : le travail d'organisation est suffisamment avancé pour qu'on puisse ébaucher une division en régions permettant un meilleur cloisonnement du réseau clandestin construit à l'intérieur du parti[93].

Progrès et coups durs se succèdent dans la lutte clandestine menée par ces militants trop connus. En février 1915, Rosa Luxemburg, dont l'appel a été rejeté, est emprisonnée pour deux mois. Elle donne pourtant, de sa prison, sa contribution au premier numéro de la revue dont le groupe a décidé la parution, Die Internationale, qu'elle dirige avec Mehring. Imprimé sur les presses d'un journal du parti de la Ruhr, il paraît en avril avec des contributions de Clara Zetkin, Thalheimer, Ströbel, Käthe Duncker, Paul Lange et Liebknecht. Mais la revue est immédiatement interdite[94]. Au même moment, le militant wurtembergeois Jakob Walcher est arrêté et inculpé pour la diffusion d'un tract subversif : les attendus de sa condamnation soulignent que sa ligne politique est en contradiction avec celle de son parti[95]. 1915 est une année très dure. Clara Zetkin est arrêtée au retour de la conférence internationale des femmes de Berne[96]. Relâchée en octobre, mais en très mauvaise santé, elle ne participe plus guère à l'action[97]. A Stuttgart, sept militants, dont Friedrich Westmeyer et le jeune Hans Tittel, sont arrêtés et inculpés[98]. A Berlin, Wilhelm Pieck a pris contact avec de jeunes travailleurs qu'anime le maçon saxon Fritz Globig[99], mais il est lui-même arrêté après la manifestation des femmes devant le Reichstag[100]. A l'automne, c'est le tour d'Ernst Meyer[101], puis d'Eberlein[102]. Westmeyer est finalement mobilisé malgré son âge, et il mourra dans un hôpital près du front[103].

L'activité politique parmi les émigrés et le mouvement ouvrier suisse touche de près le mouvement allemand : c'est dans ce pays que prennent forme les premiers regroupements internationaux. Willi Münzenberg, depuis plusieurs années secrétaire de la jeunesse socialiste suisse, a maintenu des contacts avec l'Allemagne, tant avec Brême qu'avec la Saxe, et travaille au début de la guerre avec le Rhénan Walter Stoecker[104]. A la conférence des jeunes qui se tient à Berne, à Pâques 1915, dix pays sont représentés et des groupes allemands, de Stuttgart, Göppingen et Karlsruhe, ont envoyé des délégués. La résolution présentée par un bolchevik ne recueille que trois voix, contre treize. Mais la conférence décide de rompre avec le bureau de Vienne et se proclame Internationale de la jeunesse, indépendante, avec Münzenberg comme secrétaire international[105]. Le 1° septembre 1915 paraît le premier numéro de sa revue Jugend Internationale, avec des articles de Hoernle, Liebknecht, Kollontai, Karl Radek. Liebknecht, Franz Mehring, Paul Frölich, Georg Schumann participent à sa diffusion en Allemagne. Lors de la conférence socialiste internationale de Zimmerwald, les opposants à la guerre se divisent également entre une majorité centriste, de tendance pacifiste, et une gauche qui se compte sur les thèses bolcheviques. Quatre des Allemands présents, Adolf Hoffmann et Ledebour d'une part, Ernst Meyer et Thalheimer qui représentent le groupe Internationale, de l'autre, votent avec la majorité ; seul Borchardt, l'éditeur de Lichtstrahlen, se range avec Lénine dans la « gauche zimmerwaldienne »[106].

En juin 1915, plus de 750 militants connus, rédacteurs de journaux, permanents, responsables syndicaux, ont adressé à l'exécutif une protestation contre sa politique[107]. L'appel a été rédigé autour de Liebknecht, dans son appartement, par lui-même, Ernst Meyer, Ströbel, Marchlewski, H. Duncker et Mehring, ainsi que Laukant, Laufenberg, Ledebour[108]. Le 1° janvier 1916, le groupe Internationale tient une conférence dans l'appartement de Liebknecht : les douze délégués[109] adoptent comme base de leur action le texte rédigé en prison par Rosa Luxemburg sur « La Crise de la social-démocratie ». Critique féroce de la « paix civile » comme des illusions pacifistes, il affirme que la paix ne saurait résulter que d'une action révolutionnaire du prolétariat[110]. Le 19 mars se tient, toujours à Berlin, une conférence beaucoup plus large, avec notamment dix-sept délégués de Berlin[111]. La conférence prend une position très claire à l'égard de l'opposition centriste en train de s'organiser et marque, en fait, le début du groupe qui va bientôt s'appeler « Spartacus ».

Lénine soumet à une critique serrée les textes du groupe Internationale, et particulièrement la brochure « Junius » écrite en prison par Rosa Luxemburg. La divergence essentielle réside en ce que les Allemands se fixent comme objectif la paix, et non la guerre civile. Lénine reproche à Junius une analyse faite en fonction du passé, axée sur la perspective d'un retour à l'avant-guerre et du déroulement de la lutte de classes dans le cadre d'une démocratie bourgeoise, alors qu'il pense pour sa part que la guerre a ouvert l'époque des révolutions[112]. L'appel à la lutte de classes en pleine guerre constitue cependant un acte révolutionnaire d'une grande portée ; affirmant, après Liebknecht, que l'ennemi principal se trouve dans son propre pays, le groupe Spartacus prend place dans l'aile révolutionnaire qui peu à peu se constitue dans le mouvement socialiste international.

D'ailleurs, quelques jours après la conférence, Otto Rühle publie dans le Vorwärts un article retentissant en faveur de la scission de la social-démocratie[113], dont seul jusqu'à présent le journal de Borchardt - qui est arrêté - s'était fait le défenseur[114]. C'est vers la scission des organisations de jeunesse en tout cas que s'orientent les militants qui tentent d'organiser les jeunes sur une base indépendante, par exemple Fritz Globig et ses camarades à Berlin[115]. A Pâques, sous le couvert d'une organisation d'amis de la nature, ils tiennent dans une auberge près d'Iéna une conférence nationale des jeunes de l'opposition. Liebknecht, Rühle, Hoernle, Schumann y prennent part, et la conférence adopte des thèses rédigées par Liebknecht[116]. Les révolutionnaires ont réussi à mettre sur pied des journaux légaux, comme Arbeiterpolitik, à Brême, Sozialdemokrat à Stuttgart[117], ils publient plus ou moins régulièrement des feuilles illégales, les Lettres de Spartacus, mais aussi Der Kampf à Duisbourg et à Hambourg[118].

Pourtant, en même temps qu'elle grandit, l'opposition connaît ses premiers problèmes : celui des contacts avec les opposants centristes, de plus en plus nombreux et actifs au sein du groupe parlementaire, et celui, surtout, de ses propres perspectives. Certains voudraient aller vers la proclamation d'un nouveau parti, briser tous les liens avec la social-démocratie. Rosa Luxemburg les combat : il faut, selon elle, demeurer dans le parti aussi longtemps que possible, se garder de constituer une secte, agir pour entraîner les ouvriers dans la lutte[119]. Déjà, en janvier, Knief, de Brême, Rühle et Lindau se sont prononcés pour la scission[120]. La manifestation du 1° mai 1916 a répondu à la conception de Rosa Luxemburg de l'action dans les masses : le tract rédigé par Liebknecht a été imprimé et diffusé par les militants de la jeunesse[121], ce qui montre un certain degré d'organisation. La grève du 28 juin semble une confirmation de cette ligne : des travailleurs que les révolutionnaires n'encadrent pas conduisent en pleine guerre cette grève politique que les révisionnistes jugeaient impossible au temps de la paix. Pourtant, malgré les efforts de son organisateur Leo Jogiches, et de Paul Levi qui se rend en Suisse et y établit des contacts[122], le groupe qu'on appelle désormais « Spartakus » demeure numériquement faible et ne parvient pas à capitaliser en termes d'organisation la sympathie que lui vaut le prestige de Liebknecht[123]. Certains de ses membres, comme Heckert et Brandler à Chemnitz, ont, du fait de leurs responsabilités syndicales, une influence réelle[124] : le groupe lui-même demeure un réseau assez lâche aux liaisons incertaines, que les arrestations ou les mobilisations viennent à tout instant briser.

Il y a, en fait, plusieurs organisations. A Berlin, le groupe de Lichtstrahlen s'est organisé en « socialistes internationaux d'Allemagne » (I.S.D.), mais la répression, puis l'évolution de son principal dirigeant, Borchardt, déçoivent bientôt ceux - et au premier chef Lénine - qui comptaient sur son développement[125].

Dans le Nord-Ouest, plusieurs groupes ont commencé à s'organiser en liaison avec Die Internationale, tout en entretenant des liaisons avec Radek en Suisse. A Hambourg, l'historien Laufenberg, centriste avant guerre, a pris position contre la guerre. Avec d'autres militants, Fritz Wolffheim, un ancien des I.W.W. des États-Unis, Rudolf Lindau, Wilhelm Düwell, Paul Frölich, il anime un petit groupe clandestin actif[126]. A côté, une organisation de la « jeunesse libre », constituée sur une base socialiste, antimilitariste et internationaliste, mène agitation et propagande sous le couvert d'activités de loisirs et de plein air : grâce à l'appui de responsables clandestins, elle recrute largement dans la jeunesse ouvrière, mais n'a pas de contact avec les clandestins[127]. A Brême, où l'influence des radicaux a toujours été grande - Pieck y a été secrétaire et Pannekoek y a résidé six ans -, Johann Knief, ancien instituteur devenu instructeur du parti et rédacteur au Bremer-Bürgerzeitung, a beaucoup d'influence parmi les jeunes travailleurs. Les cadres du parti sont personnellement liés à Radek, qui continue d'exercer sur eux, à travers une correspondance régulière, une grande influence. Knief a réussi à maintenir dans le parti un cercle hebdomadaire de discussion et à y défendre les thèses révolutionnaires, diffusant les articles de Radek, Lénine, Trotsky, qui paraissent dans la presse suisse[128]. Il a pu constituer un noyau clandestin de jeunes militants qui ont une certaine influence parmi les dockers. L'un de ses disciples, le jeune journaliste Eildermann, entretient des rapports réguliers avec les organisations de jeunesse de Dresde et Stuttgart, et même avec un groupe de soldats du 75° d'infanterie, dont l'organisateur est un cordonnier de Brême, Carl Jannack[129]. Dès l'automne 1915, au cours d'une permission, Jannack déclare à Knief que ses camarades sont partisans de la scission et de la fondation d'un parti révolutionnaire[130]. Eildermann est délégué de Brême à la conférence d'Iéna en 1916[131]. La même année, ayant décidément rompu avec l'équipe centriste qui dirige Bremer-Bürgerzeitung, les révolutionnaires de Brême lancent une souscription parmi les ouvriers des chantiers navals pour acheter la presse du nouvel hebdomadaire légal qu'ils vont bientôt publier, Arbeiterpolitik[132]. Leurs responsables prennent part aux conférences de Die Internationale, maintiennent le contact avec Borchardt et l'I.S.D., avec la gauche zimmerwaldienne par l'intermédiaire de Radek. A Pâques 1916, ils reçoivent Ernst Meyer, venu de Berlin, et ont avec lui une longue discussion de travail[133].

A Berlin, l'action des militants de Niederbarnim née au sein du parti cède rapidement place à une nouvelle opposition, née, elle, au sein des syndicats, celle des « délégués révolutionnaires », continuateurs, dans les usines berlinoises, des fameux « hommes de confiance » du parti social-démocrate[134]. C'est la guerre qui, en les marquant de son empreinte, leur a donné ce caractère particulier. Dès la proclamation de la « paix civile », en effet, plusieurs responsables du syndicat des métaux (D.M.V.) de Berlin se sont réunis autour du dirigeant de la branche des tourneurs, le social-démocrate Richard Müller, afin d'organiser dans le syndicat et les usines la lutte contre le patronat par-dessus la tête des dirigeants réformistes acquis à la politique de guerre, Oskar Cohen et Siering. Leur audience est si grande qu'en mars 1916 c'est seulement le refus obstiné de Richard Müller lui-même qui empêche son élection à la tête du syndicat à Berlin[135].

Richard Müller regrettera plus tard cette occasion manquée, mais le groupe préfère pour le moment une action semi-clandestine dans les rouages syndicaux à la prise directe de responsabilités. Le noyau primitif, dont l'existence sera pour beaucoup une surprise en 1918, agit dans un climat de conspiration, recrutant méthodiquement des adhérents sûrs parmi les hommes de confiance du syndicat dans les entreprises et les différents métiers. Réseau dont les membres s'emploient à détenir les postes-clés, bénéficiant de la couverture légale du syndicat des tourneurs, agissant dans l'appareil comme une fraction bien organisée mais maintenant en permanence des liens étroits avec l'opinion ouvrière des usines et ateliers, capable de contrôler une assemblée de délégués, imposant partout la liberté de critique, organisation sui generis, ni syndicat ni parti mais groupe clandestin dans l'un comme dans l'autre, le cercle dirigeant des délégués révolutionnaires parviendra à plusieurs reprises à exprimer la volonté de résistance des ouvriers à l'État et à l'appareil du parti, à concrétiser en action leurs revendications et leur volonté de lutte. Le noyau principal, la « tête », n'a jamais, semble-t-il, compté plus d'une cinquantaine de militants[136], mais, grâce aux tourneurs, bien placés dans toutes les entreprises, petite phalange soudée et disciplinée au sein des réunions de délégués, ils sauront, avec quelques centaines d'hommes qu'ils influencent directement, mettre en mouvement des dizaines puis des centaines de milliers d'ouvriers berlinois en leur permettant de se prononcer sur des initiatives d'action qui répondent à leurs aspirations.

Ces ouvriers de la métallurgie, spécialistes aux salaires relativement élevés, d'autant que les entreprises qui les emploient travaillaient à plein temps pour la guerre, étaient certainement les meilleurs produits de la social-démocratie et du mouvement syndical d'avant-guerre. Inconnus en 1914, ils seront à la fin de la guerre les dirigeants écoutés des ouvriers berlinois, et, malgré leur relative jeunesse, les cadres du mouvement socialiste révolutionnaire. Leur principal dirigeant, Richard Müller, est lié à Ledebour et penche pour l'opposition centriste, ce qui le conduit à essayer d'empêcher l'éclatement, dans leurs rangs, des polémiques entre les tendances rivales de l'opposition[137]. Trois d'entre eux au moins, Bruno Peters, Otto Franke, Hermann Grothe, vont être ou sont déjà membres du groupe spartakiste[138]. Les autres, dont la majorité deviendra communiste entre 1919 et 1920, en sont proches, comme Paul Eckert, Paul Wegmann, Richard Nowakowski, Hans Pfeiffer, Paul Neumann, Heinrich Malzahn, Neuendorf, Otto Tost, Paul Scholze, Fritz Winguth, Richard Schöttler, Paul Weyer, Anton Grylewicz[139]. Leur cercle est élargi à des militants travaillant hors des usines, comme Ottomar Geschke, gérant d'un foyer de jeunes travailleurs[140]. C'est ce cercle, souvent renouvelé par les mobilisations et démobilisations individuelles, qui organise en juin 1916 la grève de solidarité avec Liebknecht conduite par 55 000 métallos berlinois[141].

Réseau souple reposant sur les liens de confiance entre militants d'organisations légales, le cercle des délégués révolutionnaires est en fait candidat au rôle de direction des travailleurs berlinois qu'il dispute victorieusement, à plusieurs reprises, au parti social-démocrate ou aux syndicats, sans avoir pour autant l'ambition de se constituer en direction politique autonome ni en syndicat scissionniste.

Des révolutionnaires hostiles à la scission[modifier le wikicode]

Les positions de l'opposition révolutionnaire en Allemagne sont donc bien loin de répondre à l'attente des bolcheviks. Certes, le petit groupe de Brême, dont la presse publie de temps en temps des articles de Radek, Boukharine et même Lénine est prêt à accepter globalement les analyses de Lénine sur la faillite de la II° Internationale et la nécessité d'en construire une nouvelle. Le groupe Internationale, qui proclame également la faillite de la II°, reconnaît bien la nécessité historique de la III°, mais se refuse à la préparer par une scission :

« La nouvelle Internationale, qui doit naître après la faillite de la précédente, ne peut le faire qu'à partir de la lutte de classes des masses prolétariennes des pays les plus importants. (...) Elle doit naître par le bas. (...) La social-démocratie allemande, dont la faillite a seulement prouvé la faiblesse - depuis longtemps existante - doit subir un changement interne complet si elle veut diriger un jour les masses prolétariennes conformément à sa mission historique. Sa transformation en une force révolutionnaire active ne peut être obtenue par de simples programmes et manifestes, par une discipline mécanique ou par des formes d'organisation désuètes, mais seulement par la propagation de la conscience de classe et de l'initiative résolue dans les masses (...), ce qui suppose la transformation du système bureaucratique du parti en un système démocratique dans lequel les permanents soient les instruments des masses. »[142]

Pour Rosa Luxemburg, en effet, la faillite de la II° Internationale comporte des leçons qui sont loin de contribuer à la rapprocher du point de vue de Lénine sur l'organisation. Elle écrit :

« C'est précisément l'organisation puissante, c'est précisément la discipline tellement célébrée de la social-démocratie allemande qui ont permis qu'une poignée de parlementaires puissent ordonner à cet organisme de quatre millions d'hommes de faire volte-face en vingt-quatre heures et de tenir le bastion même dont l'assaut était la raison d'être de l'organisation. (...) D'autant meilleures ont été l'éducation, l'organisation, la fameuse discipline (...) et d'autant plus efficace est aujourd'hui l'effort de guerre de la social-démocratie allemande. »[143]

Convaincue de la nécessité de l'organisation des révolutionnaires en un parti et une Internationale, elle ne croit pas pour autant possible cette tâche historique dans n'importe quelle condition, et surtout en l'absence de tout mouvement de masse :

« Les hommes ne font pas leur histoire de leur plein gré, mais ils la font eux-mêmes. L'activité du prolétariat dépend du degré de maturité atteint par l'évolution sociale, mais l'évolution sociale n'avance pas plus loin que le prolétariat, il en est le moteur et la cause autant que le produit et la conséquence. Son action elle-même est un facteur déterminant de l'Histoire. Et si nous ne pouvons pas sauter par-dessus l'évolution historique, nous pouvons certes accélérer ou ralentir cette évolution. (...) La victoire du prolétariat socialiste est liée aux lois d'airain de l'Histoire, aux mille étapes d'une évolution antérieure pleine de tourments et de trop de lenteurs. Mais cette victoire ne pourra jamais être remportée si, de toute la masse des conditions matérielles accumulées par l'Histoire, ne jaillit pas l'étincelle, la volonté consciente des grandes masses. »[144]

Les révolutionnaires du groupe Die Internationale se situent donc dans une perspective bien différente de celle des bolcheviks : il s'agit pour eux de redresser la vieille maison, d'en expulser les Ebert et les Scheidemann, pour reconquérir le parti par ses membres et, pour cela, en attendant l'inévitable soulèvement des masses, de contribuer, par leur propagande, à l'éclairer, voire à l'analyser. Mais la scission immédiate, « mécanique », que prônent les bolcheviks et que commencent à prôner en Allemagne certains éléments influencés par eux, leur semble un remède pire que le mal. Jogiches écrit qu'elle aboutirait à couper les révolutionnaires des « meilleurs camarades du parti » et à les plonger dans l'impuissance[145], et Rosa Luxemburg écrit, à propos de ceux qui proposent de quitter le parti :

« Il est toujours possible de sortir de petites sectes ou de petits cénacles et, si l'on n'y veut pas rester, de se mettre à bâtir de nouvelles sectes ou de nouveaux cénacles. Mais ce n'est que rêverie irresponsable que vouloir libérer toute la masse des prolétaires du joug le plus pesant et le plus dangereux de la bourgeoisie par une simple « sortie » ... »[146]

En fait, une telle initiative ne saurait, selon elle, s'en prendre à la racine du mal : la libération du prolétaire passe par son affranchissement du « crétinisme parlementaire » et de la superstition de la « carte d'adhérent » :

« la liquidation du tas de décomposition organisée qui s'appelle aujourd'hui social-démocratie n'est pas une affaire privée qui dépende de la décision personelle d'un ou plusieurs groupes. Elle se produira inévitablement comme conséquence de la guerre mondiale. »[147]

En fait, de même que les décisions d'août 1914 avaient démontré que le parti social-démocrate n'était pas seulement « le mouvement même de la classe », mais aussi un appareil capable de rallier le camp de l'ennemi de classe, les événements de l'année 1917 allaient démontrer la vanité des perspectives de redressement ou de réforme du parti. La scission de la social-démocratie va se produire en effet, en partie certes comme conséquence de la « poussée des masses », mais surtout à l'initiative de l'appareil. Et elle se produira non entre révolutionnaires et réformistes, mais au milieu des réformistes, jetant ainsi une fois de plus le désarroi dans les rangs des révolutionnaires qui n'avaient su ni la prévoir ni la préparer.

V. La fondation du Parti Social-Démocrate Indépendant[modifier le wikicode]

En dehors de Borchardt, l'homme de Lichtstrahlen, Bertha Thalheimer et Ernst Meyer pour Internationale, deux autres social-démocrates allemands avaient pris part à la conférence de Zimmerwald, où ils avaient soutenu les thèses de la majorité que Lénine qualifiait de « centriste ». Georg Ledebour et Adolf Hoffmann, tous deux députés au Reichstag, étaient des figures bien connues de la gauche radicale dont ils avaient été souvent les porte-parole dans les polémiques d'avant guerre contre révisionnistes et réformistes. Contrairement à l'opinion de Franz Borkenau selon laquelle la guerre aurait provoqué des regroupements sur des bases entièrement nouvelles[148], les oppositions anciennes reparaissaient au lendemain d'août 1914, après quelques défections individuelles : les quatorze députés qui, le 3 août, avaient soutenu la position d'un vote hostile aux crédits militaires étaient dans la ligne même du bloc radical dont ils reflétaient l'attachement au programme d'Erfurt, et, en l'occurrence, l'hostilité de principe à l'État bourgeois excluant toute collaboration formelle des socialistes.

Mais l'ampleur des contradictions, aggravées par la guerre, les initiatives prises par Liebknecht, soulevaient des problèmes nouveaux et ouvraient des perspectives que l'ancien bloc de la gauche n'avait jamais envisagées. En refusant de s'incliner devant la discipline du parti, en lançant un appel à l'initiative des masses par-dessus sa tête, Liebknecht aboutissait à faire éclater le bloc radical. Il en avait d'ailleurs conscience, déclarant :

« Ce qu'il faut maintenant, c'est une agitation à l'extérieur et la clarification, non pas la recherche d'un accord sur une position médiane »[149].

La réaction des autres députés de l'opposition ne pouvait être que vive. A partir de la nuit du 1° au 2 décembre 1914 où Liebknecht se sépare de ceux qu'on appellera désormais les centristes, la polémique fait rage entre anciens radicaux. Pour Haase et ses amis, comme Ledebour et Adolf Hoffmann, Liebknecht se conduit en sectaire irresponsable, fournit à l'exécutif un prétexte à des sanctions qui ne peuvent que fausser l'optique des nécessaires débats internes. Liebknecht rétorque qu'en s'inclinant devant les décisions de l'exécutif les opposants qui se veulent loyaux s'en font les complices. Ce risque, les centristes l'acceptent : le parti, pour eux, demeure le parti, indépendamment de ses erreurs - et le vote du 4 août en est une, aggravée par de nouvelles erreurs « annexionnistes » - : c'est dans le parti, dans le respect de ses statuts et de ses traditions, que, pour eux, doit être conduite la lutte politique pour son redressement.

Une opposition loyale[modifier le wikicode]

L'exécutif comprend parfaitement cette situation. Il a, pour le moment, besoin de conserver ces opposants décidés à ne pas faire de scandale. Il peut les utiliser pour tenter d'isoler Liebknecht et ses partisans, de les présenter comme des saboteurs de l'unité, des « ennemis du parti ». L'existence d'une opposition loyale est en effet un démenti à l'accusation de Liebknecht selon laquelle son acte d'indiscipline aurait été l'unique moyen d'exprimer son opposition. Aussi l'exécutif décide-t-il, le 3 février 1915, d'autoriser une certaine forme d'opposition publique, en permettant aux députés qui ne pourraient en conscience appliquer la discipline de vote, de s'absenter au moment du scrutin[150]. Lors de la séance du Reichstag du 20 mars suivant, le député Otto Rühle rejoint Liebknecht et vote contre les crédits militaires, tandis que les amis de Haase quittent la salle avant le vote[151].

Tandis que les majoritaires mettent l'accent sur le caractère patriotique de la guerre, la nécessité de la paix civile pour assurer la défense nationale, les minoritaires centristes, eux, insistent sur la volonté de paix des social-démocrates, leur désir de chercher un compromis honorable et une paix sans annexions ni sanctions, leur attachement aux libertés démocratiques. Liebknecht et ses camarades refusent de jouer ce jeu et critiquent la thèse de la « paix sans annexions », qu'ils analysent comme la suite de celle du « désarmement général » de Kautsky avant guerre, une simple couverture de gauche de la politique de guerre des majoritaires.

Les événements semblent bien leur donner raison. Dès 1915, il est évident que la guerre s'est installée, que les dirigeants allemands ont un programme d'annexions, et que l'exécutif social-démocrate n'est pas près de le désavouer. Les atteintes aux droits démocratiques, la répression policière, la détérioration de la condition ouvrière facilitent la tâche de tous les opposants, et les centristes vont durcir leur critique et l'exprimer pour la première fois à la limite du parti. En mars, Haase et Stadthagen prennent la parole au Reichstag pour attaquer état de siège et censure, et le caractère anti-ouvrier de la politique intérieure. Ledebour dénonce l'oppression des minorités nationales dans les régions occupées[152]. Haase accuse la politique gouvernementale de creuser un fossé entre les classes. Ces critiques, qui font écho à un mécontentement grandissant, se situent encore dans le cadre de la politique de guerre : la thèse soutenue par Haase est qu'il faut corriger les abus qui risquent de porter atteinte au moral des défenseurs de la patrie[153].

Trois mois plus tard, devant l'affirmation ouverte des visées annexionnistes du gouvernement soutenues par l'exécutif - et pour éviter que Liebknecht ne se livre à une protestation solennelle -, les centristes se décident à faire un pas de plus à la suite de la protestation du 9 juin 1915[154], dont le texte a été préparé par Liebknecht, Ströbel, Marchlewski, Ernst Meyer et d'autres[155]. De leur côté, Bernstein, Haase et Kautsky publient dans Leipziger Volkszeitung un véritable manifeste d'opposition loyale intitulé « Les Tâches de l'heure »[156]. Tout en s'abstenant de critiquer la position prise par le parti en août 1914, les trois déclarent en effet que le moment est venu, puisque la sécurité de l'Allemagne est assurée et ses frontières protégées, de mettre l'accent sur la partie du programme social-démocrate laissée jusque-là en retrait, mais plus que jamais d'actualité, la lutte pour le retour au statu quo d'avant 1914, par une paix sans annexions. Le texte évite toute allusion à la lutte de classes mais affirme que le parti doit refuser sa confiance au gouvernement Bethmann-Hollweg ; il propose au parti de prendre l'initiative d'une campagne pour la paix. Malgré le caractère anodin des propositions, le gouvernement s'inquiète : après tout, les trois hommes, ensemble, symbolisent tout le mouvement social-démocrate d'avant guerre. Leipziger Volkszeitung est suspendu[157]. L'exécutif, de son côté, fait mine de jeter du lest : le 15 décembre, Scheidemann interpelle le chancelier sur son programme d'annexions[158]. Le ton de son intervention, le contenu de la réponse de Bethmann-Hollweg donnent aux centristes le sentiment qu'il s'agit d'une comédie et que l'exécutif a déjà approuvé ce programme. C'est en tout cas ce qu'ils disent pour se justifier de rompre, à leur tour, la discipline : lors du vote des crédits militaires, le 29 décembre 1915, vingt-deux députés social-démocrates quittent la séance pour ne pas voter, mais vingt y restent, et votent contre[159].

La première brèche sérieuse vient de se produire entre l'exécutif et l'opposition loyale. Celle-ci, le 29 décembre, publie une déclaration dans laquelle elle justifie l'attitude des députés opposants au Reichstag par le fait que, les frontières étant désormais en sécurité, il ne saurait être question, conformément à la tradition du parti, de faire confiance à ce gouvernement pour mener une politique de paix[160]. L'exécutif, pour sa part, riposte le 12 janvier par l'exclusion de Liebknecht du groupe parlementaire, menace non déguisée contre les autres indisciplinés[161]. Or les signes se multiplient d'un mécontentement croissant dans les rangs du parti : le Zentralvorstand du Grand Berlin approuve par 41 voix contre 17 la déclaration de la minorité, Ledebour la fait approuver à une large majorité par 320 responsables du parti de la 6° circonscription de Berlin. Des votes semblables ont lieu à Leipzig, à Halle, à Brême[162] : une partie de l'appareil semble rejoindre l'opposition loyale. C'est que son audience au sein de la classe ouvrière l'exige. Haase, que sa profession d'avocat met en contact quotidien avec la réalité de la répression, est décidé à ne plus faire désormais aucune concession sur la question des libertés publiques[163] : le 24 mars 1916, il prononce au Reichstag un violent discours contre l'état de siège et la minorité vote avec lui contre son renouvellement[164]. La réplique est immédiate : la fraction les exclut par 58 voix contre 33[165].

Vers la scission du parti[modifier le wikicode]

Les trente-trois députés exclus constituent au Reichstag un « collectif de travail social-démocrate » (Sozialdemokratische Arbeitsgemeinschaft[166]) : la scission du groupe parlementaire est acquise. Il y a toujours en principe un seul parti, mais en fait deux groupes parlementaires, et trois tendances.

Révolutionnaires et pacifistes ne semblent pas près de s'entendre : Liebknecht, depuis décembre 1915, est tenu à l'écart par les députés qui constituent maintenant le collectif[167]. Au cours d'une entrevue qui a lieu à Neukölln, ils refusent de s'associer à la manifestation qu'il prépare avec ses camarades pour le 1° mai[168]. A Brême, le député Henke, membre du groupe Haase, rompt avec Knief et Frölich qui se préparent à fonder Arbeiterpolitik[169]. Les premières lettres de Spartakus contiennent de violentes attaques contre les centristes. C'est que, désormais, les deux oppositions se concurrencent, l'une comme l'autre cherchant à élargir ses assises dans le parti[170].

Les initiatives de l'exécutif vont les rapprocher. A partir de mars, celui-ci déclenche en effet une violente campagne de reprise en main des organisations : elle culmine en septembre avec la tenue d'une conférence nationale sur le thème de l'unité du parti. En octobre, les autorités militaires confisquent le Vorwärts, bastion des centristes autour de Hilferding, et le remettent à l'exécutif, qui en fait son principal organe sous la direction de Hermann Müller[171]. Les ouvriers berlinois du parti qui sympathisent avec les oppositions n'oublieront pas ce qu'ils considèrent comme un acte de piraterie et le symbole de la rupture des dirigeants social-démocrates avec l'idéal socialiste. Quand le Reichstag discute de la loi sur la mobilisation de la main-d'œuvre, Haase la qualifie de « deuxième loi antisocialiste »[172]. Son groupe accuse les députés majoritaires qui la votent et les dirigeants syndicaux qui l'acceptent d'« aider à forger les chaînes du prolétariat »[173]. L'adoption de cette loi au cœur de l'« hiver des rutabagas » porte à son paroxysme la crise du parti, qui se déchire sous la pression des forces sociales antagonistes, classes dirigeantes agissant par l'intermédiaire de l'exécutif, classes laborieuses contraignant les opposants à exprimer leur volonté de résistance. L'exécutif se trouve placé en face des conséquences de sa politique : il n'a d'autre recours que d'imposer dans le parti l'état de siège qui pèse déjà sur le pays. L'opposition loyale, elle, doit se défendre, et cesser d'être loyale sous peine de mort.

A l'initiative du « collectif social-démocrate », de Haase, Ledebour et leurs collègues, est convoquée à Berlin, le 7 janvier 1917, une conférence nationale des oppositions. Il s'agit de se concerter sur les mesures à prendre pour la défense des minorités, la protection des militants menacés d'exclusion, la préservation de leurs organes menacés de saisie[174]. Tous les courants sont représentés[175]. Personne ne propose de prendre l'initiative de la scission. Au nom des spartakistes, Ernst Meyer suggère de refuser le paiement des cotisations à l'exécutif, ce que font déjà les organisations de Stuttgart et de Brême[176]. La majorité des délégués refuse de le suivre dans cette voie qu'elle juge grosse de risques de scission. Le seul résultat de la conférence est le vote d'une résolution décidant d'entretenir entre les oppositions « des contacts permanents » afin de développer leur influence « dans le cadre des statuts du parti[177] » ; elle est votée par 111 voix, contre 34 à une résolution spartakiste et 6 à un texte de Borchardt[178].

La riposte de l'exécutif, dix jours plus tard, démontre l'inanité de ces précautions. Le 16 janvier, en effet, il proclame que l'opposition « s'est d'elle-même mise en dehors du parti » en tenant cette conférence, qu'il considère comme « fractionnelle », Il donne instruction aux organisations locales de prendre toutes mesures nécessaires - au mépris des statuts - contre les « saboteurs », qui doivent être exclus dans les plus brefs délais[179]. La purge est menée tambour battant : là où les partisans de l'exécutif sont en majorité dans les organismes dirigeants, les minoritaires sont exclus. Là où les opposants détiennent les leviers de commande, l'exécutif exclut en bloc l'organisation locale et passe à la construction d'une nouvelle, qu'il confie à des hommes de confiance[180] : quatre-vingt-onze organisations locales sont ainsi exclues, l'écrasante majorité des militants à Berlin, Leipzig, Brême, Brunswick[181]. L'opposition n'a plus qu'à tirer les conclusions que l'exécutif lui a imposées sans discussion ni appel : elle est en état de scission avant même de l'avoir décidé et, au cours d'une nouvelle conférence tenue à Gotha à Pâques, elle décide de se constituer en parti social-démocrate indépendant d'Allemagne (U.S.P.D.).

La fondation du parti social-démocrate indépendant[modifier le wikicode]

Ainsi le parti social-démocrate se scinde, au cours de l'année cruciale de la guerre, contre la volonté affirmée de la presque totalité des dirigeants des oppositions. Il ne s'agit ni du départ de quelques dirigeants, ni de la sécession d'organisations locales. Le parti se fend du haut en bas. Quelque 170 000 militants demeurent dans la vieille maison, cependant que le nouveau parti en revendique 120 000[182]. Parmi ces derniers, les dirigeants les plus connus de toutes les tendances d'avant guerre, Liebknecht et Luxemburg, Haase et Ledebour, Kautsky et Hilferding, et même Bernstein. Ni voulue ni préparée par les opposants, la scission résultait de la double pression de la montée de la colère ouvrière et de la détermination de l'exécutif, au service de la politique de guerre, de juguler toute résistance. Les dirigeants du nouveau parti, qui avaient lutté pendant des années avec l'objectif avoué d'éviter la scission, se retrouvaient paradoxalement à la tête d'un parti scissionniste.

La présence dans les rangs du parti indépendant des militants de Spartakus n'était pas moins surprenante, dans la mesure où elle survenait après une lutte acharnée contre les centristes et opposants loyaux. Depuis décembre 1915, tous leurs textes mettaient l'accent sur la nécessité de la clarté politique la plus totale, de la démarcation d'avec les centristes. Dans un retentissant article du Vorwärts, Otto Rühle s'était prononcé pour la scission, une scission corrrespondant à la réalité des divergences, et qui ne pouvait associer dans la même entreprise centristes et révolutionnaires[183] - ce qui lui avait valu la chaude approbation de Lénine[184].

En mars 1916, tout en saluant la fondation, par la minorité pacifiste, du « collectif de travail social-démocrate » au Reichstag, les spartakistes s'étaient soigneusement démarqués de leur politique, écrivant :

« Le mot d'ordre n'est pas scission ou unité, nouveau parti ou ancien parti, mais reconquête du parti par en bas, par la révolte des masses, qui doivent prendre en main les organisations et leurs instruments. »[185]

A la conférence de l'opposition de janvier 1917, Ernst Meyer avait développé et expliqué cette position :

« L'opposition demeurera dans le parti non seulement pour y combattre par la plume et en actes la politique de la majorité, mais pour s'interposer, pour protéger les masses de la politique impérialiste pratiquée sous le manteau par la social-démocratie et afin d'utiliser le parti comme un champ de recrutement pour la politique antimilitariste prolétarienne de classe. (...) Nous ne restons dans le parti que tant que nous pouvons y mener la lutte de classe contre l'exécutif. Du moment que nous en serions empêchés, nous ne voudrions pas y rester. Mais nous ne sommes pas pour la scission. »[186]

Or la détermination de l'exécutif, créant la scission de fait, ouvre le développement redouté par les spartakistes. Nombreux sont ceux qui pensent le moment venu de rompre également avec les centristes. Déjà, à la conférence du 1° décembre 1916, Johann Knief, délégué de Brême, soutenu par Rudolf Lindau, de Hambourg, avait demandé que l'opposition se donnât comme objectif la construction d'un parti révolutionnaire indépendant[187]. Quelques semaines après, les militants de Brême décident de ne plus payer leurs cotisations à l'exécutif et de fonctionner de façon autonome[188]. Dans les colonnes de leur Arbeiterpolitik, Karl Radek défend la thèse de la construction d'un parti révolutionnaire passant par une rupture décisive avec les centristes :

« L'idée de construite un parti en commun avec les centristes est une dangereuse utopie. Les radicaux de gauche, que les circonstances s'y prêtent ou non, doivent, s'ils veulent remplir leur mission historique, construire leur propre parti. »[189]

Nombre de spartakistes pensent de même : telle est la position initiale de Heckert et de ses camarades de Chemnitz[190], des militants du Wurtemberg que Jogiches s'emploie avec succès à convaincre. Tel est également le point de vue de Paul Levi qui, en février 1917, a adressé à Arbeiterpolitik un article signé de ses initiales, précisant sa qualité de militant du groupe Internationale, dans lequel il se prononce pour une rupture nette et claire avec les centristes[191].

Tout repose en fait sur la décision que vont prendre les gens de Die Internationale dans une situation nouvelle qu'ils n'ont ni désirée ni prévue. Les radicaux de gauche de Brême le reconnaissent :

« Les radicaux de gauche se trouvent devant une grande décision. La plus grande responsabilité se trouve entre les mains du groupe Internationale en qui, en dépit de critiques que nous avons dû lui faire, nous reconnaissons le groupe le plus actif et le plus nombreux, le noyau du futur parti radical de gauche. Sans lui - nous devons en convenir franchement - nous ne pourrons, nous et l'I.S.D., construire dans un délai prévisible un parti capable d'agir. C'est du groupe Internationale qu'il dépend que la lutte des radicaux de gauche se mène en un front ordonné, sous un drapeau à eux, sinon, en attendant, en une petite armée, ou bien que les oppositions à l'intérieur du mouvement ouvrier qui sont apparues dans le passé, et dont la compétition est un facteur de clarification, mettent longtemps à se régler dans la confusion, et d'autant plus lentement. »[192]

Mais les dirigeants spartakistes ne se décident pas. Persuadés que les autorités sont décidées à étouffer leur voix par tous les moyens, ils redoutent d'être isolés des masses s'ils ne disposent pas de la couverture d'un parti légal. Et ils décident d'adhérer au parti indépendant, malgré les réserves de nombre d'entre eux, les militants du Wurtemberg notamment, à qui Jogiches écrit pour leur rappeler que le groupe s'était prononcé nettement contre la formation d'un parti indépendant susceptible de dégénérer rapidement en une secte[193]. Ces réserves s'expriment même au congrès de fondation du parti où une militante de Duisburg, Rosi Wolfstein, proclame sa défiance profonde à l'égard des centristes[194]. Au nom du groupe, Fritz Rück déclare son intention de conserver à l'intérieur du nouveau parti une liberté de mouvement totale, affirme la nécessité de lutter pour l'autonomie la plus large des organisations de base contre les « instances » et se prononce pour une « politique révolutionnaire » en actes, et non seulement en paroles[195]. Le résultat le plus clair de la décision spartakiste est de couper en deux la minorité révolutionnaire - puisque l'I.S.D. de Borchardt et les militants de Brême restent à l'écart[196] - et surtout d'apporter au parti indépendant l'énorme prestige que sa courageuse lutte contre la guerre a valu à Karl Liebknecht.

Au premier abord, l'adhésion au parti social-démocrate indépendant d'hommes comme Kautsky, Bernstein ou Wurm, considérés comme l'aile droitière des centristes, n'était pas moins surprenante. On savait que, selon eux, l'essentiel était la lutte pour une paix de compromis, seule façon, en outre, d'éviter des troubles révolutionnaires graves. On les savait convaincus que cette lutte n'avait de chances d'aboutir que si elle était menée par le vieux parti social-démocrate ; ils s'étaient fermement opposés, même après les premières exclusions massives, à la création d'un nouveau parti : bien des centristes auraient voulu, avec eux, éviter de proclamer un parti à Gotha, et se contenter de l'étiquette d'« organisation de l'opposition », qui avait le double avantage à leurs yeux de maintenir la perspective du redressement du vieux parti et de fermer la route aux révolutionnaires partisans de la construction d'un nouveau parti et d'une nouvelle Internationale. Il semble bien, en définitive, que Kautsky et Bernstein ne se soient décidés à adhérer à la nouvelle organisation, après consultation de leurs amis, que pour y servir de contrepoids aux spartakistes et contribuer à y limiter leur influence[197].

Devant les congressistes, Kautsky et les anciens révisionnistes Bernstein et Eisner défendront finalement, aux côtés de Haase, le maintien du titre ancien pour l'organisation nouvelle. Kautsky déclara que le parti « continuait » : dans la réalité, c'étaient, selon lui, les « socialistes gouvernementaux » qui l'avaient abandonné, trahissant son programme et désertant sa mission[198]. Ce qui était pour lui une position de repli était sans aucun doute le sentiment réel de l'écrasante majorité des délégués. Haase, qui avait l'oreille du congrès, voulait sincèrement un nouveau parti, ayant corrigé ce qu'il considérait désormais comme la faute d'août 1914 et reprenant la ligne qu'il n'aurait jamais dû abandonner, « l'union pour conduire la lutte de classes avec vigueur et efficacité »[199]. En ce sens, c'était le vieux parti qu'il désirait ressusciter, le parti d'avant 1914 dans sa composition politique et ses conflits de tendance : les révolutionnaires Liebknecht et Rosa Luxemburg y avaient leur place aux côtés du révisionniste Bernstein. Ledebour se distingue par la vivacité - et même la hargne - de ses critiques contre les spartakistes et ce qu'il juge leur « nihilisme ». Il soutient le principe de la défense nationale, préconise la pression populaire sur le gouvernement pour l'ouverture de négociations. Il expose au congrès sa conception de la paix négociée - une conception très wilsonienne - : auto-détermination, tribunaux d'arbitrage, désarmement général, interdiction de la diplomatie secrète[200].

L'écrasante majorité des membres du nouveau parti partage le sentiment des délégués au congrès de fondation : il faut lutter simultanément pour la démocratie et pour le socialisme, en d'autres termes relever le drapeau de la social-démocratie traditionnelle foulé aux pieds par les majoritaires, réconcilier à nouveau programme minimum et objectif révolutionnaire. La réadoption solennelle par le congrès de Gotha du vieux programme d'Erfurt[201] donne à la fondation du parti tout son sens : il s'agit de faire revivre l'ancien parti social-démocrate et ses vieilles méthodes de combat, sa tradition d'opposition et de refus de collaboration, mais aussi son scepticisme à l'égard de la révolution prolétarienne, toujours considérée comme un objectif désirable mais hors d'atteinte.

Sur un seul point il n'y aura pas résurrection du parti tel qu'il était avant guerre : celui de sa structure, de la centralisation et du rôle de l'appareil. La majorité des délégués sont convaincus que c'est du mode d'organisation de l'ancien parti que provient tout le mal. Ils décident de limiter l'autorité des permanents, qui ne peuvent être membres qu'à titre consultatif des organismes de direction[202], uniformément rebaptisés « comités d'action » (Aktionausschuss). Les secrétaires d'organisations locales ou régionales seront désormais recrutés et payés par l'organisme qui les emploie directement et non par la direction nationale[203]. Celle-ci se voit interdire de posséder des titres de propriété dans les entreprises du parti, notamment dans sa presse[204]. La direction nationale est d'ailleurs flanquée d'un conseil (Beirat)d'élus des différentes régions, qui doit être obligatoirement consulté pour toute décision importante[205].

Ainsi que le note Carl Schorske, les centristes demeuraient ainsi installés dans le passé jusque dans leurs efforts pour innover. Ils ne concevaient les problèmes d'organisation que dans les termes où ils les avaient éprouvés au cours des dernières années de l'avant-guerre et s'employaient à prévenir la renaissance d'un appareil bureaucratique à optique opportuniste, alors qu'étaient précisément à l'ordre du jour une répression sérieuse et le mûrissement d'une situation révolutionnaire où une véritable centralisation était probablement nécessaire. Mais les spartakistes allaient plus loin dans leur opposition à la centralisation, non seulement en proposant de réduire au maximum le nombre des permanents et les ressources financières du centre, mais encore en réclamant pour les organisations régionales et surtout locales une liberté d'expression et d'action totales[206]. L'un de leurs porte-parole, le jeune Fritz Rück, le précisait sans ambages : « Nous voulons être libres de poursuivre notre propre politique »[207].

Il est évidemment possible d'expliquer l'adhésion, dans ces conditions, des spartakistes au parti indépendant, par les raisons qu'invoquera Liebknecht l'année suivante : « pour le pousser en avant, pour l'avoir à portée de fouet, pour en gagner les meilleurs éléments »[208], et parce qu'il était le milieu de travail le plus supportable pour des gens qui ne pouvaient, en tant que tendance, s'exprimer publiquement avec tout le poids nécessaire.

Ces explications ne règlent qu'une partie des problèmes ; l'attitude des spartakistes dans le nouveau parti ne s'explique pourtant que par leur conception de la nature de la révolution, élaborée dans la lutte contre la centralisation bureaucratique et ne laissant que peu de place à l'organisation ; c'est là que se trouvent les racines de leurs divergences, non seulement sur le plan international avec les bolcheviks, mais, sur le plan national, avec les radicaux de gauche de Brême. S'ils n'avaient pas été convaincus que les masses trouveraient spontanément les formes d'organisation adéquates au cours de leur action et que le rôle du parti était seulement de les éclairer et de les stimuler pour l'action, les spartakistes auraient sans doute créé leur propre organisation ou, tout au moins, organisé solidement leur propre fraction à l'intérieur du parti social-démocrate indépendant, ce qu'ils n'ont pas fait.

Commentant les structures que le parti social-démocrate indépendant venait de se donner à Gotha, Carl Schorske écrit :

« Les indépendants s'étaient ainsi privés de tout instrument d'organisation grâce auquel les actions spontanées de masse de la révolution pouvaient être unifiées en une force unique et percutante. L'expérience et la frustration d'hier avaient aveuglé les dirigeants révolutionnaires d'aujourd'hui »[209].

Eclatement dans l'aile gauche[modifier le wikicode]

Les radicaux de gauche avaient énergiquement combattu la décision de Spartakus d'adhérer au nouveau parti. En février, Knief, dans une réunion tenue à Brême, avait présenté une résolution pour une rupture totale, sur le plan des idées et de l'organisation, avec les « social-patriotes » comme avec les centristes. Il écrivait :

« La scission réalisée par les instances social-patriotiques du parti exige impérativement la lutte la plus dure contre les social-patriotes et le centre du parti au sein des syndicats et des coopératives également ; elle exige ensuite le rassemblement immédiat de tous les éléments radicaux de gauche dans un parti ouvrier et enfin la préparation d'un rassemblement international de la classe ouvrière socialiste pour la poursuite de l'œuvre de Zimmerwald et de Kienthal »[210]

Début mars, les groupes radicaux de gauche de Brême, Hambourg, Hanovre, Rüstringen, se prononcent pour la rupture avec le centre et la construction d'un parti indépendant des radicaux de gauche[211]. Borchardt fait de même, en justifiant sa position par la nécessité d'éliminer tous les « chefs » du mouvement ouvrier[212].

Au lendemain du congrès de Gotha, les groupes de Brême et de Hambourg lancent un appel à la construction d'une organisation révolutionnaire indépendante[213]. Arbeiterpolitik proclame en juillet :

« Le groupe Internationale est mort. (...) La base solide du nouveau parti socialiste international d'Allemagne est là. Un groupe de camarades s'est constitué en un comité d'action afin de prendre les premières mesures pour constituer le nouveau parti. »[214]

Et c'est finalement au mois d'août que se tient à Berlin, en présence de délégués de Brême, Berlin, Francfort-sur-le-Main, Rüstringen, Moers et Neustadt, une conférence des groupes radicaux de gauche en vue de créer un « parti socialiste international »[215]. La résolution adoptée par la conférence met pour la première fois l'accent sur la nécessité de lutter contre la division du mouvement ouvrier en « partis » et « syndicats » et se prononce pour l'organisation d'« unions ouvrières » (Einheitsorganisationen) - position profondément différente de celle de bolcheviks, dont les radicaux de gauche paraissaient jusque-là les disciples : au même moment, d'ailleurs, Julian Borchardt affirme dans une brochure l'impossibilité absolue d'une révolution en Allemagne[216]. Bientôt Otto Rühle, toujours député, rejoint les « socialistes internationaux », avec les militants de Dresde et de Pirna qui le suivent.

Les premières conséquences de la scission social-démocrate et de la fondation du parti indépendant sont donc une autre scission, celle de la gauche révolutionnaire, et une extrême confusion. Des éléments positifs se font jour cependant. En Suisse, l'influence des bolcheviks s'est pendant la dernière période considérablement accrue sur les révolutionnaires allemands émigrés. D'une part Jugend Internationale, sous la direction de Willi Münzenberg, se fait le véhicule jusqu'en Allemagne des thèses bolcheviques, et nombre de militants des jeunesses, qu'ils soient spartakistes ou radicaux de gauche, sont par son intermédiaire influencés par Lénine[217]. D'autre part, introduit par Radek auprès de Lénine qui le considère à cette époque comme un « véritable bolchevik[218] », Paul Levi a accepté sur l'invitation de Zinoviev d'entrer en qualité de représentant allemand dans le bureau de la « gauche de Zimmerwald »[219]. Lorsque Lénine entreprend en avril 1917 le long voyage qui va le ramener en Russie, Levi est le premier à signer - de son pseudonyme de Paul Hartstein - le manifeste des internationalistes qui donnent leur caution à ce voyage organisé avec l'accord du gouvernement impérial allemand, assurant que « les révolutionnaires russes (...) ne veulent retourner en Russie que dans le but d'y travailler pour la révolution », et que, « par cette action, ils aideront le prolétariat de tous les pays, notamment d'Allemagne et d'Autriche, à commencer sa lutte révolutionnaire contre les gouvernements »[220]. Peu après, Levi retourne en Allemagne où il joue un rôle important à la tête du groupe spartakiste tout en collaborant - sous le pseudonyme de Hartlaub - au Sozialdemokrat indépendant de Francfort[221]. Karl Radek, lui, est parti de Suisse en même temps vue Lénine : il s'arrêtera à Stockholm avec Vorovski et Hanecki. Ensemble, ils organisent la parution de deux journaux, Bote der Russischen Revolution et Russische Korrespondenz-Prawda, qui diffuseront en Allemagne les informations venues de Russie et les thèses bolcheviques[222].

VI. Montée révolutionnaire[modifier le wikicode]

L'année 1917 marque le tournant de la première guerre mondiale. La révolution russe est la manifestation la plus spectaculaire de la crise qui secoue l'ensemble des pays belligérants. En Allemagne, elle se manifeste d'abord par la formation du parti social-démocrate indépendant et la scission ouvrière : venant elle-même après février, elle pose pour la première fois concrètement depuis que le problème a été posé en théorie, aussi bien par Lénine que par Rosa Luxemburg, la tâche de construction d'un parti révolutionnaire en Allemagne et d'une Internationale nouvelle.

Le tournant du début 1917[modifier le wikicode]

Les batailles de 1916 ont coûté très cher. De février à décembre, 240 000 soldats allemands sont tombés devant Verdun, sans que l'état-major obtienne la décision escomptée[223]. Fin décembre, les troupes de l'Entente contre-attaquent. Les généraux allemands réclament les moyens qu'ils estiment nécessaires à la victoire. Hindenburg, devenu commandant en chef, avec Ludendorff comme quartier-maître général, va imposer aux dirigeants civils la guerre sous-marine, arme dangereuse puisqu'elle dresse contre l'Allemagne l'opinion des neutres[224]. Elle serait efficace si elle provoquait l'effondrement rapide de la résistance de l'Entente : or elle commence en janvier et son échec est patent dès avril. L'hiver a été terrible : les provisions gèlent dans les caves[225]. La récolte de pommes de terre a été en 1916 de 23 millions de tonnes contre 46 en moyenne avant guerre, et, là-dessus, 6 millions n'ont pas atteint le marché officiel[226] : le marché noir prospère et l'opulence des spéculateurs est une insulte permanente aux quartiers ouvriers et aux permissionnaires hâves qui émergent périodiquement de l'enfer. Le mécontentement paysan commence à se traduire par une valse-hésitation du Centre catholique, qui flirte au Reichstag avec des attitudes d'opposition.

Dans ces conditions, la révolution russe de février va avoir un retentissement énorme. Au premier abord, elle semble augmenter les chances de victoire militaire, puisqu'elle met pratiquement hors de combat l'un des adversaires. C'est ce que proclame le révisionniste David, lequel souligne que la révolution n'a été possible qu'à la suite d'un effondrement du pouvoir autocratique dont l'effort de guerre allemand a évidemment tout le mérite[227]. Mais c'est seulement en apparence que l'événement sert les vues des jusqu'auboutistes. Quoique la censure dissimule l'essentiel des informations de Russie, tous les Allemands apprennent bientôt, au moins schématiquement, que l'autocratie tsariste, longtemps présentée comme l'ennemi numéro un par la propagande de guerre, a été abattue par une révolution populaire : le problème des buts de guerre est à nouveau posé. L'appel à la paix du soviet de Petrograd - monté en épingle par les bellicistes, qui veulent montrer que le but est proche - montre d'autre part que les objectifs de l'impérialisme allemand ne sont pas tels que les présentent Ebert et Scheidemann. Surtout, l'action des ouvriers et paysans russes, si mal connue soit-elle, a, en définitive, valeur d'exemple, Une révolution victorieuse est possible, elle peut représenter, ailleurs qu'en Russie, la fin des massacres. Au conseil des ministres, le ministre de l'intérieur parle de « l'effet enivrant de la révolution russe », et le sous-secrétaire d'État Helfferich, rendant compte de ses entretiens avec les dirigeants des syndicats, déclare que, selon eux, « l'agitation publique que suscitent les difficultés du ravitaillement et le mouvement révolutionnaire en Russie risquent de provoquer une tempête telle que le gouvernement ne pourrait s'en rendre maître »[228].

Dans le mouvement ouvrier, la révolution provoque une clarification politique : l'attitude à son égard constitue un critère. Haase, au Reichstag, interpelle le gouvernement : « Le chancelier désire-t-il que les masses allemandes en arrivent à parler le russe ? » et Ledebour commente à Gotha cette attitude des centristes[229] :

« Nous, les social-démocrates de l'opposition, n'avons pas négligé ce qui se passe à l'est. Nous avons utilisé la circonstance pour montrer au gouvernement et aux partis bourgeois qu'il est grand temps d'en tirer les leçons. (...) Nous avons déclaré que, si cela continue, il se produira inévitablement chez nous, en Allemagne, des événements comme ceux de Russie. »[230]

Le spartakiste Fritz Heckert déclare, lui, que « le prolétariat allemand doit tirer les leçons de la révolution russe et prendre en main son propre destin »[231], cependant que Clara Zetkin, dans une lettre au congrès, affirme :

« Devant notre congrès s'inscrit en lettres de feu l'action du peuple de Russie, une action dont l'âme ardente et le moteur est constituée par le jeune prolétariat, sous la direction d'une social-démocratie qui a su, elle aussi, pendant le temps de guerre, maintenir haut et sans tache le drapeau du socialisme international. J'espère, je souhaite que vos délibérations et vos décisions seront dignes de cet exaltant événement du siècle ! Mettons-nous à l'école de la maîtresse historique de tous les peuples et de tous les temps : la Révolution. »[232]

Les réactions des travailleurs semblent donner raison aux révolutionnaires : les autorités impériales comme les dirigeants syndicaux s'emploient de leur mieux à désamorcer ce que la situation leur paraît avoir d'explosif. Un rapport du préfet de police au commandant militaire de Berlin, daté du 23 février, déclare :

« Actuellement, presque tous les militants syndicaux du syndicat des métaux qui, dans les usines, passent pour donner le ton, sont politiquement membres de l'opposition et, pour une grande part, membres du groupe Spartakus, qui a pris pour mot d'ordre « Mettre fin à la guerre par des grèves ». »

Il précise, par la même occasion, l'attitude des responsables de l'appareil syndical :

« Devant la puissance des militants syndicalistes extrémistes, les dirigeants syndicalistes Cohen et Siering sont impuissants et contraints de se soumettre, car leur situation et leur réélection sont en jeu. C'est ainsi maintenant que Siering agit tout à fait dans le sens de ces extrémistes en faisant de l'agitation au cours des diverses réunions (...), ce qui lui vaut la sympathie des extrémistes. »[233]

Dans l'épreuve de force qui se prépare, c'est sur les dirigeants des syndicats que comptent les autorités impériales et le sous-secrétaire d'État Wahnschaffe l'écrit à Ludendorff le 24 février :

« On ne saurait gagner la guerre sans les ouvriers d'industrie. Or personne n'a - il s'en faut - autant d'influence sur eux que les dirigeants des syndicats. Sans ces dirigeants et a fortiori contre eux, il n'y a rien à faire. »[234]

Les grèves d'avril 1917[modifier le wikicode]

Les organisations clandestines se préparent à une action de masse dont les conditions leur semblent maintenant réunies. A Berlin, dans les premiers jours d'avril, les militants de Spartakus diffusent un tract appelant à une protestation de masse, citant l'exemple des prolétaires russes qui ont su abattre le tsarisme et fonder une « république démocratique »[235] . A Leipzig, un tract, vraisemblablement de même origine, célèbre aussi la révolution russe, et conclut : « Prenez en main votre propre destin ! A vous le pouvoir si vous êtes unis ! »[236] Des arrêts de travail se produisent à Hambourg, Magdebourg, Brême, Nuremberg. A Berlin, les délégués révolutionnaires jugent le moment venu d'une action qui permettrait une première mobilisation de masses et, à une étape ultérieure, les conditions d'un élargissement de la plate-forme d'action et du front des travailleurs engagés : ils décident d'utiliser une assemblée du syndicat des métaux de Berlin, fixée au 15 avril, pour y faire adopter une décision de grève en vue de l'amélioration du ravitaillement[237]. Informés de ce qui se trame, les responsables de l'ordre font discrètement arrêter, le 13, Richard Müller, l'organisateur clandestin des métallos révolutionnaires, le responsable syndical officiel des tourneurs[238]. La nouvelle ne sera connue des ouvriers que le jour de l'assemblée.

A cette date, un mouvement est déjà engagé à Leipzig. Le 12 avril, des femmes ont réclamé du pain dans une manifestation devant l'hôtel de ville et la police a arrêté seize manifestantes. Le 13, le gouvernement saxon appelle à accepter dans le calme des mesures inévitables de restrictions. Mais le 14, plus de 500 ouvriers convergent vers l'hôtel de ville afin d'y réclamer une amélioration du ravitaillement : ils sont reçus et on leur promet que des mesures seront prises[239].

Le 15 au matin, on annonce la réduction de la ration de pain hebdomadaire de 1350 à 450 grammes : la nouvelle est encadrée par des communiqués célébrant les brillants résultats de la guerre sous-marine[240]. Quand les métallos se réunissent, ils sont décidés à passer à l'action : Cohen et Siering n'hésitent pas à prendre les devants et proposent la grève pour le lendemain, le 16, afin d'obtenir une amélioration du ravitaillement[241]. Les délégués révolutionnaires sont pris de vitesse. Ils approuvent donc l'initiative des dirigeants, mais demandent en outre la poursuite de l'action jusqu'à la libération de Richard Müller. Cohen rétorque qu'il ne peut endosser seul la responsabilité de la direction d'une action aussi difficile : il demande et obtient l'élection d'un comité de grève qui sera chargé, avec lui, des négociations[242].

