Le livre rouge du procès de Moscou

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Avant-propos[modifier le wikicode]

Ce LIVRE ROUGE n'est qu'une première contribution à l'analyse du procès de Moscou.

Sauf le premier chapitre, qui a un caractère de politique générale, et le deuxième, qui rappelle les faits antérieurs, chapitres susceptibles de présenter un intérêt moins immédiat pour le lecteur, ce travail, basé sur le compte rendu officiel, est consacré à l'analyse du procès lui-même. Il a déjà paru en langue russe, comme article rédactionnel dans le Bulletin de l'Opposition ; l'auteur l'a revue pour l'édition française.

L'enquête en est à son début. De nouvelles informations et de nouveaux témoignages ne se feront pas attendre. Certains documents n'ont pas trouvé place dans ces pages, car nous ne croyons pas possible de les rendre publics avant de les avoir rigoureusement vérifiés, de même que les circonstances qui y sont liées.

L'auteur de ces lignes se tient à l'écart de la politique active. Il ne s'est jamais adressé à l'opinion publique. S'il le fait aujourd' par cette étude, c'est que des raisons impérieuses l'y ont contraint.

Des hommes, à Moscou, ont été piétinés dans la boue, fusillés pour des crimes qu'ils n'avaient jamais commis, assassinés.

Léon Trotsky – père de l'auteur – est calomnié ignominieusement, calomnié comme rarement personne le fut dans l'Histoire. Tout son honneur de révolutionnaire, toute son œuvre de quarante années sont mis en cause.

Et la calomnie a déjà porté ses fruits : Léon Trotsky est interné, condamné au silence pour que d'accusé, il ne se fasse pas accusateur.

L'auteur de ces lignes est aussi l'un des accusés du procès de Moscou. Il a le droit de se défendre. Mais un double devoir s'imposait surtout à lui. Le devoir du seul accusé resté en liberté, de rétablir la vérité : le devoir de défendre l'honneur de Trotsky.

Le véritable procès, celui des fusilleurs de Moscou, ne fait que commencer. Nous n'avons d'autres armes que la vérité. Nous poursuivrons notre tâche jusqu'au bout, sans faiblesse, quelles que soient les difficultés à surmonter. La vérité se fera.

Il ne restera pas pierre sur pierre de la monstrueuse machination stalinienne. L'effroyable responsabilité en retombera sur les thermidoriens de Moscou.

Le crime de Staline apparaîtra tel qu'il est, l'un des plus grands de l'Histoire moderne.

L. Sédov

Le 28 octobre 1936

Pourquoi Staline avait-il besoin de ce procès ?[modifier le wikicode]

Il est hors de doute que Staline devait avoir des raisons bien impérieuses pour en venir à pareille extrémité, pour perpétrer ces assassinats. Des raisons de divers ordres, situées sur différents plans, mais toutes étroitement liées. Staline voyait certainement dans ce procès une machination suprêmement habile destinée à marquer très clairement aux yeux de tous les début d'une nouvelle période, celle d'un renforcement encore plus grand de la puissance de la bureaucratie staliniste et de la destruction définitive de l'opposition. Quand Trotsky se trouvait encore en U.R.S.S., c'est-à-dire aux mains de la clique thermidorienne, Staline avait alors pensé qu'une opération minutieusement préparée et se terminant par l'exil était le meilleur moyen de se débarrasser d'un bolchévik irréductible. Il s'est trompé et il n'est pas besoin d'être particulièrement perspicace pour comprendre combien cette erreur le hante. Aujourd'hui, devant cette opposition toujours renaissante et grandissante, il fait froidement fusiller des bolchéviks, anciens dirigeants du parti et de l'Internationale communiste, des héros de la guerre civile. Mais cette fois encore il se trompe, comme il devra dans un avenir prochain le constater. Ce crime effroyable, accompli de sang-froid, retombera sur la tête de son auteur !

Les raisons de politique intérieure[modifier le wikicode]

Le socialisme est édifié, les classes sont abolies, proclame la doctrine officielle du stalinisme. « Le socialisme est édifié », et jamais encore l'Union soviétique n'a connu une telle inégalité, actuellement, presque vingt ans après la révolution d'Octobre : des salaires de 100 roubles et des salaires de 8 à 10 000 roubles. Les uns vivent dans de misérables baraques, ils ont des souliers éculés ; d'autres ont des automobiles somptueuses et vivent dans des appartements magnifiques. Les uns luttent pour se nourrir, eux et leur famille ; d'autres ont leur voiture, des domestiques, une maison de campagne dans la banlieue de Moscou, une villa au Caucase, etc. « Les classes sont abolies », mais quoi de commun entre la vie d'un directeur de trust et celle d'un manœuvre ? Celle d'un maréchal et celle d'un kolkhozien ? Certes, même actuellement, une certaine inégalité serait encore inévitable, mais, et c'est là toute la question, cette inégalité s'accentue d'année en année, prenant les proportions les plus monstrueuses, et l'on fait passer cela... pour le socialisme.

Dans les domaines les plus divers, l'héritage de la révolution d'Octobre est en train d'être liquidé. L'internationalisme révolutionnaire fait place au culte de la patrie dans le sens le plus étroit. Et patrie signifie avant tout autorités. On réintroduit les grades, les décorations, les titres. On rétablit la caste des officiers avec les maréchaux en tête. Les vieux ouvriers communistes sont rejetés à l'arrière-plan ; la classe ouvrière est scindée en couches différentes ; la bureaucratie mise sur le « bolchévik sans-parti », sur le stakhanoviste, c'est-à-dire sur l'aristocratie ouvrière, sur le contremaitre et, avant tout, sur le spécialiste et l'administrateur. On rétablit l'ancienne famille petite-bourgeoise, qu'on idéalise de la façon la plus conventionnelle ; malgré les protestations générales, on interdit l'avortement, ce qui, dans les conditions matérielles difficiles, dans l'état primitif de la culture et de l'hygiène, signifie l'esclavage de la femme, le retour aux temps d'avant la révolution. On a abrogé le décret de la révolution d'Octobre sur l'école nouvelle. L'école est réformée sur le modèle de la Russie tzariste : on réintroduit l'uniforme pour les élèves, non seulement pour enchaîner leur indépendance, mais aussi pour faciliter la surveillance hors de l'école. Pour apprécier un élève, on se base sur ses notes de conduite, on s'oriente vers l'élève soumis et docile, et non pas vers l'écolier vivant et indépendant. La vertu fondamentale de la jeunesse, c'est aujourd'hui le « respect des aînés », à côté du « respect de l'uniforme ». On a créé toutes sortes d'inspecteurs pour surveiller la conduite et les mœurs de la jeunesse. On a dissous l'Asssociation des vieux bolchéviks et celle des anciens forçats politiques. Ils rappelaient trop le « maudit » passé révolutionnaire.

Dans le domaine de l'économie, c'est une marche à vive allure vers la droite, on rétablit le marché, le système de l'équilibre financier des entreprises, le travail aux pièces. Après l'abolition administrative des classes, la direction staliniste en est venue à miser sur les gens aisés ; c'est sous ce signe que s'effectue la différenciation entre les kolkhozes et à l'intérieur des kolkhozes.

« Le socialisme est édifié »... Mais il y a dans le pays un nombre immense de prostituées, et la prostitution croît. Or, la prostituée est le plus souvent une ouvrière ou une employée mal payée, ou encore une ancienne kolkhozienne chassée de son village par la faim. La plaie des enfants abandonnés est loin d'être fermée.

« Le socialisme est édifié », c'est dire que l'Etat doit dépérir et qu'une tout cas le rôle de la contrainte doit diminuer de plus en plus. C'est le contraire qui se passe. Jamais encore la répression n'a eu un caractère aussi général et aussi rigoureux, et cette répression, dirigée dans le passé contre les ennemis de classe du prolétariat, est dirigée maintenant contre le prolétariat lui-même, car c'est contre lui que la nouvelle couche sociale dominante, la bureaucratie, défend ses privilèges matériels. Par tous les moyens, la bureaucratie s'approprie une part énorme du revenu national. Elle a quelque chose à défendre ! La bureaucratie soviétique, qui s'engraisse et prospère, défend avec rage ses privilèges, sa vie « aisée et heureuse », contre les masses privées de droits.

Mais en même temps, la situation matérielle des masses s'améliore, quoique à une extrême lenteur, bien moins rapidement que croît l'inégalité. Cela leur donne une confiance de plus en plus grande en elles-mêmes, cela conduit non pas au renforcement mais à l'affaiblissement des positions politiques de la bureaucratie. L'ouvrier qui, il y a quelques années, était entièrement occupé à gagner son pain quotidien, en travaillant souvent 14 et même 16 heures par jour, en deux équipes, s'efforçait avant tout d'apaiser sa faim et de nourrir sa famille. L'amélioration de la situation économique lui a donné la possibilité de respirer ; ses exigences se sont accrues il veut d'abord s'habiller mieux, avoir un pardessus, aller au cinéma. Mais ce n'est qu'un commencement. Chez l'ouvrier se manifeste ensuite le besoin de lire, d'atteindre à la culture : il commence à penser à participer consciemment au processus de la production, à défendre ses intérêts et bientôt — quel crime ! — il veut prendre une part active à la politique. Cela, Staline ne saurait l'admettre. C'est ce qu'il craint mortellement.

Le mécontentement de l'ouvrier, son aspiration à la vie politique active, ses protestations « oppositionnelles » contre l'inégalité sociale, tout ce complexe de contradictions violentes qui déchirent l'Etat soviétique, Staline veut le surmonter par la répression policière ! Et pour donner à la répression un caractère encore plus impitoyable, Staline a besoin du « terrorisme ». En étourdissant la masse, en l'effrayant, Staline rend encore plus aisée sa répression sanglante. Voici ce qui vous attend, dit Staline en montrant les cadavres de Zinoviev et de Kamenev, si vous vous permettez de douter de mon infaillibilité, si vous ne consentez pas à devenir les muets esclaves de la bureaucratie.

Si dans le passé chaque mécontentement, chaque protestation étaient qualifiés de « trotskisme », Staline a, par les assassinats de Moscou identifié « trotskisme » et « terrorisme ». Quiconque est mécontent ou montre simplement un attitude critique est un « trotskiste ». Cela signifie désormais un « terroriste ». Ce n'est pas le camp de concentration ni la prison qui le menacent, mais la fusillade immédiate.

Staline est définitivement entré dans la voie de l'extermination de tous ceux qui expriment leur mécontentement et, en premier lieu, des oppositionnels de gauche. Pionniers de la lutte contre la bureaucratie, seuls révolutionnaires prolétariens qui aient des racines dans les masses, les bolchéviks-léninistes sont le plus grand danger pour Staline. Dans les camps de concentration et es isolateurs, on les déclarera « terroristes », c'est-à-dire passibles de la fusillade. Dans l'U.R.S.S. Entière il y a sans aucun doute, actuellement, des « jugements » et des fusillades auxquels le procès de Moscou a servi de signal. Terrible et effrayante réalité...

Par les assassinats de Moscou, Staline se dresse aussi contre son propre appareil, surtout contre la mince couche de celui-ci qui se compose encore de vieux bolchéviks, car dans cette partie de l'appareil existe un mécontentement largement répandu, quoique dissimulé. Devenu l'exécuteur aveugle des ordres des sommets stalinistes, l'ancien révolutionnaire perd toute perspective ; ses droits sont réduits au droit d'être en extase devant le « père du peuple » et il connaît, mieux que d'autres, Staline, usurpateur perfide, assassin impassible, fossoyeur de la révolution. Et pour tenir en main son propre appareil, au moins la partie de celui-ci encore liée par quelque chose à la révolution d'Octobre, il ne reste aujourd'hui à Staline rien d'autre qu'à le terroriser toujours davantage.

Par les assassinats de Moscou, Staline veut aussi tuer politiquement l'opposition de gauche et Trotsky personnellement, contre qui est surtout dirigé le procès. Trotsky est le principal accusé, quoiqu'il ne se soit pas trouvé sur le banc des inculpés. C'est lui que Staline s'efforce de couvrir de boue et de sang. Les ressources de l'injure et de la calomnie journalistiques sont épuisées. Avec les cadavres des fusillés, Staline veut donner un nouveau poids à la calomnie la plus empoisonnée, la plus fangeuse, la plus vile. S'il n'avait pas fusillé Zinoviev, Kamenev et les autres, le procès serait apparu comme une pitoyable comédie, et non pas comme une tragédie effroyable. C'est seulement soulignées par les assassinats que les calomnies du procès de Moscou prenaient une nouvelle force et pouvaient secouer l'opinion publique mondiale.

Par ses fusillades, Staline montre, et veut montrer, que la bureaucratie bonapartiste ne s'arrêtera devant rien dans sa lutte pour garder le pouvoir usurpé par elle et pour maintenir ses privilèges. La classe ouvrière doit bien s'en souvenir.

Mais ces assassinats montrent aussi combien est précaire la situation de la bureaucratie. Ce n'est pas par excès de force que l'on en vient à une extrémité aussi sanglante. Pour affermir sa position, la bureaucratie — Staline — doit mener le pays, déjà complètement terrorisé, à de nouvelles formes encore inconnues d'arbitraire monstrueux et de répression féroce. Mais c'est une impasse. Une issue, — dans la mesure où cela dépend de la bureaucratie, — ne peut être trouvée que dans la voie d'une nouvelle réaction, encore plus profonde. Par la tentative de tuer politique Trotsky et par l'assassinat de vieux bolchéviks, Staline veut s'ouvrir plus sûrement les voies qui mènent à la réaction.

Le danger de guerre ne fait qu'accentuer le caractère bonapartiste du stalinisme. Ce n'est pas sur l'initiative et le courage de la classe ouvrière en lutte pour l'idéal communiste que compte Staline en cas de guerre prochaine, mais sur la caste privilégiée des officiers, sur la soumission aux « supérieurs » tout-puissants des « inférieurs » privés de tout droit, poussés par la peur.

La fusillade des vieux bolchéviks, quel prélude à la « constitution la plus démocratique du monde » ! Que ceux qui ont des illusions sachent, — signifie par là Staline, — que la démocratie de la constitution consiste à donner le droit aux électeurs et aux congrès de voter pour moi. Et qui ne vote pas pour Staline, c'est-à-dire pour la bureaucratie et ses privilèges, est un trotskiste, donc un terroriste que nous fusillerons dans les 24 heures. La constitution staliniste est un mensonge destiné à couvrir le régime plébiscitaire.

Une raison a peut-être encore poussé Staline à l'assassinat de vieux bolchéviks. C'est la peur de la bureaucratie devant le terrorisme, non pas le terrorisme organisé, comme on a voulu nous le représenter au procès de Moscou, — il n'existe rien de tel en U.R.S.S., — mais devant les terroristes isolés qui sortent de la jeunesse désespérée et privée de perspectives. Ces tendances terroristes sont vraisemblablement peu développées en U.R.S.S. Pendant les dix années de la domination bureaucratique, il a été accompli un assassinat politique dirigé par un de ces jeunes communistes désespérés contres les sommets stalinistes, l'assassinat de Kirov. Il est beaucoup plus vraisemblable que la bureaucratie gonfle ce danger, avec le but de justifier et de faciliter sa répression contre les hérétiques et les mécontents.

Ceci à l'intérieur du pays, mais au dehors ?

Les raisons de politique extérieure[modifier le wikicode]

Staline ne rompt pas seulement de façon sanglante avec le bolchévisme, avec toutes ses traditions et son passé, il s'efforce aussi de traîner le bolchévisme et la révolution d'Octobre dans la boue. Et il le fait dans l'intérêt de la réaction mondiale et intérieure. Les cadavres de Zinoviev et de Kamenev doivent montrer à la bourgeoisie mondiale que Staline a rompu avec la révolution, doivent témoigner qu'elle compter sur lui, qu'il est mûr pour diriger un Etat national. Les cadavres des vieux bolchéviks doivent montrer à la bourgeoisie mondiale que Staline a bien en réalité changé radicalement de politique, que les hommes qui sont entrés dans l'histoire comme les chefs du bolchévisme révolutionnaire, les ennemis de la bourgeoisie, sont aussi ses ennemis : Trotsky, dont le nom est indissolublement lié au nom de Lénine comme chef de la révolution d'Octobre, Trotsky, créateur de l'Armée rouge et organisateur de la victoire, Zinoviev et Kamenev, les plus proches disciples de Lénine, l'un président de l'Internationale communiste, l'autre adjoint de Lénine et membre du bureau politiques, Smirnov, l'un des plus vieux bolchévik, vainqueur de Koltchak. Pour ceux-ci, c'est aujourd'hui le passage par les armes, et la bourgeoisie mondiale doit y voir le symbole de temps nouveaux. C'est la fin de la révolution, dit Staline, comme avec un allié sérieux, comme avec le chef d'un Etat national[1].

Tel est le but fondamental du procès dans le domaine de la politique extérieure. Mais ce n'est pas tout, c'est loin d'être tout. Les fascistes allemands, qui crient que la lutte contre le communisme est leur mission historique, se trouvent, dans ces derniers temps, dans une position manifestement difficile. Staline a abandonné depuis longtemps la marche à la révolution mondiale. Il mène une politique nationale « raisonnable », les mesures thermidoriennes surgissent l'une après l'autre. Il devient de plus en plus difficile aux fascistes et aux autres ennemis les plus acharnés du communisme de représenter Staline, avec sa IIIe Internationale nationaliste, comme la source d'un danger et de secousses révolutionnaires. Aussi lancent-ils avec d'autant plus d'insistance la calomnie que la IVe Internationale n'est rien d'autre qu'une filiale de la IIIe, sur la base de la division du travail. Les uns épaulent la politique thermidorienne de Staline en U.R.S.S., les autres (la IVe Internationale) attisent la révolution en Occident : se présentant comme les ennemis de Staline, ils ne sont en fait que ses auxiliaires[2].

Ces mensonges donnent à Staline un argument supplémentaire pour accomplir ses assassinats et condamner en fait Trotsky à être passé par les armes : il faut prouver sans cesse que Staline n'a rien de commun ni avec la révolution, ni avec la IVe Internationale révolutionnaire.

Au lieu de la révolution internationale, la Société des Nations, le bloc avec la bourgeoisie. Vive la Pologne de Pilsudski ! Staline pactiserait sans hésiter même avec Hitler, sur le dos de la classe ouvrière allemande et internationale. Mais voilà, cela dépend de Hitler ! Toute cette politique internationale du stalinisme éloigne et éloignera de plus en plus la classe ouvrière des partis qui, on se demande pourquoi, se dénomment encore communistes. Dans la classe ouvrière européenne, et en particulier parmi les ouvriers communistes, la défiance et le mécontentement augmentent envers la politique staliniste. Le fait en lui-même ne troublerait pas beaucoup Staline, s'il ne craignait que les ouvriers révolutionnaires ne trouvent la voie de la IVe Internationale : Staline comprend très bien qu'une telle orientation constituerait un grand danger pour sa politique en U.R.S.S. Même. (Sous ce rapport, soit dit entre parenthèses, il est plus perspicace que les critiques bornés qui jugent les trotskistes comme des « sectaires » sans perspective). C'est pourquoi Staline s'efforce de discréditer la IVe Internationale, de tuer Trotsky politiquement, en l'accusant de terrorisme et de liaison avec la Gestapo et en rendant ces accusations « probantes » par la fusillade de vieux bolchéviks... Avec du sang et de la boue, Staline veut barrer aux ouvriers avancés la voie de la IVe Internationale. Tel est encore un des buts de procès de Moscou.

La « douce vengeance »[modifier le wikicode]

Outre les raisons politiques de l'affaire, il existe une raison purement personnelle : l'insatiable soif de vengeance de Staline. Elle entre comme partie constituante dans tous ses actes. Elle n'a pas joué un faible rôle dans la création du dernier complot.

Dans une des dernières lettres qu'il a écrites avant son internement en Norvège, L. Trotsky raconte l'épisode suivant :

« En l'année 1924, Staline, Dzerjinski et Kamenev étaient assis par un soir d'été autour d'une bouteille de vin (je ne sais pas si c'était la première) et bavardaient sur n'importe quoi, quand on en vint, dans la conversation à se demander ce que chacun d'eux aimait le mieux dans la vie. Je ne me souviens pas de ce que dirent Dzerjinski et Kamenev, de qui je tiens cette histoire. Mais Staline dit : Ce qu'il y a de meiller dans la vie, c'est de choisir sa victime, de bien préparer le coup, de se venger sans pitié, et puis d'aller se coucher. »

Dans la même lettre, Trotsky rapporte, d'après les paroles de Kroupskaïa, une déclaration de Lénine sur Staline, qui n'a jamais été publiée :

« En l'automne 1926, Kroupskaïa me dit en présence de Zinoviev et de Kamenev : « Wolodia (c'est ainsi qu'elle appelait Wladimir Lénine) disait de Staline : Il lui manque l'honnêteté la plus élémentaire. » Et elle répétait : « Comprenez-vous ? L'honnêteté humaine la plus élémentaire ! » Je n'ai jamais encore publié ces paroles, car je ne voulais causer aucun tort à Kroupskaïa. Mais maintenant qu'elle est définitivement emportée dans le courant officiel et qu'elle n'élève pas la moindre voix de protestation contre le crime infâme de la clique dirigeante, je me juge en droit de livrer à la publicité ces paroles de Lénine. »

(Trotsky ne connaissait pas alors l'article misérable et aussi odieux, si pénible que cela soit à dire, de Kroupskaïa sur le procès.)

Rappelons encore quelques autres déclarations de Lénine sur Staline. En mars 1923, Lénine se préparait à la lutte contre Staline au XIIe congrès du parti ; par l'intermédiaire de sa secrétaire Fotieva, il fit dire ceci à Trotsky : Ne pas entrer en pourparlers avec Staline, car « Staline conclura un compromis pourri et trompera ».

C'est un compromis de cette espèce que Staline avait conclu avant le procès avec Zinoviev, Kamenev et les autres ; pour prix de leurs aveux, ils auraient la vie sauve. Et il es a trompés ! Et de quelle horrible façon !

Déjà auparavant, Lénine avait dit de Staline : « Ce cuisinier ne nous préparera que des plats trop épicés. » Lénine, quoique pressentant de façon juste les tendances de Staline, ne pouvait cependant pas s'imaginer jusqu'où irait ce César Borgia de nos jours.

La brutalité et la déloyauté, la perfidie et l'absence de scrupules, voilà les traits des plus caractéristiques de Staline. Ces traits personnels du « chef » sont devenus les traits de la clique bonapartiste dirigeante. Et c'est cet homme que la Pravda déclare « limpide, pur comme le cristal » ! Il n'y a pas de limites à la bassesse humaine.

Staline, qui, dans les milieux de l'appareil, a la réputation de bien savoir doser, commence à perdre le contrôle de lui-même.

Il accélère par là la liquidation de son absolutisme. La montée du mouvement ouvrier en Occident, et de là en U.R.S.S., mettra fin au régime corrompu de la clique bonapartiste.

Les amalgames stalinistes étaient prévus[modifier le wikicode]

« Que l'opposition soit simplement proclamée « parti de la contre-révolution », c'est insuffisant ; personne ne le prend au sérieux... Il ne reste qu'une chose à Staline, c'est d'essayer de tirer un trait de sang entre le parti officiel et l'opposition. Il lui faut à tout prix lier l'opposition à des attentats, à la préparation de l'insurrection armée, etc. »

(Trotsky, le 4 mars 1929, Bulletin de l'Opposition, n° 1)

Les assassinats de Moscou ont été pour beaucoup, démocrates libéraux et socialistes — Otto Bauer en est un exemple manifeste — un coup de tonnerre dans un ciel clair. Ennemis de la révolution russe dans son époque héroïque, ne comprenant pas le sens des profondes modifications sociales qui se produisent en U.R.S.S., de l'âpre lutte entre la bureaucratie qui défend ses privilèges matériels de caste et la classe ouvrière privée de droits qui commence à élever une voix de protestation, ils idéalisent le régime bureaucratique thermidorien et le « socialisme » staliniste et annoncent le retour graduel de l'U.R.S.S. À la démocratie, voyant dans la constitution plébiscitaire staliniste le commencement d'une nouvelle ère « démocratique ». Sur la tête de ces candides rêveurs, Staline a versé un seau d'eau froide. Avec ses assassinats, il a apporté une rectification, non seulement à « la plus démocratique » des constitutions, mais aussi aux conceptions de tous ces messieurs.

Sans avoir la prétention de jouer aux prophètes, les bolchéviks-léninistes peuvent dire que non seulement ils n'ont naturellement jamais eu la moindre illusion sur le régime bonapartiste de Staline, non seulement ils ont prévue les événements, mais encore ils ont averti à maintes reprises l'opinion publique prolétarienne de l'Occident que Staline s'engagerait contre le bolchévisme dans la voie d'une répression et d'amalgames sanglants. Il n'a pas d'autre voie.

Staline défend non pas des idées progressives, mais les privilèges de caste de la nouvelle couche sociale, de la bureaucratie soviétique, qui, depuis longtemps déjà, est devenue un frein au développement socialiste de l'U.R.S.S. Il est impossible de défendre ces privilèges par les méthodes de la démocratie prolétarienne ; on ne peut les défendre qu'à l'aide de falsifications, de calomnies et d'une sanglante répression.

C'est dans cette voie que Staline s'est engagé, sans hésiter depuis des années, depuis 1924, sinon plus tôt. Le procès de Moscou est l'amalgame le plus grandiose de Staline, mais c'est loin d'être le premier (ne le dernier).

Dans les premiers temps, Staline a agi de façon prudente, à petites doses, habituant peu à peu la conscience du parti à des amalgames plus empoisonnés et plus infâmes, comme celui du dernier procès.

En 1926 déjà, au plus fort de la lutte à l'intérieur du parti, la Guépéou avait envoyé à quelque jeune oppositionnel inconnu son agent. La « liaison » du jeune oppositionnel avec l'agent de la Guépéou avait été, paraît-il, dans le passé, officier de l'armée de Wrangel ! Que cet « officier de Wrangel » ait été un agent de la Guépéou, l'appareil staliniste lui-même dut le reconnaître officiellement, acculé qu'il fut par les dirigeants de l'opposition, alors encore membres du Comité Central. Mais en attendant, Staline avait ouvert une campagne enragée de calomnies contre l'opposition pour sa liaison avec l' « officier de Wrangel ». Cette campagne fut menée dans la presse, dans les cellules du parti, dans les meetings ; elle étourdit la masse qui ne connaissait pas les dessous de cette affaire.

En 1928, la tentative fut faite de créer un amalgame au centre duquel devait se trouver G. V. Boutov, secrétaire de Trotsky au Commissariat du peuple à la Guerre. En employant la violence, Staline voulut monter autour de Boutov un « complot » qui le reliât aux blancs et ainsi de suite. Boutov subit en prison de cruelles épreuves et des tortures non seulement morales, mais aussi physiques. Il lutta désespérément, fit la grève de la faim, jeûna 40 à 50 jours et, à la suite de cette grève de la faim, mourut en septembre 1928 en prison. Seule la fermeté de Boutov empêcha alors Staline de monter autour de lui un amalgame.

En janvier 1929, lors de l'exil de Trotsky, Staline déclara que l'activité de Trotsky « dans ces derniers temps » était dirigée « vers la préparation de la lutte armée contre le pouvoir soviétique ». Par les mots « dans ces derniers temps », Staline voulait montrer que l'opposition de gauche avait fait un brusque tournant, passant de la politique de la réforme à celle de l'insurrection armée. Cette invention calomnieuse était nécessaire à Staline pour justifier l'exil de Trotsky.

Dans l'été de 1929, Trotsky se rencontra à Stamboul avec I. Blumkine. Blumkine avait en 1918 assassiné l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, le comte Mirbach, et pris part à l'insurrection armée des socialistes-révolutionnaires de gauche contre le pouvoir soviétique. Mais alors il n'avait pas été fusillé et par la suite, pendant de longues années, il avait fidèlement servi le pouvoir soviétique. Il fut fusillé en 1929 pour s'être rencontré avec Trotsky à Stamboul. Avant de fusiller Blumkine, la Guépéou avait tenté de fabriquer autour de l' « affaire » Blumkine un amalgame. Mais il n'en sortit rien. Peu après la fusillade de Blumkine, dans cette même année 1929, furent fusillés à Moscou deux oppositionnels de gauche, Silov et Rabinovitch. Ils furent fusillés après une tentative malheureuse de les lier à une affaire de « complot » ou d' « espionnage ».

En 1932, Trotsky fut privé de la nationalité soviétique, sur une liste commune avec une dizaine de menchéviks que Staline n'avait mis là que pour créer un amalgame : entourer Trotsky de menchéviks. Cela devait, selon le dessein de Staline, discréditer Trotsky et montrer son caractère contre-révolutionnaire. Mais tout cela n'était encore que les fleurs, les fruits allaient venir.

L'assassinat de Kirov, acte terroriste de quelques jeunes communistes, donna à Staline un possibilité incomparable, possibilité attendue depuis si longtemps, de monter un « véritable » amalgame. C'est ainsi qu'apparut l'affaire de Zinoviev, Kamenev et des autres bolchéviks connus de janvier 1935. La tentative de faire entrer Trotsky dans cet amalgame se termina, on le sait, par un lamentable fiasco. Mais c'est cet échec précisément qui poussa Staline à préparer une nouvelle affaire. « Staline est devant la nécessité de couvrir les amalgames de plus grandes envergue et... mieux réussis. » (Trotsky). Dns la brochure consacrée à l'assassinat de Kirov, en janvier 1935, Trotsky avertissait avec insistance qu'il fallait être prêt « à de nouveaux amalgames encore plus monstrueux ».

