Catégorie | Modèle | Formulaire |
---|---|---|
Text | Text | Text |
Author | Author | Author |
Collection | Collection | Collection |
Keywords | Keywords | Keywords |
Subpage | Subpage | Subpage |
Modèle | Formulaire |
---|---|
BrowseTexts | BrowseTexts |
BrowseAuthors | BrowseAuthors |
BrowseLetters | BrowseLetters |
Template:GalleryAuthorsPreviewSmall
Special pages :
Lettre à Viatcheslav Molotov, 27 septembre 1929
Auteur·e(s) | Gueorgui Tchitcherine |
---|---|
Écriture | 4 septembre 1929 |
Documents issus des Archives d’Histoire Socio-Politique du Gouvernement Russe (Rossiski Gossoudarstvenni Arkhiv Sotsialno-Polititcheskoï Istorii ou RGASPI), ex-Archives du Parti, publiés dans le recueil Sovetskoïe roukovodstvo, perepiska 1928-1941 [Direction soviétique, correspondance 1928-1941], Moscou, Rosspen, 1999, 519 p.
27.IX.1929
Copie
Confidentiel
Au camarade MOLOTOV
Estimé camarade !
Je vous suis très reconnaissant pour votre lettre du 21.IX, mais il vaut vraiment mieux ne pas écrire au sujet de mon « nom » (parler de noms – cela ne fait vraiment pas bolchevique), « indissociablement lié » et ainsi de suite[1] – tout ça c’est du passé ; le passé, c’est le passé, à quoi bon faire du sentiment avec les laissés-pour-compte, paix à leurs cendres, vous avez en charge la vie et l’avenir, et non le passé. Les Lazares ne ressuscitent pas, abandonnez les utopies. Personne ne peut organiser mon retour avec confort, les cahots de la route et le roulis du bateau étant inévitables. En cas de nécessité il faut bien prendre la route, même pour une mort certaine, même s’il y toutes les chances que cela se solde par la paralysie, et cette torture que constituent pour moi les cahots et le roulis peut être indispensable, mais cela présente-t-il une utilité ? Le public va dire des horreurs, repenser à la Lune non éteinte[2] et ainsi de suite – est-ce souhaitable ? Or en URSS il n’y a pas de stations thermales du niveau de Wiesbaden, il y a de merveilleuses stations balnéaires, mais encore – les médecins militaires allemands renvoyaient les culs-de-jatte au front, mais ensuite ? Et si les médecins ne diagnostiquent pas complètement la nature de ces affections atroces, c’est encore pire. Ils n’ont pas su tout expliquer. Vous écrivez que je verrai quelque chose de neuf[3]. C’est de l’utopie – je ne verrai rien du tout. Je suis resté à quai – vous écrivez joyeusement au sujet de nouvelles usines, mais ce n’est là que le premier pas, nous sommes encore loin, bien loin d’être autosuffisants – il nous faut de bonnes relations avec nos voisins, en particulier avec l’Allemagne, or pour rendre service à Thälmann et Co, Moscou fait tout ce qui est possible pour gâter les relations avec l’Allemagne, l’essentiel est sacrifié. L’essentiel, c’est l’industrialisation. Les kolkhozes et les sovkhozes ne constituent qu’un soutien partiel, le vieux problème reste d’actualité – approvisionner les campagnes en biens de consommation. Et la question du Komintern ne sera pas réglée sans industrialisation et création chez nous de bonnes conditions économiques. Certains hommes politiques anglais disaient : « si l’URSS n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer, car elle détourne les ouvriers de la révolution. » C’est, admettons, un paradoxe, mais le fait est que toute la presse fait ses gorges chaudes de nos difficultés d’approvisionnement et autres, j’ai moi-même entendu de la part d’ouvriers : « en Russie il y a des cartes de rationnement, il n’y a pas de viande, pas de beurre, pas d'œufs etc. » Aucun doping « révolutionnaire » n’y aidera. Vous mettez la charrue avant les bœufs lorsque vous gâtez les relations avec l’Allemagne pour servir l’agitation de Thälmann. Mais toutes les interventions dans le genre de l’article détestable, au plus haut point absurde de Nomad, les éternelles tracasseries, la fabrication de scandales, le grossissement des plus infimes petits détails, la déformation des perspectives, le mensonge éhonté – toute cette détérioration de nos relations avec l’Allemagne est tout bonnement une aberration. Nous nous sommes répandus en hurlement absurdes : pourquoi le gouvernement allemand a-t-il pris sur lui de défendre et nos intérêts, et les intérêts chinois[4] (durant la Grande Guerre un petit nombre d’États neutres défendaient à la fois les intérêts de l’Entente et ceux des États d’Europe Centrale, c’est là une chose tout à fait banale), alors qu’en 1920-21 durant l’échange hongrois l’Allemagne représentait les intérêts hongrois à Moscou (son envoyé était Holger), et les nôtres en Hongrie, mais à ce moment-là nous ne nous escrimions pas à détériorer à n’importe quel prix nos relations avec l’Allemagne. On a poussé les hauts cris chez nous pour l’affaire Orlov[5], cependant qu’en 1904, au zénith de l’amitié entre