Le 16, le Vorwärts, sans condamner la grève, met cependant en garde contre le danger qu'une agitation ferait courir à la « politique de paix » qui selon lui s'esquisse. « L'espoir fou qu'on pourrait connaître des événements semblables à ceux de Russie » risque, selon le quotidien social-démocrate, de « coûter la vie à des centaines de milliers d'hommes sur les champs de bataille »[243]. Dans toutes les usines, cependant, se tiennent des assemblées générales. A 9 heures, 300 entreprises sont en grève, les syndicats annoncent un total contrôlé de 200 000 grévistes, le chiffre réel étant vraisemblablement de l'ordre de 300 000[244]. Les rues commencent à être parcourues de cortèges qui se forment spontanément sur des mots d'ordre divers, souvent politiques. Le comité élu se réunit au local des syndicats, désigne une commission restreinte : aux côtés d'Alwin Körsten, représentant la commission générale des syndicats et des dirigeants des métaux Cohen et Siering, siègent huit délégués des entreprises, dont deux au moins, Otto Tost, de Schwartzkopf, et Franz Fischer, de la D.W.M., sont membres du noyau révolutionnaire clandestin[245]. La délégation qu'ils constituent est immédiatement reçue par le commissaire au ravitaillement, Michaelis. Ce dernier promet la formation d'une commission municipale du ravitaillement où les syndicats seraient représentés. Les délégués ouvriers demandent la garantie qu'aucune sanction ne sera prise et exigent la libération de Richard Müller : le commissaire les renvoie alors aux autorités militaires. L'entretien a duré cinq heures[246].

A Leipzig, les événements ont pris une tournure identique. Au matin du 16, des tracts manuscrits ont été diffusés dans presque toutes les entreprises, appelant les ouvriers à se réunir à l'heure du déjeuner pour y décider la grève[247]. L'agitation qui se poursuit dans les usines pendant toute la matinée décide les responsables syndicaux à prendre une initiative : le syndicat des métaux appelle à un rassemblement dans le Brauereigarten, à Leipzig-Stotteritz. L'arrêt de travail est général à midi ; à 15 heures, plus de 10 000 ouvriers sont rassemblés pour entendre un discours du dirigeant des métallos Arthur Lieberasch ; celui-ci déclare que la manifestation du 14 a démontré aux responsables qu'il fallait donner aux ouvriers la possibilité d'exprimer leurs revendications. Mais il soulève un concert de protestations en proposant la reprise du travail pour le lendemain[248]. Une résolution est finalement adoptée dans le tumulte ; elle réclame l'augmentation des rations alimentaires et des attributions de charbon, mais énumère aussi - fait capital - six revendications d'ordre politique : une déclaration du gouvernement en faveur d'une paix sans annexions, la suppression de la censure et la levée de l'état de siège, l'abolition de la loi sur la mobilisation de la main-d'œuvre la libération des détenus politiques, l'introduction du suffrage universel dans les élections à tous les niveaux[249]. L'assemblée décide que la résolution doit être remise en mains propres au chancelier, à Berlin, par une commission, élue sur-le-champ par acclamations, qui comprend deux responsables du syndicat des métaux et trois représentants du parti social-démocrate indépendant. Une autre assemblée se déroule pendant ce temps au Vorgarten : un ouvrier y célèbre la révolution russe, montre que la manifestation qui se déroule est la preuve qu'il est possible, en Allemagne, d'imiter son exemple[250]. Le soir, les dirigeants syndicaux s'efforcent de convaincre les autorités qu'elles doivent avant tout éviter une intervention militaire, laquelle donnerait au mouvement un caractère « anarchiste » et leur en enlèverait à eux le contrôle[251]. A Berlin, le comité de grève maintient sa décision de poursuivre l'action jusqu'à la libération de Richard Müller[252].

Le 17, l'atmosphère se tend de plus en plus. Les dirigeants social-démocrates Bauer et Scheidemann s'efforcent de convaincre Helfferich et le général Groener qu'ils doivent recevoir la délégation des grévistes de Leipzig, même si celle-ci présente des revendications d'ordre politique : le refus ferait couler « un sang inutile », alors qu'il ne coûtera rien de la recevoir et de lui donner des apaisements[253]. Les spartakistes distribuent des tracts dans lesquels ils invitent les ouvriers à reprendre à leur compte les revendications des grévistes de Leipzig et à élargir la lutte sur cette plate-forme[254]. Körsten, Cohen et Siering sont reçus seuls à la Kommandantur. Ils en reviennent avec l'assurance que Müller va être libéré dans les meilleurs délais[255]. Une discussion très vive s'engage dans le comité : de nombreux délégués, membres la plupart du parti indépendant, voudraient voir reprendre les revendications politiques de Leipzig. Cohen rétorque qu'il faut arrêter la grève, puisque ses objectifs sont atteints, que la poursuivre serait risquer d'en remettre les résultats en question, que le comité n'a d'ailleurs pas d'autre mandat et qu'il faudrait une nouvelle assemblée générale pour décider d'une nouvelle plate-forme de grève, enfin qu'il est personnellement opposé, au nom des principes, à ce que les syndicats prennent des positions politiques. Il l'emporte finalement de justesse : l'assemblée refuse de faire siennes les revendications politiques de Leipzig et décide de lancer le mot d'ordre de reprise du travail pour le 18 au matin[256]. La délégation des grévistes de Leipzig, revenue de Berlin où elle a été reçue, fait adopter une position identique. La grève est, en principe, terminée.

En réalité, la reprise se révèle difficile. Dès le 17, les députés social-démocrates indépendants de Berlin prennent part aux assemblées d'usine, appellent à poursuivre la lutte sur le programme de Leipzig. Le vieil Adolf Hoffmann, très populaire, exalte devant les ouvriers de la Knorr-Bremse l'exemple révolutionnaire russe[257]. Le lendemain, il assiste, avec Haase, à une assemblée des travailleurs de la D.W.M., où Siering plaide en vain pour la reprise : « Il ne faut pas terminer dans la division un mouvement commencé dans l'unité ». D'autres députés indépendants, Vogtherr, Dittmann, Büchner, défendent la poursuite de la grève[258]. Finalement, ils sont plus de 50 000 ouvriers à continuer, qui dénoncent la « trahison » du mouvement par ses chefs[259]. Dans la plupart des assemblées d'usine, on lance le mot d'ordre de l'élection de « conseils ouvriers », « comme à Leipzig » - ainsi naissent les légendes - avec des représentants du parti social-démocrate indépendant[260]. Les grévistes de la D.W.M. élisent un comité de grève que dirigent les délégués révolutionnaires Franz Fischer et Bruno Peters[261]. Ceux de la Knorr-Bremse, après cinq heures de discussion, mettent au premier rang de leurs revendications la libération de Karl Liebknecht. Ils élisent un conseil ouvrier que préside le révolutionnaire Paul Scholze et qui lance aussitôt un appel à l'élection de conseils ouvriers dans toutes les entreprises[262]. C'est pourtant une minorité de travailleurs qui poursuit le mouvement et, malgré les avertissements de Scheidemann qui craint « un retour de flamme »[263], l'autorité militaire intervient, militarisant le personnel des entreprises en grève, arrêtant les dirigeants, notamment Peters, Fischer, Scholze[264]. L'ordre est bientôt rétabli et le travail reprend.

Quelques jours plus tard, le chef de la section des armements le général Groener, lance un appel aux ouvriers :

« Lisez et relisez encore et encore la lettre du maréchal Hindenburg et vous reconnaîtrez vos pires ennemis. Ils ne sont pas là-bas, près d'Arras, sur l'Aisne, en Champagne, ils ne sont pas à Londres. (...) Nos pires ennemis sont au milieu de nous (...) : les agitateurs grévistes. (...) Quiconque se met en grève alors que nos armées sont face à l'ennemi est un chien. »[265]

Les syndicats se sont joints à lui, dans le Vorwärts du 27 avril :

« Les grèves doivent être évitées (...) ; seule une augmentation de la capacité de résistance de l'Allemagne peut nous conduire une paix rapide. »[266]

La réaction ouvrière, pourtant, sera bien différente et, trois ans plus tard, évoquant cet épisode, Richard Müller notera avec sans doute un peu de nostalgie :

« Les délégués révolutionnaires et tous ceux qui travaillaient contre la guerre ne pouvaient par leur propagande accomplir le travail que l'appel de Groener avait fait pour eux. »[267]

Une étape était franchie. Les masses avaient livré leur premier combat. Les social-démocrates indépendants, qui poursuivaient pourtant au même moment leurs pourparlers en vue d'une coalition parlementaire pour la fin de la guerre, y avaient gagné un grand prestige. Ils apparaissaient aux yeux de couches de plus en plus larges comme les champions d'une lutte de masse pour la paix, révolutionnaire par les conditions mêmes dans lesquelles elle était appelée à se dérouler.

Organisation révolutionnaire des marins[modifier le wikicode]

Précisément, une agitation révolutionnaire née spontanément dans la marine de guerre va se tourner vers les dirigeants social-démocrates indépendants pour y trouver une direction.

Toutes les conditions étaient réunies pour faire des bateaux de guerre d'actifs foyers d'agitation. Les équipages comptaient une majorité d'ouvriers qualifiés, le plus souvent métallurgistes, ayant l'expérience des luttes et une conscience de classe. Les circonstances de la guerre, qui laissaient les navires à quai, permettaient le maintien de contacts étroits entre marins et ouvriers des ports et des chantiers, la circulation à bord de livres, tracts, journaux, l'échange d'idées et l'organisation de discussions. Les conditions de vie, la concentration de prolétaires dans un espace restreint, les qualités d'audace, d'esprit collectif qu'elles développent, rendaient plus insupportables les dures conditions matérielles faites aux marins et chauffeurs, dans le cadre d'une inactivité que ne parvenaient pas à estomper les exercices disciplinaires absurdes imposés par un corps d'officiers particulièrement réactionnaires[268].

Dès 1914, il existait dans la flotte de petits groupes de lecteurs de la presse radicale, notamment de la Leipziger Volkszeitung[269]. En 1915, on y avait évoqué, de façon assez vague, il est vrai, la nécessité de constituer une organisation centrale de la flotte par le rassemblement des groupes socialistes épars[270]. Le mouvement, assoupi, reprend vie après l'hiver 1916-1917, sous l'influence de la révolution russe en particulier, dans laquelle de jeunes sous-officiers, marins et chauffeurs, d'origine ouvrière et social-démocrates d'éducation, voient le modèle de la route à suivre pour obtenir la paix. Sur le cuirassé Friedrich-der-Grosse, un petit groupe d'hommes se réunit régulièrement dans la chaufferie ou dans la soute aux munitions : le chauffeur Willy Sachse et le marin Max Reichpietsch lisent et commentent, font lire des brochures de Marx, Bebel, font circuler le programme d'Erfurt[271]. Ils établissent à terre, à Wilhelmshaven, des contacts avec des marins d'autres navires[272]. Quand, en juin 1917, ils apprennent l'institution, sur tous les bateaux de guerre, de « commissions de cambuse » chargées de contrôler le ravitaillement et comprenant des représentants des équipages, ils saisissent l'occasion qui s'offre et passent à la construction d'une organisation clandestine, la Ligue des soldats et marins[273].

Utilisant l'activité des commissions de cambuse, à l'instar des ouvriers dans les usines pour celle des délégués, ils parviennent à mettre sur pied en quelques semaines un réseau très souple d'hommes de confiance qui couvre l'ensemble de la flotte, que dirigent des comités clandestins formés d'abord sur le Friedrich-der-Crosse, puis sur le Prinz-Regent-Luitpold, et dont la liaison se fait à terre. L'animateur politique de l'entreprise, Max Reichpietsch, ne dissimule pas son objectif à ses camarades :

« Nous devons rendre parfaitement clair aux yeux de tous que les commissions de cambuse sont le premier pas vers la construction de conseils de marins sur le modèle russe. »[274]

Ils ont bientôt à leur actif une grève de la faim victorieuse sur un cuirassé[275], et Reichpietsch estime que son organisation est prête à déclencher un mouvement de masse pour la paix dans la flotte de guerre. Mais il juge nécessaire, avant d'aller plus loin, d'établir la liaison avec le parti dont il attend des perspectives et une coordination de la lutte d'ensemble, le parti social-démocrate indépendant[276]. A la mi-juin, au cours d'une permission, il entre en rapport à Berlin avec ses dirigeants, Dittmann et Luise Zietz, qu'il rencontre d'abord au siège du parti, puis Haase, Vogtherr et encore Dittmann, qui le reçoivent au Reichstag[277].

Le travail entrepris par Reichpietsch et ses camarades était un travail extrêmement dangereux, exigeant une organisation, une clandestinité, un cloisonnement parfaits, des fonds importants et beaucoup de précautions. Les vieux parlementaires social-démocrates dont il attendait aide et directives n'avaient pas la moindre idée de ces conditions. Luise Zietz s'était certes exclamée : « Nous devrions avoir honte devant ces marins : ils sont plus avancés que nous »[278], mais, pas plus que les autres elle n'avait su s'élever au-dessus de l'optique routinière de la pratique réformiste et électoraliste. Dittmann regrette de ne pouvoir remettre gratuitement aux marins des brochures reproduisant son discours contre l'état de siège : le cas n'a pas été prévu par le trésorier du parti. Il déconseille à Reichpietsch de chercher à former des cercles du parti sur les bateaux : comme les militaires ne paient pas de cotisations selon les statuts, leur adhésion formelle ne présente pas d'intérêt[279]. Il lui remet cependant des bulletins d'adhésion à remplir et à renvoyer par ces jeunes gens pour qui la moindre activité politique est passible du conseil de guerre[280] ! S'il n'est pas partisan de la formation de cercles de marins, il préconise leur adhésion aux cercles existants dans les ports qui se livrent à une activité légale et publique, et demande à Reichpietsch de prendre l'initiative de fonder le parti à Wilhelmshaven[281]. De façon générale, les marins ne doivent pas garder le contact avec les dirigeants nationaux, mais, partout où cela est possible, rester en liaison avec les organisations locales. Dittmann expose, certes, à Reichpietsch les dangers de l'entreprise, mais lui déclare qu'il est préférable, de toute façon, d'apparaître sous son nom dans les activités officielles du parti à terre[282]. Comme perspectives politiques, Haase et Dittmann entretiennent Reichpietsch de la prochaine conférence socialiste internationale qui va se tenir à Stockholm, et admettent qu'un mouvement pour la paix dans la flotte de guerre y renforcerait la position des socialistes partisans de la paix[283]. En un mot, ils lui répondent que, tout en étant sceptiques quant aux possibilités d'action qu'il entrevoit, il ne saurait être question de l'en dissuader. Ils ne l'éclairent en tout cas pas un instant sur les risques réels que court le mouvement des marins et qu'ils contribuent eux-mêmes à accroître en élargissant inconsidérément le nombre de leurs contacts avec des civils peu responsables.

Reichpietsch accepte ce qu'on lui offre. Dévoré du désir d'action, il revient sur son bateau, assurant à ses camarades que les députés qu'il a rencontrés sont gagnés à l'idée d'une lutte révolutionnaire pour la paix et convaincus du rôle décisif qu'y jouera la grève générale de la flotte[284]. L'organisation s'élargit encore avec la constitution, sur le Prinz-Regent, d'un comité dirigé par Beckers et Köbis, qui entreprend l'organisation de la Ligue sur les bateaux ancrés à Kiel[285]. Le 25 juillet 1917, une direction centrale, la Flottenzentrale clandestine, est mise sur pied : plus de 5 000 marins sont groupés sous son autorité[286]. Devant ses camarades, Reichpietsch résume les perspectives : il faut organiser un mouvement dans la flotte afin de donner des arguments aux délégués indépendants à Stockholm, et, s'il ne sort rien de la conférence, les marins révolutionnaires « lanceront aux soldats le mot d'ordre : « Debout, brisons les chaînes, comme l'ont fait les Russes ! ». Il ajoute : « Chacun sait ce qu'il aura à faire »[287]. Les incidents se multiplient, car les marins sont conscients de leur force, fiers de leur organisation, confiants dans le soutien qu'ils escomptent : grève de la faim sur le Prinz-Regent-Luilpold, le 19 juillet, sortie massive, sans permission, du Pillau, le 20, sortie sans permission du Prinz-Regent-Luitpold de 49 hommes le 1° août, et, enfin, le « grand débarquement » de 400 membres de l'équipage du Prinz-Regent le 2 août[288]. Cette fois, l'appareil de la répression est prêt à fonctionner : il sait tout. Les « meneurs » sont arrêtés. Le 26 août, un conseil de guerre prononce cinq condamnations à mort. Le 5 septembre, Alwin Köbis et Max Reichpietsch sont passés par les armes[289].

Quelques semaines plus tard, Lénine écrit que ce mouvement révolutionnaire « marque la crise de croissance de la révolution mondiale »[290] et qu'il constitue l'un des « symptômes irrécusables d'un grand tournant, symptômes d'une veille de révolution, à l'échelle mondiale »[291]. En réalité, la tragédie à venir en Allemagne est tout entière inscrite dans ce drame, dans le contraste entre la volonté d'action des jeunes travailleurs sous l'uniforme et l'incapacité de « chefs » écrasés par leurs responsabilités et convaincus que les problèmes qui concernent l'avenir de l'humanité se règlent en termes de cotisations, de sections locales et de discours dans les assemblées parlementaires.

Les lendemains de la révolution d'Octobre[modifier le wikicode]

Les marins révolutionnaires de Russie ont eu plus de succès que leurs frères allemands. La révolution d'Octobre victorieuse va bientôt donner un autre type de réponse aux problèmes du jour, commander de nouveaux regroupements. La direction du parti indépendant la salue, dans la Leipziger Volkszeitung du 12 novembre :

« En Russie, le prolétariat a pris le pouvoir politique; c'est un événement de signification mondiale. Jamais le prolétariat n'a eu devant lui une tâche aussi importante que celle d'aujourd'hui. »[292]

Le 14 novembre, le même journal écrit :

« De tout notre cœur, nous sommes, nous, prolétaires allemands, en ces heures, avec nos camarades russes au combat. Ils se battent aussi pour notre cause. Ils sont l'avant-garde de l'humanité, l'avant-garde de la paix. »[293]

En réalité, les social-démocrates indépendants sont profondément divisés sur l'attitude à adopter à l'égard de la révolution et du nouveau pouvoir soviétique. La direction, le 12, appelait les ouvriers à imiter l'exemple russe et « à se préparer à manifester leur volonté d'une paix sans annexion »[294]. Mais, dès le 15 novembre, dans la Leipziger Volkszeitung, Karl Kautsky pose la question : « Comment cela va-t-il finir ? » et conclut : par « la décomposition sociale et politique, le chaos »[295]. Le 30 novembre, Clara Zetkin explique la signification de la révolution qui a donné aux soviets, organes des travailleurs, le pouvoir d'État[296], mais le 24 décembre, Bernstein attaque violemment la dictature des bolcheviks[297], et, à partir du 17, le menchevik Stein dresse dans la Leipziger Volkszeitung un réquisitoire sévère contre le nouveau régime révolutionnaire[298].

Pour les bolcheviks, la victoire de la révolution en Russie n'est que la première étape d'une révolution qui ne saurait être que mondiale. Le célèbre décret du 26 décembre 1917 le rappelle : sous la plume de Lénine et Trotsky, il décide d'« offrir son assistance, par tous les moyens possibles, argent compris, à l'aile gauche internationale du mouvement ouvrier de tous les pays »[299]. Dès l'ouverture, le 26 novembre, des négociations de paix germano-russes à Brest-Litovsk, les bolcheviks ont entrepris une propagande systématique en direction des soldats et des travailleurs allemands, destinée, dans leur esprit, à hâter l'explosion révolutionnaire inévitable. Karl Radek dirige un bureau de presse au ministère des affaires étrangères : aidé de militants social-démocrates recrutés dans les camps de prisonniers, il organise la diffusion, par avion notamment, de centaines de milliers de tracts reproduisant l'appel à la paix du gouvernement soviétique, puis rédige un journal, Die Fackel (La Torche), tiré à un demi-million d'exemplaires et diffusé sur toute la longueur du front[300]. Les chefs militaires allemands s'inquiètent rapidement de cette propagande rédigée dans un langage simple et direct et des ravages qu'elle produit parmi des troupes jusque-là bien tenues en main[301]. Leur attitude se durcit, ils reviennent sur les facilités accordées pour la fraternisation au cours des négociations d'armistice, s'efforcent de conclure vite et d'exploiter au maximum le besoin de paix des bolcheviks. Le 10 janvier, le général Hoffmann annonce aux délégués russes les conditions de l'ultimatum[302], qui va provoquer au sein des dirigeants bolcheviques la grande discussion autour de la paix et la première crise sérieuse dans le parti. Cependant, Trotsky a su utiliser les pourparlers de Brest comme une tribune d'où les travailleurs russes appellent à leur secours leurs frères des pays belligérants, en particulier des empires centraux[303]. L'appel est entendu : le 14 janvier, la grève éclate à l'usine Manfred Weiss de munitions, de Csepel, à Budapest[304]. En quelques jours elle s'étend à toutes les entreprises industrielles d'Autriche et de Hongrie[305].

Ainsi commence ce que Franz Borkenau, peu suspect d'exagération sur ce terrain, appelle « le plus grand mouvement révolutionnaire d'origine proprement prolétarienne qu'ait jamais connu le monde moderne », un mouvement qui, selon le même auteur, « ébranlera jusqu'à leurs fondations les puissances centrales »[306].

Les grèves de janvier 1918[modifier le wikicode]

En Allemagne, depuis octobre, la combativité des ouvriers ne cesse de croître. Les informations sur les pourparlers de Brest échauffent les esprits. Nombre de militants pensent comme Liebknecht qui écrit de sa prison :

« Grâce aux délégués russes, Brest est devenu une tribune révolutionnaire qui retentit loin. Il a dénoncé les puissances de l'Europe centrale, il a révélé l'esprit de brigandage, de mensonge, d'astuce et d'hypocrisie de l'Allemagne. Il a porté un verdict écrasant sur la politique de paix de la majorité allemande, politique qui n'est pas tellement papelarde que cynique. »[307]

Dans la première quinzaine de janvier, Spartakus diffuse un tract appelant à la grève générale, dénonçant l'illusion selon laquelle la paix séparée constituerait un pas vers la paix générale[308]. Vers le milieu du mois se réunissent en commun les délégués révolutionnaires, la direction du parti social-démocrate indépendant et les députés de ce parti au Reichstag et au Landtag prussien. Richard Müller présente un rapport sur la situation dans la classe ouvrière berlinoise : il conclut à la possibilité de déclencher une grève générale sur des revendications politiques, affirme que les ouvriers sont prêts à la faire, mais qu'ils attendent d'y être appelés par le parti social-démocrate indépendant[309]. Les participants se divisent et s'affrontent parfois avec violence. Une minorité, dont Ströbel se fait le porte-parole, se prononce contre toute action, affirmant que Müller se trompe sur l'état d'esprit des ouvriers qui sont en réalité complètement passifs. La majorité, avec Haase, pense que la grève générale est nécessaire pour imposer la paix, mais refuse de courir le risque de faire interdire le parti, ce qui ne manquerait pas de se produire, selon lui, s'il lançait l'appel à l'action suggéré par Müller. Ces tergiversations ne sont pas du goût de Ledebour et Adolf Hoffmann, qui se déclarent prêts à signer personnellement un appel à la grève si le parti se refuse à le faire[310]. On aboutit finalement à un compromis : un texte rédigé par Haase et appelant à une grève de trois jours[311] sera signé non du parti en tant que tel, mais de ses députés, et diffusé en tract dans les entreprises[312]. Pourtant les députés hésitent encore : la fraction, deux jours plus tard, modifie le texte et en retire toute allusion à la grève[313], quoique les militants du parti continuent à en diffuser oralement le mot d'ordre. Après des négociations infructueuses pour faire imprimer le tract clandestinement par les spartakistes, le texte est finalement publié le 10 janvier 1918. Il déclare notamment :

« Si la population laborieuse n'affirme pas sa volonté, il pourra sembler que les masses du peuple allernand approuvent les actes de la classe dirigeante. L'heure a sonné pour vous d'élever la voix pour une paix sans annexions ni indemnités sur la base du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Vous avez la parole. »[314]

Dans l'intervalle, le cercle des délégués révolutionnaires est passé à la préparation de la grève, dont l'idée est favorablement accueillie dans les usines où circulent les informations sur les grèves d'Europe centrale. Il en fixe le début au lundi 28 janvier, sans le révéler afin d'éviter toute répression préventive[315]. Cependant dans la semaine qui précède le jour J, un tract spartakiste qui donne des informations sur la vague de grèves en Autriche-Hongrie et « le conseil ouvrier de Vienne élu sur le modèle russe » proclame : « Lundi 28 janvier, début de la grève générale ! »[316]. Il met les ouvriers en garde contre les majoritaires « jusqu'auboutistes » qu'il recommande de n'élire à aucun prix dans les conseils :

« Ces loups déguisés en agneaux constituent pour le mouvement un danger bien plus grave que la police prussienne. »[317]

Dans ce climat se tient, le dimanche 27 janvier, l'assemblée générale des tourneurs de Berlin. Sur proposition de Richard Müller, sans cris ni applaudissements, elle décide à l'unanimité de déclencher la grève le lendemain, à l'heure de la rentrée, et de tenir sur place des assemblées générales qui éliront des délégués. Ces délégués se réuniront ensuite à la maison des syndicats et désigneront la direction de la grève : les leçons d'avril 1917 n'ont pas été oubliées[318]. Le 28 au matin, il y a 400 000 grévistes à Berlin et les assemblées générales prévues se tiennent dans toutes les usines, où les tourneurs et les délégués révolutionnaires entraînent d'écrasantes majorités. A midi, comme prévu, se réunissent 414 délégués, élus dans les usines. Richard Müller leur soumet un programme en sept points, proche des revendications des grévistes de Leipzig en 1917 : paix sans annexions ni indemnités, sur la base du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il a été défini à Brest par les délégués russes, représentation des travailleurs aux pourparlers de paix, amélioration du ravitaillement, abrogation de l'état de siège, rétablissement de la liberté d'expression et de réunion, lois protégeant le travail des femmes et des enfants, démilitarisation des entreprises, libération des détenus politiques, démocratisation de l'État à tous les échelons, en commençant par l'octroi du suffrage universel et égal à vingt ans pour le Landtag prussien[319]. L'assemblée élit ensuite un comité d'action de onze membres, tous du noyau des délégués révolutionnaires : Scholze et Tost, déjà connus pour leur rôle dans la grève d'avril 1917, Eckert, Neuendorf, Blumental, Malzahn, Kraatz, Zimmermann, Tirpitz, Cläre Casper et, bien entendu, Richard Müller[320]. Elle décide d'inviter le parti social-démocrate indépendant à envoyer trois de ses représentants au comité d'action[321]. C'est alors qu'un spartakiste propose d'adresser la même invitation aux majoritaires, afin, dit-il, de « les démasquer »[322]. La proposition, d'abord repoussée à deux voix de majorité, est finalement adoptée sur intervention de Richard Müller[323], qui redoute que le mouvement soit présenté et dénoncé comme « diviseur ».

Le comité d'action se réunit immédiatement. Outre les onze élus, il comprend Haase, Ledebour et Dittmann, délégués par les indépendants, Ebert, Scheidemann et Braun, délégués par les majoritaires. Richard Müller préside. Ebert demande d'emblée la parole pour réclamer la parité entre représentants des partis et élus des ouvriers en grève, et pour déclarer inacceptables certaines des revendications qui viennent d'être adoptées. Les onze refusent de remettre en cause les votes qui viennent d'avoir lieu, mais la réunion est brusquement interrompue par la nouvelle - fausse - que la police marche sur la maison des syndicats. Le moment d'affolement passé, on s'aperçoit que les trois députés majoritaires ont quitté les lieux[324]. Dans la soirée, le commandement militaire interdit les assemblées dans les usines et l'élection de comités de grève. Le nombre de grévistes atteint 500 000[325].

Le 29 a lieu la deuxième réunion du comité d'action. Scheidemann annonce qu'il a, dans l'intervalle, pris des contacts et que le sous-secrétaire d'État à l'intérieur est disposé à recevoir une délégation, pourvu qu'elle ne comporte que des parlementaires, les délégués des grévistes n'ayant aucune représentativité légale. Scheidemann insiste sur la nécessité d'ouvrir ces négociations qui peuvent valoir des satisfactions importantes au mouvement en matière de ravitaillement. La majorité du comité d'action accepte de négocier, mais refuse les conditions du sous-secrétaire d'État : elle désigne, pour le rencontrer, Scholze, Müller, Haase et Scheidemann. Cette délégation fait le pied de grue au ministère, perd Scheidemann à deux reprises dans les couloirs[326]. Finalement, les deux députés sont seuls reçus, non par le sous-secrétaire, mais par un directeur ; de guerre lasse, Scholze et Richard Müller sont restés dans l'antichambre. L'unique information que rapporte la délégation est que l'activité du comité d'action est déclarée illégale et justiciable du tribunal criminel[327].

Le 30, le Vorwärts est interdit, mesure précieuse pour lui, et qui lui vaut un prestige tout neuf : les autorités lui reprochent d'avoir « propagé de fausses nouvelles » en annonçant 300 000 grévistes. Des heurts se produisent, ici ou là, entre grévistes et policiers. Le comité d'action lance un tract d'information, appelle à l'élargissement de l'action :

« Le mouvement doit prendre une extension si formidable que le gouvernement cède à nos justes revendications. »[328]

Il convoque pour le 31 des manifestations de rue et un meeting en plein air au parc Treptow.

Dans la nuit du 30 au 31, le commandement militaire fait placarder de grandes affiches rouges qui annoncent le renforcement de l'état de siège et l'établissement de cours martiales extraordinaires. Cinq mille sous-officiers sont appelés à renforcer la police de la capitale. Au matin éclatent les premiers incidents entre ouvriers grévistes et traminots non grévistes. On respire une odeur de guerre civile[329]. Jogiches précise :

« Comme un souffle révolutionnaire, une certaine disponibilité ; mais on ne savait qu'entreprendre. Après chaque heurt avec la police, on entendait : « Camarades, demain, on viendra avec des armes ». »[330]

Des tramways sont sabotés[331]. Les premières arrestations se produisent. Au meeting du parc Treptow, Ebert prend la parole, malgré l'interdiction des autorités militaires :

« C'est le devoir des travailleurs de soutenir leurs frères et leurs pères du front et de leur forger de meilleures armes (...) comme le font les travailleurs anglais et français pendant leurs heures de travail pour leurs frères du front. (...) La victoire est le voeu le plus cher de tous les Allemands. »[332]

Conspué, traité de « jaune » et de « traître », il s'affirme solidaire des revendications des grévistes, dont il ne veut connaître que l'aspect revendicatif.

La police n'a pas cherché à l'arrêter, mais elle s'empare de Dittmann, pris en « flagrant délit » d'appel à la subversion, et qui va être condamné à cinq ans de forteresse[333]. L'après-midi, Scheidemann et Ebert proposent au comité d'action d'entamer les négociations avec le gouvernement par l'intermédiaire des dirigeants syndicaux que le chancelier est disposé à recevoir[334]. Les membres du comité d'action sont désorientés. Comme le souligne Jogiches, ils ne savent « plus que faire de cette énergie révolutionnaire »[335]. Ils sentent bien le piège qu'on leur tend avec la négociation, mais se contentent d'affirmer que seuls les délégués des grévistes peuvent valablement négocier au nom des grévistes[336]. Le gouvernement pousse son avantage : le 1° février, le commandement militaire annonce qu'il militarisera les usines où le travail n'aura pas repris le 4[337]. Au comité d'action, les députés majoritaires insistent pour la reprise rapide du travail : les dangers, disent-ils, sont immenses pour les ouvriers, car les autorités militaires s'apprêtent à prendre en main la répression ; c'est faire la politique du pire que de poursuivre la grève. Ils s'entremettent, une fois de plus - cette fois avec l'accord de Haase -, pour que le chancelier autorise une nouvelle assemblée des délégués des grévistes. Le chancelier répond qu'il l'autorisera seulement si les députés s'engagent immédiatement à faire décider la reprise du travail par cette assemblée[338] !

Demeurés seuls au comité d'action, les délégués révolutionnaires refusent de s'engager dans la voie que proposent Haase et Scheidemann, et repoussent à l'unanimité la proposition de médiation des dirigeants syndicaux. Mais le mouvement a été finalement mal organisé et le comité d'action est coupé de la masse des grévistes, eux-mêmes privés de toute information sauf sur la répression[339]. Les spartakistes poussent à un durcissement de la grève, qui pourrait aller jusqu'à la lutte armée[340], mais les grévistes de Berlin sont isolés dans le Reich, les soldats sont restés disciplinés et rien ne laisse entrevoir une fraternisation possible de la troupe et des ouvriers. Pour Richard Müller et ses camarades, il ne reste qu'une issue : mettre fin à la grève sans négocier, battre en retraite en reconnaissant la défaite. C'est ce qu'ils font : le comité d'action lance l'ordre de reprise du travail pour le 3 février[341].

Lendemains de grève[modifier le wikicode]

Evoquant quelques années plus tard la grève de janvier 1918 dans un procès contre un nationaliste qui l'accusait d'avoir trahi la patrie en pleine guerre, Ebert présentait ainsi son rôle :

« Dans les usines de munitions, de Berlin, la direction radicale avait pris le dessus. Des adhérents de notre parti que les radicaux avaient contraints sous la terreur à quitter le travail vinrent à l'exécutif le supplier d'envoyer de ses membres à la direction de la grève. (...) je suis entré dans la direction de la grève avec l'intention bien déterminée d'y mettre fin le plus vite possible et d'éviter ainsi au pays une catastrophe. »[342]

Renouvelant effectivement, mais à une plus grande échelle, la manœuvre de Cohen et Siering en avril 1917, les dirigeants social-démocrates avaient atteint leur but, sans vraiment apparaître aux yeux de l'ensemble du prolétariat comme des briseurs de grève. Dès la reprise du travail, la presse social-démocrate s'emploie, par une polémique acharnée contre les bolcheviks, à donner à sa politique le cachet socialiste raisonnable et « national » susceptible de justifier la prudence dont elle s'est fait, en Allemagne, l'avocat, en y condamnant l'extrémisme inspiré par l'exemple russe. Otto Braun, dans le Vorwärts, déclare nettement aux bolcheviks que leurs espoirs en une révolution allemande ne reposent sur rien et que le prolétariat allemand rejette catégoriquement l'usage de la violence[343].

Pour la minorité révolutionnaire, cette défaite est riche d'enseignements. Richard Müller écrit que le sentiment dominant chez les prolétaires était : « Il nous faut des armes. Il nous faut faire de la propagande dans l'armée. L'unique issue est la révolution »[344]. Dans leurs tracts, les spartakistes tirent les leçons de l'expérience du comité d'action. En leur nom, Jogiches écrit :

« Par crétinisme parlementaire, dans son désir d'appliquer le schéma prévu pour toutes les grèves syndicales, et surtout par manque de confiance dans les masses, mais aussi - ce n'est pas la moindre raison - parce que, dès le début, les indépendants ne pouvaient imaginer la grève que comme un simple mouvement de protestation, le comité s'est borné, sous l'influence des députés, à tenter d'entrer en pourparlers avec le gouvernement, au lieu de repousser toute forme de négociation et de déchaîner l'énergie des masses sous les formes les plus variées. »[345]

Les spartakistes soulignent que la direction des luttes doit être confiée à des conseils ouvriers élus, et que les révolutionnaires doivent gagner les soldats à leur cause : ils diffusent un tract spécial à destination des troupes de la garnison de Berlin[346]. Leur conclusion est partagée par beaucoup de militants ouvriers : « Avec la réaction, nous devons parler russe ! »[347] Bientôt, ils vont s'attacher à populariser le mot d'ordre de la révolution russe : « Conseils d'ouvriers et de soldats »[348].

Les spartakistes ont, au cours du mouvement, tiré huit tracts de 20 000 à 100 000 exemplaires chacun, ce qui constitue une véritable performance pour une organisation illégale[349]. Pourtant, ils prennent conscience qu'ils n'étaient pas assez organisés ni clairement orientés. Jogiches écrit :

« Il semble qu'il y ait eu parmi les délégués (...) une foule de nos partisans. Seulement, ils étaient dispersés, n'avaient pas de plan d'action et se perdaient dans la foule. En outre, la plupart du temps, ils n'y voient pas très clair euxmêmes. »[350]

En attendant que les travailleurs aient tiré les leçons de l'expérience et refait leurs forces, il faut, dans l'immédiat, payer le prix de la défaite. Quelque 50 000 ouvriers berlinois, un gréviste sur dix environ, voient leur affectation spéciale annulée et sont mobilisés : parmi eux, les « meneurs », et d'abord Richard Müller[351]. La police donne la chasse aux révolutionnaires, et, en mars, elle réussit à arrêter Jogiches, qui se cachait à Neukölln[352]. Avec cette arrestation, l'organisation spartakiste est, elle aussi, décapitée. Le gouvernement a les mains libres. Le 18 février, l'armée allemande prend l'offensive sur le front de l'est, et ses foudroyants succès lui permettent d'imposer au gouvemement bolchevique le diktat qui ampute la Russie de ses forces vives et prépare les convulsions de la guerre civile[353]. Les social-démocrates majoritaires s'abstiennent au Reichstag dans le vote sur le traité de Brest-Litovsk[354]. Les généraux assurent qu'avec le ravitaillement assuré par le blé d'Ukraine, la victoire est à leur portée[355]. L'offensive à l'ouest va commencer le 21 mars. Entre mars et novembre, la guerre fera 192 447 morts, 421 340 disparus et prisonniers, 860 287 blessés, 300 000 morts civils de plus qu'en 1917 et le taux de la mortalité infantile doublera[356].

VII. Problèmes de la révolution mondiale[modifier le wikicode]

Le 4 août 1914 avait soulevé des problèmes fondamentaux de stratégie et de tactique pour le mouvement socialiste mondial. La révolution russe les pose dans toute leur acuité. En Allemagne, pendant les trois premières années de la guerre, les problèmes du « parti révolutionnaire » ou de la « lutte pour le pouvoir » semblent relever du seul domaine de la théorie. La vérification des perspectives bolcheviques par la victoire d'Octobre les met à l'ordre du jour en tant que tâches concrètes et immédiates. Dans les conditions de la guerre qui se poursuit, tout commencera néanmoins par une information difficile et des discussions théoriques.

Le problème de la scission avant 1917[modifier le wikicode]

Le point capital des thèses préparées par Rosa Luxemburg et adoptées par la conférence de Die Internationale le 1° janvier 1916, avait été formulé dans la thèse n° 12, conséquence de l'analyse de la faillite de la II° Internationale :

« Etant donné la trahison commise par les représentants officiels des partis socialistes des principaux pays contre les buts et les intérêts des classes laborieuses en vue de les détourner de la base de l'Internationale prolétarienne vers celle de la politique bourgeoise impérialiste, c'est pour le socialisme une nécessité vitale que de créer une nouvelle Internationale ouvrière qui aurait pour tâche de guider et d'unifier la lutte de classes révolutionnaire contre l'impérialisme dans tous les pays. »[357]

Lénine allait souligner dans sa critique de la brochure de « Junius » que cette thèse capitale était dénuée de toute portée pratique si elle ne s'accompagnait pas de la décision de rompre dans chaque pays, avec les directions centristes et social-pacifistes, afin de rassembler dans la lutte les éléments de l'Internationale à bâtir.

C'est Radek qui devait développer le premier, dans Arbeiterpolitik[358], les arguments théoriques en faveur de l'organisation, par les révolutionnaires, de la scission du mouvement socialiste. Il part de la constatation selon laquelle les instances des différents partis social-démocrates s'identifient, depuis la déclaration de guerre, à un « social-impérialisme ». Il constate que l'argument très simple en faveur de la scission selon lequel l'unité du mouvement socialiste derrière les dirigeants social-impérialistes signifie l'unité avec l'impérialisme, n'est pas retenu par certains révolutionnaires - Rosa Luxemburg, en particulier, est visée -, les uns pensant que les suites de la guerre amèneront le parti dans son ensemble à se redresser, les autres estimant qu'une scission organisée avant que les masses dans leur ensemble aient pris conscience de la trahison des dirigeants serait inefficace et n'aboutirait qu'à l'isolement des révolutionnaires.

Prenant à bras-le-corps l'un des mythes les plus solides dans le mouvement socialiste allemand, il souligne que l'unité ouvrière n'est pas un bien en soi, ni les scissions forcément un mal. L'histoire du mouvement ouvrier est en effet celle d'une longue suite de scissions qui ne résultent ni du hasard ni d'une quelconque fantaisie de l'histoire, mais de la pression des forces sociales adverses. Après avoir passé en revue les principaux aspects des scissions successives du mouvement chartiste, du mouvement allemand au temps de Lassalle, de la I° Internationale, il conclut :

« 1. Les orientations divergentes au sein du mouvement ouvrier ont toujours eu leurs racines dans des différences sociales de leur base, différences qui ont conduit aux scissions. 2. Jamais ces scissions n'ont pu être surmontées dans un laps de temps bref, le processus d'unification a toujours été un long processus de lutte. »[359]

Il en est de même pour la crise contemporaine de la social-démocratie. La « politique du 4 août » est en effet un phénomène international, ayant forcément des racines communes à Londres, Petersbourg, Paris ou Vienne. Ces racines - qui expliquent par exemple l'alignement du « socialisme » allemand sur les positions traditionnelles des « trade-unions » à l'égard de leur impérialisme - sont à chercher dans l'existence et la pression sur le mouvement ouvrier d'une « aristocratie ouvrière » :

« La couche supérieure de la classe ouvrière allemande qui, du fait du développement impétueux de l'industrie allemande, a obtenu des salaires relativement élevés, à qui des systèmes d'assurance de l'État ou les syndicats ont offert des conditions de vie relativement sûres, qui a, pour ainsi dire, pris part à la culture bourgeoise, a toujours plus nettement affirmé par la bouche des révisionnistes et des dirigeants syndicaux, depuis bien quinze ans, qu'elle avait plus à perdre que ses chaînes. »[360]

Dans le camp du révisionnisme, les forces essentielles ont été, en effet non pas tellement les éléments de la petite bourgeoisie, notamment méridionale, que les dirigeants syndicaux qui adhéraient à cette ligne petite-bourgeoise. Attachés aux privilèges conquis, ils se sont opposés à toute tentative d'organiser de vastes mouvements de masse des travailleurs pour défendre leurs droits politiques et leurs revendications économiques :

« Ils fondaient leur protestation contre les révolutionnaires romantiques sur la prétendue impossibilité de telles actions mais, en réalité, ce qu'ils exprimaient, c'était la crainte de l'aristocratie ouvrière de voir mettre en danger ses conquêtes. »[361]

Dans la même perspective, révisionnistes et dirigeants syndicaux avaient donné leur appui à la politique coloniale de la bourgeoisie allemande.

Ce n'est donc pas par hasard que la politique du 4 août l'a emporté au sein du mouvement ouvrier, dans les pays qui, comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, ont vu un développement relativement important de l'aristocratie ouvrière. Même dans les pays comme l'Italie ou la Russie, où l'aristocratie ouvrière ne constitue qu'une couche très mince, on a vu se constituer des groupes de « social-patriotes » basés sur un noyau d'ouvriers qualifiés qui pensent en termes purement réformistes et, pour cette raison, marchent avec leur bourgeoisie. Tout cela, les révolutionnaires le savaient déjà avant la guerre, mais en sous-estimaient la portée :

« Nous avons cru que cette politique ne relevait que d'illusions des dirigeants, qui se dissiperaient sous la pression aggravée des antagonismes de classes. L'expérience a montré que nous nous sommes trompés. D'abord, cette politique n'était pas seulement celle des dirigeants : il y avait derrière elle toute une catégorie de travailleurs qui ne voulaient pas autre chose que les dirigeants. Et ce serait une fatale illusion de vouloir expliquer qu'aujourd'hui, derrière ces chefs, il n'y a pas de masses, ou que, si elles sont derrière eux, c'est seulement parce qu'elles ne sont pas suffisamment éclairées. La scission passe à travers les masses ouvrières elles-mêmes. »[362]

Il est faux d'en conclure, comme certains, que la guerre va bientôt dissiper les rêveries des social-impérialistes, et qu'il faut conserver l'unité ouvrière pour que, le cours des événements ayant donné raison aux révolutionnaires, la classe tout entière retrouve plus vite son unité dans la lutte. Car, s'il est vrai que l'impérialisme sera de plus en plus amené à détruire de ses mains les privilèges de l'aristocratie ouvrière et à saper ainsi les bases du réformisme, il n'en reste pas moins qu'une idéologie ancrée dans une couche sociale ne peut se dissiper en une dizaine d'années.

Et d'abord, dans l'immédiat, la bourgeoisie est décidée à utiliser les dirigeants social-patriotes, les porte-parole de l'aristocratie ouvrière, pour maintenir et couvrir sa propre domination : les « socialistes » deviendront ministres, occuperont des postes dans l'appareil d'État bourgeois, chercheront par des concessions mineures à diviser la classe ouvrière afin de l'empêcher de mener, unie, la lutte révolutionnaire. Si les militants révolutionnaires demeurent à l'intérieur du parti pour y mener la lutte contre les dirigeants social-impérialistes, ils renoncent du coup à leur rôle d'avant-garde du combat prolétarien :

« Si l'unité formelle du parti demeure intacte, si les social-impérialistes règnent sur le parti et sur sa politique, nous devons, soit renoncer pour des années à la lutte contre l'ennemi de classe, soit la mener sans tenir compte des mots d'ordre des instances impérialistes. Dans le premier cas, si nous abandonnons la lutte contre l'ennemi extérieur et si nous nous contentons de critiquer les social-impérialistes, cette critique perd toute signification : elle sera rayée, annulée par ce que nous serons obligés d'accomplir au Reichstag, dans le mouvement syndical, par l'absence d'action qui donnerait aux masses ouvrières la conviction que notre critique est juste. Dans l'autre cas, les social-impérialistes nous expulseront très rapidement du parti, et comme aucune majorité du parti ne peut tolérer à la longue une minorité qui condamne sa politique comme une trahison des principes de base, elle supportera encore moins que ce groupe se mette en travers de toutes ses actions et elle appellera les masses à agir contre lui. »[363]

En admettant même que les révolutionnaires prennent la majorité à la suite d'un congrès, ils ne sauraient prendre le risque de conserver dans les rangs du parti des opportunistes qui sont en réalité des ennemis de classe et, par conséquent, devront les exclure avec ceux des travailleurs - et il y en aura - qui continueront à les soutenir : « De quelque côté qu'on se tourne, il y aura scission »[364]. Il faut donc, selon Radek, la préparer consciemment : elle constitue le seul moyen d'organiser la lutte contre la guerre impérialiste, la bourgeoisie et ses agents du mouvement ouvrier. Plus tôt elle sera inscrite dans les faits en termes d'organisation - elle l'est dans les esprits depuis 1914 -, plus vite seront réparés les dégâts, plus rapidement sera reforgée l'unité révolutionnaire de la classe ouvrière.

Un semblable effort de recherche théorique conduit Julian Marchlewski, à l'occasion de sa critique des thèses sur la paix adoptées par le parti social-démocrate, à analyser la position du courant opportuniste sur le problème de l'État et à l'opposer à celles de Marx et d'Engels qui voyaient en lui l'instrument du pouvoir d'une classe. Il affirme - cheminant sur la même voie que Lénine, dont les études, au même moment, préparent L'État et la révolution :

« Les prolétaires doivent mener la lutte contre l'État, ils ne peuvent réaliser leur idéal, qui repose sur la liberté et l'égalité des hommes, sans briser la domination de classe dans l'État. »[365]

Une partie des révolutionnaires allemands se rapprochaient ainsi des bolcheviks, avec qui ils n'avaient pourtant que des liens ténus et aucune organisation commune. La révolution russe va apporter consistance et poids à leurs thèses.

L'influence de la révolution russe[modifier le wikicode]

L'influence de la révolution russe est perceptible dans le mouvement ouvrier allemand à partir de 1917, non seulement à travers les prises de position théoriques ou pratiques des révolutionnaires allemands, mais à travers l'orientation des larges masses ouvrières, le succès dans leurs rangs de mots d'ordre comme celui des « conseils ouvriers », traduction allemande des « soviets » de Russie. Bien sûr, ces rapprochements sont le signe des mouvements souterrains qui préparent les explosions révolutionnaires - et, de ce point de vue, la Russie de 1917 n'était point hors du monde. Mais le problème se pose de savoir de quelle façon les travailleurs allemands, et notamment les militants des groupes révolutionnaires, ont pu, dans cette période de guerre européenne et malgré la censure, prendre connaissance de l'expérience russe. Il faut également évoquer les efforts des bolcheviks, une fois au pouvoir, pour tenter de gagner à leurs vues des révolutionnaires qui étaient loin d'être d'accord avec eux sur tous les plans, et en particulier pour les convaincre que leur premier devoir était de fonder un nouveau parti - ce à quoi les spartakistes s'étaient jusque-là refusés.

En l'absence de liaisons possibles avec les différents pays européens, les bolcheviks ne négligent pas la chance que constitue pour eux la présence sur le sol russe de quelque deux millions de prisonniers de guerre, parmi lesquels 165 000 soldats et 2 000 officiers allemands[366]. Le terrain est favorable, surtout après la révolution de Février : nombreux parmi les prisonniers sont les militants social-démocrates dont les sympathies ne peuvent qu'aller aux ouvriers et paysans, et à ceux des partis ouvriers dont l'objectif est la fin de la guerre impérialiste : ni les mencheviks, ni les S.R., plus ou moins paralysés par leur politique d'union sacrée, ne parviennent en effet à mener parmi les prisonniers de guerre une propagande comparable à celle des bolcheviks.

Déjà avant la révolution de Février s'étaient constitués ici ou là en Russie de petits cercles clandestins de militants social-démocrates[367]. Ils se développent au lendemain de la révolution, nombre de prisonniers allemands ralliant les bolcheviks[368]. Mais, après Octobre, tout se déroule à une plus grande échelle, et les bolcheviks s'efforcent d'organiser les sympathies que leur action et leur propagande leur ont values. Ils vont également déclencher sur l'ensemble du front, à l'intention des troupes allemandes, une vaste campagne d'agitation pour la « fraternisation »[369]. Sous l'impulsion de Radek, revenu au lendemain de l'insurrection, propagande, agitation et organisation sont systématiquement conduites parmi les prisonniers de toutes nationalités, en commençant par ceux de langue allemande : à partir de décembre 1917 paraît en langue allemande le journal Die Fackel[370], qui en est l'instrument principal. La fondation de la fédération des prisonniers de guerre internationalistes, puis, en avril 1918, la constitution, au cours d'une conférence à Moscou du « groupe allemand du parti communiste russe (bolchevik) » concrétisent le premier résultat de cet effort pour la construction de noyaux communistes étrangers[371]. La signature de la paix de Brest met fin à ce travail de recrutement en même temps qu'elle lui donne tout son sens, puisque de nombreux prisonniers influencés par les communistes russes reprennent le chemin de leur pays ; les troupes elles-mêmes ramèneront souvent le virus révolutionnaire à l'arrière ou sur les autres fronts[372].

Autour de Radek apparaissent des hommes qui vont constituer en Russie l'état-major du premier noyau des communistes de langue allemande : Rothkegel, de Hambourg, et Josef Böhm, de Brême, l'Autrichien Karl Tomann, ancien responsable syndical[373], le militant social-démocrate Hermann Osterloh[374], un jeune journaliste, animateur d'un mouvement pacifiste, Ernst Reuter, dont le gouvernement soviétique a fait un commissaire de la république des Allemands de la Volga[375]. Il s'y ajoute un ouvrier des chemins de fer, fils d'émigrés allemands, Nicolas Krebs, bolchevik depuis 1916[376]. Leur lutte politico-militaire dans les régions occupées par l'armée allemande leur vaut d'autres recrues, comme l'instituteur Wilhelm Zaisser, lieutenant de réserve, rallié avec son unité aux partisans ukrainiens[377].

Les liens avec le mouvement révolutionnaire allemand sont considérablement facilités par l'établissement de relations diplomatiques entre le gouvernement soviétique et l'Allemagne au lendemain de la signature de la paix de Brest-Litovsk. Boukharine en personne séjourne quelque temps à l'ambassade[378]. L'ambassadeur Joffé est un vieux militant révolutionnaire expérimenté, qui comprend parfaitement le sens de sa mission. Déjà, à Brest-Litovsk, il a aimablement fait remarquer au comte Czernin : « J'espère que nous serons bientôt capables de déclencher également une révolution dans votre pays »[379]. Dès son arrivée à Berlin au mois d'avril 1918, il montre qu'il a le sens du geste spectaculaire en refusant de présenter à l'empereur ses lettres de créances et en lançant des invitations à sa première réception aux principaux dirigeants indépendants ou révolutionnaires, y compris ceux qui sont emprisonnés[380]. Il déploie une activité considérable dans tous les domaines, achète des informations qu'il remet aux révolutionnaires allemands, fournissant de l'argent, prodiguant des conseils[381]. Il a à ses côtés un autre militant qui a l'expérience de la clandestinité, le Polonais Mieczislaw Bronski[382], ancien compagnon de Lénine en Suisse, qui fut un des piliers de la gauche de Zimmerwald[383].

L'ambassade constitue une antenne disposant de fonds importants, de moyens matériels exceptionnels pour l'époque, assurant avec Petrograd un contact rapide couvert par l'immunité diplomatique, favorisant l'activité conspiratrice en même temps que le contact politique direct entre les Allemands semi-clandestins ou clandestins et les révolutionnaires russes victorieux[384]. Elle emploie dans ses services divers, et notamment dans son agence télégraphique, Rosta, des militants allemands qu'elle couvre ainsi légalement tout en leur assurant des possibilités d'action : c'est le cas d'Emil Eichhorn, ancien responsable du bureau de presse du parti social-démocrate et dirigeant indépendant, d'Ernst Meyer, ancien journaliste au Vorwärts et dirigeant spartakiste[385], ainsi que d'Eugen Léviné, autre militant spartakiste. Un des dirigeants indépendants, Oscar Colin, est l'avocat de l'ambassade et son homme de confiance pour toutes les opérations financières[386]. Même si l'ambassade n'est pas le canal de matériaux de propagande que devaient dénoncer quelques semaines plus tard les dirigeants du pays, elle est à la fois lieu d'asile, centre de rayonnement et agence d'information[387]. Le changement de nature dans les liaisons entre l'Allemagne et la Russie se traduit par le fait qu'un compte rendu sur la situation en Allemagne beaucoup plus complet que celui donné dans les Lettres de Spartakus clandestines paraît à Petrograd dans Weltrevolution, organe de la section allemande du parti bolchevique[388].

Les efforts des bolcheviks[modifier le wikicode]

Les bolcheviks sont convaincus que l'Allemagne constitue la plaque tournante de la révolution européenne. La révolution russe n'est à leurs yeux que la première étape de la révolution mondiale qui trouvera en Allemagne un champ de bataille décisif et prochain. Pendant l'année 1918, c'est le « retard » de la révolution allemande qui constituera la toile de fond de la discussion autour du problème de la paix séparée et du traité de Brest-Litovsk, et c'est sa perspective qui trace les contours de la politique extérieure du gouvernement bolchevique.

A partir de la révolution de Février, en tout cas, les problèmes pratiques - leur liaison avec les Allemands, la mise sur pied d'une organisation allemande - passent au premier plan de leurs préoccupations. Au cours de son voyage vers la Russie, Lénine a confié à Vorovski, Hanecki et Radek qui restent à Stockholm la responsabilité de diriger le bureau du comité central à l'étranger, dont l'une des tâches va être de diffuser en Allemagne la Russische Korrespondenz-Prawda, laquelle contient informations sur la Russie et argumentation bolchevique[389]. Dans les thèses d'avril, présentées au parti dès son arrivée, Lénine rend hommage à Liebknecht et à l'action des révolutionnaires allemands, mentionne les « internationalistes de gauche », Münzenberg, Radek et Hartstein, « véritables internationalistes », « représentants et non-corrupteurs des masses internationalistes révolutionnaires ». Il écrit :

« C'est précisément à nous, et précisément à l'heure actuelle, qu'il appartient de fonder sans retard une nouvelle Internationale, une Internationale révolutionnaire, prolétarienne ; plus exactement, nous ne devons pas craindre de proclamer hautement qu'elle est déjà fondée et qu'elle agit. »[390]

Selon l'historien soviétique Krivoguz, plus de 60 000 tracts auraient pénétré clandestinement en Allemagne pendant le seul été 1917[391]. Les militants de l'Internationale de la jeunesse, groupés autour de Münzenberg en Suisse, assurent notamment la diffusion clandestine de la lettre de Lénine sur « Le Programme militaire du prolétariat révolutionnaire » qu'il leur a remise avant de partir[392]. C'est à la fois par Stockholm et par la Suisse que pénètrent en Allemagne plusieurs milliers d'exemplaires de L'État et la révolution[393]. A la fin du mois d'août 1917, Lénine pressait le bureau du comité central pour l'étranger de faire tout son possible pour organiser une conférence internationale des gauches :

« Les bolcheviks, le P.S.D., les Hollandais, l'Arbeiterpolitik, Demain, voilà déjà un noyau suffisant. (...) Les résolutions de la conférence des bolcheviks et de leur congrès (...), le projet de programme du même parti, voilà déjà une base idéologique suffisante (avec l'adjonction de Vorbote, Tribune, Arbeiterpolitik, etc.) pour offrir au monde entier de nettes réponses aux problèmes de l'impérialisme et accuser les social-chauvins et les kautskystes. »[394]

Il pense en effet que la principale bataille politique doit être dirigée contre les centristes et particulièrement contre Kautsky, qu'il juge l'adversaire le plus dangereux, puisqu'il a officiellement rompu avec les « social-chauvins », alors qu'il défend en fait leur politique et que tous ses efforts visent à barrer au prolétariat allemand la voie du bolchevisme. C'est dans cette perspective que Lénine rédige en 1918 - essentiellement pour convaincre les militants révolutionnaires allemands - sa brochure La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, dans laquelle il propose la révolution bolchevique comme modèle :

« La tactique des bolcheviks était juste ; elle était la seule tactique internationaliste (...) puisqu'elle faisait le maximum de ce qui est réalisable dans un seul pays pour le développement, le soutien, l'éveil de la révolution dans tous les pays. Cette tactique s'est vérifiée par un immense succès, car le bolchevisme (...) est devenu le bolchevisme mondial ; il a donné une idée, une théorie, un programme, une tactique qui se distinguent concrètement, dans la pratique, du social-chauvinisme et du social-pacifisme. (...) Les masses prolétariennes de tous les pays se rendent compte, chaque jour plus nettement, que le bolchevisme a indiqué la juste voie à suivre pour échapper aux horreurs de la guerre et de l'impérialisme, et que le bolchevisme sert de modèle de tactique pour tous. »[395]

Se rendant compte, au début d'octobre, que la situation allemande mûrit plus vite que sa brochure ne s'imprime, il en rédige un résumé d'une dizaine de pages qu'il envoie à Tchitchérine en le priant d'en faire le plus rapidement possible la diffusion en Allemagne - ce qui sera réalisé par l'intermédiaire de la Suisse[396]. Le texte, qui porte le même titre que la brochure, se termine par cette remarque :

« Le plus grand malheur pour l'Europe, le plus grand danger pour elle, c'est qu'il n'y existe pas de parti révolutionnaire. Il y a des partis de traîtres tels que les Scheidemann ou des âmes serviles telles que Kautsky. Il n'y existe pas de parti révolutionnaire. Certes, un puissant mouvement révolutionnaire des masses peut corriger ce défaut, mais ce fait demeure un grand malheur et un grand danger. C'est pourquoi on doit, par tous les moyens, démasquer des renégats comme Kautsky et soutenir ainsi les groupes révolutionnaires de prolétaires vraiment internationalistes, comme il y en a dans tous les pays. Le prolétariat se détournera vite des traîtres et des renégats et suivra ces groupes au sein desquels il formera ses chefs. »[397]

La réponse des révolutionnaires allemands[modifier le wikicode]

Les révolutionnaires allemands ont salué avec enthousiasme la révolution russe à partir de février. Elle constitue pour eux un modèle et un encouragement, parce qu'elle est la résurrection de l'action des masses ouvrières, la lutte, en pleine guerre, contre la bourgeoisie, la confirmation éclatante que le combat et même la victoire sont possibles. Clara Zetkin, dans son message au congrès de fondation du parti indépendant parle d'« événement exaltant »[398], et Rosa Luxemburg écrit, de sa prison, que ces « magnifiques événements » agissent sur elle « comme un élixir de vie »[399]. Dans le manuscrit longtemps inédit qu'elle a consacré à la critique de la révolution russe, elle écrira encore :

« Les Lénine et les Trotsky avec leurs amis ont êté les premiers qui aient devancé le prolétariat mondial par leur exemple ; ils sont jusqu'ici les seuls qui puissent s'écrier avec Ulrich de Hutten : « J'ai osé cela. » C'est ce qui est l'essentiel et ce qui reste de la politique des bolcheviks. »[400]

Sur ce terrain, spartakistes et radicaux de gauche de Brême sont d'accord sans réserves. Les rédacteurs d'Arbeiterpolitik ont dès le 17 novembre salué avec enthousiasme les conseils d'ouvriers et de soldats au pouvoir[401] ; le 15 décembre, Johann Knief y explique pourquoi la révolution russe a pu progresser si rapidement et vaincre :

« Uniquement et exclusivement parce qu'il existait en Russie un parti autonome d'extrême-gauche qui, dès le début, a déployé la bannière du socialisme et lutté sous le signe de la révolution sociale. »[402]

Pour lui, la victoire des bolcheviks constitue l'argument décisif susceptible de convaincre les spartakistes de leur erreur, de la nécessité pour eux de rompre définitivement avec les centristes du parti indépendant pour s'engager dans la voie de la construction d'un parti révolutionnaire.