« Quel caractère doit prendre le prochain coup ? Cette question n'est pas résolue définitivement, peut-être même dans le cercle le plus étroit des conspirateurs (Staline, Iagoda). Ni la volonté malfaisante ni les moyens matériels ne font défaut aux conspirateurs. La préparation de l'' « opinion publique » se fera sur la ligne des dangers terroristes qui menacent du côté des trotskistes. »[3]

Il semble difficile de s'exprimer plus clairement !

Entre le premier et le dernier procès Zinoviev, Staline a monté un nouvel amalgame (en juillet 1935), dont rien ne parvint à la grande presse. La figure centrale de cet amalgame était Kamenev. Vraisemblablement parce que Staline avait besoin de corriger l'erreur du précédent procès, où Kamenev avait été condamné de façon relativement modérée (5 ans de prison). Kamenev fut accusé d'avoir pris part à un attentat contre Staline. Le principal témoin de l'accusation était le frère de Kamenev, l'artiste Rosenfeld. Il y eut trente inculpés, rassemblement fort suspect. Kamenev nia catégoriquement toute participation à cette affaire et raconta ensuite à ses camarades de l'isolateur de Verkhné-Ouralsk que la plupart des inculpés étaient des gens qu'il avait vus pour la première fois de sa vie au procès. Kamenev fut alors condamné à 5 nouvelles années d'emprisonnement.

C'est à cette affaire que Kamenev fait allusion dans son discours final au procès de Moscou, quand il dit : « C'est pour la TROISIÈME fois que je comparais maintenant devant le tribunal »[4].

Cette affaire est aussi mentionnée en quelques mots dans le verdict. Mais, au cours du procès lui-même, il n'en est rien dit. Il n'en est rien dit parce que tout amalgame antérieur ne fait que gêner Staline pour en préparer de nouveaux. Et Staline est encore loin d'avoir dit son dernier mot.

En mai 1936, Trotsky écrivait : « Nous sommes maintenant en 1936. Les méthodes de Staline sont les mêmes. Les dangers politiques se sont accrus devant lui. La technique de Staline et de Iagoda s'est enrichie de l'expérience de plusieurs échecs. C'est pourquoi nous ne devons nous faire aucune illusion : les plats les plus épicés sont encore pour l'avenir ! »

Ces lignes ont été écrites à un moment où la préparation du procès était déjà en pleine marche. Le procès de Moscou a pleinement confirmé le pronostic de Trotsky. Répétons-le : les plats les plus épicés sont encore pour l'avenir.

L'assassinat de Kirov[modifier le wikicode]

Tous les amalgames stalinistes ont été construits sur le cadavre de Kirov. Pour voir clair dans le procès de Moscou, il faut rappeler tout d'abord l'histoire de cet assassinat et des faits qui s'y rattachent.

Le 1er décembre 1934, à Léningrad, le terroriste Nikolaïev assassinait Kirov.

Pendant plus de deux semaines, on ne sut rien ni de l'assassin ni du caractère de l'assassinat.

Les 6, 12 et 18 décembre, les journaux soviétiques communiquaient la nouvelle du passage par les armes de gardes-blancs terroristes (104 personnes en tout), dont la plus grande partie, disait-on, était venue illégalement en U.R.S.S. De Pologne, de Lettonie, de Finlande et de Roumanie. Il se créait l'impression que ces gens avaient été fusillés en relation avec l'affaire Nikolaïev, c'est-à-dire que Nikolaïev avait été en liaison avec des gardes-blancs.

Le 17 décembre, seize jours après l'assassinat, dans des résolutions d'organisations du parti sur l'assassinat de Kirov, il est mentionné pour la première fois que Nikolaïev avait autrefois fait parti du « groupe de Zinoviev ». (Dans ce groupe était d'ailleurs entrée toute l'organisation du parti de Léningrad en 1926).

Le fait que Nikolaïev fût mentionnée comme « zinoviéviste » éclairait d'un seul coup les intentions de Staline : tenter d'impliquer dans l'assassinat de Kirov l'opposition de gauche et Trotsky, par l'intermédiaire de l'ancien groupe zinoviéviste, bien qu'il ait rompu avec l'opposition depuis 1928, mais qu'il était plus facile, du point de vue policier, de mêler à l'affaire.

Le 22 décembre, l'agence Tass communiquait qu'en relation avec l'assassinat de Kirov, on avait arrêté quatorze anciens zinoviévistes (Kotolynov, Chatski, Mandelstam et autres) dont la majorité faisait, paraît-il, partie du prétendu « centre de Léningrad ». L'information caractérisait comme « fermé » ce centre, dont l'existence n'était nullement démontrée : elle ne disait pas un mot de Zinoviev, de Kamenev, ni d'aucun autre zinoviéviste connu.

Le 23 décembre était publiée une nouvelle information indiquant que depuis le 16 décembre, donc depuis une semaine, à propos de l'affaire Nikolaïev, on avait arrêté Zinoviev, Kamenev, Evdokimov, Bakaïev, etc. ; d'ailleurs, pour sept d'entre eux, parmi lesquels Zinoviev, Kamenev et Evodkimov, « vu l'absence de données suffisantes », des poursuites judiciaires ne seraient pas engagées ; ils seraient remis à la Guépéou en vue d'une répression administrative.

Le 27 décembre, les journaux publiaient l'acte d'accusation de l'affaire Nikolaïev, Kotolynov et autres, qui ne contenait pas un mot sur le groupe Zinoviev et sa participation à l'assassinat de Kirov[5].

Les 28 et 29 décembre eut lieu le procès des quatorze (Nikolaïev, Kotolynov et autres), qui, on le sait furent condamnés à mort et fusillés.

Au procès des quatorze, la majorité écrasante des inculpés, malgré une instruction de quatre semaines, ne reconnut pas sa participation à l'assassinat de Kirov. Outre Nikolaïev, seuls Zvezdov et Antonov la reconnurent pleinement, et Iouzkine partiellement, c'est-à-dire quatre sur 14.

Si, comme cela fut admis par la version nouvelle du procès de Moscou, Zinoviev, Kamenev, Bakaïev et les autres n'étaient pas seulement en liaison avec le cetre de Léningrad, qui aurait accompli l'assassinat de Kirov, mais encore avaient dirigé immédiatement, pratiquement, cet assassinat, comment expliquer alors qu'une instruction poursuivie un mois durant n'ait apporté absolument aucune donnée sur ce sujet ? Pourquoi les inculpés, qui ont fait d'amples dépositions, se seraient-ils résolus à dissimuler à tout prix le rôle précisément de Zinoviev, de Kamenev et des autres ? Pourquoi la participation de ceux-ci aurait-elle été également dissimulée par l'agent de la Guépéou[6] qui se trouvait dans l'entourage de Nikolaïev ?

La seule explication en est que Zinoviev, Kamenev, etc., n'ont rien eu à voir avec l'assassinat de Kirov. C'est précisément pour cela, alors qu'ils n'étaient pas encore définitivement brisés, qu'on ne put les accuser de l'assassinat de Kirov.

Le 16 janvier 1935, les journaux soviétiques publiaient l'acte d'accusation de l'affaire du prétendu Centre de Moscou, avec Zinoviev, Kamenev, Evdokimov et autres en tête.

Zinoviev, Kamenev, Evdokimov et les autres, au sujet desquels on avait communiqué, quelques semaines auparavant tout au plus, qu'ils étaient étrangers à l'assassinat de Kirov, furent traduits en jugement à propos de cet assassinat. L'affaire prit une tournure nouvelle. Les 15 et 16 janvier, le tribunal statuait sur le sort de Zinoviev, de Kamenev, etc., 19 inculpés en tout. Ils étaient accusés d'aspirer au « rétablissement du capitalisme » et de mener une activité contre-révolutionnaire en général. Aucun fait concret, aucune preuve ne furent apportés par l'accusation. Il fut seulement dit au cours du procès que par leurs « critiques malveillantes », en « répandant des bruits », Zinoviev, Kamenev, etc., avaient favorisé l'état d'esprit terroriste et qu'ils portaient par conséquent la responsabilité politique et morale de l'assassinat de Kirov. En même temps, le tribunal considérait comme établi le fait qu'aucun des inculpés n'avait rien à voir avec l'assassinat lui-même, encore qu'il n'y eût aucun doute à ce sujet pour tout homme tant soit peu informé et politiquement averti. Si Zinoviev, Kamenev et les autres avaient si peu que ce fût, trempé dans l'assassinat de Kirov, comment expliquer, encore une fois, que la nouvelle enquête, du 16 décembre 1934 au 15 janvier 1935, n'ait même pas fait apparaître un seul fil qui conduisît à l'assassinat de Kirov ? Or, dans l'affaire Zinoviev-Kamenev furent impliquées des dizaines de personnes, déjà très démoralisées pour la majorité d'entre elles et qui s'accusèrent l'une l'autre de crimes inexistants. Et aucune d'elles, ni d'un mot, ni d'une allusion, ne fût-ce que « fortuitement », n'a remis dans les mains de la Guépéou le fil de la participation de Zinoviev, de Kamenev et des autres à l'assassinat de Kirov.

Staline dut se satisfaire en 1935 de l'aveu par Zinoviev et les autres d'une « responsabilité politique et morale » de l'assassinat de Kirov, aveu arraché déjà sous la menace de la fusillade. Mais par la formulation insolente et intentionnellement équivoque de verdict, — « l'enquête n'a pas établi les fait » de la participation de Zinoviev et des autres à l'assassinat de Kirov, — Staline se gardait la possibilité de « développer » à l'avenir cette affaire selon l'évolution de la situation.

Tous les inculpés évitèrent alors la fusillade. Ils furent condamnés à de longues peines d'emprisonnement. Il était alors tout à fait clair déjà que l'arrestation et la condamnation de Zinoviev et de Kamenev étaient provoquées non pas par leur activité (elle était inexistante), mais par le plan de Staline : en frappant ce groupe, frapper tout t ce qui était opposition dans le pays, en particulier à l'intérieur de la bureaucratie elle-même pour laquelle Zinoviev et Kamenev représentaient encore une certaine autorité, et surtout frapper le « trotskisme ».

A peine le procès de Zinoviev et de Kamenev venait-il de se terminer qu'une nouvelle affaire, la troisième, commençait en liaison avec l'assassinat de Kirov. Le 23 janvier 1935, douze dirigeants de la Guépéou de Léningrad comparaissaient devant le Tribunal militaire sous l'inculpation suivante : « Disposant d'informations sur un attentat en préparation contre Kirov... ils avaient fait preuve non seulement d'une attitude insouciante, mais aussi d'une négligence criminelle..., n'ayant pas pris les mesures nécessaires. »

Nous avons ainsi appris, de façon tout à fait inattendue, que la Guépéou avait « DISPOSÉ D'INFORMATIONS » sur l'attentat en préparation contre Kirov et que les dirigeants de la Guépéou de Léningrad « N'AVAIENT PAS PRIS DE MESURES pour tirer au clair et faire cesser à temps l'activité à Léningrad... de l'assassin de Kirov, L. Nikolaïev, QUOIQU'ILS AIENT EU TOUTES POSSIBILTÉS NÉCESSAIRES POUR LE FAIRE ».

Par quelle voie la Guépéou pouvait-elle être au courant et avoir « toutes possibilités nécessaires » ? Par une seule voie : PARMI LES TERRORISTES DE LÉNINGRAD, LA GUÉPÉOU AVAIT SON AGENT PROVOCATEUR (peut-être même plus d'un), en liaison immédiate avec Nikolaïev.

Le jugement des membres de la Guépéou de Léningrad et la formulation même du verdict démontrent de façon irréfutable que l'assassinat de Kirov ne s'est pas produit sans que la Guépéou y fût mêlée. Le verdict dit littéralement qu' « ils furent informés (sic) de l'attentat en préparation contre Kirov... et qu'ils firent preuve d'une incurie criminelle ». Trotsky avait déjà exdpliqué dans sa brochure consacrée à l'assassinat de Kirov que l' « incurie » n'avait rien à voir ici et il avait écrit ceci : « Lorsque la préparation de l'attentat terroriste, dont la Guépéou était au courant, était déjà commencée, la tâche de Medved (chef de la Guépéou de Léningrad) et de ses collaborateurs n'était nullement d'arrêter les conspirateurs, — ç'eût été trop simple — il fallait trouver un consul approprié, le mettre en rapports avec Nikolaïev... établir un lien entre le groupe de Zinoviev-Kamenev et les terroristes de Léningrad. Ce n'était pas un travail facile. Il demandait du temps et Nikolaïev s'est refusé à attendre... »[7]

Medved, c'était un instrument dans les mains de Staline-Iagoda, rien de plus. STALINE PORTE PAR CONSÉQUENT LA RESPONSABILITÉ NON SEULEMENT POLITIQUE, MAIS AUSSI DIRECTE DE L'ASSASSINAT DE KIROV. Bien entendu, Staline et la Guépéou ne voulaient pas cet assassinat ; ils comptaient arrêter les terroristes au dernier moment, mais en préparant l'amalgame (le consul-Trotsky) il jouèrent avec la tête de Kirov.. Ce jeu fut interrompu par le coup de revolver prématuré de Nikolaïev.

Restée inachevée, la combinaison avec le consul et Trotsky s'effondra piteusement. Le procès même contre Zinoviev et Kamenev dut être construit sur des accusations « générales », sans qu'il y eût la possibilité de les mêler à l'assassinat de Kirov. Maintenant, un an et demi plus tard, sans le moindre fait nouveau, une nouvelle affaire, — c'est la quatrième, — est montée dans les coulisse de la Guépéou autour du cadavre de Kirov : Zinoviev, Kamenev et les autres, s'avère-t-il, ont organisé et accompli l'assassinat de Kirov.

* * *

Le fait qu'on n'ait pas pu établir plus tôt l'activité terroristede Zinovieve et des autres s'explique, selon la Guépéou et le tribunal, par le caractère tout particulièrement conspiratif du complot.

En fut-il ainsi ? Le procès de Moscou donne un tableau absolument contraire. En théorie, une conspiration extraordinaire, qui va jusqu'au projet d'assassiner les exécuteurs des actes terroriste après l'arrivée au pouvoir, pour effacer toutes traces ; en pratique, des bavardages incessants sur la terreur, des rencontres, des voyages, des communications incessantes.

Montrons-le dans les faits. Bakaïev, avec le but de préparer l'assassinat de Kirov, va à Léningrad et s'y lie avec Kotolynov, Lévine, Roumiantsev, Mandelstam, Miasnikov[8] (ce sont tous des fusillés de l'affaire Nikolaïev). Bakaïev rencontre cinq personnes ! Mais cela ne lui suffit pas.

On apprend qu'il est allé à Léningrad non pas seul, mais avec quelque « trotskiste-terroriste » (dont le nom n'est pas cité et dont le tribunal ne tente même pas d'établir l'identité). Mais comme si Bakaïev s'efforçait visiblement d'être découvert, il prie de « convoquer les gens ». « Un peu plus tard, dans l'appartement de Lévine, se rassemblèrent, en plus de lui-même et de Mandelstam, Sossitsiki, Vladimir Roumiantsev, Kotolynov et Miasnikov »[9]. (A cette réunion, il ne manque que le chef de la Guépéou, Medved !). Pensant certainement qu'on n'avait pas encore tout fait pour que l'affaire fût découverte à coup sûr, Bakaïev demande qu'on lui présente aussi Nikolaïev personnellement. Il se rencontre avec Nikolaïev et s'entretient avec lui de l'assassinat de Kirov et non pas seul à seul, mais en la présence du même « trotskiste » anonyme, comme s'il s'efforçait d'avoir un témoin.

Encore un détail intéressant. Lors du voyage de Bakaïev à Léningrad, Lévine vient à sa rencontre à la gare. Il se plaint à Bakaïev : « Eh bien, Gérori Evséiévitch (Zinoviev) ne croit ni Guertik, ni Koukline, ni même Evdokimov »[10]

Nous apprenons ainsi, c'était d'ailleurs indiqué dans l'acte d'accusation, que Guertik, Koukline et Evdokimov furent aussi en liaison avec les terroristes de Léningrad. Et c'est cela qu'on appelle de la « conspiration » !

Zinoviev n'envoie pas seulement Bakaïev, Guertik, Koukline et Evdokimov (et plus tard, comme nous le verrons, Kamenev lui-même) à Léningrad pour assurer la liaison avec les terroristes, mais juge encore nécessaire de raconter tout cela à droite et à gauche. Ainsi, par exemple, Reingold, qui selon les documents judiciaires ne prit aucune part immédiate à l'acte terroriste contre Kirov, déclare : « J'ai appris de Zinoviev lui-même que l'assassinat de Kirov à Léningrad était préparé sur sa propre directive... »[11]. Tout se passe comme si Zinoviev craignait fort que son rôle personnel dans l'assassinat de Kirov restât inaperçu et insuffisamment apprécié. Le même Reingold indique que Faivilovitch se tenait aussi en liaison avec les terroristes de Léningrad.

Bakaïev indique que l'assassinat de Kirov fut aussi confié à Karev ; Evdokimov proposa en outre de mettre Karev en liaison avec Lévine et Anichev. Bien entendu, cela ne parut pas suffisant à Zinoviev et il proposa de mettre Karev également en rapports, à Léningrad, avec Roumiantsev. Ainsi, Karev était en liaison avec Lévine, Anichev et Roumiantsev. En outre, Bakaïev, lors d'un « entretien », informe Karev de l'existence du groupe terroriste de Kotolynov. L'affaire ne s'arrête pas là. Il s'avère qu'en juin 1934 Kamenev se rendit personnellement à Léningrad « où il chargea le zinoviéviste actif Iakovlev de préparer, parallèlement avec le groupe Nikolaïev-Kotolynov, l'attentat contre Kirov »[12] ; Kamenev informe de plus Iakovlev que d'autres groupes préparent également des actes terroristes : à Moscou contre Staline, à Léningrad le groupe Roumiantsev-Kotolynov contre Kirov.

En quête de nouveaux auditeurs, Zinoviev raconte ses intentions terroristes à Matorine et à Pikel ; Pikel met de plus Bakaïev en liaison encore avec un autre « terroriste », Radine.

Après une absence de presque deux années, Mratchkovski revient à Moscou dans l'été de 1934. Kamenev lui raconte immédiatement que « Bakaïev organise à Léningrad... un acte terroriste contre Kirov »[13].

Evdokimov raconte enfin que « dans l'été 1934, dans l'appartement de Kamenev à Moscou, une conférence avait eu lieu à laquelle assistèrent Kamenev, Zinoviev, Evdokimov, Sokolnikov, Ter-Vaganian, Reingold et Bakaïev. On avait décidé à cette conférence de hâter l'assassinat de Kirov »[14].

Ainsi, il apparaît que des dizaines de terroristes — le nombre des seules personnes nommées plus haut se monte à 24 — ont bavardé pendant de nombreux mois sur la terreur, ont eu des entrevues terroristes, ont tenu des réunions terroristes, etc., etc. Ils ont bavardé là-dessus à droite et à gauche ; tous leurs amis et connaissances savaient qu'ils préparaient l'assassinat de Kirov ; seule... la Guépéou l'ignorait. Et quand la Guépéo, après l'assassinat de Kirov, opéra enfin des arrestations, elle ne sur rien en tirer. Près de deux mois d'instruction autour de l'affaire Kirov, la présence, répétons-le, parmi les terroristes, d'un agent (d'agents) de la Guépéou, trois procès, et la Guépéou n'a malgré tout encore aucun soupçon de l' « activité terroriste » de Zinoviev, Kamenev et autres. Il semble que l'affaire se passe dans la lune et non pas en U.R.S.S., entièrement prise dans les filets d'une Guépéou toute-puissante.

* * *

Et tout ce tapage et tout cet invraisemblable remue-ménage « terroriste » autour de Kirov. Pourquoi donc Kirov ? Admettons pour un instant que Zinoviev et Kamenev eussent été réellement des terroristes. Pourquoi donc leur uût-il fallu assassiner Kirov ? Zinoviev et Kamenev étaient des gens trop avertis pour ne pas comprendre que l'assassinat de Kirov, une figure absolument de troisième plan, immédiatement remplacé par un autre Kirov-Jdanov, ne pouvait les « rapprocher du pouvoir ». Or, d'après les termes mêmes du verdict, ils cherchaient par la terreur à se rapprocher du pouvoir et cela seulement.

* * *

Notons encore ceci. Zinoviev, dit Vychinsky, avait hâté l'assassinat de Kirov et « le désir de renchérir sur les terroristes-trotskistes n'était pas le dernier des motifs », et à un autre endroit : « Zinoviev déclara que c'était pour eux une question d' « honneur » que de réaliser leur désir criminel (l'assassinat de Kirov) plus vite que les trotskistes »[15]. Bakaïev, de son côté, déclara devant le tribunal : « Zinoviev a dit que les trotskistes, d'après la directive de Trotsky, avaient entrepris l'organisation de l'assassinat de Staline et que nous (c'est-à-dire les zinoviévistes) devions prendre en main l'initiative de l'assassinat de Staline »[16]

Si Zinoviev avait tant voulu dissimuler sa participation[17] et celle de ses amis aux actes terroristes, il eût dû être fort satisfait de ce que les « trotskistes » prissent sur eux tous les risques et que par cela même les zinoviévistes, tout en se tenant à l'écart, pussent, ensuite, jouir des fruits de la victoire.

Il y a ici une incohérence manifeste : ou Zinoviev veut dissimuler sa participation aux actes terroristes, ou il donne à ces actes un caractère de démonstration politique (« C'est nous les zinoviévistes et non les trotskistes qui... »). Mais non pas l'un et l'autre à la fois !

* * *

Il est hors de doute que si le dixième de ce dont s'accusèrent les inculpés avait été vrai, il auraient été jugés et fusillés il y a au moins deux ans. L'assassinat de Kirov fut l'acte de quelques jeunes communistes désespérés de Léningrad, sans liaison avec quelque organisation terroriste centrale que ce fût (il n'en existait pas). Ni Zinoviev, ni Kamenev, ni aucun autre des vieux bolchéviks n'ont rien eu à voir avec l'assassinat de Kirov.

Deux procès (Janvier 1935 — Août 1936)[modifier le wikicode]

Le procès de Moscou était en fait, en tout das devait être, une révision du premier procès des 15 et 16 janvier 1935 où Zinoviev, Kamenev, Evdokimov, Bakaïev et autres furent condamnés à de longues années d'emprisonnement. Le verdict du procès de janvier 1935 disait que « l'enquête n'avait pu établir de faits qui donnassent les éléments permettant d'accurser directement les membres du « centre de Moscou » d'avoir donné leur accord à l'organisation de l'acte terroriste dirigé contre le camarade Kirov ou d'avoir donné quelques instructions à ce sujet. »

Ces « faits » sont, paraît-il, établis maintenant. De là le nouveau procès. Telle est la version officielle. On révise l' « affaire » Zinoviev.

On aurait pu croire que le jugement dût s'appuyer sur les éléments du premier procès, sur toute sa « structure », en élargissant et en complétant ce qui n'avait pas été « établi » dans le passé, en corrigeant ouvertement, sans oublier d'en expliquer les raisons, l' « erreur » du premier procès.

Rien de tel ! Le tribunal n'a même pas essayé d'établir la relation — c'eût été peine perdue ! — entre le premier et le second procès, de s'appuyer sur les éléments du premier procès, etc. Il le rejette simplement comme une vieillerie inutile, faisant apparaître par cela même ce premier procès comme une machination policière, qui avait pu être utile autrefois, mais ne l'était plus maintenant. Elle est extrêmement instructive, la comparaison des deux procès. Elle dévoile tout le mensonge des « constructions » judiciaires stalinistes.

Le Centre de Moscou et le « Centre unifié »[modifier le wikicode]

Au premier procès, toute l'accusation tournait autour du prétendu « Centre de Moscou » (zinoviévistes) dont faisaient partie, d'après les termes de l'accusation, Charov, Koukline, Guertik, Fédorov, Gorchénine, Zinoviev, Kamenev, Evdokimov et Bakaïev, c'est-à-dire exclusivement des zinoviévistes. Des « trotskistes », non seulement des véritables, mais même de ceux qui ont capitulé, comme Smirnov, Mratchkovski (pseudo-trotskistes), il ne fut pas dit un mot dans l'affaire.

Au procès actuel on a presque complètement oublié le Centre de Moscou et l'accusation est construite exclusivement sur l'activité du soi-disant « Centre unifié » (d'un composition tout autre). Au premier procès, ce Centre unifié ne fut nullement mentionné pour la simple raison que la Guépéou n'avait pas encore réussi à l'inventer.

Ni le tribunal, ni le procureur ne font aucune tentative d'éclaircir quelles furent les relations politiques et organisationnelles entre le soi-disant Centre de Moscou[18] et le soi-disant Centre unifié. Cependant, cette question aurait dû présenter un immense intérêt pour l'accusation, d'autant plus que dans le premier centre est entrée une série d'hommes qui n'étaient pas dans le second et quelques-uns, comme Zinoviev, Kamenev, Bakaïev et Evdokimov étaient entrés dans les deux centres.

Selon l'explication du procureur, Zinoviev, Kamenev et autres (19 accusés en tout, à qui il faut encore ajouter les 14 fusillés de l'affaire Nikolaïev) ont simplement caché en décembre 1934 et janvier 1935 l'existence du Centre unifié, reconnaissant pour le reste tout ce qu'on exigeait d'eux. Inconcevable ! Zinoviev, Kamenev et les autres n'avaient épargné ni eux-mêmes ni leurs proches ; pourquoi auraient-ils dissimulé le rôle des « trotskistes » précisément, pour qui ils n'avaient jamais nourri de sentiments particulièrement tendres et dont la mise en cause pouvait alors alléger réellement le sort de Zinoviev et de Kamenev, car le principal coup de la Guépéou aurait été, évidemment, pour le trotskisme.

Les dix-neuf et les quatre[modifier le wikicode]

Au premier procès de Zinoviev et autres furent condamnés 19 personnes. En voici la liste :

  1. Zinoviev, 10 ans d'emprisonnement, comme « principal organisateur et dirigeant du Centre de Moscou » ;
  2. Guertik, A.N. ;
  3. Koukline, A.S. et
  4. Sakhov, B.N., comme « participants les plus actifs », 10 ans d'emprisonnement ;
  5. Charov, I.V. ;
  6. Evdokimov, G.E. ;
  7. Bakaïev, I.P. ;
  8. Gorchénine, I.S. et
  9. Tsarkov, A.N., 8 ans d'emprisonnement ;
  10. Fédotov, G.V. ;
  11. Hertzberg, A.V. ;
  12. Hessen, S.M. ;
  13. Tarassov, I.I. ;
  14. Périmov, A.V. ;
  15. Anichev, A.I. et
  16. Faïvilovitch, L.I., six années chacun ;
  17. Kamenev, L.B. ;
  18. Bachkirov, A.S. et
  19. Bravo, B.L., comme « participants les moins actifs » à 5 ans d'emprisonnement.

En liaison avec cette affaire, furent condamnés à l'internement dans un camp de concentration pendant quatre à cinq années Zaloutski, Vardine, etc., 49 personnes en tout, et à la déportation, de deux à cinq années, 29 personnes. Au total 97 personnes, anciens dirigeants de l'ex-opposition zinoviéviste.

Des 19 condamnés du premier procès, on ne retrouve dans le procès actuel, choisis avec l'arbitraire le plus complet, que quatre seulement. Pourquoi les 15 autres ne furent-ils pas cités, fût-ce seulement comme témoins ? Qu'est-il advenu de ces 15 hommes ? Pourquoi quatre seulement furent-ils mis en cause et pourquoi ceux-là précisément ? Rappelons-le encore une fois : le verdict cite, parmi les plus « actifs », à côté de Zinoviev, Guertik, Koukline et Sakhov (10 ans d'isolateur), tandis qu'Evdokimov et Bakaïev avaient été mis dans la catégorie de gens déjà moins actifs et Kamenev dans la catégorie des moins actifs (cinq ans d'isolateur « seulement »).

Il s'avère maintenant que Kamenev avait été, à côté de Zinoviev, Bakaïev et Evdokimov, un des principaux dirigeants ; d'autre part, Guertik, Koukline et quelques autres, quoique mentionnés à plusieurs reprises dans le procès actuel comme des terroristes dirigeants, ne sont pas sur le banc des accusés ! Beaucoup, parmi les « 19 », ne sont même pas mentionnés du tout dans la nouvelle affaire. Il faut supposer qu'en ce qui les concernait, il y avait eu en 1935 une erreur judiciaire. Il fallait soit les mettre en cause, soit les réhabiliter, en tout cas les citer en tant que témoins.

D'abord 19 bolchéviks sont condamnés à de longues peines d'emprisonnement pour avoir participé, quoique « cela ne soit pas établi », à l'assassinat de Kirov, puis quatre d'entre eux, sur le choix de Staline, sont impliqués dans un nouveau procès et fusillés. Le sort des autres reste inconnu. Et il s'est trouvé malgré tout un individu, l'avocat anglais Pritt, pour avoir le front de caractériser la « procédure » de ce procès comme un « exemple pour le monde entier ! ».