Guillaume et Nicolas, lorsqu’il y eut le procès de Koenigsberg sur la livraison en contrebande de littérature révolutionnaire en Russie, les accusés furent acquittés suite à l’absence de réciprocité, car les crimes contre un autre gouvernement ne sont punis qu’en cas de réciprocité dans la législation. Malheureusement, on vous informe mal. Simplement, vous ignorez le degré de faiblesse du mouvement révolutionnaire, dont par ignorance on fait tant de frais chez nous. Si vous aviez lu les rapports des procès de ceux qui furent arrêtés à Berlin le 1er mai, vous auriez vu toute l’insignifiance de l’affaire, transformée en grand événement par les tirs de la police (les s[ociaux]-d[émocrates] ne veulent pas perdre le rôle de sauveurs de la société, car quand vous avez fait ce pourquoi vous étiez là, il n’y a plus qu’à quitter la scène ; pour y demeurer il faut avoir encore quelque chose à y faire), d’autant que les communistes-avocats disaient clairement que rien n’aurait eu lieu s’il n’y avait pas eu les tirs de la police. Le 1er août j’ai fait une tournée dans les bourgs habités par les ouvriers affairés à Francfort et à Höchst et j’ai vu toute l’insignifiance du mouvement. Sur les murs étaient collés des petits papiers rouges portant des inscriptions au sujet de la guerre et de la préparation d’une attaque contre l’URSS, et j’ai vu certains ouvriers rire en sachant qu’en ce moment il n’y a pas de danger de guerre et que personne n’attaque l’URSS (ils ne considèrent pas le conflit sur le chemin de fer comme une attaque) – ces slogans font beaucoup de tort au Komintern. Aventures, doping, bluff – le plus grand des torts.
Accablé d’hallucinations, d’horribles cauchemars, avec une douleur lancinante dans tous les os (encore et toujours mal élucidée par les médecins), torturé par ces affections atroces, privé ne serait-ce que de quelques minutes de repos, je retourne tout ça dans ma tête et m’emplis d’une soif de nirvana – « le nom » etc. – tout ça c’est du passé, – ça ne reviendra plus. La vie avance, ceux d’avant restent à la traîne.
Salut communiste – TCHITCHERINE
P.S. Si l’instance m’ordonne de me faire hara-kiri, je me ferai hara-kiri, mais j’aurais préféré un procédé moins pénible que la torture des cahots ferroviaires et du tintamarre poussif du paquebot. Brr... [...]
Dans l’un de ses discours le camarade Baouman a déclaré qu’une période nouvelle exige des gens nouveaux. Je le prends au mot : comme Narkomindel, il faut un homme neuf. Si vous aviez idée des pénibles états par lesquels je passe et en particulier de mes affections cérébrales, vous ne protesteriez pas.
Voici venu le moment du « tu délivres à présent »[6].
TCHITCHERINE
RGASPI 558/2/48/13-14. Copie dactylographiée.
- ↑ Dans sa lettre à Tchitchérine datée du 21 septembre 1929, Molotov écrivait :
« En tout état de cause votre nom est indissociablement lié à l’URSS et lui appartient. » RGASPI 558/2/48/12. - ↑ Le conte de la lune non éteinte, paru en 1926, est un célèbre récit de Boris Pilniak relatant de manière à peine voilée l’assassinat médical (à l’occasion d’une opération chirurgicale inopportune) d’un haut dirigeant du parti, Gavrilov, sous les traits duquel on n’avait pas eu de mal à reconnaître Frounzé, qui avait brièvement remplacé Trotski à la tête de l’Armée Rouge. Pilniak brava de nouveau la censure soviétique en publiant L’Acajou à Berlin en 1929 – c’est-à-dire précisément au moment où Tchitchérine séjournait lui-même en Allemagne.
- ↑ Toujours dans la même lettre de Molotov :
« Les affaires vont bien. Nous devenons grands et forts comme Hercule, malgré les milliers et milliers de bâtons dans nos roues.
Lorsque vous serez de retour, vous verrez beaucoup de choses neuves, extrêmement intéressantes et effectivement encourageantes.
L’énorme montée de l’enthousiasme au sein des masses reflète le fait que notre assise se renforce de jour en jour. » - ↑ Durant le conflit sino-soviétique de l’été 1929, le diplomate von Dirksen (chef du département oriental au Ministère allemand des Affaires Etrangères de 1925 à 1928, puis ambassadeur d’Allemagne à Moscou jusqu’en 1933) s’essaya sans succès à jouer le rôle de conciliateur entre les deux parties.
- ↑ Le 28 février 1929, la police politique allemande arrêta un groupe d’émigrés russes dirigés par un certain V. Orlov. Ils furent inculpés pour fabrication de faux documents dans le but de discréditer l’URSS (par exemple, des documents sur la subornation de deux sénateurs américains par le gouvernement soviétique). La direction soviétique fut mécontente de la mollesse du verdict rendu par le tribunal allemand et entreprit à ce sujet une série de démarches diplomatiques.
- ↑ Début d’une prière issue du missel de saint Serge de Radonège (XIVe siècle) : « tu délivres à présent ton serviteur, Seigneur ».