L'écho de ces arguments - l'exemple russe, la pression de Lénine ne sont pas les moindres - est évident dans les rangs spartakistes. C'est Franz Mehring qui, en tant que « doyen », adresse le 3 juin 1918 aux bolcheviks une « lettre ouverte » dans laquelle il se déclare entièrement solidaire de leur politique. Il critique férocement la perspective - celle du parti indépendant - de reconstruire la social-démocratie d'avant guerre et d'employer la « vieille tactique éprouvée », et la qualifie d'« utopie réactionnaire ». Il se prononce pour une « nouvelle construction de l'Internationale » et formule une autocritique :

« Nous ne nous sommes trompés que sur un seul point : précisément quand, au lendemain de la fondation du parti indépendant (...), nous l'avons rejoint sur le plan de l'organisation dans l'espoir de le pousser en avant. Cet espoir, nous avons dû l'abandonner. »[403]

Il développe plus longuement les mêmes thèmes dans une série d'articles intitulés « Les Bolcheviks et nous », publiés à partir du 10 juin 1918 dans Leipziger Volkszeitung. Faisant référence aux analyses de Marx sur la Commune de Paris, il s'attache à démontrer que l'action des bolcheviks se situe dans cette perspective, la dictature du prolétariat étant réalisée en Russie sous la forme du pouvoir des soviets, pouvant et devant l'être en Allemagne par les conseils ouvriers, instruments de la prise du pouvoir par les travailleurs. Dans cette perspective de révolution mondiale, il pose la question de la nécessaire édification d'une nouvelle Internationale, autour du parti bolchevique[404]. Dans le supplément féminin du même quotidien, Clara Zetkin développe les thèmes du pouvoir des conseils, la forme « soviétique » que doit revêtir en Allemagne la révolution prolétarienne[405].

Mais cette importante évolution de quelques-uns des éléments les plus responsables du groupe spartakiste ne se traduit pas par des décisions d'une ampleur comparable en matière d'organisation. Il faut beaucoup d'optimisme pour conclure comme l'historien soviétique Krivoguz qu'« en fait la rupture sur le plan de l'organisation entre la Ligue Spartakus et l'U.S.P.D. a été consommée à l'été 1918 »[406]. La raison principale en réside sans doute dans les réserves manifestées à l'égard de la politique des bolcheviks par Rosa Luxemburg elle-même : critique de la politique de terreur et de la persécution des autres tendances se réclamant du socialisme, critique de la politique agraire des bolcheviks, créant selon elle un danger capitaliste, critique surtout de la politique extérieure de la Russie soviétique, de son acceptation de la paix de Brest-Litovsk qui risquait de retarder l'issue de la guerre et l'explosion de la révolution allemande[407]. L'avant-dernière lettre de Spartakus, « La Tragédie russe », exprime un sentiment apparemment répandu dans l'avant-garde allemande, l'idée que la révolution russe, isolée et d'une certaine façon prématurée, est vouée à l'écrasement dans un délai relativement bref. Une note de présentation précise :

« Ces craintes résultent de la situation objective des bolcheviks et non de leur comportement subjectif. Nous reproduisons cet article seulement en raison de sa conclusion : sans révolution allemande, pas de salut pour la révolution russe, pas d'espoir pour le socialisme dans cette guerre mondiale. Il n'existe qu'une solution : le soulèvement massif du prolétariat allemand. »[408]

La révolution, plus vite que les révolutionnaires[modifier le wikicode]

Or la révolution va se produire avant que les révolutionnaires aient pu briser avec leur routine, desserrer l'étau de la répression et tirer dans la pratique les conclusions que leur dictent trois années de lutte en Russie et dans le reste du monde. Et elle va provenir essentiellement de la défaite militaire. Dès le 18 juillet, l'état-major sait que l'armée allemande, contrainte à la défensive par l'attaque de Foch et l'intervention des chars d'assaut sur le front occidental, n'a plus de chance raisonnable de l'emporter : Ludendorff lui-même se persuade qu'il faut mettre fin à la guerre[409]. Cette prise de conscience des milieux dirigeants va de pair avec une décision complémentaire, celle de démocratiser l'appareil du régime : une « parlementarisation » permettra en effet de faire partager aux représentants des partis politiques la responsabilité des décisions que la défaite militaire rend inéluctables[410]. Social-démocrates majoritaires et catholiques du parti du centre ouvrent la perspective de leur participation à un gouvernement d'union nationale qui pourrait négocier avec l'Entente sur la base des « quatorze points » du président Wilson : ce sera chose faite le 4 octobre, - avec l'entrée dans le gouvernement que vient de former le nouveau chancelier, le prince Max de Bade, du député catholique Mathias Erzberger et de Philip Scheidemann comme ministres sans portefeuille[411] : le parti social-démocrate majoritaire mise sur la promesse du prince qu'on procèdera à une « démocratisation », à une « parlementarisation », comme ultime rempart à la subversion.

Pour les milieux dirigeants, la subversion est en effet la principale menace. L'armée de l'est s'est révélée inutilisable pour la poursuite de la guerre, rongée qu'elle est par le virus révolutionnaire. Cette évolution confirme la prédiction faite par Liebknecht de sa prison de Luckau, au lendemain de la signature du diktat :

« On verra quelle récolte mûrira après ces semailles pour ceux qui triomphent aujourd'hui. »[412]

L'empereur est effrayé des rapports qui lui parviennent sur « le grand nombre de désertions, les cas d'insubordination, l'apparition du drapeau rouge sur les trains de permissionnaires[413] ». Il faudra isoler ces troupes par un cordon sanitaire, le temps de les reprendre en main[414]. Les rapports de police font état du mécontentement croissant des ouvriers et de larges couches de la population civile, du prestige dont jouit la révolution russe.

Or l'organisation des révolutionnaires demeure inférieure à l'audace de leurs analyses politiques et de leurs perspectives, et ne les met pas en mesure d'exploiter, ni la fermentation révolutionnaire qui se développe tout au long de l'année 1918, ni l'aide technique et financière que leur accordent les Russes à partir du mois d'avril. Les révolutionnaires de Brême ne disposent plus d'un seul militant sur les chantiers ou dans les entreprises du port où ils avaient pourtant été solidement implantés[415]. A Berlin, le groupe spartakiste de la 6° circonscription, qui s'étend sur Charlottenburg, Berlin-Moabit et jusqu'à Spandau, ne compte que sept membres[416]. La direction spartakiste a été démantelée par les arrestations qui ont suivi les grèves de janvier, celle de Leo Jogiches, puis de Heckert et de bien d'autres[417]. Wilhelm Pieck, traqué par la police, est passé en Hollande. L'activité centrale du groupe - la publication des Lettres et des tracts - repose sur quelques individus groupés autour de Paul Levi, revenu de Suisse[418] et d'Ernst Meyer : Clara Zetkin et Franz Mehring, qui restent des porte-drapeau, n'ont pas la possibilité physique de mener la dure vie de clandestins. Cette situation pèse lourdement sur le moral des dirigeants, qui apprécient mal le rythme des événements et ne s'attendent pas à des événements importants pour l'année 1918, comme le montre la lettre adressée à Lénine le 5 septembre 1918 par Ernst Meyer :

« C'est avec autant d'impatience que nous que vous avez dû attendre et que vous attendez encore les signes de mouvements révolutionnaires en Allemagne. Heureusement, tous mes amis sont devenus nettement plus optimistes. Toutefois, nous ne pouvons pas nous attendre encore à des actions importantes, ni pour le moment, ni pour le proche avenir. Mais, pour l'hiver, nous avons des projets plus vastes et la situation générale ici vient appuyer notre action. »[419]

La vérité est que les révolutionnaires ont le sentiment de n'avoir aucune prise sur les événements.

L'organisation de la jeunesse révolutionnaire est cependant pour eux une raison d'espérer. Au cours du printemps 1918, en effet, se réalise la fusion des deux organisations berlinoises nées en réaction contre la politique chauvine, le Berliner Jugendbildungverein, à la tête de laquelle Max Köhler remplace Fritz Globig, tous deux étant spartakistes, et la Vereinigung Arbeiterjugend, organisée par des social-démocrates indépendants et que dirige Walter Stoecker en liaison étroite avec Münzenberg[420]. Le 5 mai 1918, la Ligue de la jeunesse libre ainsi constituée a pu réunir dans une assemblée illégale près de Stolpe plus de 2 000 participants[421] à l'occasion du 100° anniversaire de la naissance de Karl Marx. La nouvelle organisation berlinoise constitue un facteur unificateur à l'échelle nationale : pendant l'été se déroulent dans tout le pays des conférences clandestines préparatoires à l'unification des organisations de jeunesse des différents groupements radicaux, toutes affiliées à l'Internationale que dirige, de Suisse, Münzenberg : les jeunes social-démocrates indépendants, dans les rangs desquels prévaut l'influence d'Ernst Däumig, ont pris position en faveur des bolcheviks et popularisent, eux aussi, le mot d'ordre de la révolution des conseils[422].

Les délégués révolutionnaires de Berlin ont beaucoup souffert de la répression au lendemain des grèves de janvier. Chaque responsable, pour parer à toute éventualité, s'est choisi un éventuel remplaçant. Richard Müller n'a pas eu la main heureuse en désignant Emil Barth[423], un métallo réformé, doué de grandes qualités de tribun, mais qui se révélera vite hâbleur et vaniteux. La tête politique de leur noyau est en fait, à partir de ce moment, constituée par deux des principaux dirigeants du parti indépendant de Berlin, dont aucun n'est ouvrier d'usine : l'un est Georg Ledebour, grand adversaire des spartakistes, l'autre Ernst Däumig, journaliste, ancien sous-officier de la Légion étrangère française[424], qui se voit confier la tâche d'organiser la propagande révolutionnaire au sein de la garnison et de constituer en vue de l'insurrection des détachements armés. En septembre, le travail est à peine commencé, et les contacts se réduisent à quelques liaisons individuelles dans les casernes, l'armement à quelques dizaines de revolvers[425]. C'est seulement à la dernière minute que, grâce aux efforts de deux militants du cercle des délégués révolutionnaires berlinois, Cläre Derfert-Casper et Arthur Schöttler, les révolutionnaires berlinois se procureront des armes par l'intermédiaire d'ouvriers des arsenaux de la région de Suhl[426].

Ainsi, qu'ils aient combattu, au cours de la guerre, pour la paix par la révolution ou pour la révolution à travers la lutte pour la paix, les révolutionnaires allemands ne sont pas parvenus - et dans leur majorité n'ont d'ailleurs pas cherché - à constituer ce qui leur manquait déjà en 1914, une organisation propre, capable de répondre aux besoins et aux aspirations des masses, d'unifier les mots d'ordre, de centraliser l'action. La paix et la révolution vont les prendre de vitesse.

VIII. La révolution de novembre[modifier le wikicode]

Au premier abord, la révolution qui explose aux premiers jours de novembre dans le Reich semble confirmer l'attente et les vues de Rosa Luxemburg. Les masses ouvrières se fraient leur chemin vers l'action révolutionnaire malgré leurs dirigeants et souvent contre eux, de façon presque indépendante des organisations révolutionnaires, dépassées par l'événement, en l'absence de tout mot d'ordre unificateur et finalement de toute direction. En même temps, c'est vers une forme nouvelle d'organisation du pouvoir d'État, l'État « ouvrier » des conseils d'ouvriers et de soldats, de type soviétique, qu'elle semble se diriger, conformément aux appels lancés depuis des mois par la propagande clandestine des spartakistes : le mot d'ordre des « conseils » devient une force matérielle, repris par des millions d'hommes.

Les dirigeants et la défaite militaire[modifier le wikicode]

Les dirigeants allemands ont senti venir l'orage. L'échec de Montdidier, sur le front ouest, le 8 août, a été le signe que tout espoir de victoire militaire était vain et que les chefs n'avaient plus désormais de prise sur la conduite de la guerre, devenue « jeu de hasard »[427]. A la mi-août, l'empereur a conféré avec son chancelier, Hertling, les chefs de l'armée, Hindenburg et Ludendorff, avec l'empereur d'Autriche : ils sont tous d'accord sur la nécessité de guetter le moment le plus favorable pour demander la paix, et le secrétaire d'État Hintze a fait connaître au président Wilson le désir du gouvernement allemand de traiter sur la base du retour au statu quo ante[428].

La situation s'aggrave en septembre sur les fronts tenus par les alliés austro-hongrois et bulgares. Les chefs militaires se font plus pressants : le 29 septembre, Hindenburg et Ludendorff informent le chancelier que la situation sur le front de l'est est devenue critique, et formulent leur désir de voir le gouvernement élargi pour permettre la négociation sur la base la plus solide possible[429]. Ils pensent en effet, avec le secrétaire d'État Hintze, qu'« il faut prévenir le bouleversement d'en bas par la révolution d'en haut »[430]. L'objectif est de constituer un gouvernement conforme à la majorité existant au Reichstag et comprenant en particulier des ministres social-démocrates.

Le chancelier Hertling démissionne et Guillaume Il fait appel, pour le remplacer, au prince Max de Bade, grand seigneur progressiste teinté d'une réputation de libéral. Le prince choisit ses ministres parmi les députés des partis décidés à soutenir une politique de négociations immédiates : le parti social-démocrate délègue Bauer et Scheidemann[431]. Le 4 octobre, le gouvernement Max de Bade propose au président Wilson la conclusion d'un armistice sur la base des « quatorze points ». Le 8 novembre il envoie aux Alliés la délégation chargée de conclure l'armistice : déjà les chefs militaires - Ludendorff, en particulier - parlent de conditions « inacceptables » et tentent de rejeter la responsabilité de la paix qui se prépare sur les épaules des « politiciens ». Pourtant, ils ne tentent aucun effort pour l'empêcher : la menace révolutionnaire est à leurs yeux très concrète et tout dépend en fait dans une large mesure du parti social-démocrate qui s'emploie pour le moment de toutes ses forces en faveur d'une transition pacifique. Le Vorwärts mène campagne pour démontrer que les « solutions russes » sont impraticables en Allemagne :

« La révolution russe a écarté la démocratie et établi à sa place la dictature des conseils d'ouvriers et de soldats. Le parti social-démocrate rejette sans équivoque la théorie et la méthode bolcheviques pour l'Allemagne et se prononce pour la démocratie. »[432]

Le 4 novembre encore, Ebert téléphone au secrétaire d'État Wahnschaffe pour l'assurer que les syndicats emploient toute leur autorité à apaiser les ouvriers[433].

Les premiers craquements[modifier le wikicode]

En septembre déjà, les signes se multipliaient d'une radicalisation croissante. A la conférence du parti indépendant, Haase, Dittmann, Hilferding ont quelque peine à faire rejeter le mot d'ordre de « dictature du prolétariat », et doivent s'employer à dénoncer le « goût romantique pour la révolution bolchevique »[434]. Kautsky développe les mêmes thèmes que le Vorwärts[435]. Haase avoue à Däumig qu'il n'a aucune idée de ce qui va se passer[436]. Lénine, lui, écrit à Spartakus : « Le moment est venu »[437] et prescrit l'étude de tous les moyens possibles pour venir en aide à la révolution allemande.

Le 7 octobre se tient à Berlin une conférence de Spartakus à laquelle prennent part les délégués des communistes de Brême. Elle analyse la situation de l'Allemagne comme « une situation révolutionnaire dans laquelle se posent de manière nouvelle tous les problèmes que la bourgeoisie allemande a été incapable de résoudre dans la révolution de 1848 ». Elle affirme la solidarité de la révolution qui vient avec la révolution russe et élabore un programme immédiat comportant l'amnistie pour tous les adversaires de la guerre, civils et militaires, l'abolition de la loi sur la main-d'œuvre et la levée de l'état de siège. Son programme d'action comporte l'annulation de tous les emprunts de guerre, la saisie des banques, mines et usines, la réduction du temps de travail, l'augmentation des bas salaires, la saisie des propriétés rurales grandes et moyennes, l'octroi aux militaires du droit d'organisation et de réunion, l'abolition du code militaire et la remise des fonctions disciplinaires à des délégués élus par les soldats, l'abolition des tribunaux militaires et la libération immédiate de ceux qu'ils ont condamnés, l'abolition de la peine de mort et des travaux forcés pour « crimes » politiques ou militaires, la remise des moyens de ravitaillement aux délégués des travailleurs, l'abolition des Länder et la destitution des dynasties royales et princières. Pour la réalisation de ce programme, elle lance un appel à « la constitution de conseils d'ouvriers et de soldats partout où ils n'existent pas encore »[438]. A l'approche de la révolution, les révolutionnaires se portent candidats à sa direction.

Les ministres social-démocrates ont conscience du danger et c'est autour de ce thème que tournent leurs interventions en conseil de cabinet[439]. Ils insistent pour que soit rapidement décrétée l'amnistie pour les détenus politiques[440]. Ils pensent en particulier qu'il faut libérer Liebknecht, à qui la détention procure une auréole de martyr : mesure dangereuse certes, mais nécessaire, si l'on veut convaincre l'opinion ouvrière en lui fournissant une preuve de la volonté de démocratisation des nouveaux dirigeants. Scheidemann finit par convaincre ses collègues, malgré la résistance des chefs de l'armée, et la libération du dirigeant spartakiste est décidée le 21 octobre[441]. Dans les jours qui suivent, des centaines de militants, dont certains détenus depuis des années, sont remis en liberté.

A une réunion des responsables syndicaux de Berlin qui se tient dans la soirée du 22 octobre, sous la présidence d'Alwin Körsten, le métallo Paul Eckert, ayant obtenu la parole sur l'ordre du jour, lance la nouvelle qui fait l'effet d'une bombe : Karl Liebknecht est libéré, il arrivera le 23 octobre à 17 heures à Berlin[442]. La majorité des délégués manifeste sa joie en chantant l'Internationale, et la police intervient[443]. Le lendemain, plusieurs milliers de personnes, étroitement canalisées par d'importantes forces de police, attendent le prisonnier libéré et lui font un accueil triomphal. En militant avide d'action, celui-ci se lance dès la sortie de la gare de Potsdam dans la bataille : sur la place où il avait été arrêté deux ans auparavant, il harangue la foule, célèbre l'exemple révolutionnaire russe, appelle à la révolution prolétarienne allemande[444]. Le soir même, l'ambassadeur soviétique Joffé donne en son honneur une spectaculaire réception, lit un télégramme de congratulations de Lénine, auquel Liebknecht répond. D'autres militants allemands, Walcher, Haase, Barth, Globig, Otto Rühle, prennent la parole[445]. Nombre des présents, ce qui reste à cette date des différents états-majors révolutionnaires, pensent que Liebknecht est capable d'unifier le mouvement révolutionnaire dont il est à la fois le héros et le symbole.

Pourtant, paradoxalement, Liebknecht est seul. Il pense qu'il n'y a plus de temps à perdre et que la révolution n'a que trop tardé, mais il sait aussi qu'il peut lui apporter un drapeau, non un état-major. Ses amis spartakistes ne peuvent jouer ce rôle. Certes, Otto Franke est bien implanté dans le noyau des délégués révolutionnaires[446], Levi, au travail depuis plusieurs mois, sert de lien avec les radicaux de Brême[447] et Wilhelm Pieck est revenu de Hollande pour reprendre son travail militant[448]. Mais ce ne sont encore que des chefs sans troupes, au moins à Berlin, dont le rôle sera décisif, et où ils ne sont pas plus d'une cinquantaine[449].

La vraie avant-garde des troupes dans les usines est organisée dans les rangs du parti social-démocrate indépendant sous la direction des centristes avec lesquels Liebknecht a rompu tant de lances, et particulièrement dans le noyau des délégués révolutionnaires des usines. Et le problème d'un lien direct se pose.

Les dirigeants indépendants prennent l'initiative ; conscients du risque qu'ils courent d'être débordés, ils voudraient à la fois contrôler Liebknecht et utiliser son prestige à leur profit : ils lui offrent d'être coopté à la direction du parti[450]. La proposition est à bien des égards tentante : le parti indépendant compte de nombreux militants, dispose d'importants moyens d'expression. Mais Liebknecht n'est pas prêt à un compromis sans principes : il demande qu'on lui donne des garanties, qu'on convoque un congrès dont il croit qu'il condamnerait les atermoiements passés de la direction centriste, et qu'on reconnaisse que les spartakistes ont eu raison au cours des dernières années : il ne veut pas courir le risque d'être, à la direction, un otage. Mais les dirigeants indépendants ne sont pas décidés à une telle concession qui est presque un suicide politique ; ils acceptent seulement la rédaction d'une déclaration d'intentions reconnaissant que leur point de vue s'est rapproché de celui de Spartakus. Ce n'est pas suffisant aux yeux de Liebknecht, qui décline la cooptation offerte, mais accepte d'être invité à l'exécutif indépendant chaque fois qu'il s'agira de prendre une décision importante[451].

Il ne lui reste plus qu'à se tourner vers les délégués révolutionnaires, qui lui fourniront un cadre, un réseau étendu à travers toutes les usines de la capitale, bref, un instrument d'action révolutionnaire. De ce côté, il ne se heurte à aucune difficulté : le 26, le noyau qui décide de s'ériger en conseil ouvrier provisoire coopte trois spartakistes : Liebknecht lui-même, Pieck et Ernst Meyer[452]. Cette direction révolutionnaire improvisée passe aussitôt à la discussion de la situation et des perspectives, pour conclure à la nécessité d'être prêts à une action immédiate au cas où le gouvernement Max de Bade refuserait la poursuite des pourparlers de paix et lancerait un appel à la défense nationale[453]. Mais Liebknecht n'est pas satisfait de cette analyse, qu'il juge purement passive, soumise en fait à l'initiative de l'adversaire. Il refuse de suivre les délégués qui affirment que les masses ne sont pas prêtes à se battre, à moins d'une provocation gouvernementale. Il voit la preuve du contraire dans les initiatives qui se sont produites un peu partout dans le pays, et dans la combativité des jeunes qui ont tenu précisément leur congrès à Berlin les 26 et 27. Le 26 au soir, il y a eu 2 000 manifestants à Hambourg, le 27 le double à Friedrichshafen. Le 27 au soir, à la sortie d'un meeting indépendant au cours duquel il a pris la parole à l'Andreas Festsäle, il entraîne derrière lui vers le centre de la ville plusieurs centaines de jeunes et d'ouvriers qui se heurtent à la police[454]. C'est par des actions de ce genre, en s'appuyant sur les détachements les plus combatifs, qu'on réalisera la mobilisation des masses.

Il tente d'en convaincre les dirigeants des délégués révolutionnaires : au cours de la journée du 28 octobre, il a une longue discussion avec Däumig et Barth. Selon lui, dans tous les cas, et même si le gouvernement ne tente pas de prolonger la guerre au nom de la « défense nationale », les révolutionnaires ont le devoir de préparer la mobilisation des masses par des meetings et des manifestations qui leur feront prendre conscience de leur force, élèveront leur niveau de conscience et leur volonté de vaincre. Däumig et Barth hésitent, sont près d'accuser Liebknecht de prendre ses désirs pour des réalités, ne consentent finalement qu'à l'organisation de meetings, repoussant catégoriquement celle de manifestations de rue[455]. A la réunion plénière du soir, Wilhelm Pieck fait adopter sa proposition de diffuser un tract invitant les ouvriers à refuser les appels sous les drapeaux qui sont en train de leur parvenir[456]. Liebknecht réitère sa proposition d'organiser systématiquement meetings et manifestations de rue et propose de les concentrer, pour commencer, sur la journée du 3 novembre. Däumig, Barth, Richard Müller combattent la proposition : l'adopter serait, estiment-ils, courir le risque d'engager prématurément la bataille décisive. Les révolutionnaires, affirment-ils, ne doivent frapper qu'à coup sûr, et l'un d'eux[457] ironise sur le plan de Liebknecht, qu'il qualifie de « gymnastique révolutionnaire ».

En fait, ses adversaires au sein du conseil provisoire ne font que reprendre les arguments que développent au même moment les dirigeants du parti social-démocrate indépendant également hostiles à l'action ouverte. En vain Liebknecht s'emploie-t-il à tenter de les convaincre : le mouvement des masses, dit-il, ne peut se déployer que dans la rue, et le devoir des dirigeants est de les y conduire dès que possible. Il ajoute que ceux qui se retranchent derrière un rapport de forces encore défavorable reculent en réalité devant un combat nécessaire, car la situation ne deviendra favorable aux révolutionnaires qu'à partir du moment où ils se lanceront dans la bataille : en particulier, les soldats respecteront la discipline et exécuteront les ordres de leurs officiers tant qu'ils n'auront pas en face d'eux une perspective révolutionnaire sérieuse ; c'est seulement dans la rue, par la fraternisation avec les prolétaires sous l'uniforme, que les ouvriers peuvent venir à bout de forces armées matériellement supérieures, mais politiquement en état d'infériorité face à l'action unie de la classe ouvrière[458].

Le 2 novembre se tient une réunion commune des dirigeants indépendants et des délégués révolutionnaires. Ledebour y introduit un officier du 2° bataillon de la Garde, le lieutenant Waltz, venu lui dire qu'il se mettait avec son unité à la disposition de l'état-major révolutionnaire pour une insurrection[459]. La majorité des présents accueillent avec enthousiasme ce nouveau venu qui leur apporte force armée et matériel et rend enfin concevable une victoire de l'insurrection. Waltz, sous le pseudonyme de « Lindner », est adjoint à Däumig dans les préparatifs techniques militaires et stratégiques de l'insurrection à venir[460]. Pourtant les rapports des délégués des usines demeurent pessimistes. Sur 120 000 ouvriers que contrôle le réseau, 75 000 au plus sont selon eux prêts à répondre par la grève et des manifestations au premier appel des dirigeants[461]. Peut-on envisager une action insurrectionnelle sans passer par l'étape de la grève générale ? Sur cette question également, les responsables sont divisés.

Haase, énergiquement soutenu par Richard Müller, propose de fixer au 11 novembre la date de l'insurrection armée et de s'y préparer immédiatement. Ledebour rétorque que cette proposition ne fait que dissimuler une dérobade et un refus d'agir : pour lui, il faut fixer l'insurrection au surlendemain, 4 novembre. Liebknecht, qui, selon le témoignage de Pieck, vient de discuter de ce problème avec les Russes de l'ambassade, les combat les uns et les autres. Il rejette en effet catégoriquement toute proposition tendant à déclencher l'insurrection armée sans préparation et mobilisation des masses. Il faut, selon lui, lancer le mot d'ordre de grève générale, faire décider, par les grévistes eux-mêmes l'organisation de manifestations armées pour la paix immédiate, la levée de l'état de siège, la proclamation de la république socialiste et du gouvernement des conseils d'ouvriers et de soldats. C'est seulement, affirme-t-il, au cours de la grève générale, que « l'action devrait être élevée par des mesures de plus en plus hardies jusqu'à l'insurrection »[462]. Au vote, la motion Ledebour est rejetée par 22 voix contre 19, et la motion Liebknecht par 46 voix contre 5. Il ne reste plus que la motion Haase, qui équivaut en fait à une décision attentiste[463].

La conclusion de cette dernière discussion constitue pour Liebknecht un échec grave. L'intervention du dirigeant spartakiste dans l'état-major des délégués révolutionnaires n'a pu venir à bout des hésitations de la majorité des délégués des usines, ni surtout des réticences ou de l'hostilité des dirigeants indépendants Non seulement aucun progrès n'a été réalisé dans la voie de l'organisation et de l'action des révolutionnaires, mais encore Liebknecht semble lui-même moralement prisonnier des contradictions qui étreignent, à travers les délégués, le parti social-démocrate indépendant.

La situation n'est cependant pas identique partout. A Stuttgart, les spartakistes occupent de fortes positions dans le parti indépendant, puisque c'est l'un des leurs, Fritz Rück, qui préside l'exécutif du parti dans le Wurtemberg, et qu'ils disposent du journal régional Der Sozialdemokrat. Dès septembre, ils sont à même de contrôler, par l'intermédiaire d'un comité d'action clandestin de cinq membres - dont Thalheimer et Rück lui-même - un réseau de délégués d'usines[464]. Rück écrit dans son « journal » :

« Il s'agit de mettre les masses en mouvement. Cela ne peut se faire qu'à partir des usines. L'adhésion officielle au parti indépendant, pour antipathique qu'elle nous soit politiquement, nous laisse les mains libres et nous permet de construire dans les usines, sous la couverture d'un travail d'organisation du parti légal, un système bien soudé d'hommes de confiance. »[465]

Il participe à la conférence spartakiste du 7 octobre. Après son retour, le 16, il réunit clandestinement 40 délégués d'usine pour déterminer avec eux les tâches de l'insurrection[466]. Le lendemain, le Sozialdemokrat est suspendu pour quinze jours, Rück ayant pris la responsabilité de passer outre aux décisions des censeurs. Mais le groupe a une presse clandestine. Le 30, l'assemblée locale du parti indépendant décide de lancer un manifeste pour la convocation centrale d'un pré-parlement de conseils d'ouvriers et de soldats, et d'organiser une manifestation dans la rue. Dans la nuit du 30 au 31, les équipes de nuit de l'usine Daimler se réunissent en assemblée générale pour écouter Rück qui les appelle à élire clandestinement leur conseil ouvrier. Le 2 novembre, deux délégués du comité d'action de Stuttgart, qui ont pris part à Berlin aux discussions des délégués révolutionnaires, reviennent avec l'information suivant laquelle l'insurrection va être fixée au 4[467]. Dans la nuit du 2 au 3, on tire les tracts. Le conseil ouvrier élu à l'usine Daimler s'ouvre à des délégués des autres entreprises, décide la grève générale pour le 4. Le 4, la grève est effective. Le conseil ouvrier local, constitué par élargissement du conseil ouvrier de Daimler, forme son bureau, élit Rück à la présidence et décide l'organisation d'élections de conseils ouvriers dans toutes les usines sur la base d'un délégué pour 500 ouvriers. Il décide la publication immédiate d'un journal, Die Rote Fahne (Le Drapeau rouge), qui se prononce immédiatement pour l'établissement en Allemagne d'une république des conseils[468].

Mais le mouvement ainsi né à Stuttgart reste isolé, puisque les révolutionnaires berlinois ont décidé d'attendre. Le conseil ouvrier de Stuttgart, maître de la ville où se sont déroulées de gigantesques manifestations, est dangereusement en flèche, car le gouvernement et les autorités légales du Land demeurent en place. Comme, à Friedrichshafen, les ouvriers de l'usine Zeppelin, touchés par la propagande venue de Daimler, viennent de constituer leur conseil ouvrier, Thalheimer et Rück s'y rendent afin de coordonner l'action. Ils sont arrêtés pendant le trajet[469]. Privés de leurs têtes, les membres du conseil de Stuttgart, un instant désorientés, sont arrêtés à leur tour. Le premier combat d'avant-garde tourne court. La police, partout, semble réagir. Elle arrête, dans toutes les grandes villes, des militants poursuivis en raison de leur action... pendant les grèves de janvier. Le 5 novembre, la police prussienne ayant provoqué la découverte d'un abondant matériel de propagande dans la valise diplomatique, le gouvernement du Reich donne six heures à Joffé et aux représentants russes de l'ambassade de Berlin pour quitter le territoire allemand[470]. Mesure symbolique, pour couper les liens évidents entre la révolution russe d'hier et la révolution allemande de demain ? Mesure trop tardive en tout cas, car, à cette date, le calendrier de la révolution a déjà été déterminé par l'action des marins de Kiel.

Une vague venue de Kiel[modifier le wikicode]

L'agitation a commencé dans les équipages de la marine cantonnés à Wilhelmshaven le 28 octobre. Un ordre d'appareiller donne naissance à des rumeurs inquiètes : l'état-major se préparerait à un baroud d'honneur en mer du Nord. Plusieurs manifestations se produisent à bord : un millier d'hommes sont arrêtés et débarqués, et cinq navires sont dirigés sur Kiel[471].

L'inquiétude sur le sort de détenus déclenche le mouvement : les marins se souviennent du sort des mutins de 1917 et cherchent l'appui des ouvriers. Le 1° novembre, ils se réunissent à la maison des syndicats de Kiel et décident la tenue d'un meeting le 2 novembre[472]. Le 2, la maison des syndicats est gardée par la police, et les marins se rassemblent sur la place d'exercice. L'un d'eux, Karl Artelt, membre du parti indépendant, condamné en 1917 à cinq mois de prison, propose l'organisation d'une manifestation de rues pour le lendemain : les marins y appellent par tracts manuscrits[473]. Le 3, il y a plusieurs milliers de marins et soldats, peu cependant par rapport aux effectifs de la garnison. La manifestation a été interdite et les patrouilles militaires sillonnent la ville. Malgré un appel au calme d'un responsable syndical, les marins décident de manifester dans les rues : ils se heurtent à une patrouille qui tire : neuf morts, vingt-neuf blessés. Le choc s'est produit qui va mettre en mouvement les hommes de la garnison de Kiel, puisque, désormais, les marins ne peuvent plus reculer[474].

Ils se réunissent pendant la nuit sur les navires. C'est encore Artelt qui prend l'initiative de faire élire sur un torpilleur le premier conseil de marins de la révolution allemande. Au petit matin, il se retrouve à la tête d'un comité désigné par 20 000 hommes. Les officiers sont débordés. L'amiral Souchon qui commande la base fait droit à toutes les revendications que lui présente Artelt au nom de ses camarades : suppression du salut, allègement du service, augmentation des permissions, libération des détenus. Le soir, toute la garnison est organisée en un réseau' de « conseils de soldats », le drapeau rouge flotte sur les navires de guerre, nombre d'officiers ont été arrêtés par leurs hommes. A terre, social-démocrates indépendants et majoritaires ont appelé ensemble à la grève générale puis à la désignation d'un conseil ouvrier qui va fusionner avec le conseil des marins. Le social-démocrate Gustav Noske, nommé gouverneur de Kiel par le gouvernement, s'empresse de reconnaître l'autorité du nouveau conseil d'ouvriers et de soldats afin de rassurer les marins et de circonscrire l'incendie[475]. Le 6 novembre, le calme semble être revenu.

Pourtant, la mutinerie de Kiel a mis le feu aux poudres. La peur des représailles pousse partout les marins à élargir le mouvement. A Cuxhaven, un militant indépendant, Karl Baier, ouvrier mobilisé dans la marine, alerte le petit réseau d'hommes de confiance qu'il a constitué autour de lui dès qu'il apprend ce qui se passe à Kiel. Les marins se réunissent à la maison des syndicats dans la soirée du 6 novembre, élisent un conseil de soldats au moment où dans les usines les ouvriers font de même, préparant la désignation d'un conseil ouvrier que préside Kraatz, un des organisateurs de la grève de janvier à Berlin. Le nouveau conseil des ouvriers et des soldats demande du renfort à Hambourg, qui leur envoie Wilhelm Düwell[476]. A Wilhelmshaven, le lendemain 7 novembre, une manifestation de marins organisée par le chauffeur Bernhard Kuhnt, permanent du parti avant guerre à Chemnitz, déclenche la grève générale : le soir même, ouvriers et marins élisent un conseil où les social-démocrates sont en majorité et que préside Kuhnt[477]. A Brême, la presque totalité des militants révolutionnaires sont en prison ou à l'armée, et l'impulsion va venir de l'extérieur. Le 4, un meeting de masse, harangué par le député indépendant Henke, réclame l'armistice, l'abdication de l'empereur, la levée de l'état de siège[478]. Mais les lendemains sont calmes. Le 6, cependant, un incident mécanique bloque en gare un train transportant des marins détenus : ils se répandent en ville et sur les chantiers, appellent les travailleurs à leur rescousse[479]. Une manifestation s'organise spontanément, dont les dirigeants indépendants prennent la tête : après l'ouverture des portes des prisons, l'indépendant Frasunkiewicz lance un appel à l'élection de conseils d'ouvriers et de soldats et fait acclamer le mot d'ordre de « république socialiste », mais le meeting se disperse sans avoir pris de décision[480]. C'est seulement le 7 novembre que la grève, partie des chantiers de la Weser, se généralise et que les conseils ouvriers sont élus dans toutes les usines. Le conseil central local des ouvriers et des soldats est désigné le 9[481].

A Hambourg, le 5 au soir, a lieu un meeting, depuis longtemps prévu, du parti indépendant. Dittmann tient tête à des marins qui réclament l'organisation d'une manifestation pour la libération des détenus de Kiel, et fait repousser une motion de Wilhelm Düwell en faveur de l'élection de conseils ouvriers[482]. Pendant la nuit, un quartier-maître qui refuse de s'avouer battu, Friedrich Zeller, organise un détachement d'une vingtaine de marins et va sur les quais chercher des appuis. Au milieu de la nuit, ils sont une centaine qui s'installent à la maison des syndicats et lancent un appel à une manifestation centrale à midi[483]. Dans la matinée, sous l'impulsion de quelques militants - notamment le responsable des Jeunesses, Friedrich Peter, déserteur revenu clandestinement à Hambourg -, l'action s'organise et un conseil ouvrier provisoire se constitue à la maison des syndicats avec à sa tête deux présidents, Zeller et le dirigeant indépendant local Kallweit[484]. L'état-major improvisé de la révolution lance des détachements pour occuper toutes les casernes : Peter trouve la mort dans la fusillade devant l'une d'elles[485]. A l'heure prévue, plus de 40 000 manifestants sont rassemblés. Un dirigeant indépendant fait acclamer la prise du pouvoir politique par le conseil des ouvriers et des soldats. Le radical de gauche Fritz Wolffheim fait approuver le mot d'ordre de république des conseils et Wilhelm Düwell la révocation du général commandant la place et la reconversion des usines[486]. Dans la soirée est mis en place le conseil des ouvriers et des soldats que préside le radical de gauche Heinrich Laufenberg[487]. Pendant ce temps, Paul Frölich, à la tête d'un groupe de marins armés, a occupé les locaux et l'imprimerie du quotidien Hamburger Echo et y publie le premier numéro du journal du conseil des ouvriers et des soldats de Hambourg, intitulé également Die Rote Fahne[488]. Il proclame :

« C'est le début de la révolution allemande, de la révolution mondiale! Salut à la plus puissante action de la révolution mondiale! Vive le socialisme ! Vive la République allemande des travailleurs ! Vive le bolchevisme mondial ! »[489]

La révolution, comme une nappe d'huile[modifier le wikicode]

Parti des villes de la côte, le mouvement s'étend irrésistiblement. A Düsseldorf, le 6, on se bat autour d'un train de prisonniers arrêtés dans une gare et c'est sur place que se constitue le conseil d'ouvriers et de soldats[490].

En Bavière, le mouvement n'est pas déclenché par les marins, mais par un groupe révolutionnaire agissant dans les rangs du parti indépendant. Eisner, ancien révisionniste devenu radical par pacifisme, a organisé à Munich un cercle de discussion auquel ont participé une centaine d'ouvriers et d'intellectuels. C'est parmi eux que se sont recrutés les premiers adhérents du parti indépendant en Bavière. Ils ne sont guère plus de 400 à l'été 1918, mais ce sont des cadres bien formés qui exercent une influence déterminante parmi les travailleurs de l'usine Krupp et ont été capables de mettre sur pied un solide réseau d'hommes de confiance dans les autres entreprises[491]. Ils ont en outre noué des liens étroits avec l'aile socialisante de la Ligue paysanne qu'anime l'aveugle Gandorfer[492]. Eisner a préparé la révolution en utilisant systématiquement l'aspiration des masses à la paix. Le 7 novembre, il conduit dans les rues de Munich une manifestation pour la paix au cours de laquelle il fait décider la grève générale et l'assaut des casernes. Le roi s'enfuit et Eisner devient président du conseil des ouvriers et des soldats de la république bavaroise[493].

A Halle, ce sont des militants ouvriers de la ville qui débarquent du train, le 6 novembre, à la tête de marins mutinés[494]. Ils soulèvent les soldats du 14 ° chasseurs et, avec eux, donnent l'assaut aux autres casernes. Le marin Karl Meseberg, ancien militant local, indépendant, préside le conseil de soldats, qui fusionne bientôt avec le conseil ouvrier, né de l'action d'un réseau de délégués animé par les indépendants : l'indépendant Otto Kilian est le président du conseil d'ouvriers et de soldats[495]. A Erfurt, une grève de solidarité avec les mutins de Kiel permet des assemblées d'usine, le 7 novembre, et, après un meeting central, l'élection, le même jour, d'un conseil local central[496].

A Hanau, une manifestation ouvrière se heurte dans la journée aux forces de police : le jour même est désigné un conseil d'ouvriers et de soldats que préside le spartakiste Schnellbacher[497]. A Brunswick, le 7 novembre, des marins venus de l'extérieur organisent une manifestation et obtiennent l'ouverture des portes des prisons, cependant que les ouvriers grévistes désignent un conseil ouvrier. Le 8 novembre, le prince a abdiqué et le spartakiste August Merges, président du conseil des ouvriers et des soldats, s'intitule président de la république socialiste de Brunswick[498].

A Leipzig, le petit noyau spartakiste - vingt-cinq militants environ - tente vainement d'entraîner une assemblée des indépendants, le 7 novembre, à prendre l'initiative de lancer la grève générale[499]. Mais des marins venus des ports organisent ce jour-là les premières manifestations de rue, appellent les soldats à se soulever. Le 8, les casernes sont prises d'assaut, un conseil d'ouvriers et de soldats proclamé[500]. A Chemnitz, tout se passe presque dans l'ordre : Fritz Heckert est de retour le 8 novembre ; par le syndicat du bâtiment qu'il dirige et le parti indépendant dont il est le dirigeant de fait, il parvient à organiser simultanément la grève et l'élection d'un conseil d'ouvriers et de soldats dans lequel figurent des social-démocrates majoritaires ; il en est président le 9 novembre[501].

Pendant ces jours décisifs, les dirigeants révolutionnaires berlinois hésitent toujours. Le 4, les délégués réunissent leur noyau dès l'annonce des événements de Kiel. Liebknecht et Pieck proposent de fixer le début de l'action au 8 ou au 9novembre. Mais la majorité se refuse à lancer un mot d'ordre de grève pour ces jours qui sont jours de paie. Elles se contente de décider l'envoi d'émissaires en province et de confier à Pieck la rédaction d'un tract sur les événements de Kiel. Nouvelle réunion le 6 : Liebknecht qui, dans l'intervalle, s'est vainement employé à convaincre Däumig en tête à tête, insiste à nouveau pour que l'insurrection soit précédée et préparée par des manifestations de rue. Au vote, il est de nouveau battu. L'insurrection est décidée pour le lundi 11 novembre au plus tôt.

Le 7, au siège du parti social-démocrate indépendant, l'exécutif de ce parti se réunit avec les dirigeants des délégués révolutionnaires et plusieurs représentants de villes de province. Otto Brass, de Remscheid, et Dittmann, critiquent vivement les décisions prises la veille, car la situation ne leur semble pas encore mûre. Haase est plus réservé encore ; il ne croit pas à la révolution, dit que la révolte de Kiel a été une « explosion impulsive », et qu'il a promis à Noske de ne rien faire qui puisse compromettre l'« unité » entre partis social-démocrates. Liebknecht, une fois de plus, reprend ses propositions, avec, cette fois, le soutien du délégué de Düsseldorf, mais le ton a monté et il est véhément dans sa dénonciation du « mécanisme grossier des fabricants de révolution ». Une fois de plus, Däumig, Barth, Richard Müller, lui tiennent tête. La décision d'insurrection pour le 11 est maintenue. Il est décidé que l'exécutif indépendant en prendra, en tant que tel, la responsabilité dans un appel public, mais également qu'il n'y aura aucune action avant le jour J[502].

Mieux que quiconque, les social-démocrates majoritaires sentent venir la tempête. Depuis le 23 octobre, leurs ministres réclament l'abdication de Guillaume II[503]. Scheidemann et Ebert le 31 octobre, une délégation commune du parti et des syndicats, le 3 novembre[504], insistent auprès du chancelier pour obtenir le départ du Kaiser. Konrad Haenisch explique cette attitude dans une lettre privée :

« Il s'agit de la lutte contre la révolution bolchevique qui monte, toujours plus menaçante, et qui signifierait le chaos. La question impériale est étroitement liée à celle du danger bolchevique. Il faut sacrifier l'empereur pour sauver le pays. Cela n'a absolument rien à voir avec un quelconque dogmatisme républicain. »[505]

Finalement, le parti social-démocrate envoie au gouvernement un ultimatum : si l'empereur n'a pas abdiqué le 8 novembre, il ne répondra plus de rien[506].

Le 8 au matin, Otto Franke et Liebknecht font le point ensemble. Ils sont inquiets, car le temps passe. Il devient de plus en plus difficile de retenir les ouvriers qui s'impatientent et risquent de se lancer dans des actions isolées. De plus, la police serre de près les conspirateurs et conserve les moyens de décapiter le mouvement. Enfin, le parti majoritaire, qui a pris le vent, se prépare à tourner et à coiffer le soulèvement. Tout temps perdu désormais constitue un risque considérable pour les révolutionnaires. Liebknecht tente d'en convaincre Dittmann[507].

Quand les délégués se retrouvent à l'heure prévue, à leur local habituel, ils apprennent que leur spécialiste militaire, Lindner - le lieutenant Waltz - vient d'être arrêté. Ils décident alors de transférer leur séance dans les locaux du Reichstag[508]. Pendant le trajet, Däumig, qui porte dans sa serviette les plans de l'insurrection, est arrêté à son tour : Luise Zietz, qui l'accompagnait, réussit à s'esquiver et donne l'alerte. On ne peut désormais plus reculer, puisque la police a maintenant entre les mains de quoi arrêter tout le monde. Pourtant, les dirigeants indépendants, privés de Haase, qui est parti à Kiel en conciliateur, tergiversent encore. C'est Barth qui - en l'absence de Liebknecht - enlève la décision : on décide de rédiger et de diffuser un tract appelant à l'insurrection pour le renversement du régime impérial et l'établissement d'une république des conseils. Il portera dix signatures, Liebknecht et Pieck, Haase, Ledebour et Brühl, et les délégués révolutionnaires Barth, Franke, Eckert, Wegmann et Neuendorf[509].

Liebknecht n'est pas là, car il a décidé, avec ses amis spartakistes, de mettre les indépendants et les délégués devant le fait accompli et de briser avec leurs atermoiements : en compagnie d'Ernst Meyer et au nom de la Ligue Spartakus, il est en train de rédiger un autre tract - qui portera aussi sa signature appelant les ouvriers à lutter pour le pouvoir des conseils, la jonction avec le prolétariat russe dans la lutte du prolétariat pour la révolution mondiale[510]. Il ignore encore que la répression a enfin conduit ses alliés à franchir le Rubicon.

Dans la soirée, les hommes de confiance du parti social-démocrate dans les entreprises présentent leurs rapports aux responsables : ils sont unanimes à affirmer que, dans toutes les usines, les ouvriers sont prêts à passer à l'action le 9 novembre, et qu'il ne saurait être question de chercher désormais à les retenir[511]. Les appels au combat vont parvenir à des hommes décidés à se battre de toute façon.

La révolution est désormais lancée. Ceux qui la voulaient et cherchaient à la préparer, ceux qui la désiraient mais qui n'y croyaient pas et souhaitaient qu'elle soit provoquée, ceux qui ne la voulaient pas et l'avaient jusqu'au dernier moment combattue, vont, ensemble, prendre le train en marche. Les nouvelles qui parviennent de toutes les régions d'Allemagne dans la nuit du 8 au 9 le confirment : ici les marins, là les soldats, lancent des manifestations tandis que les ouvriers se mettent en grève. On désigne des conseils d'ouvriers et de soldats. Les prisons sont prises d'assaut. Le drapeau rouge, emblème de la révolution mondiale, flotte sur les édifices publics.

Berlin, 9 novembre[modifier le wikicode]

Dès l'aube, les tracts appelant à l'insurrection sont distribués dans toutes les entreprises. Partout les ouvriers s'assemblent et, de tous les quartiers industriels, ils se mettent en marche vers le centre de la capitale. E. O. Volkmann écrit dans un paragraphe souvent cité :

« Le jour que Marx et son ami appelèrent de leurs vœux toute leur vie durant est enfin arrivé. Dans la capitale de l'empire la révolution est en marche. Le pas ferme, rythmé, des bataillons ouvriers fait retentir les rues : ils arrivent de Spandau, des quartiers prolétaires, du nord et de l'est, et s'avancent vers le centre, signe de la puissance impériale. Ce sont d'abord les troupes d'assaut de Barth, revolver et grenades au poing, précédées de femmes et d'enfants. Puis viennent les masses, par dizaines de mille : radicaux, indépendants, socialistes de la majorité, pêle-mêle. »[512]

L'édition matinale du Vorwärts met certes en garde contre « les actes inconsidérés »[513], mais les social-démocrates majoritaires se gardent de se mettre au travers d'un mouvement qu'ils savent irrésistible. Leurs hommes de confiance réunis encore au petit matin autour d'Ebert ont été catégoriques : les masses suivent les indépendants, échappent totalement à l'emprise majoritaire[514]. Ce qu'il faut à tout prix éviter, c'est que la garnison résiste et qu'il y ait combat de rues ; le pire alors deviendrait possible, c'est-à-dire une révolution sanglante, et le pouvoir aux mains des extrémistes. Or, dans les casernes où les hommes ont été consignés, des incidents éclatent. Un officier du régiment des chasseurs de Naumburg se présente au Vorwärts : il dit que ses hommes sont prêts à tirer sur la foule[515]. C'est ce que les majoritaires veulent à tout prix éviter. Otto Wels se rend à la caserne Alexandre, malgré les mises en garde, harangue les hommes du toit d'une voiture et parvient à les convaincre qu'ils ne doivent pas tirer sur le peuple, mais au contraire marcher avec lui dans cette révolution pacifique[516]. Les autres régiments de la garnison suivent l'exemple des chasseurs. Un officier d'état-major, le lieutenant Colin Ross, fait savoir à Ebert que le haut-commandement a donné l'ordre de ne pas tirer[517]. Le Vorwärts tire un tract spécial : « On ne tirera pas »[518]. En fait, on ne tirera que d'une caserne ; il y aura quatre morts chez les manifestants : parmi eux, l'un des responsables spartakistes des jeunesses de Berlin, Erich Habersaath, ouvrier de chez Schwartzkopff[519]. Malgré cet épisode, tout se passe en définitive dans l'ordre, et les social-démocrates majoritaires, battus dans les usines, refont dans les casernes le terrain perdu : quand une colonne d'ouvriers que dirigent d'anciens rédacteurs du quotidien tente de s'emparer du Vorwärts - le souvenir est resté vivace de sa confiscation -, elle se heurte au barrage armé dressé par les mitrailleurs des chasseurs de Naumburg ralliés depuis deux heures à la révolution…[520]

La réunion des hommes de confiance social-démocrates a confirmé, sur proposition d'Ebert, qu'il fallait proposer aux indépendants le partage des responsabilités gouvernementales[521]. Mais Ebert, Scheidemann, Otto Braun attendent plusieurs heures une réunion de la direction indépendante, qui n'a finalement pas lieu[522]. Parmi les dirigeants indépendants présents, Dittmann est prêt à accepter la proposition majoritaire, mais Ledebour s'y oppose avec violence[523]. Il informe aussitôt le cercle des délégués révolutionnaires, qui discute cette question sans parvenir à se mettre d'accord. Un conseil de guerre improvisé autour de Barth répartit les tâches : Liebknecht se joint aux colonnes de manifestants qui marchent sur le Palais, Eichhorn se dirige vers la préfecture de police, cependant que le populaire Adolf Hoffmann gagne l'hôtel de ville à la tête des ouvriers[524].

Au Vorwärts, on constitue en toute hâte un comité d'action bientôt rebaptisé « conseil d'ouvriers et de soldats » - de douze ouvriers d'usine, tous membres du parti, auxquels on a ajouté Ebert, Otto Braun, Wels et Eugen Ernst[525]. C'est ce « conseil » qui, dans l'édition de midi du Vorwärts, lance l'appel à la grève générale et à l'insurrection pour l'établissement d'une république sociale[526]. Les social-démocrates signent leurs tracts des mots magiques : « conseil ouvrier », « conseil de soldats », « comité populaire »...

Les indépendants discutent longuement des propositions des majoritaires : ils n'ont toujours pas tranché quand, à midi, Ebert, Scheidemann, Otto Braun et le dirigeant syndical Heller sont reçus par Max de Bade, qui prend sur lui de leur annoncer l'abdication de Guillaume Il[527]. Ebert fait des réserves sur le sort futur du régime impérial, mais accepte d'assumer la charge de chancelier du Reich dans le cadre de la Constitution. Il lance immédiatement un appel au calme et à la discipline, demande que l'ordre soit maintenu[528]. A 13 heures, il informe les indépendants de la situation nouvelle, leur réitère son offre du partage des responsabilités gouvernementales. Comme Oskar Cohn lui demande s'il est prêt à accepter l'entrée de Liebknecht dans le gouvernement, il répond que son parti ne jette aucune exclusive. Les indépendants poursuivent leur débat en assurant qu'ils donneront leur réponse à 6 heures[529].

Pendant ce temps, la foule victorieuse, exaltée, roule, puissante, dans les rues de Berlin, brandit ses drapeaux, scande ses mots d'ordre, chante et se précipite à la suite des chefs qui lui proposent un objectif. Les chasseurs placés à la préfecture de police capitulent sans combat devant les hommes que dirige Eichhorn, et rendent leurs armes aux assaillants. Six cents prisonniers politiques sont libérés et Emil Eichhorn s'installe dans le bureau du préfet, dont il assume les fonctions[530]. Depuis 13 heures, sous les assauts de soldats et d'ouvriers armés, la prison de Moabit a dû ouvrir ses portes et laisser libérer de nombreux prisonniers politiques, civils ou militaires ; parmi eux, Leo Jogiches, l'organisateur de Spartakus. Quelques officiers tentent d'organiser la résistance devant l'université puis devant la bibliothèque d'État prussienne. La foule les balaie et les bâtiments du Reichstag tombent, sans coup férir[531]. Des dizaines de milliers de Berlinois sont massés devant le bâtiment : Scheidemann, du balcon, s'efforce de les inciter au calme, puis cède aux clameurs et se décide à proclamer la République - initiative quasiment révolutionnaire qu'Ebert va vivement lui reprocher[532]. Peu après, au palais impérial, Liebknecht, qui a déjà harangué la foule du toit d'une voiture, fait proclamer par acclamations la « république socialiste allemande ». Puis, monté sur le balcon de la demeure des Hohenzollern, il proclame :

« La domination du capitalisme qui a transformé l'Europe en cimetière est désormais brisée. Nous rappelons nos frères russes. Ils nous avaient dit en partant : « Si dans un mois vous n'avez pas fait comme nous, nous romprons avec vous ». Il n'a pas fallu quatre jours. Ce n'est pas parce que le passé est mort que nous devons croire que notre tâche est terminée. Il nous faut tendre toutes nos forces pour construire le gouvernement des ouvriers et des soldats et bâtir un nouvel État prolétarien, un État de paix, de joie et de liberté pour nos frères allemands et nos frères du monde entier. Nous leur tendons la main et les invitons à compléter la révolution mondiale. Que ceux de vous qui veulent voir réaliser la libre république socialiste allemande et la révolution allemande lèvent la main ! »[533]

Une forêt de bras se lèvent.

Les dirigeants révolutionnaires poursuivent toujours leurs débats. Ledebour, décidé à refuser toute forme de collaboration avec les majoritaires, semble d'abord rallier derrière lui une majorité. Mais bientôt apparaissent les premières délégations de soldats, certaines spontanées, d'autres, fort nombreuses, organisées par les majoritaires, comme celle que conduit Max Cohen-Reuss, vieux majoritaire et soldat de fraîche date. Toutes réclament instamment l'unité des socialistes, leur alliance au gouvernement pour défendre la révolution, la paix, la fraternité. D'autres délégations, notamment d'ouvriers, réclament, quant à elles, l'entrée de Liebknecht dans le gouvernement comme caution de la volonté de paix de la révolution allemande. Lorsque Liebknecht arrive, en fin d'après-midi, il estime qu'il est impossible aux indépendants de refuser catégoriquement toute collaboration avec les majoritaires, comme le propose Ledebour, sans courir le risque de n'être pas compris et d'apparaître aux masses comme ennemi de l'unité à laquelle elles aspirent[534]. Soutenu par Richard Müller et Däumig, il obtient que soient posées six conditions : proclamation de la république socialiste allemande, remise du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire aux représentants élus des ouvriers et des soldats, pas de ministres bourgeois, participation des indépendants limitée au temps nécessaire à la conclusion de l'armistice, ministères techniques soumis à un cabinet purement politique, parité de la représentation des partis socialistes au sein du cabinet[535]. Seul Ledebour se déclare opposé à la participation, même à ces conditions[536].

A 20 heures, la réponse des dirigeants indépendants est enfin communiquée aux majoritaires : ceux-ci, dans l'intervalle, avaient tenté une nouvelle démarche, affirmant que la délégation chargée de signer l'armistice ne partirait qu'après la formation du gouvernement. A 21 heures, la réponse des majoritaires parvient aux indépendants. Les dirigeants du parti d'Ebert ne souscrivent qu'aux deux dernières conditions et rejettent les quatre premières. Pour eux, seule une assemblée constituante élue au suffrage universel peut décider de la nature du régime allemand, et le gouvernement provisoire doit rester en place jusqu'à sa convocation et son élection. Ils affirment surtout leur hostilité à toute « dictature de classe », et souhaitent la participation de partis bourgeois au gouvernement[537]. Profondément divisés, les dirigeants indépendants, toujours privés de Haase, remettent leur décision définitive au lendemain[538]. Dans la soirée paraissent à Berlin les deux journaux quotidiens d'extrême-gauche imprimés dans les locaux de grands quotidiens occupés dans la journée : Die Internationale, organe indépendant et Die Rote Fahne organe spartakiste[539].

A 22 heures, les délégués révolutionnaires, auxquels se sont joints plusieurs centaines de représentants des ouvriers insurgés, se réunissent sous la présidence de Barth dans la grande salle des séances du Reichstag[540]. L'assemblée, qui se considère provisoirement comme le conseil des ouvriers et des soldats de la capitale, décide d'appeler à des réunions dans les usines et les casernes le lendemain 10 novembre à 10 heures ; on élira les délégués un pour 1000 ouvriers et un par bataillon - à l'assemblée générale prévue à 17 heures au cirque Busch, afin de désigner le nouveau gouvernement révolutionnaire[541]. Les social-démocrates majoritaires, dont cette décision risque de menacer les positions conquises dans la journée, n'émettent sur l'instant aucune protestation ; mais ils vont consacrer la nuit à préparer cette bataille décisive.