Les quatre zinoviévistes arbitrairement impliqués dans le procès — Zinoviev, Kamenev, Evodokimov et Bakaïev — furent impliqués non pas évidemmnet dans l'intérêt de la justice, mais pour des considérations politiques et policières. Zinoviev et Kamenev étaient nécessaires à Staline pour donner à ce procès toute son importance politique. Bakaïev et Evdokimov furent, vraisemblablement, ce'ux que l'on a pu briser et sans qui la mise en cause des seuls Zinoviev et Kamenev eût été difficile. Le fait que Koukline et Guertik, surtout, n'aient pas été mis en cause dans le procès ne peut s'expliquer , à ce qu'il semble, que parce qu'on n'est pas parvenu à les briser. C'est pour cette raison qu'ils convenaient fort peu à Staline, même en tant que témoins, devant ce tribunal « modèle ». Il n'est pas exclu non plus que certains d'entre eux constituent les réserves de Staline pour de nouveaux procès.

La valeur des aveux[modifier le wikicode]

Au procès de Moscou, aucun document, aucune preuve matérielle (on ne peut prendre au sérieux le passeport du Honduras d'Olberg) ne furent produits, aucun témoin qui ne fût directement impliqué dans l'affaire ne fut cité. Le dernier procès, tout comme le premier de 1935, fut construit exclusivement par les dépositions mensongères des inculpés eux-mêmes, qui furent en même temps les (faux) témoins de l'accusation. Quatre d'entre eux, Zinoviev, Kamenev, Evdokimov et Bakaïev avaient déjà fait des dépositions au premier procès.

Comparons-les :

Janvier 1935

KAMENEV reconnait qu’il « n’a pas n’a pas lutté assez activement ni assez énergiquement contre la décomposition qui était la conséquence de la lutte contre le parti et sur le terrain de laquelle une bande de brigands (Nikolaïev et autres) a pu naître et réaliser son crime »

…Reconnait qu’ « il n’a pas rompu définitivement tous ses rapports avec Zinoviev » (Quel crime effroyable !)

BAKAÏEV déclare qu’ « il n’y avait (parmi les zinoviévistes) qu’une critique malveillante et hostile des mesures les plus importantes prises par le parti ».

Pas un mont sur les attentats, la terreur, le « Centre unifié », etc., etc.

ZINOVIEV (sous la menace du revolver) dit que « ...le parti a absolument raison quand il parle de la responsabilité politique de l’ancien groupe « zinoviéviste » anti-parti dans l’assassinat qui vient d’être accompli. »

Cette formule vague et stéréotypée montre à elle seule le caractère forcé de l’ « aveu ».

EVDOKIMOV : Nous devons en porter la responsabilité (de l’assassinat de Kirov), car c’est le venin dont nous avons intoxiqué cuex qui nous entouraient au cours d’une dizaine d’années, qui a rendu possible la réalisation de ce crime. »

Août 1936

VYCHINSKI : Vous confirmez par conséquent qu’il existait chez vous un tel plan monstrueux (la prise du pouvoir par la terreur) ?

KAMENEV : Oui, ce plan monstrueux existait.

VYCHINSKI : L’assassinat de Kirov a-t-il été votre œuvre directe ?

KAMENEV : Oui.

VICHINSKY: Ce centre était-il composé de vous, de Kamenev, etc. ?

ZINOVIEV (de nouveau sous la menace du revolver): Oui.

VYCHINSKI : Alors, c’est vous tous, qui avez organisé l’assassinat de Kirov ?

ZINOVIEV : Oui.

VYCHINSKI : Reconnaissez-vous que c’est avec votre collaboration qu’a été préparé l’assassinat de Kirov ?

EVDOKIMOV : Oui, je l’avoue.

Après avoir faussement pris sur eux en 1935 la responsabilité politique de l'assassinat de Kirov, Zinoviev et autres, commençant de céder au chantage de Staline, acceptent en 1936 l'accusation encore plus monstrueuse d'avoir assassiné Kirov et préparé d'autres attentats. Ces hommes ont dit une contre-vérité et en 1935 et en 1936. Mais leur contre de 1935 — la reconnaissance de la « responsabilité politique » de l'assassinat de Kirov — n'était rien en comparaison de l'effroyable mensonge de 1936, dont le caractère est combien pénible et forcé ! Ces « oui », « oui », répétés à chaque question du procureur, cela seulement ne dévoile-t-il pas tout le mensonge des aveux ? Vychinski lui-même qualifie les dépositions des inculpés de « tromperie, mensonge, ...dissimulation », les juge « indignes de la moindre confiance ».

Nous demandons : Quelle valeur ont les aveux d'inculpés qui « ont menti jusqu'à maintenant comme ils mentent maintenant... » (procureur Vychinski) ? Et quelle valeur a ce procès basé exclusivement sur ces aveux, c'est-à-dire que la « tromperie, le mensonge... la dissimulation » ?

Le « rétablissement du capitalisme » ou la « soif du pouvoir personnel » ?[modifier le wikicode]

En liaison avec le premier procès, Zinoviev et Kamenev avaient été accusés d'être pour le retour au capitalisme, pour la « restauration capitaliste ». C'est avec ce refrain que les journaux soviétiques de l'époque (début 1935) ont poursuivi Zinoviev et Kamenev.

Si l'on ne pouvait alors établir le caractère de l'activité de Zinoviev et de Kamenev (la terreur), on avait du moins nettement établi leur but : le rétablissement du capitalisme.

Au second procès, le « rétablissement du capitalisme » est tout à fait oublié. On apporte une nouvelle version : « ...Il est établi d'un façon irréfutable que le seul motif de l'organisation du bloc trotskiste-zinoviéviste fut la tendance à s'emparer coûte que coûte du pouvoir »[19]. Le procureur le répéta des dizaines de fois : « Pour le pouvoir, le pouvoir à tout prix, la soif du pouvoir personnel, voilà toute l'idéologie de cette bande »[20].

Le verdict est rendu, les inculpés sont condamnés et fusillés pour le fait d'avoir, en tendant au pouvoir personnel, employé la terreur. Et soudain, quelques semaines après ce procès, Staline donne l'ordre de revenir à la première version, la jugeant sans doute plus « heureuse ». La Pravda du 12 septembre publie un tonitruant article selon lequel les accusés « … ont tenté de cacher le véritable but de leur lutte. Ils ont donné la version qu'ils n'avaient aucun programme. En fait, leur programme existait. C'était le programme de l'écrasement du socialisme et du rétablissement du capitalisme ». Et maintenant toute la « campagne » se fait dans ce sens. Une des questions les plus importantes — le mobile des inculpés — est révisée par des articles de journaux, en négligeant complètement tout ce qui fut dit devant le tribunal !

Quand Staline a besoin de démontrer que les inculpés sont des gens sans principes, il déclare qu'ils n'ont aucun programme et qu'ils étaient menés par la « soif du pouvoir ». Quand il lui faut démontrer leur caractère contre-révolutionnaire, il annonce sans se troubler qu'ils tendaient non pas au pouvoir pour le pouvoir, mais au rétablissement du capitalisme. A quelle désinvolture une domination incontrôlée de dix années n'a-t-elle pas habitué ces gens là !

La fin de la légende du consul[modifier le wikicode]

Un impliquant en 1935 dans l'assassinat de Kirov le groupede Zinoviev, Staline voulait avant tout, par l'intermédiaire de ce groupe, frapper le « trotskisme ». C'était son but principal. En même temps, la tentative fut faite de mêler aussi directement le nom de Trotsky à l'affaire Nikolaïev.

Au vingtième jour (!) d'interrogatoir (le 20 décembre 1934), Nikolaïev indiquait enfin qu'un consul anonyme, qu'il fréquentait, « lui avait dit qu'il pouvait établir une liaison avec Trotsky, s'il (Nikolaïev) lui confiait quelque lettre du groupe pour Trotsky ». Et c'est tout.

Comme on le voit, l'initiative de cette proposition venait du consul anonyme ; d'ailleurs, au procès de Nikolaïev, l'accusation et le tribunal ne jugèrent même pas nécessaire d'éclaircir si une lettre quelconque avait été écrite et transmise à Trotsky, si Trotsky avait répondu, etc. : la Guépéou préféra ne pas entrer dans ces détails, craignant à juste titre de se compromettre et de discréditer son amalgame.

Le 29 décembre 1934, le Temps communiquait que « les milieux étrangers de Moscou... se perdent en conjectures sur la nationalité de ce diplomate ». Le 30 décembre, une agence télégraphique communiquait qu' « une conférence des consuls s'était tenue, à laquelle il fut décidé... d'exiger des autorités soviétiques de donner publiquement le nom du consul soupçonné ».

Staline fut alors contraint, le 2 janvier 1935, de donner le nom du consul. « Le consul étranger mentionné dans l'acte d'accusation de l'affaire de l'assassinat de Kirov est le consul letton, M. Bisenieks ». Et le lendemain, 3 janvier, l'agence Tass communiquait que le consul mentionné avait été rappelé par son gouvernement.

Le consul ne jugea pas nécessaire de démentir ni de donner une information quelconque. Il ne jugea même pas nécessaire d'indiquer pourquoi il avait eu besoin d'une lettre du terroriste Nikolaïev pour Trotsky. Il avait sans doute de sérieuses raisons non seulement pour couvrir l'amalgame de la Guépéou, mais même pour y participer.

A Moscou, on comprit bien vite que l'amalgame avec le consul n'avait pas eu de succès et qu'il valait mieux se taire sur son compte. Aussi c'est avec d'autant plus d'insistance que Moscou ordonna à ses laquais français de pourchasser Trotsky, pour lui créer un particulier des difficultés en France où il vivait alors (ce qui n'a pas réussi en France à ce moment-là, vient de réussir en Norvège). C'est avec une impudence encore inégalée que Duclos écrivit dans l'Humanité, le 29 décembre 1934 : « Il est démontré maintenant (Où ? Quand ? Comment?) qu'entre l'assassin Nikolaïev, ses associés, Trotsky et un représentant diplomatique d'une puissance impérialiste (la Lettonie !) des liaisons (??) existaient qui permettent d'établir la responsabilité de Trotsky dans l'assassinat de Kirov » ; « le consul, poursuivait l'Humanité, servit de trait d'union entre Trotsky et le groupe des assassins de Léningrad ».

Le consul était en 1935 l'unique « base » pour accuser Trotsky d'avoir participé à l'assassinat de Kirov. « Les mains de Trotsky sont rouges du sang d'un chef prolétarien (Kirov) » ! hurlait l'Humanité. La preuve ? Le consul !

Or, au procès de Moscou on a purement et simplement oublié ce consul. Lui, qui avait été le « trait d'union », qui avait prouvé qu'entre Trotsky et Nikolaïev existait une liaison, etc..., soudain plus un mot ! L'amalgame, qui avait échoué, fut sans gène jeté à l'égout etc... remplacé par un autre.

Peut-on se compromettre davantage ? A quelle confiance peuvent prétendre ces gens quand ils se démasquent eux mêmes comme des calomniateurs et des falsificateurs ?

Les inculpés et leur attitude devant le tribunal[modifier le wikicode]

Les accusés se divisent en deux groupes bien distincts. Le noyau principal du premier groupe, ce sont de vieux bolchéviks, connus de tout le monde, Zinoviev, Kamenev, Smirnov, etc. Le second groupe, ce sont des jeunes gens inconnus, au nombre desquels il y a aussi des agents directs de la Guépéou ; ils étaient nécessaires au procès pour démontrer que Trotsky avait pris part à l'activité terroriste, pour établir une liaison entre Trotsky et Zinoviev, une liaison avec la Gestapo. Si, pour avoir rempli les tâches confiées par la Guépéou, ils ont été malgré tout fusillés, c'est parce que Staline ne pouvait laisser en vie des témoins si bien informés.

La réunion artificielle de ces deux groupes au procès représente un amalgame typique.

La conduite même des deux groupes devant le tribunal fut aussi différente que leur composition. Les vieux bolchéviks paraissent absolument brisés, écrasés, répondent d'une voix éteinte, pleurent même. Zinoviev est défait, voûté, blanchi, les joues creusées. Mratchkovski crache le sang, perd connaissance, il faut l'emporter. Ils apparaissent tous comme des gens traqués et complètement épuisés. Mais les jeunes comparses se conduisent avec aisance et désinvolture, ils ont le visage frais, presque serein. Ils se sentent comme à une fête. C'est avec un contentement non dissimulé qu'ils font le récit de leurs rapports avec la Gestapo et de toutes les autres fables[21].

Les accusés du premier groupe[modifier le wikicode]

  1. ZINOVIEV, G.E. (né en 1883), bolchévik depuis la formation de la fraction bolchévik en 1903, collaborateur le plus proche, pendant de nombreuses années, de Lénine dans l'émigration. Membre du Comité central et du Bureau politique, président du Soviet de Pétersbourg après la révolution d'octobre et l'un des fondateurs de l'Internationale communiste, son président permanent pendant de nombreuses années. S'est séparé de l'opposition de gauche en janvier 1928.
  2. KAMENEV, L.B. (né en 1883), comme Zinoviev, membre du parti depuis 1901, bolchévik depuis la formation de la fraction au deuxième Congrès du Partis social-démocrate russe, collaborateur de Lénine pendant de nombreuses années dans l'émigration, ancien membre du Comité central et du Bureau politique. Président du Soviet de Moscou et Président du Conseil du Travail et de la Défense, Président suppléant du Conseil des Commissaires du peuple. S'est séparé du l'opposition en janvier 1928.
  3. EVDOKIMOV, G.E. (né en 1884), l'un des plus anciens bolchéviks ouvriers, dirigeant du Soviet de Léningrad et de l'organisation du parti à Léningrad. Ancien membre du Comité central et du Bureau d'organisation du Comité central. Zinoviéviste, s'est séparé de l'opposition en janvier 1928.
  4. BAKAÏEV, I.P. (né en 1884), l'un des plus anciens bolchéviks ouvriers, ancien membre de la Commission centrale de contrôle, a pris une part marquante à la guerre civile, dirigea un moment la Tchéka de Leningrad. Zinoviéviste, s'est séparé de l'opposition en janvier 1928.
  5. SMIRNOV, I.N. (né en 1880), membre du parti depuis 1899, l'un des plus vieux bolchéviks, connut à diverses reprises la prison et la déportation sous le tsarisme ; prit une part active à la révolution d'Octobre ; dirigeant de la Ve Armée, qui écrasa Koltchak. A dirigé toute l'activité des Soviets et du parti en Sibérie après la victoire. Membre du Comité central et Commissaire du peuple aux Postes et Télégraphes. Oppositionnel de gauche depuis 1923, il s'est séparé de l'opposition en 1929.
  6. MRATCHKOVSKI, S.V. (né en 1883), ouvrier de l'Oural, de famille révolutionnaire (il est né en prison), vieux bolchévik, l'un des héros de la guerre civile. Après la victoire, accomplit des tâches militaires responsables, commanda la région militaire de la Volga, etc. Oppositionnel de gauche depuis 1923, il s'est séparé de l'opposition en 1929.
  7. TER-VAGANIAN, V.A. (né en 1893), vieux bolchévik et écrivain marxiste, fondateur de la revue Sous le drapeau du marxisme ; auteur d'une série de travaux, en particulier sur Plékhanov, Lénine, etc. Oppositionnel de gauche depuis 1923, il s'est séparé de l'opposition en 1929.
  8. GOLTZMAN, E.S. (né en 1882), vieux bolchévik, travailla dans le domaine de l'économie. Il ne fut jamais un oppositionnel actif. Sympathisa avec l'opposition en 1926-1927.
  9. PIKEL, R.V. (né en 1896), membre du parti depuis le début de la révolution, chef de cabinet de Zinoviev. Ecrivain. Zinoviéviste, il s'est séparé de l'opposition en janvier 1928.
  10. DREITZER, E.A. (né en 1894), membre du parti depuis 1917, participa activement à la guerre civile. Oppositionnel de gauche depuis 1923, il s'est séparé de l'opposition en 1929.
  11. REINGOLD, I.I. (né en 1897), membre du parti depuis 1917. Durant une certaine période, Commissaire du peuple adjoint au Finances et membre du Collège de ce Commissariat. N'a jamais été un oppositionnel actif. Zinoviéviste, il s'est séparé de l'opposition en janvier 1928.

Le second groupe[modifier le wikicode]

  1. BERMAN-IOURINE, K.B.[22] (né en 1901), N'A JAMAIS APPARTENU À L'OPPOSITION DE GAUCHE, NI JAMAIS EU AUCUN RAPPORT AVEC ELLE ; a travaillé dans l'appareil staliniste, tant durant son séjour en Allemagne qu'après son retour en Russie. Le nom de Berman-Iourine est tout à fait inconnu en Occident. Seule une information parue dans le journal des stalinistes allemands, Die deutsche Volkszeitung (du 6 septembre 1936), où il était indiqué que Berman-Iourine se faisait aussi appeler STAUER, a permis d'établir que Berman-Iourine-Stauer a bien réellement existé.
  2. FRITZ DAVID, I.I. (né en 1897), N'A JAMAIS APPARTENU À L'OPPOSITION DE GAUCHE, NI JAMAIS RIEN EU DE COMMUN AVEC ELLE ; a travaillé dans l'appareil staliniste, dans l'appareil syndical en particulier, ancien théoricien du Parti communiste allemand dans les questions syndicales et rédacteur de l'organe central des syndicats rouges (R.G.O.), dans lequel il s'attaqua plus d'une fois au trotskisme. Collaborateur de la Rote Fahne, des Izvestia, et de la Pravda de Moscou jusqu'à une époque récente.
  3. LOURIÉ, M.I. (EMEL) (né en 1897), membre du Parti communiste allemand et fonctionnaire de ce parti. A appartenu à l'opposition zinoviéviste, mais a capitulé au moment du XVe Congrès du Parti communiste russe (en janvier 1928), ne fut pas exclu du parti. Depuis lors, il avait non seulement rompu avec l'opposition et était devenu un partisan de la « ligne générale », mais il s'était même « spécialisé » dans les articles les plus acharnés et les plus ignobles contre le trotskisme. Surmontant notre répugnance, citons un article d'Emel (Lourié) paru dans le numéro 96 de la Correspondance Internationale (édition allemande) de novembre 1932 : « CETTE COMMANDE (de fournir à la bourgeoisie des calomnies contre l'Union soviétique) EST MAINTENANT EXÉCUTÉE PAR LÉON TROTSKY... Dans la Pologne de Pilsudski, Trotsky bénéficie d'une sympathie particulière de la part de la police politique. » Tous commentaires seraient superflus. L'organe central de l'opposition de gauche allemande, Die permanente Revolution, dans ses numéros 32 et 34, publia alors deux notes sur la production anti-trotskiste de cet individu. Dans les écrits de Fritz David on peut aussi, naturellement, trouver des perles semblables. Et ces gens figurent au procès comme « trotskistes » ! Le Comité central du Parti communiste allemand vient d'exclure de ses rangs ces trois « trotskistes », Fritz David, Moïse Lourié et Berman-Iourine, un mois et demi après leur éxécution (Die deutsche Volkszeitung, 11 octobre 1936).
  4. LOURIÉ, N.L. (né en 1901), absolument inconnu de tout le monde ; aucune donnée sur lui ni aucune trace sur lui n'ont été trouvées jusqu'à maintenant. Les quatre individus mentionnés ci-dessus n'étaient pas seulement inconnus personnellement de Trotsky, de Sédov et de leurs plus proches amis, mais Trotsky et Sédov n'apprirent leurs noms que par les informations de presse sur le procès de Moscou.
  5. OLBERG, V.P. (né en 1907), tente en 1930 d'adhérer à l'opposition de gauche allemande à Berlin (qui portait alors le nom de « Minorité du Leninbund »). Cependant, il essuie un refus, car il n'inspire pas confiance (il reste dans le Parti communiste allemand, collabore à des éditions stalinistes, etc.). Olberg s'adresse alors à l' « Opposition de Wedding » (groupe Landau), où il est accepté. A la suite de l'unification des deux groupes, Olberg réussit à pénétrer dans l'organisation allemande de l'opposition de gauche. C'est à ce moment-là qu'il propose ses services comme secrétaire de L. Trotsky. Des amis berlinois de Trotsky, les Pfemfert (Pfemfert, éditeur révolutionnaire bien connu en Allemagne et rédacteur de la revue Die Aktion) font à cette occasion la connaissance d'Olberg. Voici ce que Pfemfert écrit de lui dans une lettre du 1er avril 1930 à Trotsky : « Olberg a produit sur moi une impression très défavorable. Il n'inspire pas confiance ». Dans cette même lettre, Pfemfert communique quelle impression désagréable et suspecte a produit sur lui l'intérêt exagéré qu'Olberg manifestait pour l'opposition russe, pour Trotsky, sa vie, etc. Bien entendu, il n'est plus question d'un voyage d'Olberg auprès de Trotsky. En avril-mai 1931, Olberg, en même temps que le groupe Landau, est mis hors des rangs de l'opposition de gauche allemande. En février 1932, il fait une déclaration, demandant sa réadmission dans l'organisation. Cette demande est rejetée. Citons ici l'une des dépositions que nous avons sur Olberg et dont l'auteur est E. Bauer, actuellement membre du S.A.P. (Parti socialiste ouvrier d'Allemagne), qui a appartenu à l'organisation trotskiste et qui était alors secrétaire de l'opposition allemande. Voici ce qu'écrit Bauer : « La déclaration d'Olberg (de février 1932) demandant son retour dans l'organisation fut repoussée dans une lettre écrite de ma main. Depuis lors, aucun de nous n'a plus entendu parler d'Olberg ». Sédov s'est rencontré de temps en temps, à titre personnel, avec Olberg dans la seconde moitié de 1931 et au début de 1932. L'objet de ces rencontres était surtout matériel : Olberg procurait des livres, des coupures de journaux, etc. Ces rencontres n'avaient pas de caractère politique, au véritable sens du mot, ni encore moins organisationnel, Olberg n'étant pas membre de l'organisation et Sédov se tenant à l'écart du travail de l'opposition allemande. Depuis 1932, nous le répétons, personne, ni Sédov, ni aucun trotskiste allemand, n'a eu de rapports avec Olberg. Depuis 1932, c'est-à-dire depuis plus de quatre ans, ils avaient complètement perdu Olberg de vue, jusqu'au moment du dernier procès. Cette déclaration ne manquerait pas de preuves. Il y a dans l'émigration plusieurs dizaines de gens qui faisaient partie de l'opposition de gauche allemande ou qui l'ont touchée de près, sans compter ceux qui lui étaient politiquement hostiles. Sans aucun doute, ils confirmeraient tous notre déclaration ; certains l'ont déjà fait, en particulier l'émigration allemande de Prague, où Olberg a vécu dans ces dernières années, sans entrer en liaison avec aucun des trotskystes allemands, qui sont pourtant un certain nombre à Prague. Et cet homme prétend qu'il fut un « émissaire » de Trotsky en Allemagne, que Trotsky avait en lui une « confiance absolue », qu'il lui fut donné de l'argent[23] par l'opposition pour se procurer un passeport, etc.

* * *

Il faut dire encore quelques mots sur le rôle absolument différent qu'ont joué durant l'instruction ces deux groupes d'inculpés : les vieux bolchéviks et les jeunes inconnus.

Tout d'abord, les dépositions de la majorité des vieux bolchéviks se limitent à quelques pages. En effet, les dépositions citées sont celles d'Evdokimov, de la page 6 à la page 10, de Zinoviev, de la page 16 à la page 38, de Kaménev, de la page 10 à la page 34, de Ter-Vaganian, de la page 11 à la page 32, etc.;de plus, les dates des dépositions sont de fin juillet, début août, jusqu'au 14 août.

Il en est tout autrement avec les « jeunes », Olberg, par exemple, a commencé ses dépositions dés janvier (le 21 février il avait déjà pu arriver aux pages 77-78). Le 9 mai, l'instruction pour Olberg était déjà terminée. Ses dépositions forment un volume de 262 pages ; ce n'est d'ailleurs qu'à la dernière page qu'Olberg se souvient enfin de la liaison des trotskistes avec la Gestapo, au dernier jour de l'interrogatoire[24]. Ainsi, l'instruction de l'affaire Olberg fut terminée presque trois mois avant que les vieux, Kamenev, Ter-Vaganian, Evdokimov, Smirnov, etc., aient fait leurs premiers « aveux ». Le 21 juillet, M. Lourié était déjà arrivé aux pages 243-244 ; d'ailleurs, c'est une nouvelle fois dans les dernières pages seulement qu'il y a sa déposition sur sa liaison avec la Gestapo, le même jour que M. Lourié, le 21 juillet, à la page 142.

Il faut noter que les dépositions de Dreitzer et surtout de Reingold, qui se conduisit au procès comme un agent de la Guépéou, accablant tout le monde, forment aussi un fort volume. Aux pages 102-103, Dreitzer « se souvient » que Trotsky lui a envoyé une lettre écrite de sa propre main et, à la page 195, qu'il a préparé des actes terroristes en commun avec Schmidt et d'autres.

Ce sont les dépositions de Reingold qui sont le plus souvent citées. Elles constituent les matériaux fondamentaux de l'accusation, en particulier, pour accabler les autres inculpés.

Parmi les accusés du procès de Moscou, il n'y a pas un seul véritable bolchévik-léniniste. L'opposition de gauche avait rompu avec les zinoviévistes en janvier 1928, quand ils avaient capitulé devant la bureaucratie staliniste. Smirnov, Mratchkovski, Ter-Vaganian et Dreitzer s'étaient séparés de l'opposition deux ans plus tard, à la fin de l'année 1929.

Depuis janvier 1928, Trotsky n'avait entretenu aucun rapport avec les zinoviévistes, ni personnellement, ni par l'intermédiaire de qui que ce soit ; il ne leur avait pas écrit une seule fois, n'avait pas reçu d'eux une seule lettre. Et cela se comprend. La voie de l'opposition de gauche, celle d'une lutte implacable contre le stalinisme, et la voie des groupes capitulards devant le stalinisme divergeaient complètement.

* * *

Zinoviev et Kamenev avaient formé avec Staline en 1922-1923 ce qu'on avait appelé la troïka, aux mains de laquelle se trouvait pratiquement tout le pouvoir au moment de la maladie de Lénine et, surtout, après sa mort. A l'aide de l'appareil du parti, la troïka prépara et mena la lutte contre Trotsky et le « trotskisme ». Mais bientôt elle-même se scindait, Zinoviev et Kamenev, avec leur éducation internationale, leur expérience de l'émigration, et en partie sous l'influence des ouvriers de Léningrad, entrèrent en opposition avec Staline, avec sa politique nationale de construction du socialisme en un seul pays, d'espoir dans le koulak, etc. Zinoviev et Kamenev s'appuyaient d'ailleurs sur l'appareil du parti à Léningrad, qui, évidemment, n'était pas en mesure de venir à bout de l'appareil de l'Union entière, que Staline fit alors entrer automatiquement en lutte contre Zinoviev et Kamenev. Bientôt, Zinoviev et Kamenev, malgré leur lutte passée contre le « trotskisme », se mettaient en 1926 sur la plate-forme de l'opposition de gauche, reconnaissant sa justesse. Le passage dans le camp de l'opposition de gauche des « inventeurs » du trotskisme, en tant que tendance idéologique hostile au léninisme, porta à cette légende du trotskisme un coup irréparable. Mais l'opposition zinoviéviste, qui avait son origine dans l'appareil, penchait beaucoup pour la diplomatie, les combinaisons, les manœuvres tactiques, les compromis, les capitulations, etc. Dès janvier 1928, au XVe Congrès du Parti communiste russe, Zinoviev, Kamenev et leurs amis capitulaient devant la fraction staliniste, capitulaient non seulement par manque de courage politique, mais aussi avec la conviction sincère qu'il était impossible de pousser la lutte jusqu'à la scission.

Par la suite, Zinoviev, Kamenev et leurs amis capitulèrent encore deux fois. A chaque nouvelle capitulation, ils firent des concessions toujours plus grandes à Staline et, tombant de plus en plus bas, ils devinrent ses prisonniers. Staline resserra de plus en plus l'étau sur eux. Si, au début, ils reconnaissaient « seulement » le caractère d'hostilité au parti de leur activité, ils furent bientôt contraints d'avouer leur esprit « contre-révolutionnaire », d'encenser Staline et plus tard (sous la menace du revolver) de prendre sur eux la « responsabilité politique et morale » de l'assassinat de Kirov. Avouant tout ce que Staline exigeait d'eux, se chargeant de la plus monstrueuse accusation lancée contre eux-mêmes, contre leur camarades, contre le parti, ils étaient devenus le jouet des sommets stalinistes bonapartistes.

Quoique à un degré moindre, mais au fond pareillement, Smirnov, Mratchkovski, etc., ont suivi la même voie. Après avoir capitulé devant Staline, ils ont tous reconnu en 1929 qu'ils n'étaient plus des combattants révolutionnaires, mais des gens épuisés, qui avaient un grand passé, mais plus d'avenir. La capitulation les avait intérieurement brisés pour toujours.

La conduite des accusés au cours du procès ne fut que le parachèvement tragique, la dernière étape de leur chute.