L'installation du gouvernement Ebert[modifier le wikicode]

Le rôle de Wels avait été capital dans la journée du 9 ; son action, largement improvisée, avait en effet permis aux social-démocrates majoritaires de trouver les appuis nécessaires dans la garnison de Berlin. C'est ainsi que, dans la soirée, un groupe d'officiers, parmi lesquels figure le lieutenant Colin Ross, signe un appel aux officiers pour qu'ils collaborent au maintien de l'ordre et appuient le nouveau gouvernement[542]. Il s'agit maintenant pour les majoritaires d'organiser systématiquement cet appui et de l'utiliser pour l'assemblée générale du cirque Busch.

Dans la nuit du 9 au 10, Wels rédige et fait imprimer à 40 000 exemplaires un tract qu'il adresse « aux hommes de troupes qui soutiennent la politique du Vorwärts »[543]. Il est nommé par Ebert commandant militaire de la capitale[544], et le colonel Reinhard donne à tous les commandants d'unités des ordres pour que les hommes accrédités par lui aient libre accès aux casernes[545]. Le thème de l'action des hommes de Wels est donné par le gros titre du Vorwärts : « Pas de lutte fratricide »[546].

Haase est arrivé pendant la nuit. D'abord enclin au refus de la participation, il a changé d'avis quand l'exécutif se réunit, à 10 heures, et insiste pour que le parti indépendant ne fasse pas obstacle à l'entente de tous les socialistes en maintenant intégralement ses conditions de la veille. Ni Liebknecht, ni les dirigeants des délégués révolutionnaires, pris par la préparation et les réunions ou assemblées d'usines, ne sont présents, mais Liebknecht, qui a été tenu au courant, fait savoir qu'il ne participera pas au gouvernement si le parti indépendant renonce à ses conditions[547]. Les pourparlers se poursuivent néanmoins sans lui, et finalement, à 13 heures 30, les représentants des deux partis social-démocrates se mettent d'accord sur un texte :

« Le cabinet est formé exclusivement de social-démocrates, qui sont commissaires du peuple avec des droits égaux. Cela ne s'applique pas aux portefeuilles ministériels, assistants techniques du cabinet qui est seul à déterminer la politique. Chaque ministère est contrôlé par deux membres des partis social-démocrates. Ces contrôleurs ont des pouvoirs égaux. Le pouvoir politique est entre les mains des conseils d'ouvriers et de soldats, qui seront très bientôt convoqués à une réunion représentant l'ensemble du Reich. La question de l'Assemblée constituante ne sera pas posée avant la consolidation de l'ordre actuellement établi par la révolution, et elle fera l'objet de discussions ultérieures. »[548]

Les dirigeants des deux partis se sont aussi mis d'accord sur des noms : à Ebert, Scheidemann et Landsberg, désignés la veille par les majoritaires, se joindront Dittmann, Haase et Barth, pour les indépendants[549].

A 14 heures, dans les locaux du Vorwärts, Wels réunit les hommes de confiance de son parti dans les entreprises et les délégués des soldats afin de préparer la réunion du cirque Busch, dont il est essentiel qu'elle entérine l'accord conclu au sommet. Il explique aux soldats que, contre les partisans du pouvoir des seuls ouvriers, il faut défendre les droits du « peuple entier » et réclamer l'élection d'une assemblée nationale[550]. L'un des responsables présents à ses côtés, Richard Fischer, reconnaît dans la foule des soldats le fils d'un des vétérans du parti : c'est ainsi que le soldat Brutus Molkenbuhr va devenir le chef de file des soldats majoritaires[551].

L'assemblée commence avec un important retard. Plus de 1500 délégués occupent la salle, les ouvriers dans le haut, les soldats en bas, encadrant la tribune[552]. L'atmosphère est houleuse, on interrompt fréquemment l'orateur, on brandit des armes, on s'empoigne. Le service d'ordre, presque inexistant, a laissé entrer nombre de personnes sans mandat : à plusieurs reprises des rixes éclatent et l'on craint des échanges de coups de feu. C'est Barth qui préside en tant que représentant du « conseil ouvrier » : il fait sans difficulté ratifier la composition d'un bureau qui a peut-être fait l'objet d'une négociation antérieure : le lieutenant Waltz est vice-président, Brutus Molkenbuhr secrétaire. Puis il donne la parole à Ebert pour exposer la situation :

« Les conditions d'armistice imposées par les capitalistes et les impérialistes de l'Entente sont très dures, mais il faut les accepter pour mettre fin au massacre. »[553]

Il annonce aux délégués que les deux partis social-démocrates se sont mis d'accord pour constituer ensemble un gouvernement paritaire sans aucun ministre bourgeois. Haase lui succède, qui parle dans le même sens et confirme l'accord.

Liebknecht, très calme, mais incisif, n'a pas la partie facile : l'écrasante majorité des soldats est contre lui, hachant son discours d'interruptions, d'injures, le menaçant même de leurs armes, scandant : « Unité ! Unité ! » à chacune de ses attaques contre les majoritaires. Il met en garde les délégués contre les illusions de l'unité, rappelle la collaboration des majoritaires, « ces gens qui vont aujourd'hui avec la révolution et qui avant-hier encore étaient ses ennemis », avec l'état-major, dénonce les manœuvres qui visent à utiliser les soldats contre les ouvriers, répète : « La contre-révolution est déjà en marche, elle est déjà en action, elle est au milieu de nous ! »[554]

L'élection du comité exécutif des conseils de Berlin donne lieu à une bataille confuse. Barth propose d'abord d'élire le bureau de l'assemblée, soit dix-huit membres, neuf soldats et neuf ouvriers. Richard Müller présente une liste préparée par les délégués révolutionnaires, qui comprend les membres du noyau qui a préparé l'insurrection et, aux côtés des principaux délégués, Barth, Ledebour Liebknecht et Rosa Luxemburg. Mais les soldats vocifèrent de plus belle. Le délégué social-démocrate Büchel réclame alors la représentation paritaire des deux partis ouvriers. Ebert le soutient ; Barth et Richard Müller combattent sa proposition. Les soldats agitent leurs armes, scandent « Parité ! » Ebert fait mine de retirer la proposition de Büchel. Mais un ouvrier de l'imprimerie affirme qu'aucun journal ne paraîtra tant que ne sera pas établi un gouvernement paritaire. Un délégué des soldats dit que ces derniers formeront leur propre exécutif si la parité ne fait pas l'objet d'un accord. La revendication de la parité pour la représentation ouvrière est en réalité exorbitante, car les social-démocrates sont loin d'avoir dans les usines une représentation comparable à celle des indépendants. Aussi le bureau unanime, social-démocrates compris, formule-t-il une proposition de compromis : neuf indépendants et trois majoritaires pour représenter les ouvriers. Mais les soldats, encadrés par les hommes de Wels, continuent leur obstruction. Barth finit par céder et émet une proposition conforme à leurs exigences : un exécutif formé de douze délégués des soldats, social-démocrates majoritaires ou influencés par eux, et de douze délégués des ouvriers, dont six « majoritaires » et six indépendants. Liebknecht, dont le nom est mis en avant ainsi que ceux de Pieck et de Rosa Luxemburg, pour figurer dans la liste des six délégués indépendants, refuse avec indignation, proteste contre ce viol grossier de la démocratie la plus élémentaire où une minorité bruyante interdit en définitive à la majorité de se prononcer par un vote. Finalement, six membres du noyau des délégués révolutionnaires acceptent de se porter candidats comme représentants de la fraction « indépendants » des délégués ouvriers : ce sont Barth, Richard Müller, Ledebour, Eckert, Wegmann et Neuendorf. Après une brève suspension de séance, Richard Müller, au nom des élus, vient proposer à l'assemblée la ratification de la liste des six commissaires du peuple déjà désignés par leurs partis respectifs et la séance est levée[555].

La deuxième journée de la révolution allemande a donc vu les social-démocrates, qui avaient tout fait pour l'empêcher, remporter une victoire incontestable : leur chef, Ebert, chancelier du Reich par la grâce de Max de Bade, commissaire du peuple par celle des états-majors des deux partis social-démocrates, voit sa position ratifiée par la première assemblée des conseils de la capitale, et devient simultanément chef du gouvernement légal et du gouvernement révolutionnaire.

Il ne faut pourtant pas exagérer l'importance de la défaite des révolutionnaires au deuxième jour de la révolution : celle-ci ne fait que commencer. C'est du moins ce que l'on pense à Moscou, où se déroulent des manifestations de joie spontanées. Radek écrira plus tard :

« Des dizaines de milliers d'ouvriers éclatèrent en vivats sauvages. Je n'avais jamais rien vu de semblable. Tard dans la soirée, ouvriers et soldats rouges défilaient encore. La révolution mondiale était arrivée. Notre isolement était terminé. »[556]

IX. Dualité de pouvoir[modifier le wikicode]

Les historiens occidentaux ont généralement adopté le point de vue suivant lequel la révolution allemande de novembre 1918 n'était pas une véritable révolution. Ils soulignent l'insignifiance de l'action des conseils allemands, leurs improvisations, leurs hésitations, et, finalement, leur impuissance. Les comparant aux réalisations russes, ils en tirent la conclusion que les conseils allemands n'étaient pas de véritables soviets, mais des organismes éphémères, des formes transitoires nées d'un engouement passager et d'une mode quelque peu romantique[557]. Les interprétations officielles en R.D.A. conduisent aujourd'hui certains historiens à des positions analogues : alors que bolcheviks et spartakistes, en 1918, avaient vu dans le développement en Allemagne des conseils d'ouvriers et de soldats la preuve du caractère prolétarien de la révolution allemande un spécialiste d'Allemagne orientale pourra affirmer, au cours d'une discussion publique, que les conseils allemands ont été, et pour certains d'entre eux, dès le début, des « organes du pouvoir de la bourgeoisie »[558].

Pour les uns, il s'agit de démontrer qu'une révolution soviétique, un appareil d'État constitué sur la base d'une pyramide de conseils, relèvent dans un pays avancé de l'utopie. Pour les autres, il faut prouver qu'aucune révolution ne saurait revêtir un caractère prolétarien sans la « ferme direction » d'un parti « de type marxiste-léniniste ». Partisanes toutes deux, ces thèses reflètent quelque vérité : il a manqué dans les soviets allemands de 1918 l'action concertée d'explication patiente qu'avaient menée en Russie les bolcheviks et qui leur avait permis, entre février et octobre, d'affermir les soviets et leur autorité, et d'y gagner la majorité afin de les entraîner dans la lutte pour le pouvoir.

Mais il serait erroné de procéder à une comparaison entre les conseils allemands de novembre 1918 et les soviets russes de novembre 1917. C'est des soviets de février 1917 qu'il faut rapprocher les premiers, issus les uns et les autres d'une action en grande partie spontanée, avant que se soit déroulé le grand débat politique sur le pouvoir. Malgré la faiblesse de leur organisation, les révolutionnaires allemands jouent dans la constitution des conseils un rôle plus important que celui des bolcheviks dans celle des soviets. La bourgeoisie ne s'y est d'ailleurs pas trompée, pas plus en Allemagne que dans les pays de l'Entente.

En réalité, au lendemain du 9 novembre, les chances de la révolution soviétique allemande apparaissent plus sérieuses que ne l'étaient en février celles de la révolution soviétique russe. Dans tous les centres ouvriers, certes, les conseils sont partagés entre la double influence des majoritaires et des indépendants. Mais, en Russie, en février, mencheviks et S.R. avaient partout la majorité, y compris dans le soviet de Petrograd. En Allemagne, au contraire, les révolutionnaires, indépendants de gauche, I.K.D. ou spartakistes, partisans de la dictature du prolétariat, dirigent quelques-uns des conseils les plus importants : Richard Müller à Berlin, Kurt Eisner à Munich, Rück à Stuttgart, Heckert à Chemnitz, Lipinski à Leipzig, Merges à Brunswick, Laufenberg à Hambourg, président des conseils d'ouvriers et de soldats dont l'autorité rayonne dans des régions entières. Pour le reste, il n'y a apparemment ni plus ni moins de désordre dans la tumultueuse naissance des conseils allemands qu'il n'y en avait eu dans celle des soviets ou qu'il n'y en aura en 1936 dans les comités ou les consejos d'Espagne.

Les conseils d'ouvriers et de soldats[modifier le wikicode]

La différence essentielle entre les conseils allemands de novembre 1918 et les soviets de février 1917 réside dans la place qu'y occupent les anciens partis ouvriers et les syndicats. Elle s'explique d'abord par la tradition différente dans les pays, qui fait des soviets en Russie la forme d'organisation par excellence, alors qu'en Allemagne, les appareils politiques et syndicaux sont un facteur permanent et déterminant de la vie ouvrière.

A Cologne, après la tentative de créer un comité (Wohlfartsausschuss) comprenant des représentants des partis bourgeois, dont le Dr. Konrad Adenauer[559], les dirigeants locaux des partis social-démocrates finissent par constituer un conseil ouvrier au cours d'une réunion commune le 8 : ils le font ratifier par acclamation dans un meeting, l'après-midi[560]. A Cassel, le conseil et son comité d'action sont constitués le 9 à la suite de pourparlers entre les syndicats et les deux partis ouvriers. Il est « confirmé » le 13 par une assemblée de 600 délégués élus d'ouvriers et de soldats[561]. A Breslau, le 9, le parti social-démocrate et le Centre catholique invitent les indépendants à former avec eux un « comité populaire », que va présider le social-démocrate Paul Löbe : ce comité est « élu » le 13 par les 30 000 participants d'un meeting[562]. Une procédure semblable aboutit à des conseils ouvriers comprenant des représentants du Centre et des syndicats chrétiens à Duisbourg, Recklinghausen et Bielefeld, où l'opération est conduite par le social-démocrate Severing[563].

Dans l'ensemble, ces procédures restent exceptionnelles, utilisables seulement là où le mouvement révolutionnaire a été coiffé ou même précédé par les initiatives des politiciens ou des hommes d'appareil. L'idée de conseil, confuse certes dans l'idéologie révolutionnaire, comporte cependant une exigence démocratique qui s'accommode mal d'élections préfabriquées ou de votes par acclamation. La plupart du temps, les travailleurs veulent un conseil élu. Fidèle à leur « principe démocratique », les social-démocrates prônent alors des élections sur une base territoriale, par quartiers : le suffrage est « universel » et les notables comme les appareils politiques l'y emportent, comme à des élections ordinaires, sur les candidats connus pour leurs positions de classe. Ainsi à Dresde, où les élections par quartier, organisées par le conseil provisoire, donnent aux social-démocrates 47 élus sur 50 dans le collège « ouvriers » et 40 sur 50 dans le collège « soldats »[564]. Le conseil des ouvriers et soldats de Dresde, présidé par le syndicaliste social-démocrate Neuring, sera désormais l'un des plus conservateurs[565].

Partout ailleurs, les élections se déroulent dans les entreprises, conformément au principe de la dictature du prolétariat, où le droit de vote est organisé sur la base des unités de production. A Berlin, les ouvriers élisent un délégué pour 1000 votants dans les grosses entreprises, un par fraction de 1000 ailleurs[566]. A Francfort-sur-le-Main, le chiffre est de 1 pour 400[567], à Hambourg et à Leipzig de 1 pour 600[568], de 1 pour 300 à Stuttgart[569] , de 1 pour 180 à Brême[570].

Dans plusieurs localités, les social-démocrates majoritaires appellent au boycottage des élections dans les entreprises. A Brunswick, ils exigent au préalable, et quel que soit le résultat du scrutin, la promesse d'une représentation paritaire à l'exécutif. Ils se heurtent à un refus et ne se présentent donc pas : les 5 454 électeurs auront à choisir vingt-cinq noms sur une liste de cinquante dressée par le conseil provisoire[571]. A Stuttgart, en revanche, après l'arrestation des membres du premier conseil provisoire, ils obtiennent aux élections la majorité absolue avec 155 délégués sur 300, contre 90 aux indépendants. A Leipzig, où l'organisation majoritaire est inexistante depuis la scission, presque tous les élus appartiennent au parti indépendant. Aux chantiers de la Weser, à Brême, les radicaux de gauche ont 24 élus, contre 13 aux majoritaires et 9 aux indépendants : les majoritaires siègent. Mais, à Hambourg, ils n'acceptent de participer qu'à partir du moment où les autres groupes leur ont promis qu'ils seraient représentés à l'exécutif[572].

Chaque fois qu'une majorité se dessine contre eux dans les élections d'entreprise, les dirigeants social-démocrates locaux et les responsables syndicaux invoquent l'unité et l'accord du 9 novembre à Berlin pour obtenir une représentation paritaire à l'exécutif. Or leurs exigences coïncident avec un souci permanent des élus : renforcer leur autorité par la participation aux conseils des représentants des partis et syndicats en tant que tels. L'exécutif de Leipzig comprend, outre 10 ouvriers et 10 soldats, 3 représentants du parti social-démocrate indépendant. Celui de Hambourg comprend 18 élus, 9 de chaque collège et 12 représentants d'organisations, 3 de chaque organisation politique, majoritaires, indépendants et radicaux de gauche, et 3 de l'union locale des syndicats. Dans la majorité des cas, les choses se passent comme elles se sont passées à Berlin : les indépendants renoncent, à leur détriment, à la représentation proportionnelle, et acceptent la parité à l'exécutif, même quand ils ont la majorité au conseil : ainsi à Francfort-sur-le-Main, Dortmund, Erfurt, et dans la majorité des villes industrielles. Ils ne forment d'exécutifs où ils ont la majorité que là où les social-démocrates gouvernementaux n'existent pas ou se dérobent : ainsi à Brême, Leipzig, Halle, Düsseldorf. En revanche, les majoritaires ne se soucient pas de parité quand ils sont en force : à Stuttgart, les indépendants ne sont que 4 à l'exécutif, sur un total de 15.

Dans la pyramide des conseils qui va de l'atelier à la localité, l'influence du parti social-démocrate et de l'appareil syndical va en augmentant de la base vers le sommet. Aussi, dans les semaines qui suivent l'établissement des conseils, s'efforcent-ils de constituer des conseils régionaux où ils détiennent toujours la majorité, par le simple jeu de l'addition des conseils où ils sont en majorité et de ceux où ils sont à parité.

Rien d'étonnant, dans ces conditions, que nombre d'initiatives des conseils de novembre ne dépassent pas le cadre de la Constitution ou le niveau des proclamations, et se contentent d'osciffer entre la ligne « antisoviétique » des majoritaires et la « valse-hésitation » des indépendants. Certaines mesures révèlent pourtant une nette volonté de construire un État de type nouveau, proprement « soviétique ». Quelques conseils abolissent les institutions existantes : à Chemnitz, Leipzig, Gotha, on déclare dissous les conseils municipaux, à Hambourg, Brême, Koenigsberg, les institutions traditionnelles, Sénat et Bourgeoisie[573]. D'autres conseils le font sans même le dire, se contentant d'expulser de leur bureau hauts fonctionnaires ou élus traditionnels. Le conseil de Brême va plus loin et interdit toute réunion ou manifestation en faveur du rétablissement du Sénat ou de l'élection de l'Assemblée nationale[574]. Le conseil de Neukölln, dominé par les spartakistes, a interdit toute activité des anciens organismes, dissous les forces de police, et ce faubourg de Berlin est dénoncé dans la presse comme le banc d'essai de la dictature du prolétariat[575]. Or la situation est analogue à Britz, Mariendorf, Tempelhof, et une conférence des conseils d'ouvriers et de soldats de la circonscription de Niederbarnim. se prononce le 18 novembre pour la généralisation de ce mode d'organisation du pouvoir[576]. Dans la Ruhr se tient le 20 novembre une conférence des conseils de Basse-Rhénanie et de Westphalie occidentale, qui adopte une résolution de l'indépendant Otto Brass pour la dissolution de tous les anciens organismes de l'État et le passage de tout le pouvoir aux conseils, Un programme d'action pour les conseils détermine leurs tâches : désarmement de la police, organisation d'une force de sécurité, construction d'une garde rouge, contrôle de la justice, du ravitaillement, etc.[577]. Il est réalisé ou du moins sérieusement entamé dans toutes les villes où indépendants révolutionnaires et spartakistes détiennent la majorité dans le conseil, à Düsseldorf, Gelsenkirchen, Hamborn, Mülheim, Solingen, Essen[578]... Le conseil des ouvriers et des soldats de Gotha dissout le Landtag et constitue un gouvernement de Land[579].

Ce qui est peut-être plus important plus significatif de la volonté de créer un deuxième pouvoir c'est que les conseils constituent souvent leur propre force armée ou leur propre police[580] : gardes ouvrières à Francfort-sur-le-Main et Hildenburghausen[581], volontaires ouvriers à Düsseldorf[582], force de sécurité à Hambourg[583], et, le plus souvent, des gardes rouges dont le noyau est constitué par des marins mutinés : à Brême, sous la direction du sous-officier Lunsmann[584], à Halle le « régiment de sécurité » que dirige l'ancien officier Fritz Ferchlandt et le « marin rouge » Karl Meseberg[585], à Brunswick, une garde de mille membres[586].

Enfin, dans les conseils qu'animent les révolutionnaires, les exécutifs se donnent des structures adaptées à des tâches gouvernementales, avec des responsables ou des commissions chargées des finances, de la sécurité publique, du ravitaillement, des problèmes du travail, etc. Les pouvoirs qu'ils s'attribuent sont de tous les domaines, judiciaires autant que législatifs ou exécutifs, selon la caractéristique même du pouvoir « soviétique » : saisie et interdiction de la Rheinisch-Westfälischer Zeitung, le 3 décembre, puis, quelques jours plus tard, de la Essener AlIgemeine Zeitung par le conseil des ouvriers et des soldats d'Essen[587], interdiction de tout licenciement et journée de huit heures imposée aux industriels par celui de Hanau[588], augmentation des salaires de 80 % décrétée par celui de Mülheim[589], saisie du département de la presse et de la propagande du commandement militaire par celui de Leipzig[590]. Les hommes politiques les plus conscients ne s'y trompent pas, et Hermann Müller écrira de la république de Neukölln qu'elle est en train de chercher à réaliser « une dictature de classe à la Russie soviétique »[591].

Dans toute l'Allemagne, les révolutionnaires qui participent à l'activité des conseils sont à la pointe du combat pour le deuxième pouvoir. Les premiers jours de novembre fournissent de façon inattendue un seul exemple inverse, celui du Wurtemberg, qui voit pendant quelques jours tous les partis ouvriers - indépendants spartakistes compris - collaborer au sein d'un organisme provisoire investi par une autorité légale, le « gouvernement provisoire » du Wurtemberg investi par le Landtag au lendemain de la révolution. Deux militants spartakistes y occupent en effet des responsabilités, August Thalheimer aux finances et Albert Schreiner à la guerre[592] ; le premier vient seulement d'être libéré de prison. Mais la centrale spartakiste réagit vivement, et une lettre signée de Leo Jogiches explique aux Wurtembergeois que ce serait une grave erreur que de partager des responsabilités gouvernementales avec les majoritaires dans les circonstances données[593]. Thalheimer démissionne immédiatement, bientôt suivi par Schreiner[594].

Les partis et les conseils[modifier le wikicode]

Il est significatif de l'élan et de la vigueur du mouvement des conseils que personne, sur le coup, ne tente de s'opposer à leur constitution, ni même de contester leur autorité. Ici ou là, les représentants des partis bourgeois sont heureux lorsque la protection des social-démocrates leur y réserve une petite place[595]. Le haut commandement lui-même admet l'existence des conseils de soldats. A l'état-major de Spa, le lieutenant-colonel Faupel reçoit leurs délégués, leur décrit l'immensité de la tâche d'évacuation des troupes de l'ouest et leur propose de collaborer avec les officiers[596]. Un peu partout, les autorités impériales, administration, police, justice, commandants militaires déclarent reconnaître leur autorité.

Cependant, l'une des premières initiatives contre le pouvoir des conseils d'ouvriers et de soldats consistera dans la constitution de « conseils de citoyens », parfois différenciés en conseils professionnels, médecins, avocats, juges, médecins, voire propriétaires ou prêtres[597]. A Cologne par exemple, tandis que la Kölnische Zeitung affirme que la bourgeoisie est prête à soutenir le nouveau pouvoir[598], plusieurs entrepreneurs connus de la ville fondent le Hansabund, dont l'objectif est la création de conseils de citoyens[599]. Approuvant cet appel, la Deutsche Zeitung écrit qu'il ne suffit pas de « conseils » mais que, face aux gardes ouvrières, « unilatérales », il faut bâtir des « gardes civiques »[600].

En fait, les partis bourgeois et les autorités acceptent les conseils comme un pouvoir de fait, éminemment transitoire, conférant une légitimation provisoire à des autorités anciennes qui n'ont plus de référence constitutionnelle : l'objectif est de s'en servir pour modifier la situation. Tel est, nettement exprimé, le point de vue des social-démocrates. Pour eux, les conseils n'ont eu de signification que révolutionnaire, dans la brève période de chute du régime impérial. Mais leur rôle n'est pas désormais de conserver ce pouvoir qu'ils ont saisi, puisqu'ils ne représentent qu'une partie de la population, comme l'explique dès le 13 le Vorwärts, sous la signature de Stampfer :

« Nous avons vaincu, mais nous n'avons pas vaincu pour nous seuls, nous avons vaincu pour le peuple entier ! Voilà pourquoi notre mot d'ordre n'est pas : « Tout le pouvoir aux soviets », mais : « Tout le pouvoir au peuple entier ! »[601]

Dans cette optique, le rôle des conseils est désormais d'établir une nouvelle légalité, qui ne saurait être que « démocratique », c'est-à-dire reposant sur l'élection au suffrage universel d'une Assemblée nationale qui aura pouvoir constituant et qui, seule, peut exprimer la volonté du « peuple ».

Sur ce terrain, celui de la lutte pour la convocation rapide d'une Assemblée constituante qui enlèvera le pouvoir qu'ils détiennent aux conseils et établira une Constitution démocratique, la social-démocratie constitue le fer de lance d'une coalition qui groupe la totalité des forces politiques anciennes et, derrière elles, des classes possédantes. On ne peut qu'être frappé de la rapidité avec laquelle l'ensemble des autorités ou du personnel politique se fondent dans ce mouvement « démocratique » afin de combattre la révolution et de défendre l'ordre et la propriété. Conservateurs et réactionnaires se proclament du jour au lendemain républicains et démocrates, partisans d'une « souveraineté populaire » qui avait paru jusque-là le cadet de leurs soucis. Kreuz-Zeitung fait disparaître sa vieille manchette : « En avant pour Dieu, le Roi et la Patrie » et réclame des élections au suffrage universel. Le Centre catholique se rebaptise « parti populaire chrétien-démocrate », les conservateurs se groupent dans le « parti populaire national-allemand », qui inscrit à son programme le suffrage universel, le gouvernement parlementaire, la liberté de presse et d'opinion. La fusion des anciens « progressistes » et d'une partie des anciens « nationaux-libéraux » donne naissance au « parti démocrate allemand ». Le reste des nationaux libéraux, sous la présidence de Gustav Stresemann, et avec le soutien de Stinnes, Vögler, Röchling et autres magnats des affaires, lance le « parti populaire allemand ». junkers et bourgeois se vêtent de parements démocratiques, l'essentiel étant d'abord d'écarter les conseils[602].

Il n'y a pas, sur cette question, de divergences importantes au sein du gouvernement : Max de Bade et Ebert s'étaient mis d'accord, et la déclaration du 10 novembre prévoyait l'élection d'une Constituante. Les commissaires du peuple indépendants élèveront des objections techniques, discuteront de l'opportunité des dates, réclameront du temps pour « préparer » la campagne électorale, mais ont choisi, contre le système des conseils et la dictature du prolétariat, la république parlementaire[603]. L'unanimité pourtant ne règne pas sur ce point dans leur parti, où les éléments de gauche - les responsables du parti à Berlin et les délégués révolutionnaires - combattent depuis plusieurs mois pour le pouvoir des conseils et, dans ce cas au moins, sont d'accord avec les spartakistes.

C'est en effet de Spartakus que vient la seule opposition idéologiquement cohérente au programme de convocation d'une Constituante. Rosa Luxemburg l'exprime clairement dans Die Rote Fahne, qui reparaît :

« Il ne s'agit pas aujourd'hui d'un choix entre la démocratie et la dictature. La question mise à l'ordre du jour par l'histoire est : démocratie bourgeoise ou démocratie socialiste. Car la dictature du prolétariat est la démocratie au sens socialiste du terme. La dictature du prolétariat ne signifie pas les bombes, les putschs, l'émeute, l'« anarchie », ainsi qu'osent le prétendre les agents du capitalisme, mais l'emploi de tous les moyens du pouvoir politique pour l'édification du socialisme, pour l'expropriation de la classe capitaliste, conformément au sentiment et de par la volonté de la majorité révolutionnaire du prolétariat, donc dans l'esprit de la démocratie socialiste. Sans la volonté consciente et sans l'action consciente de la majorité du prolétariat, pas de socialisme. Pour aiguiser cette conscience, pour organiser cette action, il faut un organe de classe : le Parlement des prolétaires des villes et des campagnes. »[604]

Mais, sur la signification et les implications pratiques de cette position de principe, les révolutionnaires eux-mêmes sont divisés. Ils pensent tous, certes, comme Rosa Luxemburg l'affirmera au congrès de fondation, que les conseils d'ouvriers et de soldats, comme les soviets russes, constituent « le mot d'ordre de la révolution mondiale », « l'A. B. C. de la révolution actuelle » et le trait qui distingue la révolution en 1918 des révolutions bourgeoises qu l'ont précédée[605]. Mais les désaccords commencent dès qu'il s'agit de déterminer les tâches des révolutionnaires à l'intérieur des conseils où ils ne sont pas en majorité. A Dresde, dès le 16 novembre, les radicaux de gauche, derrière Otto Rühle, donnent en bloc leur démission du conseil d'ouvriers et de soldats de la ville, dans lequel ils estiment n'avoir pas leur place puisqu'ils s'y trouvent en minorité face à une coalition d'élus social-démocrates et indépendants, qu'ils qualifient sommairement de « contre-révolutionnaires »[606]. Par ce geste spectaculaire, ils s'inscrivent en faux contre la perspective que va tracer Rosa Luxemburg quand elle affirmera :

« C'est par en bas que nous devons saper l'État bourgeois, en agissant pour que les pouvoirs publics, législatif et administratif, ne soient plus séparés, mais confondus, et en les plaçant dans les mains des conseils d'ouvriers et de soldats. »[607]

Le drame, la faiblesse historique des conseils d'ouvriers et de soldats allemands tiennent en définitive à ce qu'il n'existe pas, pour les animer et leur donner vigueur et allant dans la lutte pour leur propre pouvoir, de véritable « parti des conseils », ce que le parti bolchevique avait su être entre février et octobre. Sur le problème décisif, « Constituante ou conseils », les dirigeants indépendants de droite, Haase, Dittmann et d'autres ont adopté, à quelques nuances près, la position des social-démocrates majoritaires. Les indépendants de gauche, organisés à part, partagent en gros la conception des dirigeants spartakistes. Les spartakistes, eux, sont divisés entre le noyau dirigeant, axé sur la perspective de la nécessaire conquête des masses, et les impatients qui renoncent à convaincre. Cette confusion, l'absence d'une organisation révolutionnaire menant, pour la majorité dans les conseils et pour le pouvoir même des conseils, une lutte conséquente, laissent le champ libre aux adversaires des conseils dans leur sein même.

A Hambourg, quelques jours après avoir proclamé leur dissolution, le conseil des ouvriers et des soldats rétablit la Bourgeoisie et le Sénat sous forme d'organismes administratifs[608]. Dans la même ville, l'ancien officier Frederick Baumann reçoit du sénateur Petersen mission de lutter contre les extrémistes à l'intérieur même du conseil des ouvriers et des soldats : il y entre au bout de quelques jours par l'intermédiaire du conseil des soldats, y lie partie avec les majoritaires, « éliminant peu à peu les radicaux de toutes leurs positions de contrôle en matière militaire et de police »[609]. Il réussit même à se faire confier la direction de la garde rouge destinée à protéger le conseil[610]. Acculés à la collaboration avec les anciennes autorités qu'ils restaurent peu à peu, à cause de la permanence du gouvernement central, pris à la gorge par leurs besoins financiers, dévorés et minés de l'intérieur, les conseils ont bientôt, comme l'écrit Rosa Luxemburg, « laissé échapper la plus grande partie des positions révolutionnaires conquises le 9 novembre »[611]. Là où ils résistent, ils ne le peuvent longtemps. Le « pouvoir des conseils » proclamé à Neukölln le 6 décembre est annulé le 11 par l'exécutif des conseils de Berlin[612]. Le gouvernement prussien rétablit le 16 à Neukölln les autorités légales, le jour même où s'ouvre à Berlin le premier congrès des « soviets » allemands ...[613]

C'est que la bourgeoisie allemande est à cette date, et malgré ses revers, incontestablement plus vigoureuse que ne l'était au début de 1917 la débile bourgeoisie russe. Elle dispose d'un instrument d'une rare qualité, le corps des officiers, et surtout de l'appui total d'un appareil souple et expérimenté, celui de la social-démocratie, qui saura défendre efficacement ce qu'elle appelle l'« ordre » contre le « chaos » et la « liberté » contre la « dictature », donnant raison à Liebknecht dans son avertissement du 10 novembre en faisant finalement triompher les positions contre-révolutionnaires au sein même des conseils. Elle bénéficie enfin du solide appui des armées de l'Entente, dont l'ombre menaçante s'étend sur toute cette période de la révolution allemande.

Le gouvernement de la bourgeoisie[modifier le wikicode]

L'assemblée des délégués des conseils d'ouvriers et de soldats du 10 novembre au cirque Busch avait remis le pouvoir aux six « commissaires du Peuple » qui constituaient depuis quelques heures le cabinet du Reich. Friedrich Ebert, ainsi investi par le « soviet » de Berlin de la présidence du conseil des commissaires du peuple, était déjà, depuis la veille, le chancelier du Reich désigné par Max de Bade. La dualité de pouvoir aboutissait ainsi à un sommet unique, un gouvernement à double face, soviétique pour les ouvriers, bourgeoise et légale à l'égard de l'appareil d'Etat, des classes dirigeantes, de l'armée et de l'Entente, à laquelle son représentant, Erzberger, demande d'ailleurs dès le 8 novembre de lui laisser les moyens matériels de lutter contre le bolchevisme[614].

On ne saurait plus discuter aujourd'hui au sujet de l'alliance conclue en ces jours de novembre entre le chancelier Ebert et les chefs de l'armée, même si la version de l'accord téléphonique entre Groener et Ebert dans la nuit du 9 au 10 novembre ne peut être retenue formellement[615]. Dès le 10 novembre, le maréchal Hindenburg télégraphie aux chefs militaires que l'état-major est décidé à collaborer avec le chancelier pour « éviter l'extension du bolchevisme terroriste en Allemagne »[616]. Le général Groener, qui a été vraisemblablement la cheville ouvrière de l'accord, se justifiera vis-à-vis de ses critiques de droite, quelques années plus tard, en déclarant :

« Le corps des officiers ne pouvait coopérer qu'avec un gouvernement qui entreprenne la lutte contre le bolchevisme. Ebert y était décidé. (...) Nous nous sommes alliés contre le bolchevisme (…). Il n'y avait pas d'autre parti qui eût assez d'influence sur les masses pour rétablir, avec l'aide de l'armée, un pouvoir gouvernemental. »[617]

L'appareil d'Etat et la bureaucratie subsistent également et fonctionnent sous l'autorité d'Ebert. Le 9 novembre, déjà, il demande à tous les fonctionnaires de rester à leur poste[618]. Le 13, une proclamation du conseil des commissaires du peuple précise que le Bundesrat, la deuxième chambre législative de la Constitution impériale, celle des princes, reste « autorisé à exercer également dans l'avenir les fonctions qui lui incombent d'après les lois et décrets du Reich »[619]. Tout le personnel administratif, l'ensemble des hauts fonctionnaires triés sur le volet du temps du régime impérial, restent en place. Sous l'autorité des commissaires du peuple et le contrôle théorique des élus de l'exécutif des conseils, avec des représentants des deux partis, les ministres bourgeois conservent leurs portefeuilles, le général von Scheüch reste à la Guerre, le Dr. Solf aux Affaires étrangères, Schiffer, du Centre, aux Finances et le démocrate Hugo Preuss demeure secrétaire d'État à l'intérieur[620]. Entre le 9 et le 10, Ebert a placé des hommes à lui aux postes-clés de la haute administration : le chef de la chancellerie est son ami Baake[621], et le conseiller Simons est chargé de prendre connaissance du courrier afin de diriger vers le chancelier tout ce qui lui paraît important, même s'il s'agit d'une question relevant de la compétence d'un autre commissaire du peuple[622].

La puissance économique de la bourgeoisie reste intacte. Certes, dès le 12 novembre, la première proclamation des commissaires du peuple établissant les bases du nouveau régime, levée de l'état de siège, liberté d'opinion et fin de la censure, amnistie des condamnés politiques, droit de vote pour les femmes et éligibilité à vingt ans, prend un certain nombre de mesures importantes : réglementation et protection du travail, promesse de la limitation à huit heures de la journée de travail, extension du système des assurances sociales, création d'allocations de chômage, programme de construction de logements ouvriers[623]. Mais elles ne sont, en fait que des mesures de conservation sociale et de protection de la propriété, adoptées sous la peur qu'inspire le mouvement ouvrier. C'est si vrai que, dès le 15 novembre, les représentants les plus autorisés du patronat, Hugo Stinnes, Vögler, Hugenberg, Rathenau, Siemens, signent un accord avec les syndicats ; formant désormais une « communauté de travail », ils acceptent toutes les revendications obstinément repoussées jusque-là : la journée de huit heures sans diminution de salaire, la détermination des conditions de travail dans le cadre de conventions collectives, la reconnaissance de la représentativité des syndicats dans les entreprises et la renonciation du patronat à soutenir des « syndicats-maison », l'élection, dans les entreprises comptant plus de cinquante ouvriers, de comités d'entreprises chargés de surveiller l'application des conventions collectives, l'institution, à tous les échelons, de commissions paritaires d'arbitrage[624]. L'accord, dira un commentateur bourgeois, avait un grand mérite : « il a constitué un puissant rempart contre toutes les tentatives de renverser par la violence notre système social »[625]. Une commission de socialisation est créée avec des représentants de tous les partis, des syndicats et des organisations patronales[626] : il n'en sortira rien, sauf, pour les possédants, le gain d'un temps précieux.

La défense de la propriété des grands capitalistes n'est pas un mot d'ordre populaire ; les social-démocrates défendent le régime capitaliste en parlant de « socialisation ». Ils le défendent aussi lorsqu'ils invoquent la « liberté de la presse » pour protéger les grandes entreprises de l'information contre les ouvriers révolutionnaires, comme dans le cas du Berliner Lokalanzeiger occupé par les spartakistes[627]. En revanche, les capitalistes peuvent librement disposer de leurs immeubles, de leurs machines, de leurs capitaux, non seulement pour exposer leur programme politique, mais également pour préparer psychologiquement et matériellement la guerre civile qui leur paraît inévitable. C'est ainsi que l'entreprise d'Eduard Stadtler, ancien prisonnier de guerre en Russie, pour la création d'une « centrale antibolcheviste » va bénéficier de versements de fonds considérables - dont une partie fournie par Helfferich, directeur de la Deutsche Bank pour imprimer à des centaines de milliers d'exemplaires des tracts et des brochures qui sont souvent de véritables appels au meurtre contre les spartakistes, « la terreur bolchevique », le chaos, les juifs et « Rosa-la-sanglante[628] ». Le « secrétariat général » fondé par Stadtler sert de couverture à une organisation plus efficace encore, la « Ligue antibolcheviste », qui organise son propre service de renseignements et met sur pied, suivant l'expression de son fondateur, un « actif contre-espionnage anticommuniste »[629] .

Depuis novembre, et grâce au mot d'ordre de « liberté de la presse » orchestré par les social-démocrates et les forces qui les soutiennent, l'information demeure aux mains des forces antiouvrières. Tandis que les Vossische Zeitung, Berliner Tageblatt, Kreuz-Zeitung et autres continuent de paraître, alimentés par des fonds considérables, les organisations ouvrières révolutionnaires, qui ne peuvent compter que sur les contributions des travailleurs, doivent se taire ou ne s'exprimer qu'avec des moyens très insuffisants face à la coalition qui les écrase de son poids. La presse « libre » se permet même de censurer - avec l'accord du gouvernement - les proclamations ou résolutions de l'exécutif berlinois des conseils. Les agences de presse demeurent également propriété privée, et Ebert nomme son propre fils à la tête de l'agence gouvernementale officieuse[630]. On comprend que, dans ces conditions, la presque totalité des journaux, tous ceux en tout cas qui sont dits « d'information », aient pu, à partir de la mi-novembre, non seulement soutenir la ligne gouvernementale de convocation de la Constituante, mais encore orchestrer une campagne systématique de discrédit des conseils d'ouvriers et de soldats.

Le conseil exécutif de Berlin[modifier le wikicode]

Le conseil des commissaires du peuple, investi par les conseils en novembre, va avoir cependant à soutenir, pendant le premier mois de la révolution, une âpre lutte d'influence contre le conseil d'ouvriers et de soldats de Berlin, familièrement appelé l'exécutif (Vollzugsrat). Un historien récent de ce conflit de pouvoirs[631] a souligné le paradoxe qui fait que cet organisme, issu de la défaite des révolutionnaires sous la pression des soldats au cirque Busch, formé, lui aussi, d'une majorité de socialdémocrates du parti d'Ebert, s'est trouvé finalement, pendant les semaines suivantes, incarner les efforts des révolutionnaires pour instaurer le pouvoir des conseils et opposer à la ligne pro-bourgeoise des commissaires du peuple une esquisse d'orientation radicale.

C'est que le conseil exécutif siège dans une tout autre ambiance que le conseil des commissaires. Alors que ces derniers se sont installés dans les ministères où, malgré les ébauches de résistance de certains, ils ont été rapidement « digérés » par les hommes et les rouages de l'administration, le conseil exécutif, lui, s'est installé dans l'immeuble du Landtag de Prusse, au coeur de la révolution. Constamment soumis aux pressions de la rue, « aux écrits de la révolution sur les murs », suivant l'expression de son président Richard Müller[632], il reflète en même temps l'ambition de ses membres les plus actifs, le noyau des délégués révolutionnaires, de faire de lui « le soviet de Petrograd » de la révolution allemande[633], et la confiance des travailleurs berlinois qui font appel à lui à tout propos, parce qu'ils le considèrent comme leur. L'atmosphère y est si révolutionnaire que les plus modérés des social-démocrates qui le composent sont souvent entraînés par leurs collègues ou par les délégations ouvrières beaucoup plus loin qu'ils ne le voudraient[634].

Le conseil exécutif est initialement formé d'une majorité de social-démocrates majoritaires ou de sympathisants : la « parité » n'a valu que pour les élus des soldats. Assez vite, les élus incertains sont remplacés par des militants sûrs : le noyau reste stable à partir du 13 novembre[635]. Les présidents sont Richard Müller - concession aux ouvriers berlinois - et, pour les soldats, Brutus Molkenbuhr, qui, après deux jours, a remplacé le président de la première heure, le capitaine von Beerfelde[636]. Les chefs de file de la fraction social-démocrate sont le délégué des soldats Max Cohen-Reuss, plus tard venu, et surtout Hermann Müller, délégué « ouvrier »[637]. Les chefs de file de la fraction révolutionnaire sont Ledebour et Däumig. Derrière eux, le noyau des délégués révolutionnaires, les dirigeants des grèves de 1917 et 1918, les Eckert, Neuendorf, Wegmann. Autour d'eux, occupés par des responsabilités diverses, les métallos révolutionnaires dirigeants reconnus du prolétariat berlinois, Paul Scholze, qui préside désormais le cercle des délégués, Nowakowski, Paul Neumann, Heinrich Malzahn, Max Urich, qui dirige le secrétariat du conseil[638]. Les délégués social-démocrates sont soit des permanents du parti, soit des responsables syndicaux comme Gutav Heller et Oskar Rusch, qui évoluera rapidement vers la gauche[639]. Les délégués des soldats sont d'un autre type. Mis à part Hans Paasche, figure intéressante de jeune bourgeois, fils d'un homme d'affaires national-libéral élu président du Reichstag, devenu révolutionnaire par pacifisme[640], ils se rattachent politiquement à la social-démocratie. Peu politisés en réalité, ils comptent parmi eux quelques candides arrivistes qui abusent de la situation, installent dans les ministères, sous prétexte de « contrôle », petites amies et bons camarades, empêchent par leur irresponsabilité tout fonctionnement sérieux[641]. Parmi eux, d'authentiques aventuriers comme Colin Ross, cet agent d'Ebert et de Wels dans les conseils de soldats, qui sera exclu en décembre et convaincu de liaisons avec les éléments monarchistes, plus tard géopoliticien pour le compte d'Hitler[642], Otto Strobel, auteur d'un article antisémite signé non seulement de son nom mais de son titre de membre du conseil, paru dans un quotidien réactionnaire[643], le lieutenant Waltz, qui s'est peut-être rêvé, comme le suggère Hermann Müller, « maréchal de la révolution allemande »[644], mais dont on découvre fin novembre qu'il s'était « mis à table », lors de son arrestation le 8 novembre, et qu'il avait donné aux policiers le plan de l'insurrection et le moyen d'arrêter Däumig. Les incidents provoqués par ces cas individuels prennent au conseil exécutif des heures précieuses. C'est ainsi que Waltz, congédié sans autre forme de procès par Richard Müller, a le front de protester, de plaider les circonstances atténuantes - ne se reconnaissant coupable que de « bêtises » - auprès des conseils de soldats, et d'arriver ainsi à regrouper en sa faveur une minorité qui imposera deux séances nocturnes de discussion aux délégués des conseils de la garnison[645].

Malgré sa bonne volonté, malgré la confiance dont il jouit de la part des ouvriers berlinois, le conseil exécutif est impuissant à organiser son propre travail et même à créer son propre appareil. Prétendant simultanément surveiller et contrôler le cabinet du Reich et le gouvernement prussien, animer politiquement les conseils berlinois et servir de centre aux dix mille conseils du pays, régler les conflits du travail et imprimer aux affaires générales une orientation révolutionnaire, il sombre vite dans le désordre, désordre entretenu par l'hostilité du gouvernement et de la bureaucratie, ainsi que par le sabotage de l'administration, qui lui adresse toutes les réclamations et le prive en même temps de ressources. Ses débats sont constamment interrompus par des délégations. Il est enseveli sous la correspondance que ses présidents passent leur temps à signer sans l'avoir lue[646]. Entre les tâches multiples qu'il prétend remplir, il ne saura pas choisir et n'entendra pas le sévère avertissement d'Hermann Müller :

« Un organisme qui a l'ambition de passer dans l'Histoire au même titre que le comité de salut public de la grande révolution française doit prendre garde à ne pas devenir un service du département du travail. »[647]

Le conflit des pouvoirs.[modifier le wikicode]

Dès son entrée en fonctions, le 10 novembre, au soir, le conseil exécutif adopte, sur proposition d'Eckert, une proclamation adressée au « peuple travailleur ».

« La vieille Allemagne n'est plus. (...) L'Allemagne est devenue une république socialiste. Les détenteurs du pouvoir politique sont les conseils d'ouvriers et de soldats. »[648]

Le gouvernement élu le jour même a pour tâche de conclure l'armistice. Les autres tâches sont la transformation socialiste de l'économie et le rétablissement de la paix par l'union des travailleurs. L'appel salue l'exemple donné par les travailleurs russes, rappelle que le pouvoir révolutionnaire ne peut restaurer en un jour ce qui a été détruit en des années de guerre, mais qu'il est le seul à pouvoir reconstruire. Il ne dit mot de l'éventuelle convocation d'une Assemblée nationale.

Le Vorwärts ne publie pas cet appel de l'exécutif. Mais le programme gouvernemental a fait allusion au mode de scrutin pour la convocation de l'Assemblée nationale et deux articles successifs de Stampfer se prononcent dans le même sens : le gouvernement doit émaner « du peuple entier » et non pas seulement des ouvriers et des soldats[649]. Les divergences se précisent puisque, le 11, l'exécutif publie une déclaration dans laquelle il définit ses propres pouvoirs :

« Toutes les autorités communales et régionales du Reich et les autorités militaires continuent de fonctionner. Tous les ordres émanant de ces autorités seront pris au nom du conseil exécutif. »[650]

C'est une attaque contre les pouvoirs du conseil des commissaires du peuple, et en même temps une caution involontairement donnée à l'entreprise de sauvetage de l'appareil d'État qui se couvrira de l'autorité de l'exécutif des conseils pour survivre d'abord, lutter ensuite.

La question est, entre autres, de savoir si l'exécutif va pouvoir disposer d'une force de coercition. Le 12 novembre, Däumig lui soumet une résolution pour la création d'une garde rouge[651], qu'il adopte par 21 voix contre une, les social-démocrates majoritaires votant en sa faveur. La presse du lendemain publie un appel de l'exécutif qui est un début d'application :

« Nous avons besoin de votre aide. Deux mille camarades et travailleurs, socialistes formés, politiquement organisés, ayant une formation militaire, doivent entreprendre la garde de la révolution. »[652]

Les candidats sont appelés à se présenter le jour même à la maison des syndicats. Mais ils ne seront pas recrutés. L'opposition de droite réagit immédiatement, par la voix de Colin Ross. Une assemblée de délégués des conseils de soldats, réunie à la caserne du régiment de la Garde Alexandre, conspue le social-démocrate Rusch qui soutient le projet de garde rouge au nom de la défense de la révolution. Les soldats voient dans la décision d'armer des civils un geste d'hostilité à leur égard. Le représentant du régiment des fusiliers de la Garde proclame que les soldats ne sont d'aucun parti, puisqu'ils appartiennent à la patrie. L'assemblée condamne le projet de création d'une garde rouge[653]. Dans un communiqué publié à deux heures du matin, l'exécutif déclare avoir pris acte que les troupes de Berlin, qui affirment leur dévouement à la république socialiste, sont en même temps opposées à la création d'une garde rouge : il y renonce donc, « provisoirement »[654].

L'échec de l'exécutif sur cette question capitale et son prompt recul encouragent ses adversaires, qui poussent leur avantage. En fin d'après-midi du 14 novembre, une assemblée de soldats est convoquée au Reichstag sur cette question. Ebert y prend la parole, pour affirmer qu'il ne saurait être question de créer une garde rouge et que la renonciation de l'exécutif à ce projet ne saurait être que définitive :

« L'ouvrier et le soldat, le fonctionnaire et le bourgeois sont derrière le gouvernement, et nous n'avons rien à craindre. »[655]

Après lui, Wels, le nouveau commandant de la ville, lance un appel à la discipline. Aux soldats qui soulèvent le problème de la solde, les représentants du gouvernement répondent qu'ils doivent poser ce problème au comité exécutif. L'assemblée confirme l'hostilité des conseils de soldats et condamne en outre l'exécutif pour avoir, en faisant la proposition d'une garde rouge, « outrepassé ses droits ».

Le 16, le problème de la sécurité et de l'ordre public est abordé, cette fois, dans les organismes gouvernementaux. Posé par Barth en conseil de cabinet, il est discuté l'après-midi entre Ebert, Barth, des représentants de l'exécutif et les ministres intéressés. Barth déclare qu'il est nécessaire de recruter dans un délai d'une semaine 10 000 hommes, dont 3 000 pour la force de sécurité d'Eichhorn, 3 000 à mettre à la disposition du commandant de la ville et 4 000 pour garder les gares et répartir les démobilisés[656]. Le lendemain, 17 novembre, Wels annonce la création d'une « troupe de défense républicaine » qui comportera de 13 à 15 000 hommes et qui sera recrutée par appel au volontariat[657] : les volontaires affluent, mais aussi les dons provenant de milieux bourgeois, destinés à financer cette troupe chargée du maintien de l'ordre[658]. L'exécutif a subi une double défaite : le gouvernement a organisé à son propre profit la force armée qu'il lui a fait refuser, et il a porté à son prestige un rude coup. Dans les jours qui suivent, c'est en vain qu'Eichhom réclamera une augmentation de ses propres troupes : elle viendra finalement, après plusieurs semaines, les recrues provenant, comme l'avait proposé Wegmann, des listes préparées pour la garde rouge le 13 novembre[659] : à cette date, les troupes de Wels sont, de loin, la force la plus conséquente.

Le 16 novembre, Däumig porte de nouveau l'offensive dans l'exécutif sur le terrain des perspectives politiques. Constatant que la révolution a détruit le vieux système de gouvernement, mais qu'elle n'en a édifié aucun autre, il se prononce pour des mesures claires et un choix décisif entre une république « bourgeoise-démocratique » et une république « socialiste ». Protestant contre l'activité du gouvernement qui tend à échapper au contrôle de l'exécutif, nomme des secrétaires et sous-secrétaires d'État, lance des proclamations, il revendique, pour l'exécutif élu par les conseils, le pouvoir législatif et exécutif. Il présente une résolution qui condamne « les tentatives de la bourgeoisie allemande pour convoquer aussi vite que possible une Assemblée constituante » comme une entreprise pour « dépouiller les travailleurs des fruits de la révolution » et propose la convocation immédiate d'un conseil central représentatif de l'ensemble du Reich qui aura à « étudier une nouvelle Constitution conforme aux principes de la démocratie prolétarienne ». Il prévient l'exécutif qu'en soutenant le projet gouvernemental de convocation d'une Constituante il signerait du même coup son arrêt de mort et celui des conseils[660].

La motion Däumig est immédiatement combattue avec énergie par Colin Ross et par Hermann Müller. Ce dernier déclare que le point de vue de Däumig est « antidémocratique », puisqu'il vise à ériger « une dictature de classe du prolétariat contre la majorité du peuple », et précise : « Nous ne pouvons pas aller ici vers la dictature telle qu'elle existe en Russie »[661]. Il propose un amendement soulignant le caractère provisoire de l'existence des conseils et souligne que, plus vite la Constituante sera convoquée, plus vite il y aura à la tête du pays une majorité socialiste. Ces arguments ne convainquent pas tous les membres de son propre parti : c'est de justesse que la résolution Däumig est repoussée, par 12 voix contre 10, le délégué des soldats Hans Paasche et les deux délégués ouvriers social-démocrates Büchel et Julich votant en sa faveur[662]. Hermann Müller reprend alors à son compte la motion Däumig avec un additif précisant, au sujet de la Constitution future que devra adopter le conseil central :

« Cette Constitution sera soumise à une Assemblée constituante convoquée par le conseil central. »[663]

Après une discussion confuse où Barth change de position, le texte de la nouvelle résolution est adopté par 9 voix contre 7[664]. L'exécutif a ouvert la voie de sa propre liquidation et de celle des conseils en tant qu'organes de pouvoir, et un homme comme Richard Müller, partisan du pouvoir des conseils, a voté pour leur liquidation en croyant adopter un compromis[665]. Les majoritaires exploitent sans retard la confusion. Le jour où se déroule cette discussion, Landsberg assure dans une interview que le gouvernement a déjà pris une décision sur la convocation de la Constituante[666]. Le lendemain, le Vorwärts annonce que le cabinet a déjà fixé pour les élections la date du 2 février[667]. Le 18, Freiheit proteste et dément l'information[668], visiblement au nom des ministres indépendants, mais, le 19, l'organe du parti social-démocrate indépendant doit admettre que la question de la Constituante, discutée le 17, a bel et bien été tranchée en principe, tout en maintenant qu'aucune date n'a encore été déterminée[669]. En attendant, depuis deux jours déjà, la presse social-démocrate, Vorwärts en tête, s'est lancée à fond dans la campagne pour la convocation rapide de l'Assemblée constituante.

Réalisant l'erreur qu'il a commise le 16 - Richard Müller parlera plus tard d'une prise de position « confuse » qui le « ridiculisait »[670] -, l'exécutif tente de refaire le terrain perdu en se tournant vers ses mandants, les délégués des conseils d'ouvriers et de soldats qui l'ont désigné le 10, et qu'il convoque de nouveau pour le 18 novembre au cirque Busch.

Devant l'assemblée, Richard Müller présente un rapport d'activité de l'exécutif et s'efforce de présenter sa résolution du 16 en mettant l'accent sur le rôle des conseils et les dangers que présenterait une convocation trop rapide de la Constituante :

« Si nous convoquions maintenant l'Assemblée constituante, cela constituerait l'arrêt de mort des conseils d'ouvriers et de soldats. Ils s'élimineraient d'eux-mêmes. Et cela, ils ne doivent pas le faire. Nous devons assurer notre pouvoir, si besoin est, par la violence. Quiconque est partisan de l'Assemblée nationale nous impose le combat. Je le dis nettement : j'ai risqué ma vie pour la révolution et je suis prêt à recommencer. L'Assemblée nationale est le chemin vers le règne de la bourgeoisie, le chemin vers le combat ; le chemin vers l'Assemblée nationale passe sur mon cadavre. En l'affirmant, je sais qu'une partie des membres de l'exécutif pense comme moi, et aussi tous les travailleurs qui ont pris part à la préparation de la révolution, et je ne doute pas d'avoir à mes côtés la majorité des travailleurs. »[671]

Hermann Müller intervient de façon rassurante : les social démocrates majoritaires veulent, eux aussi, une république sociale mais la question ne peut être réglée dans une telle assemblée, puisqu'aucun des deux partis ouvriers n'a rejeté le principe de la convocation de la Constituante. Celle-ci ne lui fait pas peur : il a, pour sa part, confiance dans le peuple allemand et dans la volonté qu'il exprimera par ses votes[672]. Haase dit que les conquêtes révolutionnaires n'ont rien à redouter du suffrage universel dans un pays où les prolétaires constituent la majorité et, faisant allusion à la Russie, met en garde contre les conceptions «fausses » résultant d'« exemples étrangers »[673]. Le social-démocrate Kaliski dit qu'une révolution sans démocratie ouvrirait la voie à une nouvelle guerre[674]. Ledebour répond que le prolétariat, qui détient actuellement le pouvoir, ne doit pas courir le moindre risque de le perdre. Il s'élève contre l'idée selon laquelle une démocratie véritable serait réalisable sous un système capitaliste : il faut d'abord abattre les fondements du capitalisme[675]. Liebknecht se défend énergiquement d'être un adversaire de l'« unité », comme l'en accusent ses adversaires : il est pour l'unité dans la clarté et répond à la question : « Que voulons-nous ? » Il appelle à s'unir ceux qui veulent poursuivre la révolution, édifier le socialisme, car la contre-révolution, puissante et armée, est en marche. Il appelle les travailleurs à défendre leur pouvoir, à avoir conscience que les « traîtres » sont à l'ouvrage parmi eux, et à ne jamais oublier que l'émancipation de la classe ouvrière ne pourra résulter que de sa propre action. Il est particulièrement applaudi lorsqu'il insiste sur la nécessité de positions claires, critique à peine voilée de la confusion de l'exécutif[676].

Un certain nombre de délégués interviennent en outre pour attaquer un autre point du rapport d'activité présenté par Richard Müller. Le 15 novembre, en effet, Müller et Molkenbuhr, en tant que coprésidents, ont signé une déclaration par laquelle ils confient aux organisations syndicales la représentation des intérêts économiques des travailleurs[677]. Le jour même, la commission locale des syndicats de Berlin, que dirige le majoritaire Körsten, a décidé la dissolution dans les entreprises de tous les comités d'action et leur réélection[678], initiative qui favorise le patronat en lutte contre les tentatives des comités ouvriers d'exercer sur ses activités un contrôle dont il ne veut pas plus que les dirigeants syndicaux[679]. Plusieurs délégués d'usine reprochent à l'exécutif d'avoir ainsi remis le monopole de la représentation des travailleurs à ceux-là mêmes qui « pendant quatre ans les ont trahis »[680]. Et Richard Müller doit promettre que la question sera revue[681].

Sa réponse, conclusion du débat, est toute axée sur les critiques venues de la gauche :

« Tant que je siégerai dans l'exécutif, je lutterai pour que la Constituante, l'Assemblée nationale, ne vienne que lorsqu'il n'y aura plus aucun danger pour les conquêtes de la révolution. (... ) Vous savez ce que nous voulons à l'exécutif et nous veillerons à ce que les conquêtes de la révolution ne soient pas perdues. Quand le camarade Haase a déclaré que le gouvernement devait aller de l'avant (...) comptez que nous, exécutif, nous le pousserons en avant et, comme l'ont montré les derniers temps, nous comprenons très bien comment le pousser. »[682]

En définitive, la résolution du 16 n'est pas soumise au vote de l'assemblée, mais renvoyée à l'exécutif avec d'autres textes. Elle ne sera même pas publiée, le gouvernement ayant interdit à l'agence télégraphique Wolff de la diffuser[683]. Rendant compte de l'assemblée du cirque Busch, le Berliner Tageblatt résume le problème posé :

« En même temps que la question de l'Assemblée constituante se pose celle, qu'il faut trancher, de savoir qui gouverne en Allemagne. (...) L'autorité suprême est-elle entre les mains du gouvernement ou bien entre les mains des conseils d'ouvriers et de Soldats ? »[684]

Si la presse bourgeoise et social-démocrate pose ainsi le problème, c'est que la bourgeoisie commence à sentir qu'elle a la force de le régler dans un sens favorable à son pouvoir, c'est-à-dire au gouvernement. Condamné à livrer en désordre une bataille défensive, l'exécutif recule pas à pas, chassé jour après jour de ses positions. Le 18, à la chancellerie, se tient une session commune des deux conseils[685]. Ebert s'en prend d'emblée aux exigences de l'exécutif et à ses empiètements sur l'autorité du gouvernement, alors qu'il n'est, selon lui, qu'un organe berlinois, ce qui provoque des protestations, même de la part des membres social-démocrates de l'exécutif. Dittmann propose l'élection rapide du conseil central pour toute l'Allemagne[686]. Le majoritaire Landsberg admet que le conseil des commissaires du peuple et le cabinet tiennent leur autorité de l'exécutif des conseils qui les a nommés et peut les révoquer, mais il soutient qu'il ne peut se permettre aucune ingérence dans le domaine du pouvoir exécutif sous peine de constituer alors un « contre-gouvernement », qui aboutirait à l'anarchie[687]. Däumig proteste contre la conception « absolutiste » qui est celle des défenseurs du cabinet, et revendique des pouvoirs de contrôle effectif pour l'exécutif[688]. Au sujet de l'Assemblée nationale, Ebert dément qu'une date ait été fixée pour sa convocation[689]. Les ministres indépendants se dépensent pour un compromis : finalement, une commission est désignée, qui aura pour charge de délimiter les compétences des deux organismes sur la base d'un accord constant que les décisions unanimes du conseil des commissaires du peuple sont immédiatement applicables et que l'intervention du comité exécutif n'est possible qu'en cas de désaccord[690]. Le 23 novembre, résultat des travaux de la commission, une déclaration de l'exécutif précise le nouvel ordre constitutionnel pour la « période initiale de transition » : le pouvoir appartient aux conseils d'ouvriers et de soldats dont les fonctions pour le Reich sont assurées par l'exécutif de Berlin jusqu'à l'élection d'un conseil central pour l'ensemble du pays, mais le pouvoir exécutif est délégué au conseil des commissaires du peuple[691].

Le 23 novembre, l'exécutif s'élargit donc à des représentants des différentes régions et des armées, et compte vingt-cinq membres nouveaux, en majorité social-démocrates majoritaires, comme le jeune Kurt Schumacher, qui représente les mutilés de guerre, mais comprenant aussi quelques révolutionnaires, comme le marin de Cuxhaven Karl Baier et le soldat von Lojewski, de Spandau, que rejoindra bientôt le Saxon Fritz Heckert, participant épisodique[692]. Mais l'initiative vient trop tard : la presse social-démocrate et bourgeoise a su déjà exploiter contre l'exécutif berlinois l'hostilité à la capitale toujours latente ; elle suggère qu'il aspire à la dictature et cherche à se dresser contre le suffrage universel[693] : les thèmes déjà exploités avec succès contre la Commune de Paris réapparaissent. On fait feu de tout bois contre l'exécutif[694]. On dit que l'Entente ne le reconnaît pas et qu'accréditer son autorité implique le risque d'une rupture de l'armistice[695]. L'agence de presse gouvernementale parle de 800 millions de marks dépensés pour les conseils ouvriers, et cette somme devient 1800 millions dépensés par l'exécutif[696]. La presse, en revanche, ne fait aucun écho au rapport du trésorier Max Maynz[697].

La conférence du Reich des ministres-présidents se prononce, le 25 novembre, pour la convocation de l'Assemblée nationale[698]. Le conseil des commissaires du peuple, après bien des marchandages entre majoritaires et indépendants, fixe au 16 février 1919 la date des élections à l'Assemblée[699], cependant que l'exécutif décide le 23 novembre de convoquer à Berlin pour le 16 décembre l'ensemble des délégués des conseils du Reich[700]. La préparation de ce congrès coïncide avec un redoublement de la campagne de presse contre l'exécutif berlinois et ses dirigeants radicaux : le Vorwärts se déchaîne contre « Leichenmüller », « Müller-le-cadavre », « le cadavre ambulant » - allusions au discours de Richard Müller le 18 novembre - ou encore contre « Richard I° » et les « junkers de l'autre bord »[701]. Rien d'étonnant à ce que le putsch tenté le 6 décembre par des éléments monarchistes et dirigé ouvertement contre le conseil exécutif reprenne l'argument antisémite classique en qualifiant de « synagogue » son quartier-général du Landtag prussien.

A la veille du congrès des conseils qui doit élire un nouveau conseil central et trancher finalement de la question du pouvoir des conseils, le conseil exécutif de Berlin est déjà depuis longtemps vaincu. Le conseil des commissaires du peuple peut se permettre de refouler à la frontière les Russes qu'il a invités, Boukharine, Joffé, Racovski, Ignatov et Radek, représentants du congrès pan-russe des soviets[702]. Rosa Luxemburg, d'une plume féroce, va rédiger l'épitaphe de cet organisme révolutionnaire qu'elle appelle « le sarcophage de la révolution » et dont elle écrit qu'il est « la cinquième roue de la charrette de la clique gouvernementale cryptocapitaliste » :

« Il est clair que c'était dans le conseil exécutif, dans les conseils d'ouvriers et de soldats, que les masses devaient se retrouver. Or leur organe, l'organe de la révolution prolétarienne, est réduit à un état d'impuissance totale ; le pouvoir lui a glissé des mains pour passer dans celles de la bourgeoisie. Aucun organe de pouvoir politique ne laisse de son plein gré échapper le pouvoir, à moins d'avoir commis quelque faute. Ce sont la passivité et même l'indolence du conseil exécutif qui ont rendu possible le jeu d'Ebert-Scheidemann. »[703]

Le verdict est sévère, mais personne ne le contestera. Le « soviet de Petrograd » de la révolution allemande est définitivement battu, et son président, Richard Müller, l'enterrera lui-même à sa manière en le qualifiant de « Mädchen für alles » « bonne à tout faire » de la révolution[704].

Le congrès des conseils[modifier le wikicode]

Le congrès des conseils d'ouvriers et de soldats traduit l'ampleur de l'échec politique essuyé par les révolutionnaires en six semaines. Y prennent part 489 délégués, 405 envoyés par des conseils d'ouvriers, 84 par des conseils de soldats[705]. Sur le total, il y a seulement 179 ouvriers et employés, contre 71 intellectuels et 164 « professionnels », journalistes, députés, permanents du parti ou des syndicats[706] : les représentants de l'appareil l'emportent largement sur ceux des ouvriers des entreprises. Les social-démocrates détiennent la majorité absolue avec 288 délégués, contre 90 aux indépendants - dont 10 spartakistes seulement ; les plus connus sont Heckert et Léviné -, 11 « révolutionnaires unis » autour du Hambourgeois Laufenberg, 25 démocrates et 75 sans-parti[707]. La majorité est d'avance acquise aux propositions d'Ebert. Le jour de l'ouverture, le Vorwärts, traçant la perspective de la convocation de l'Assemblée constituante, peut se permettre d'ironiser aux dépens des spartakistes et de leur demander si, conformément à leur revendication du pouvoir pour les conseils, ils vont accepter la décision des conseils de se dessaisir du pouvoir[708].

Ni Karl Liebknecht, ni Rosa Luxemburg ne sont délégués à Berlin, l'éligibilité a été réservée à ceux qui figurent sur les listes des personnes travaillant dans les entreprises ou sur les effectifs militaires. Une proposition du présidium de les inviter avec voix consultative est repoussée d'emblée sans débat[709] ; reprise quelques heures plus tard par un délégué wurtembergeois, elle sera repoussée après de vifs incidents[710], Il ne reste plus aux spartakistes qu'à tenter d'agir sur le congrès de l'extérieur, ce qu'ils avaient prévu, qu'ils ont fait dès l'ouverture et qu'ils recommenceront, en organisant manifestations et délégations de manifestants.

En accord avec les délégués révolutionnaires, ils organisent lors de l'ouverture du congrès un gigantesque meeting suivi d'un défilé et de l'envoi d'une délégation au nom des 250 000 travailleurs berlinois réunis à leur appel. Reçu dans la salle, le délégué révolutionnaire Paul Weyer lit les revendications des manifestants : proclamation d'une république socialiste unitaire, le pouvoir aux conseils d'ouvriers et de soldats, exercice du pouvoir gouvernemental par un exécutif élu par le conseil central, révocation du conseil des commissaires du peuple d'Ebert, mesures d'épuration et de désarmement des contre-révolutionnaires, armement du prolétariat, appel aux prolétaires du monde entier à construire leurs conseils pour réaliser les tâches de la révolution mondiale[711]. Mais le congrès reste impavide. Le président de séance, Leinert, déclare qu'il a pris connaissance des revendications posées et qu'il en tiendra éventuellement compte dans ses décisions ; tandis que la foule des manifestants poursuit sa marche dans les rues de Berlin, Richard Müller reprend le rapportinterrompu par l'arrivée de la délégation. Le 18 décembre, c'est également à l'initiative des spartakistes qu'une délégation de soldats appartenant à dix-sept unités viendra, sous la direction de Dorrenbach, énumérer ses revendications concernant l'armée et la discipline : l'accueil est cette fois franchement hostile et la majorité menace de quitter la salle des séances[712]. Le 18 aura lieu une nouvelle manifestation, de grévistes berlinois cette fois[713]. Malgré les foules qu'ils peuvent rassembler, les spartakistes et leurs alliés des délégués révolutionnaires ne parviennent pas à organiser ces « journées » qui - selon le modèle de la Révolution française auquel ils ont peut-être songé - auraient pu influencer une assemblée hésitante ou réticente. Car les jeux sont faits et le premier congrès des conseils se déroulera à peu près comme l'avaient prévu Ebert et ses amis.

La seule surprise se produit en fait sur le difficile problème des revendications des soldats, que veulent imposer leurs délégués, social-démocrates compris, alors qu'Ebert s'est secrètement engagé auprès de l'état-major à ne pas laisser aborder ces questions au congrès. L'adoption des « sept points de Hambourg » - qui est pourtant un compromis proposé par le social-démocrate Lampl - sera à l'origine des menaces proférées par l'état-major contre le gouvernement et, finalement, de la grande crise de décembre, ouverte les semaines précédentes par la décomposition de l'armée[714].

Pour le reste, et en particulier pour la question de la nature du pouvoir, des conseils et de l'Assemblée constituante, les débats du congrès revêtent un caractère académique, pour ne pas dire parlementaire. Max Cohen-Reuss défend la thèse de la convocation rapide de la Constituante élue au suffrage universel : ce mode d'élection constitue, selon lui, une grande victoire du socialisme, puisque c'est en vain qu'il est revendiqué en Allemagne depuis bien avant le programme d'Erfurt. Les socialistes en ont besoin, car il leur faut, face à une bourgeoisie forte, un pouvoir central incontestable, et, face à l'Entente, un gouvernement issu d'élections libres. Cohen ne doute pas du résultat des élections : c'est parce que la Constituante aura une majorité socialiste que son élection constitue la voie la plus courte vers l'établissement du régime socialiste en Allemagne. Les social-démocrates sont décidés à empêcher que leur « univers socialiste pur, clair et bon » soit « saboté et discrédité par les déformations bolcheviques ». Le socialisme, selon lui, sera réalisé par un gouvernement socialiste élu par le peuple entier. Les conseils, en convoquant la Constituante, mettront fin à leur mission extraordinaire et pourront alors prendre leur place naturelle dans la vie sociale en jouant un rôle important dans la production[715].

Daümig présente le contre-rapport. Il souligne que l'adoption du texte de Cohen signifierait l'arrêt de mort des conseils. Rappelant leur apparition et leur développement en Russie puis en Allemagne, il déclare qu'ils constituent « la forme d'organisation de la révolution moderne », la forme prolétarienne de la démocratie. Les majoritaires cherchent par tous les moyens à les détruire et les présentent comme un véritable épouvantail en en faisant des synonymes de dictature. Mais l'expérience russe ne se renouvellera pas forcément en Allemagne, puisque la dictature des conseils y sera forcément, à la différence de la Russie rurale, celle de la majorité ouvrière. Au socialisme par le haut, prôné par Cohen, Däumig oppose le socialisme par la base, né de l'activité ouvrière dans les entreprises, et termine par un acte de foi en le système des conseils qui s'imposera, selon lui, tôt ou tard[716].

Le débat n'apporte aucun argument nouveau. Le seul problème réellement controversé est celui de la date de la convocation de la Constituante, que les indépendants voudraient reculer le plus possible afin que les socialistes aient, disent-ils, le temps d'« éclairer les masses » encore sous l'emprise de l'idéologie bourgeoise. Finalement, trois motions s'affrontent. Une motion Geyer-Laufenberg propose la date du 16 mars et obtient 50 voix. Une motion Ebert-Haase, qui résulte du compromis conclu au conseil des commissaires du peuple, en obtient à peine plus. C'est la proposition de Max Cohen de fixer la date au 19 janvier qui est adoptée, par 400 voix contre 50[717]. La moitié environ des délégués indépendants ont suivi Haase et voté pour, cependant que les autres se rangeaient dans l'opposition avec Ledebour, Däumig et autres Richard Müller. Le lendemain, une motion de Däumig affirmant que les conseils demeuraient la base de l'autorité suprême en matière législative et exécutive, et qu'un deuxième congrès était nécessaire avant l'adoption d'une nouvelle Constitution, est repoussée par 344 voix contre 98[718].

Le congrès des conseils s'affirmait décidément tout-à-fait opposé au « pouvoir des conseils » et Däumig pouvait à bon droit le qualifier sarcastiquement de « club du suicide »[719]. Les majoritaires d'Ebert, après avoir remporté une éclatante victoire sur le terrain même de leurs adversaires, la complétaient en votant l'amendement Lündeman qui confisquait au profit des seuls commissaires du peuple l'autorité dévolue en principe au conseil central[720]. Instruits par l'expérience, Richard Müller et les autres animateurs des délégués révolutionnaires réussissent à persuader la majorité des délégués indépendants qu'il faut désormais boycotter ce conseil central sans pouvoir[721] : le pouvoir soviétique n'était plus que dérision à partir du moment où il s'incarnait en des hommes qui s'en déclaraient des adversaires déterminés.

Dans toute l'Allemagne, les révolutionnaires organisent meetings, manifestations, votent résolutions et protestations contre la décision du congrès des conseils. Le 21 décembre, à Berlin, Pieck, Liebknecht, Duncker, Paul Scholze, représentant des délégués révolutionnaires, appellent à la lutte contre ses décisions, au combat implacable contre le gouvernement Ebert-Scheidemann[722]. La question n'est pourtant pas posée, et encore moins réglée, de savoir si la lutte doit continuer à long terme par la réélection des conseils et la conquête de la majorité dans leur sein, ou si les révolutionnaires doivent désormais poursuivre le combat engagé plus d'un mois auparavant contre la convocation de l'Assemblée constituante en passant par-dessus la tête des conseils réels - en d'autres termes lutter dans l'immédiat pour un pouvoir des conseils dont les conseils ne veulent pas.

Cette question allait dominer la vie politique de l'Allemagne jusqu'aux élections et les divergences qu'elle allait provoquer marquer à long terme de leur empreinte l'ensemble du mouvement communiste allemand.

X. La crise du mouvement socialiste[modifier le wikicode]

La sévérité du jugement formulé par Rosa Luxemburg sur l'activité du conseil exécutif de Berlin laisse l'historien sur sa faim : il est impossible, du point de vue des révolutionnaires, de faire porter à Richard Müller et à ses amis l'exclusive responsabilité de cette défaite. L'impuissance des radicaux dans l'exécutif, l'incapacité de cet « organe de pouvoir », tel qu'elle le définit à dépasser l'activité purement propagandiste, ne sont pas et ne peuvent pas être le fait des seuls élus des conseils berlinois. Les mêmes traits se retrouvent dans l'activité des autres groupes révolutionnaires, et la faiblesse de la représentation des partisans du pouvoir des conseils au congrès même des conseils prouve, et le déclin de leur influence initiale incontestable, et leur inaptitude, en cette période décisive, à pénétrer au cœur du mouvement des masses.

Spartakus dans le Parti indépendant[modifier le wikicode]

Pour les spartakistes, le problème n'est pas nouveau. On se souvient de la lutte politique menée par Rosa Luxemburg en 1916 contre les membres de son groupe qui aspiraient à créer une organisation autonome, de ses efforts pour empêcher la constitution de ce qu'elle appelait par avance une « secte », coupée des larges masses organisées au sein du parti social-démocrate. On se souvient qu'en 1917 les révolutionnaires s'étaient divisés sur l'attitude à adopter à l'égard du parti social-démocrate indépendant : tandis que le gros des spartakistes, malgré la résistance des Wurtembergeois, entrait dans le nouveau parti, les radicaux de gauche de Brême, Hambourg et Berlin refusaient de s'y intégrer.

A la veille de la révolution, au cours de l'été 1918, ces divergences avaient semblé s'estomper. A beaucoup de militants, l'expérience de l'entrée dans le parti indépendant apparaissait beaucoup moins positive après la prise de position de Kautsky, théoricien de ce parti, pour la « démocratie » et contre le « bolchevisme ». Franz Mehring, nous l'avons vu, avait écrit que cette entrée avait été une erreur et, avec le retour de Paul Levi, gagné en Suisse au bolchevisme et proche des militants de Brême, les perspectives de la fondation d'un parti révolutionnaire indépendant se précisent. La conférence commune d'octobre semble annoncer une fusion qui se produirait après la rupture désormais inévitable entre Spartakus et le parti indépendant.

Or les événements ne répondent pas à cette attente. A sa libération, Liebknecht accepte d'apparaître comme un des porte-drapeau des indépendants et de prendre part aux réunions de leur exécutif. La raison de son attitude est simple : il considère que les spartakistes n'ont pas de quoi constituer une force d'intervention dans les entreprises - terrain où se livre le combat décisif. C'est pourquoi il choisit de s'intégrer, avec Pieck, dans le noyau qui constitue la direction de fait de la classe ouvrière berlinoise, celui des délégués révolutionnaires, en majorité membres du parti indépendant. C'est parmi eux, moins auprès de Richard Müller et de Däumig que chez les Wegmann, Eckert, Neuendorf, Nowakowski, qu'il cherche un levier pour agir au sein des masses : la sympathie de ces hommes pour la révolution russe et pour le programme révolutionnaire est notoire.

Le 10 novembre, muni d'un ordre de l'exécutif des conseils berlinois signé de Richard Müller et von Beerfelde, un groupe de militants spartakistes armés, sous la direction de Hermann Duncker, s'empare de l'imprimerie du grand quotidien Berliner Lokalanzeiger[723]. Rosa Luxemburg, qui arrive à Berlin peu après, critique vivement cette initiative : la publication d'un quotidien suppose des forces dont le groupe ne dispose pas, et une orientation qu'elle n'approuve pas[724]. Le 11 au soir, à l'hôtel Excelsior, les responsables spartakistes présents à Berlin improvisent une conférence et se tracent un programme[725]. La lettre de Jogiches à Thalheimer[726] permet de connaître leur analyse dans cet instant. Pour eux, la révolution n'a pas jusqu'à maintenant dépassé le niveau d'une mutinerie de militaires : entreprise par les soldats las d'être soldats, sur des revendications de soldats, elle a été menée essentiellement par eux et a laissé au second plan le « contenu social ». Il est certes utile qu'elle ait ainsi contribué à briser en l'armée le fer de lance de la contre-révolution ; mais celle-ci dispose, avec les « socialistes de gouvernement », d'un atout d'autant plus important que ces derniers conservent la confiance d'une fraction non négligeable de la classe ouvrière. Le rôle des révolutionnaires est d'éclairer les masses par leur action et leur propagande, de les aider à faire consciemment l'expérience du rôle réel de la social-démocratie en les poussant dans des luttes - en particulier les grèves - à caractère économique sur les questions brûlantes du ravitaillement, du chômage et du « véritable chaos économique qui est la conséquence nécessaire de la guerre ». Toute collaboration avec les social-démocrates majoritaires ne ferait que rendre plus difficile l'expérience des masses :

« D'un mot, historiquement parlant, le moment où nous aurons à prendre la tête ne se situe pas au début, mais à la fin de la révolution. »[727]

C'est sur la base de cette analyse que Rosa Luxemburg défend également le point de vue selon lequel les spartakistes doivent rester le plus longtemps possible dans le parti indépendant afin d'y recruter d'abord des sympathies et des militants, mais avec l'objectif d'y conquérir la majorité. Son opinion prévaut : le groupe, devenu Ligue Spartakus, demeure groupe de propagande à l'intérieur du parti social-démocrate indépendant.

Il se donne pourtant un embryon d'organisation et élabore un plan de travail[728]. Une centrale (Zentrale) est désignée, comprenant Liebknecht, Rosa Luxemburg, Mehring, Jogiches, Ernst Meyer, Hermann et Käthe Duncker, Wilhelm Pieck, Paul Levi, Paul Lange, plus Thalheimer qu'on va faire venir de Stuttgart et Eberlein qu'on rappelle de Dantzig. Liebknecht, Rosa Luxemburg, Thalheimer, Levi, Lange, renforcés par Fritz Rück, qu'on va également chercher a Stuttgart, se voient confier la direction de Die Rote Fahne. Jogiches est chargé des questions d'organisation, Eberlein des questions financières, Wilhelm Pieck de la responsabilité de la création de la Ligue à Berlin. Les Duncker reçoivent la responsabilité du travail dans la jeunesse, Karl Schulz doit organiser la propagande parmi les soldats. Ernst Meyer enfin prend la direction d'un bureau de presse. Dans le plan tracé par Rosa Luxemburg, il est en effet prévu de mettre sur pied toute une série de publications, une revue théorique, des périodiques spécialisés pour les jeunes et pour les femmes, une feuille d'agitation parmi les soldats et un bulletin de correspondance de presse[729].

Rien de tout cela ne sera réalisé aux dates prévues. Les jours suivants, les forces du groupe sont entièrement engagées dans la bataille pour la défense de Die Rote Fahne quotidien. Les propriétaires du Lokalanzeiger ont porté plainte, l'exécutif des conseils berlinois a reculé, von Beerfelde a démissionné, et les spartakistes ont dû abandonner l'imprimerie[730]. Die Rote Fahne ne reparaîtra que le 18 novembre, fabriquée dans une imprimerie qui coûte cher. L'impression et la vente de « cartes d'agitation » à 50 pfennig[731] - car il n'y a pas de cotisation - est loin de fournir les ressources nécessaires. Pendant la première semaine d'existence et d'activité des conseils d'ouvriers et de soldats dans le pays, il n'y a pas eu en fait de propagande spartakiste à une grande échelle. Liebknecht exprimait pourtant l'opinion de la centrale sur l'ampleur de la tâche qui attendait les révolutionnaires quand il écrivait le 20 novembre, au sujet des conseils :

« Souvent les travailleurs élus ne sont qu'imparfaitement éclairés, n'ont qu'une faible conscience de classe, sont même hésitants, irrésolus, sans énergie, si bien qu'ils (les conseils) n'ont presque aucun caractère révolutionnaire, ou que leur lutte politique contre les facteurs de l'ancien régime est à peine visible. »[732]

Masses et partis[modifier le wikicode]

C'est par un processus complexe et qui, surtout, n'a rien de linéaire, que s'effectuent pendant les périodes révolutionnaires les changements d'orientation des larges masses, sans cesse accrues de centaines de milliers d'individus qui s'éveillent à la vie politique : leur expérience, qui se concentre parfois en quelques semaines seulement, exige de la part des organisations politiques qui aspirent à les utiliser des réflexes rapides, et surtout une grande clarté dans l'analyse. Or, dans l'Allemagne de 1918, les positions des partis ouvriers, et celles des courants qui s'affrontent dans leur sein, contribuent plutôt à accroître la confusion.

En principe, deux organisations politiques ouvrières se réclamant du socialisme s'offrent en novembre et décembre aux travailleurs allemands : le vieux parti social-démocrate qu'on continue à appeler « majoritaire », même là où il ne l'est plus, et le parti social-démocrate indépendant. Tous deux sont au gouvernement, tous deux sont au conseil exécutif, tous deux se réclament et du socialisme et de la révolution de novembre qui les a portés au pouvoir. Les divergences entre eux ne sont pas au premier coup d'œil éclatantes : presque toutes les décisions du cabinet sont prises à l'unanimité, et Freiheit tient, à quelques nuances près, un langage très proche de celui du Vorwärts.

La situation se complique en revanche dès qu'on ne se contente plus des prises de position officielles, dès qu'on examine les tendances réelles à l'intérieur de ces partis et surtout les différences de comportement de tels ou tels de leurs représentants dans la pratique. A l'intérieur du parti indépendant, il y a d'abord la Ligue spartakiste qui a son propre quotidien et sa politique : dès le 10 novembre, le refus de Liebknecht d'entrer dans le gouvernement Ebert-Scheidemann-Haase a fait de facto de Spartakus une troisième direction, une opposition en tout cas formelle à la ligne suivie par les deux autres. En réalité, les tendances sont plus nombreuses encore. Il faut en effet distinguer, à l'intérieur du parti social-démocrate, à côté d'une droite authentique, celle d'Ebert-Scheidemann, alliée en fait à l'état-major et qui lutte consciemment pour la liquidation des conseils, l'avènement d'une république bourgeoise et un rapprochement avec l'Entente contre le « bolchevisme », une gauche, certes inorganisée, mais formée de nombreux membres du parti social-démocrate pour qui une telle alliance, s'ils en connaissaient l'existence, serait inconcevable, et qui croient de bonne foi aux perspectives socialistes pacifiques que développent des gens comme Cohen Reuss : elle se manifestera avec plus de vigueur au cours des semaines suivantes dans l'hostilité affichée par de nombreux militants et même des responsables à une politique plus marquée encore de la droite, le rapprochement entre Noske et les corps francs[733].

A l'intérieur du parti social-démocrate indépendant, la « droite », formée essentiellement du noyau dirigeant et dont les porte-parole sont Haase et Dittmann, est en réalité très proche de la « gauche » social-démocrate : elle désire réellement une démocratie parlementaire, mais rêve de la concilier avec l'existence institutionnalisée de conseils ouvriers détenant « une partie » du pouvoir. De même que la gauche social-démocrate, elle couvre la politique d'Ebert et de la droite, tout en marquant de temps en temps ses distances et en la contestant vigoureusement, au moins en paroles, sur des points de détail, comme la date des élections ou les rapports avec l'état-major. La gauche des indépendants, avec Däumig, Ledebour, et le cercle des délégués révolutionnaires autour de Richard Müller, n'a pas, certes, à l'égard du conseil des commissaires du peuple ou de l'exécutif berlinois l'attitude intransigeante d'un Liebknecht, mais elle maintient les positions révolutionnaires d'avant guerre du radicalisme, et y ajoute la revendication du pouvoir des conseils comme perspective concrète, ce qui la pousse évidemment dans le camp des défenseurs inconditionnels de la révolution russe et de ses émules.

Les dirigeants de Spartakus sont d'accord avec la gauche indépendante pour une lutte acharnée contre la droite dans le parti, pour le renforcement des pouvoirs des conseils et centre la perspective de convocation de l'Assemblée nationale. Mais ils ne sont pas attachés autant qu'elle au militantisme à l'intérieur des syndicats traditionnels, auxquels d'ailleurs nombre des militants tournent le dos. Enfin, s'ils envisagent de participer aux élections au cas où elles leur seraient imposées, ils n'ont pas, sur ce point, l'assentiment de la majorité des militants de la Ligue. Dans les rangs de Spartakus, en effet, comme dans les rangs des organisations révolutionnaires qui se rattachent aux I.K.D., se manifeste de plus en plus la tendance qu'Arthur Rosenberg appelle le « courant utopiste » - et que nous préférons appeler « gauchiste » -, tendance qui rejette en bloc tout travail commun avec les « social-traîtres » et leurs complices - une notion très extensive - et pense finalement que le pouvoir politique est à portée des fusils des travailleurs en armes dans un délai de quelques semaines au plus.

On peut déplorer, avec Arthur Rosenberg, que le mouvement ouvrier allemand n'ait pu rompre suffisamment vite avec les formes d'organisation des partis et tendances héritées du temps de guerre ni se restructurer en fonction des divergences réelles. L'aile « démocratique » de Haase et Dittmann aurait peut-être pu constituer un contrepoids efficace à la droite d'Ebert au sein d'un parti social-démocrate réformiste, et une « social-démocratie révolutionnaire », allant de Ledebour aux gauchistes en passant par Liebknecht, aurait pu coordonner au moins dans une certaine mesure les efforts d'organisation et les combats des partisans du pouvoir des conseils. Mais c'est un fait que les éléments révolutionnaires n'avaient pas su provoquer cette clarification quand il en était encore temps.

Au lendemain de la révolution de novembre, en tout cas, une partie importante de ce qui avait constitué l'avant-garde ouvrière s'était détournée du vieux parti, et les cadres organisateurs de la classe avaient souvent rallié le parti social-démocrate indépendant. C'est vrai dans nombre de grands centres industriels où c'est ce dernier parti qui exerce l'influence prédominante sur les ouvriers des grandes entreprises. Les rancunes nées des conflits politiques pendant la guerre, le souvenir de la politique de soutien de l'état-major conduite par le parti social-démocrate contre sa propre opposition - celui de la saisie du Vorwärts, par exemple - rendent impossible, aux yeux des ouvriers, une réunification à laquelle leurs dirigeants, placés devant la perspective d'une révolution de type soviétique dont ils ne veulent pas, songent, eux de plus en plus, sans oser pourtant le formuler ouvertement. La grande majorité de cadres ouvriers se trouvent ainsi prisonniers, pour ainsi dire, du parti de Haase dont la politique ne diffère guère de celle d'Ebert, mais qui est aussi, au moins formellement le parti de Liebknecht et Rosa Luxemburg.

En revanche, des millions d'individus, ouvriers demeurés jusqu'alors à l'écart de l'action politique, soldats démobilisés, petits bourgeois durement secoués par la guerre et la défaite, jeunes gens de toutes origines sociales, qui aspirent à une rapide amélioration de leurs conditions de vie ainsi qu'à une réorganisation démocratique du pays, se tournent vers le parti social-démocrate, qui incarne la révolution aux yeux des masses les plus larges, puisque c'est lui qu'elle a porté au pouvoir et qui leur promet non seulement la paix, la démocratie et le socialisme pour demain, mais encore d'y parvenir sans nouvelles souffrances, sans révolution ni guerre civile. L'apparent ralliement des partis et des forces bourgeoises au programme formulé par le parti social-démocrate, l'ambiance de fraternité qu'engendrent tant de déclarations officielles, créent un climat d'assurance, d'unité et presque d'unanimité. Pour ces larges couches aspirant à un socialisme qu'elles souhaitent démocratique, les révolutionnaires apparaissent comme des fauteurs de trouble. A leurs yeux, c'est eux seulement qui, par leurs clameurs, leurs violences et leurs « excès », par leurs invectives et les accusations de « trahison » qu'ils lancent contre les chefs, mettent en péril l'unité nécessaire à la consolidation de la révolution et affaiblissent la révolution elle-même Comme ils l'ont fait en novembre pour les délégués des soldats, les social-démocrates majoritaires utilisent à fond contre les spartakistes, que leur propagande présente comme des «diviseurs » ce désir d'unité des masses peu politisées, inexpérimentées, qu'ils encadrent et organisent.

Avant-garde ou minorité agissante[modifier le wikicode]

La minorité révolutionnaire se radicalise, elle, d'autant plus qu'elle a le sentiment de courir le risque de s'engluer dans une unanimité mortelle. Une partie se regroupe autour de Spartakus, même si le processus de sa formation est parfaitement spontané : des éléments ouvriers que la toute-puissance de la bureaucratie social-démocrate ou syndicale a rendus réfractaires à toute forme d'organisation, des militants pacifistes qui voient dans les « socialistes de l'état-major » l'ennemi numéro un, des jeunes gens qui ne croient qu'en la force des armes, toute une couche de révoltés, de rebelles, de combattants, de puristes, qui voient dans les appareils bureaucratiques le principal obstacle à la victoire de la révolution. Ils sont fascinés par la révolution russe : la longue expérience des bolcheviks, qu'ils connaissent mal, se résume pour eux à la seule insurrection armée, au seul emploi de la violence révolutionnaire conçue comme une panacée face à la violence impérialiste et militariste. Paul Levi tentera plus tard d'expliquer aux délégués des différents partis du monde réunis à Moscou pour le II° congrès de l'Internationale à partir de quoi s'était formée la Ligue spartakiste :

« des groupes qui, au cours du développement révolutionnaire, se sont formés d'eux-mêmes dans toutes les régions de l'Allemagne, la plupart du temps sans idées politiques claires, le plus souvent attirés par le nom de Karl Liebknecht (...), des groupes de gens qui n'étaient pas organisés auparavant sur le plan politique. »[734]

Le danger qui menace Spartakus est dans cet isolement qui risque de lui être imposé tant par l'effort des grands partis qui le redoutent que par les résultats des initiatives de ses propres troupes, et en particulier de ceux qui en forment le fer de lance, des éléments coupés non seulement des organisations de masse, mais de la classe ouvrière elle-même et de ses traditions, des jeunes gens impatients et inexpérimentés, convaincus que la mission qui leur incombe n'est pas celle d'une avant-garde, dont le rôle serait d'expliquer patiemment, mais celle d'une minorité agissante.

Rosa Luxemburg a conscience que, comme l'écrivait Jogiches à Thalheimer au lendemain du 9 novembre, il faut transformer la révolte en révolution sociale, mais que cela signifie l'entrée en lice de la classe ouvrière et de ses couches les plus profondes à partir de ses propres revendications de classe. C'est pourquoi elle salue avec espoir et même avec enthousiasme le début d'une action des ouvriers sur leurs revendications économiques, laquelle se manifeste à travers les grèves qui éclatent un peu partout à la fin du mois de novembre :

« La guerre civile, qu'on cherche avec angoisse et inquiétude à écarter de la révolution, ne se laisse pas écarter. Car la guerre civile n'est qu'un autre nom pour la lutte de classes, et l'idée qu'on pourrait parvenir au socialisme par les décrets d'une majorité parlementaire n'est qu'une ridicule illusion petite-bourgeoise. »[735]

L'action de classe des ouvriers pour leurs revendications économiques de salariés du capital est en effet l'une des voies par lesquelles les travailleurs peuvent être le plus rapidement conduits à perdre les illusions qu'ils nourrissent à l'égard des partis au pouvoir en leur nom. Le gouvernement des commissaires du peuple redoute effectivement les revendications ouvrières et s'emploie à prévenir les grèves : Barth lui-même, chargé des questions du travail dans le cabinet, exhorte les ouvriers à ne pas « rabaisser la révolution à un mouvement pour les salaires »[736].

Dans cette perspective, la lutte des révolutionnaires pour l'influence au sein des syndicats revêt une extrême importance : l'emprise des éléments les plus conservateurs, les plus contre-révolutionnaires du mouvement social-démocrate, est très solide sur l'appareil syndical, et elle se renforce encore du fait de l'adhésion récente de millions d'ouvriers faiblement politisés mais intéressés au premier chef par la défense de leurs conditions matérielles. Confondant les organisations et leurs directions, la majorité des militants spartakistes et des révolutionnaires des I.K.D. condamnent avec haine et mépris « les syndicats » comme des agences de la bourgeoisie ou des formes d'organisation périmées, et appellent les travailleurs conscients à s'organiser en dehors d'eux. Face aux mots d'ordre de sortie des syndicats que lancent, ici ou là, des groupes locaux, le vieux noyau spartakiste de la centrale hésite à se prononcer, tout en concédant qu'il est nécessaire de « liquider les syndicats ». Ces hésitations lui coûteront cher : c'est par le canal des syndicats - que nombre de militants révolutionnaires ne cherchent plus à lui disputer de l'intérieur - que le parti social-démocrate entreprend la conquête de couches ouvrières nouvelles, et la reconquête de la majorité.

La rupture de Spartakus avec les indépendants[modifier le wikicode]

La lutte entre les deux pouvoirs trace une ligne de clivage fondamentale entre les tenants du pouvoir des conseils et les partisans d'une assemblée, ligne qui va bientôt passer au coeur même du parti social-démocrate indépendant, malgré les efforts de ses dirigeants pour temporiser. Le 18 novembre, au cirque Busch, Haase s'est prononcé pour le principe de la Constituante, mais a insisté sur la nécessité d'éviter de la convoquer prématurément[737]. Hilferding, dans les colonnes de Freiheit, explique qu'il est nécessaire de réaliser la démocratisation de l'administration et la socialisation de l'économie avant de convoquer l'Assemblée[738]. Le 27 novembre, l'exécutif indépendant publie une déclaration dans laquelle il affirme que la Constituante ne devra être convoquée que « si les conditions techniques et politiques en sont remplies, si, en elle, s'exprime authentiquement la volonté du peuple éclairé »[739].

Rosa Luxemburg, dans les colonnes de Die Rote Fahne du 29 novembre, après avoir soumis à une critique serrée la position du parti, affirme la nécessité d'une totale clarification et réclame la convocation d'un congrès extraordinaire, seul habilité, selon elle, à trancher sur cette question capitale[740]. Le conflit interne, dès lors, absorbe presque toute l'attention et les forces des militants du parti indépendant. La capitulation finale de Haase et de ses collègues devant Ebert, à propos de la fixation de la date des élections au 16 février, donne un relief nouveau aux discussions antérieures. Elle renforce la position des partisans d'un congrès extraordinaire, mais place le dos au mur ceux qui n'en veulent désormais à aucun prix, puisque sa seule convocation serait pour eux un désaveu. Cette convocation signifierait le tournant à gauche, l'élimination de la direction Haase. Die Rote Fahne concentre le feu de sa critique contre la direction du parti indépendant et s'efforce de mobiliser les militants afin qu'ils imposent le congrès : les spartakistes pourraient en effet en prendre la direction, au cours d'une bataille où ils sont à même de rassembler toutes les forces de la gauche du parti. La direction maintient son refus en invoquant desarguments techniques, qui sont en réalité l'expression d'un choix politique : selon elle, la convocation du congrès empêcherait la préparation sérieuse de la campagne électorale - les spartakistes sont accusés de saboter l'action du parti.

Très vite le sentiment s'impose qu'on va à la scission, presque par consentement mutuel. Le 8 décembre, Ströbel, dans Freiheit, le 12, Breitscheid dans Der Sozialist, déclarent insurmontables les divergences entre les deux ailes du parti. Le 12 décembre, l'assemblée générale du parti social-démocrate indépendant de Stuttgart se prononce pour la réélection des conseils d'ouvriers et de soldats et pour le pouvoir des conseils[741]. Berlin donne aux spartakistes plus d'espérance encore, leurs militants travaillent en étroite communion avec les délégués révolutionnaires et, à plusieurs reprises, les travailleurs des grandes entreprises, par milliers, ont soutenu meetings et manifestations spartakistes, acclamé leurs orateurs, Liebknecht, Paul Levi, Pieck. Le 14 décembre, c'est presque une déclaration de guerre civile dans le parti indépendant : die Rote Fahne publie un projet de programme : « Que veut la ligue Spartakus ? », œuvre commune de Levi et Rosa Luxemburg[742], cependant que Freiheit, sous le titre « Une Tactique allemande pour la révolution allemande », attaque bolcheviks et spartakistes et fait de la convocation de la Constituante la tâche révolutionnaire du moment[743].

Le 15 décembre, à la veille de la réunion du congrès des conseils, se tient la conférence berlinoise du parti social-démocrate indépendant appelée à se prononcer sur la proposition de congrès extraordinaire. Le débat porte sur l'ensemble des problèmes politiques. Haase, au nom de l'exécutif, défend la politique de collaboration avec Ebert-Scheidemann, justifie la décision gouvernementale sur la convocation de la Constituante. Il invite les délégués à prendre conscience du fait que la majorité du pays s'est aujourd'hui rangée derrière Ebert, et qu'il faut jouer le jeu de la démocratie afin de construire un ordre social nouveau où les conseils auront leur place dans la Constitution aux côtés d'une assemblée élue au suffrage universel. Les propositions des spartakistes ne sont selon lui qu'une transposition caricaturale des mots d'ordre lancés par les bolcheviks en Russie, alors que la situation est profondément différente, d'abord parce que l'Allemagne est un pays avancé, ensuite parce que la situation internationale exige l'élection en Allemagne d'une assemblée représentative. Il accuse les spartakistes d'apporter par leurs campagnes de l'eau au moulin des contre-révolutionnaires, qui les utilisent pour effrayer la petite bourgeoisie en brandissant le spectre de la dictature et de la terreur. Il invite les partisans de Spartakus à tirer les conclusions qui s'imposent de leurs divergences avec le reste du parti, et à quitter une organisation où ils n'ont plus leur place[744].

Rosa Luxemburg présente le contre-rapport, violent réquisitoire contre l'action du gouvernement Ebert. Selon elle, Haase n'a pas tort lorsqu'il explique que les masses sont derrière Ebert. Mais, ce qu'il ne dit pas, c'est qu'elles y sont, entre autres raisons, parce que les indépendants le soutiennent et parce que Haase fait partie de ce gouvernement. Que Haase et ses camarades rompent avec Ebert, quittent le gouvernement, et les masses pourront sans doute commencer à voir plus clair et comprendre quelles forces se dissimulent - de plus en plus mal, d'ailleurs - derrière Ebert. Ironisant sur la profession de foi démocratique de Haase, Rosa Luxemburg déclare :

« S'il s'agit du principe de la démocratie, alors, d'abord dans notre propre parti ! Et d'abord convoquer le congrès, afin que les masses disent si elles veulent encore de ce gouvernement ! »[745]

Liebknecht et Eberlein interviennent pour la soutenir, Hilferding et Ströbel défendent la position de Haase. Au vote final, une résolution Hilferding, précisant que la tâche principale du parti est la préparation des élections, s'oppose à la résolution Luxemburg pour un congrès extraordinaire. La première l'emporte par 485 voix contre 185[746]. La gauche est donc battue dans ce qu'elle considérait comme son bastion. Freiheit va titrer : « Enfin, la clarté ! ». Les principaux journaux indépendants saluent l'événement.

Le parti indépendant a pratiquement éclaté. Haase, Dittmann, Hilferding, sont aux côtés d'Ebert. Avec les révolutionnaires berlinois du cercle des délégués agissent les délégués indépendants de province, Brass, Curt Geyer, Wilhelm Koenen, dont une quarantaine accepte de se réunir en « fraction » autour de Liebknecht le premier jour[747]. Dans presque tous les votes, la fraction du parti social-démocrate indépendant se coupe en deux parties sensiblement égales. En fin de congrès, la décision de boycotter le conseil exécutif, emportée par Richard Müller, crée une situation intenable pour les ministres indépendants.

Le 21, les délégués révolutionnaires se réunissent avec les hommes de confiance des grandes entreprises de la capitale. L'assemblée, à la quasi-unanimité, réclame la tenue d'un congrès extraordinaire avant la fin de décembre, la démission de Haase et de ses collègues du gouvernement, l'organisation d'une campagne électorale antiparlementaire. Elle condamne expressément la politique de Barth au sein du cabinet ; elle déclare qu'elle lui retire sa confiance et lui dénie désormais le droit de la représenter[748]. C'est vraisemblablement au cours de cette même réunion que les délégués révolutionnaires élisent un comité d'action de cinq membres où, sous la présidence de Paul Scholze, cohabitent les indépendants de gauche Ledebour et Däumig et les spartakistes Liebknecht et Pieck[749]. Le problème à l'ordre du jour est évidemment la naissance d'un nouveau parti, reposant à la fois sur Spartakus et les délégués révolutionnaires en entraînant de nombreux éléments des indépendants.

Déjà, à la manifestation du 16 décembre devant le Reichstag, le métallo Richard Nowakowski, un des plus influents des délégués révolutionnaires, avait salué les manifestants « au nom du parti social-démocrate indépendant et de la Ligue Spartakus »[750]. Au moment où se pose pour eux le problème de quitter définitivement le parti indépendant, et de fonder un nouveau parti, les spartakistes peuvent raisonnablement espérer entraîner avec eux le noyau dirigeant des délégués révolutionnaires, et, par lui, l'avant-garde du prolétariat berlinois, les dirigeants et organisateurs de la classe ouvrière dans les usines. Ils pressent le rythme ; le 22 décembre, Wilhelm Pieck, au nom de la Ligue, écrit au parti social-démocrate indépendant pour lui demander la convocation sous trois jours d'un congrès qui se tiendrait avant la fin du mois[751]. Comme la réponse est connue d'avance, c'est le problème de la construction d'un parti révolutionnaire qui est enfin posé, moins de deux mois après le début de la révolution.

Des tendances convergentes et contradictoires[modifier le wikicode]

Aux yeux de la bourgeoisie, ce parti existe déjà. La presse englobe sous l'étiquette « spartakiste » l'ensemble des groupes extrémistes et n'opère guère de distinctions entre ces gens qu'elle s'efforce de présenter sous les traits de « l'homme au couteau entre les dents ». En fait, ni la révolution russe ni la révolution de novembre n'ont réussi à rapprocher complètement les groupes qui se sont opposés avant et surtout pendant la guerre sur la façon de préparer et de mener à bien la révolution prolétarienne en Allemagne.

Les « radicaux de gauche » - les gens de Brême et le groupe désigné sous ce nom à Berlin - ont marqué une tendance à l'unification. Une conférence réunie à Brême le 23 novembre décide la fondation d'une organisation nouvelle ; les « communistes internationaux d'Allemagne » (I.K.D.)[752]. Localement influents, notamment sur les chantiers et parmi les travailleurs des ports, ils ont toujours été hostiles à l'adhésion des révolutionnaires au parti social-démocrate indépendant et estiment avoir reçu des événements une confirmation éclatante : leur principal adversaire de Brême, Alfred Henke n'est-il pas le plus solide soutien de Haase dans le grand port, donc l'avocat du gouvernement ? Ils sont conscients en revanche qu'ils n'ont pas, à l'échelle de l'Allemagne, les forces suffisantes pour constituer à eux seuls même l'embryon d'un nouveau parti révolutionnaire.

Comme en 1917, ils ont à l'égard de Spartakus une attitude de soutien critique et s'affirment décidés à appuyer toute initiative de sa part dans le sens d'une organisation indépendante des révolutionnaires par la rupture définitive avec les centristes[753]. C'est à l'unanimité, et après un rapport de Johann Knief, qu'ils prennent l'étiquette de « communistes », montrant ainsi à la fois leur attachement à la révolution russe et leur détermination de « jeter la chemise sale », de rompre avec le passé et les étiquettes discréditées. Ils luttent pour l'élargissement, l'approfondissement du pouvoir des conseils, et pour fédérer les groupes communistes allemands. Les radicaux de gauche de Hambourg, leurs voisins, si proches d'eux politiquement que les historiens les ont souvent confondus, rejoignent à ce moment les I.K.D., de même que les restes berlinois du groupe de Borchardt, qu'anime le jeune écrivain Werner Möller.

De son côté, Spartakus s'organise progressivement. La Ligue possède un embryon d'appareil depuis le 11 novembre, des publications, des bureaux, qu'il faudra plusieurs fois déménager, des cartes qu'elle vend. En dehors de Berlin, elle a des liaisons avec presque tous les centres importants, en Bavière, à Brunswick, à Chemnitz, Dresde, Leipzig, dans la Ruhr, la Haute-Silésie, la Prusse orientale, Stuttgart, la Thuringe, Hanau, dans la Ruhr, où vient de se constituer le « parti ouvrier communiste d'Essen-Ruhr (membres de la Ligue Spartakus) », régions qui correspondent à son implantation d'avant la révolution[754]. Depuis novembre, elle a établi de nouveaux contacts et créé des groupes à Beuthen, Brandebourg, Erfurt, Francfort-sur-le-Main, Kiel, Munich, Nuremberg, Solingen[755]. Elle demeure pourtant sur le plan de l'organisation ce qu'était le « groupe », c'est-à-dire un réseau assez lâche autour d'un petit noyau de têtes politiques. Nulle part les spartakistes ne constituent de fraction organisée, nulle part ils n'entreprennent de travail systématique pour construire leur fraction ou même une tendance organisée, soit dans les conseils ouvriers[756], soit au sein du parti social-démocrate indépendant, où leur travail repose à la fois sur la propagande de Die Rote Fahne et le prestige et l'activité de ses militants les plus en vue. En revanche, fidèle à sa conception de l'agitation révolutionnaire et de la mise en mouvement des masses, la Ligue s'efforce de mobiliser de larges couches de travailleurs dont elle veut éclairer et inspirer l'action spontanée, et elle multiplie à cet effet meetings et manifestations de masses.

Pour contrebalancer l'influence quasi exclusive des majoritaires sur les soldats et leurs conseils elle a fondé le 15 novembre la Ligue des soldats rouges, à l'initiative d'un groupe de ses militants jusqu'alors spécialisés dans le travail chez les jeunes, Karl Schulz, Peter Maslowski, Willi Budich[757]. Celle-ci publie trois fois par semaine une feuille spéciale, Der Rote Soldat[758]. Liebknecht, agitateur infatigable, prend la parole partout où les idées révolutionnaires peuvent rencontrer un écho. Des colonnes entières du mince Die Rote Fahne sont consacrées à des convocations, des appels, pour des réunions, meetings, manifestations, défilés de soldats, chômeurs, déserteurs, permissionnaires. Or ces manifestations, que le noyau spartakiste n'a pas la force ni sans doute le désir de contrôler, sont souvent l'occasion, pour les éléments douteux qu'elles entraînent, de violences ou d'incidents inutiles et même nuisibles. Les responsables comprennent le péril que constitue, pour l'image qu'ils veulent donner de leur mouvement, le zèle intempestif de ces éléments souvent étrangers au prolétariat industriel qui se réclament du spartakisme. Dans Die Rote Fahne, Rosa Luxemburg admet le danger que créent les initiatives des déclassés qui sont légion dans la capitale :

« Ils défigurent en pleine conscience et en sachant très bien ce qu'ils font nos buts socialistes, et cherchent à les dévoyer dans une aventure de lumpen-prolétaires en égarant les masses. »[759]

Les communistes de l'I.K.D. manifestent également leur inquiétude devant les initiatives qu'ils tiennent pour de « l'impatience révolutionnaire », et affirment qu'il ne saurait être question de songer à remplacer le gouvernement Ebert par un gouvernement de révolutionnaires qui ne reposerait pas solidement sur une majorité dans les conseils[760].

Ces inquiétudes ne renverseront pas le courant. D'abord, l'écho que trouvent les manifestations spartakistes, le grand nombre d'hommes qu'elles entraînent, donnent aux dirigeants comme aux participants le sentiment erroné de leur puissance. Liebknecht peut avoir l'impression qu'il est, par les foules qui l'acclament, le maître de la rue, alors que, faute d'une organisation authentique, il n'est même pas maître de ses propres troupes, surtout quand elles se grisent de leur masse et de leurs cris. A ces hommes impatients et durs qui sortent de la guerre, il n'est pas question de faire des conférences ni des cours de « théorie » : il faut des mots d'ordre clairs, précis, enthousiasmants, il faut de l'action. Aussi, dans tous les meetings spartakistes, les orateurs font-ils le procès du gouvernement Ebert, dénoncent-ils sa collusion avec la bourgeoisie, appellent-ils à son renversement. Les foules qui les écoutent se radicalisent, en quelque sorte, en vase clos, et leur volonté d'agir croît à mesure que décline l'influence des révolutionnaires dans les conseils, qu'elles sont finalement prêtes à balayer aussi s'ils ne les suivent pas.

Les social-démocrates et les chefs militaires exploitent cette situation en tentant systématiquement de provoquer des incidents qui leur permettent de dénoncer les spartakistes pour leurs « violences » devant la masse des travailleurs modérés. Le 21 novembre, après la tenue simultanée de trois meetings dans lesquels Liebknecht, Rosa Luxemburg et Paul Levi[761] ont pris la parole, les participants se concentrent pour une manifestation devant la préfecture de police : des militaires à bord d'une voiture ouvrent le feu[762]. Le 6 décembre, ce sont des hommes de Wels qui tirent sur une manifestation de la Ligue des soldats rouges, faisant quatorze morts et de nombreux blessés, dont Budich[763]. Après la manifestation de protestation du lendemain du 7 décembre, un groupe de militaires occupe la rédaction de Die Rote Fahne, arrête et tente d'emmener Liebknecht[764]. Les tracts spartakistes et Die Rote Fahne se déchaînent contre « Wels-le-sanglant » et les manifestants sont toujours plus nombreux et apparemment plus décidés : 150 000 le 8 décembre[765], plus de 250 000 le 16, jour de l'ouverture du congrès des conseils[766]. Ce jour-là, le discours de Paul Levi est un appel à la détermination, au sang-froid et au calme : si le congrès renonçait à sa mission historique et convoquait l'Assemblée constituante, les travailleurs attachés au pouvoir des conseils sauraient bien abattre ce régime comme ils ont abattu l'ancien[767]. Mais Liebknecht, après lui, déchaîne un tonnerre d'applaudissements quand il appelle à l'épuration des « nids de contre-révolutionnaires », au premier rang desquels il place le « gouvernement Ebert-Scheidemann »[768].

Quand éclatent, entre l'armée et les travailleurs berlinois, les incidents du « Noël sanglant »[769], ce sont des éléments spartakistes qui, de leur propre initiative, donnent l'assaut à l'immeuble du Vorwärts[770], où ils vont tirer, sous la signature Vorwärts rouge, des tracts appelant au renversement Ebert et à son remplacement par « de vrais socialistes, c'est-à-dire des communistes »[771], puis sous la signature « ouvriers et soldats révolutionnaires du Grand Berlin » adressent au gouvernement un véritable ultimatum[772]. De fait, pendant ces journées de décembre ou la capitale connaît une succession pratiquement ininterrompue de manifestations, de bagarres et d'émeutes, deux lignes politiques distinctes se dégagent de l'action des spartakistes. D'une part, Rosa Luxemburg développe, dans Die Rote Fahne, la position de la centrale, selon laquelle les classes dirigeantes regroupées derrière Ebert l'emportent provisoirement, ce qui signifie que les travailleurs vont avoir à livrer la bataille de la campagne électorale, en l'utilisant comme une tribune pour mobiliser les masses[773] ; d'autre part, la Ligue des soldats rouges, au lendemain des décisions du congrès des conseils, appelle à une lutte qui ne peut avoir d'autre signification que celle d'une action préventive contre les élections, par conséquent d'une lutte pour le renversement du gouvernement[774].

Rosa Luxemburg, avec Leo Jogiches et Paul Levi, qui partagent son point de vue sur la question de la Constituante, sont nettement minoritaires au sein de la Ligue Spartakus, où le courant gauchiste en faveur d'un boycottage des élections l'emporte de très loin, même si aucun vote ne permet encore de mesurer la force respective des courants. La situation est identique au sein des LK.D., où Johann Knief, qui se prononce pour la participation à une campagne désormais inévitable dans le cadre des élections, est sur le point d'être débordé par les partisans du boycottage, à la tête desquels se trouvent Paul Frölich et Félix Schmidt[775]. Et les mêmes divergences se retrouvent au sein du cercle des délégués révolutionnaires : c'est seulement par 26 voix contre 16 qu'il se prononcera quelques jours plus tard pour l'acceptation du fait accompli et, par conséquent, la participation aux élections sous la forme d'une lutte électorale antiélectoraliste[776].

C'est chez les représentants des usines qu'apparaît le plus nettement le souci d'éviter les aventures et les initiatives gauchistes. Le 26 décembre, une assemblée générale des délégués révolutionnaires et des hommes de confiance des grandes entreprises dresse le bilan des événements de Noël. Tout en affirmant qu'elle comprend la rancœur des ouvriers révolutionnaires qui ont voulu reprendre le Vorwärts volé aux prolétaires par les chefs militaires en 1916, la résolution adoptée déclare inopportune l'initiative des occupants du Vorwärts et se prononce pour l'évacuation de l'immeuble. Signée de Scholze, Nowakowski et Paul Weyer, elle est publiée dans Die Rote Fahne[777] : les divergences sont évidentes et publiques, et la question de l'attitude à l'égard des élections à la Constituante décidées par le congrès des conseils provoque dans le mouvement révolutionnaire de nouveaux clivages.

XI. La fondation du K.P.D.(S)[modifier le wikicode]

C'est dans cette atmosphère de confusion politique au sein de l'avant-garde révolutionnaire que s'élabore la fondation du parti communiste allemand. Ses préparatifs coïncident avec l'arrivée à Berlin de trois des délégués envoyés par Moscou pour représenter les soviets au congrès des conseils de Berlin : refoulés à la frontière, ils ont réussi à la passer clandestinement[778]. Ces hommes sont tous trois appelés à jouer un rôle dans le parti qui va naître. Le plus important est Karl Radek ; les deux autres, Krebs, dit aussi « Rakov » et « Félix Wolf », et Reuter-Friesland, ont été gagnés au bolchevisme en Russie même.

Le choix de ces émissaires n'est sans doute pas excellent. Félix Wolf ne connaît pas l'Allemagne. Friesland est lui aussi étranger au vieux noyau spartakiste et même au mouvement radical dont il était à l'écart avant guerre. Radek, en revanche, a été intimement lié à toute l'histoire de la gauche allemande, mais c'est précisément ce qui rend sa présence à certains égards peu opportune. Il est certes toujours lié aux communistes de Brême, mais il y a entre lui et Rosa Luxemburg et Jogiches une solide inimitié personnelle née des différends au sein de la social-démocratie polonaise, nourrie par l'« affaire Radek » à la veille de la guerre. Il a toutefois pour lui l'atout de ses liens avec Levi en Suisse pendant la guerre : c'est Levi qui aurait apaisé la colère de Rosa Luxemburg fulminant contre l'envoi d'un « commissaire »[779], c'est lui qui accueille, introduit et escorte Radek[780]. Et puis, surtout, il faut admettre que les envoyés de Moscou, quelles que soient leurs personnalités, ont pour eux d'être les hommes de confiance du parti bolchevique dirigeant de la révolution russe et que ce simple fait leur confère une autorité immense aux yeux des révolutionnaires allemands. Karl Radek a rédigé de sa rencontre avec les dirigeants allemands un récit vivant et ému[781] : à part une gêne dans les premiers instants, les souvenirs des querelles passées ne semblent pas peser d'un poids bien lourd en considération des tâches de l'heure et, après un échange de vues sur la situation en Russie - la présence de son ami Djerzinski à la tête de la tchéka surprend Rosa Luxemburg et sur les questions politiques allemandes du moment, la discussion porte sur l'attitude à prendre à l'égard de la convocation de la Constituante et sur la nécessaire fondation d'un parti communiste[782].

Pourparlers préliminaires[modifier le wikicode]

Dans l'immédiat, les principaux obstacles ne viennent pas des spartakistes, mais des « communistes » de l'I.K.D. Ces derniers n'ont pas oublié les désaccords de 1917 à propos des indépendants, ni surtout leur déception lorsque les spartakistes ont décidé en novembre dernier de demeurer au sein de ce parti. Malgré les décisions qui viennent d'être adoptées à la conférence des I.K.D., Johann Knief est hostile à la fusion avec Spartakus. Il s'en explique sans détours avec Radek qui a fait le voyage de Brême[783]. Il estime que le gouvernement Ebert-Haase ne va pas tarder à être débordé par le mouvement des masses, et que la variante la plus probable est l'établissement d'un gouvernement plus à gauche, Ledebour-Liebknecht-Luxemburg, né de ce qu'il appelle « l'impatience révolutionnaire », qui ferait courir le risque de discréditer les partisans des conseils et les véritables communistes. Il pense que l'heure des révolutionnaires véritables - lui et les siens - ne sonnera qu'après l'échec de ce gouvernement. En outre, s'il est partisan en Allemagne de la constitution d'un parti bolchevique, il juge impossible qu'un tel parti comprenne Rosa Luxemburg et ses partisans, qu'il estime étrangers à l'esprit du bolchevisme. Il explique en même temps à Radek que la révolution prolétarienne ne saurait vaincre en Allemagne que sur la base d'un large mouvement de masses et qu'on a tout à redouter du rigoureux centralisme qu'un Leo Jogiches ne manquerait pas d'instaurer dans un parti constitué avec les spartakistes. La discussion entre les deux hommes est dure, mais elle se termine par un compromis : plutôt que d'affronter en son vieil ami Radek le porte-parole des bolcheviks sur la question de la centralisation du parti révolutionnaire, Knief s'abstiendra d'intervenir et d'exposer sa position personnelle[784].