* * *

Tout ce que nous venons d'expliquer, on l'oublie en Occident (non en U.R.S.S. ; là-bas, on le comprend malheureusement trop bien), quand on se demande comment des hommes tels que Zinoviev, Kamenev et surtout Smirnov et Mratchkovski, vieux militants révolutionnaires, ont pu tomber aussi bas. On se représente le Zinoviev ou le Smirnov des années héroïques de la révolution russe. Or, depuis, il s'est passé près de vingt années, dont plus de la moitié sous le régime thermidorien et corrompu de Staline. Non, sur le banc des accusés, ce n'étaient que les ombres du Smirnov de la guerre civile ou du Zinoviev des premières années de l'Internationale communiste. Sur le banc des accusés, c'étaient des hommes brisés, écrasés, finis. Avant de les tuer physiquement, Staline les avait brisés et tués moralement.

La capitulation est un plan incliné. Nul n'a encore réussi à s'y maintenir. Une fois qu'on y est, il faut glisser jusqu'au bout. Rakovski qui a résisté plus longtemps que les autres vieux bolchéviks, — il n'a capitulé qu'en 1934, — en est arrivé à réclamer aujourd'hui l'exécution de Zinoviev, de Kamenev et de Trotsky ! Une telle attitude, précisément de la part de Rakovski, a rencontré une incompréhension toute particulière en Occident : un homme honnête, d'une grande pureté morale, et soudain... Comment s'expliquer cela ? Comme si Rakovski pouvait s'échapper de dessous la pesante meule bureaucratique, qui a broyé les anciens révolutionnaires ! Il faudrait plutôt se demander comment Rakovski, qui fut à la tête de l'opposition jusqu'en 1934, a pu tout ignorer du terrorisme, si celui-ci avait réellement existé ? Resté dans l'opposition jusqu'en 1934. Rakovski se réfère, comme preuve de l'existence de la « terreur », à... Zinoviev, Kamenev, etc., avec qui l'opposition avait rompu depuis 1928. L'absolutisme staliniste n'admet pas de demi-capitulations : tout ou rien, il n'y a pas de milieu.

L' « art » de Staline de briser les caractères révolutionnaires consiste à aller prudemment, progressivement, en poussant les gens de degré en degré, toujours de plus en plus bas... Et quel stimulant ces hommes pouvaient-ils avoir pour lutter ? Ils avaient non seulement renoncé à leurs propres idées, mais aidé Staline à les traîner dans la boue. Si le mouvement ouvrier international ne s'était pas trouvé à un niveau si bas, sans aucun doute ces gens se seraient conduits tout autrement. Isolés du mouvement révolutionnaire, et même du monde en général, ils ne voyaient que la montée et le renforcement du fascisme, et en U.R.S.S. la nuit opaque du stalinisme. La misérable conduite des accusés est avant tout l'expression du profond désespoir qui enlevait toute perspective à ces hommes.

Et comment des hommes de l'U.R.S.S., même les meilleurs, ne pourraient-ils pas se démoraliser ? Est-ce que des révolutionnaires se sont jamais forgés dans le vide ? Non, il faut pour cela un travail collectif, des relations mutuelles, des rapports avec la masse, une formation théorique, etc. Ce n'est que dans de telles conditions qu'a pu se former le type du révolutionnaire et du bolchévik. Mais c'est un passé lointain. Dans les dix dernières années, il se produit en U.R.S.S. un processus inverse. L'absence de vie sociale, de pensée libre et d'action collective soudée par une discipline consciente et non pas servile, — tout cela ne peut pas ne pas mettre les vieux au rancart et, en même temps, empêcher la formation des jeunes.

C'est pourquoi comparer la conduite des incullpés de Moscou à celle de certains militants courageux devant les bourreaux fascistes, c'est pêcher par superficialité. Ces militants-ci n'étaient pas brisés par dix années de domination staliniste ; ils n'étaient pas isolés comme les victimes de Staline, ils sentaient derrière eux le soutien du prolétariat mondial. L'opposition était aussi beaucoup plus marquée : fascisme et communisme. Or, au procès du Moscou, Zinoviev et Kamenev, quoiqu'ils se trouvassent devant un tribunal thermidorien d'usurpateurs stalinistes, étaient devant un tribunal qui dans sa phraséologie faisait appel — quelle audace monstrueuse ! — à la révolution d'Octobre et au socialisme. Outre d'effroyables tortures morales, les inquisiteurs de la Guépéou ont utilisé aussi cette phraséologie et, en particulier, le danger de guerre ; cela ne pouvait manquer d'aider à briser ces malheureux accusés.

La comparaison avec les hommes de la Révolution française est aussi superficielle. Ces hommes étaient dans l'épanouissement de leur force, les événements se passaient avec une vitesse de kaléïdoscope, personne ne pouvait compter obtenir grâce et, surtout, tout cela se passait à l'époque de la montée puissante d'une révolution telle qu'il n'y en avait pas encore eu dans l'histoire. La Révolution russe a connu aussi pareille époque (1917-1922), mais c'est précisément dans ces années-là que les Smirnov et les Mratchkovski luttaient et périssaient héroïquement sur les fronts de la guerre civile. Si l'on recherche des comparaisons historiques avec la conduite des jacobins, ce n'est pas en 1789-1794 qu'il faut les prendre, mais dix ans plus tard, à l'époque de l'Empire, quand beaucoup d'entre eux étaient devenus des préfets et autres dignitaires de Napoléon.

Mais comment expliquer malgré tout que tous les onze vieux (en laissant de côté les cinq jeunes) aient eu une telle conduite devant le tribunal ? Il ne faut pas oublier que ces onze n'étaient pas des inculpés pris au hasard, mais qu'ils avaient été choisis au cours d'une longue et terrible instruction parmi 50 autres prisonniers ou même plus, que Staline n'a pu réussir à briser. Ce sont précisément ceux qui ont pu être brisés qui ont été impliqués dans le procès. Ce qu'il est advenu des autres, on n'en sait rien ; on a fusillé ceux qui n'ont pas cédé au chantage de Staline ; ils ont été fusillés « pour l'édification » des autres. Outre la torture de l'interrogatoire, — la même question est posée du matin au soir, des semaines durant, à l'accusé qui reste debout, — outre le tourment quant au sort de leurs familles et autres tortures prises dans l'arsenal de l'Inquisition la plus noire et la plus terrible, le passage par les armes d'un certain nombre d'accusés fut un des « arguments » les plus décisifs de l'instruction staliniste. On disait à Smirnov ou à Evdokimov : aujourd'hui on a fusillé un tel (par exemple Koukline ou Guertik), demain on fusillera un tel, car ils n'ont pas fait les dépositions exigées, et ensuite ce sera votre tour. (Ce n'est là, bien entendu, qu'une hypothèse).

Le revolver sur la tempe, Zinoviev et Kamenev se disent : si nous ne signons pas ces infamies que veut nous extorquer Staline, il nous fusillera secrètement, sans jugement. Mais si nous signons, nous avons malgré tout une chance de salut. Peut-être Staline ne nous trompe-t-il pas en nous promettant la vie sauve pour prix de nos aveux. La série précédente de procès, construits aussi pour la plupart sur de faux aveux et où les accusés avaient subi des condamnations légères ou fictives, renforçait leurs espoirs. Les accusés ne pensaient d'ailleurs pas seulement au salut de leur vie, mais vaoyaient dans ce salut la seule possibilité de démasquer plus tard, dans une situation nouvelle, l'amalgame staliniste et ainsi de se réhabiliter, ne fût-ce que partiellement. Ils ont commis une erreur tragique et cette erreur n'était pas fortuite, elle découlait de toute leur conduite antérieure, comme nous nous sommes efforcés de le démontrer.

Mais même chez ces inculpés il s'est trouvé un dernier reste de forces, une dernière goutte de dignité. Si brisés qu'ils fussent, aucun des vieux bolchéviks n'a pris, ne pouvait prendre sur lui l'accusation d'être « en liaison avec la Gestapo ».

Nous pensons — et cela peut sembler paradoxal à qui juge les choses superficiellement — que la force morale intérieure de Zinoviev et de Kamenev dépassait considérablement le niveau moyen, quoique elle se soit trouvée insuffisante dans des conditions absolument exceptionnelles. Des centaines et des milliers de chefs communistes, socialistes et autres, qui s'adaptent à la bureaucratie soviétique ou au capitalisme, auraient été incapables de supporter même la centième partie de la pression continue et effroyable à laquelle furent soumis Zinoviev, Kamenev et les autres.

Encore un point. Les discours des inculpés ne se distinguent en rien des discours du procureur, ne se distinguent en rien des milliers d'articles assoiffés de sang qui remplissent la presse. Par leurs discours où ils s'accusent sans faits ni preuves, par leur répétition littérale de ce que leur dictait le procureur, par leur empressement à se noircir, les inculpés ont en quelque sorte voulu dire au monde entier : ne nous croyez pas ; est-ce que vous ne voyez pas que tout cela est mensonge, mensonge du commencement jusqu'à la fin ?

* * *

Oui, la génération des vieux bolchéviks, à quelques exceptions près, s'est épuisée jusqu'au bout. Ils ont eu trop à porter sur leurs épaules, — trois révolutions, le travail illégal, la prison, la guerre civile. Les forces leur ont manqué, leurs nerfs n'ont pas tenu.

Mais il y a malgré tout en U.R.S.S. des révolutionnaires inébranlables, quelques milliers de bolchéviks-léninistes. Eux, Staline ne pourra pas les attirer dans ses procès, quoiqu'il puisse les exterminer l'un après l'autre, les exterminer, mais non pas les briser. Ces combattants révolutionnaires ne sont pas entrés et n'entreront pas dans la voie funeste de la capitulation, car ils croient en la justesse de leur cause. Ils préfèrent périr dans les caves de la Guépéou, inconnus, sans soutien et sans sympathies. Ce sont eux qui assurent la continuité révolutionnaire et sauvent l'honneur révolutionnaire du mouvement ouvrier soviétique !

Les accusés qui n'étaient pas au procès[modifier le wikicode]

Outre les seize fusillés, il est fait mention dans l'affaire d'un grand nombre de personnes accusées d'être terroristes ou d'avoir pris part à l'activité terroriste. Aucune d'entre elles, pour des raisons inconnues et en complète contradiction avec les règles de la justice, ne fut impliquée dans le procès comme accusé, ni citée comme témoin. (Nous ne parlons pas de Safonova ni de Iakovlev, qui ne furent que les auxiliaires du procureur Vychinski. L'acte d'accusation informe que les affaires de 1) Gaven, 2) Guertik, 3) Karev, 4) Constant, 5) Matorine, 6) P. Olberg, 7) Radine, 8) Safonova, 9) Faïvilovitch, 10) Schmidt, 11) Esterman, 12) Kouzmitchev, sont « réservées ». Pourquoi ? Par l'arbitraire le plus pur. Gaven, par exeemple, dont nous parlerons plus amplement, bien qu'il ait été mentionné à diverses reprises comme ayant transmis les instructions terroristes de Trotsky à Smirnov, est absent du procès. Guertik, Faïvilovitch, Karev, Radine ont « organisé » l'assassinat de Vorochilov, etc. Mais en ce qui concerne ces douze personnes, l'acte d'accusation mentionne au moins que leur affaire est réservée. Or, il est d'autres personnes dont on ne nous dit rien. En voici la liste[25] :

  1. ANICHEV, condamné à six années de prison dans le premier procès Zinoviev ;
  2. ARKUS, vieux membre du parti, fut à la direction des Finances ;
  3. BOGDAN, vieux membre du parti, ancien secrétaire de Zinoviev (s'est suicidé) ;
  4. BOUKHARINE, membre du Comité central du Parti communiste, ancien membre du Bureau polique, ancien dirigeant de l'Internationale communiste, directeur des Izvestia ;
  5. CHAROV, vieux bolchévik ouvrier, zinoviéviste ; condamné à huit ans de prison dans le premier procès Zinoviev ;
  6. CHATSKINE, l'un des dirigeants du groupe de Lominadzé, vieux membre du parti ; ancien dirigeant de l'Internationale communiste des jeunes ;
  7. CHLIAPNIKOV, vieux bolchévik, ancien membre du Comité central, dirigeant de l'ancienne Opposition ouvrière ;
  8. CHTYKGOLD, vieux membre du parti, ancien secrétaire de Sklianski, qui fut suppléant de Trotsky pendant la guerre civile ;
  9. DREITZER, sœur du fusillé ;
  10. EISMONT, vieux membre du parti, déjà arrêté en 1932 ;
  11. FEDOTOV ;
  12. FRIEDLAND, jeune théoricien soviétique ;
  13. FRIEDMAN ;
  14. FOURTYCHEV, vieux membre du parti ;
  15. GAÏEVSKI, vieux communiste, héros de la guerre civile ;
  16. GRUNSTEIN, vieux bolchévik, ancien forçat politique, occupa un poste important dans les affaires militaires ;
  17. HERTZBERG, vieux membre du parti, condamné dans le premier procès Zinoviev,
  18. IAKOVLEV ;
  19. IATSEK, vieux membre du parti ;
  20. IÉLINE ;
  21. IOUDINE ;
  22. KOUKLINE, l'un des plus vieux bolchéviks ouvriers, l'un des dirigeants de l'organisation du parti à Léningrad, ancien membre du Comité central, condamné à 10 ans de prison dans le premier procès Zinoviev ;
  23. KUNT ;
  24. LIEPSCHITZ, P. ;
  25. LOMINADZÉ, ancien secrétaire de l'Internationale communiste des jeunes, l'un des dirigeants du mouvement des Jeunesses, ancien membre du Comité central (s'est suicidé) ;
  26. MEDVÉDEV, vieux bolchévik, dirigeant de l'ancienne Opposition ouvrière ;
  27. MOUKHINE ;
  28. OKOUDJAVA, vieux bolchévik, dirigeant du parti dans le Caucase ;
  29. OUGLANOV, ancien secrétaire du Comité central et du Comité de Moscou, l'un des dirigeants de l'opposition de droite ;
  30. PIATAKOV, vieux bolchévik, membre du Comité central, Commissaire du peuple adjoint à l'Industrie lourde ;
  31. POUTNA, dirigeant bien connu dans l'Armée rouge, jusqu'à ces derniers jours attaché militaire à Londres ;
  32. RADEK, ancien membre du Comité central, journaliste connu ;
  33. RIOUTINE, ancien membre du Comité central et dirigeant de l'organisation du parti à Moscou ;
  34. RYKOV, membre du Comité central, ancien président du Conseil des Commissaires du peuple, jusqu'à ces derniers jours, Commissaire du peuple aux Postes et Télégraphes ;
  35. SÉRÉBRIAKOV, l'un des plus vieux bolchéviks ouvriers, ancien secrétaire du Comité central ;
  36. SLEPKOV, jeune théoricien des droitiers de l' « école Boukharine », journaliste ;
  37. SMILGA, I.T., ancien membre du Comité central, l'un des dirigeants de l'insurrection d'Octobre, occupa des postes dirigeants dans les affaires militaires et économiques ;
  38. SOKOLNIKOV, vieux bolchévik, l'un des dirigeants de la guerre civile, ancien Commissaire du peuple aux Finances, ancien membre du Comité central ;
  39. STEN, l'un des dirigeants du groupe Lominadzé (« gauchistes »), vieux membre du parti, ancien membre de la Commission centrale de contrôle ;
  40. TOMSKI, ancien dirigeant des syndicats, ancien membre du Comité central et du Bureau politique (s'est suicidé) ;
  41. ZAIDEL.

Tous ces hommes sont accusés soit d'avoir eu une activité terroriste, et c'est l'écrasante majorité, soit d'avoir manifesté des sympathies pour le terrorisme et entretenu des liaisons avec les terroristes !

Il faut encore ajouter à cette liste ceux qui ont été condamnés en même temps que Zinoviev en janvier 1935 et qui ne figurent pas sur les listes précédentes : 1) SAKHOV, 2) GORCHENINE ; 3) TSARKOV, 4) FEDOROV, 5) HESSEN, 6) TARASSOV, 7) PÉRIMOV, 8) BACHKIROV, 9) BRAVO (cesont dans leur majorité de vieux bolchéviks). Il faut aussi compter les 78 vieux bolchéviks zinoviévistes (Zaloutski, Vardine et autres) internés dans un camp de concentration en relation avec le premier procès Zinoviev. Il faut encore ajouter le principal accusé de ce procès, TROTSKY, et aussi SÉDOV[26]. Nous obtenons ainsi une liste de 142 personnes ! Chacune d'elles est accusée des crimes les plus noirs. A quelques exceptions près, cette liste se compose des représentants les plus connus du bolchévisme.

Si quelqu'un avait à composer une liste des 20 à 25 représentants les plus marquants du bolchévisme, ceux qui ont joué le plus grand rôle dans l'histoire du parti et de la révolution, on pourrait sans crainte lui recommander de prendre pour base la liste des 142, plus les vieux bolchéviks exécutés à la suite du procès de Moscou. Dans cette liste entreraient six anciens membres du Bureau politique et chefs du parti : Boukharine, Zinoviev, Kamenev, Rykov, Tomski et Trotsky. Dans le Bureau politique de Lénine il y avait cinq d'entre eux, plus Lénine et Staline. Des membres du Bureau politique de Lénine il ne reste aujourd'hui que Staline seul. Les autres sont soit fusillés, soit accusés de terrorisme (Tomski s'est suicidé).

Dans le Testament de Lénine, il est mentionné six hommes : Trotsky, Staline, Zinoviev, Kamenev, Boukharine et Piatakov, ces deux derniers comme « les plus marquants parmi les jeunes ». Deux des révolutionnaires mentionnés par Lénine dans son Testament ont été fusillés par Staline ; Trotsky est pour ainsi dire condamné à mort ; Piatakov est en prison sous l'inculpation de terrorisme. Boukharine vient d'être grâcié, mais on ne sait pas pour combien de temps. De nouveau, Staline reste seul. Parmi les fusillés et ceux qui ont été mis en cause au procès comme ayant participé au terrorisme, il y a 19 anciens membres du Comité central : Boukharine, Chliapnikov, Evdokimov, Fédorov, Kamenev, Koukline, Lominadzé, Ouglanov, Piatakov, Radek, Rioutine, Rykov, Sérébriakov, Smilga, Smirnov, Sokolnikov, Tomski, Trotsky, Zinoviev (Boukharine et Rykov sont encore membres du Comité central!), et trois anciens membre de la Commission centrale de contrôle : Bakaïev, Gaven, Sten. Toute la fleur du parti bolchévik, tous les chefs de la révolution d'Octobre s'avèrent être des « chiens enragés », des « bandits », des « agents de la Gestapo ». Peut-on imaginer plus grande calomnie contre la révolution d'Octobre ? Si aux 142 que nous avons comptés plus haut, on ajoute les 16 fusillés, puis les 102 fusillés en relation avec l'assassinat de Kirov, les prétendus gardes-blancs, les 12 hommes de la Guépéou condamnés (voilà les véritables coupables !), on obtient en tout 286 personnes les plus diverses et qui souvent n'ont rien de commun entre elles, parmi lesquelles, à l'exception de Nikolaïev, de quelques-uns de ses amis et de quelques membres de la Guépéou de Léningrad, personne n'a eu le moindre rapport avec l'assassinat de Kirov. Elles n'en sont pas moins accusées par Staline d'avoir trempé dans cet assassinat et on ne sait pas combien de fois Staline exhibera encore le cadavre de Kirov ni combien de gens il accusera d'être responsables de cet assassinat ou d'y avoir participé. Et combien d'hommes ont été fusillés en secret, sans que personne n'en sache rien ? Combien de dizaines de milliers ont été déportés ou internés dans un camp de concentration ?

* * *

Nous avons déjà dit que la composition de la liste des accusés était arbitraire, non seulement parce que nous avons affaire à un amalgame, mais aussi parce que tous les inculpés envisagés n'ont pu être brisés par Staline. La liste des accusés a certainement changé plus d'une fois et elle n'a été définitivement arrêtée que le jour même de la signature par le procureur de l'acte d'accusation. Le fait que les seize inculpés aient été choisis par Staline sur une liste beaucoup plus étendue, découle non seulement des considérations générales énoncées plus haut, mais peut aussi se démontrer quasi mathématiquement. Le dossier de chaque inculpé porte un numéro (ces numéros sont indiqués entre parenthèses dans les citations des dépositions). Si nous rangeons les inculpés par ordre alphabétique, nous obtenons le tableau suivant[27] :

Bakaïev1
Berman-Iourine4
David, Fritz8
Dreitzer10
Zinoviev12
Kamenev15
Mratchkovski18
Olberg, V21
Pikel25
Reingold27
Smirnov, I.N.29

Les numéros des dossiers de ces onze inculpés suivent exactement l'ordre alphabétique (russe). Les dépositions de Goltzman ne sont pas du tout citées au cours du procès, de sorte que le numéro de son dossier nous reste inconnu. Les autres inculpés ont les numéros suivant[28] :

Lourié, M32
Lourié, N.33
Evdokimov36
Ter-Vaganian38

Par ces tableaux, nous voyons que toute une série de numéros manquent, et avec les numéros manquent aussi les accusés à qui ils correspondaient. Pour un total de 19 personnes (plus le dossier n° 31, dont nous avons parlé en note), il y a 38 numéros. A qui correspondent donc les 18 autres ? Il nous paraît fort vraisemblable qu'à quelques exceptions près, comme celle de Safanova, que la Guépéou réserve peut-être pour un procès futur, ces « inculpés » absents sont ceux que Staline n'a pu réussir à briser et qu'il a vraisemblablement fusillés sans jugement.

Exista-t-il un « Centre unifié » ?[modifier le wikicode]

L'axe du procès et en même temps de la base de l'accusation, c'est le soi-disant « Centre unifié ». C'est lui qui décida d'entrer dans la voie de la terreur, c'est lui qui organisa et dirigea les attentats. La question du « Centre » a, par conséquent, une importance décisive pour l'analyse du procès. Nous sommes contraints de l'examiner en détail.

Nous nous sommes déjà efforcés de montrer avec quel arbitraire Staline avait impliqué dans le procès quatre zinoviévistes, les désigant comme membres du Centre. Mais il fallait coûte que coûte arriver jusqu'à Trotsky, sans quoi tout le procès n'aurait servi de rien. L'échec de l'affaire du consul le força à chercher de nouvelles voies. Staline comprenait que les zinoviévistes, qui avaient rompu avec l'opposition de gauche dès janvier 1928, en capitulant devant l'appareil bureaucratique, n'avaient plus eu depuis lors aucune liaison avec l'opposition de gauche et ne pouvaient guère lui servir pour atteindre son but. Il lui fallait les « unifier », eux qui avaient déjà pris sur eux-mêmes, autrefois, la responsabilité politique de l'assassinat de Kirov, avec les trotskistes. C'est à cette « unification » que devait précisément servir le « Centre unifié ». Après des tentatives malheureuses de mettre en cause de véritables trotskistes, — le chantage de Staline ne pouvait que se heurter à un refus brutal de leur part — Staline s'arrêta à d'anciens oppositionnels de gauche, Smirnov, Mratchkovski et Ter-Vaganian. Ceux-ci avaient ouvertement rompu avec l'opposition de gauche depuis 1929, c'est-à-dire depuis sept ans ! Et en l'absence de tout trotskiste authentique (parmi les inculpés, rappelons-le encore, il n'y a pas un seul véritable trotskiste), Staline fut contraint de se contenter de pseudo-trotskistes, d'autant plus que l'un d'entre eux, I.N. Smirnov, avait rencontré par hasard à Berlin Sédov, ce qui lui donnait au moins le prétexte formel de parler de « liaison » avec l'étranger.

Ainsi naquit dans le cerveau policier de Staline l'idée de créer le « Centre unifié ». Le reste était affaire de technique policière.

La composition du Centre[modifier le wikicode]

L'acte d'accusation et le verdict donnent pour le Centre unifié la composition suivante : Zinoviev, Kamenev, Evdokimov, Bakaïev, pour les zinoviévistes, et Smirnov, Ter-Vaganian, Mratchkovski, pour les « trotskistes ».

Mais même dans la question de la composition du centre, les accusés se contredisent l'un l'autre. Il ne s'agit pourtant pas de quelque comité large, dont la composition serait flottante, où il serait difficile de se souvenir de tout le monde, mais d'une direction terroriste, strictement conspirative par sa nature même. La composition d'un tel centre conspiratif aurait dû être en tout cas exactement déterminée. C'est d'ailleurs ce que tente de faire l'acte d'accusation qui énumère les sept membres du Centre cités plus haut. L'inculpé Reingold, l'un des principaux témoins de l'accusation, donne une composition différente du centre. « J'étais, dit-il, en relations d'organisation et aussi personnelles avec une série de membres du centre trotskiste-zinoviéviste : Zinoviev, Kamenev, Sokolnikov et autres ».[29] Et plus loin Reingold répète : « Je peux confirmer que dans le centre trotskiste-zinoviéviste entraient Zinoviev, Kamenev, Bakaïev, Evdokimov, Smirnov, Mratchkovski, Ter-Vaganian et Sokolnikov ».[30]

Le fait que Sokolnikov faisait partie du centre est aussi confirmé par Kamenev, qui précise, en réponse à une question du procureur, que Sokolnikov était même un « membre dont la participation était strictement secrète »[31], afin qu'il pût, en cas de découverte, poursuivre l'activité terroriste. On se demande alors pourquoi le procureur n'a pas immédiatement cité Sokolnikov devant le tribunal. C'est très simple : citer Sokolnikov à ce moment même, c'eût été briser toute la construiction mensongère et par là fragile du procès. Il faut d'abord préparer Sokolnikov dans les cellules de la Guépéou et cela, même en cas de succès, demande du temps. Le fait que Reingold mentionnât Sokolnikov, sur l'ordre de Staline, était nécessaire pour permettre à Staline de le châtier sans même le juger.

En confirmant les dépositions précédentes concernant Sokolnikov, Kamenev donne de son côté une nouvelle variante du centre (du « complot », comme il s'exprime), qui « était composé des personnes suivantes : de moi-même, Zinoviev, Evdokimov, Bakaïev et Koukline »[32]. Outre Sokolnikov, Koukline apparaît aussi comme un membre du centre. Tout comme pour Sokolnikov, le procureur ne juge pas nécessaire d'impliquer Koukline dans le procès. Cependant, Koukline, l'un des plus vieux bolchéviks ouvriers et zinoviéviste dirigeant, condamné en janvier 1935 à dix ans de prison, est mentionné à maintes reprises au cours du procès comme l'un des dirigeants de l'activité terroriste !

Selon les indications de Smirnov, le groupe de Lominadzé était aussi entré dans le bloc[33] (Smirnov ne dit rien du Centre et plus tard, comme nous le verrons, il nie même son existence). Notons qu'aucun membre de ce groupe n'a été inculpé. Ter-Vaganian, quoiqu'il « confirme les déclarations de Smirnov », ne mentionne pas lors de son éunmération le groupe de Lominadzé. Mratchkovski, au contraire, non seulement mentionne le groupe de Lominadzé-Chatskine comme ayant fait partie du bloc, mais dit encore que Lominadzé personnellement faisait partie du Centre, Bakaïev nomme non seulement Koukline, mais encore Charov, vieux bolchévik zinoviéviste également, condamné lors du premier procès de 1935. On mentionne aussi à diverses reprises Karev comme ayant participé à une conférence terroriste de direction (le Centre?). Mais lui non plus n'est pas sur le banc des accusés, son affaire étant, on ne sait pourquoi, « réservée ».

Mieux encore, Kamenev déclare qu'en cas de découverte, outre Sokolnikov, étaient également désignés, comme suppléants, Sérébriakov et Radek, « qui, selon Kamenev, pouvaient très bien assumer ce rôle »[34]. Rappelons que Sérébriakov s'est séparé de l'opposition en 1928, que Radek s'en est séparé également en 1928, et de quelle manière ! Depuis 1929 Radek est intervenu à plusieurs reprises dans la presse, comme l'un des adversaires les plus haineux et les plus enragés du trotskisme. Mais cela ne lui a servi de rien !

Au cours du procès, on amène aussi de prison, pour servir de « témoin », Safonova, dont l'interrogatoire produit une impression particulièrement pénible et répugnante. Espérant gagner son salut (et en réalité, Staline dans le meilleur des cas la réserve pour un nouveau procès, pour ensuite la fusiller, comme il a fusillé tous les Berman-Iourine), Safonova accable avec une véritable frénésie I.N. Smirnov. Et cette Safonova, selon le compte-rendu du procès, « a été elle-même membre du centre trotskiste et a pris une part active au travail de ce centre »[35]. Pourquoi donc n'est-elle citée que comme témoin ?

Le Centre a aussi, paraît-il, mené des pourparlers pour une « activité commune » (c'est-à-dire terroriste) avec Chatskine, Sten (des « gauchistes »), Rykov, Boukharine, Tomski, (des « droitiers »), Chliapnikov et Médvédev (ex- « Opposition ouvrière »). Bien entendu, nul d'entre eux n'est cité devant le tribunal, même comme témoin.

Comme on le voit, avec chacun des accusés le « Centre » prend une composition différente.

* * *

La falsification n'est pas chose si facile. On a beau noyer les contradictions, elles réapparaissent obstinément à la surface. Ces contradictions dans la composition du Centre s'expliquent sans aucun doute par le fait qu'au cours de l'instruction, la composition en a été changée plus d'une fois.

On n'est pas parvenu à briser certains « candidats » primitivement désignés ; il a donc fallu remanier la composition du Centre alors que l'affaire était déjà en marche, en y faisant entrer de nouvelles victimes, en faisant de nouveau concorder les dates et les dépositions.