La deuxième conférence des I.K.D. se tient en définitive à Berlin du 15 au 17 décembre, avec des délégués de Brême et Hambourg, de Rhénanie, Saxe, Bavière, Wurtemberg et Berlin, les restes du groupe de Borchardt, moins son chef de file, les amis et partisans de Knief, Frölich, Laufenberg, Otto Rühle. La majorité des délégués admettent que la prochaine rupture des spartakistes avec les indépendants fait disparaître la principale divergence et l'obstacle essentiel à la constitution d'un parti unifié[785], Knief est intervenu pour proposer la participation des révolutionnaires à la campagne électorale pour la Constituante, mais il est mis en minorité. Il saisit alors cette occasion pour refuser d'être délégué au congrès de fusion, et c'est Paul Frölich, partisan du boycottage, qui reçoit le mandat de représenter les communistes de Brême dans la direction unifiée à élire[786]. Radek développe avec éloquence ses arguments en faveur d'une fusion qui n'a que trop tardé, selon lui[787]. Certaines questions fondamentales qui séparent spartakistes et communistes de Brême, comme celle des syndicats, ne paraissent pas avoir été abordées.

La direction spartakiste est d'ailleurs également divisée. Rosa Luxemburg et Leo Jogiches semblent avoir été initialement hostiles à la fusion avec les « communistes », et Jogiches l'avoir même combattue vigoureusement jusqu'au bout. Il pense en effet qu'il faut rester au sein du parti indépendant jusqu'à son prochain congrès, afin d'entraîner à cette occasion tous les éléments de la gauche qui risquent d'y demeurer si les spartakistes rompent prématurément. Clara Zetkin dira à ce sujet en 1921 :

« Peu de temps auparavant, je m'étais entretenue avec la camarade Luxemburg. Elle-même, et plus vigoureusement encore le camarade Jogiches, estimaient que c'était à partir du congrès du parti social-démocrate indépendant que nous devrions rompre avec lui et nous constituer en parti communiste. »[788]

Clara Zetkin n'est pas présente au congrès de fondation ; elle assure d'ailleurs n'avoir pas été prévenue qu'il allait se tenir[789]. Selon Fritz Heckert, elle se serait écriée en apprenant la décision prise : « Les imbéciles ! »[790]. Mais là encore, l'intervention de Radek, avec, derrière lui, le prestige des vainqueurs d'octobre 1917, est décisive, et Rosa Luxemburg se laisse convaincre de ne pas attendre le congrès indépendant pour rompre. Elle manifeste cependant d'importantes divergences en ce qui concerne l'étiquette à adopter pour le nouveau parti. Eberlein, dont le témoignage sur ce point est corroboré par celui de Levi, résume en ces termes sa position :

« Le parti communiste russe est encore le seul dans l'Internationale. Les partis de la II° Internationale vont le combattre sans merci. Le devoir des communistes est d'arracher les partis socialistes de l'Europe occidentale à la II° Internationale afin de fonder une nouvelle Internationale révolutionnaire. Le parti communiste russe n'y arrivera jamais à lui tout seul. Le fossé est profond entre lui et les partis socialistes d'Occident, surtout français, anglais et américain, à nous, révolutionnaires allemands, de constituer le trait d'union entre les révolutionnaires de l'est de l'Europe et les socialistes encore réformistes d'Occident ; c'est à nous de hâter la rupture de ces socialistes avec le réformisme. Nous nous acquitterons mieux de notre devoir en qualité de « parti socialiste ». Si nous nous présentons comme un « parti communiste », l'étroitesse de nos liens avec les Russes compliquera notre tâche en Occident. »[791]

Finalement, la centrale repousse par 4 voix contre 3 - Paul Levi s'abstenant - la proposition de Rosa Luxemburg d'appeler « socialiste » le nouveau parti[792]. Le 29 décembre 1918 - le jour même de la démission des indépendants du gouvernement Ebert -, la conférence de la Ligue Spartakus approuve, par 80 voix contre 3, la proposition de quitter le parti social-démocrate indépendant pour fonder un parti communiste[793]. L'unification de Spartakus et des I.K.D., la fondation du parti communiste allemand, sont acquises : il reste à savoir quels éléments indépendants de gauche le rallieront et surtout quelles positions il va prendre face aux problèmes qui se posent en cette fin d'année 1918.

Commentant, le 24 décembre 1918, les positions de Münzenberg dans l'Internationale des jeunes, Johann Knief écrit qu'elles ne sont pas encore « dans l'esprit des communistes »[794]. L'opposition principale se situe pour lui entre spartakistes et communistes. Pourtant le congrès de fondation va démontrer qu'en réalité ce sont les gauchistes qui l'emportent dans le nouveau parti aussi bien sur l'état d'esprit spartakiste - Rosa Luxemburg - que sur l'état d'esprit communiste tel qu'il pense l'exprimer lui-même : car les chefs de file du courant gauchiste sont issus aussi bien de Spartakus, comme les Berlinois Schröder et Wendel, que des I.K.D., comme Otto Rühle, Frölich ou Werner Möller.

Victoire des gauchistes au congrès de fondation du K.P.D. (S)[modifier le wikicode]

Le congrès se réunit à Berlin, le 30 décembre 1918 : aux 83 délégués de Spartakus s'en ajoutent 29 des I.K.D. La capitale est toute bruissante encore des violents incidents de Noël. La démission des ministres indépendants semble ouvrir une nouvelle étape de radicalisation des masses. Paul Levi décrira plus tard en ces termes l'atmosphère :

« L'air de Berlin (...) était empli de tension révolutionnaire. (...) Il n'y avait personne qui n'eût le sentiment que l'avenir immédiat allait voir se produire de nouvelles grandes manifestations et de nouvelles actions. (...) Les délégués qui représentaient ces masses jusqu'alors inorganisées venues à nous seulement dans l'action, par elle et pour elle, ne pouvaient absolument pas comprendre qu'une nouvelle action, facilement prévisible, pourrait aboutir non pas à la victoire, mais à des reculs. Ils n'envisageaient même pas en rêve de suivre une tactique qui aurait laissé une marge de manoeuvre au cas où ces reculs seraient produits. »[795]

Le premier rapport est présenté par Liebknecht : il s'agit de « la crise de l'U.S.P. » et de la décision à prendre pour l'organisation d'un nouveau parti. Le ton est très dur. Il retrace la politique passée de l'opposition centriste, dans laquelle il rappelle que se trouvent de nombreux révisionnistes, tant chez les dirigeants que dans la masse des adhérents, et qualifie son activité passée de « crétinisme parlementaire ». Il fait le procès de la conception « puérile et mécaniste » qui a prévalu dans la préparation de l'insurrection de novembre : « incompréhension de la signification éminente de l'action de masse elle-même, surestimation des activités bureaucratiques, parlementaires et autres »[796]. Rappelant que les spartakistes ont, dans le passé, joui d'une totale liberté d'action dans le parti indépendant, il précise :

« Nous avons adhéré à l'U.S.P. afin de pousser en avant sous nos coups tout ce qui pouvait l'être, afin de faire avancer les éléments valables et de les rallier (...), afin de pouvoir gagner les forces révolutionnaires les plus importantes possibles et les rassembler dans un parti prolétarien unitaire, révolutionnaire. C'était un travail de Sisyphe »[797].

Après avoir fait le procès des indépendants, « feuille de vigne » et couverture d'Ebert-Scheidemann depuis le 9 novembre, et rappelé le refus de l'exécutif de convoquer le congrès du parti, il conclut que le parti indépendant est moribond et que la masse de ses adhérents qui ne se préparent pas à rompre avec lui est en train de retourner dans le camp des majoritaires. Il se prononce donc pour une rupture immédiate et claire et pour la fondation d'un nouveau parti, et il présente une résolution en ce sens[798]. Le titre de « parti communiste d'Allemagne (Spartakus) » est préféré, après une brève discussion, à celui de « parti ouvrier communiste d'Allemagne », et aussi à celui de « parti communiste révolutionnaire d'Allemagne » proposé par la commission préparatoire[799].

Radek intervient alors, au nom des soviets russes. Après avoir retracé dans sa crudité la situation de la Russie, il s'attache à montrer les difficultés qui attendent un parti faible, né cependant au bon moment, celui de la crise mondiale la plus grave. Il termine en ouvrant la perspective de l'Internationale :

« La social-démocratie allemande, elle est morte. Elle était l'autorité dans tout le monde ouvrier. Il n'y a plus d'autorité, aucune section de l'Internationale n'aura désormais la signification qu'avait l'allemande. L'Internationale sera une ligue de classes ouvrières dans laquelle chacune saura pourquoi elle lutte et suivra son propre chemin, qui sera pourtant le même que celui des autres. »[800]

L'après-midi du 30 décembre, c'est à Paul Levi qu'il revient de présenter le rapport de la centrale sur la question des élections à la Constituante. Il commence par expliquer un point sur lequel apparemment l'ensemble des délégués sont d'accord : le rôle assigné à la Constituante par la bourgeoisie allemande et ses agents. Et il s'écrie :

« La voie de la victoire du prolétariat ne peut que passer sur le cadavre de l'Assemblée nationale ! »

Mais c'est pour ajouter presque aussitôt :

« En dépit de tout cela, nous vous proposons de ne pas nous tenir à l'écart des élections à l'Assemblée nationale. »[801]

Dès cet instant, son rapport va être haché d'interruptions violentes et de protestations véhémentes. Il tente de démontrer de quelle façon la présence d'élus communistes au Parlement pourrait, à la différence de la vieille pratique social-démocrate, aider les combats révolutionnaires, et cite l'exemple des Russes, qui ont participé aux élections à l'Assemblée constituante avant de la disperser. On lui crie : « Faisons-le ! » Il répond :

« D'où tenez-vous que l'Allemagne tout entière soit aujourd'hui à un stade aussi avancé de la révolution que le croit le camarade ? »[802]

Il pense que les travailleurs pourraient effectivement renverser l'Assemblée à Berlin, en Rhénanie-Westphalie et en Haute-Silésie. Mais ces districts ne sont pas toute l'Allemagne. Les révolutionnaires n'ont absolument pas la force d'organiser un boycottage qui se retournerait contre eux. Encore interrompu, il poursuit néanmoins :

« La question est trop sérieuse. Nous voyons la situation ainsi : la décision sur cette question peut engager pour des mois le destin de notre mouvement. ( ... ) Pensez-donc à la situation telle qu'elle est : l'Assemblée nationale va se réunir. Elle se réunira - et vous ne pourrez pas l'empêcher. Pendant des mois elle dominera toute la vie politique allemande. Vous ne pourrez pas empêcher que tous les yeux soient fixés sur elle, vous ne pourrez pas empêcher que même les meilleurs de vos partisans, pour s'orienter, s'informer, prévoir, cherchent à savoir ce qui se passera dans l'Assemblée nationale. Elle sera dans la conscience des prolétaires allemands, et vous, contre ce fait, vous voulez vous tenir à l'extérieur, travailler de l'extérieur ? Mes camarades, vous voulez disperser l'Assemblée nationale. Que direz-vous si l'Assemblée nationale se réunit dans un endroit comme Schilda ? »[803]

Un nouvel interrupteur lui lance alors que, dans le cas où elle s'installerait dans une petite ville, la Constituante se condamnerait d'elle-même. Il permet à Levi de conclure qu'aucune force sociale ne se condamne jamais d'elle-même, surtout lorsqu'il s'agit d'une force aussi considérable que la bourgeoisie allemande, et que le devoir des communistes - qui ne croient pas au suicide de la bourgeoisie - est de se battre, partout où il faut, pour la révolution et le rassemblement des prolétaires pour la révolution. Le jeune orateur spartakiste vient sans aucun doute de réaliser un grand exploit oratoire. Mais la majorité des délégués sont convaincus que « le pouvoir est dans la rue » et ils ne tolèrent même pas l'expression du moindre doute à ce sujet.

Le rapport de Levi ouvre en tout cas un débat houleux qui coupe le congrès en deux parties inégales. Rosa Luxemburg confesse son amertume devant l'« extrémisme » de la majorité, sa tendance à « négliger le sérieux, le calme et la réflexion nécessaires ». Invoquant à son tour l'exemple des Russes, rappelant que la révolution allemande ne fait que commencer, alors que la révolution d'octobre 1917 avait commencé en 1905, elle affirme que les masses allemandes, qui n'ont pas eu suffisamment de temps pour développer le pouvoir de leurs conseils, ne sont pas mûres pour renverser l'Assemblée constituante. Elle relève des contradictions profondes dans l'argumentation des partisans du boycottage, qui redoutent le résultat des élections dans la conscience des masses et croient pourtant celles-ci suffisamment conscientes pour en empêcher la tenue[804]. Käthe Duncker dit à la majorité des délégués qu'ils veulent « ouvrir de force un bouton pas encore éclos »[805]. Heckert ironise sur la discrétion des radicaux et des gauchistes pendant la guerre, souligne que, même là où ils sont le plus forts, les communistes sont encore en minorité et que la majorité des travailleurs suit Ebert et Scheidemann. Il propose la participation aux élections, avec liste unique pour toute l'Allemagne, comprenant seulement les noms de Liebknecht et Rosa Luxemburg[806]. Liebknecht ne dissimule pas ses hésitations - qui sont de notoriété publique - mais, discipliné par rapport à la centrale, il rappelle longuement son propre rôle au Reichstag pour la mobilisation des masses contre la guerre. Toutes ces interventions, quand elles ne sont pas interrompues, sont fraîchement accueillies par les délégués.

En revanche, ils applaudissent follement les orateurs les plus gauchistes, comme Otto Rühle qui affirme que le prolétariat n'a pas à s'embarrasser, avec la Constituante, d'un « nouveau cadavre » et qu'il faut en finir avec « les compromissions et l'opportunisme ». Voulant réfuter les arguments de Levi sur l'utilisation de la tribune parlementaire, il proclame :

« Nous avons maintenant d'autres tribunes. La rue est la grandiose tribune que nous avons conquise, et que nous n'abandonnerons pas, même si on nous tire dessus. »[807]

La participation aux élections signifierait, pour ce partisan du « pouvoir dans la rue », la renonciation à la révolution. Aux propositions de Levi, il oppose une perspective insurrectionnelle àcourt terme :

« Si elle (l'Assemblée) allait à Schilda, nous aurions à nous établir en tant que nouveau gouvernement à Berlin. Nous avons encore quatorze jours. »[808]

Bien des interventions sont du même style. Si Léviné intervient pour dire que les spartakistes, trop faibles pour participer comme pour boycotter, doivent concentrer leurs forces dans l'agitation en faveur des conseils[809], d'autres invoquent la nécessité de garder les mains pures, l'incompréhension éventuelle des masses, et dénoncent dans la participation proposée un tournant brutal ou encore une chute dans l'opportunisme. Au terme du débat, le congrès repousse la résolution de Levi et adopte, par 62 voix contre 23, celle que lui a opposée Otto Rühle : le parti communiste ne participera pas aux élections[810].

C'est à ce point des débats, après ce vote qui donne satisfaction aux radicaux de gauche, que Karl Becker, au nom de l'I.K.D., annonce la décision de son groupe de rejoindre le nouveau parti[811]. La première journée du congrès s'achève par une importante victoire de l'aile gauchiste.

Le second jour, Lange présente un rapport sur les « luttes économiques ». Plus prudent que Levi, le rapporteur de la centrale, qui dénonce le rôle conservateur des bureaucrates syndicaux et leurs efforts pour transformer les comités d'usine en simples appendices des autorités patronales, évite de formuler une opinion sur la présence et l'action militante des révolutionnaires au sein des syndicats traditionnels[812]. Plusieurs délégués vont le lui reprocher. Rieger, de Berlin, estime incompatibles l'appartenance au parti communiste et à une organisation syndicale[813]. Paul Frölich affirme qu'il est impossible de reconquérir les syndicats de l'intérieur, qu'il faut lancer le mot d'ordre « Hors des syndicats ! » et s'attacher à bâtir dans les entreprises des « unions ouvrières » abolissant une fois pour toutes la frontière entre parti et syndicat[814]. Heckert s'oppose à ses arguments, souligne l'adhésion de larges masses aux syndicats, la nécessité de ne pas confondre leur rôle avec celui des comités d'usine, met en garde contre les dangers du mot d'ordre de sortie des syndicats[815]. Rosa Luxemburg critique la position de Frölich sur les « unions ouvrières », à qui elle reproche de chercher à additionner deux formes anciennes - parti et syndicat - au lieu de concentrer les forces prolétariennes sur les formes nouvelles, conseils d'ouvriers et conseils d'usine. Pas entièrement satisfaite du mot d'ordre « Hors des syndicats ! », elle convient néanmoins que leur « liquidation » est à l'ordre du jour[816]. C'est elle qui propose le renvoi en commission de cette question : le congrès, moins passionné que la veille, la suit[817].

Il l'acclamera longuement le lendemain, pendant et après son discours sur le programme, qui constitue pourtant une nette condamnation de l'orientation gauchiste de la majorité. Pour elle, en effet, la fondation du parti communiste signifie à la fois l'érection du programme socialiste sur des bases nouvelles et la « reprise de la trame tissée par Marx et Engels » dans le Manifeste communiste[818]. Elle s'écrie :

« Le marxisme véritable combat ceux qui cherchent à le falsifier ; tel une taupe, il sape les fondements de la société capitaliste et, grâce à lui, la meilleure partie du prolétariat allemand marche aujourd'hui sous notre drapeau, celui de la tempête révolutionnaire ; même de l'autre côté, là où la contre-révolution semble encore toute-puissante, nous avons nos partisans, nos frères de combat à venir. »[819]

L'humanité est devant l'alternative de chute dans la barbarie ou de salut par le socialisme, nécessité historique pour la survie de l'humanité. C'est dans ce cadre que doit être analysée la situation en Allemagne :

« Le 9 novembre a été une révolution pleine d'insuffisances et de faiblesses (...) : pour les trois quarts, l'effondrement de l'impérialisme existant plutôt que la victoire d'un principe nouveau. »[820]

Malgré l'apparition des conseils d'ouvriers et de soldats, « mot-clef de cette révolution, qui lui a conféré sur-le-champ le cachet spécial de la révolution socialiste prolétarienne »[821], la première phase de la révolution a été caractérisée par des illusions, illusion du prolétariat et des soldats sur « l'unité sous le drapeau du socialisme », illusion d'Ebert que le « socialisme » ainsi brandi pourrait efficacement freiner la lutte de classes[822]. Les fusillades des 6 et 24 décembre ont de part et d'autre dissipé les illusions :

« C'est le plus grand profit que le prolétariat puisse retirer, cette mise en pièce de ses illusions, car il n'est rien qui soit aussi nuisible à la révolution que les illusions, rien qui lui soit plus utile que la vérité franche et claire. »[823]

La deuxième phase de la révolution a, selon Rosa Luxemburg, commencé avec le développement et la généralisation des grèves :

« Les grèves (...) deviennent de plus en plus le centre, l'essentiel de la révolution. C'est alors une révolution économique, et c'est par là qu'elle devient socialiste. La lutte pour le socialisme ne peut être menée que par les masses, dans un combat corps à corps contre le capitalisme, dans chaque entreprise, opposant chaque prolétaire à son patron. Alors seulement il s'agira d'une révolution socialiste. »[824]

C'est au cours de cette deuxième phase que le gouvernement Scheidemann disparaîtra. Et Rosa Luxemburg insiste sur cette idée qui lui parait l'antidote nécessaire aux illusions que nourrissent à l'évidence les délégués :

« Nous n'avons pas le droit de reprendre et de répéter l'erreur de la première phase de la révolution, celle du 9 novembre, de croire qu'il suffit en somme de renverser le gouvernement capitaliste et de le remplacer par un autre pour faire une révolution socialiste. (...) Nous devons donner aux conseils d'ouvriers et de soldats un pouvoir tel que le gouvernement Ebert-Scheidemann ou de tout autre semblable ne sera plus que l'acte final. »[825]

Le rapport se termine par une mise en garde contre ceux qui rêvent de renverser d'un coup le gouvernement Ebert :

« Au commencement était l'action, telle est la devise, et l'action, c'est que les conseils d'ouvriers et de soldats se sentent appelés à devenir le seul pouvoir dans l'Allemagne entière, et qu'ils apprennent à l'être. C'est la seule façon de miner le terrain, afin qu'il soit mûr pour le bouleversement qui doit couronner notre oeuvre. (...) L'histoire nous rend la tâche moins aisée que lors des révolutions bourgeoises, où il suffisait de renverser le pouvoir officiel au centre et de les remplacer par quelques douzaines d'hommes nouveaux. (...) Nous devons conquérir le pouvoir politique non par le haut, mais par le bas. (...) je ne me charge pas de prédire le temps que cette oeuvre exigera. Qui de nous fait le compte, qui se soucie de ce que notre seule vie suffise pour la mener à bien ? Il importe seulement de savoir avec clarté et précision ce que nous avons à faire. »[826]

Quelques instants plus tard, le congrès adopte le projet de programme publié dans Die Rote Fahne et qui précise sans ambiguïté :

« La Ligue Spartakus se refusera à accéder au pouvoir à la place des dirigeants actuels lorsque Scheidemann-Ebert auront fait leur temps. (...) Si Spartakus s'empare du pouvoir, ce sera sous la forme de la volonté claire, indubitable, de la grande majorité des masses prolétariennes, dans toute l'Allemagne, et pas autrement que sous la forme de leur adhésion consciente aux perspectives, aux buts et aux méthodes de lutte propagées par la Ligue. (...) La victoire de Spartakus ne se situe pas au début, mais à la fin de la révolution. »[827]

La portée du congrès de fondation[modifier le wikicode]

Plusieurs témoins ont rapporté l'amertume et le pessimisme exprimés au lendemain du congrès par Leo Jogiches. A ses yeux, la décision de ne pas participer aux élections à la Constituante constitue la preuve flagrante que la fondation du parti, avec les éléments qu'il rassemble, était prématurée[828]. Avec l'accord de Rosa Luxemburg, il demande à Clara Zetkin de ne pas rejoindre le parti communiste avant d'avoir pu s'exprimer au congrès prochain du parti indépendant[829]. Karl Radek est peut-être moins pessimiste, quoiqu'il ne puisse se défendre du sentiment de n'avoir pas en face de lui un véritable parti. « Le congrès », écrira-t-il plus tard, « démontra de façon aiguë la jeunesse et l'inexpérience du parti »[830]. Le sentiment dominant du congrès était son affirmation d'une solidarité totale avec la révolution russe, ce qui n'était pas négligeable. Mais les liaisons avec les masses étaient très faibles. Seul Liebknecht est irréductiblement optimiste : pour lui, la jeunesse est avec Spartakus, et il a la conviction que le rapport de forces changera vite à partir du moment où les indépendants auront été contraints de quitter le gouvernement[831].

Le fait que le congrès ait pu, d'un même mouvement, rejeter la proposition de la centrale, formulée par Levi, de prendre part aux élections, et adopter le programme présenté par Rosa Luxemburg, était incontestablement une manifestation d'inconséquence politique. Par ailleurs, le courant gauchiste dominant dans le congrès n'avait apparemment pas cherché non plus à s'assurer l'hégémonie dans la nouvelle centrale : c'était l'ancienne équipe spartakiste, moins Mehring, malade, et plus Frölich, représentant les anciens I.K.D., qui gardait les rênes[832]. Sans doute les anciens de Spartakus estimaient-ils jouir d'une autorité suffisante pour retenir le parti dans les voies de l'aventure qu'ouvraient certains de ses votes. Rien ne permet, semble-t-il, de penser qu'ils aient eu, ainsi que le suggère Rosenberg, la tentation d'une scission qui leur aurait permis d'échapper à la majorité gauchiste dont ils étaient en fait les otages[833].

La structure du nouveau parti est extrêmement lâche, pour ne pas dire inexistante, beaucoup plus proche en tout cas de celle du parti social-démocrate indépendant que de celle du parti bolchevique. La preuve en est fournie par le rapport d'organisation présenté par Eberlein, qui trouve très lourde la tâche de parler cartes d'adhésion et cotisations - après les discussions politiques des premiers jours. En rupture avec la tradition électoraliste de la social-démocratie, puisqu'il fait reposer l'organisation sur des groupes locaux et d'entreprise, il est en même temps empreint de la vieille hostilité des radicaux à la centralisation :

« Nous pensons qu'il faut mettre fin au vieux système de subordination des localités à la centrale, et que les différentes organisations locales et d'entreprise doivent avoir une pleine autonomie. Elles doivent être autonomes dans leur activité, et ne doivent pas toujours attendre ce qui sera ordonné de haut en bas. (...) La centrale assume principalement la tâche d'assurer une direction spirituelle et politique et de résumer ce qui se passe à l'extérieur. »[834]

Le rapport est à peine discuté : les échanges de vue et une brève altercation entre Ernst Meyer et Karl Becker démontrent tout au plus la totale impréparation des deux groupes sur ce terrain et l'imprécision de leurs conceptions. Les bases d'organisation du nouveau parti sont renvoyées pour étude et pour décision au prochain congrès. L'élection d'une centrale ne fait pas automatiquement d'elle la direction d'un véritable parti à l'échelle du pays.

Pourtant, la plus grave conséquence des décisions du 31 décembre se trouve dans l'échec des pourparlers avec les délégués révolutionnaires berlinois qui se déroulent pendant le congrès lui-même. L'enjeu était pourtant d'importance : Liebknecht dit que ces hommes constituent « les meilleurs et les plus actifs du prolétariat berlinois », qu'« ils dépassent de cent coudées les bonzes qui constituent les cadres du parti social-démocrate indépendant »[835], et que le travail qu'il a effectué avec eux a été « le chapitre le plus heureux de son activité de parti »[836].

Les discussions se déroulent entre une délégation spartakiste conduite par Liebknecht et une délégation du noyau des délégués révolutionnaires avec Däumig et Ledebour, Richard Müller, Nowakowski, Eckert, Scholze[837]. Elles sont interrompues à plusieurs reprises afin de permettre aux représentants des délégués de rendre compte à leurs mandants et de les consulter. Du côté des spartakistes, on s'est montré plein d'espoir sur la conclusion des négociations : on sait que ces militants, toujours formellement membres du parti indépendant, sont proches des spartakistes et qu'ils constituent en fait un groupe autonome, avec sa ligne politique, sa discipline propres. Mais Däumig et Ledebour, qui sont leurs conseillers politiques et leurs véritables dirigeants, n'ont jamais dissimulé leur méfiance, devenue, pour le second, une hostilité ouverte. Tous deux attaquent d'emblée en disant que la principale question est à leurs yeux celle de la participation aux élections à la Constituante. Mais un premier obstacle surgit quand les délégués révolutionnaires se voient offrir la participation de cinq d'entre eux aux commissions du congrès sur le programme et l'organisation : la représentation des militants berlinois en serait ainsi augmentée, perspective que le congrès ne serait pas prêt à accepter[838]. Richard Müller relance le débat en déclarant brutalement que la poursuite d'un travail en commun est subordonnée à l'abandon par Spartakus de son « ancienne tactique putschiste », de la poursuite des manifestations de rue, etc. Liebknecht répond que Richard Müller se fait dans cette affaire le porte-parole du Vorwärts[839]. Il est évident que les incidents de Noël, l'histoire du Vorwärts rouge, pèsent lourd aux yeux des délégués : malgré leur sympathie pour les idées défendues par les spartakistes, malgré leur attachement à Liebknecht après des semaines de travail en commun, les représentants des usines sont hostiles aux éléments aventuristes qui inspirent de telles actions et se réclament du spartakisme. Arthur Rosenberg écrit :

« Däumig, Ledebour et Richard Müller voulaient vraiment faire une politique communiste, mais ne voulaient rien avoir à faire avec le type que le public désignait comme spartakiste. »[840]

Formule sans doute plus valable pour le délégué moyen que pour ces trois dirigeants, dont Liebknecht souligne d'ailleurs qu'ils n'ont pas exactement la même attitude, Ledebour montrant le visage d'un ennemi résolu et Däumig étant toujours très fraternel et proche[841].

Quoi qu'il en soit, les conditions posées par les délégués révolutionnaires expriment cette profonde méfiance : ils demandent l'abandon de la décision de boycottage des élections, l'établissement de la commission du programme sur une base paritaire, la définition précise, élaborée en commun, de la « tactique de rue », l'accès de leurs représentants aux comités de rédaction de la presse et des tracts, la disparition, enfin, dans le titre du nouveau parti, de la référence à Spartakus[842]. Sans doute, ces conditions sont-elles de celles qu'un vieux-bolchevik accepterait sans hésiter, et auxquelles un vieux spartakiste ne trouverait pas grand-chose à redire. Mais elles sont inacceptables pour la majorité des congressistes, dont l'attitude ironique à l'égard de ces négociations est d'ailleurs l'un des symptômes qui paraissent le plus alarmant à Radek[843].

Liebknecht et la délégation communiste n'ont même pas eu besoin de rendre compte au congrès et de le consulter pour prendre acte de l'échec des pourparlers : il n'y a, sur cette question capitale, aucun débat dans le congrès, en fait hostile depuis le début à la fusion avec les délégués[844].

C'était là sans doute l'échec majeur des communistes allemands. La fondation d'un véritable parti communiste dans l'Allemagne de 1919 était difficilement concevable sans la participation de ces délégués ouvriers qui avaient la confiance du prolétariat berlinois, dont ils avaient dirigé les luttes pendant la guerre et les journées révolutionnaires. Quelques individus seulement, Paul Eckert, Fritz Winguth, Paul Weyer, vont rejoindre le K.P.D.(S.), auquel le noyau, et les milliers de militants qu'il influence, vont tourner le dos et tenir rigueur de ce qu'ils considèrent comme une véritable opération scissionniste[845]. Coupé de ces militants organisateurs de la classe ouvrière, cadres authentiques et indispensables d'un parti ouvrier révolutionnaire, les dirigeants spartakistes - et ils en avaient sans doute conscience - étaient sans prise sur le mouvement profond des travailleurs dans les entreprises. D'un autre côté, privés de têtes politiques, ou plutôt à la remorque des hésitants de la gauche indépendante, les admirables combattants des usines berlinoises allaient s'empêtrer dans les exigences contradictoires d'une situation infiniment plus complexe que celle de la guerre au cours de laquelle ils avaient gagné leurs galons et leur autorité. Entre les deux groupes, d'autant plus rivaux qu'ils étaient proches, apparaissait en outre, dans une situation explosive, le risque d'une surenchère et d'une concurrence à gauche, considérablement accru par l'état d'esprit gauchiste qui débordait tous les groupes politiques. Le parti communiste, à peine né, déjà isolé des masses, s'était condamné à l'impuissance avant d'avoir commencé à agir. Les événements de janvier et l'assassinat de Liebknecht et Rosa Luxemburg allaient l'achever. L'acte décisif était à recommencer.

Pourtant Lénine, apprenant la tenue du congrès dont il ignorait encore le contenu et le caractère, exultait, le 12 janvier, dans une « Lettre aux ouvriers d'Europe et d'Amérique » qu'il était en train de rédiger :

« Lorsque la Ligue Spartakus allemande, conduite par ces chefs illustres, connus du monde entier, ces fidèles partisans de la classe ouvrière que sont Liebknecht, Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, Franz Mehring, eût rompu définitivement tout lien avec les socialistes comme Scheidemann, (...) lorsque la Ligue Spartakus se fût intitulée parti communiste allemand, alors la fondation de la III° Internationale, de l'Internationale communiste, véritablement prolétarienne, véritablement internationale, véritablement révolutionnaire, devint un fait. Formellement, cette fondation n'a pas été consacrée, mais, en réalité, la III° Internationale existe, dès à présent. »[846]

XII. Le soulèvement de janvier[modifier le wikicode]

Paul Frölich, dans la biographie qu'il a consacrée à Rosa Luxemburg, raconte que cette dernière se refusa, au lendemain du congrès de fondation, à partager les appréhensions et le pessimisme de Leo Jogiches :

« Elle pensait qu'un nouveau-né devait crier et elle dit (...) sa conviction que le jeune parti communiste saurait se frayer un chemin même à travers les erreurs car il comptait le noyau le meilleur du prolétariat allemand. »[847]

En fait, le pessimisme de Jogiches n'était pas moins justifié que l'optimisme de sa camarade. La situation présentait des aspects contradictoires. Malgré les faiblesses du nouveau parti, malgré la défaite des révolutionnaires au sein des conseils, un courant profond, celui-là même qu'exprimaient à leur manière les gauchistes de la Ligue, était en train de radicaliser les militants ouvriers berlinois et de dissiper les illusions de novembre. Surtout, depuis le congrès des conseils, la situation du gouvernement Ebert semblait tous les jours plus précaire : l'armée se décomposait, glissant entre les doigts des officiers, cependant que les entreprises ouvertement contre-révolutionnaires dressaient de plus en plus les masses contre lui, contraignant même les indépendants à rompre la coalition qu'en bons conciliateurs ils s'étaient jusque-là efforcés de préserver. Le temps travaillait pour la révolution.

Un mois de décembre agité[modifier le wikicode]

Dès le mois de décembre, commentant le mouvement gréviste, Rosa Luxemburg avait écrit son célèbre article : « L'Achéron s'est mis en mouvement »[848]. La lutte économique des ouvriers écaillant le masque démocratique et, jusque-là, purement politique, de la révolution de novembre, pose aux yeux des masses les moins éclairées les problèmes du jour en termes de classe. L'arrestation, le 8 décembre, par le conseil des ouvriers et des soldats de Mülheim, de Fritz Thyssen, Stinnes fils et quelques autres dirigeants capitalistes, en est pour beaucoup un signe évident[849].

L'autre indice de radicalisation est la décomposition de l'armée, le divorce entre gouvernement et état-major d'une part, conseils de soldats de l'autre, qui remet en question la base même de l'autorité du conseil des commissaires du peuple, et prive l'appareil d'Etat traditionnel et les classes dirigeantes de leur arme la mieux trempée.

C'est à Ems, le 1° décembre, que le haut commandement connaît sa première défaite politique au sein de l'armée. Le grand quartier-général y a en effet convoqué le congrès des conseils de soldats du front, auquel il veut faire adopter son propre programme politique : convocation rapide de l'Assemblée constituante, suppression des pouvoirs des conseils et rétablissement de l'autorité des officiers, désarmement des civils sous contrôle des officiers. Mais Barth, inopinément présent au congrès, retourne en partie la situation : les délégués décident d'envoyer des représentants à l'exécutif de Berlin et adoptent des résolutions subversives réclamant la suppression des marques extérieures de respect en dehors du service, et la réélection des conseils de soldats[850].

Le haut-commandement s'inquiète, car la décision du congrès d'Ems montre que les conseils de soldats sont en train de lui échapper. L'inquiétude qui grandit dans le camp contre-révolutionnaire inspire les initiatives du 6 décembre, elles-mêmes puissant facteur de radicalisation des masses berlinoises et de leur hostilité croissante au gouvernement Ebert. Une troupe de la garnison de Berlin - théoriquement placée sous les ordres de Wels - marche le 5 décembre sur la chancellerie et y acclame Ebert, auquel le sous-officier Suppe proclame l'attachement des soldats et leur soutien dans la lutte contre la « réaction » et le « terrorisme ». Ebert remercie, au nom du gouvernement[851]. Le lendemain, vers 16 heures, une troupe de soldats armée, dirigée par le sous-officier Fischer, occupe le local de l'exécutif des conseils et met ses membres en état d'arrestation. Une autre commandée par le sous-officier Spiero, se rend à la chancellerie et proclame son intention de nommer Ebert président de la République[852]. Enfin, dans la soirée, des soldats de la garnison tirent à la mitrailleuse sur une manifestation de la Ligue des soldats rouges[853].

Pauvrement menée, avec des hommes de troupe incertains, qu'un discours suffit à désorienter, l'opération n'a sans doute pas grande signification en soi. Mais elle est symptomatique d'un certain état d'esprit. Suivie le lendemain d'une arrestation de Liebknecht dans les locaux même de Die Rote Fahne[854], elle soulève une inquiétude qui se manifeste à travers l'ampleur de la réaction dans les journées qui viennent : une centaine de milliers de manifestants le 8 décembre, et des expéditions punitives organisées par des travailleurs[855]. Les résultats de l'enquête menée par Eichhorn accroissent l'inquiétude et orientent les soupçons vers l'entourage d'Ebert : il semble que soient compromis non seulement le comte Wolf-Metternich, que la protection de Wels a placé pendant quelques jours à la tête de la « division de marine du peuple », mais aussi Colin Ross lui-même, qui démissionne à cette époque, et le secrétaire particulier d'Ebert, Moser[856]. Les majoritaires du gouvernement, accusés jusque-là de faiblesse, commencent à être soupçonnés de complicité.

Or, Ebert est au même moment soumis à de fortes pressions de la part des chefs militaires qui s'impatientent, et il cède à une partie de leurs exigences tout en s'efforçant de le dissimuler. C'est ainsi que sur une intervention pressante de Hindenburg, par une lettre du 8 décembre, il accepte l'entrée dans la capitale de dix divisions provenant du front et parfaitement tenues en main par leurs officiers[857]. Leur chef, le général Lequis, a tracé un programme de combat : désarmement des civils, ratissage des quartiers peu sûrs, exécution immédiate de toute personne « exerçant illégalement des fonctions d'autorité »[858]. Mais Ebert proteste contre ce qui pourrait déclencher à Berlin des combats dont l'issue serait alors incertaine, et le major von Schleicher élabore un compromis selon lequel les militaires se borneront pour le moment à un défilé en bon ordre dont ils attendent un « choc psychologique », le désarmement étant remis à une date ultérieure[859]. L'entrée solennelle des troupes fournit à Ebert l'occasion d'un discours dans lequel il affirme que l'armée allemande n'a pas été « vaincue par l'ennemi »[860] - caution de poids à la légende selon laquelle elle aurait été « poignardée dans le dos » par les révolutionnaires. Mais, très rapidement, les généraux doivent renoncer à appliquer leur plan, car les troupes leur échappent. Le général Groener expliquera plus tard :

« Les troupes avaient une telle envie de rentrer chez elles qu'on ne pouvait rien faire avec ces dix divisions. Le programme qui consistait à épurer Berlin des éléments bolcheviques et à ordonner la remise des armes ne pouvait être réalisé. »[861]

Rentrée du front en bon ordre, l'armée en effet ne résiste ni à la lassitude ni à l'atmosphère de l'arrière, celle de Berlin en particulier, et le général Lequis. confessera même que « l'influence de l'extraordinaire propagande des spartakistes s'est fait sentir »[862]. Benoist-Méchin écrit :

« Sitôt arrivées à Berlin, les divisions se disloquent et s'effondrent. (...) Gagnés par la contagion, un à un, les régiments passent à la révolution. »[863]

Il est clair que l'armée ne saurait être utilisée dans les combats de rues ; il faudra trouver un autre instrument.

Batailles autour de l'armée[modifier le wikicode]

Les décisions prises sur l'armée par le congrès des conseils, si docile par ailleurs à Ebert, démontrent le sentiment de larges masses de travailleurs que les délégués ne reflètent qu'imparfaitement : même quand ils soutiennent la politique d'Ebert, parce qu'ils veulent un socialisme qui soit démocratique, ils ne sont pas prêts à le suivre dans sa collaboration avec le corps des officiers, qui leur paraît précisément une force antidémocratique.

Soumis à la pression d'une manifestation de soldats de la garnison de Berlin dont Dorrenbach s'est fait le porte-parole[864], le congrès vote une résolution présentée par le social-démocrate Lamp'l de Hambourg. Adoptés malgré Ebert, les « sept points de Hambourg » constituent un véritable arrêt de mort de l'armée traditionnelle : abolition des insignes de grade, du port de l'uniforme et de la discipline en dehors du service, des marques extérieures du respect, élection des officiers par les soldats et remise du commandement par les conseils de soldats[865]. Prévenu par son observateur, le major von Harbou, Hindenburg fait savoir à Ebert qu'il n'acceptera pas l'assassinat de l'armée allemande et refusera de laisser appliquer la décision du congrès. Il envoie une circulaire dans laquelle il affirme qu'elle ne sera pas appliquée[866].

Le 20 décembre, deux envoyés du maréchal, le général Groener et le major von Schleicher, en grand uniforme, rencontrent Ebert et Landsberg, puis, avec les commissaires du peuple, tentent de convaincre le conseil central[867]. Ils insistent sur la nécessité de ne pas entraver la démobilisation et de laisser à la Constituante les décisions définitives. Le 28 décembre encore, Haase protestera, à une session commune du conseil des commissaires et du conseil central, contre la capitulation d'Ebert et la non-application des décisions du congrès[868]. Pendant ce temps, l'agitation grandit dans Berlin, où courent des rumeurs sur un coup d'Etat militaire en préparation.

Le heurt va se produire à propos de la troupe de matelots qui est devenue la division de marine populaire (Volksmarinedivision)[869]. A un premier groupe venu de Kiel début novembre s'est joint un contingent venu de Cuxhaven ; la troupe, que commandent successivement Otto Tost, le comte Wolff-Metternich, puis Fritz Radtke, a été utilisée comme force de police par Wels qui l'a installée dans le Marstall, les écuries du Palais, et lui a confié la reprise en main du château tenu par des « incontrôlables »[870]. Les relations se détériorent en décembre : les marins, probablement sous l'influence de l'ancien lieutenant Dorrenbach, proche de Liebknecht, se radicalisent, et la division se joint au défilé des spartakistes et de la Ligue des soldats rouges du 21 décembre[871]. Le ministre des finances prussien proteste contre l'augmentation des effectifs de la division, et réclame son départ du château et du Marstall[872]. Les commissaires du peuple exigent la réduction de l'effectif de 3 000 à 600 hommes, mais les marins réclament l'intégration des licenciés dans les forces de défense républicaine[873]. Pour couper court, Wels prévient que la solde ne sera pas versée tant que les effectifs n'auront pas été réduits au chiffre décidé[874]. Les conseils de soldats des garnisons de la capitale réclament, quant à eux, l'augmentation des effectifs de la division[875].

Les négociations se sont déroulées dans une atmosphère très tendue, Wels ayant, selon les marins, menacé leur chef, Radtke, d'utiliser éventuellement contre eux les troupes de Lequis[876]. Un accord est finalement conclu le 21 décembre, par lequel les matelots s'engagent à vider les lieux et à remettre les clefs à Wels. Celui-ci, en échange, leur versera les sommes dues[877]. Le 23 décembre, les marins, qui ont évacué le Palais, remettent les clefs à Barth[878] Wels, sollicité par Barth de payer les soldes, renvoie à Ebert. Les marins se rendent à la chancellerie, n'y trouvent pas Ebert mais donnent libre cours à leur colère : ils ferment les portes, bloquent le central téléphonique et marchent sur la Kommandantur pour réclamer leur argent[879].

En cours de route, ils essuient des coups de feu, ripostent, puis sont mitraillés par une voiture blindée des forces de Wels : trois morts, de nombreux blessés. Persuadés qu'on leur a tendu un traquenard, ils arrêtent Wels et deux de ses collaborateurs comme otages et les enferment au Marstall. Dorrenbach réussit à les convaincre d'évacuer la chancellerie. Cependant, dans l'intervalle, Ebert a appelé au secours le haut-commandement et les troupes de Lequis se sont mises en marche avec des ordres très stricts pour ramener le calme et dissoudre la division de marine : elles occupent la chancellerie dans la soirée[880]. On peut craindre un affrontement armé, mais Barth, puis Ebert, s'interposent entre marins et soldats. Finalement, les marins acceptent de se replier sur le Marstall[881]. A 3 heures du matin, ils libèrent leurs otages, sauf Wels. Mais des ordres ont été donnés au capitaine Pabst, de la division de cavalerie de la Garde, d'attaquer le Marstall pour délivrer les otages. A 7 heures du matin, commence le bombardement du Marstall encerclé. Il se poursuit deux heures durant[882].

Le bruit de la canonnade a alerté les ouvriers berlinois qui se rassemblent dans les quartiers et marchent vers le centre. Au moment où le capitaine Pabst, qui croit toucher au but, accorde aux marins vingt minutes de suspension d'armes, il est pris à revers par la foule. Benoist-Méchin raconte :

« La multitude s'avance comme un raz de marée et vient se heurter au barrage de soldats placé par le général Lequis pour défendre les troupes de choc. On demande aux soldats s'ils n'ont pas honte de faire cause commune avec les officiers contre le peuple. Les soldats hésitent et sont rapidement débordés. Les uns jettent leurs fusils, les autres sont désarmés par les manifestants. En un clin d'œil le barrage est rompu, et la foule se précipite en hurlant dans le dos des cavaliers de la Garde postés devant le Marstall. »[883].

C'est un désastre pour les officiers, que les hommes d'Eichhom auront grand-peine à arracher au lynchage. Le gouvernement non seulement a dû payer la solde des marins, mais encore retirer de Berlin la division Lequis. Wels quitte la Kommandantur, et c'est Anton Fischer qui lui succède[884].

Ebert est le grand vaincu de l'affaire. Aux yeux des travailleurs berlinois, il apparaît comme le complice des militaires. Au cabinet, les ministres indépendants regimbent. Ils sont eux-mêmes pressés par leurs troupes, qui les somment de rompre avec les « traîtres » et les « fourriers de la contre-révolution », et exigent au moins des explications. Qui a donné l'ordre d'attaquer le Marstall, alors que la question était en voie de règlement ? Les social-démocrates approuvent-ils les initiatives de Winnig qui, à l'est, participe dans les pays baltes à une croisade antibolchevique ? Ebert et ses collègues ont-ils ou non l'intention d'appliquer les sept points de Hambourg ? A ces questions posées au conseil central[885], les indépendants jugent les réponses données insuffisantes. Aussi, refusant de cautionner la responsabilité endossée par leurs collègues majoritaires pour les incidents du 24 décembre, décident-ils, le 29 la démission de Haase, Barth et Dittmann[886], qu'imitent aussitôt leurs camarades du gouvernement prussien[887].

Le geste a tout l'écho qu'en attendait Rosa Luxemburg lorsque, quinze jours plus tôt, elle le réclamait à Haase. La démission des commissaires indépendants, qui est la conséquence de la radicalisation des masses ouvrières de Berlin, en est aussi un facteur d'accélération. Mais elle pousse un peu plus les majoritaires dans la dépendance à l'égard des chefs militaires.

Vers la guerre civile[modifier le wikicode]

Le départ de Haase et de ses collègues enlève à Ebert, au moins à Berlin, une caution qui lui avait été jusque-là précieuse. La foule qui, le 29 décembre, accompagne au cimetière les corps des marins tués à Noël, arbore une immense pancarte :

« Comme meurtriers des marins nous accusons Ebert, Lansdberg et Scheidemann. »[888]

Cependant, le même jour, le parti social-démocrate organise une contre-manifestation, apparemment plus nombreuse encore[889], sous le mot d'ordre de « A bas la sanglante dictature de la ligue Spartakus ! »[890]. Des deux côtés, on se prépare à la guerre civile.

Le processus de la radicalisation des ouvriers berlinois est profond, mais surtout contradictoire. La révolution de novembre, victorieuse sans vrai combat, avait étayé le mythe de l'unité, semé l'illusion de la facilité. En deux mois, les ouvriers de la capitale ont pris simultanément conscience et de leur force et de leurs faiblesses. Les conquêtes qu'ils avaient crues assurées leur échappent au moment précis où ils comprennent quelle est leur puissance. Dès le 6 décembre, ils ont commencé à apprendre l'efficacité exaltante du coude à coude de dizaines et de centaines de milliers d'hommes dans les rues. S'ils sont si nombreux, le 16 décembre - à la surprise des organisateurs eux-mêmes - à répondre à l'appel des spartakistes pour manifester devant le congrès des conseils, c'est qu'ayant éprouvé leur force, ils tentent obscurément de l'utiliser pour arrêter une retraite qu'ils ressentent sans pouvoir l'expliquer autrement que par la « trahison ». Ainsi, en juillet 1917, dans une situation analogue, les ouvriers et soldats de Petrograd « avant d'avoir trouvé la voie vers un renouvellement des soviets, (...) essayèrent de les soumettre à leur volonté par la méthode de l'action directe »[891].

Dans la situation de cette époque, les appels des indépendants, et ceux mêmes de Die Rote Fahne à prendre part à la campagne électorale semblent un moyen dérisoire de lutter contre un adversaire qui dispose de mortiers, de mitrailleuses et de grenades, mais dont on sait maintenant qu'il n'est pas invincible dans les combats de rue. Après les journées de Noël, sans se soucier du reste de l'Allemagne, les ouvriers de Berlin prennent leur élan, mus par une conscience diffuse que la violence révolutionnaire immédiate est la seule arme efficace contre la violence contre-révolutionnaire. Sur un point au moins, ils sont d'accord avec l'analyse des dirigeants spartakistes : la révolution est en danger, et il va falloir se battre.

Les voies et les moyens de cette bataille restent pourtant obscurs aux yeux du plus grand nombre. Car une insurrection ouvrière ne pourrait guère compter sur une force militaire organisée. Spartakus et sa Ligue des soldats rouges appellent à la formation d'une garde rouge qu'elles ne peuvent ni diriger ni encadrer. La Ligue a ses propres unités, peu nombreuses, Eichhorn a ses forces de sécurité. La garnison de Spandau, influencée par le spartakiste von Lojevski, se considère - et est considérée - comme une troupe révolutionnaire. Dorrenbach, qui est lié à Liebknecht, a acquis une incontestable autorité sur les marins de la Division du peuple, qui sont pourtant loin de se sentir « spartakistes » ou même sympathisants[892]. De toute façon, ces unités sont dispersées, hétéroclites, et manquent à la fois d'un état-major et de liaisons étroites avec les ouvriers des grandes entreprises. En définitive, le prolétariat en armes de Berlin n'est pas une armée prolétarienne, mais une foule, avec ses impulsions et ses passions, et puis ses détachements autonomes qui croient à la vertu de l'action des minorités agissantes. De ce point de vue, les successives occupations du Vorwärts ont provoqué bien des polémiques. Le rôle des éléments « incontrôlables » et même des provocateurs est indéniable, mais il n'explique pas tout : les interventions de ce genre ne sont efficaces et écoutées que dans un milieu favorable, et notamment au sein d'une foule impatiente où seul le langage du révolutionnaire novice sait toucher le cœur des manifestants, parce qu'il fait écho à leurs propres sentiments.

L'éclatement de la coalition gouvernementale, l'évanouissement du mythe de l'unité, le suicide des conseils au sein de leur propre congrès, ne laissent aux ouvriers berlinois que leurs armes, et un sentiment aigu du péril imminent auquel ils ne voient point de remède politique. En décembre 1918, à Berlin, de même qu'à Petrograd en juillet 1917, les masses radicalisées voient dans la lutte armée le raccourci simplificateur qui tranchera le noeud gordien des arguments politiques auxquels ils ne veulent plus se laisser prendre. Mais il n'y a à Berlin pas de parti bolchevique pour leur ouvrir une perspective de lutte politique, ni après l'échec des premières manifestations armées et ses conséquences aisément prévisibles, pour les conduire dans une nécessaire retraite.

Du côté des dirigeants révolutionnaires, on oscille : les délégués révolutionnaires ont condamné l'occupation du Vorwärts, mais les congressistes du K.P.D. (S) ont rejeté l'analyse de Paul Levi et Rosa Luxemburg. Ceux qui devraient diriger donnent à ceux qui cherchent des indications contradictoires et le spectacle de leurs propres divergences. Ce facteur-là pèse d'un poids très lourd dans la volonté des masses d'aller de l'avant. Ainsi que le note Trotsky,

« l'irrésolution des dirigeants est ce qui débilite le plus les masses. Une attente stérile les pousse à frapper de plus en plus opiniâtrement aux portes qu'on ne veut pas leur ouvrir. »[893]

Or la contre-révolution, dans ce moment, trouve précisément ce qui manque aux révolutionnaires, une direction capable d'analyser le rapport des forces, un instrument, une troupe entraînée et disciplinée. Son chef n'est plus Ebert, bousculé par la tornade de décembre, mais un membre de son parti, un député social-démocrate qui, depuis de longues années, jouit de la confiance du corps des officiers, Gustav Noske ; celui-ci entre au gouvernement, avec Rudolf Wissell et Paul Löbe pour remplacer les indépendants démissionnaires[894]. Cet homme est décidé. « L'un de nous, déclare-t-il, doit faire office de bourreau »[895].

Il n'est plus question de compter sur l'armée traditionnelle pour rétablir l'ordre : elle n'existe plus depuis la mésaventure de Lequis. Prévoyant cependant cet effritement, des officiers se sont depuis plusieurs semaines employés à sauver du désastre des unités d'élite. A la suite d'une conférence qui s'est tenue le 6 décembre au Q.G. du général Sixte von Arnim, un général de division, Maercker, a constitué au sein de son unité un « corps franc des chasseurs volontaires » semblables à ceux qui se constituent à l'est pour lutter contre le bolchevisme[896]. Les troupes formées par Maercker sont destinées à la guerre civile, organisées, armées et instruites dans ce but. Les hommes qui les composent, volontaires touchant des soldes élevées, sont préparés à des tâches précises :

« Occupation des gares et régulatrices, protection des dépôts de matériel et de munition, police des ports, défense d'édifices publics, nettoyage des rues et des places, prise d'assaut des bâtiments. »[897]

Ils prêtent en entrant un serment spécial, « au gouvernement provisoire du chancelier Ebert jusqu'à ce que l'Assemblée nationale ait constitué un gouvernement définitif »[898]. Le 24 décembre, au moment où éclate à Berlin le conflit du Marstall, le général Maercker dispose déjà de 4 000 volontaires, installés près de Berlin, mais loin de ses foules, au camp du Zossen. Le 4 janvier, invités par le général von Lüttwitz - qui a succédé à Lequis -, Ebert et Noske passent ensemble en revue ces hommes qu'ils considèrent avec émerveillement parce que ce sont « de vrais soldats ». Noske se penche vers Ebert et lui dit : « Sois tranquille : à présent tu vas voir que la roue va tourner ! »[899].

A cette date, c'est de plus de 80 000 hommes que dispose autour de Berlin le général von Lüttwitz[900] : il ne fait aucun doute que leurs chefs comptent les utiliser dans la capitale[901]. Le temps travaille peut-être pour la révolution : il s'agit, pour ses adversaires conscients, de ne pas le laisser faire et de frapper de façon décisive pendant qu'ils en ont les moyens.

L'affaire Eichhorn.[modifier le wikicode]

C'est l'affaire Eichhorn qui constituera le prétexte, saisi de part et d'autre, pour l'épreuve de force. Vieux militant social-démocrate, vétéran radical, un des fondateurs du parti social-démocrate indépendant, le préfet de police de la révolution de novembre - surnommé parfois le « Caussidière allemand » en souvenir de 1848 - est pour les majoritaires l'un des hommes à abattre. Ils ont dû tolérer jusque-là sa présence à la préfecture de police faute de pouvoir s'en débarrasser sans détruire la coalition gouvernementale. Mais la démission des indépendants leur laisse désormais sur ce plan les mains libres. Gouvernement homogène, ils entendent nommer aux postes d'exécution des hommes à eux. Décidés à la répression, ils ne peuvent tolérer à la préfecture de police un homme dont les sympathies pour les révolutionnaires sont connues.

Ils opèrent cependant avec prudence. Le 29 décembre, leur homme de confiance, Anton Fischer, prend des contacts avec des collaborateurs d'Eichhorn et leur fait des propositions chiffrées pour le cas où ils accepteraient de s'intégrer dans les unités qu'il dirige[902]. Le 1° janvier, le Vorwärts lance l'attaque, une véritable campagne de diffamation, contre Eichhorn, accusé d'avoir reçu de « l'or russe » comme employé de la Rosta, d'avoir acheté illégalement des armes, volé des produits alimentaires : le journal social-démocrate déclare que la présence d'Eichhorn dans ses fonctions constitue « un danger pour la sécurité publique »[903]. Le 3, convoqué au ministère prussien de l'intérieur, Eichhorn s'entend accuser par le conseiller privé Doyé, collaborateur du ministre social-démocrate Hirsch, des pires méfaits, allant de l'escroquerie au vol à main armé. Le 4, au cabinet prussien, sur proposition de Hirsch, il est révoqué et remplacé par le social-démocrate Ernst[904]. Mais il refuse de s'incliner[905], soutenu en cela par toutes les organisations de gauche de Berlin, des indépendants aux I.K.D. en passant par les spartakistes et les délégués révolutionnaires.

Arthur Rosenberg, cherchant à rendre compte de l'attitude d'Eichhorn et de son refus d'abandonner son poste, conclut à l'impossibilité de l'expliquer rationnellement et parle de ses « caprices »[906]. La démission de l'indépendant Eichhorn de la préfecture de police allait à ses yeux de soi, après la démission des ministres indépendants : il était inconcevable qu'un poste de l'importance de celui-ci reste aux mains d'un homme dont l'hostilité aux majoritaires et les sympathies pour les révolutionnaires était notoire. Les indépendants n'avaient pas non plus à invoquer l'importance de ce poste-clé : avec ce genre de raisonnement, ils n'auraient jamais dû réclamer la démission de leurs ministres.

En réalité, la question ne se situe pas sur le plan juridique où la place Rosenberg. En refusant de céder la place à Ernst, Eichhorn répond au sentiment des travailleurs berlinois, pour qui lui et sa troupe, renforcée au cours des dernières semaines par des militants sûrs, constituent l'une de leurs dernières garanties contre les entreprises contre-révolutionnaires qui bénéficient au moins de la bienveillance gouvernementale. La nouvelle de sa révocation provoque une explosion de colère qui se traduit par des résolutions, des grèves, des manifestations[907].

Réunis dans la soirée du 4, les délégués révolutionnaires sont pour une fois unanimes : le recul a assez duré, il faut un coup d'arrêt. C'est également ce que pense la centrale communiste, qui propose de lancer le mot d'ordre de grève générale. Rosa Luxemburg insiste : il ne s'agit pas d'aller au-delà d'une simple grève de protestation, et il faut savoir à la fois jusqu'où Ebert est prêt à aller et comment réagiront les ouvriers des autres régions d'Allemagne[908]. Un participant communiste dira, un an et demi plus tard :

« Le 4 janvier au soir, la centrale du K.P.D. délibéra sur la situation créée par la mesure prise contre Eichhorn. Sur l'appréciation de la situation ainsi créée, il y avait une complète unanimité. Tous les présents pensaient qu'il serait insensé de tendre vers le gouvernement : un gouvernement soutenu par le prolétariat n'aurait pas eu à vivre plus de quatorze jours. En conséquence, les membres de la centrale étaient unanimes sur le point qu'il fallait éviter tous les mots d'ordre qui auraient eu nécessairement pour conséquence le renversement du gouvernement de cette époque. Nos mots d'ordre devaient être précisés dans le sens suivant : annulation de la révocation d'Eichhorn, désarmement des troupes contre-révolutionnaires (les gardes de Suppe, etc.), armement du prolétariat. Aucun de ces mots d'ordre n'impliquait le renversement du gouvernement; pas même celui de l'armement du prolétariat, dans une conjoncture où ce gouvernement aussi possédait encore dans le sein du prolétariat un parti non négligeable. Nous étions tous d'accord là-dessus : ce minimum dans les mots d'ordre devait être défendu avec le maximum d'énergie. Il devait être le résultat nécessaire d'un puissant acte de volonté révolutionnaire. (...) C'est dans ce sens que nous avons lancé nos mots d'ordre pour la manifestation. »[909]

En fait, certains désaccords subsistent, inexprimés et probablement pas encore entrevus. Liebknecht confie à un de ses camarades, hors réunion :

« Notre gouvernement est encore impossible, c'est vrai, mais un gouvernement Ledebour appuyé sur les délégués révolutionnaires est d'ores et déjà possible. »[910]

Rosa Luxemburg estime, elle, avec quelque apparence de raison, que si le renversement du gouvernement Ebert à Berlin est envisageable, une telle initiative serait dénuée de sens, car la province n'est pas prête à suivre. Les circonstances se chargeront d'aggraver cette divergence.

Quoi qu'il en soit, l'accord n'est pas pour le moment difficile à réaliser au sein de états-majors révolutionnaires. Le matin du 5, le parti social-indépendant de Berlin, les délégués révolutionnaires et le parti communiste distribuent un tract commun qui appelle à une manifestation allée de la Victoire à 14 heures :

« Il y va de votre liberté, il y va de votre avenir ! Il y va du destin de la révolution ! Vive le socialisme révolutionnaire international ! »[911]

C'est à une manifestation que les organisations berlinoises appellent, et à rien de plus. Il s'agit seulement, comme l'indique leur tract, « de montrer que l'esprit révolutionnaire des journées de novembre n'est pas encore éteint »[912], de prendre position pour une bataille qui approche, certes, mais n'est pas encore pour aujourd'hui : c'est la réponse des masses à l'appel de la manifestation qui donnera des indications sur la suite à donner[913].

Mais la protestation prend une ampleur qui surprend les organisateurs eux-mêmes : le coeur de la capitale est occupé par des centaines de milliers de manifestants, depuis les allées de la Victoire jusqu'à l'Alexanderplatz où, du haut du balcon de la préfecture de police, Ledebour, Liebknecht, Däumig, Eichhorn lui-même, exaltent la puissance des travailleurs rassemblés, célèbrent cette grandiose manifestation de leur volonté. Eichhorn clame : « J'ai reçu mon poste de la révolution et je ne le remettrai qu'à la révolution ! »[914].

Un an plus tard, le dirigeant communiste déjà cité écrira, évoquant cette manifestation :

« Ce que l'on vit (ce jour-là) à Berlin était peut-être la plus grande action prolétarienne de masse jamais vue dans l'Histoire. Nous ne croyons pas qu'il y ait eu en Russie des manifestations de masse de cette envergure. De Roland à Victoria se tenaient des prolétaires, tête contre tête. Il y en avait jusque très loin dans le Tiergarten. Ils avaient amené leurs armes, faisaient flotter leurs bannières rouges. Ils étaient prêts à tout faire et à tout donner, même leur vie. Une armée de deux cents mille hommes, comme aucun Ludendorff n'en avait vue. »[915]

Pour les organisateurs de la manifestation, le nombre des manifestants, leur acharnement, leur volonté de lutte, sont un facteur nouveau. Non seulement l'esprit révolutionnaire de novembre n'est pas mort, mais il n'a jamais été aussi vivace. Les masses berlinoises les plus larges veulent se battre ; elles ne comprendraient pas que leur manifestation demeure un geste sans lendemain.

Un pied sur la route de l'insurrection[modifier le wikicode]

Le témoin communiste poursuit son récit :

« C'est alors que se produisit l'incroyable. Les masses étaient là très tôt, depuis 9 heures, dans le froid et le brouillard. Et les chefs siégeaient quelque part et délibéraient. Le brouillard augmentait et les masses attendaient toujours. Mais les chefs délibéraient. Midi arriva et, en plus du froid, la faim. Et les chefs délibéraient. Les masses déliraient d'excitation : elles voulaient un acte, un mot qui apaisât leur délire. Personne ne savait quoi. Les chefs délibéraient. Le brouillard augmentait encore et avec lui le crépuscule. Tristement les masses rentraient à la maison : elles avaient voulu quelque chose de grand et elles n'avaient rien fait. Et les chefs délibéraient. Ils avaient délibéré dans le Marstall, puis ils continuèrent à la préfecture de police, et ils délibéraient encore. Dehors se tenaient les prolétaires, sur l'Alexanderplatz vidée, le flingot à la main, avec leurs mitrailleuses lourdes et légères. Et dedans, les chefs délibéraient. A la préfecture, les canons étaient pointés, des marins à tous les angles, et dans toutes les pièces donnant sur l'extérieur, un fourmillement, de soldats, de marins, de prolétaires. Et à l'intérieur, les chefs siégeaient et délibéraient. Ils siégèrent toute la soirée, et ils siégèrent toute la nuit, et ils délibéraient. Et ils siégeaient le lendemain matin quand le jour devenait gris, et ceci, et cela, et ils délibéraient encore. Et les groupes revenaient de nouveau sur le Siegesallee et les chefs siégeaient encore et délibéraient. Ils délibéraient, délibéraient, délibéraient. »[916]

Il y a là les dirigeants berlinois du parti social-démocrate indépendant Ledebour, Däumig, l'adjoint d'Eichhorn, Grylewicz, les délégués révolutionnaires, Scholze et d'autres, et deux membres de la centrale communiste, Karl Liebknecht et Wilhelm Pieck[917]. Le problème qu'ils débattent est en vérité complexe. Tous ont le sentiment qu'un recul de leur part dans l'affaire Eichhorn constituerait pour les ouvriers berlinois une grave déception, qu'il ne serait pas compris et ouvrirait sans doute la voie au découragement et à la démobilisation. Ils considèrent aussi qu'ils ne peuvent se battre à moitié, et que, s'il y a bataille, elle sera décisive. Beaucoup parmi eux pensent que la meilleure des défenses est dans l'attaque. On dit d'ailleurs qu'il y a des flottements dans les rangs des forces de l'ordre, que des hommes de Fischer ont refusé d'obéir quand il leur a donné l'ordre d'enlever la préfecture de police.

La centrale communiste ne s'est pas réunie depuis la veille au soir : à ce moment-là, elle était unanime pour estimer qu'on pouvait et devait obtenir l'annulation de la révocation d'Eichhorn, le désarmement des troupes contre-révolutionnaires et même l'armement du prolétariat. Tous pensaient alors qu'il aurait été erroné de lancer des mots d'ordre risquant de provoquer une bataille pour le renversement du gouvernement Ebert. Mais, depuis, il y avait eu la gigantesque manifestation de masses, et Liebknecht et Pieck peuvent à bon droit estimer que la situation a évolué.

Parmi les autres responsables présents[918], beaucoup pensent qu'il suffirait de peu pour s'emparer du pouvoir, question qu'ils n'abordent qu'en termes de rapport militaire des forces. Les révolutionnaires sont-ils suffisamment organisés pour engager une bataille qui ne saurait être que la bataille décisive ? C'est l'avis de Dorrenbach. Agitateur de talent, dont l'influence est grande sur les matelots de la division stationnée au Marstall, il affirme que les marins n'attendent qu'un signe pour se battre, aux côtés des ouvriers, en vue de renverser le gouvernement Ebert. Il ajoute que, selon les informations dont il dispose, la plus grande partie de la garnison de Berlin se trouve dans des dispositions d'esprit analogues. Il affirme enfin tenir de source sûre que plusieurs milliers d'hommes, cantonnés à Spandau et disposant de deux mille mitrailleuses et de vingt canons de campagne, se tiennent prêts à marcher sur la capitale : il faut aller de l'avant. Ledebour est convaincu et Liebknecht jette dans la balance, à ses côtés, le poids de son prestige : pour eux, il ne suffit plus de protester contre la révocation d'Eichhorn, il faut, puisque c'est possible, engager la lutte pour le pouvoir[919].

L'alliance Ledebour-Liebknecht, inhabituelle, est décisive. L'assemblée ne tient pas compte de la mise en garde d'un délégué de soldats, Albrecht, qui conteste non seulement l'appréciation portée par Dorrenbach sur l'état d'esprit de la garnison de Berlin, mais même ses certitudes quant aux dispositions des marins[920].

Richard Müller, qui préside, pense comme Liebknecht que les masses sont en train de prendre la voie révolutionnaire, mais conteste que le moment soit venu de lancer à Berlin une attaque qui, dans le meilleur des cas, n'aboutirait qu'à la victoire, dans la seule capitale, d'une avant-garde isolée du reste du pays[921]. Däumig le soutient : pour lui, il ne s'agit pas de l'emporter pour quelques jours seulement, par une éphémère Commune de Berlin, mais de vaincre définitivement et à l'échelle du pays. Mais cette fois Richard Müller et Däumig sont mis en minorité, et, au vote, ne recueillent que six voix[922]. C'est donc à la presque unanimité que l'assemblée décide de tenter l'épreuve du renversement du gouvernement. A cet effet elle désigne un « comité révolutionnaire » de cinquante-deux membres chargé de diriger le mouvement et de s'ériger, dès que nécessaire, en gouvernement révolutionnaire provisoire en attendant la réélection des conseils et la réunion d'un nouveau congrès. A sa tête, trois présidents avec des droits égaux, représentant les trois tendances alliées, Ledebour, Liebknecht, Paul Scholze[923]. Un organisme trop lourd, condamné à l'impuissance. Däumig dénonce une fois de plus l'aventure, refuse d'en partager la responsabilité et quitte la salle.

Au même moment, un incident dont les conséquences seront décisives et sur lequel toute la lumière est loin d'avoir été faite, se produit : un groupe d'ouvriers armés, agissant de façon autonome, s'empare une nouvelle fois des locaux du Vorwärts[924]. D'autres groupes, au cours de la nuit, occupent à leur tour les principales entreprises d'édition et de presse[925], en vue probablement de durcir le conflit : il est peu vraisemblable en effet que ces hommes aient pensé pouvoir régler par de telles opérations de commando la question de l'expropriation de la presse capitaliste. Ledebour dira plus tard au sujet de ces initiatives : « Cette action de masse nous a mis devant le fait accompli »[926]. Mais il était au même moment en train de placer lui-même les ouvriers berlinois devant un fait accompli d'une encore plus grande envergure.

La lutte pour le renversement du gouvernement[modifier le wikicode]

Pendant que se déroulent ces événements dans les rues de la capitale, le lourd comité révolutionnaire s'est attelé au travail préparatoire. Le bilan de son travail est mince et se réduit en fait à un appel pour une nouvelle manifestation le lundi 6 janvier à 11 heures[927] : une participation ouvrière massive aurait exigé un appel à la grève générale. Puis il rédige une proclamation - pour le moment dactylographiée - qu'il lancera au moment de prendre le pouvoir:

« le gouvernement Ebert-Scheidemann s'est rendu intolérable. Le comité révolutionnaire sous-signé, représentant des ouvriers et soldats révolutionnaires (parti social-démocrate indépendant et parti communiste), proclame sa déposition.

Le comité révolutionnaire soussigné assume provisoirement les fonctions gouvernementales.

Camarades ! Travailleurs !

Serrez les rangs autour des décisions du comité révolutionnaire !

Signé : Liebknecht, Ledebour, Scholze. »[928]

Mais cet appel ne verra jamais le jour. Déjà le sol se dérobe sous les pas du comité révolutionnaire. Les marins du Marstall protestent contre une entreprise dans laquelle ils ont été engagés contre leur gré[929] et s'en prennent à Dorrenbach qui a disposé d'eux sans les avoir consultés[930]. Ils obligent le comité révolutionnaire à quitter le Marstall où il siégeait[931], et remettent en liberté ses prisonniers, parmi lesquels Anton Fischer, arrêté par précaution au petit matin[932]. Un détachement de trois cents hommes, dirigé par le marin Lemmgen, va occuper sur l'ordre du comité révolutionnaire le ministère de la guerre : comme le sous-secrétaire d'Etat exige un ordre écrit, le chef du détachement va le réclamer et fait un somme avant de le rapporter ; lasde l'attendre, ses hommes se sont dispersés[933]. Le déroulement de la journée du 6 dissipe les illusions de la veille. Notre témoin communiste écrit :

« Ces masses n'étaient pas prêtes à s'emparer du pouvoir; autrement de leur propre initiative, des hommes se seraient mis à leur tête et leur premier acte révolutionnaire eût été de faire cesser les délibérations des chefs dans la préfecture de police. »[934]

Il y a au total, malgré les centaines de milliers de grévistes, moins de dix mille hommes décidés à se battre, les troupes d'Eichhorn, les détachements qui ont occupé journaux et imprimeries, ceux du Vorwärts, que sont venus renforcer et contrôler des communistes et des indépendants, Eugen Léviné, Werner Möller, Otto Brass et Haberland, le président du conseil de Neukölln[935]. La masse ouvrière berlinoise est prête à la grève et même à la manifestations mais pas à la lutte armée.

Dès la soirée du 6 janvier, il apparaît à beaucoup que le mouvement est en recul et que l'idée qu'on peut prendre le pouvoir est une grave erreur. Le comité central des conseils et son exécutif berlinois ont tous deux confirmé la révocation d'Eichhorn[936]. Noske, installé à l'état-major des corps francs, prépare sa contre-offensive. A la centrale communiste, c'est la crise. Radek, qui, sur les instances de Rosa Luxemburg, s'est caché depuis le début de l'action, fait, par l'intermédiaire de Duncker, tenir à la centrale un message dans lequel il l'adjure d'appeler à la reprise du travail et à entreprendre immédiatement une campagne pour la réélection des conseils ouvriers[937]. Rosa Luxemburg lui fait répondre que les indépendants s'apprêtent à capituler, et que les communistes ne doivent pas leur faciliter la tâche en sonnant le signal d'une retraite qu'elle juge, elle aussi, nécessaire[938]. Jogiches voudrait que la centrale désavoue Liebknecht et Pieck, qui ont agi sans mandat et en dehors de toute discipline de parti à partir de la soirée du 5, mais la centrale hésite devant un désaveu qui arriverait en plein combat et risquerait de n'être pas compris[939]. Les indépendants ne sont pas moins divisés et l'exécutif national envoie Oscar Cohn et Luise Zietz tenter de convaincre les Berlinois, en particulier Ledebour, qu'il faut négocier, ce à quoi le comité révolutionnaire finit par se résoudre par 51 voix contre 10[940].

Les négociations commencent dans la nuit du 6 au 7 janvier Du côté des indépendants, on souhaite un armistice dont une clause spécifierait l'évacuation des immeubles occupés par les révolutionnaires. Le gouvernement fait de l'évacuation sans conditions un préalable à tout accord[941]. Sa position s'améliore en effet d'heure en heure, avec le reflux et la désorientation dans les rangs de l'avant-garde ouvrière, la confiance qui renaît en face. Dans la nuit du 5 au 6, le tract lancé - sous le titre Extra-Blatt-Vorwärts - par l'exécutif social-démocrate montre ses intentions, traitant les « bandits armés de la Ligue Spartakus » de « fous et de criminels » qui menacent les ouvriers allemands de « meurtre, guerre civile sanglante, anarchie et famine »[942]. A partir du 6, Noske, qui a fait confier les pouvoirs de police au général von Lüttwitz, prépare l'intervention des corps francs[943]. Devant la chancellerie s'est tenu un véritable meeting harangué par Ebert lui-même et par Scheidemann, qui dénoncent les tentatives d'ériger « la dictature de Liebknecht et Rosa Luxemburg », et appellent à l'aide tous les citoyens[944]. Quelques heures plus tard commence dans l'immeuble du Reichstag la mise sur pied d'une unité armée « social-démocrate » : le 8, deux régiments, de six compagnies chacun, ont été organisés au Reichstag, avec le journaliste du Vorwärts Kuttner et le colonel Gramthow, du ministère de la guerre[945]. Le même jour, les ministres se réunissent - hors des ministères - et prennent des mesures de combat. Nommé commandant en chef, Noske décide de concentrer les corps francs dans la zone de Lichterfeld[946]. Dans la soirée du 8 janvier, les négociations sont rompues, chacun étant resté sur ses positions.

Le gouvernement lance alors un appel à la population berlinoise annonçant son intention de combattre la violence par la violence et de « mettre un terme à l'oppression et à l'anarchie »[947]. Côté révolutionnaire, Liebknecht rend visite aux occupants du Vorwärts - parmi lesquels se trouve son fils Wilhelm - et dénonce devant eux la défection des chefs indépendants[948]. Le 9, la délégués révolutionnaires, les représentants du K.P.D. (S) et ceux de l'exécutif berlinois des indépendants répondent à la proclamation gouvernementale par un appel : « Debout dans la grève générale ! Aux armes ! »

« La situation est claire. (...) Il y va du salut de tout l'avenir de la classe ouvrière, de toute la révolution sociale ! C'est publiquement que les Scheidemann-Ebert appellent leurs partisans et les bourgeois à la lutte contre vous prolétaires. (...) Il n'y a pas le choix ! Il faut combattre jusqu'au bout ! (...) Debout pour la grève générale ! Dehors, dans la rue pour le dernier combat, celui de la victoire ! »[949]

La Ligue des soldats rouges appelle de son côté les travailleurs en armes à se rassembler dans la rue pour combattre[950].

Les travailleurs de Berlin, dans leur majorité, ne sont pas prêts à prendre part, ni même à se résigner à cette guerre civile sur le point d'éclater entre deux camps qui se réclament également du socialisme. Dans les usines se tiennent réunions et assemblées, qui se prononcent presque toujours pour l'arrêt immédiat des combats, la fin de la « lutte fratricide » ; l' « unité » de tous les courants socialistes est réclamée et acclamée. Un meeting convoqué à la Humboldthain au matin du 9 avec des travailleurs du Schwartzkopff et de l'A.E.G. se tient sous le mot d'ordre :

« Prolétaires, unissez-vous, sinon avec vos chefs, du moins par dessus leurs têtes. »[951].

Une délégation de ces manifestants se rend au conseil central, où Max Cohen lui-même se fait l'écho de leur inquiétude ; c'est pour se faire immédiatement rappeler à l'ordre par le président Leinert[952]. Indépendants de droite et social-démocrates majoritaires, pour des raisons différentes, exploitent cette volonté d'apaisement pour pouvoir mieux dénoncer les aventuriers jusqu'au-boutistes. Mais le mouvement est dans une large mesure spontané, et c'est sous sa pression que les négociations, réclamées à cor et à cri par les social-démocrates indépendants, reprennent dans la soirée du 9 janvier : elles vont se poursuivre jusqu'au 11 avec une délégation gouvernementale que dirige Hermann Müller[953].

Dans l'intervalle, cependant, le temps a travaillé pour le gouvernement, de toute façon décidé à frapper. Dès le 8, ses troupes ont repris la gare d'Anhalt et le bâtiment de la direction des chemins de fer occupés depuis la veille. Le 9, elles réoccupent l'imprimerie du Reich et investissent l'immeuble du Vorwärts. Là, Brutus Molkenbuhr confirme à l'officier chargé de l'opération que les ordres sont bien de le reprendre de force[954]. Le 10, les régiments de la Garde passent à l'attaque à Spandau, qui est un bastion de l'insurrection, et menace sur leurs arrières les forces de répression : le président du conseil ouvrier est tué dans l'action, celui des conseils de soldats, l'ancien rédacteur du Leipziger Volkszeitung, le spartakiste Max von Lojevski, est arrêté et abattu avec ses compagnons de détention[955]. Dans la nuit du 10 au 11, alors que les négociations se poursuivent, l'un des négociateurs, Georg Ledebour, est arrêté ainsi que le dirigeant spartakiste Ernst Meyer[956]. Le 11 au matin, les troupes que commande le major von Stephani commencent le bombardement de l'immeuble du Vorwärts[957]. Après deux heures, les assiégés hissent le drapeau blanc, et envoient une délégation, dont les membres sont arrêtés. L'officier accorde dix minutes aux occupants pour capituler sans conditions. Plusieurs prisonniers sont abattus sur place, parmi lesquels Werner Möller et le journaliste Fernbach. Plus tard dans la soirée, les soldats reprennent l'immeuble de l'agence Wolff et les dernières maisons d'édition occupées. Le 12 enfin ils lancent l'assaut contre la préfecture de police, dans laquelle se tiennent encore quelque trois cents insurgés, dont le chef, le communiste Justus Braun, est abattu avec plusieurs de ses compagnons[958] .

La brutalité de l'offensive des hommes de Noske, la poussée du mouvement dans les entreprises pour la fin des combats fratricides ont achevé de désorganiser la médiocre direction du comité révolutionnaire, dont la dernière réunion semble bien s'être tenue le 9. La centrale du K.P.D.(S.) est elle aussi totalement désorganisée. Depuis plusieurs jours elle n'a aucun contact avec Liebknecht, qui passe son temps avec les dirigeants indépendants. Levi et Radek, qui se concertent chez ce dernier, constatent la paralysie de la direction, son impuissance face aux décisions claires qui s'imposent. Le 9, ils envisagent ensemble d'intervenir dans les assemblées ouvrières afin de proposer la retraite, l'évacuation des immeubles occupés, ce qui leur paraît l'unique moyen de faire reculer la répression qui menace. Mais ils renoncent à ce projet - initiative aussi personnelle que celles de Liebknecht et Pieck - quand ils apprennent qu'il est trop tard, puisque les troupes se sont mises en mouvement[959]. Radek, le 9 janvier, écrit à la centrale une lettre que Levi va porter :

« Dans votre brochure sur le programme, Que veut la Ligue Spartakus ?, vous déclarez que vous ne voulez vous emparer du pouvoir que si vous avez derrière vous la majorité de la classe ouvrière. Ce point de vue pleinement correct a son fondement dans le simple fait que le gouvernement ouvrier est inconcevable sans organisation de masse du prolétariat. Aujourd'hui, les seules organisations de masse à considérer, les conseils d'ouvriers et de soldats, n'ont de force que sur le papier. Par conséquent, ce n'est pas le parti du combat, le parti communiste, qui les domine, mais les sociaux-patriotes ou les indépendants. Dans une telle situation, il n'est absolument pas question de songer à une éventuelle prise du pouvoir par le prolétariat. Si le gouvernement tombait entre vos mains à la suite d'un putsch, vous seriez coupés de la province et balayés en quelques heures. »[960]

Il considère donc comme une grave erreur l'initiative prise, avec l'approbation des représentants du parti :

« Dans cette situation, l'action décidée samedi par les délégués révolutionnaires en réplique à l'attaque du gouvernement social-patriote contre la préfecture de police ne devait avoir que le caractère d'une action de protestation. L'avant-garde prolétarienne, exaspérée par la politique gouvernementale, mal dirigée par les délégués révolutionnaires que leur inexpérience politique rend incapables de saisir le rapport des forces dans l'ensemble du Reich, a, dans son élan, transformé le mouvement de protestation en lutte pour le pouvoir. Cela permet à Ebert et Scheidemann de porter au mouvement berlinois un coup qui peut affaiblir le mouvement tout entier. »[961]

S'appuyant sur l'exemple des bolcheviks en juillet 1917, Radek se prononce donc catégoriquement pour que les dirigeants communistes prennent leurs responsabilités, l'initiative, devant les masses, d'un appel à battre en retraite :

« L'unique force capable de freiner et d'empêcher ce désastre, c'est vous : le parti communiste. Vous avez assez de perspicacité pour savoir que ce combat est sans espoir : que vous le savez, vos membres, les camarades Levi et Duncker me l'ont dit. (...) Rien ne peut empêcher celui qui est plus faible de battre en retraite devant une force supérieure. En juillet 1917, alors que nous étions infiniment plus forts que vous ne l'êtes aujourd'hui nous avons de toutes nos forces retenu les masses et, comme nous n'y avons pas réussi, nous les avons conduites, au prix d'efforts inouis, vers la retraite, hors d'une bataille sans espoir. »[962]

il est incontestable que l'analyse de Radek correspond à un sentiment profond extrêmement répandu parmi les travailleurs berlinois, décidés à se défendre contre les entreprises contre-révolutionnaires, mais désorientés par la politique incohérente des dirigeants révolutionnaires et par la guerre civile qui oppose les différents partis ouvriers. Le jour même où il adresse cette lettre à la centrale, 40 000 ouvriers des usines A. E. G., Schwarzkopff et quelques autres, se réunissent à Humboldthain et élisent une commission de huit membres (deux de chaque parti et deux des délégués révolutionnaires)[963] chargée d'organiser une campagne sur les mots d'ordre adoptés : retrait des dirigeants actuels, mise en place de dirigeants « non compromis », dissolution du grand quartier général, suppression des grades, démobilisation de l'armée[964]. Le lendemain, ce sont 15 000 travailleurs de Spandau qui réclament le retrait des commissaires du peuple, la formation à tous les niveaux de comités formés paritairement de représentants des trois partis, majoritaire, indépendant et communiste, la réélection des conseils d'ouvriers et de soldats[965]. Dans les jours qui suivent, les résolutions se multiplient en ce sens, qui réclament toutes le retrait d'Ebert et Scheidemann, la nomination d'un autre indépendant à la préfecture de police, la formation d'un gouvernement des trois partis ouvriers[966]. Le fait que de nombreux militants social-démocrates rallient ces positions montre la profondeur du sentiment unitaire, l'hostilité de la masse ouvrière berlinoise à ce qui lui paraît un combat fratricide. Les positions de Radek, adoptées par la centrale, eussent pu permettre au parti communiste de ne pas apparaître comme responsable directement ou indirectement de la poursuite de ces combats, d'entraîner dans une retraite nécessaire les indépendants et les délégués révolutionnaires éperdus et d'isoler au sein du parti social-démocrate ceux qui ne rêvaient que répression contre l'extrême-gauche, les alliés conscients de l'état-major. Mais les dirigeants spartakistes - y compris Rosa Luxemburg - jugeront autrement la situation : ils feront de la résistance et du maintien de l'occupation du Vorwärts une question d'honneur, poursuivant ainsi avec les délégués révolutionnaires et les indépendants de gauche une sorte de surenchère à gauche, et laisseront les indépendants exploiter à leur profit l'aspiration unitaire dont en définitive les majoritaires profiteront seuls, puisqu'ils réussiront à faire croire que seuls les communistes ont été hostiles à la formation d'une alliance ouvrière dans ces circonstances. S'engageant jusqu'au bout dans l'acte insurrectionnel à moitié engagé, ils laisseront du coup les adversaires d'Ebert au sein du parti social-démocrate majoritaire désarmés face à une politique de répression sans solution de rechange apparente[967].

Dans la discussion qui suit à la centrale, Levi défend le point de vue de Radek ; Jogiches va plus loin et réclame un désaveu public de l'action de Liebknecht et Pieck dans Die Rote Fahne. Quoique Rosa Luxemburg partage son sentiment - elle aurait, selon Paul Levi, dit qu'il ne lui serait plus possible, désormais, de continuer à travailler avec Liebknecht[968], ce désaveu public ne sera pas fait. Simplement, au nom de la centrale du K.P.D.(S.), Wilhelm Pieck adresse, le 10 janvier, aux délégués révolutionnaires et au comité d'action, une lettre annonçant le retrait des représentants du K.P.D.(S.) de ce comité. La lettre reproche aux délégués révolutionnaires leur « incertitude et leur irrésolution », ainsi que d'avoir « engagé des pourparlers démoralisateurs, désorganisateurs, paralysants », laissant donc entendre qu'il faut que combat continue[969]. C'est probablement à l'issue de cette discussion que Rosa Luxemburg dresse, pour Die Rote Fahne, un véritable réquisitoire contre les indépendants :

« Une fois de plus, l'U.S.P. a joué le rôle de l'ange sauveur - de la contre-révolution. Haase-Dittmann ont bien démissionné du gouvernement Ebert mais, dans la rue, ils poursuivent la même politique qu'au gouvernement. Ils servent de paravent aux Scheidemann (...). Avant toute chose, les semaines qui viennent doivent être consacrées à la liquidation de l'U.S.P., ce cadavre pourrissant dont la décomposition empoisonne la révolution. »[970]

Le 8 janvier, elle écrivait :

« L'Allemagne était jusqu'ici la terre classique de l'organisation, on y avait le fanatisme de l'organisation, disons-le, on en faisait parade. Tout devait être sacrifié à « l'organisation », l'esprit, les buts, la capacité d'action du mouvement. Et aujourd'hui, que voyons-nous ? Aux moments décisifs de la révolution, ce « talent d'organisation » tant vanté fait fiasco de la plus piteuse façon. »[971]

Le 11, elle précise :

« L'absence de direction, l'inexistence d'un centre chargé d'organiser la classe ouvrière berlinoise, ne peuvent plus durer. Si la cause de la révolution doit progresser, si la victoire du prolétariat, si le socialisme doivent être autre chose qu'un rêve, il faut que les ouvriers révolutionnaires mettent sur pied des organismes dirigeants en mesure de guider et d'utiliser l'énergie combative des masses. »[972]

Ainsi, sous l'influence de ces journées de combat révolutionnaire, Rosa Luxemburg semble-t-elle se rapprocher de la conception du parti révolutionnaire qu'elle avait jusque-là combattue[973]. Elle va, dans un dernier article, tenter de dresser le bilan de la « semaine spartakiste »[974]. Il n'y a pour elle aucun doute et, elle le répète, il était impossible de s'attendre à « une victoire décisive du prolétariat révolutionnaire », à la chute des Ebert-Scheidemann et à « l'instauration de la dictature socialiste ». La cause en réside dans le manque de maturité de la révolution, l'absence de coordination entre les foyers révolutionnaires - « l'action commune donnerait aux coups de boutoir et aux ripostes de la classe ouvrière berlinoise une tout autre efficacité » -, le fait que « les luttes économiques n'en soient qu'à leur début ». Dans ces conditions, il faut se demander si la semaine écoulée constitue une « faute ». Elle ne le pense pas, car elle estime que les travailleurs ont été provoqués :

« Placés devant la provocation violente des Ebert-Scheidemann, les ouvriers révolutionnaires étaient contraints de prendre les armes. Pour la révolution, c'était une question d'honneur que de repousser l'attaque immédiatement, de toute son énergie, si l'on ne voulait pas que la contre-révolution se crût encouragée à un nouveau pas en avant ; si on ne voulait pas que fussent ébranlés les rangs du prolétariat révolutionnaire et le crédit dont jouit au sein de l'Internationale la révolution allemande. »[975]

Ce sont en définitive, « la contradiction entre la tâche qui s'impose et l'absence, à l'étape actuelle de la révolution, des conditions préalables permettant de la résoudre » qui expliquent, selon elle, que le combat se soit formellement terminé par une défaite. Mais l'histoire enseigne que la route du socialisme est « pavée de défaites », et qu'elles mènent à la victoire qui sait en tirer les leçons :

« La direction a été défaillante. Mais on peut et on doit instaurer une direction nouvelle, une direction qui émane des masses et que les masses choisissent. (...) Les masses ont été à la hauteur de leur tâche. Elles ont fait de cette « défaite » un maillon dans la série des défaites historiques qui constituent la fierté et la force du socialisme international. Et voilà pourquoi la victoire fleurira sur le sol de cette défaite. »[976]

Malgré cet acte de foi, le titre donné par Rosa Luxemburg à son article, « L'Ordre règne à Berlin », résumait la situation dans toute sa brutalité. La direction du parti communiste n'avait pas été capable d'empêcher l'écrasement d'un mouvement qu'elle avait contribué à déclencher et qu'elle n'avait rien fait pour empêcher ou arrêter. Elle avait sans doute laissé passer pour longtemps l'occasion d'une lutte pour l'unité du front de classe contre les dirigeants alliés des généraux. Elle allait durement payer l'action gauchiste inconsidérément engagée par Liebknecht et la majorité des délégués révolutionnaires - ceux-là mêmes qui, quelques jours plus tôt, reprochaient à Spartakus sa « tactique putschiste ».

Le double assassinat[modifier le wikicode]

Les corps francs sont en effet décidés à frapper à la tête, et recherchent activement les dirigeants révolutionnaires. Dorrenbach, Emil Eichhorn, Paul Scholze, réussissent à quitter la capitale[977], mais Rosa Luxemburg et Liebknecht y demeurent. Rosa Luxemburg est encore en train de travailler dans les locaux de la rédaction de Die Rote Fahne alors que les troupes de Noske donnent l'assaut de l'immeuble du Vorwärts, et Levi a beaucoup de peine à la persuader que sa vie est en danger et qu'elle a le devoir de se cacher. Liebknecht fait preuve de la même inconscience, insiste au même moment afin qu'on prenne des dispositions pour une réunion publique où Rosa et lui-même prendraient la parole au nom du parti. L'un et l'autre acceptent finalement de se cacher, mais refusent de quitter Berlin au moment où la répression frappe les ouvriers[978]. Ils se réfugient d'abord à Neukölln, les 12 et 13 janvier, puis dans l'appartement d'un sympathisant à Wilmersdorf. C'est là que Rosa Luxemburg découvre à la lecture de Vorwärts que Liebknecht a apposé sa signature sous le fameux texte du comité révolutionnaire[979]. Elle lui dit : « Karl, c'est ça notre programme ? »[980]. Le silence tombe entre eux.

C'est dans ce même appartement qu'ils sont arrêtés, ainsi que Wilhelm Pieck qui venait de leur apporter de faux papiers, dans la soirée du 15 janvier. Tous trois sont transférés dans le centre, à l'hôtel Eden, où s'est installé le quartier général de la division de la garde, et interrogés par le capitaine Pabst. Au cours de la nuit, Liebknecht le premier, puis Rosa Luxemburg, quittent l'hôtel sous escorte pour être écroués à Moabit. Le 16, Vorwärts est l'unique quotidien qui annonce dans son édition du matin l'arrestation des deux dirigeants communistes. Dans un commentaire, il se félicite de la « générosité » des vainqueurs qui ont su défendre « l'ordre, la vie humaine, le droit, contre la force »[981].

Cependant, la presse de midi annonce la nouvelle sous de gros titres : Liebknecht et Rosa Luxemburg sont morts, le premier abattu au cour d'une tentative de fuite, et la seconde lynchée par des inconnus qui auraient arrêté sa voiture pendant son transfert à Moabit. Un communiqué de la division de la Garde donne des détails qui constituent pour le moment l'unique source d'information. Liebknecht, frappé à la tête par un inconnu, était blessé lors de son départ de l'hôtel Eden ; profitant d'une panne, il aurait tenté de s'enfuir dans le Tiergarten et aurait été abattu après les sommations d'usage. Quant à Rosa Luxemburg, assommée par la foule à la sortie de l'hôtel Eden, emportée sans connaissance, elle aurait été enlevée à ses gardes et achevée. Le cadavre de Liebknecht est à la morgue, celui de Rosa Luxemburg n'a pas été retrouvé[982].

La vérité se fait jour peu à peu : ce sont les militaires qui ont tué leurs prisonniers, après les avoir vraisemblablement durement malmenés au cours des premiers interrogatoires. Liebknecht, sorti le premier, a été frappé d'un coup de crosse à la nuque par le soldat Runge, jeté ensanglanté dans une auto, qui l'a emporté dans le Tiergarten, où son escorte l'a achevé : le lieutenant de vaisseau von Pflugk-Hartung a dirigé toute l'opération. Le cadavre a été ensuite déposé au poste de police du Zoo comme cadavre « non identifié ». Rosa Luxemburg, très mal en point déjà, a été frappée par Runge dans les mêmes conditions, emportée évanouie et achevée. Son corps, lesté de pierres, a été ensuite jeté dans le canal, qui ne le restituera que des mois après. C'est le lieutenant Vogel qui a dirigé l'opération[983].

Quelques mois plus tard, en mai 1919, le conseil de guerre condamnera Runge à deux ans et Vogel à deux ans et demi de prison, acquittant von Pflugk-Hartung[984]. Vogel s'évadera grâce à la complicité d'un de ses juges, le lieutenant de vaisseau Canaris[985], et gagnera l'étranger.

Les conséquences-du double meurtre sont incalculables. Certes, malgré les efforts de Jogiches et Levi, qui consacrent à l'enquête d'immenses efforts, la responsabilité directe d'aucun dirigeant social-démocrate ne peut être retenue. En revanche, leur responsabilité morale est écrasante : deux jours auparavant, le Vorwärts avait publié un véritable appel au meurtre contre « Karl, Rosa et consorts, pas un mort, pas un, parmi les morts »[986], et ce sont des hommes réunis, armés et finalement couverts par Noske et les ministres social-démocrates qui ont perpétré l'assassinat. Scheidemann dira : « Voici que leur propre tactique terroriste les a eux-mêmes frappés ! »[987]. Entre social-démocrates et communistes allemands, il y a désormais le sang de Liebknecht et Rosa Luxemburg.

Le jeune parti communiste est privé simultanément de sa meilleure tête politique et de son tribun le plus prestigieux. Rosa Luxemburg et Liebknecht étaient connus de tous les ouvriers allemands, estimés dans tout le mouvement international. Seuls de tous les communistes hors de Russie ils étaient de taille à discuter d'égal à égal avec les dirigeants bolcheviques, à constituer, dans l'Internationale à fonder avec eux, un contrepoids à leur autorité. Par-dessus le marché, les dépositions de Runge et surtout les déclarations du capitaine Pabst tendent à faire peser sur Pieck, épargné par les tueurs, de terribles suspicions, qui nécessiteront une enquête du parti dont les conclusions n'ont pas cessé d'être discutées[988].

Le double meurtre ne creuse pas seulement un fossé entre majoritaires et révolutionnaires. Il convainc également bien des révolutionnaires que leur unique erreur a été de trop temporiser. Il faudra aux détachements isolés de communistes allemands plusieurs mois d'une expérience cruelle pour se persuader que leurs erreurs étaient d'un autre ordre.