De plus, toute l'affaire a été préparée avec une telle hâte que tous les inculpés n'ont pu apprendre leur rôle...

A quel moment se placent au juste la création et l'action du « Centre unifié » ?[modifier le wikicode]

Voici ce que dit l'acte d'accusation : « A LA FIN DE L'ANNÉE 1932, eut lieu l'unification du groupe trotskiste et du groupe zinoviéviste qui organisèrent un centre unifié... »[36].

Organisé à la fin de l'année 1932, ce centre, selon les termes de l'accusation, mena une activité terroriste presque pendant quatre ans : « de 1932 à 1936 »[37]. C'est bien la fin de 1932 qui est considérée comme le moment — et cela est répété des dizaines de fois au cours du procès — où les zinoviévistes, d'une part, et les prétendus « trotskistes » (Smirnov et autres), d'autre part, auraient créé, paraît-il, d'après les instructions de Trotsky, le Centre unifié, « qui s'était posé comme tâche l'exécution d'une série d'actes terroristes »[38].

Que se passa-t-il ensuite ? Voici ce que disent certains inculpés. Bakaïev raconte : « En automne 1932, Zinoviev et Kamenev avaient été exclus du parti... Il fut décidé de suspendre pour quelque temps l'activité terroriste. En automne 1934, elle fut reprise »[39]. Reingold dit aussi : « Notre activité terroriste a été interrompue pendant la période entre l'automne 1932 et l'été 1933 »[40]. Les désaccords concernent seulement le moment de la reprise de cette activité. Il s'ensuit donc que le centre qui fut formé à la fin de l'année 1932 cessa son activité quelque temps... avant sa fomation, en automne 1932[41]. En réalité, pour démontrer que le centre (s'il avait jamais existé) ne pouvait faire autrement que de cesser son activité en automne 1932, nous n'avons pas besoin de ces dépositions.. Ce fut, en effet, au automne 1932 (en octobre) que Zinoviev et Kamenev furent exilés de Moscou, et en hiver (le 1er janvier 1933) que Smirnov fut arrêté, Mratchkovski se trouvait aussi hors de Moscou ; il était, selon des informations de l'époque, déporté, de même que Ter-Vaganian et un certain nombre d'anciens oppositionnels. Nous voyons que depuis l'automne 1932 et au moins jusqu'en été 1933 (retour de Zinoviev et de Kamenev de déportation), le centre ne pouvait pratiquement pas exister.

Cela n'empêche pas Dreitzer de déposer qu'au PRINTEMPS 1933 il reçut des « instructions du centre trotskiste-zinoviéviste pour hâter les actes terroristes contre la direction du parti communiste de l'U.R.S.S. »[42]. Selon Dreitzer, par conséquent, il apparaît que, juste dans la période où le centre « avait cessé son activité », il exigeait qu'il « hâtat » la préparation des actes terroristes.

A ce fatras d'absurdités, il est difficile de comprendre quoi que ce soit ! Le centre s'organise et se dissout tout à la fois, cesse son activité et en même temps la « hâte ».

Il n'y a pas un moindre imbroglio dans la question de savoir à quelle époque au juste le centre « reprend » enfin sa mystérieuse activité. Bakaïev, qui répond le plus précisément à cette question, dit « en automne 1934 », c'est-à-dire deux ans après. Cette date n'est pas donnée par hasard. Elle doit apparaître comme une préparation à l' « aveu » de l'assassinat de Kirov. Si l'on ajoute foi à la déposition de Bakaïev, la seule période où le centre ait existé et ait eu une activité terroriste fut la seconde moitié, et, en particulier, l'automne de l'année 1934, c'est-à-dire une période de quelques mois seulement. Si l'on adopte la version des autres inculpés (Pikel, Reingold, Zinoviev, Kamenev), le centre a existé et agi de l'été ou de l'automne 1933 à la fin de l'année 1934, c'est-à-dire une année et demie tout au plus. Cependant, l'acte d'accusation et le verdict disent que le centre a existé de 1932 à 1936. Pour démontrer que cette affirmation n'est pas gratuite, Vychinski pose la question suivante à Zinoviev : « Pendant combien de temps a-t-il (le centre) fonctionné ? » Zinoviev répond : « De fait, JUSQU'EN 1936 »[43]. Ce témoignage de Zinoviev est pour le moins étrange, car lui-même, tout comme Evdokimov, Bakaïev et Kamenev, était en prison depuis décembre 1934. (Depuis la fin de l'année 1934, aucun des membres du centre n'était plus à Moscou). Sans doute de la fin de l'année 1934 à l'année 1936 menèrent-ils une activité terroriste... en prison. Un autre membre du centre, Mratchkovski, dans les uatre années de son « activité terroriste », ne fut que deux fois, en 1932 et 1934, à Moscou, et encore n'y fit-il que de brèves apparitions. Comment il a pu, dans ces conditions, travailler activement dans le centre, c'est incompréhensible.

Il y a mieux encore : l'un des membres du centre, I.N. Smirnov, ne quitta pas la prison depuis le 1er janvier 1933, c'est-à-dire pendant plus de trois ans et demi. On se demande quel rôle il put jouer dans l'activité du centre, alors qu'il fut arrêté dans la période où ce centre venait de s'organiser, et comment, en particulier, il put prendre une part active à l'assassinat de Kirov, alors qu'il passa en prison, sans en sortir, les deux années qui précédèrent cet assassinat. Or, dns le verdict il est écrit noir sur blanc — et Smirnov fut fusillé à la suite de ce verdict — qu'il est accusé d' « avoir organisé et réalisé le 1er décembre 1934... l'assassinat de Kirov »[44]. N'est-ce pas là un tribunal « modèle » ?

Vychinski, il est vrai, a aussi réponse à cela. Au sujet de la directive sur la terreur que Dreitzer aurait reçue en 1934, c'est-à-dire alors que Smirnov était depuis longtemps déjà en prison, le procureur Vychinski dit : « Je suis profondément (!) convaincu (!!) que vous en étiez au courant (de la directive sur la terreur) tout en étant détenu »[45]. Les preuves matérielles sont remplacées par de faux « aveux » et par la lecture dans les cœurs.

* * *

Au cours du procès, il est mentionné plusieurs réunions dans la maison de campagne de Zinoviev et de Kamenev à Ilinskoie, dans l'appartement de Zinoviev, dans l'appartement de Kamenev et dans le wagon de Mratchkovski. Les trois premières se composaient exclusivement de zinoviévistes : la dernière, dans le wagon de Mratchkovski, au contraire, d'anciens trotskistes (à l'exception d'Evdokimov). D'ailleurs, le fait même de la dernière réunion est formellement nié par I.N. Smirnov. Ces réunions, si elles eurent réellement lieu, ne furent et ne pouvaient être des séances du centre « unifié », puisqu'elles n'étaient que des réunions d'un seul groupe. Le tribunal ne tente d'ailleurs pas de présenter ces réunions comme des assemblées du centre unifié.

Avec le but d'accabler Smirnov, Vychinski demande à Zinoviev : « Et vous, personnellement, avez-vous entendu de Smirnov une série de propositions (sur la terreur) ? ». Zinoviev répond : « J'ai mené personnellement des pourparlers avec lui à deux ou trois reprises »[46].

Ce dialogue, en passant, fait apparaître tout le caractère fictif du centre. Il s'avère que pendant toute l'activité terroriste, les deux membres les plus marquants du centre n'ont « mené des pourparlers » qu' « à deux ou trois reprises ». Et le travail commun dans le centre ? La participation commune à des à ses séances ? Rien de tout cela !

Ainsi, au cours du procès, il n'y a aucun élément qui permette de dire que le Centre unifié se soit réuni, ne fût-ce qu'une seule fois, et ait pris, ne fût-ce qu'une seule fois, une décision quelconque.

I.N. Smirnov lui-même qui , au cours de l'instruction préalable, était entré dans la voie des « aveux », fit au contraire devant le tribunal la tentative de se reprendre[47];sur la question du Centre, le dialogue suivant eut lieu avec le procureur :

Vychinski. — Quand donc avez-vous quitté le centre ?

Smirnov. — Je n'avais pas à le quitter, il n'y avait rien que j'aurais pu quitter.

Vychinski. — Le centre existait-il ?

Smirnov. — Mais quel centre... ?[48]

Est-ce la peine de s'arrêter sur le fait que ni le tribunal, ni le procureur ne tentent d'éclaircir toutes ces contradictions ? Craignant à juste titre qu'en « approfondissant » les questions, ils soient menacés de contradictions encore plus désagréables, ils préfèrent raisonnablement ne pas s'y arrêter.

Le lecteur attentif du compte rendu du procès, mais qui n'est pas initié aux amalgames stalinistes, ne manquera pas de se dire : « Quel centre bizarre ! Impossible d'établir exactement sa composition, ni le moment de sa création, ni le moment de son action ; il ne s'est pas réuni une seule fois. Qu'a-t-il donc fait ? On n'en sait rien ! » Certes, ce centre serait fort bizarre, si... s'il avait jamais existé[49].

Quelle avait été la réalité ?[modifier le wikicode]

Après avoir écrasé en 1927-1928 l'opposition de gauche, Staline, qui avait nié jusqu'alors la possibilité de l'industrialisation, de la collectivisation, de l'économie planifiée en général, fit un tournant à gauche. La nouvelle politique économique de Staline, extrêmement contradictoire, chaotique et menée suivant des méthodes purement bureaucratiques, fut formée de lambeaux pris à la plate-forme de l'opposition de gauche. Aussi, c'est avec une exaspération d'autant plus grande que Staline dirigea le feu de la répression contre les partisans de cette plate-forme. Le tournant de Staline à gauche (plus le renforcement de la répression) conduisit en 1929 à un désarroi dans les rangs de l'opposition de gauche. L'industrialisation et la collectivisation entreprises ouvraient de nouvelles possibilités et de nouvelles perspectives. Dans ces conditions, de nombreux oppositionnels furent enclins à considérer avec indulgence le régime bureaucratique qui allait se renforçant ; Ils furent emportés par une vague de capitulations. Il y eut parmi eux Radek, Préobrajenski, I.N. Smirnov, Mratchkovski, Ter-Vaganian, Dreitzer, etc.

Les années suivantes (1930-1932) furent les années d'une direction bureaucratique, incontrôlée, de l'économie par les sommets stalinistes, qui menèrent rapidement le pays à une très grave crise économique et politique. Cette crises prit des formes particulièrement aiguës en 1932. L'abolition administrative des classes à la campagne et la collectivisation « intégrale » forcée avaient radicalement ruiné l'agriculture. Dans l'économie soviétique, les disproportions avait pris des dimensions extraordinaires : entre l'industrie et l'agriculture et à l'intérieur de l'industrie, niveau catastrophique de la qualité, absence de produits de consommation, inflation, désorganisation complète des transports. La situation matérielle des masses empirait sans cesse. La disette devenait famine. Des millions d'ouvriers nouveaux manquaient de logis, végétaient dans des baraques, souvent sans lumière, dans le froid, dans la saleté. A travers le pays passait une épidémie de typhus exanthématique telle qu'il n'y en avait pas eu depuis la guerre civile. La lassitude générale et le mécontentement commençaient à se manifester au grand jour. Les ouvriers recouraient de plus en plus fréquemment à la grève : à Ivanovo-Voznessensk, il y eut de grands mouvments parmi les ouvriers. Des kolkhoziens défendirent les armes à la main leur récolte et leurs biens contre les paysans non-collectivisés. Dans le Caucase et le Kouban sévissait une petite guerre civile permanente. Le trouble, le mécontentement et la méfiance croissants à l'égard de la direction s'infiltraient aussi dans l'appareil. On pouvait entendre de tous côtés, parmi les vieux bolchéviks, les ouvriers, les jeunes communistes, que Staline menait le pays à la ruine.

C'est dans cette situation que se sont trouvés les anciens dirigeants de l'opposition de gauche qui s'étaient séparés d'elle. Après avoir capitulé à divers moments, ils s'étaient tous sincèrement efforcés, au moins au début, de s'adapter à l'appareil staliniste, espérant prendre part à la lutte pour l'industrialisation, à la lutte contre le koulak. Mais la crise économique et politique aiguë les éloigna de l'appareil staliniste. Mi-involontairement, naquit en eux certain sentiment oppositionnel, le besoin de parler entre eux, de critiquer la direction staliniste. C'est ainsi qu'en 1932 on put observer un certain réveil, d'ailleurs assez faible, des groupes qui avaient autrefois capitulé devant Staline : le groupe de Zinoviev et de Kamenev, le groupe des anciens stalinistes de gauche de Lominadzé-Chatskine-Sten (ceux qu'on appelait les « gauchistes »), de Smirnov et de ses amis, et aussi quelques droitiers, Rioutine, Slepkov et autres. Mais il ne faut pas exagérer ce réveil. Pour la majorité, il garda un caractère purement intime, « dominical ». On n'alla pas plus loin que des conversations « à cœur ouverté », on rêvait qu'il serait bon d'avoir une autre politique et une autre direction. Vraisemblablement, les hommes des différents cercles et groupes recherchèrent un rapprochement personnel, des liaisons l'un avec l'autre. Les plus audacieux ont peut-être dit qu'il serait bon de faire un « bloc ». Mais il est probable qu'on n'en vint même pas à dire cela. Aujourd'hui — quatre ans après ! — Staline tire de tout cela un « bloc » et même un « Centre unifié » terroriste.

Les bolchéviks-léninistes russes, c'est évident, n'entrèrent dans aucun bloc avec l'un de ces groupes[50]. Tous ces groupes avaient à un moment ou à un autre capitulé devant Staline et c'est pourquoi ils s'opposaient irréductiblement aux bolchéviks-léninistes, qui avaient considéré et continuaient de considérer la capitulation comme l'un des plus grands crimes envers le communisme et les intérêts de la classe ouvrière. Dans cette question, l'opposition de gauche prit une attitude particulièrement intransigeante. Aux yeux des bolchéviks-léninistes, ces groupes et ces hommes n'avaient et ne pouvaient avoir aucune autorité politique ou morale.

L'opposition de gauche accordait au réveil de ces groupes — les « libéraux du parti », comme elle les appelait — une importance surtout symptomatique. Bien entendue, cela pouvait servir de point de départ au retour de Zinoviev, Kamenev, Smirnov et autres sous le vieux drapeau des bolchéviks-léninistes, mais il n'en fut rien.

Staline, la Guépéou et la Commission centrale de contrôle ne restèrent pas dans l'ignorance de cet état d'esprit des anciens oppositionnels. Cet état d'esprit, soit dit en passant, avait gagné entre temps la majorité du parti. Au début d'octobre 1932, Zinoviev et Kamenev furent exclus du parti, dans une liste commune avec des droitiers marquants, Ouglanov (ancien secrétaire du Comité central et du Comité de Moscou du parti), Rioutine (membre du Comité central et militant dirigeant de l'organisation de Moscou), Slepkov, Maretski (jeunes théoriciens de la droite élèves de Boukharine), etc.[51] Rioutine avait, en effet, rédigé un grand document critique de la politique et du régime stalinistes, avec paraît-il, une caractéristique très âpre de Staline (le « mauvais génie du parti »,etc.). Zinoviev et Kamenev furent accusés de ceci : « Sachant que des documents contre-révolutionnaires étaient répandus, ils avaient préféré, au lieu de les dénoncer, discuter ces documents et se montrer ainsi complices directs du groupe contre-révolutionnaire »[52]. (Pravda, octobre 1932). Uniquement pour n'avoir pas fait cette dénonciation, — il n'y avait pas d'autre accusation — Zinoviev et Kamenev furent exclus du parti et exilés de Moscou. L'annonce de leur exclusion ne mentionne nullement une action politique propre, elle n'existait pas.

Telle fut la première version, en tout cas plausible, de l' « activité de Zinoviev et de Kamenev en 1932. La seconde version (en 1934) parlait déjà d'un « Centre de Moscou », du fait d'avoir excité des « tendances terroristes », etc. La troisième version (le procès d'août 1936), c'est le Centre unifié, le terrorisme, l'assassinat de Kirov ! Plus les faits reculent dans le passé, plus Staline les falsifie impudemment !

Bientôt arriva de Moscou la nouvelle de l'arrestation d'un certain nombre d'anciens oppositionnels connus, vieux bolchéviks : I .N. Smirnov, Préobrajenski, Oufimtsev, Mratchkovski, Ter-Vaganian et autres[53].

Nous avons écrit plus haut que la déportation de Zinoviev, de Kamenev et des autres aurait pu devenir le point de départ de leur retour aux bolchéviks-léninistes, mais qu'il n'en fut rien. Dès le printemps 1933, Zinoviev et Kamenev capitulaient de nouveau, d'une façon beaucoup plus humiliante qu'auparavant, en glorifiant Staline, etc. Ils rentrèrent à Moscou. Voici comment Trotsky appréciait alors dans la presse leur nouvelle capitulation : « Reconnaissez son génie (à Staline)... et Zinoviev-Kamenev l'ont « reconnu », c'est-à-dire qu'ils ont définitivement touché le fond... Comme le héros de Gogol, Staline collectionne les âmes mortes... (le 23 mai 1933, Bulletin de l'Opposition, n° 35).

Combien ces paroles nous éloignent d'un « bloc » ou d'un « Centre unifié » commun ! Aux yeux d'un homme politiquement de bonne foi cette seule citation anéantit toutes les calomnies stalinistes sur le bloc de Trotsky et de Zinoviev, base du procès.

La nouvelle capitulation de Zinoviev et de Kamenev était étroitement liée à l'amélioration de la situation intérieure de l'U.R.S.S. En 1933, la crise commençait à s'atténuer. Les sentiments oppositionnels baissaient. Les groupes capitulards qui s'étaient ranimés retombaient de nouveau dans la passivité. En 1934, ces tendances s'étaient précisées encore davantage.

Au procès, on nous présente un tableau tout différent. Tant que régnait une crise aiguë et un mécontentement général (1932-1933), les terroristes n'ont pas manifesté d'activité particulière. Mais précisément au moment où (en 1934) le pays sortait des difficultés, « le triomphe de la politique du Comité central du Parti communiste de l'U.R.S.S provoqua chez nous un nouvel accès de fureur et de haine contre la direction du parti... »[54].

Toute cette histoire n'est qu'une bien stupide invention. Elle était nécessaire pour servir à fonder l'accusation d'avoir assassiné Kirov (en 1934).

Après avoir amnistié Zinoviev, Kamenev et autres, Staline ne leur témoigna aucune confiance. Il ne leur confia pas le moindre travail important. On les tint bien loin de la politique. Depuis ce moment-là, c'est-à-dire depuis le printemps 1933, Zinoviev, Kamenev et tous les autres capitulards entrèrent définitivement dans le néant politique. Moralement, ils étaient brisés. Ils ne vivaient plus, ils végétaient. Le coup de revolver de Nikolaïev bouleversa cette situation. Zinoviev, Kamenev, etc. furent brutalement « rappelés » par Staline à la vie politique, « non pas de leur fait, mais pour les buts de Staline », en tant que victimes des sommets bonapartistes. De vieux marxistes, qui avaient lié toute leur vie au parti de la classe ouvrière et au mouvement des masses furent accusés d'avoir trempé dans le « terrorisme ».

Marxisme et terreur individuelle[modifier le wikicode]

La terreur individuelle se donne pour tâche de provoquer par l'assassinat d'individus isolés un mouvement politique et même une révolution politique. Dans la Russie d'avant la révolution, la question de la terreur individuelle a eu non seulement une importance de principe général, mais aussi une énorme signification politique. Il existait, en effet, en Russie, le parti petit-bourgeois des socialistes-révolutionnaires (épigones de l'héroïque Narodnaïa Volia), qui suivait la tactique de la terreur individuelle à l'égard des ministres et des gouverneurs tsaristes. Les marxistes russes, y compris Trotsky depuis les premières années de son activité politique, prirent part à la lutte contre la tactique aventurière de la terreur individuelle et ses illusions, qui, pour frayer le chemin à la révolution, comptait non pas sur le mouvement des masses ouvrières, mais sur la bombe du terroriste. A la terreur individuelle, le marxisme oppose la révolution prolétarienne.

Dès sa jeunesse, Trotsky adhéra résolument, et pour toujours au marxisme. Si l'on éditait tout ce qu'a écrit Trotsky, cela formerait des dizaines d'épais volumes. On ne pourrait y trouver une seule ligne qui trahit une attitude équivoque envers la terreur individuelle. Comme c'est étrange d'être obligé d'en parler aujourd'hui !

Voici comment Trotsky formulait la position du marxisme envers la terreur individuelle, dans un article paru dans la revue autrichienne Der Kampf en 1911.

L'attentat terroriste, même « réussi », provoque-t-il un trouble dans les cercles dominants ou non ? Cela dépend des circonstances politiques concrètes. En tout cas, ce trouble ne peut être que de courte durée ; l'Etat capitaliste ne s'appuie pas sur des ministres et ne peut être détruit avec eux. Les classes au service desquelles il est trouveront toujours des hommes nouveaux, le mécanisme reste entier et continue son travail.


Mais le trouble que l'attentat terroriste apporte dans les rangs des masses ouvrières elles-mêmes est beaucoup plus profond. S'il suffit de s'armer d'un revolver pour arriver au but, pourquoi donc les efforts de la lutte de classes ? Si l'on peut intimider de hauts personnages par le fracas d'une explosion, pourquoi donc un parti ?

Toute sa vie militante — quarante années ! — le marxiste Trotsky l'a donnée au mouvement ouvrier. Les vingt dernières années de l'activité révolutionnaire de Trotsky se sont passées sous les yeux du monde entier. Dans cette activité, même les pires ennemis ne pourraient trouver une « comptabilité en partie double », des compromis avec le marxisme. Pendant 40 ans, Trotsky est toujours allé au but par des voies droites. Entrer maintenant dans la voie de la terreur individuelle, renoncer au marxisme, signifierait pour Trotsky non seulement renoncer à lui-même, mais aussi réduire à néant le fruit de quarante années d'activité révolutionnaire. Cela signifierait se suicider politiquement.

Rejetant la terreur individuelle à l'égard de l'Etat bourgeois-policier, car seul le prolétariat lui-même peut renverser cet Etat, les bolchéviks-léninistes marxistes rejettent à plus forte raison la terreur individuelle dans le pays des soviets où s'est accomplie la plus grande révolution sociale de l'histoire. La terreur individuelle en U.R.S.S., tout à fait indépendamment des intentions des terroristes aux-mêmes, ne peut que servir la cause de la contre-révolution bonapartiste et ce n'est qu'au fascisme qu'elle pourrait faciliter la victoire en U.R.S.S.

L'opposition de gauche, à la différence des bureaucrates et des terroristes, a toujours pensé que le problème ne réside pas dans Staline personnellement, mais dans les modifications sociales qui se sont produites en U.R.S.S. et dont le résultat a été d'assurer la victoire de Staline. L'absolutisme de Staline n'est nullement fortuit, il est le résultat de l'évolution historique. Ce n'est pas Staline personnellement qui a un pouvoir sans bornes, mais la bureaucratie en tant que couche sociale, par l'intermédiaire de Staline. Ce pouvoir illimité a été donné à la bureaucratie par la réaction qui a succédé à l'époque héroïque de la révolution russe. La force de la bureaucratie et, dérivée d'elle, la force de Staline, « la plus éminente médiocrité du parti », ne réside nullement dans le « génie » de Staline, mais dans le rapport de force des classes, rapport extrêmement défavorable au prolétariat, tel qu'il s'est formé en U.R.S.S. et hors de l'U.R.S.S. dans la dernière période.

L'éloignement de Staline (de son poste de secrétaire général), comme une question de personne, a été posé par Lénine au début de 1923 et cela pouvait alors avoir un sens, car cela pouvait faciliter la lutte contre la bureaucratie qui n'était pas encore parvenue à s'affermir. Aujourd'hui, et même depuis longtemps, la question de Staline, comme question indépendante, n'existe pas. Impossible de changer par un assassinat le rapport des forces sociales et d'arrêter la marche objective de l'évolution. L'éloignement personnel de Staline ne signifierait aujourd'hui rien d'autre que son remplacement par un Kaganovitch, dont la presse soviétique aurait bientôt fait le génie des génies.

La bureaucratie soviétique est le plus grand danger pour l'U.R.S.S. Mais elle ne peut être écartée que par une montée active de la classe ouvrière. Cette montée ne peut être que le résultat de la renaissance du mouvement ouvrier d'Occident qui, gagnant l'U.R.S.S., sapera et emportera l'absolutisme staliniste. Il ne peut y avoir d'autre voie pour les marxistes révolutionnaires. Et ce n'est pas à l'aide d'une machination policière que Staline discréditera le marxisme et les marxistes ! Il y a bientôt cent ans que la police mondiale s'y emploie, en passant par Bismarck et Napoléon III, mais elle s'est chaque fois brûlé les doigts. Les falsifications et les machinations policières de Staline dépassent à peine les modèles du genre, mais il les a complétées — et de quelle manière ! — par des « aveux » arrachés aux accusés par les méthodes de l'Inquisition, infiniment perfectionnés.

Pour discréditer le marxisme, Staline met en scène toujours le même Reingold, qui déclare que « Zinoviev fonda (sic) la nécessité de l'emploi du terrorisme sur ce que, quoique (?) la terreur soit incompatible avec le marxisme, il fallait rejeter cela (!!) à l'heure présente »[55]. Quelle belle accumulation de mots ! Zinoviev, voyez-vous, fonda cela sur ce que, quoique cela soit incompatible avec le marxisme, « il fallait rejeter cela ». Quelle idiotie !

A l'égard du marxisme, comme de la théorie en général, Staline éprouve de la peur, et en même temps une sorte de mépris. Empirique borné, « praticien », Staline a toujours été étranger à la théorie et au marxisme. Pour lui, le marxisme, plus exactement les arguments du « marxisme », sont avant tout une couverture, un rideau de fumée. Les arguments « pratiques », ceux de la vie au jour le jour, en particulier, les arguments du gangstérisme politique lui sont évidemment plus proches. Là, il est dans son élément.

Si l'on aborde la question de la terreur individuelle en U.R.S.S. non pas du point de vue théorique, mais du point de vue purement « empirique », du point de vue de ce qu'on appelle le bon sens, il suffit de faire le bilan suivant : Kirov assassiné est immédiatement remplacé par un autre Kirov-Jdanov (Staline en a en réserve autant qu'il peut en avoir besoin). Cependant, des centaines de personnes sont fusillées, des milliers et fort probablement des dizaines de milliers sont déportées. L'étau s'est resserré de plusieurs tours.

Si l'assassinat de Kirov a servi à quelqu'un, c'est bien à la bureaucratie staliniste. Sous le couvert de la lutte contre les « terroristes », elle a étouffé les dernières manifestations de la pensée critique en U.R.S.S. Elle a placé une lourde chape de plomb sur ce qu'il restait encore de la vie publique.

En fait, c'est Staline lui-même qui, par sa politique, pousse des groupes isolés de la jeunesse, politiquement peu développés et désespérés, dans la voie du terrorisme. Réduisant la liberté au droit d'être un sujet docile, étouffant toute vie publique en U.R.S.S., ne donnant à personne la possibilité d'exprimer son opinion dans les cadres de la démocratie prolétarienne, Staline pousse nécessairement des hommes isolés et désespérés dans la voie de la terreur. La personnification du régime — le parti n'existe pas, la classe ouvrière n'existe pas, seuls existent Staline et le Kaganovitch local — ne peut manquer d'alimenter des tendances terroristes. Dans la mesure où celles-ci existent réellement en U.R.S.S., Staline et lui seul en porte la pleine responsabilité politique. C'est son régime qui les fait naître et non l'opposition de gauche.

C'est aussi dans le même sens qu'agit la répression monstrueuse et bestiale, en particulier les dernières fusillades de Moscou (et à travers l'U.R.S.S. Entière il y a d'autres fusillades dont nous ne savons rien ! ) Lors du coup de revelver de Nikolaïev, les communistes internationalistes ont déjà condamné la terreur individuelle de la façon la plus impitoyable, la plus résolue. Ils maintiennent aujourd'hui ce point de vue plus fermement que jamais. Si Staline, par sa politique, son régime et l'extermination de l'opposition, peut créer un état d'esprit terroriste, le devoir révolutionnaire dicte impérieusement aux bolchéviks-léninistes de répéter encore une fois de toute leur énergie : la voie de la terreur individuelle n'est pas notre voie, elle ne peut être que la voie qui mène à la perte de la révolution. Ce n'est qu'à la contre-révolution, et à elle seulement, qu'elle pourra faciliter la victoire.

Lénine, le premier terroriste[modifier le wikicode]

Au cours du procès comme pendant l'instruction, les accusateurs officiels et les autres (c'est-à-dire les accusés) emploient avec insistance l'expression : « Il faut écarter Staline ». Durant l'instruction, on opère avec cette formule comme avec une gueuse de métal informe, dont on peut faire un casse-tête, mais dont on peut aussi ne rien faire. S'agit-il de l' « écarter » légalement, sur la base des statuts du parti et au congrès du parti, auquel il appartient de réélire ou de remplacer le secrétaire général, ou d'un autre manière, « illégalement » ? Cette question est soigneusement laissée dans l'ombre par les juges d'instruction au début de l'enquête. On verra bien. Tant que les accusés ne sont pas définitivement brisés, on ne leur arrache que l'aveu d'avoir l'intention d' « écarter » Staline, écarter, c'est-à-dire remplacer. Puis, comme par hasard, on exige d'eux l'aveu qu'ils sont pour des « méthodes violentes ». On comprend le reste : on combine les deux déclarations et quand l'accusé est définitivement brisé, le juge d'instruction abat les cartes. Les méthodes violentes deviennent la « terreur », « écarter » devient synonyme d'assassiner et la gueuse informe, inoffensive à première vue, s'est affilée et est devenue arme mortelle[56]. Au tribunal, la formule « écarter Staline » apparaît avec son sens nouveau : écarter, c'est assassiner.