  1. Liebknecht, Klassenkampf... , p. 14.
  2. Ibidem, pp. 55, 87.
  3. Illustrierte Geschichte, p. 99 et Scheidemann, Memoiren, I, pp. 257-258.
  4. Trotsky, Ma Vie, p. 276.
  5. Cité par C. Grünberg, Die Internationale und der Weltkrieg, t. I, p. 51.
  6. Ibidem, pp. 63-64.
  7. Scheidemann, Memoiren, 1, p. 235.
  8. Ebert, Schriften, 1, p. 309. Voir aussi D. K. Buse « Ebert and the Coming of World War 1 - A Month from his Diary ». International Review of Social History, 1968, n° 3, pp. 430-448.
  9. Scheidemann, op. cit., I, p. 245.
  10. Cité par E. Prager, Geschichte der U.S.P.D., p. 34.
  11. Schorske, op. cit., p. 290.
  12. Umbreit, Die Ibidem Gewertschaften im Weltkrieg, p. 21.
  13. Ibidem, p. 21-30.
  14. Grünberg, op. Cit., I, p. 73.
  15. Borkenau, World Communism, p. 58.
  16. Notamment dans Krieg und Sozialismus.
  17. Die Revolution, n° 2, 1924, cité par G. Badia, « L'Attitude de la gauche sociale-démocrate allemande dans les premiers mois de la guerre » Le Mouvement social, n° 49, 1964, p. 84.
  18. G. Badia, Ibidem.
  19. Ibidem, pp. 85-86.
  20. Dokumente und Materialen, I, p. 35, n. 5.
  21. Klassenkampf.... p. 17, lettre de Scheidemann du 7 octobre 1914, Ibidem, p. 23.
  22. Lettre de Liebknecht, 10 octobre 1914, Ibidem, p. 24.
  23. Schorske, op. cit., p. 297.
  24. Grünberg, op. cit., p. 41.
  25. Ill. Gesch, p. 515.
  26. Schorske, op. cit., p. 298.
  27. Ill. Gesch, p. 515.
  28. Prager, op. cit., pp. 30-32.
  29. Ill. Gesch, p. 515.
  30. Keil, Erlebnisse, I, pp. 306-317.
  31. Tous les dirigeants de l'opposition, de Haase à R. Luxemburg en passant par CI. Zetkin et Mehring, connurent pendant cette période de graves troubles de santé.
  32. Lettre du 3 décembre, Klassenkampf..., p. 41.
  33. Ibidem, p. 89.
  34. Œuvres, XXI, p. 9-12.
  35. Ibidem, pp. 9-10.
  36. Ibidem, pp. 23-24.
  37. Ibidem, pp. 10.
  38. Ibidem.
  39. Ibidem, pp. 248.
  40. Ibidem, pp. 255-256.
  41. Ibidem, p. 95.
  42. Ibidem, p. 28.
  43. Ibidem, p. 128.
  44. Ibidem, p. 105.
  45. Ibidem, p. 128.
  46. Ibidem, p. 108.
  47. Ibidem, p. 35.
  48. Ibidem, p. 342.
  49. Bock, op. cit., pp. 66-72.
  50. Ibidem, p. 72-77.
  51. Œuvres, XXXVI, p. 330-337.
  52. Voir notamment « Zut Einführung », Vorbote, n° 1, janvier 1916, pp. 1-4, et « Der Imperialismus und die Aufgaben des Proletariats », ibidem, pp. 7-9, dont Bricianer donne résumé et extraits, op. cit., pp. 121-128.
  53. Œuvres, XXXV, p. 393.
  54. Œuvres, XXXVI, p. 333.
  55. Œuvres, XXXVI, p. 336.
  56. Œuvres, XXXVI, p. 331.
  57. Radek, « Der ente Schritt », Lichtstrahlen, 3 octobre 1915, pp. 3-5.
  58. Ill Gesch, p. 515.
  59. Texte dans Dok. u. Mat., II/1, pp. 162-166.
  60. Œuvres, XXI, p. 337-338.
  61. Vorwärts, 20 février 1915.
  62. Ill. Gesch, p. 515.
  63. Bock, op. cit., pp. 73.
  64. Dok. u. Mat., II/1, p. 490.
  65. Ill Gesch, p. 123-126.
  66. Cité par Ill. Gesch, p. 113.
  67. Ill. Gesch., p. 125 ; on trouvera une étude complète sur le problème du ravitaillement dans l'article d'André Sayous, « L'Epuisement économique de l'Allemagne entre 1914 et 1918 », Revue historique, janvier-mars 1940, pp. 6675.
  68. Cité par Ill. Gesch, p. 113.
  69. Ibidem, pp. 123-124.
  70. Dok. u. Mat., II/1, pp. 167-168.
  71. Ill. Gesch., p. 128.
  72. Ibidem, pp. 516.
  73. Ibidem.
  74. Ibidem.
  75. Texte dans Dok. u. Mat., II/1, pp. 376-378.
  76. Compte rendu dans Ibidem, pp. 376-378.
  77. Erwin Winkler, « Die Berliner Obleutebewegung im Jahre 1916 », ZfG, 1968, n° 11, p. 1427 ; Bartel, op. cit., p. 323.
  78. Bartel, op. cit., pp. 323-324.
  79. Ibidem.
  80. Ill. Gesch, p. 312.
  81. Ibidem, p.331.
  82. Ibidem, p. 516.
  83. Ill. Gesch, p. 516.
  84. Lettre du 8 août 1916, V. Adler, op. cit., p. 630.
  85. Bartel, op. cit., pp. 190-191, Wohlgemuth, op. cit., pp. 64-65.
  86. Voir note 1, chap.
  87. Horst Schumacher, Sie nannten ihn Karski, p. 134, n° 107 a prouvé l'erreur de Paul Schwenk attribuant cet article à Mehring.
  88. Dok. u. Mat., II/1, p. 31.
  89. Dok. u. Mat., p. 77.
  90. Klassenkampl..., p. 17, Dok. u. Mat., p. 64.
  91. I.M.L.-Z.P.A., Wilhelm. Pieck. Mappe, Dokumente du K.P.D. 1914. 1929, N.L. 36/2, Extraits importants dans G. Badia, Le Spartakisme, pp. 326-337.
  92. I.M.L., Moskau. Archiv, Fonds 210, Karl Liebknecht, n° 836, cité par Wohlgemuth, op. cit., p. 98.
  93. Bartel, op. cit., p. 222 et I.M.L.-Z.P.A., N.L. 36/2. Etaient: présents : Pieck, Liebknecht, Mehring, Kâthe et Hermann Duncker, Geithner, Rühle, Paul Levi, Crispien, Berten, Merkel et Gäbel.
  94. Voir l'introduction de Wohlgemuth à la reproduction photographique de ce numéro de Die Internationale, Berlin-Est,1965.
  95. Ill. Gesch., p. 142.
  96. Bartel, op. cit., p. 250; Ill. Gesch., p. 516.
  97. Ill. Gesch., p. 142.
  98. Dok. u. Mat., II/1, pp. 201-206.
  99. Unter der roten Fahne, p. 92.
  100. Le 28 mai 1915 (Ill. Gesch. p. 515).
  101. Le 18 septembre 1915 (Ibidem).
  102. Le 13 octobre 1915 (Ibidem).
  103. Ibidem, p. 142.
  104. Münzenberg, Die Dritte Front, p. 43.
  105. Ibidem, pp. 156-165.
  106. W. Bartel, op. cit., p. 237.
  107. Texte dans Dok. u. Mat., II/1, pp. 169-173.
  108. Parmi les signataires figurent nombre de futurs dirigeants communistes : Brandler, Brass, Däumig, Eberlein, Heckert, Lange, Merges, Paul Neumann, Rühle, Thalheimer, Walcher, etc., ainsi que les futurs chefs indépendants Crispien, Robert Dissmann, Ledebour.
  109. K. Duncker, Eberlein, Knief, Liebknecht, Lindau, Mehring, Meyer, Minster, Rühle, Schumann, August et Bertha Thalheimer (Ill. Gesch, p. 135). Voir également Bartel, op. cit., pp. 270-275 et Wohlgemuth, op. cit., pp. 167-171.
  110. Dok. u. Mat., II/1, pp. 279-282.
  111. C'est la découverte, en 1948, des notes d'un participant, Ohloff, qui a fait connaître cette conférence. Ulla Plener, « Die Mârzkonferenz der Spartakusgruppe, ein Markstein auf dern Wege Zur Gründung der K.P.D. », BzG, 1961, n' 4, pp. 812-841.
  112. Voir notamment « A propos de la brochure de Junius », Œuvres, t. XXII, pp. 328-343.
  113. « Zur Parteispaltung », Vorwärts, 12 janvier 1916; Dok. u. Mat., II/1, pp. 301-307.
  114. Bock, op. cit., p. 74.
  115. Unter der roten Fahne, p. 103.
  116. Ill. Gesch, p. 131 ; Bartel, op. cit., p. 307.
  117. Walcher, Hœrnle, Crispien et Rück le dirigent. (Ill.. Gesch., p. 143.)
  118. Ibidem.
  119. Frölich, op. cit., p. 277 ; Wohlgernuth, op. cit., p. 186.
  120. Globig, ... aber verbunden sind wir mächtig, p. 138 ; I.M.L., Moscou, fonds préhistoire K.P.D., n'°1138, cité par Wohlgemuth, op. cit., p. 169.
  121. Unter den roten Fahne, pp. 101-102.
  122. Ch. Beradt, op. cit., p. 17, croit utile de défendre Levi contre ses accusateurs de droite en expliquant l'objectif militant de ses séjours en Suisse.
  123. Prestige qui grandit encore après sa condamnation.
  124. S. Heckert « Die Linken in Chemnitz ira Kampf gegen den Opportunismus für die Herausbildung einer revolutionären Partei », BzG, 1967, n° 1, pp. 109 sq.
  125. Sur ces espoirs voir Œuvres, p. XXXVI, pp. 336-337.
  126. Vorwärts und nicht vergessen, p. 253.
  127. Ibidem, p. 235.
  128. Vorwärts und..., p. 142.
  129. Ibidem, p. 143.
  130. Ibidem, p. 144.
  131. Ibidem, p. 147.
  132. Ibidem, p. 148.
  133. Ibidem, p. 169.
  134. Voir à ce sujet, W. Tormin, Zwischen Râtediktatur und sozialer Demokratie, pp. 40-44 ; P. Von Œrtzen, Betriebsräte in der November-revolution, pp. 71-78 ; Erich Winkler, « Die Berliner Obleutebewegung im Jahre 1916 », ZfG, 1968, n° 11, pp. 1422-1435. Voir aussi les souvenirs de Richard Müller, Vom Kaiserreich zur Republik.
  135. R. Müller, Vom Kaiserreich zur Republik, pp. 59-60.
  136. Selon P. von Œrtzen, op. cit., p. 74, qui s'oppose avec des arguments convaincants au chiffre de 80 à 100 avancé par Tormin, op. cit., p. 42.
  137. R. Müller, op. cit., p. 66.
  138. Von Œrtzen, op. cit., p. 73, et souvenirs des premiers militants dans Vorwärts und..., pp. 269 sq. & 349 sq. Pour Grothe, voir sa biographie dans H. Weber, Der Gründungsparteitag, p. 317.
  139. Voir biographies en annexe.
  140. Von Œrtzen, Ibidem, laisse également entendre que Paul Scholze était membre du groupe spartakiste, ce qui est possible mais qu'aucun texte ne confirme. En janvier 1919, en tout cas, il ne rejoint pas le K.P.D. (S). J. S. Drabkin considère comme « forces révolutionnaires à l'œuvre au sein des délégués révolutionnaires » Franke, Schöttler Nowakowski, et Hans Pfeiffer. (Die Novemberrevolution, p. 448.)
  141. E. Winkler, op. cit., pp. 1429-1430. Le groupe des délégués révolutionnaires semble être resté pendant toute la guerre imperméable à la police : il n'existe en tout cas aucun rapport sur eux dans les documents publiés par Leo Stern.
  142. Spartakusbriefe (éd. 1958), pp. 137-139.
  143. « Die Wiederaufbau der Internationale », R. Luxemburg, Ausgewâhlte Reden und Schriften, II, p. 521.
  144. « Die Krise der Sozialdemokratie », Ibidem, p. 269.
  145. Voir notamment à ce sujet la lettre de Leo Jogiches à Heckert et Brandler, en septembre 1916, citée par H. Wohlgemuth, Die Entstebung der K.P.D., p. 193.
  146. « Offene Brief an Gesinnungsfreunde », signée Gracchus, Der Kampf, Duisburg, n° 31, 6 janvier 1917, reproduite dans Dok. u. Mat., II/1, p. 525.
  147. Ibidem.
  148. Borkenau, op. cit., p. 61.
  149. Klassenkampf.., pp. 51-52.
  150. Prager. Geschichte des U.S.P., pp. 53-54.
  151. Ibidem p. 60.
  152. Schorske, op. cit., p. 303.
  153. Stenographische Berichte der Verbandlungen des deutschen Reichstages, CCCVI, p. 46. Prager, op cit., pp. 56-57, ne relève pas les phrases nationalistes.
  154. Voir chap. IV, note 112.
  155. Dok. u. Mat., II/1, p. 169, n° 1.
  156. « Das Gebot der Stunde », Leipziger Volkszeitung, 19 juin 1915; Prager, op. cit., pp. 72-74.
  157. Bartel, op. cit., p. 240, n° 1.
  158. Scheidemann, Der Zusammenbruch, pp. 30-32 ; Stenographische Berichte... CCCVI, p. 443.
  159. Prager, op. cit, pp. 87-88.
  160. Ibidem, p. 87.
  161. Ibidem, p. 90.
  162. Ibidem, p. 91.
  163. Schorske, op. cit., p. 309.
  164. Prager, op. cit., pp. 94-95.
  165. Ibidem, pp. 95-96.
  166. Texte de la déclaration dans Prager, op. cit., p. 96.
  167. Klassenkampf..., pp. 90-92; « Die Dezembermänner von 1915 », Spartakusbriefe, pp. 86-91.
  168. Spartakusbriefe, pp. 165-166.
  169. Unter den roten Fahne, pp. 90-91.
  170. Kautsky écrit à Adler le 7 août 1916 : « Le danger qui nous menace de la part du groupe Spartakus est grand. ( ... ) Si la gauche de la fraction s'était manifestée en affirmant son autonomie il y a un an, comme je le souhaitais, le groupe Spartakus n'aurait pu prendre aucune importance » (Brielwechsel.... p. 361).
  171. Prager, op. cit., pp. 116-119.
  172. Stenographische Berichte..., CCCVIII, pp. 2290-2294.
  173. Protokoll über die Verbandlungen des Gründungsparteitages der U.S.P..., « Bericht », p. 88.
  174. Ibidem, pp. 97-98 ; Prager, op. cit., p. 124.
  175. 35 spartakistes sur 157 délégués (Prager, op. cit., p. 125).
  176. Protokoll U.S.P., p. 99 ; Prager, op. cit., pp. 125-126.
  177. Prager, op. cit., pp. 126-127, en donne le texte.
  178. Ibidem, p. 126.
  179. Prager, op. cit., pp. 129-130, Protokoll des S.P.D. Parteitages, 1917, p. 36.
  180. Prager, op. cit., pp. 130-131.
  181. Ibidem, p. 131.
  182. Ill. Gesch., p. 148. Ossip K. Flechtheim, Die K.P.D. in der weimarer Republik, p. 109, mentionne une autre estimation, celle de Drahn, qui attribue 248 000 membres au S.P.D. Et 100 000 àl'U.S.P.D. Il note que, selon Ebert, l'U.S.P.D. avait à Berlin 14 000 adhérents, contre 12 000 au S.P.D.
  183. Vorwärts, 12 janvier 1916 ; reproduit dans Dok. u. Mat., II/1, pp. 301-305.
  184. « Les Tâches de l'opposition en France », lettre au camarade Safarov, Œuvres, t. XXII, pp. 131-136.
  185. « Nüchterne Prüfung und scharfe Entscheidung », Dok. u. Mat., II/1, 328-333.
  186. E.Meyer, Spartakus im Kriege, p. 14.
  187. F. Globig, ... aber verbunden sind wir mächtig, p. 138.
  188. Unter der roten Fahne, p. 90.
  189. « Unterm eigenen Banner », Arbeiterpolitik, 1917, n° 8 et 9, dans In den Leoben der Deutscben Revolution, p. 411.
  190. S. Beckett, « Die Linken in Chemnitz im Kampf gegen den für die Herausbildung einer neuen, revolutionären Partei », BzG, n° 1, 1967, pp. 109 sq.
  191. « Wir und die andern », signé « P. L. », Arbeiterpolitik, n° 9, 1917.
  192. Arbeiterpolitik, n° 10, 10 mars 1917.
  193. Extraits de sa lettre dans Ill. Gesch., pp. 147-148.
  194. Leipziger Volkszeitung, 15 avril 1917.
  195. Protokoll U.S.P., 1917, pp. 19-23. L'orateur spartakiste provoque des mouvements divers en citant élogieusement les écrits d'avant-guerre de Radek (pp. 62-67).
  196. Déclaration de Brème et Hambourg dans Dok. u. Mat., II/1, p. 605.
  197. Schorske, op. cit., pp. 314-315.
  198. Protokoll U.S.P. 1917, p. 49.
  199. Ibidem, pp. 39-40.
  200. Protokoll U.S.P. 1917, p. 56.
  201. Ibidem, p. 47.
  202. Ibidem, p. 48.
  203. Ibidem.
  204. Ibidem.
  205. Le projet d'organisation était présenté par Wilhelm Dittmann. La direction comprenait Dittmann, Haase, Hofer, Laukant, Ledebour, Wengels et Luise Zietz. Ernst Meyer avait été battu. Le Beirat comprenait Dissmann, Paul Dittmann, Fleissner, Grütz, Henke, Sepp Oerter et Schnellbacher (Prager, op. cit., p. 154).
  206. Ibidem, pp. 24-26, 29.
  207. Ibidem, p. 22.
  208. Bericht über den Gründungsparteitag der K.D.P., p. 4.
  209. Schorske, op. cit., p 321.
  210. Arbeiterpolitik, n° 8, 24 février 1917, Dok. u. Mat., I/1, p. 571.
  211. Arbeiterpolitik, n° 10, 10 mars 1917, Ibidem. , p. 573.
  212. Ibidem, p. 578.
  213. Arbeiterpolitik, n° 18, 5 mai 1917, Dok. u. Mat., I/1, p. 605.
  214. Arbeiterpolitik, n° 30, 28 juillet 1917.
  215. Wohlgemuth, Die Enstehung der K.P.D., p. 219, donne le premier compte-rendu de cette conférence, jamais mentionnée auparavant.
  216. J. Borchardt, Revolutionshoffnung ! (2° éd., 1917), non consulté.
  217. W. Münzenberg, Die Dritte Front, pp. 197-204.
  218. Œuvres, t. XXXII, p. 549.
  219. A la conférence d'Olten, selon H. Guilbeaux, Du Kremlin au Cberche-Midi, p. 106.
  220. « Déclaration des internationalistes faite à Berne le 7 avril 1917 », Demain, n° 13, mai 1917.
  221. Ch. Beradt, Paul Levi, p. 18.
  222. H. Schuter, « Radek and the German Revolution », Survey, n° 53, octobre 1964, p. 65.
  223. Badia, Histoire de l'Allemagne contemporaine, I, p. 67, n. 1.
  224. Ibidem, p. 68.
  225. Ibidem, p. 69.
  226. Sayous, op. cit.
  227. Stenographische Berichte..., CCCXI, pp. 3980.
  228. Cité par Badia, op. cit., n° 4, pp. 70-71.
  229. Stenographische Berichte..., CCCIX, p. 2888.
  230. Protokoll... U.S.P. 1917, p. 60.
  231. Ibidem, p. 67.
  232. Ibidem, p. 50.
  233. Dok. u. Mat., I/1, p. 554-556.
  234. Ibidem, p. 559.
  235. Ibidem, p. 630-633.
  236. Klaus Mammach, Der Einfluss der russischen Februarrevolution und der Grosse Sozialistischen Oktoberrevolution auf die deutsche Arbeiterklasse, p. 25.
  237. R. Müller, Vom Kaiserreich zur Republik, pp. 80-81.
  238. Ibidem, p. 82.
  239. Mammach, op. cit., p. 24.
  240. Müller, op. cit., p. 79.
  241. Mammach, op. cit., p. 35 ; R. Müller, op. cit., p. 82.
  242. Müller, op. cit., p. 83 ; Scheele, dans Revolutionäre Ereignisse und Probleme in Deutschland während der Periode der Grossen Sozialistischen Oktoberrevolution 1917-1918, P. 33 sq.
  243. Vorwärts, 16 avril 1917.
  244. Revolutionäre Ereignisse, p. 24.
  245. Ibidem, p. 37.
  246. Ibidem, p. 39.
  247. Mammach, op. cit., p. 25.
  248. Ibidem, p. 26.
  249. Ibidem, p. 27.
  250. Ibidem, p. 28.
  251. Ibidem, p. 29.
  252. Revolutionäre Ereignisse, pp. 40-41.
  253. Scheidemann, Der Zusammenbruch, p. 65.
  254. Revolutionäre Ereignisse, pp. 44-45.
  255. Ibidem, p. 45.
  256. Ibidem, p. 49 et R. Müller, op. cit., p. 83..
  257. Revolutionäre Ereignisse, p. 53.
  258. Ibidem, p. 52.
  259. R. Müller, op. cit., p. 83.
  260. Revolutionäre Ereignisse, p. 53.
  261. Ibidem, p. 59.
  262. Ibidem, p. 60.
  263. Mammach, op. cit., p. 39.
  264. Ibidem, p. 40.
  265. Affiche, Dok. u. Mat., II/1, p. 629.
  266. Vorwärts 27 avril 1917, dans Dok. u. Mat., II/1, pp. 626-628.
  267. R. Müller, op. cit., p. 85.
  268. Zeisler, Révolutionäre Ereignisse..., pp. 187-189.
  269. Bernhard, Ibidem, p. 96.
  270. Ibidem, pp. 97-98.
  271. Ibidem, p. 104.
  272. Ibidem, p. 105.
  273. Ibidem, pp. 106-107.
  274. Cité par A. Schreiner, zur Geschichte der deutschen Aussenpolitik, t. I, p. 400.
  275. Bernhard, Revolutionäre Ereignisse, pp. 106-107.
  276. Ibidem, p. 113.
  277. Ibidem, p. 114.
  278. Ibidem, p. 117.
  279. Ibidem, p. 115-116.
  280. Ibidem, p. 117.
  281. Ibidem.
  282. Ibidem.
  283. Ibidem.
  284. Ibidem, p. 124-125.
  285. Ibidem, p. 126.
  286. Ibidem, p. 135.
  287. Ibidem, p. 140.
  288. Ch. Vidil, Les Mutineries de la marine allemande, p. 104.
  289. Ibidem, p. 111.
  290. Œuvres, t. XXVI, p. 185.
  291. Ibidem, p. 71.
  292. Leipziger Volkszeitung, 12 novembre 1917.
  293. Ibidem, 14 novembre 1917.
  294. Ibidem, 12 novembre 1917.
  295. Ibidem, 15 novembre 1917.
  296. Ibidem, 30 novembre 1917, supplément féminin.
  297. Ibidem, 24 décembre 1917.
  298. Ibidem, 17, 27 décembre 1917.
  299. Décret du 26 décembre 1917, SobraniéUzakonenii i Rasporiajenii Rabotchego i Krestianskogo Praviteltsva, 1917, n° 8, p. 119; d'après Bunyan et Fisher, The Bolshevick Revolution 1917-1918, p. 285.
  300. Ruth Fischer, op. cit., pp. 30-31.
  301. E.H. Carr, The Bolsbevik Revolution, III, p. 31.
  302. Ibidem, pp. 31-32.
  303. Ibidem, pp. 29-31.
  304. Borkenau, World Communism, p. 91.
  305. Ibidem, pp. 91-92.
  306. Ibidem, p. 92.
  307. Politische Aufzeichnungen aus seinem Nachlass, pp. 51-52.
  308. Dok. u. Mat., Il/2, pp. 67-70.
  309. R. Müller, op. cit., p. 101.
  310. Ibidem, p. 101.
  311. Cette précision est donnée par un rapport spartakiste sur les grèves, généralement attribué à Jogiches (Dok. u. Mat., II/2, p. 132).
  312. R. Müller, op. cit., p. 102.
  313. Dok. u. Mat., II/2, p. 132.
  314. R. Müller, op. cit., p. 102.
  315. Ibidem.
  316. Dok. u. Mat., p. 71.
  317. Ibidem, p. 73.
  318. R. Müller, op. cit., p. 102.
  319. Ibidem. Voir le récit du début de la grève à l'A.E.G. Hennigsdorf dans Paul Blumenthal, « Die A.E.G. Arbeiter demonstrieren für Karl Liebknecht ». 1918. Erinnerungen von Veteranen der deutscben Gewerkîchaftsbewegung an die Novemberrevolution (1914-1920), pp. 73-74.
  320. Jogiches écrit à leur sujet : « Dix ouvriers et une ouvrière, syndicalistes de l'opposition (pas des permanents), influents dans leur milieu ( ... ). Leur position politique : pour la plupart U.S.P., mais pas de façon nette. Ce sont en effet des syndicalistes avant d'être des politiques ; parmi eux, deux de la grève pour Liebknecht, un de notre bord » (vraisemblablement Paul Scholze). Dok. u. Mat., p. 133.
  321. L'invitation aux indépendants, « à Ledebourski », comme dit Jogiches, fut faite afin de « coiffer » un responsable majoritaire, permanent des métaux, Wuschek, qui venait d'arriver avec une déclaration de la direction majoritaire réclamant une action unitaire (ibidem, p. 133).
  322. R. Müller, op. cit., p. 103.
  323. Jogiches précise : « un confusionniste de notre tendance » (Ibidem).
  324. R. Müller, op. cit., p. 104.
  325. R. Müller, op. cit., p. 105.
  326. Ibidem.
  327. Ibidem, p. 106.
  328. Ibidem, pp. 106-107.
  329. R. Müller, op. cit., pp. 106-107.
  330. Dok. u. Mat., p. 134.
  331. Ibidem.
  332. Cité par K. Brammer, Der Prozess des Reichspräsidente, pp. 68-69.
  333. R. Müller, op. cit., p. 107.
  334. Ibidem.
  335. Dok. u. Mat., p. 134.
  336. R. Müller, op. cit., p. 107.
  337. Ibidem, p. 108.
  338. Ibidem, p. 109.
  339. Dok. u. Mat., p. 135.
  340. R. Müller, op. cit., pp. 110.
  341. Ibidem, p. 110.
  342. Brammer, op. cit., p. 21.
  343. Vorwärts, 15 février 1918.
  344. R. Müller, op. cit., p. 110.
  345. Dok. u. Mat., II/2, p. 134.
  346. Extraits dans Bartel, Revolutionäre Ereignisse..., p. 168 ; il était joint au rapport de Jogiches mais ne figure pas dans Dokumente und Materialen.
  347. Dok. u. Mat., II/2, p. 99.
  348. Ibidem, pp. 137-138.
  349. Ibidem, pp. 136.
  350. Ibidem, pp. 135.
  351. Léo Stern, op. cit., II, pp. et 488, entre autres.
  352. Ibidem, IV, pp. 1363 et 1365. En même temps sont arrêtés deux de ses camarades, ses plus proches collaborateurs, le militaire Willî Budich et Willi Leow, qui dirigeaient tous deux à Berlin la propagande révolutionnaire àl'intention des soldats de la garnison.
  353. E.H. Carr, The Bolshevik Revolution, III, pp. 47 sq.
  354. Verhandlungen... des Reichstages, 22 mars 1918, p. 573.
  355. Ludendorff, cité par Bartel, Revolutionäre Ereignisse, p. 180.
  356. Ibidem, p. 183.
  357. I.M.L.-Z.P.A. DF V/14. Dok. u. Mat., II/1, p. 281.
  358. « Einheit oder Spaltung », Arbeiterpolitik, n° 4, 8 et 10, 1916. Reproduit dans In der Reihen der deutschen Revolution, pp. 336-338.
  359. Ibidem, p. 315.
  360. Ibidem, p. 317.
  361. Ibidem, p. 318.
  362. Ibidem, p. 317.
  363. Ibidem, pp. 323-324.
  364. Ibidem, pp. 325.
  365. « Thèses sur la question de la paix », Spartakus im Kriege, p. 58.
  366. Rudolf Dix, « Deutsche Internationalisten bei der Errichtung und Verteidigung der Sowjetmacht », BzG, 8 Jq, 1966, n° 3, p. 495.
  367. Ibidem, p. 485.
  368. Ibidem, p. 496.
  369. K. L. Seleznev, « Bolchevitskaja agitacija i revolutsionnoe dvijenie v Germanskoj Armii na vostoshnoe fronte v 1918 g. », dans Nojabr'skaja Revoljucjia..., pp. 271-328.
  370. Ibidem, pp. 276-277.
  371. R. Dix, op. cit., p. 495. On note l'absence de toute allusion à Radek.
  372. Davidovitch, Revoljutsionnii Krisis 1923 g. v. Germanii i Gamburskoe vostanie, pp. 133-134, mentionne l'influence exercée par la propagande bolchevique sur l'officier de réserve Ernst Schneller, qui allait devenir communiste à son retour.
  373. R. Dix, op. cit., p. 495.
  374. Brandt et Lowenthal, Ernst Reuter. Ein Leben für die Freiheit, pp. 109, 129.
  375. Il sera plus tard connu dans le K.P.D. (S), dont il sera même secrétaire général en 1921, pendant quelques mois. Voir Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 112.
  376. A cette époque, Krebs avait russifié son nom en Rakov ; il devait plus tard militer en Allemagne sous le pseudonyme de Félix Wolf.
  377. Chef militaire au cours des combats de la Ruhr, il sera en Espagne le général Gomez. Sur l'épisode de 1918, rarement mentionné, voir André Marty, La Révolte de la mer Noire, p. 72.
  378. Il y sera notamment à la fin d'octobre 1918 (Leo Stern, op. cit., IV, p. 1661).
  379. O. Czernin, Im Weltkriege, cité par E.H. Carr, op. cit., III, p. 71.
  380. Ibidem, p. 76.
  381. L. Fischer, Men and Politics, p. 31.
  382. Carr, op. cit., p. 135.
  383. Parmi les autres membres du personnel diplomatique actifs dans le mouvement allemand, les rapports de la police allemande mentionnent Sagorski, qui serait chargé du contact avec les dirigeants indépendants, Marcel Rosenberg, qui s'occupe de toutes les questions de presse - il sera en 1936 l'ambassadeur de l'U.R.S.S. en Espagne, avant de disparaître dans les grandes purges - et Mme Markowski, chargée des relations avec les organisations de jeunesse. Toujours selon les mêmes sources, Joffé aurait en vain tenté de faire venir près de lui, comme « conseiller économique », Karski-Marchlewski, dont il n'obtiendra que le rapatriement (« Oberkommando in den DZA. Potsdam, Reichskanzlei n° 517 », pp. 95-96,dans Léo Stern, op. cit., p. 1365.
  384. Joffé (Izvestija, 6 décembre 1918) dit avoir remis à Barth plusieurs centaines de milliers de marks pour aider à la préparation de l'insurrection.
  385. Voir biographies en annexe..
  386. E. H. Carr, op. cit., p. 77.
  387. Dès le lendemain de la libération de Liebknecht par exemple, on sait à Moscou qu'il est politiquement d'accord avec les bolcheviks.
  388. Krivoguz, « Spartak » i obrazovanie Kommunistitcheskoi partii Germanii, p. 136.
  389. W. Imig, « Zur Hilfe Lenins für die deutschen Linken », BzG, 1963, n° 516, pp. 810 sq.
  390. Œuvres, t. XXIV, p. 75.
  391. Krivoguz, op. cit., p. 63.
  392. Imig, op. cit., pp. 809-810.
  393. Ibidem pp. 814-855.
  394. Œuvres, t. XXXV, p. 328.
  395. Œuvres, t. XXVIII, pp. 302-304.
  396. Imig, op. cit., p. 818.
  397. Œuvres, t. XXVIII, p. 122. L'article avait paru dans la Pravda du 11 octobre 1918.
  398. Protokoll... U.S.P. 1917, p. 50.
  399. R. Luxemburg, Brielf an Freunde, p. 157.
  400. Die Russische Revolution (préf. de P. Levi) (1° éd., 1922), p. 119.
  401. Editorial dArbeiterpolitik, n° 46, 17 novembre 1917, Dok. u. Mat., II/2, op. 15-18.
  402. « Eine dringende Notwendigkeit », Arbeiterpolitik, n° 50, 15 décernbre 1917, Ibidem, pp. 43-47.
  403. Lettre ouverte parue dans Mitteilungs-Blatt des Verbandes der sozialdemokratiscben Wahlvereine Berlins und Umgegend, n° 16, 21 juillet 1918, reproduite dans Dok. u. Mat., II/2, pp. 158-162.
  404. Leipziger Volkszeitung, 31 mai, 1° et 10 juin 1918.
  405. Leipziger Volkszeitung Frauen-Beilage, n° 30, 9 août 1918.
  406. Op. cit., p. 105.
  407. Rosa Luxemburg avait rédigé en août ou septembre 1918 une violente attaque contre la politique des bolcheviks à Brest-Litovsk, qu'elle destinait à devenir une « lettre de Spartakus ». D'un commun accord, Levi, Léviné et Ernst Meyer refusèrent de la publier (Die Rote Fahne, 15 janvier 1922). Paul Levi lui rendit visite à sa prison de Breslau et parvint à la convaincre de renoncer d'elle-même àla publication. C'est au moment de son départ qu'elle lui remit le manuscrit sur La Révolution russe et lui disant : « C'est pour vous que j'ai rédigé cette brochure, et, si je pouvais seulement vous convaincre, mon travail n'aurait pas été inutile » (Introduction de Paul Levi à Die russische Revolution, pp. 1-2).
  408. Spartakusbriefe, op. cit., p. 453. 53.
  409. Badia, op. cit., p. 93.
  410. Ibidem, p. 95 ; Drabkin, Novemberrevolution 1918, pp. 76 sq.
  411. Drabkin, op. cit., pp. 82-83.
  412. Die Aktion, n' 29, 19 juillet 1919, p. 484.
  413. Kaiser Wilhelm Il, Ereignisse und Gestalten aus den Jarhen 1917-1918, cité par Badia, op. cit., p. 81.
  414. Badia op. cit., p. 81.
  415. E. Kolb, Arbeiterräte in der deutschen Innenpolitik, p. 79.
  416. Interview du responsable du groupe, Karl Retzlaw, H. Weber, Der Gründungsparteitag der K.P.D., pp. 20-21, n. 41.
  417. Vorwärts und..., pp. 468-469.
  418. Paul Frölich, op. cit., p. 297, écrit qu' « il (Levi) avait pris la direction de l'organisation depuis la mort de Leo Jogiches ». On peut retenir ce témoignage, venant d'un adversaire acharné de Levi mais soucieux d'objectivité dans ses travaux historiques.
  419. I.M.L., Moscou, Fonds 19, Dok. u. Mat., II/2, p. 195.
  420. Fritz Globig, ... aber verbunden sind wir mächtig, pp. 232-233.
  421. Unter der roten Fahne, p. 106, et Ibidem.
  422. Unter der roten Fahne, p. 107.
  423. R. Müller, op. cit., p. 126.
  424. Ibidem, p. 127.
  425. Ibidem.
  426. Cläre Casper-Derfert dans Vorwärts und..., p. 296 et sq. et 1918. Erinnerungen von Veteranen, p. 333 ; Ibidem, pp. 409-410, les souvenirs d'Hermann Grothe.
  427. Badia, op. cit., t. I, p. 93.
  428. Ibidem, p. 94.
  429. Ibidem, pp. 94-95.
  430. Cité par F. Payer, Von Bethmann-Hollweg bis Ebert. Erinnerungen und Bilder, p. 82.
  431. Voir les discussions au sein de la direction social-démocrate dans Hermann Müller, Die Novemberrevolution, pp. 10-11.
  432. Vorwärts 21 octobre 1918 : «Dictature ou démocratie. »
  433. Max von Baden, Erinnerungen und Dokumente, p. 571.
  434. Tormin, Zwischen Räte diktatur und sozialer Demokratie, p. 32.
  435. Dans la brochure Die Diktatur des Proletariats.
  436. E. Barth, Aus der Werkstatt der deutschen Revolution, p. 35.
  437. Lettre du 18 octobre 1918, Dok. u. Mat., Il/2, p. 255.
  438. Dok. u. Mat., II/2, pp. 228-243.
  439. Voir les délibérations dans Die Regierung des Prinzen Max von Baden, passim.
  440. Ibidem, séances du 6 octobre, p. 88, du 10, p. 129, du 12, pp. 129, 167.
  441. Ibidem, p. 305 et Max von Baden, op. cit., p. 476.
  442. Selon Otto Franke, Vorwärts und..., pp. 273-274.
  443. Ibidem.
  444. Unter der roten Fahne, p. 108.
  445. Ibidem, p. 110.
  446. Vorwärts und ..., pp. 270-273.
  447. Ch. Beradt, Paul Levi, p. 18.
  448. Vorwärts und..., p. 30, où il précise être revenu le 26 octobre.
  449. Radek, November..., p. 132.
  450. Carnet de Liebknecht : extraits dans Ill. Gesch., p. 203 et Pieck, Corr. Int., n° 136, 14 novembre 1928, p. 1507. Selon J. S. Drabkin, op. cit., pp. 102-103, le Fonds Karl Liebknecht àl'I.M.L. de Moscou, contient une copie dactylographiée portant à la fin la mention manuscrite «Tagebuch von K. Liebknecht ? » (Fonds 210, liste 1, Akte n'°1397, f. 1). Il précise que ce sont des extraits de ce texte qui ont paru dans Illustrierte Geschichte.
  451. Ill. Gesch., p. 203. Le Vorwärts du 29 novembre consacre un article aux rapports entre Liebknecht et les indépendants qui ne peuvent, selon lui, s'établir que dans la confusion.
  452. Ibidem et Pieck, op. cit., p. 1507.
  453. Ibidem.
  454. Ill. Gesch, II, p. 87.
  455. Ill. Gesch., p. 203.
  456. Ibidem.
  457. Ibidem. Drabkin, op. cit., p. 104, qui suit l'original du carnet de Liebknecht mentionné à la note 24, précise qu'il s'agit de Barth.
  458. Ill. Gesch., p. 203.
  459. Ibidem.
  460. Hermann Müller, op. cit., p. 94.35.
  461. Pieck, op. cit., p. 1507.
  462. Ibidem et Ill. Gesch., p. 203.
  463. Ibidem.
  464. Kolb, Arbeiterräte in den deutschen Innenpolitik, p. 63.
  465. « Journal d'un spartakiste », Ill. Gesch., p. 182.
  466. Ill. Gesch. II, p. 82.
  467. Kolb, op. cit., p. 63, Ill. Gesch., p. 182, etc.
  468. Kolb, op. cit., p. 64. Le compte rendu des décisions du conseil ouvrier de Stuttgart du 4 novembre, dans Die Rote Fahne du 5 novembre 1918, Dok. u. Mat., II/2, pp. 285-286.
  469. Kolb, op. cit., p. 65.
  470. Die Regierung des Prinzen Max von Baden, pp. 541-545. Selon le Berliner Tageblatt du 7 novembre, figuraient dans le matériel de propagande saisi une brochure de Radek intitulée Der Zusammenbruch des Imperialismus und die Aufgabe der internationalen Arbeiterklasse, texte d'un discours prononcé à Moscou le 7 octobre, ainsi que le texte d'un tract distribué dans l'usine Daimler de Stuttgart dans les jours précédents.
  471. Kolb, op. cit., p. 71.
  472. Vorwärts und..., p. 91.
  473. Ibidem, p. 92.
  474. Ibidem, pp. 72-73.
  475. H. Müller, op. cit., p. 26 ; Noske, Von Kiel bis Kapp, pp. 8-24.
  476. Vorwärts und..., pp. 108-122.
  477. Kolb, op. cit., p. 78.
  478. Ill. Gesch., II, p. 116.
  479. Ibidem, pp. 116-117.
  480. Kolb, op. cit., p. 79.
  481. Ill. Gesch., II, p. 117.
  482. Kolb, op. cit., p. 77.
  483. Ibidem.
  484. Ill. Gesch., II, p. 113.
  485. Ibidem, p. 191.
  486. Ibidem, p. 193.
  487. Kolb, op. cit., p. 77.
  488. Vorwärts und..., p. 251.
  489. Ill. Gesch., p. 192.
  490. Vorwärts und..., pp. 472-477.
  491. Kolb, op. cit., p. 67.
  492. Ibidem, p. 68.
  493. Ibidem, pp. 69-70.
  494. Vorwärts und..., p. 367.
  495. Ill. Gesch. II, p. 135.
  496. Vorwärts und..., pp. 426-427.
  497. F. Schnellbacher, Hanau in der Revolution, p. 13, cité par Ill. Gesch., II, pp. 128-129.
  498. Ill. Gesch. II, p. 130.
  499. Vorwärts und..., p. 406.
  500. Ibidem, pp. 407-408.
  501. Ibidem, pp. 469-470.
  502. Pieck, op. cit., p. 1507.
  503. Scheidemann, Memoiren, II, p. 262.
  504. Max von Baden, Erinnerungen und Dokumente, pp. 539 et 591.
  505. Cité par Kolb, op. cit., p. 32.
  506. Hermann Müller, op. cit., p. 45.
  507. Ill. Gesch., p. 204.
  508. Pieck, op. cit., p. 1507.
  509. Ibidem, p. 1508. Texte dans Emil Barth, Aus der Werkstatt der deutschen Revolution, p. 53.
  510. Pieck, op. cit., p. 1508. Texte dans Dok. u. Mat., II/2, pp, 324-325.
  511. Hermann Müller, op. cit., p. 45.
  512. E. O. Volkmann, La Révolution allemande, pp. 35-36. Cläre Derfert-Casper, dans ses souvenirs, mentionne un autre ordre, plus vraisemblable : « Devant, les hommes armés, puis les hommes sans armes, et enfin les femmes », Ill. Gesch., II, p. 149.
  513. Vorwärts, 9 novembre. Un supplément appellera quelques heures plus tard à la grève générale.
  514. Hermann Müller, op. cit., p. 46.
  515. Ibidem, pp. 47-48.
  516. Ibidem, p. 48.
  517. Ibidem, p. 49.
  518. Ibidem, p. 48.
  519. Ill. Gesch., p. 206.
  520. Hermann Müller, op. cit., p. 49.
  521. Ibidem, p. 50.
  522. Ill. Gesch., p. 208.
  523. H. Müller, p. 50 et Pieck, op. cit., p. 1058.
  524. Ibidem, p. 1058.
  525. Ibidem, p. 49.
  526. Dok. u. Mat., II/2, p. 330.
  527. H. Müller, op. cit., p. 51.
  528. Dok. u. Mat., II/2, p. 333.
  529. H. Müller, op. cit., p. 52.
  530. E. Eichhorn, Meine Tätigkeit im Berliner Polizeipräsidium und mein Anteil an den Januar-Ereignissen, p. 8.
  531. Ill. Gesch., II, p. 152.
  532. H. Müller, op. cit., p. 53. Scheidemann, Memoiren, II, p. 313.
  533. Vossische Zeitung, 10 novembre 1918; Ill. Gesch., pp. 209-210.
  534. Pieck, op. cit., p. 1058.
  535. Ill. Gesch., p. 210 - Vörwarts, 10 novembre 1918.
  536. Pieck, op. cit., p. 1058.
  537. Ibidem, p. 58.
  538. Ibidem, p. 58.
  539. Pieck, op. cit., p. 1058.
  540. Ibidem et H. Müller, op. cit., p. 58.
  541. H. Müller, op. cit., p. 58.
  542. Texte dans Hermann Müller, p. 61.
  543. Ibidem, p. 62.
  544. Ibidem, p. 82.
  545. Kolb, op. cit., p. 117, n° 6.
  546. Vorwärts, 10 novembre 1918.
  547. Ill. Gesch., p. 211.
  548. Ibidem, pp. 210-211.
  549. H. Müller, op. cit., p. 65.
  550. Ibidem, p. 69.
  551. Ibidem, p. 70.
  552. Nous avons suivi ici le récit donné dans Vossische Zeitung, 11 novembre 1918, que nous avons confronté avec ceux donnés par H. Müller (op. cit., pp. 70-72, et R. Müller, pp. 3637). Il existe àl'I.M.L. de Berlin un compte rendu sténographique de cette assemblée (« LM.L.Z.P.A., n° 11/18. Informationsstelle der Reichsregierung. 45 f »). Des extraits de ce mouvement sont cités par J. S. Drabkin, op. cit., pp. 165-167.
  553. Vossische Zeitung, 11 novembre 1918.
  554. Cité par Drabkin, op. cit., p. 166.
  555. Ibidem et Drabkin, op. cit., pp. 165-167.
  556. Krasnaja Nov, n° 10, 1926, p. 140. Trad. all., « November. Eine kleine Seite aus meinen Erinnerungen », Archiv für Sozialgeschichte, Il, 1962, p. 121. (Références ultérieures : Radek, November...)
  557. Les tenants de cette thèse s'appuient notamment sur les conseils de Munich, plus favorables à leur démonstration.
  558. W. Kleen, « Über die Rolle der Râte in der Novemberrevolution », ZtG, 1956, n° 2, pp. 326-330.
  559. Tormin, op. cit., p. 59.
  560. Kolb, op. cit., pp. 83 et 92.
  561. Ibidem, p. 92.
  562. Ibidem.
  563. Ibidem, pp. 91-92.
  564. Ibidem, p. 96.
  565. Ill. Gesch., p. 381.
  566. Drabkin, op. cit., p. 159, n° 2 .
  567. Kolb, op. cit., pp. 94-95.
  568. Ibidem, p. 94.
  569. Ibidem, p. 95-96.
  570. Ibidem, p. 94.
  571. Kolb, op. cit., p. 95.
  572. Ibidem, pp. 95-96,
  573. Marion Einhorn, « Zut Rolle der Räte im. November und Dezember 1918 », ZfG, 1956, n° 3, p. 548; sur Hambourg, Comfort, Revolutionary Hamburg, p. 46. La mesure sera rapportée peu après, Ibidem, p. 48.
  574. Ill. Gesch. II, p. 195.
  575. Vossische Zeitung, 4 décembre.
  576. Ill. Gesch. II, p. 193,
  577. Ibidem, p. 195.
  578. Ibidem, p. 196.
  579. Ibidem, p. 198.
  580. H. Œckel, Die revolutionäre Volkswehr 1918-1919.
  581. M. Einhorn, op. cit., p. 549.
  582. Vorwärts und..., p. 48.
  583. Kolb, op. cit., p. 295, et Comfort, op. cit., p. 53.
  584. Ill. Gesch., p. 239.
  585. Vorwärts und..., p. 368.
  586. Kolb, op. cit., p. 294.
  587. Ill. Gesch., Il, p. 196.
  588. Ibidem, p. 194.
  589. Ibidem, p. 196.
  590. Ibidem, p. 198.
  591. Hermann Müller, op. cit., pp. 141-142.
  592. Kreuz-Zeitung, 11 novembre 1918, et, pour un commentaire de cette affaire, Drabkin, dans Noiabr'skaja Revoliucija v Germanii, pp 374-376.
  593. Le texte intégral de cette lettre datée jdu 11 novembre et adressée à Thalheimer a été publié pour la première fois par Drabkin dans l'ouvrage collectif mentionné dans la note précédente, pp. 377-378.
  594. Keil, Erlebnisse, II, p. 107.
  595. Nous avons déjà vu (note 3) le cas de Cologne, où le bourgmestre Konrad Adenauer joue un rôle important comme président du Wobttartausschuss; à Breslau, sur 100 élus au conseil, 34 appartiennent à des partis bourgeois. (Drabkin, op. cit., p. 226.)
  596. J.W. Wheeler-Bennett, The Nemesis ot Power, p. 26.
  597. Drabkin, op. cit., p. 225. A Bonn, le conseil d'ouvriers et de soldats fusionnera avec celui des citoyens (Kölnische Zeitung, 12 novembre 1918 (éd. du soir).
  598. Kölnische Zeitung, 12 novembre 1918 (éd. du matin).
  599. Drabkin, op. cit., p. 224.
  600. Deutsche Zeitung, 13 novembre 1918.
  601. Vorwärts, 13 novembre 1918.
  602. Ibidem, pp. 293-296.
  603. Kolb, op. cit., pp. 157 sq.
  604. Die Rote Fahne, 20 novembre 1918.
  605. Der Gründungsparteitag der K.D.P., Protokoll u. Materialen, p. 183.
  606. Texte dans Dok. u. Mat., II/2, pp. 403-404.
  607. Der Gründutigsparteitag..., p. 99.
  608. Comfort, Revolutionary Hamburg, p. 47.
  609. Ibidem, p. 52.
  610. Ibidem, p. 53.
  611. « Discours sur le Programme », Der Gründungsparteitag, p. 184.
  612. H. Müller op. cit., p. 142.
  613. H. Müller, op. cit., p. 219.
  614. Badia, op. cit., I, p. 119.
  615. Voir à ce sujet Lothar Berthold et Helmut Neef, Militarismus und Opportunismus gegen die Novemberrevolution, et ses commentaires, pp. 23-24, sur la conversation téléphonique rapportée par E.O. Volkmann.
  616. Dok. u. Mat., II/2, p. 357.
  617. Groener, Lebenserinnerungen, p. 467.
  618. Vorwärts, 10 novembre 1918.
  619. Vorwärts, 14 novembre 1918.
  620. Vorwärts, 15 novembre 1918.
  621. Kolb op. cit., p. 122.
  622. Ibidem, p. 123.
  623. Dok. u. Mat., II/2, pp. 365-366.
  624. Texte dans Dok. u. Mat., II/2, pp. 393-396.
  625. Leibrock, Die Volkswirtschaltliche Bedeutung der deutscben Arbeitergeberverbände, p. 65, cité par Badia, op. cit., p. 114.
  626. Drabkin, op. cit., p. 313, qui a eu accès aux archives de la commission, énumère ses membres, Kautsky, Hilferding, Cunow, les syndicalistes Hué et Umbreit, des universitaires et le patron de l'électricité Walter Rathenau.
  627. Voir chap. X.
  628. Drabkin, op. cit., p. 482, mentionne notamment la série de brochures Antispartakus tirées entre 10 000 et 100 000 exemplaires chacune.
  629. Ibidem, p. 482. Drabkin signale (ibidem, n° 11) l'emploi par Stadtler du terme de « national-socialisme » parmi ses objectifs.
  630. Kolb, op. cit., p. 183.
  631. Henry Egon Friedlander, « Conflict of Revolutionary Authority : Provisional Government Berlin Soviet, November-December 1918 », International Review of Social History, VII, 1962, n' 2, pp. 163-176. Une autre étude d'ensemble, par l'historien soviétique S. 1. Lenzner, « Ispolnitel'nii Komitet Berlinskikh Rabotchikh i Soldatchikh Sovetov (10 nojabrja. 16 dekabrja 1918 g.) », dans Nojabr'skaja Revoljutsija v Germanii, pp. 98139, date de 1960.
  632. Allgemeine Kongress der Arbeiter - und Soldatenräte Deutschlands von 16. bis 21. Dezember 1918, col. 149.
  633. H. Müller, op. Cit., p. 104,
  634. Friedlander, op. Cit., p. 173.
  635. Les délégués indépendants des ouvriers sont Barth, Ledebour, Däumig, Eckert, Neuendorf, Wegmann, Richard Müller (Lenzner, op. Cit., p. 101); les délégués « majoritaires » des ouvriers sont Hermann Müller, Buchel, Hirt, Heller, Julich, Maynz et Oskar Rusch. Les délégués des soldats sont von Beerfelde, Molkenbuhr, Gerhardt, Paasche, Waltz, Bergmann, Portner, Strobel, Lidtke, Hertel, Lemper, Köller, Eckmann et Guntzel (op. cit., p. 102).
  636. H. Müller, op. cit., p. 92. Von Beerfelde aurait notamment voulu faire arrêter le ministre de la guerre.
  637. H. Müller, op. cit., p. 91.
  638. Brandt Lowenthal, op. cit., p. 120.
  639. Il quitte le S.P.D. pour adhérer à l'U.S.P.D. après le congrès des conseils (Der Zentralrat..., p. 44).
  640. H. Müller, op. cit., p. 99.
  641. Ibidem, pp. 92-93, 97-98; R. Müller, t. II, pp. 53, 154-156.
  642. H. Müller, op. cit., pp. 96-97; R. Coper, Failure of a Revolution, p. 114, dit que Colin Ross fut « un espion de grande classe », « bien reçu dans tous les milieux ».
  643. H. Müller op. cit., p. 97 ; l'article, intitulé « An das deutsche Volk von Gelehrten bis zum Arbeiter », parut dans Deutscher Tageszeitung le 13 décembre 1918.
  644. H. Müller, op. cit., p. 93.
  645. Ibidem, pp. 93-97; Freiheit, et Vorwärts, 29 novembre; Die Rote Fahne, 30 novembre 1918.
  646. Friedlander, op. cit., p. 174.
  647. H. Müller, op. cit., p. 111.
  648. Vossische Zeitung, 11 novembre 1918.
  649. Vorwärts, 13 et 14 novembre 1918.
  650. Vossische Zeitung, 12 novembre 1918.
  651. H. Müller, op. cit., p. 128 ; R. Müller, op. cit., pp. 82 sq.
  652. Deutsche Tageszeitung, 13 novembre 1918.
  653. 8 Uhr-Abendblatt, 13 novembre 1918, Coper, op. cit., p. 114.
  654. Vossische Zeitung, 14 novembre 1918.
  655. Berliner Likalanzeiger, 15 novembre 1918.
  656. Drabkin, op. cit., p. 233.
  657. Ibidem; Vorwärts, 18 novembre 1918; Dok. u. Mat., II/2, p. 415,
  658. Drabkin, op. cit., p. 233.
  659. Ibidem, p. 234.
  660. I.M.L.-Z.P.A., n° II/1, f. 10 sq., cité par Drabkin, p. 237; R. Müller, Vom Kaiserreich, II, pp. 82 sq., op. cit., pp. 127-128.
  661. I.M.L.-Z.P.A., n° II/1, ff. 14, 31, cité par Drabkin, op. cit., p. 239.
  662. Ibidem, f. 32, cité par Drabkin, op. cit., p. 240.
  663. H. Müller, op. cit., p. 128.
  664. I.M.L.-Z.P.A., n° II/1, f. 32, cité par Drabkin, op. cit., p. 240.
  665. Drabkin, op. cit., p. 241.
  666. Vossische Zeitung, 16 novembre 1918.
  667. Vorwärts, 17 novembre 1918.
  668. Freiheit, 18 novembre 1918.
  669. Freiheit, 19 novembre 1918.
  670. R. Müller, Vom Kaiserreich, Il, p. 83.
  671. I.M.L.-Z.P.A., n° II/1, « Protokolle der Versammlungen der Arbeiter - und Soldatenräte Gross-Berlin », vol. 1, f. 11. Ce compte-rendu est abondamment cité par Drabkin, op. cit., pp. 241-244, extraits complétant le compte rendu paru dans le Vorwärts du 20 novembre 1918.
  672. Vorwärts, 20 novembre 1918.
  673. Ibidem et Drabkin, p. 243.
  674. Drabkin, op. cit., p. 243.
  675. Vorwärts, 20 novembre 1918.
  676. Drabkin, op. cit., pp. 243-244.
  677. Ibidem, pp. 235-236.
  678. Dok. u. Mat., II/2, pp. 401-401.
  679. Drabkin, op. cit., p. 236.
  680. Ibidem, pp. 236-237.
  681. Ibidem, pp. 237.
  682. I.M.L.-Z.P.A., n' II/1 « Protokolle... », p. 44, cité par Drabkin, op. cit., p. 244,
  683. Ibidem, p. 244.
  684. Berliner Tageblatt, 19 novembre 1918.
  685. Kolb, op. cit., p. 134 et Drabkin, op. cit., pp. 245-249 ; celui-ci résume le compte rendu officiel qui se trouve aux archives centrales du Reich à Potsdam (Reichskanzlei, n° 2482, ff. 28 sq.).
  686. Drabkin, op. cit., p. 246.
  687. Ibidem, pp. 246-247.
  688. Ibidem, p. 247.
  689. Ibidem.
  690. Ibidem.
  691. Dok. u. Mat., II/2, p. 459.
  692. H. Müller, op. cit., pp. 105-106.
  693. Friedlander, op. cit., p. 168.
  694. Voir le chap. VII de Kolb, op. cit., « Die Diskreditierung der Arbeiterräte durch die Presse ».
  695. Friedlander, op. cit., p. 168,
  696. Ibidem, et Kolb, op. cit., p. 191.
  697. Friedlander, op. cit., p. 169.
  698. Kolb, op. cit., p. 132.
  699. Ibidem, p. 133.
  700. Dok. u. Mat., II/2, pp. 462-464.
  701. Voir notamment « Der lebende Leichnarn », Vorwärts, 5 décembre et « Richard I. Wilhelms Ersatz », Ibidem, 18 décembre 1918.
  702. Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 112 ; Scheidemann, Der Zusammenbruch, p. 227.
  703. Die Rote Fahne, 11 décembre 1918.
  704. Cité par H. Müller, op. cit., p. 111.
  705. Allgemeine Kongress der Arbeiter und Soldatenräte Deutschlands vom 16. bis 21. dezember 1918, pp. 198 sq. Ill. Gesch., p. 249.
  706. Ibidem, p. 250.
  707. Ibidem, pp. 249-250.
  708. Vorwärts, 16 décembre 1918 ; Dok. u. Mat., II/2, p. 621.
  709. Allgemeine Kongress, col. 12.
  710. Ibidem, col. 53-58.
  711. Allgemeine Kongress., col. 19 sq.
  712. Ibidem, col. 123 sq.
  713. Ibidem, col. 144 sq.
  714. Voir chap. XII.
  715. Allgemeine Kongress, col. 209 sq.
  716. Ibidem, col. 226 sq.
  717. Ibidem, col. 226 sq.
  718. Allgemeine Kongress., col. 300.
  719. Ibidem, col. 227.
  720. Ibidem, col. 292.
  721. R. Müller, op. cit., II, p. 223; Prager, op. cit., p. 185; Freiheit, 22 décembre 1918.
  722. Comptes rendus dans Die Rote Fahne, 22 décembre 1918.
  723. Sur cet épisode, «Protestschreihen der Vereinigung Grossstadtischer Zeitungsverleger vom 15. November 1918 gegen die Drucklegung der « Roten Fahne » in der Druckerei des « Berliner Lokal-Anzeigers », Dok. u. Mat. II/2, pp. 389-392.
  724. Paul Frölich Rosa Luxemburg, p. 325.
  725. H. Duncker, in 1918, Erinnerungen von Veteranen..., p. 21 ; Pieck, Vorwärts und..., p. 49. Selon Drabkin (op. cit., p. 197), sont présents : Eberlein, Lange, Levi, Mehring, Meyer et Thalheimer.
  726. Reproduite par J. S. Drabkin dans Nojabr'skaja Revoljucija v Germanii, pp. 377-378.
  727. Ibidem, p. 378.
  728. H. Weber, Der Gründungsparteitag..., p. 29.
  729. Vorwärts und..., pp. 51-52.
  730. Ibidem, p. 50. Voir également Berliner Lakalanzeiger du 15 novembre, Kölnische Zeitung du 17 et Die Rote Fahne du 18 novembre 1918.
  731. H. Weber, op. cit., p. 30.
  732. Die Rote Fahne , 20 novembre 1918.
  733. Voir chap. XII.
  734. Rapport au 2° congrès, Archives Levi, p. 124/8, p. 3.
  735. Die Rote Fahne, 27 novembre 1918.
  736. Ibidem, 28 novembre 1918.
  737. Vorwärts, 20 novembre 1918.
  738. Freiheit, 18 novembre 1918.
  739. Freiheit, 27 novembre 1918 ; Dok. u. Mat., II/2, pp. 494-496.
  740. Die Rote Fahne, 29 novembre 1918 ; Dok, u. Mat., II/2, pp. 497-500.
  741. Die Rote Fahne, 15 décembre 1918; Dok. u. Mat., II/2, pp. 595-596.
  742. Die Rote Fahne, 14 décembre 1918 ; Dok, u. Mat., II2, pp. 497-500.
  743. Freiheit, 14 décembre 1918.
  744. Freiheit, 16 décembre 1918.
  745. Freiheit, 16 décembre : Dok. u. Mat., II/2, pp. 603-606.
  746. Ibidem.
  747. Ill. Gesch., II, p. 246.
  748. Die Rote Fahne, 23 décembre 1918 ; Dok u. Mat., II/2, p. 645.
  749. Vorwärts und..., p. 61 ; Pieck, suivi par de nombreux auteurs, place cette réunion le 18, datation que ne confirme aucun document.
  750. Die Rote Fahne, 17 décembre 1918.
  751. Die Rote Fahne, 24 décembre 1918; Dok. u. Mat., II/2, pp. 646- 647.
  752. Der Kommunist, Brême, 28 novembre 1918 ; Dok. u. Mat., II/2, pp. 456-458.
  753. Ibidem, p. 456.
  754. Ill. Gesch., II, p. 284.
  755. Ibidem, p. 283.
  756. Voir les réponses données à Radek par Liebknecht sur l'organisation au début de décembre, Radek, November..., p. 132.
  757. Die Rote Fahne, 18 novembre 1918 ; B. Gross, Willi Münzenberg, p. 89,
  758. Der Rote Soldat, n° 1, 23 novembre 1918.
  759. Die Rote Fahne, 18 novembre 1918.
  760. Der Kommunist, Dresde, n° 5, 1918, Dok. u. Mat., II/2, pp. 614-615.
  761. Die Rote Fahne, 22 novembre 1918; résolution dans Dok. u. Mat., II/2, p. 444.
  762. Die Rote Fabne, 22 novembre 1918.
  763. Die Rote Fahne, 7 et 8 décembre 1918 ; Ill. Gesch., pp. 242-245 Ill. Gesch., II, p. 235; Berliner Arbeiterveteranen, p. 30.
  764. Die Rote Fahne, 8 décembre 1918 ; Ill. Gesch., p. 246.
  765. Die Rote Fahne, 9 décembre 1918.
  766. Ibidem, 17 décembre 1918 ; Dok. u. Mat., II/2, pp. 622-625.
  767. Ibidem, p. 623.
  768. Ibidem, p. 624.
  769. Voir chap. XII.
  770. Tract dans Dok. u. Mat. II/2, pp. 660-662. Au procès Ledebour, E. Meyer évoquera la colère de Luxemburg et Liebknecht apprenant cette initiative. Ledebour Prozess, p. 516.
  771. Ibidem, pp. 663-664.
  772. Ibidem, p. 665.
  773. « Die Wahlen zur Nationalversammlung », Die Rote Fahne, 23 décembre 1918, Dok. u. Mat., II/2, pp. 648-650.
  774. Tract, Ibidem, pp. 642-644.
  775. Vorwärts und..., pp. 175-176.
  776. Bericht über der Griindungsparteitag, p. 47.
  777. Die Rote Fahne, 17 décembre 1918; Dok. u. Mat., II/2, pp. 666-667. Wilhelm Pieck, op. cit., p. 61, écrit que cette résolution, inspirée par Ernst Däumig, était une opération dirigée contre les spartakistes, En fait, elle était dirigée contre les initiatives gauchistes, dont les spartakistes n'avaient pas le monopole, mais était au contraire parfaitement dans la ligne définie par la centrale, notamment dans le projet de programme publié dans Die Rote Fahne le 14 décembre.
  778. Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 113 ; Radek, November..., pp. 128-132. Hermann Osterloh, un des dirigeants des prisonniers de guerre et de la section allemande, faisait partie de la délégation, mais ne put pénétrer en Allemagne (Brandt & Lowenthal, op. cit., p. 122).
  779. Ch. Beradt, Paul Levi, p. 43, sans référence à aucun document.
  780. Radek, November..., pp. 132-133.
  781. Radek, op. cit., pp. 133, 134.
  782. Ibidem, p. 134.
  783. Ibidem, p. 135.
  784. Ibidem, p. 135.
  785. Der Kommunist, Brême, n° 5, 1918 ; Dok. u. Mat., II/2, pp. 609-613 pour la résolution adoptée.
  786. Vorwärts und..., p. 176.
  787. Ill. Gesch., p. 264 ; Jogiches était également présent.
  788. Protokoll des Dritten Kongresses der K.I., p. 668.
  789. Ibidem, p. 669.
  790. Ibidem, p, 541.
  791. « Spartakus und die Dritte Internationale », Inprekorr, n° 28, 29 février 1924, pp. 306-307.
  792. Ibidem, p. 307.
  793. H. Duncker, in 1918. Erinnerungen von Veteranen, pp. 23-24. Les trois voix hostiles étaient celles de Jogiches, Werner Hirsch, et d'un délégué de Mühleim, Meister, vraisemblablement Minster (W. Hirsch, Die Rote Fahne, 30 décembre 1928).
  794. Der Kommunist, de Brême, 24 décembre 1918, cité par Babette Gross, op. cit., p. 88.
  795. Rapport au II° congrès de l'I.C. Archives Levi, p 124/8, p. 4.
  796. Der Gründungsparteitag der K.P.D. Protokoll und Materialen, pp. 52-55. Nous nous référons à ce texte établi par Hermann Weber d'après la sténographie retrouvée dans les archives de Levi, plutôt qu'au très incomplet Bericht über den Gründungsparteitag établi, pendant la répression qui suivit les journées de janvier, par des secrétaires de séance.
  797. Ibidem, p. 56.
  798. Ibidem, p. 63-65.
  799. Ibidem, p. 66.
  800. Ibidem, p. 86. Cette curieuse description de l'Internationale ne correspond en rien au « parti mondial de la révolution socialiste » souhaité par Lénine. Radek formulera plus tard des définitions très différentes.
  801. Ibidem, p. 90.
  802. Ibidem, p. 93.
  803. Ibidem, p. 95. On sait qu'en fait, et pour éviter la pression ouvrière à Berlin, elle devait se réunir à Weimar.
  804. Ibidem, pp. 99-104.
  805. Ibidem, p. 113.
  806. Ibidem, pp. 113-117.
  807. Ibidem, p. 98. Le 10 janvier 1919, Rühle appellera à une manifestation de rue à Dresde. Elle sera accueillie devant l'immeuble du journal social-démocrate par une fusillade qui fera 12 morts et 52 blessés. Rühle sera arrêté, puis relâché après le rétablissement de l'ordre (Drabkin, op. cit., pp. 521-522).
  808. Ibidem.
  809. Ibidem, pp. 109-113.
  810. Ibidem, p. 135.
  811. Ibidem, pp. 135-136.
  812. Ibidem, pp. 138, 149.
  813. Ibidem, p. 159.
  814. Ibidem, pp. 152-154.
  815. Ibidem, pp. 160-162.
  816. Ibidem, pp. 162-164.
  817. Ibidem, p. 165.
  818. Ibidem, p. 172.
  819. Ibidem, p. 180.
  820. Ibidem, p. 182-183.
  821. Ibidem, p. 185.
  822. Ibidem, p. 184.
  823. Ibidem, p. 186.
  824. Ibidem, p. 189.
  825. Ibidem, pp. 196-197.
  826. Ibidem, pp. 198-199.
  827. Ibidem, p. 301.
  828. Frölich, op. cit., p. 345.
  829. Protokoll Ill..., p. 668.
  830. Radek, November..., p. 136.
  831. Ibidem,
  832. Sont élus à la centrale : Hermann Duncker, Käte Duncker, Eberlein, Frölich, Lange, Jogiches, Levi, Liebknecht, Luxemburg, Meyer, Pieck, Thalheimer (Bericht p. 45). Le passage correspondant, manquant dans les papiers de Levi, est reproduit dans Der Gründungsparteitag..., pp. 261-262. Bricianer se trompe donc quand il dit (op. cit., p. 158, n. 1) que Paul Levi était au printemps 1919 membre de la centrale parce qu'il y avait été «admis par cooptation ».
  833. Rosenberg, op. cit., p. 322.
  834. Der Gründungsparteitag..., p. 248.
  835. Ibidem, p. 276.
  836. Ibidem, p. 277.
  837. Ibidem, p. 270.
  838. Ibidem, p. 271.
  839. Ibidem, p. 271.
  840. Rosenberg, op. cit., p. 323.
  841. Der Gründungsparteitag..., p. 275.
  842. Ibidem, p. 273.
  843. Radek, November..., p. 136.
  844. Bricianer se croit de ce fait autorisé à écrire que Liebknecht s'obstina «contre la vœu de la majorité à mener en secret de vaines négociations avec certains chefs des indépendants et des fonctionnaires syndicaux de gauche » (op. cit., p. 142. C'est nous qui soulignons).
  845. Les archives de l'I.M.L.-Z.P.A. à Berlin contiennent le protocole de la réunion des délégués du I° janvier après la rupture des négociations (D. Do VI/Mappe 54). Drabkin (op. cit., pp. 461-462, n. 6) résume les débats : Ledebour, Wegmann, Eckert et Däumig se prononçaient pour la fondation d'un nouveau parti révolutionnaire, qui irait aux élections ; une minorité était pour l'entrée dans le K.P.D. ; la majorité se prononça finalement pour rester dans l'U.S.P.D.
  846. Œuvres, t. XXVIII, p. 451. Le texte, dont la rédaction fut terminée le 21 janvier, date à laquelle Lénine fut informé de l'assassinat des deux dirigeants allemands, a été publié dans la Pravda du 24 janvier 1919.
  847. P. Frölich, Rosa Luxemburg, p . 345.
  848. Die Rote Fabne, 27 novembre 1918.
  849. Dok. u. Mat., II/2, p. 563, n° 1.
  850. Vorwärts, 2 décembre 1918 ; Barth, op. cit., pp. 80-81 ; Ill. Gesch., II, p. 228.
  851. Vorwärts, 6 décembre 1918.
  852. Vorwärts, 7 décembre 1918.
  853. Die Rote Fahne, 7 décembre 1918 ; Wrobel, Der Sieg der Arbeiter und Matrosen.... p. 30.
  854. Die Rote Fahne, 8 décembre 1918.
  855. Wrobel, op. cit., p. 30, fait, d'après des témoins, le récit d'une expédition contre l'hôtel Bristol, Unter den Linden, menée par des travailleurs de Neukölln.
  856. Résumé de l'enquête (dont les éléments se trouvent dans la presse quotidienne et dans Eichhorn, op. cit.) dans R. Coper, Failure of a Revolution, pp. 154-156.
  857. Déposition du général Groener au procès de Munich, dans G. Ritter et S. Miller, Die deutsche Revolution, p. 125.
  858. Texte cité dans Berthold et Neef, Militarismus und Opportunismus, p. 165.
  859. Wheeler Bennett, op. cit., p, 31.
  860. Vorwärts, 11 décembre 1918.
  861. Cité par G. Badia, Les Spartakistes, p. 171.
  862. Vossische Zeitung, 25 décembre 1918.
  863. Benoist-Méchin, Histoire de l'armée allemande, I, p. 101.
  864. Allgemeine Kongress., col. 123 sq.
  865. Ibidem, col. 181.
  866. Groener, Lebenserinnerungen, p. 475.
  867. Ibidem, H. Müller, op. cit., p. 184. Der Zentralrat, pp. 44-54.
  868. Ibidem, p. 78, n° 38.
  869. K. Wrobel, Der Sieg der Arbeiter und Matrosen im Dezember 1918, présente la version la plus favorable aux marins. Mais les autres versions n'en divergent guère.
  870. Ill. Gesch., p. 254.
  871. Ibidem, p. 264 ; H. Müller, op. cit., p. 227.
  872. Ill. Gesch., p. 255 ; H. Müller, op. cit., p. 227.
  873. H. Müller, op. cit., p. 227.
  874. Ibidem; Ill. Gesch., p. 255.
  875. Résolution dans H. Müller, op. cit., p. 226.
  876. Ill. Gesch., p. 255.
  877. H. Müller, op. cit., p. 266.
  878. Ill. Gesch., p. 255 ; H. Müller, op. cit., p. 228.
  879. H. Müller, op. cit., p. 256 et 228.
  880. Ill. Gesch., p. 256 ; H. Müller, op. cit., p. 229.
  881. Ill. Gescb., p. 256, insiste sur le rôle de Barth et H. Müller sur celui d'Ebert.
  882. Ill. Gesch., p. 258 ; H. Müller, op. cit., p. 230.
  883. Benoist-Méchin, op. cit., t. I, p. 118.
  884. H. Müller, op. cit., p. 232.
  885. Der Zentralrat, pp. 85-86, 89-94.
  886. Freiheit, 29 décembre 1918.
  887. Der Zentralrat, pp. 185-186.
  888. R. Müller, Bürgerkrieg, p. 20.
  889. C'est en tout cas ce qu'affirme au congrès Heckert (Protokoll..., p. 116) ; il estime à 160 000 le nombre de ces manifestants.
  890. R. Müller, op. cit., p. 21.
  891. Trotsky, Histoire de la révolution russe, t. III, p. 101.
  892. Die Rote Fahne les ayant considérés comme des soutiens solides de la révolution prolétarienne, des représentants de la division répondent dans le Vorwärts qu'ils n'ont « rien à faire avec Spartakus » (Bock, op. cit., p. 112).
  893. Ibidem, t. Ill, p. 24.
  894. Le représentant officieux du président Wilson, Dresel, écrit que Noske est un homme énergique, capable de réprimer le putsch ou les troubles qu'il prévoit d'ailleurs (cité par Drabkin, op. cit., p. 442.) Le même auteur souligne (pp. 423-442) le lien entre la formation des corps francs et une politique extérieure de rapprochement avec l'Entente et de lutte militaire contre les bolcheviks, notamment dans les pays baltes.
  895. Noske, op. cit., p. 68.
  896. Benoist-Méchin, op. cit., t. I, p. 142.
  897. Ibidem, p. 143.
  898. Maercker, Vom Kaiserheer zur Reichswehr, p. 53.
  899. Ibidem, p. 64.
  900. Drabkin, op. cit., p. 480.
  901. Le général Groener devait déclarer plus tard que Noske avait fait appel à Ebert le 29 décembre pour « conduire les troupes contre les spartakistes » (Dolchstossprozess, p. 225).
  902. Ill. Gesch., p. 260.
  903. Vorwärts, I° janvier 1919.
  904. Kolb, op. cit., pp. 226-227.
  905. Voir ses propres explications dans Eichhorn, Ueber die Januarereignisse, pp. 60 sq.
  906. Rosenberg, op. cit., p. 325.
  907. Ill. Gesch., II, p. 308.
  908. R. Müller, Bürgerkrieg, p. 30.
  909. Die Rote Fahne, 5 septembre 1920. Levi est vraisemblablement l'auteur de cet article, qui exprime en tout cas son point de vue.
  910. Radek, November..., p. 137.
  911. Le texte intégral du tract dans Dok. u. Mat., II/2, pp. 9-10.
  912. Ibidem, p. 10.
  913. Déclaration de Ledebour, Ledebour-Prozess, pp. 44 sq.
  914. Die Rote Fahne, 6 janvier 1919.
  915. Ibidem, 5 septembre 1920.
  916. Ibidem.
  917. Le récit le plus complet des discussions qui suivent se trouve dans R. Müller, Bürgerkrieg, pp. 30 sq.
  918. Délégués révolutionnaires et indépendants de gauche. Certains y sont àplusieurs titres, comme Anton Grylewicz, délégué révolutionnaire, second président de l'U.S.P.D. à Berlin et suppléant d'Eichhorn. Weber, Die Wandlung, II, p. 145.
  919. Ill. Gesch., p. 274 ; Müller, Bürgerkrieg, pp. 30-38, 46.
  920. Ibidem, et H. Müller, op. cit., p. 252.
  921. Ibidem, p. 253.
  922. R. et H. Müller mentionnent Däumig, R. Müller, Eckert, Neuendorf, Rusch et Malzahn.
  923. Ill. Gesch., p. 275 ; Ledebour Prozess, p. 53.
  924. Ill. Gesch., pp. 280-281, précise que l'initiative fut prise au cours même de la manifestation devant la préfecture de police par un garçon de café du nom d'Alfred Roland, démasqué plus tard comme provocateur. Le fait est confirmé par l'enquête du Landtag prussien, par plusieurs dépositions au procès de Ledebour, et repris à son compte par Richard Müller (Drabkin, op. cit., p. 486, n. 23). Mais il est incontestable que des éléments gauchistes qui n'avaient rien de provocateurs ont participé à cette occupation dès ses premières heures ; le plus connu était l'écrivain Werner Möller, un des dirigeants des I.K.D. de Berlin avant la fondation du K.P.D. (S), dont M. Bock (op. cit., p. 435) dit qu'il était dans la capitale un des dirigeants de l'activisme gauchiste.
  925. Il s'agissait des entreprises de presse Büxenstein, Scherle, Mosse, Ullstein, et de l'agence télégraphique Wolff. A la tête des occupants de Mosse figurait un dénommé Drach, dont une dépêche d'Eisner (I.M.L.-Z.P.A., n' 8/28, f. 184 et 8/29, ff. 41 sq.) citée par Drabkin (op. cit., p. 486, n. 23) précisait qu'il était un « espion » de Ludendorff.
  926. Ledebour-Prozess, p. 62.
  927. L'appel est signé des délégués révolutionnaires, de l'exécutif central de l'U.S.P.D. du Grand Berlin et de la centrale du K.P.D. (S), nom du comité révolutionnaire (Freiheit, 6 janvier 1919; Dok. u. Mat., Ii/3, p. 11).
  928. Reproduction photographique de l'original dans Ill. Gesch., p. 272. Liebknecht avait signé pour Ledebour absent.
  929. Freiheit, 10 janvier; Dok. u. Mat., III/2, p. 136.
  930. Ledebour-Prozess, pp. 189-194 ; Waldman, Spartacist Uprising, p. 176.
  931. R. Müller, op. cit., p. 87.
  932. Ill. Gesch., p. 280.
  933. Ill. Gesch., p. 276; Ledebour-Prozess, pp. 278 sq. ; Drabkin, op. cit.,p. 488, n° 28.
  934. Die Rote Fahne, 5 septembre 1920.
  935. lIl. Gesch., p. 281 ; Drabkin, op. cit., p. 495.
  936. Seuls Däumig et Richard Müller, en l'absence de Malzahn, ayant voté contre. Dok. u. Mat., II/3, p. 15.
  937. Radek, November... pp. 137-138.
  938. Ibidem, p. 138.
  939. Ill. Gesch., p. 283 ; P. Levi, Was ist das Verbrechen ?, pp. 33-34.
  940. Ill. Gesch., p. 284; H. Müller, op. cit., p. 262.
  941. Ibidem.
  942. Texte dans H. Müller, op.cit., pp. 254-255.
  943. Noske, Von Kiel bis Kapp, pp. 69 sq.
  944. I.M.L.-Z.P.A., n° 8/28, cité par Drabkin, op. cit., p, 490.
  945. Ibidem, p. 490, n° 35.
  946. Ibidem, p. 91.
  947. Tract cité par Drabkin, op. cit., p. 496; Reichsanzeiger,7, 9 janvier 1919.
  948. F. Zikelsky, Mein Gewehr in meiner Hand, pp. 144-145.
  949. Dok. u. Mat., II/3, pp. 33-34.
  950. Cité par Drabkin, op. cit., p. 498.
  951. Cité par Drabkin, op. cit., p. 499.
  952. Der Zentralrat, pp. 287-288.
  953. Ill. Gesch., p. 284 ; H. Müller, op. cit., p. 262, etc.
  954. IIl Gesch., p. 285.
  955. Ibidem, pp. 285-286.
  956. Ibidem, pp. 286.
  957. Ibidem, pp. 288.
  958. Ibidem, pp. 288-290.
  959. Radek, November..., p. 138.
  960. Cité par Ill. Gesch., p. 282. Radek fut longuement interrogé ultérieurement par la police allemande au sujet de cette lettre. L'original en figurait dans les archives de Thomas, qui ont servi à la rédaction de l'Illustrierte Geschichte, mais qui ont disparu sous le nazisme.
  961. Ibidem.
  962. Ibidem.
  963. Der Zentralrat, p. 277.
  964. Ibidem, p. 295.
  965. Der Zentralrat, p. 296.
  966. Voir les rapports de Leinert sur les résolutions reçues, Ibidem, pp. 308 et 326.
  967. Max Cohen, qui exprime à plusieurs reprises son inquiétude devant les initiatives des militaires, reflète en partie dans le conseil central les appréhensions des travailleurs du parti d'Ebert face à l'alliance de leurs chefs avec les corps francs. Brutus Molkenbuhr lui-même dressera un violent réquisitoire contre Noske et ses alliés (Drahkin, op. cit., p. 509) en citant (I.M.L.Z.P.A., Il/5, ff. 12-17) le compte rendu de l'exécutif du 13 janvier.
  968. Paul Levi, Was ist das Verbrechen ?, pp. 33-34.
  969. Die Rote Fahne, 13 janvier 1918, Dok. u. Mat., II/3, pp. 41-42.
  970. Die Rote Fahne, 11 janvier 1918, Ibidem, pp. 47-49.
  971. Die Rote Fahne, 6 janvier 1918, Dok. u. Mat., II/2, pp. 23-26.
  972. Die Rote Fahne, 11 janvier 1918, Ibidem, pp. 47-51.
  973. Badia (Les Spartakistes, p. 261) écrit : « Il n'en reste pas moins que Rosa Luxemburg a senti la nécessité, à la tête de la révolution, d'un organisme qui guide et oriente l'action, en imposant sa volonté aux masses. N'est-ce pas là un pas vers la conception léniniste du parti de la classe ouvrière ? » Il est difficile de le suivre, aussi bien en ce qui concerne la pensée de Rosa Luxemburg elle-même qu'en ce qui concerne la conception dite « léniniste » d'un parti « imposant » sa volonté aux masses.
  974. Die Rote Fahne, 14 janvier 1918. Dok. u. Mat., II/3, pp. 71-75.
  975. Die Rote Fahne, 14 janvier 1919 ; Dok. u. Mat., II/3, p. 73.
  976. Ibidem, p. 75.
  977. Rosenberg, op. cit., p. 331 ; Badia, Les Spartakistes, p. 249.
  978. Radek, November..., p. 138. Le conseil central apprendra le 15 par Max Cohen l'arrestation d'une belle-sœur âgée de Liebknecht, ainsi que d'une jeune fille ayant habité chez Rosa Luxemburg (Der Zentralrat, pp. 415-416).
  979. Un fac-similé du texte est publié par Vorwärts le 14 janvier.
  980. Paul Levi écrira : « Aucun des présents n'oubliera jamais la scène au cours de laquelle Rosa Luxemburg présenta à Liebknecht le document Signé « Le gouvernement provisoire, Ledebour, Liebknecht, Scholze » (« Rosa Luxemburg und Karl Liebknecht zum Gedächtnis », Der Klassenkampf, n° 2, 15 janvier 1929, p. 34). Rosi Wolfstein a rapporté à J. P. Nettl la réflexion mentionnée ici (op. cit., II, p. 767).
  981. Vorwärts, 16 janvier 1919 (édition du matin).
  982. Extraits de presse dans E. Hannover-Drück et H. Hannover, Der Mord an Rosa Luxemburg und Karl Liebknecht, pp. 35-45.
  983. Ibidem, pp. 45-58.
  984. Ibidem, p. 116 ; dossier du procès, pp. 59-120.
  985. Ill. Gesch., p. 305. Cet officier, qui avait joué un rôle dans la répression des marins révolutionnaires en 1917, devait être couvert par ses chefs. Amiral, il deviendra sous le III° Reich le chef de l'Abwehr.
  986. Vorwärts, 13 janvier 1919, fac-similé du poème « Das Leichenhaus », Ill. Gesch., p. 331.
  987. Scheidemann, Memoiren, II, p. 348.
  988. Nollau, Tbe Communist International, p. 332, avec une déclaration de Pabst à l'auteur, datée du 30 novembre 1959; E. Wollenberg (Der Apparat, pp. 76-78) est l'une des sources de la version selon laquelle Hans Kippenberger, responsable de l'enquête, aurait payé de sa vie, lors des procès de Moscou, les informations recueillies contre Pieck à cette occasion.