Mais pourquoi Staline et ses acolytes tiennent-ils tant à cette expression ? Où l'ont-ils prise ? Dans son discours, le procureur Vychinski nous donne quelques explications à ce sujet : « En mars 1932, dans un accès de fureur contre-révolutionnaire, Trotsky a publié une lettre ouverte appelant à « écarter Staline » (cette lettre fut découverte dans la paroi secrète d'une valise de Goltzman et versée au dossier comme pièce à conviction. »[57] Olberg parle aussi là-dessus et déclare : « Sédov me parla pour la première fois de mon voyage en U.R.S.S. à la suite de la proclamation que rédigea Trotsky après qu'il fut privé de sa qualité de citoyen de l'U.R.S.S. Trotsky, dans cette proclamation, mettait en avant l'idée qu'il était nécessaire d'assassiner Staline. Cette idée était exprimée en ces termes : « Il est nécessaire d'écarter Staline ». Sédov, après m'avoir montré le texte dactylographié de cette proclamation me dit : « Eh bien, vous voyez maintenant qu'on ne peut pas être plus clair. C'est une formule diplomatique »[58].

Nous apprenons ainsi qu'il s'agit de la lettre ouverte que Trotsky écrivit en mars 1932 à l'occasion du retrait de sa nationalité soviétique. Vychinski ne juge pas nécessaire de citer un document si important, quoique la lettre ait été « versée au dossier comme pièce à conviction »[59].

Pourquoi ? Nous allons le savoir. L' « appel » de Trotsky à l'assassinat de Staline n'est rien d'autre que la lettre ouverte de Trotsky au présidium du Comité central exécutif de l'U.R.S.S., c'est-à-dire à Kalinine, Pétrovski et d'autres, reproduite en son temps par le Bulletin de l'Opposition et par toutes les autres publications de l'opposition de gauche internationale[60]. C'est à Kalinine et à Petrovski que Trotsky transmet — par l'intermédiaire de la presse ! — l'instruction d'assassiner Staline.

Quelle affaire sensationelle ! Et pourquoi Kalinine n'est-il pas parmi les inculpés ? Son tour n'est-il pas venu ?

Voici l'extrait de cette « lettre ouverte » qui nous intéresse :

Staline vous a conduits dans une impasse. Il n'y a pas d'issue sans la liquidation du stalinisme. Il faut avoir confiance dans la classe ouvrière, il faut donner à l'avant-garde prolétarienne la possibilité, au moyen de la critique libre, de haut en bas, de réexaminer tout le système soviétique, de l'épurer impitoyablement de tous les décombres accumulés. Il faut, enfin, réaliser le dernier et pressant conseil de Lénine : écarter Staline.

On comprend maintenant pourquoi Vychinski ne cite pas ce document si important qui pose les bases de la « terreur » ! Si Vychinski avait cité une seule phrase, l'affaire eût été encore plus sensationelle. Non seulement Trotsky appelle à écarter — « assassiner » — Staline, mais encore il se réfère à Lénine !

Il s'avère ainsi que celui qui a posé les bases du terrorisme et qui fut le premier terroriste, c'est Lénine, et non Trotsky.

Le « dernier et pressant conseil de Lénine », c'est son «Testament» fameux. Rappelons ce qu'y écrivait Lénine :

Le camarade Staline, en devenant secrétaire général, a concentré dans ses mains un pouvoir immense et je ne suis pas convaincu qu’il sache toujours en user avec suffisamment de prudence. (…)


Staline est trop brutal, et ce défaut, pleinement supportable dans les relations entre nous, communistes, devient intolérable dans la fonction de secrétaire général. C’est pourquoi je propose aux camarades de réfléchir au moyen de déplacer Staline de ce poste et de nommer à sa place un homme qui, sous tous les rapports, se distingue de Staline par une supériorité, c’est-à-dire qu’il soit plus patient, plus loyal, plus poli et plus attentionné envers les camarades, moins capricieux, etc. Cette circonstance peut paraître une bagatelle insignifiante, mais je pense que pour prévenir une scission, et du point de vue des rapports entre Staline et Trotsky que j’ai examinés plus haut, ce n’est pas une bagatelle, à moins que ce ne soit une bagatelle pouvant acquérir une signification décisive.


Le 4 janvier 1923[61]

Déplacer Staline, autrement dit, l'écarter (убрать, terme employé par Trotsky) du poste de secrétaire général, voilà ce que proposait Lénine dans son Testament. Les voilà, les sources du « terrorisme », que fort raisonnablement Vychinski ne cite pas !

Depuis sa formation, l'opposition de gauche a demandé que les prescriptions du Testament de Lénine soient appliquées, dans des centaines d'articles, de documents, de tracts, dans sa plate-forme, dans des articles du Bulletin de l'opposition et, enfin, dans la lettre ouverte de Trotsky au présidium du Comité central exécutif (à l'occasion d'un des premiers amalgames, de petite taille, de Staline, privant Trotsky de sa qualité de citoyen soviétique). Et cette lettre fut écrite il y a quatre ans et demi. Pourquoi Staline n'a-t-il pas osé attribuer alors des intentions terroristes à Trotsky ? Parce que Staline avait besoin de temps pour préparer le terrain à ses calomnies empoisonnées.

Déplacer (écarter ! ) Staline signifiait, selon la pensée de Lénine, lui enlever l'immense pouvoir qu'il avait concentré dans ses mains, une faois placé à la tête de l'appareil. Cela signifiait le priver de la possibilité d'abuser de ce pouvoir.

Quand Lénine écrivait son Testament, il était certes loin de pouvoir s'imaginer jusqu'où irait l'abus de pouvoir de Staline. Oui, si Lénine était vivant, il n'aurait pas seulement été mis en prison (« Lénine n'a été sauvé de la prison que par la mort », disait Kroupskaïa en 1926), mais il aurait été déclaré le premier et le principal terroriste !

Telle est la vengeance tardive — treize ans après — de Staline contre le Testament de Lénine, contre Lénine. Il a fallu treize ans au fossoyeur de la révolution, à Staline, pour écraser le bolchévisme et conduire la plus grade des révolutions au régime bonapartiste corrompu qui domine maintenant en U.R.S.S.

Les attentats qui n'eurent pas lieu[modifier le wikicode]

(texte manquant)

Copenhague[modifier le wikicode]

Copenhague a joué un très grand rôle dans le procès. C'est là que seraient parties les « instructions » de Trotsky sur la terreur. Les troskistes auraient fait de la paisible capitale danoise, si l'on en croit le compte-rendu du procès, une sorte de « centre terroriste » étranger. Cette question exige, par conséquent, un examen détaillé.

En automne, 1932, l'organisation social-démocrate des étudiants danois invita Trotsky à faire une conférence sur la révolution russe. Jugeant difficile, sans doute, d'opposer un refus aux étudiants, le gouvernement danois accorda à Trotsky un visa pour le Danemark, valable pour huit jours. Parti de Stamboul le 14 novembre 1932, L. Trotsky (après avoir traversé la France) arrivait le 23 novembre au Danemark. Trotsky resta huit jours à Copenhague ; il quitta cette ville le 2 décembre dans la matinée, pour retourner de nouveau à Stamboul, en passant par la France.

L'acte d'accusation et le verdict disent que Trotsky a mené une activité terroriste pendant cinq ans environ (de 1931 à 1936). Pendant ces cinq années, Trotsky a passé à Copenhague huit jours en tout. Mais, par quelque coïncidence étrange, tous les « terroristes » qui se seraient rencontrés avec Trotsky (Goltzman, Berman-Iourine, Fritz David) ont — tout à fait indépendamment l'un de l'autre — choisi pour lieu de leur entrevue avec Trotsky précisément Copenhague, et pour moment la même semaine, celle du 23 novembre au 2 décembre 1932. On n'a mentionné au cours du procès aucune autre entrevue dans aucune autre ville.

Une seule semaine d'activité « terroriste » pendant cinq années ! Ce seul fait provoque l'étonnement. L'explication en est simple. Copenhague fut choisi par les juges d'instruction de la Guépéou par convenance personnelle. La ville est proche de Berlin, il est facile d'y aller, et surtout les dates et les circonstances du séjour de Trotsky à Copenhague étaient dans toute la presse. Cela donnait aux juges d'instruction de la Guépéou les « matériaux » nécessaires. Des entrevues à Stamboul ou dans les petits villages perdus de France, où Trotsky a vécu dans ces années-là, représentaient pour la Guépéou un exercice vraiment trop dangereux. Le manque de « matériaux » augmentait le risque de fiasco.

Ayant choisi Copenhague, la Guépéou y « dirigea » non seulement les « terroristes » Goltzman, Berman-Iourine et Fritz David, mais aussi Sédov. Voici ce que raconte Goltzman sur son voyage à Copenhague : « Sédov me dit... qu'il serait bon que vous alliez avec moi à Copenhague (pour voir Trotsky)... Je consentis, mais je lui déclarai qu'il nous était impossible de voyager ensemble pour des motifs de conspiration. Je convins avec Sédov que dans deux ou trois jours j'arriverais à Copenhague, que je m'y arrêterais à l'hôtel Bristol et que c'est là que nous nous rencontrerions. De la gare, je me suis rendu directement à l'hôtel et j'ai trouvé Sédov dans le hall »[62].

Cette relation est fort séduisante par les faits matériels, si rares à ce procès, qu'elle apporte. En particulier, elle nomme même l'hôtel Bristol, dans le hall duquel Goltzman et Sédov se seraient rencontrés. Le malheur est qu'IL N'EXISTE PAS D'HÔTEL BRISTOL À COPENHAGUE. Cet hôtel a existé, mais il fut fermé en 1917 et l'édifice même en fut détruit.[63]

Il est possible que Goltzman ou quelque agent instructeur soit allé à Copenhague avant la révolution et soit descendu à l'hôtel Bristol. Il est possible que les juges d'instruction se soient tout simplement dit qu'il n'y a pas de grande ville en Europe sans hôtel Bristol. Tout est possible... Mais les juges d'instruction, incapables et fainéants, auraient mieux fait de se donner la peine de vérifier. Voilà bien là du « sabotage » ! Et que reste-t-il après cela des dépositions de Goltzman, principal témoin de l'accusation, si séduisantes par leurs détails ? Ce seul fait ne jette-t-il pas une vive lumière sur out le procès ?

Le voyage de Sédov à Copenhague[modifier le wikicode]

Mais ce n'est pas tout. Goltzman, on veint de le voir, a dû dire qu'il n'était pas allé seul à Copenhague ; Sédov aussi y serait venu. Décrivant les circonstances de son entretien avec Trotsky, Goltzman communique de nouveaux détails fort intéressants : « Sédov, le fils de Trotsky, entrait ou sortait fréquemment de la chambre. »[64] OR, SÉDOV N'A JAMAIS ÉTÉ DE SA VIE À COPENHAGUE. Cela paraît presque incroyable. Mais ce n'en est pas moins un fait. En effet, Sédov, pour avoir la possibilité d'aller de Berlin à Copenhague où il résidait alors, de vait obtenir de la Préfecture de police de Berlin un visa de sortie et de retour en Allemagne (ce qu'on appelle Sichtvermerk). L'obtention d'un tel visa entraîne d'ordinaire pour un heimatlos de grandes difficultés.

Quand il apparut que L. Trotsky irait à Copenhague, Sédov entreprit immédiatement — par l'entremise de son avocat, Oskar Cohn, aujourd'hui décédé — des démarches pour obtenir l'autorisation de sortir d'Allemagne et d'y rentrer, espérant obtenir ensuite sans peine le visa danois. Comme il avait été primitivement supposé que le visa danois de Trotsky lui serait prolongé de quelques semaines, pour lui permettre de se soigner, le retard apporté par la Préfecture de police de Berlin n'inquiéta dans les premiers jours ni Sédov ni ses parents. Or, à l'expiration du délai de huit jours, le gouvernement danois, de façon assez inattendue, intima l'ordre à Trotsky sous une forme brutale de quitter le territoire danois. Il ne restait à Sédov aucune possibilité de se rencontrer avec ses parents à Copenhague. Une dernière tentative de se voir fut faite lors du court moment que Trotsky devait passer en France, en allant de Copenhague à Stamboul (Dunkerque-Marseille via Paris). Natalia Trotsky adressa un télégramme circonstancié à Edouard Herriot, alors président du Conseil, le priant d'accorder à son fils, Sédov, l'autorisation de venir en France pour quelques jours au plus, afin qu'ils pussent se voir, après une séparation de quelques années. On peut trouver ce télégramme dans les archives du ministère des Affaires étrangères. Sédov, de son côté, avec le concours d'Oskar Cohn, avait enfin obtenu de la Préfecture de police de Berlin l'autorisation de sortir d'Allemagne et d'y rentrer, sans laquelle il ne pouvait obtenir de visa français. Le 3 décembre 1932[65], Sédov recevait l'autorisation demandée et le même jour le consulat français à Berlin recevait l'ordre télégraphique d'accorder à Sédov un visa de séjour en France, valable pour cinq jours. Le 4 décembre au soir, Sédov arrivait à Paris. Le 6 décembre à 10 heures du matin, il se rencontrait à Paris, à la gare du Nord, dans le train, avec Trotsky qui, sans s'arrêter à Paris, allait de Dunkerque à Marseille. Tout cela peut être vérifié sur la base des documents suivants : 1° le passeport de Sédov avec les visas correspondants, les cachets de passage à la frontière franco-allemande à l'aller et au retour, 2° le télégramme de Natalia Trotsky à Herriot, le priant d'accorder un visa à son fils qui n'avait pu venir à Copenhague, 3° les autorités danoises certifieront que Sédov n'a jamais demandé ni obtenu de visa pour le Danemark.

Mais, pourra-t-on dire, Sédov est peut-être allé au Danemark « illégalement » ? Admettons-le. Mais alors on se demande pourquoi, après avoir réussi à se rencontrer à Copenhague avec ses parents, en y étant allé illégalement, il serait parti quelques jours plus tard en France pour une nouvelle entrevue avec eux, voyage qui offrait de telles complications (télégramme à Herriot, etc.) !

Nous avous aussi des preuves irréfutables du fait que pendant le séjour de Trotsky à Copenhague, Sédov est resté sans interruption à Berlin.

  1. Pendant ces huit jours, Trotsky et sa femme parlèrent presque quotidiennement, et parfois deux fois par jour, par téléphone avec Sédov, en appelant de Copenhague le numéro de l'appartement de Sédov à Berlin. Cela peut être établi — et sera établi — par le central téléphonique de Copenhague.
  2. Comme le voyage de Trotsky de Stamboul à Copenhague soulevait la haine furieuse de la réaction mondiale, un certain nombre d'amis et de compagnons d'idées de Trotsky se hâtèrent d'aller à Copenhague. Il y eut plus de 20 personnes. Toutes confirmeront sous la foi du serment que L. Sédov n'a jamais été à Copenhague. Nous nous permettrons de nous arrêter sur l'une de ces dépositions. Son auteur est E. Bauer, déjà cité par nous, maintenant membre de la direction du S.A.P. (Parti ouvrier socialiste d'Allemagne), dans le passé membre de l'opposition de gauche allemande. En septembre 1934, à la suite de désaccords politiques graves, E. Bauer rompit avec l'organisation des bolchéviks-léninistes ; cette rupture souleva d'ailleurs en son temps une polémique fort vive. Depuis lors, E. Bauer n'a eu aucun rapport ni politique ni personnel avec les membres de l'organisation trotskiste. « C'est pourquoi, — comme il l'écrit dans sa déposition, — il ne peut être question de ma part de quelque partialité en faveur des trotskistes. » Il écrit ensuite : « Depuis le premier jour du séjour de Trotsky à Copenhague, j'ai parlé quotidiennement avec Sédov à Berlin soit directement, soit par téléphone, car il s'agissait de mon voyage projeté à Copenhague. Le 1er décembre 1932 au soir, je suis parti pour Copenhague. Sédov m'accompagna à la gare et... resta à Berlin. Le 2 décembre au matin, nous (Bauer et une autre personne) arrivions à Copenhague... et deux heures plus tard, entre 10 et 11 heures du matin, je partais de Copenhague en automobile avec L. Trotsky et sa femme ; Sédov n'était pas avec nous, son voyage avait été impossible pour des raisons matérielles. »

Nous avons à notre disposition uen dizaine de dépositions semblables et nous en aurons encore d'autres. Nous sommes prêts à soumettre immédiatement tous ces matériaux à une commission responsable ou à un tribunal qui entreprendrait une enquête sur cette affaire.

Voilà ce qu'il reste des dépositions du principal témoin, Goltzman. Lui était, malgré tout, un vieux bolchévik ; mais est-ce la peine de s'arrêter sur les dépositions d'aventuriers, d'agents stalinistes tels que Berman-Iourine et Fritz David ? Ni Trotsky ni Sédov — répétons-le — n'ont jamais vu de leurs yeux ces gens-là, ni à Copenhague, ni ailleurs ; ils apprirent pour la première fois leur existence par les informations sur le procès de Moscou.

* * *

Nous avons déjà noté plus haut qu'au moment du séjour de L. Trotsky à Copenhague, il y avait là-bas plusieurs dizaines d'amis et de camarades. Craignant des incidents possibles, ces camarades avaient organisé une garde très sérieuse autour de Trotsky. Il était impossible de pénétrer dans le cabinet de travail de L. Trotsky autrement qu'en passant à travers une autre pièce, où se trouvaient en permanence quatre à cinq camarades. L'accès de la petite villa occupée par Trotsky à Copenhague n'était permis qu'à quelques proches amis[66]. Ni Berman-Iourine, ni Fritz David, ni personne d'autre n'aurait pu parvenir à Trotsky sans être connu des camarades de faction dans la première pièce.

Par les enquêtes préliminiaires, mais absolument précises, menées par les camarades qui furent à Copenhague, on a pu établir que Trotsky ne reçut à Copenhague qu'une seule personne parlant russe.

C'était un certain Abraham Sénine (Sobolévitch), alors citoyen lituanien et membre de l'organisation berlinoise de l'opposition. Il vint voir Trotsky le dernier jour de son séjour à Copenhague (en même temps qu'E. Bauer) et ne parla pas avec Trotsky plus d'une heure, dans une hâte extrême avant un départ brusqué. Le voyage de Sénine à Copenhague avait eu lieu sur l'insistance d'un certain nombre d'amis berlinois de L. Trotsky ; ils avaient voulu faire une dernière tentative pour sauver Sénine de la capitulation devant les stalinistes, dont il se rapprochait de plus en plus. La tentative ne fut pas couronnée de succès ; quelques semaines plus tard, Sénine, avec trois ou quatre amis, passait aux stalinistes, fait sur lequel il parut alors des informations dans la presse staliniste et oppositionnelle. Par le caratère même de la rencontre de L. Trotsky avec le semi-capitulard Sénine, il est absolument évident que Trotsky ne pouvait nourrir aucune confiance pour Sénine et ne pouvait plus le considérer comme un camarade d'idées.

* * *

En conclusion, nous devons nous arrêter encore sur une déposition d'Olberg qui se rapporte à Copenhague. « J'avais l'intention, dit Olberg, d'aller à Copenhague avec Sédov pour voir Trotsky. Notre voyage ne réussit pas et c'est la femme de Sédov, Suzanne, qui partit pour Copenhague. A son retour, elle apporta une lettre[67] de Trotsky adressée à Sédov et dans laquelle Trotsky consentait à mon voyage en U.R.S.S. »[68].

Il faut noter avant tout ceci : en affirmant que son voyage à Copenhague avec Sédov n'a pas eu lieu, Olberg est en contradiction avec Goltzman. Car si l'on admettait que Sédov fût allé à Copenhague sans Olberg, pourquoi donc Trotsky aurait-il remis une lettre pour Sédov à la compagne de celui-ci, comme le prétend Olberg ?

Ensuite, personne n'est obligé de connaître le nom de la compagne de Sédov, mais Olberg, qui prétend être en intimité complète avec ce dernier[69], aurait dû savoir que la compagne de Sédov ne s'appelle pas Suzanne. De plus, Olberg, comme nous venons de le voir, affirme que cette même Suzanne « à son retour (de Copenhague à Berlin) apporta une lettre de Trotsky »[70] à Sédov. La compagne de Sédov fut réellement à Copenhague[71], mais de là elle partit non pas pour Berlin, mais directement pour Paris, où elle resta assez longtemps. Ce fait peut être établi de façon absolument précise sur la base du passeport de la compagne de Sédov. Il est absolument évident que Trotsky ne pouvait remettre à la compagne de Sédov, qui partait pour Paris une lettre pour Sédov qui se trouvait à Berlin. Mais, peut-on nous rétorquer de nouveau, peut-être la compagne de Sédov est-elle allée malgré tout illégalement à Berlin. Les « voyages illégaux » ne sont pas du romantisme, c'est une triste nécessité pour ceux qui n'ont pas de papiers. Mais pourquoi une personne qui a un excellent passeport légal pour tous pays, pour la majorité desquels elle n'a même pas besoin de visa, voyagerait-elle illégalement ? Ce n'est pas sérieux !

* * *

Voilà ce qu'il en est du « centre terroriste à l'étranger » de Copenhague, seule ville d'Europe mentionnée au procès. Outre la bassesse, quelle pauvreté dans l'invention ! Quel pitoyable effondrement !

La « liaison » de Trotsky avec les inculpés[modifier le wikicode]

Au procès, les liaisons suivantes de L. Trotsky avec les inculpés ont été considérées comme établies :

  1. Avec Smirnov et Goltzman, par l'intermédiaire de Sédov, et avec Goltzman, directement à Copenhague ;
  2. Avec Dreitzer, par l'intermédiaire de Sédov et par une liaison épistolaire directe ;
  3. Avec Berman-Iourine et Fritz David ;
  4. Avec Olberg, par l'intermédiaire de Sédov ;
  5. Avec M. Lourié, par l'intermédiaire de Ruth Fischer-Maslow.

Pour aider le lecteur à se retrouver dans cette questions, nous donnons un schéma de ces liaisons. Le schéma est tracé, bien entendu, sur la base des données au procès et non pas suivant la réalité.

Smirnov et Goltzman[modifier le wikicode]

Le 5 août 1936, c'est-à-dire quelques jours avant le commencement du procès, I.N. Smirnov était brisé. Il avait résisté jusqu'alors. Vychinski raconte que la déposition de Smirnov ne contentait « que ces mots : je le nie, je le nie encore, je nie »[72] : ainsi, I.N. Smirnov entra dans la voie des faux aveux. Relatant sa rencontre avec Sédov à Berlin, il dit : « Au cours de notre entretien, L. Sédov, analysant la situation en Union soviétique, a exprimé son opinion personnelle que, dans les conditions actuelles, ce n'était qu'en supprimant par la violence les dirigeants du P.C. De l'U.R.S.S. et du gouvernement soviétique que l'on pouvait amener un changement dans la situation générale du pays »[73]. Mais ce faux témoignage ne suffit pas à Staline. On exige de Smirnov des formulations plus « nettes ». Il se passe encore une semaine, une semaine de terribles souffrances morales, et le 13 août, à la veille de la signature par le procureur de l'acte d'accusation, Smirnov cède définitivement : « Je reconnais que l'orientation vers la terreur en tant qu'unique moyen capable de changer la situation en Union soviétique m'était connue à la suite d'un entretien avec Sédov en 1931 à Berlin, comme étant sa position personnelle »[74].

Dans tout cela, évidemment, il n'y a pas un seul mot de vrai. La vérité est que, en juillet 1931, Sédov rencontra, tout à fait par hasard, I.N. Smirnov dans un grand magasin de nouveautés de Berlin, le « Kadévé ». I.N. Smirnov avait intimement connu Sédov pendant de longues années. Après une seconde de trouble, I.N. Smirnov accepta de se rencontrer avec lui et de lui parler. La rencontre eut lieu. Au cours de l'entretien, il apparut que I.N. Smirnov se trouvait depuis déjà longtemps à Berlin, mais qu'il n'avait fait aucune tentative d'entrer en rapports avec l'opposition et qu'il n'aurait pas fait cette tentative, s'il n'y avait pas eu la rencontre fortuite dans le grand magasin « Kadévé ». Ce fait est indirectement confirmé par le compte-rendu même du procès, d'après lequel I.N. Smirnov arriva à Berlin en mai 1931. Or, la rencontre de Sédov et de Smirnov n'eut lieu qu'en juillet (si Smirnov, comme veut le faire croire l'accusation, était venu à Berlin avec le but spécial de se mettre en rapports avec Trotsky, on ne comprend pas pourquoi, arrivé en mai, il aurait attendu, c'est-à-dire perdu, deux mois).

Les interlocuteurs échangèrent tout d'abord des informations. Au cours de l'entretien, I.N. Smirnov, sans s'arrêter directement à la question de sa rupture avec l'opposition, insista sur le fait qu'entre L. Trotsky et lui il y avait avant tout le désaccord suivant : lui, Smirnov, ne partageait pas le point de vue de Trotsky sur la nécessité de mener en U.R.S.S. un travail politique. Par là, Smirnov voulait en quelque sorte expliquer et justifier sa rupture avec l'opposition. Smirnov pensait que les conditions présentes en U.R.S.S. ne permettaient de mener aucun travail oppositionnel et qu'en tout cas il fallait attendre que ces conditions changent. Trait caractéristique : en parlant de l'opposition, Smirnov disait vous et non pas nous, votre point de vue, vos camarades, etc. Sans même qu'il y ait eu une proposition de la part de Sédov, Smirnov déclara catégoriquement qu'il n'entrerait pas en rapports avec les bolchéviks-léninistes en U.R.S.S. Il n'y a pas lieu ici de polémiser avec le point de vue de Smirnov, mais combien tout cela est loin du « terrorisme » et de la « représentation »[75] de Trotsky en U.R.S.S. ! Dans les questions politiques, les interlocuteurs établirent que leurs points de vue étaient assez proches, quoique I.N. Smirnov ne l'ait pas exprimé catégoriquement, abordant en général les questions politiques d'un point de vue de contemplation passive. A la fin de l'entretien, il fut seulement entendu que, si la possibilité s'en présentait, I.N. Smirnov transmettrait sur la situation économique et politique de l'U.R.S.S. Des informations, à l'aide desquelles on pourrait ici, à l'étranger, s'orienter de façon plus juste dans les questions russes. Mais à cet égard non plus, I.N. Smirnov ne prit sur lui aucun engagement. Est-ce la peine de démentir qu'il y ait eu des entretiens et des « instructions » « terroristes » ? Notons seulement en passant l'absurdité du fait que Sédov ait pu donner personnellement des « instructions » à I.N. Smirnov, vieux bolchévik, l'un des pionniers du parti, et qui aurait pu être le père de Sédov. Mais peut-être Sédov transmit-il ces « instructions » au nom de Trotsky ? Smirnov lui-même l'a nié, et nié catégoriquement, devant le tribunal.

Ainsi, la rencontre eut un caractère fortuit, semi-personnel et se plaçait en tout cas et se plaçait en tout cas en dehors de rapports d'organisation quels qu'ils fussent. L'intérêt principal de cette rencontre fut de donner la possibilité d'un contact personnel immédiat avec un homme qui avait récemment quitté l'U.R.S.S. Pour saisir la réalité soviétique, une semblable rencontre personelle était plus précieuses que des dizaines d'articles, même les meilleurs.

Pendant plus de quatre années, on n'eut aucune nouvelle de I.N. Smirnov. Il semblait que cette rencontre fortuite avec lui n'aurait aucune conséquence, pas même l'envoi de quelques bribes de nouvelles.

Et soudain, en automne 1932, un employé soviétique qui arrive d'U.R.S.S. À Berlin recherche Sédov. C'était Goltzman. Il communiqua que I.N. Smirnov, avec qui il était personnellement lié, ayant appris son départ à l'étranger pour des raisons de travail, l'avait prié de rendre visite à Sédov à Berlin.

Goltzman lui-même n'avait jamais été un oppositionnel actif, quoiqu'il ait eu de la sympathie pour l'opposition. Il était un représentant assez typique de cette couche de vieux bolchéviks qu'au sein de l'opposition on appelait les « libéraux ». Hommes honnêtes, il sympathisaient à demi avec l'opposition, mais étaient incapables de lutter contre l'appareil staliniste ; ils s'étaient habitués à ne pas exprimer ouvertement leur pensée, s'adaptaient à l'appareil, grognaient dans leur coin et étaient prêts à rendre un service à un oppositionnel isolé, surtout exilé. Goltzman ne venait pas au nom de l'organisation de l'opposition de gauche, avec laquelle il n'avait, de même que I.N. Smirnov, aucune liaison, ni au nom de quelque autre groupe, car il n'en existait pas (et d'autant moins au nom d'un « centre »!) Mais il se présenta de la part de I.N. Smirnov personnellement. Smirnov lui avait demandé de raconter à Sédov ce qui se passait en Union soviétique et de lui transmetttre une courte lettre, consacrée à la situation économique de l'U.R.S.S. Cette lettre, sous forme d'article, fut imprimée dans le Bulletin de l'opposition (n° 31, de novembre 1932). Cet article contenait de nombreux matériaux de statistique et de faits et avait un caractère purement informatif.

Ce fut le seul document transmis par Goltzman. Quant au reste, il se borna à des informations verbales sur la situation en U.R.S.S., sur l'état des esprits, etc. Sur la base de ces informations, la rédaction du Bulletin composa une correspondance de Moscou, qui parut dans le même numéro (n° 31).

Par tout le caractère de ces rencontres, il est absolument évident que Goltzman ne reçut ni « instructions » ni lettre, et qu'il n'en demanda pas non plus. S'il emporta avec lui en U.R.S.S. des matériaux quelconques, cela ne pouvait être que le Bulletin.

Son désir était de prendre attentivement connaissance du point de vue de Trotsky, de ses appréciations des questions russes en particulier, afin d'être en état d'en informer Smirnov.

Bientôt Goltzman retourna en U.R.S.S. Il n'alla pas à Copenhague et ne vit pas Trotsky. (Sur ce point, voir le chapitre « Copenhague »).

Mais comme pour les buts de la Guépéou, cette entrevue de Goltzman avec Sédov ne donnait rien, elle força Goltzman à avouer un prétendu voyage à Copenhague, pour donner par là plus de poids à toute l'accusation, en liant directement Goltzman à Trotsky. Nous avons déjà vu par quel pitoyable effondrement s'est terminée cette tentative.

Ces deux faits, les entrevues de Smirnov et de Goltzman avec Sédov, sont les seules gouttes de vérité dans la mer de mensonges du procès de Moscou. Les seules ! Tout le reste est mensonge, mensonge d'un bout à l'autre.

Mais que démontre le fait même des rencontres de Smirnov et de Goltzman avec Sédov ? Il démontre qu'il y a eu des rencontres et rien de plus.

* * *

Le 1er janvier 1933, I.N. Smirnov était arrêté. C'est aussi à la même époque, peut-être un peu auparavant, que fut arrêté Goltzman. Smirnov fut condamné par la Guépépéou à dix années d'isolateur « pour liaison avec l'opposition à l'étranger ». Sans aucun doute, Staline et la Guépéou connaissaient déjà à ce moment-là, au début de 1933, toutes les circonstances de la rencontre de I.N. Smirnov avec Sédov, car I.N. Smirnov n'avait rien à cacher. Smirnov fut arrêté seul. Aucun de ses ais intimes (Safonova, Mratchkovski, etc.) ne fut arrêté ; quelques-uns d'entre eux furent seulement déportés. Ce seul fait montre que la Guépépou — à la suite de l'instruction sur l'affaire Smirnov — jugeait établi que sa liaison « avec l'étranger » avait eu un caractère purement individuel, qu'il n'existait aucun « centre » ou groupe organisé autour de Smirnov. Sinon, les arrestations auraient été beaucoup plus étendues et ce n'est pas Smirnov seulement qui aurait été condamné à l'internement dans un isolateur.

D'autre part, si la « liaison » avec Smirnov avait eu un caractère organisationnel, après l'arrestation de I.N. Smirnov, cette liaison aurait dû passer automatiquement dans les mains de quelqu'un d'autre. Or, des données judiciaires elles-mêmes, il découle de toute évidence que la « liaison » n'a existé qu'avec Smirnov et qu'après son arrestation elle cessa.

Cela n'a pas empêché Staline, trois ans et demi après l'arrestation de Smirnov, de monter sur cette malheureuse rencontre, qui avait déjà valu à Smirnov une condamnation à dix années d'isolateur, une nouvelle affaire sur un centre et une activité terroristes et de fusiller Smirnov.

* * *

L'acte d'accusation ne mentionne qu'une seule fois et encore en passant, le nom de Goltzman. Il aurait reçu de Trotsky des instructions, lors d'une rencontre personnelle. Au cours de tout le procès, on parle de Goltzman comme de quelqu'un qui a reçu des instructions terroristes. Pendant le procès, il n'est pas dit une seule fois que Goltzman aurait transmis ces instructions à Smirnov, unique accusé avec qui Goltzman fût lié. Goltzman personnellement nia catégoriquement le fait d'avoir transmis des « instructions ». Celui qui est mentionné comme ayant transmis les instructions de Trotsky sur la terreur, ce n'est pas Goltzman, mais I. Gaven, qui aurait personnellement reçu de Trotsky des instructions terroristes et les aurait transmises à I.N. Smirnov. C'est de Gaven, comme de l'unique personne qui ait transmis des instructions terroristes de Trotsky au Centre unifié que parle l'acte d'accusation et c'est Gaven seulement que citent les dépositions de Smirnov, Mratchkovski, Safonova, etc. C'est lui aussi que le procureur Vychinski mentionne cinq ou six fois dans son réquisitoire. Il n'y a aucune déposition au procès sur le fait que Goltzman aurait transmis des instructions terroristes de Trotsky. Cependant, l'affaire Gaven est, on ne sait pourquoi, « réservée », et il n'est pas cité devant le tribunal, ne fût-ce que comme témoin. Mais Goltzman est fusillé pour des instructions qu'il a soi-disant reçues, mais qu'il n'a transmises à personne. Gaven, et non Goltzman, telle est la version soutenue tout au long du procès.

Or, dans le verdict, c'est tout le contraire ; le nom de Gavec n'est même pas mentionné et c'est Goltzman qui est cité comme ayant transmis les instructions de Trotsky sur la terreur au Centre unifié. Cet imbroglio était inévitable, car il découle de tout le caractère du procès, grossière et impudente machination policière.

Faut-il répéter que Trotsky n'a pas transmis par l'intermédiaire de I. Gaven, pas plus que par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre, des instructions terroristes et ne s'est pas rencontré à l'étranger avec Gaven, pas plus qu'il ne s'est rencontré avec aucun des accusés ?

La lettre de Trotsky à Dreitzer[modifier le wikicode]

Comme on le sait, l'accusation ne disposait au procès d'aucune preuve matérielle, d'aucun document ou lettre authentique. Pour combler cette lacune, il est cité dans l'affaire quoique de mémoire, mais entre guillemets, une « lettre » de Trotsky à Dreitzer et à Mratchkovski, dont l'original, bien entendu, fait défaut.

Cette histoire commence par le voyage de Dreitzer à Berlin (automne 1931), où il « s'est rencontré à deux reprises dans un café de la Leipzigstrasse avec Sédov, le fils de Trotsky. Sédov lui dit alors que les directives de Trotsky seraient expédiées plus tard ».[76]

Pure invention. Non seulement Sédov ne s'est jamais rencontré avec Dreitzer à Berlin, mais il ne s'est même jamais rencontré avec lui et ils ne se connaissaient pas personnellement l'un l'autre. (Pour ceux qui connaissent Berlin, notons entre parenthèses qu'un café de la Leipzigerstrasse est un endroit fort peu indiqué pour des entrevues conspiratives).

Les trois lignes citées plus haut, c'est tout ce que Dreitzer communique de son entrevue de Berlin. Il n'y a pas eu d' « instructions ». Il n'y a pas eu non plus d'entretiens sur la terreur. On se demande pourquoi la Guépéou avait besoin d' « envoyer » Dreitzer à Berlin. Nous allons le voir maintenant. Sautant par-dessus trois années, Dreitzer indique ensuite qu' « en octobre 1934, la sœur de Dreitzer lui apporta de Varsovie une revue de cinéma allemande qu'un agent (?) de Sédov lui avait transmise. Dreitzer trouve facilement dans cette revue, — comme il s'était entendu à Berlin avec Sédov (voilà la clé de l'énigme ! On comprend maintenant pourquoi la Guépéou avait imaginé l'entrevue de Berlin) — une lettre écrite de la main de Trotsky à l'encre chimique et qui contenait la directive d'avoir à procéder sans retard aux préparatifs et à la réalisation d'actes terroristes contre Staline et Vorochilov. Dreitzer a fait parvenir immédiatement cette lettre à Mratchkovski, qui, après en avoir pris connaissance, l'a brûlée pour des motifs de conspiration ».[77]

Il n'est pas sans intérêt de noter avant tout que cette déposition si importante de Dreitzer ne fut faite qu'après de nombreuses semaines, et peut-être de nombreux mois, d'interrogatoire (dans le dossier de ses dépositions, elle porte le numéro des pages 102 et 103). Il a fallu 100 pages d'aveux extorqués pour lui « rappeler » ce fait si important.

La lettre avait été envoyée de Varsovie. Ni Trotsky, ni Sédov n'ont jamais été à Varsovie. Par quelle voie la sœur inconnue de Dreitzer (pourquoi n'est-elle pas citée comme témoin?) avait-elle reçu cette lettre si conspirative de Trotsky, écrite de sa main, par l'intermédiaire de qui, venant de qui, dans quelles circonstances ? Fort raisonnablement, on ne nous dit pas un mot de tout cela. Si l'on admet ab absurdo que Trotsky ait réellement pu écrire une lettre contenant la directive d'assassiner Staline, il est malgré tout impossible d'admettre que Trotsky ait été assez imprudent pour confier une telle lettre à une sœur de Dreitzer absolument inconnue de lui, et de plus, l'écrire de sa propre main, comme s'il faisait exprès de donner à la Guépéou une preuve accablante contre lui. La lettre n'était même pas chiffrée ![78] Cette façon d'agir est digne d'un collégien terroriste, mais non pas d'un vieux révolutionnaire ayant de l'expérience dans les affaires conspiratives. Si la Guépéou n'a pu se procurer la lettre, c'est uniquement parce qu'elle n'a jamais été écrite.

Dreitzer raconte ensuite qu'ayant reçu la lettre à Moscou, il en prit connaissance. La lettre avait été écrite à l'encre chimique, de sorte que pour la lire, elle avait dû être révéléee. Après avoir révélé et lu la lettre, Dreitzer l'envoya à Mratchkovski alors au Kazakhstan. Comment conviendrait-il d'opérer en pareil cas ? Il faudrait écrire de nouveau la lettre, à l'encre chimique, sans même parler du chiffre. Et comment opère Dreitzer ?

Mratchkovski insique « qu'en décembre 1934, alors qu'il était au Kazakhstan, il avait reçu de Dreitzer une lettre de Trotsky écirte à l'encre chimique... Mratchkovski fait remarquer qu'il connaître très bien l'écriture de Trotsky et qu'il n'a aucun doute que la lettre ait été écrite effectivement par celui-ci. »[79]

Ces détails présentent un énorme intérêt. Il s'avère que Dreitzer n'a pas recopié la lettre de Trotsky, mais en envoyé à Mratchkovski l'original révélé par lui. Dreitzer envoie à Mratchkovski au Kazakhstan une reveu étrangère, dans les marges de laquelle, tout à fait ouvertement, comme si elle était écrite à l'encre ordinaire, on peut lire une lettre de la main de Trotsky, et quelle lettre ! Une lettre qui appelle à l'assassinat de Staline et de Vorochilov !

Dans toute l'histoire de la lutte révolutionnaire, sans aucun doute, il n'y a encore jamais eu chose semblable, une lettre chimique révélée, et de quel contenu ! est expédiée tout à fait ouvertement à des milliers de kilomètres. Ce cas serait sans exemple dans l'histoire de la correspondance illégale. Ce serait, disons-nous, car cela n'a pas eu lieu. Mais « il y a eu » quelque chose de plus fantastique encore. Il s'avère que Mratchkovski a reçu l'original de la lettre de Trotsky (« écrite à l'encre chimique ») non révélé. Ainsi, il s'est produit en cours de route une transformation miraculeuse : Dreitzer avait envoyé la lettre révélée, et quand Mratchkovski la reçut, elle n'était plus révélée ! Rien de tel ne ss'est jamais produit non seulement dans la pratique révolutionnaire, mais encore dans la nature.

Non, quels incapables, ces gens de la Guépéou ; ils ne savent même pas mentir proprement !

Mais il faut encore dire quelques mots du contenu de ce faux grossier.

Au cours du procès, il fut donné deux variantes de cette lettre : d'après les « souvenirs », l'une, de Dreitzer, l'autre, de Mratchkovski. Les deux variantes, apparemment semblables, diffèrent sur un poit essentiel. Dans la variante de Mratchkovski, il est dit que Trotsky donnait l'indication qu' « en cas de guerre, on doit occuper une position défaitiste »[80]. Chez Dreitzer, qu'il faut « en cas de guerre, profiter de tous les échecs... »[81]

L'opposition de gauche s'est toujours irréductiblement maintenue sur la position de la défense inconditionnée de l'U.R.S.S. Dans la variante de Mratchkovski, Trotsky fait dans la lettre un tournant à 180° dans cette question si importante, en prenant une position directement contraire à celle que l'opposition de gauche et Trotsky ont défendue pendant de nombreuses années, ainsi que dans leurs derniers travaux. Ce seul point de la lettre ne pouvait manquer de frapper les destinataires, de s'incruster dans leur mémoire pour toujours, car il eût signifié une rupture avec tout le passé. Cependant, dans une question aussi importante, les dépositions de Mratchkovski et de Dreitzer se contredisent.

De même, il est impossible de ne pas noter que la « lettre » de Trotsky, lettre dans laquelle il proposait d'assassiner Staline et Vorochilov, de prendre une position défaitiste, d'organiser des cellules illégales dans l'armée, comprend en tout de 8 à 9 lignes ! On peut penser qu'une « plate-forme » aussi extravagante aurait eu besion pour le moins de quelques explications. Et encore une chose : si Mratchkovski ou Dreitzer avaient réellement reçu une lettre semblable, il s l'auraient sans aucun doute prise pour une grossière provocation.

Ce faux fabriqué sans talent ni intelligence est bien inférieur, pour ce qui est de sa « qualité », à d'autres modèles de production policière, comme la célèbre « lettre de Zinoviev », sans même parler du bordereau de l'affaire Dreyfus.

* * *

Faisons un court bilan (voir le schéma) :

  1. Berman-Iourine et Fritz David n'étaient liés avec aucun autre inculpé. On n'a pu les impliquer dans le procès qu'au moyen d'un fil ténu, qui les aurait reliés à Trotsky et à Sédov. Nous avons déjà montré que ce « fil » était une production de la Guépéou. Arrachons-le. Berman-Iourine et Fritz David restent suspendus en l'air. Il devient évident qu'ils furent impliqués dans le procès pour faire l'amalgame.
  2. Olberg, en dehors de Sédov, n'est lié à aucun des accusés. Nous avons montré qui était cet Olberg, quel fut le caractère de cette « liaison » qui cessa en 1932. Arrachons ce fil aussi. Olberg reste de même suspendu en l'air. C'est aussi pour l'amalgame qu'il a été impliqué dans le procès.
  3. Moïse Lourié est impliqué dans le procès par l'intermédiaire de Ruth Fischer-Maslow, qui lui auraient transmis, au début de l'année 1933 à Berlin une instruction terroriste de Trotsky. Mais Trotsky dans cette période n'avait aucune liaison avec Ruth Fischer et Maslow, car ils se trouvaient sur des positions politiques différentes. (Cette liaison ne s'est établie qu'en 1934)[82]. Bien entendu, la supposition que Ruth Fischer et Maslow aient trasmis en leur propre nom des « instructions » à Zinoviev est une pure absurdité. Le fil qui relie le scribouilleur anti-trotskiste Moïse Lourié à Trotsky est coupé en deux endroits[83]. Ils se rompent facilement, ces fils pourris !
  4. Dreitzer. Tout le nécessaire a été dit dans ce chapitre sur cette liaison. Arrachons aussi ce fil.
  5. Le fil qui relie directement Trotsky à Goltzman a été rompu dans le chapitre précédent. Il reste le triangle Sédov-Smirnov-Goltzman. Nous l'avons mis, à la différence des autres lignes, en trait plein. Car le fait même des rencontres correspond à la vérité. C'est la seule chose qui soit vraie dans tout le procès. Ces rencontres ont eu lieu en 1931 et en 1932. Par la suite, il n'y eut aucune liaison ; depuis le début de l'année 1933, Smirnov et Goltzman se trouvaient en prison.

Et sur les deux participants à ces rencontres avec Sédov, l'un d'eux, Smirnov, a nié catégoriquement avoir reçu des instructions terroristes de Trotsky : « c'était l'opinion personnelle de Sédov », dit-il ; l'autre, Goltzman, n'a pas transmis d'instructions terroristes et s'est discrédité par l'histoire de son « voyage » à Copenhague. Or, ce sont eux qui devaient démontrer la participation de Trotsky à l'activité terroriste, à l'assassinat de Kirov en particulier. Et le verdict de dire que « L. Trotsky, de l'étranger, a hâté par tous les moyens les préparatifs de l'assassinat de Kirov » (quoique au cours du procès, il n'en avait jamais été question).

Pour nous expliquer pourquoi il était nécessaire d'assassiner un Kirov qui ne jouait aucun rôle indépendant, on nous a déclaré que c'était une vengeance des zinoviévistes, que Kirov avait écrasés à Léningrad. Mais alors que vient faire Trotsky ? Quand Kirov a écrasé les zinoviévistes à Léningrad, ils étaient aussi hostiles à l'opposition de gauche que les stalinistes.

Sur le rôle de Trotsky dans l'assassinat de Kirov, Zinoviev a déposé d'une façon beaucoup plus éloquente : « A mon avis, Bakaïev a raison quand il dit que les vrais et principaux auteurs de l'odieux assassinat de Kirov étaient en premier lieu moi-même, Zinoviev, Trotsky et Kamenev »[84].

Pendant quatre ans, Zinoviev et Trotsky dirigent une action terroriste d'une envergure sans précédent, et Zinoviev, l'un des principaux inculpés, parle du rôle du principal accusé, Trotsky, d'une manière très incertaine (« à mon avis ») et en se référant à une troisième personne.

Sans commentaires.

Sur la base de faits irréfutables, nous avons montré qu'il n'y a eu ni terrorisme ni « centre » ; nous avons aussi montré ce que valent les liaisons de Trotsky avec les inculpés. Du « schéma » staliniste, il ne reste qu'une feuille blanche. Pour la remplir d'un schéma qui correspondrait à la réalité, il suffirait de dessiner deux rectables : un grand : Staline, un autre plus petit : Iagoda. Le procès de Moscou est d'un bout à l'autre leur création.

Vieille chanson, nouvel air[modifier le wikicode]

Peut-on croire un seul instant au bien-fondé de l'information..., suivant laquelle Trotsky, ancien président du Soviet des députés de Pétersbourg en 1905, révolutionnaire qui a servi pendant des dizaines d'années la révolution avec désintéressement, aurait quelque rapport avec un plan financé par le « gouvernement allemand » ? C'est une calomnie manifeste, inouïe, malhonnête lancée contre un révolutionnaire.

Lénine, dans la Pravda du 16 avril 1917.

Il y a une calomnie que l'on ne réfute pas, à côté de laquelle on passe, pour ne pas se salir : C'est la calomnie sur les « liaisons avec la Gestapo ». Mais même celle-ci, ce n'est pas Staline qui l'a inventée. Staline répète servilement la vieille calomnie des impérialistes anglais, russes et autres sur les « espions allemands Lénine et Trotsky », en la modernisant seulement par le mot de Gestapo. Lorsqu'en 1917, la bourgeoisie russe et ses agents Milioukov, Kérenski, etc. s'efforcèrent de calomnier et de noircir le parti bolchévik, parti vers qui tendaient tous les espoirs de la classe ouvrière russe et de larges couches de la paysannerie, ils proclamèrent que ses chefs Lénine et Trotsky étaient des « agents de l'Etat-major allemand ». Si Staline ne fut pas lui-même à ce moment-là au nombre des chefs calomniés (Lénine, Trotsky, Zinoviev), c'est uniquement parce qu'à cette époque héroïque il était trop peu connu et n'était qu'une figure de troisième plan. Le méprisable et pitoyable Kérenski reste au moins fidèle à lui-même quand il écrit aujourd'hui qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que Trotsky et Zinoviev aient eu des relations avec la Gestapo, car, voyez-vous, Lénine, Trotsky et d'autres ont déjà été liés en 1917 avec le général Ludendorff !

Kérenski renoue le fil de sa propre calomnie d'autrefois contre Lénine, Trotsky et Zinoviev à la calomnie d'aujourd'hui lancée par Staline contre Trotsky et Zinoviev. (Si Lénine n'était pas mort, il aurait été, bien entendu, le premier et le principal agent de la Gestapo.) Combien significative est cette poignée de mains que les deux calomniateurs, Kérenski et Staline, se donnent par-dessus toute une époque : 1917-1936 !

Dans la citation que nous avons donné en épigraphe, Lénine dit dans la Pravda de 1917 que « c'est une calomnie manifeste, inouïe, malhonnête lancée contre un révolutionnaire ». Ces mots sont aujourd'hui d'une plus grande actualité que jamais, mais entre temps, toute la Révolution a passé.

Quand la Pravda écrivait avec indignation ces lignes, Trotsky n'avait pas encore été à côté de Lénine, chef de la révolution d'Octobre, pendant laquelle, selon Staline lui-même, « tout le travail d'organisation pratique de l'insurrection fut mené sous la direction immédiate de Trotsky, président du Soviet de Pétrograd. On peut dire avec certitude que le rapide passage de la garnison du Soviet et l'habile organisation du travail du Comité militaire révolutionnaire, le parti en est avant tout et surtout redevable au camarade Trotsky. » (Article de Staline dans la Pravda du 6 novembre 1918.) Trotsky n'avait pas encore été alors, à côté de Lénine et de Zinoviev, créateur et chef de l'Internationale communiste. Trotsky n'avait pas encore été alors le chef de l'Armée rouge et l'organisateur des victoires de la guerre civile.

Et peut-il exister une meilleure preuve de la confiance de Lénine en Trotsky, et en Trotsky seulement que la « carte blanche » bien connue que lui donna Lénine. En 1919, au plus fort de la guerre civile, Lénine remit le document suivant à L. Trotsky :

Camarades !


Connaissant le caractère rigoureux des prescriptions du camarade Trotsky, je suis tellement persuadé, persuadé à un degré absolu, de la justesse, de l'opportunité et de la nécessité pour la cause, de l'ordre donné par le camarade Trotsky que je confirme intégralement cette prescription.


V. Oulianov-Lénine

Lénine écrivit ces quelques lignes au bas d'une feuille de papier en blanc portant l'en-tête du Président du Conseil des commissaires du peuple (en juillet 1919), afin que Trotsky pût écrire au-dessus de la signature de Lénine toute décision qu'il jugerait nécessaire.

Un journal réactionnaire français, le clérical Echo de Paris, communique déjà que les trotskistes français sont des agents du Reich. L'Humanité se saisit immédiatement de cette découverte. Oh ! il n'y a aucun doute là-dessus, l'Echo de Paris le dit.

Les bolchéviks-léninistes de Pologne sont des agents de la police secrète, proclame la Pravda. Bien sûr ! On ne peut pas les forcer comme Thorez et Duclos à crier « Vive la Pologne » de Pilsudski ! Ils préparent dans la lutte illégale et dans les prisons une nouvelle Pologne, qui ne sera pas la Pologne de Pilsudski. Evidemment, ce sont des agents de la police secrète !

Cet « argument » n'est pas nouveau : Lénine et Liebknecht, Trotsky et Rosa Luxemburg ont eu à le subir. Marx aussi l'a subi : la presse bonapartiste française l'accusait d'être un agent de Bismarck.[85] Eh bien, ce n'est pas une si mauvaise tradition !

Lisez les journaux fascistes allemands, voyez avec quelle rage haineuse ils manifestent pour Trotsky. Ce sont eux qui conseillent de livrer Trotsky à Staline ! Les fascistes allemands ne peuvent pardonner à Trotsky non seulement son rôle révolutionnaire en général, mais aussi sa politique révolutionnaire en Allemagne. Ils savent que c'est Trotsky qui a propagé en Allemagne l'idée du front unique, seule politique qui aurait pu vaincre le fascisme, tandis que Staline ne faisait qu'aider le fascisme, en proclamant que social-démocrate et fascisme étaient des « jumeaux » et que la social-démocratie était le fascisme de gauche. Sans Staline, il n'y aurait pas eu Hitler, ni la Gestapo ! C'est Staline qui a aidé Hitler à s'asseoir sur le dos de la classe ouvrière allemande. Et c'est dans ce sens historique, beaucoup plus profond, que Staline est un agent de la Gestapo, et toutes ses pitoyables machinations policières ne pourront effacer cette terrible responsabilité. Oui, s'il existe aujourd'hui en Allemagne le fascisme et la Gestapo, ils le doivent « avant tout et surtout » à Staline.

Le suicide-assassinat de Bogdan[modifier le wikicode]

Staline ne fusille pas seulement les vieux bolchéviks, il s'ingénie aussi à les faire revenir de l'autre monde. Il n'est pas besoin de rappeler ici le cadavre de Kirov. Mais, dans l'affaire, ce n'est pas l'unique cadavre.

Auprès de Zinoviev avait travaillé pendant de nombreuses années comme secrétaire un vieux membre du parti, Bogdan. Il y a quelques années, Bogdan, exclu du parti, ne supporta pas les persécutions et la répression de Staline et se suicida[86]. Ce suicide produisit en son temps une assez forte impression dans le parti. On parlait de l'impasse dans laquelle Staline poussait les gens qui se permettaient d'avoir une opinion à eux. Mais c'est précisément pourquoi Staline a décidé, sans doute, de mêler le cadavre de Bogdan au procès. Il lui fallait « se venger » de Zinoviev et des autres, qui avaient certainement parlé entre eux de Bogdan comme d'une victime du régime staliniste. C'est à cette fin qu'il fut dit au cours du procès que « le suicide de Bogdan était en somme un assassinat décidé par le centre terroriste... Bakaïev a essayé de persuader Bogdan d'accomplir son attentat contre Staline ou de se suicider. Bogdan se suicida et laissa, comme cela lui avait été prescrit, une lettre dans laquelle il prétendait être victime de l'épuration du parti. »[87].

Le mensonge devient ici délire insensé. Admettons que Bogdan ait dû réellement tenter d'assassiner Staline et que cette tentative, comme on nous l'indique au cours du procès, n'ait pas réussi. Mais pourquoi eût-il fallu le contraindre à se suicider ? En châtiment de l'échec de sa tentative ? Y a-t-il donc eu d'autres « tentatives » qui aient réussi ? Pas une seule ! Pourquoi d'autres ne se sont-ils pas suicidés ? Où et quand a-t-on jamais vu que des terroristes malheureux se soient suicidés sur un ordre reçu d'en haut ? Bogdan laissa même « une lettre dans laquelle il prétendait être victime de l'épuration du parti ». Sans doute, cette « victime de Zinoviev » a-t-elle menti devant la mort... pour causer de l'ennui à Staline. Sur ce « simple » fait tragique, Staline bâtit tout un échafaudage de mensonges qui relèvent de la pathologie. Par moments on croirait lire les Possédés.

Voici l'histoire de ce suicide. Reingold, toujours lui, déclare que « le centre trotskiste-zinoviéviste, s'il avait accédé au pouvoir, pensait anéantir... tous ceux de ses propres partisans ayant pris une part active et immédiate à la terreur »[88]. Cette déposition est le produit des machinations personnelles de Staline. Quiconque connaît quelque peu le « chef bien-aimé » ne saurait en douter. Fusiller ses propres agents, devenus dangereux parce qu'ils en savent trop, c'est bien là sa méthode, la méthode de l'homme que rien n'arrête, sans scrupules dans le choix des moyens et capable de tout. C'est la méthode qu'il a employée lors du procès des 14 (Nikolaïev et autres), où il y eut parmi les fusillés des agents de la Guépéou. C'est aussi la méthode qu'il a employée dans le présent procès. Staline trahit ici sa psychologie. Il impute sa propre bassesse à ses victimes !

Nous savons combien Zinoviev et Kamenev étaient loin du pouvoir. Mais, nous apprend-on, ils n'avaient pas seulement rêvé du pouvoir, pas seulement partagé entre eux les portefeuilles et, en premier lieu, bien entendu, le portefeuille de la Guépéou, mais ils avaient même songé à fusiller ceux de leurs partisans qui en savaient trop long ! Quelle prévoyance ! Sans doute Zinoviev et Kamenev n'avaient-ils aucun autre souci. De plus, il étaient même allés jusqu'à divulguer par avance ces plans, comme pour avertir leurs partisans de ce qui les attendait en cas de succès. Sans doute la Guépéou staliniste devait-elle garder vivants les terroristes qui avaient accompli des assassinats, afin qu'ils puissent être fusillés par la Guépéou zinoviéviste, une fois que Zinoviev aurait pris le pouvoir !

Même des inculpés modèles comme Zinoviev et Kamenev n'ont pas accepté de prendre sur eux cette histoire effarante. « C'est du Jules Verne, dit Zinoviev, ce sont des contes des Mille et Une Nuits. » Le pitre-procureur lui réplique d'une voix faussement pathétique : « Et l'assassinat de Bogdan, secrétaire de Zinoviev, qu'est-ce que c'est, un conte ? »[89]

Mais que vient faire dans tout cela Bogdan ? Le « plan » d'extermination de leurs propres partisans devait être exécuté par Zinoviev et Kamenev après la prise du pouvoir, par l'intermédiaire de la Guépéou, à la tête de laquelle devait être placé Bakaïev. Est-ce que Zinoviev et Kamenev avaient déjà pris le pouvoir ? Et Bakaïev s'était-il approprié la Guépéou ?

Les cheveux se dressent sur la tête, quand on lit cette édition staliniste des Possédés. Jusqu'où est allée la dégénérescence de la révolution russe pour que Staline ait pu mettre en circulation toutes ces monstrueuses impudences au nom de... la justice soviétique ?

Le procureur Vychinski[modifier le wikicode]

Qui fut procureur en face de Zinoviev, de Kamenev et des autres vieux bolchéviks ? Le menchévik Vychinski. Certes, il avait été encore beaucoup moins menchévik que petit avocat provincial qui s'accomodait à merveille du tzarisme. Emporté, comme beaucoup d'autres petits bourgeois, dans la révolution de 1905, Vychinski devint menchévik, mais dès 1907 il se séparait du mouvement ouvrier et revenait à sa vie de philistin. Il y a dans sa biographie officielle de 1907 à 1920 un trou béant. Après la révolution de février, Vychinski reprend de l'activité comme menchévik de droite, il agit, dans le quartier de Zamoskvoretski à Moscou, comme ennemi déclaré du bolchévisme et de la révolution d'Octobre. Après la victoire, Vychinski se décide à se faufiler dans les rangs du bolchévisme. Mais il attend d'abord prudemment les résultats de la guerre civile. Il entre dans le parti communiste en 1920, alors que le pouvoir soviétique a remporté ses victoires, qu'il est solidement assuré et que Vychinski, par conséquent, ne risque plus rien. Entré dans le parti, le futur procureur devient, bien entendu, l'adversaire furieux de toute opposition et est un staliniste fidèle. De même que dans le passé il s'était adapté au tzarisme, il s'adapte maintenant au stalinisme.

Et c'est à cet homme que Staline a confié la mission de diriger l'accusation contre de vieux bolchéviks ! Un ancien menchévik, ennemi du bolchévisme et de la révolution d'Octobre, qui réclame la tête des chefs du bolchévisme et de la révolution d'Octobre ! N'est-ce pas un symbole ? Ce seul fait n'en dit-il pas plus long que tous les discours ? A coup sûr, Vychinski s'est senti à l'aise dans son rôle de procureur thermidorien qui se vengeait du bolchévisme.

Vychinski n'est pas une exception ; Il y a des milliers et des milliers de Vychinski, fidèles sujets de Staline, soutiens du régime. L'ancien ministre du gouvernement blanc patronné par Koltchak, Maïski, est maintenant ambassadeur soviétique à Londres ; l'ancien ministre de Petlioura, Rafès, est l'un des dirigeants de l'Internationale communiste.

En 1917, dans le Dni, le journaliste vénal Zaslavski calomniait avec une haine particulière Lénine et Trotsky, les traitant d'espions allemands. C'est de lui que Lénine a écrit à maintes reprises : « Zaslavski et autres canailles », « plume mercenaire », « maitre-chanteur », « calomniateur ». Ces qualificatifs se rencontrent bien souvent chez Lénine dans ses articles de 1917.

Et qui écrit aujourd'hui dans la Pravda les articles calomnieux qui font de Trotsky un agent d ela Gestapo ? Le même Zaslavski.

Quel symbole, là encore !

Mais revenons à Vychinski. Il commet dans son discours l'imprudence de se hasarder dans des recherches historiques. Pour confondre Kamenev, Vychinski raconte qu'en éditant un livre de Machiavel, « Kamenev... écrivait dans une courte introduction à ce livre... « Maître de l'aphorisme politique et brillant dialecticien... » » Et Vychinski ajoute : « Ce Machiavel est d'après Kamenev un dialecticien ! Ce fripon consommé est, paraît-il, un dialecticien ! »[90].

Citons sur Machiavel quelques appréciations d'hommes dont les œuvres ne sont pas encore interdites en U.R.S.S., mais dont les héritiers révolutionnaires y sont fusillés. Il s'agit de Marx et d'Engels. Marx qualifia l'Histoire de Florence de Machiavel d' « œuvre de maître » (dans une lettre à Engels). Engels écrit de son côté : « Machiavel fut homme d'Etat, historien, poète et en même temps le premier écrivain militaire des temps modernes digne d'être nommé » (1880). Dans un article de la Kölnische Zeitung (n° 179)[91], Marx mentionne Machiavel, à côté de Spinoza, de Rousseau, de Hegel, comme celui qui a découvert les lois du fonctionnement de l'Etat, faisant un parallèle entre cette découverte et la découverte de Copernic ! Il existe encore d'autres appréciations enthousiastes de Marx sur Machiavel : son nom se rencontre souvent dans sa correspondance.

Il semble donc que Marx et Engels de considéraient pas Machiavel comme un « fripon consommé ». Mais même « fripon consommé » ne suffit pas à Vychinski. Comme criminel, Machiavel est « un blanc-bec et un rustaud à côté d'eux (Zinoviev et Kamenev) »[92]. C'est un peu fort ! Et cet imbécile de procureur demande au tribunal de ne pas considérer cette préface de Kamenev au livre de Machiavel « comme une des pièces à conviction » (pourtant, Vychinski n'en avait pas trop.

L'appréciation de Machiavel par Kamenev « a, selon les termes de Vychinski, une certaine importance pour définir le niveau moral ou idéologique, si l'on préfère, de l'accusé Kamenev. »[93]

« Le niveau moral ou idéologique, si l'on préfère ». Mais de qui ? Par ce seul exemple, Vychinski dévoile complétement son propre « niveau idéologique », dans la mesure où cette expression puisse convenir à un tel individu.

Tout le discours de Vychinski s'est strictement maintenu à cette hauteur. Arrêtons-nous seulement à la calomnie qu'il lance, selon laquelle Trotsky aurait à l'égard de l'U.R.S.S. un point de vue défaitiste. Le procureeur invoque les dépositions de Berman-Iourine et de Fritz David, individus archi-suspects. Il n'arrive d'ailleurs à tirer de ces dépositions que quelques phrases, selon lesquelles Trotsky aurait indiqué que la tâche était la décomposition des forces militaires ». Sentant, semble-t-il, lui-même que tout cela est trop mensonger, grossier et stupide, Vychinski ajoute : « Tout cela a peut-être été inventé ? Peut-être Fritz David et Berman-Iourine se sont-ils lancés ici dans des fictions fantaisistes ? Tout cela est peut-être de la fantaisie, un pure invention, des bavardages irresponsables d'accusés qui cherchent à dire le plus de mal possible les uns des autres, afin d'alléger leur propre sort ? »[94]

En soulevant cette délicate question, Vychinski invoque à titre de preuve les « thèses de Clemenceau ». Nous ne savons pas si Clemenceau a jamais écrit de thèses. Ce faible des marxistes n'était sans doute pas dans le caractère du Tigre. Vychinski a certainement en vue, et il dévoile ici de nouveau son « niveau idéologique », ce qu'on appelle la « thèse Clemenceau ». Mais écoutons Vychinski lui-même. Ces thèses mystérieuses de Clemenceau, selon ses termes, parlent « de la nécessité d'attendre, en cas de guerre, que l'ennemi se trouve à une distance de 80 kilomètres de Moscou pour prendre les armes contre le gouvernement soviétique, pour le renverser. »[95]

En réalité, c'est dans un de ses discours au Bureau politique, en 1927, que Trotsky a dit que le danger de guerre ou la guerre n'effacerait nullement les désaccords de l'opposition avec les stalinistes et que la direction staliniste, incapables en temps de paix, dévoilerait son incapacité avec une force encore plus grande en cas de guerre. Trotsky résumait sa pensée dans les termes suivants : « Pour la patrie socialiste ? Oui ! Pour le cours staliniste ? Non ! » Trotsky prit l'exemple de Clemenceau qui au début de la guerre, jusqu'au moment où il devint président du Conseil, ne cessa jamais de critiquer et de combattre durement les gouvernements successifs qu'il accusait d'incapacité dans la conduite de la guerre. Clemenceau renversa le gouvernement et prit le pouvoir. Comme, probablement, le sait aussi Vychinski, Clemenceau ne le prit pas au moyen de l'insurrection armée ou de combats de rues. Il renversa le gouvernement dans les cadres du parlementarisme. Par cette analogie, Trotsky voulait dire que, pour que l'Union soviétique pût vaincre dans la guerre, il était nécessaire de liquider le cours staliniste et d'éliminer la direction staliniste. Bien entendu, dans le cadre de l'ordre constitutionnel soviétique. Si pour Trotsky il s'était agi d'insurrection armée, pourquoi aurait-il tiré exemple de Clemenceau ?

Après avoir invoqué, aussi imprudemment, les « thèses de Clemenceau », Vychinski conclut : « C'est précisément pour cela qu'il faut reconnaître que cette partie de la déclaration de Berman-Iourine et de Fritz David correspond à la réalité. » C'est précisément pour cela qu'il faut reconnaître, dirons-nous, que les dépositions de Berman-Iourine et de Fritz David dans cette partie non plus n ecorrespondent pas à la réalité.

Quant à l'attitude des bolchéviks-léninistes envers la défense de l'U.R.S.S., quiconque lit la presse de l'opposition depuis quelques années n'a pas besoin d'explications supplémentaires de notre part. Il lui suffit de parcourir ce qu'ont édité les bolchéviks-léninistes pour y trouver à chaque page que la défense de l'U.R.S.S. est une obligation absolue, malgré la bureaucratie et ses ignominies, pour tout ouvrier. Indiquons encore que l'opposition de gauche a toujours impitoyablement rompu avec ceux qui laissaient planer une équivoque sur cette question.

Le compromis tragique : contre les aveux, la vie sauve[modifier le wikicode]

Un décret du Comité central exécutif de l'U.R.S.S. Du 1er décembre 1934 établissait une procédure militaire accélérée dans les affaires de terrorisme, sans défenseurs, à huis clos, sans droit d'appel et avec exécution immédiate du verdict. Pour le procès de Moscou, il fut fait une « exception » à ce décret. Formellement, tout fut admis : les avocats, l'appel au Comité central exécutif, l'audience publique. La réalité fut toute autre.

Un avocat tant soit peu indépendant aurait rendu le procès impossible. Aussi les accusés renoncèrent-ils aux avocats, et cet abandon était un de leurs apports dans le « compromis » que Staline avait passé avec eux : pour les aveux, la vie sauve.

La question du droit d'appel a une importance toute particulière. Pourquoi Staline donna-t-il ce droit aux accusés ? Il avait pourtant décidé par avance de les fusiller. L'unique explication de ce fait est celle-ci : en donnant aux accusés, par dérogation au décret spécial du Comité central exécutif, le droit de faire appel, Staline leur offrait une « garantie » du compromis conclu avec eux : pour prix des aveux, la vie sauve.

Or, au tribunal, c'est une comédie qui se joua, avec des rôles distribués à l'avance. Tout avait été convenu auparavant. Les accusés remplirent les conditions imposées, mais Staline les « viola »... Ce fut l'exécution.

* * *

En guise de défenseurs[96], des accusateurs, c'est-à-dire les inculpés eux-mêmes ; en guise de public, une assistance de deux cent agents de la Guépéou, triés sur le volet, au « maintien militaire », comme le communiquaient les correspondants des journaux britanniques. La présence de ce public n'était qu'une nouvelle dérision de Staline à l'égard des accusés.

Cette lie thermidorienne, quoique choisie, n'a pas seulement applaudi les discours du procureur et le verdict, mais elle a ri aussi bien souvent des malheureux accusés... Elle considérait avec délectation l'anéantissement et la fin des anciens chefs du bolchévisme et de la révolution. A eux, à ces thermidoriens comme à Staline, il fallait la fusillade. Les traditions et les idées de la révolution d'Octobre les tourmentent comme un sombre cauchemar, elles les gênent pour construire leur « vie heureuse et sereine ».

Enfin, les juges se retirèrent pour délibérer. Et pour « rédiger » le verdict, préparé depuis longtemps au secrétariat de Staline, il leur fallut sept heures et demie. Encore une nouvelle vengeance misérable et odieuse de Staline : faire souffrir ces hommes, se jouer d'eux aux dernières heures de leur vie. Certes, les accusés avaient le droit de faire appel à la grâce... pour qu'elle ne leur soit pas accordée. Le 24 août, à la nuit, ils furent directement conduits de la salle du tribunal à la mort.

Le procès, non seulement dans son ensemble, mais même dans chaque détail, porte la marque d'une ignominie inhumaine.

Après le procès[modifier le wikicode]

Le procès de Moscou n'est pas terminé, il continue sous des formes nouvelles. L'affaire de la « terreur » est conduite à toute allure. Des dizaines, des centaines de personnes arrêtées en relation avec le procès des vieux bolchéviks remplissent les prisons de l'U.R.S.S. La machine répressive poursuit sa besogne.

On arrête des gens parce qu'ils ont un parent trotskiste, parce qu'il y a une dizaine d'années, ils ont exprimé quelque pensée oppositionnelle. On arrête à Moscou, en Ukraine, au Turkestan, partout. On arrête des écrivains et des économistes, des journalistes et des militaires ; il n'y a pas de grâce pour personne. Boukharine, rédacteur des Izvestia, imprime, dans le journal dont il a la direction, des résolutions qui réclament sa tête ! L'encre du projet de la nouvelle constitution staliniste n'était pas encore sèche que l'un des principaux rédacteurs, Radek, est livré à un autre, Vychinski. Après avoir élaboré la « constitution la plus démocratique du monde », ses auteurs s'evoient l'un l'autre à la guillotine. Le jour même où Radek réclamait dans les colonnes des Izvestia le passage par les armes des accusés et rappelait ses services de délateur (dans l'affaire Blumkine) pour apaiser Staline, son nom était cité dans le compte rendu du procès et il était déclaré « terroriste ». Il suffisait de tourner la page du journal !

Piatakov est emprisonné par la Guépéou sous l'inculpation des mêmes crimes pour lesquels il réclamait la veille de son arrestation un châtiment impitoyable pour les autres accusés. Piatakov, adjoint d'Ordjonikidzé, est inculpé de terrorisme, c'est-à-dire qu'il aurait eu l'intention... d'assassiner son supérieur immédiat ! Sokolnikov et Sérébriakov, Ouglanov et Poutna sont en prison. Séparés depuis de nombreuses années de toute opposition, ils étaient devenus des fonctionnaires dociles de Staline. Rien à faire ! Même ces gens-là sont par quelque côté dangereux pour Staline ; ou plutôt il y a quelque autre redoutable danger qui le menace et il espère le conjurer en frappant ces hommes, en se débarrassant d'eux. Liés par leur passé à la révolution dont Staline est le fossoyeur. Ils le gênent par le fait même de leur existence. Et si Staline, après de nombreuses années de préparation et d'hésitation, s'est décidé maintenant à une répression sanglante, cela démontre que dans la voie de la liquidation de la révolution, il prépare quelque chose de nouveau, sans comparaison avec tout ce qu'il a déjà fait. Son coup contre les anciens révolutionnaires, son coup porté à la gauche, ne permet pas de douter que sa voie se dirige délibérément vers la droite.

Ce sont les représentants les plus marquants du bolchévisme qui ont été impliqués, comme nous l'avons déjà indiqué, dans le procès de Moscou. Rappelons que 19 membres du Comité central et 8 membres du Bureau politique furent mêlés à l'affaire ! Rykov et Boukharine ont bénéficié, il est vrai, d'un non-lieu[97], après trois semaines d'instruction. Mais quel non-lieu ! « L'enquête n'a pas établi de données judiciaires qui permettent de traduire Boukharine et Rykov devant le tribunal. » Comme nous connaissons bien cette odieuse formule ! Elle répète mot pour mot le premier non-lieu concernant Zinoviev. Par cette formule bien staliniste, le « père du peuple » garde les mains libres pour des infamies futures. Des « données », on peut toujours en trouver. Il suffit d'un peu de temps et nous apprendrons que le Centre unifié n'était rien en comparaison d'un autre centre, le « Centre Boukharine-Rykov », dont les fusillés avaient caché l'existence. Nous apprendrons aussi que Boukharine était allé personnellement à Léningrad organiser l'assassinat de Kirov, etc., etc. Le fait que les noms de Rykov et de Boukharine aient été mentionnés au procès est un « avertissement » de Staline : vous êtes dans mes mains, il me suffit de dire un mot et c'est votre fin. Dans la langue du droit pénal, cette méthode s'appelle du chantage, et sous sa forme la plus odieuse, le chantage sur la vie même.

La mort de Tomski[98], qui a produit une très forte impression dans le pays, n'a pas été sans influer sur l'allégement temporaire du sort de Rykov et de Boukharine ; Ce suicide a forcé l'usurpateur déchaîné à modérer son emportement. Accusé d'avoir participé à la terreur, Tomski comprit qu'il n'y avait pas d'issue au piège staliniste. Révolutionnaire et bolchévik, Tomski a préféré la mort volontaire plutôt que de subir les ignominies stalinistes, que de se salir lui-même, que de trainer dans la boue tout ce pour quoi il avait lutté pendant des dizaines d'années.

Est-ce que ce seul fait, le suicide d'un des chefs du parti, ne démontre pas dans quel marais Staline a conduit la révolution ?

Staline s'est vengé de Tomski à sa manière. Aprsè avoir à demi condamné et à demi réhabilité Rykov et Boukharine, il n'a pas dit un mot de Tomski. Et comment donc Staline aurait-il pu réhabiliter sa mémoire ? Cela eût signifié avouer la calomnie, sur la tombe encore fraîche d'un des chefs du parti et du bolchévik le plus capable qu'ait donné la classe ouvrière russe.

* * *

Il n'est pas difficile de s'imaginer l'atmosphère de cauchemar qui règne maintenant en U.R.S.S. Personne n'est sûr du lendemain et, moins que quiconque, les vieux bolchéviks. Hier dirigeants responsables et émérites, on les déclarera demain terroristes et on les jettera sous l'engrenage de la machine répressive. Les vieux bolchéviks, ceux qui ont été au premier rang dans le passé, ne peuvent que se demander avec angoisse : à qui le tour ?[99]

Seuls les « bolchéviks sans-parti » se sentent à l'aise. Ces bureaucrates parvenus n'ont dans le passé ni prison, ni lutte pour la révolution, ils n'ont même aucun passé. Et c'est pourquoi leur avenir est d'autant mieux assuré.

De même que la bureaucratie dans son ensemble s'est affranchie de toute dépendance à l'égard des travailleurs, de même à l'intérieur de la bureaucratie, la Guépéou prend de plus en plus un caractère autonome. Indépendante non seulement des masses, mais aussi presque indépendante de la bureaucratie elle-même, la Guépéou est l'instrument personnel de Staline. Bien entendu, elle protège les positions de la bureaucratie en tant que couche sociale privilégiée, mais sa première tâche est de sauvegarder la position personnelle de Staline et son absolutisme, de le défendre contre la bureaucratie elle-même, si les circonstances l'exigent. Le caractère bonapartiste du stalinisme apparaît de façon particulièrement frappante par l'exemple de la Guépéou. Parvenue à une puissance sans précédent, la Guépéou, appelée à lutter contre les dangers qui menacent Staline, commence à devenir elle-même un danger pour lui. Ce n'est pas sans inquiétude que Staline doit regarder la Guépéou. Elle ne dépend que du « chef », mais le chef ne dépend pas moins d'elle. Et si la Guépéou voulait un autre chef ? C'est de ce point de vue, semble-t-il, qu'il faut considérer l'éloignement de Iagoda. Il était depuis trop longtemps à la tête de la Guépéou. Même si Iagoda ne menaçait pas encore Staline, il valait mieux, malgré tout, par mesure préventive, l'écarter. C'était plus sûr. Iejov, le nouveau chef de la Guépéou, convient d'autant mieux que c'est un homme nouveau, « inexpérimenté ». Iagoda avait aussi manifesté dans le passé de la sympathie pour la droite. Le procès de Moscou était d'ailleurs un bon prétexte pour l'écarter. La manière « sabotée » dont cette affaire avait été menée exigeait un bouc émissaire, et pas seulement parmi les inférieurs. Pour donner un avertissement aux agents instructeurs incapables, embourbés dans la routine, Staline écarte Iagoda. Ni le titre de « commissaire général à la sûreté », ni l'étoile de grand format au col ne le sauve du limogeage au Commissariat des Postes. Que peuvent espérer les autre Iagoda, de grade inférieur ? Fusillant les uns, « avertissant » les autres, Staline ne fera qu'accroître la défiance générale, l'inquiétude et le mécontentement.

Nous allons certainement vers un (de) nouveau (x) procès ! Ses contours commencent même à se dessiner. L'accusation calomnieuse de « terrorisme » doit être complétée par l'accusation de « complot militaire » et d' « espionnage ». Un certain nombre de symptômes font entrevoir que c'est autour de ces accusations que sera bâti le nouveau procès. Il suffit de lire l'article leader de la Pravda du 8 octobre. Il ne laisse aucun doute sur les plans de Staline pour le proche avenir.

Les « trotskistes » sont des espions, voilà ce qui est répété des dizaines de fois. C'est dans cette direction que se fait maintenant la préparation de l'opinion publique. Qui plus est, la Pravda informe ouvertement ses lecteurs de la marche de l'enquête de l'Inquisition staliniste, quand elle dit que les « francs aveux d'un certain nombre de trotskistes éminents (?) démontrent » qu'ils ont « non pas contraints et forcés, mais de leur plein gré, accompli un travail d'espions en Union Soviétique. »

Voilà qu'arrivent encore une fois les « francs aveux » bien connus et si discrédités !

Staline aura d'autant plus de facilité de répèter avec les nouveaux accusés ce qu'il a pu faire avec les seize fusillés que ceux-là ont été arrêtés avant ou pendant le procès. Coupés du monde extérieur, ils ignorent tout du sort de Zinoviev, de Kamenev et des autres.

Les arrestations des militaires Poutna, Schmidt, Kouzmitchev, etc. révèlent aussi le caractère de la nouvelle affaire. Ils doivent aider Staline à accuser l'opposition de gauche de « complot militaire » et par leur exécution celui-ci aura la possibilité de « rappeler à l'ordre » la caste militaire.

Il est possible aussi que Staline établisse la nouvelle affaire sur des bases beaucoup plus larges. L'article leader de la Pravda dit, par exemple, que « le sabotage contre-révolutionnaire des trotskistes dans notre industrie, dans les usines et les mines, dans les chemins de fer, dans la construction, dans l'agriculture est maintenant démontré et déjà reconnu par toute une série de trotskistes éminents ».

Plus de doute. Nous sommes à la veille d'un nouveau procès[100]. Notre devoir est d'en avertir l'opinion publique de l'Occident. Aucune illusion au sujet du Borgia de Moscou, armé de la technique contemporaine !

Staline veut la tête de Trotsky, c'est son principal but. Pour y parvenir, il ira jusqu'au bout, à plus d'ignominie encore. Si l'on pouvait encore avoir des illusions à ce sujet, le procès de Moscou se chargerait de les dissiper. Staline hait Trotsky comme le représentant vivant des idées et des traditions de la révolution d'Octobre, vers qui tend tout ce qui reste de révolutionnaire en Union soviétique. Pour avoir la tête de Trotsky, Staline mène les plus abominables intrigues en Norvège et en prépare d'autres du côté de la Société des Nations. Par ses procès, il prépare le terrain pour l'extradition de Trotsky. Ce n'est pas pour rien que le gouvernement soviétique a manifesté un si grand intérêt, à l'occasion de l'assassinat du roi de Yougoslavie, pour la collaboration internationale des polices contre les terroristes. A ce moment-là, cela pouvait plutôt étonner. Aujourd'hui, après le procès des « terroristes » de Moscou, l'intérêt de Staline pour la lutte contre les terroristes, « à l'échelle internationale », prend un sens bien plus précis.

* * *

Les méthodes de Staline et de la Guépéou se transportent de plus en plus sur l'arène internationale. Trotsky est interné. Les trotskistes espagnols sont accusés d' « attentats » contre les chefs du Front populaire (quoique chaque milicien espagnol sache que les bolchéviks-léninistes combattent avec eux sur le front). Les trotskistes polonais sont les agents de la police secrète, les trotskistes allemandes les agents de la Gestapo. Telle est l'unique méthode de lutte de Staline.

Il ne s'agit pas des trotskistes, il s'agit des méthodes de Staline, qui menacent d'empoisonner l'atmosphère morale du mouvement ouvrier mondial. Aujourd'hui ces méthodes sont employées surtout dans la lutte contre le « trotskisme », demain elles seront dirigées contre les autres courants de la classe ouvrière. Nous avons déjà vu comment les chefs de la Deuxième Internationale ont été accusés d'être les auxiliaires des agents de la Gestapo pour leur télégramme lors du procès de Moscou. Staline veut réduire les désaccords politiques du mouvement ouvrier à la formule : Guépéou ou Gestapo. Qui n'est pas avec la Guépéou, est un agent de la Gestapo. On doit repousser de la façon la plus énergique, la plus résolue, quel que soit le parti auquel on appartienne, cette atteinte au mouvement ouvrier mondiale. Le mouvement ouvrier ne peut souffrir dans son sein des méthodes de gangstérisme politique. Le danger est d'autant plus sérieux que Staline a mis au service de ce gangstérisme politique un puissant appareil gouvernemental.

Les calomnies et les assassinats de Moscou ne lèsent pas seulement les intérêts de l'Union soviétique, ne portent pas seulement un coup irréparable à toutes les conquêtes de la révolution d'Octobre, mais aussi à tout le mouvement ouvrier mondial. Malheur à lui, s'il ne sait pas se préserver du venin mortel du stalinisme ! C'est son existence morale qui est en jeu.

Mensonge et calomnie de prétendre que les bolchéviks de l'époque héroïque de la révolution russe, Lénine et Trotsky, ont employé les mêmes méthodes. C'est une calomnie contre la révolution d'Octobre, la plus grande révolution prolétarienne de l'histoire. Est-ce par la boue et le mensonge que la classe ouvrière russe a vaincu en 1917 ? Qu'elle a remporté les victoires de la guerre civile ? La morale politique n'est pas une abstraction. Elle dépend entièrement de la politique elle-même. L'arme empoisonnée de la calomnie était organiquement étrangère à la politique révolutionnaire des masses insurgées de 1917. C'est une arme prise à l'arsenal de la réaction. Mais c'est à l'aide de cette arme seulement, — du mensonge, de la calomnie, de l'assassinat de révolutionnaires, — que peut se maintenir le stalinisme, qui a usurpé le pouvoir en l'arrachant au prolétariat soviétique.

* * *

Le procès de Moscou a de nouveau montré jusqu'à quel point la bureaucratie avait épuisé son rôle de défenseur des conquêtes de la révolution d'Octobre. Elles est devenue un obstacle au développement ultérieur de l'U.R.S.S., car les intérêts de ce développement dans le domaine social, culturel et politique, sont entrés en contradiction irréductible avec les intérêts de caste de la bureaucratie. Pour ouvrir la voie au développement de l'U.R.S.S. vers le socialisme, il faut liquider la bureaucratie.

Il y a une dizaine d'années déjà que Staline a dit : « Les cadres (de la bureaucratie) ne pourront être écartés que par la guerre civile. » Par là, il plaçait ouvertement la bureaucratie au-dessus de la classe ouvrière, au-dessus du parti. Pendant dix ans, néanmoins, les bolchéviks-léninistes ont défendu la politique de réforme de l'Etat soviétique. Mais, par sa politique et ses méthodes, la bureaucratie a définitivement enlevé au prolétariat soviétique la possibilité de réformer l'Etat par la voie légale.

La Conférence internationale pour la Quatrième Internationale de juillet 1936 — avant le procès, — avait dit dans ses thèses : « Si pour le retour de l'U.R.S.S. au capitalisme il faut une contre-révolution sociale, pour la marche au socialisme une révolution politique est devenue nécessaire. »

Le procès de Moscou a confirmé avec une force nouvelle la justesse de cette perspective.

Le prolétariat soviétique ne peut marcher au socialisme que par la renaissance et l'épanouissement de la démocratie soviétique, par la légalisation des partis soviétiques, avant tout celle du parti du bolchévisme révolutionnaire. Mais la renaissance de la démocratie soviétique n'est possible que par le renversement de la bureaucratie. Et renverser la bureaucratie, seule peut le faire la force révolutionnaire des masses travailleuses !

  1. Otto Bauer est saisi d'effroi devant l'impression que la fusillade de Moscou peut produire sur les amis sincères de l'U.R.S.S., libéraux et socialistes. C'est pour Staline une étape passée. Ces amis-là lui sont maintenant de peu d'utilité. Il recherche des amis plus « sérieux », des alliés en cas de guerre, la bourgeoisie française, anglaise, américaine, etc.
  2. C'est avec ce but que les fascistes allemands, par exemple, ont lancé récemment le bruit d'une conférence commune de la IIIe et de la Ive Internationales à Bréda, en Hollande, du financement de la IVe par Staline et autres absurdités.
  3. L. Trotsky, La bureaucratie stalinienne et l'assassinat de Kirov, p. 17.
  4. Le procès du Centre Terroriste Trotskiste-Zinovièviste, p. 171.
  5. La tentative était faite de mêler directement à l'affaire L. Trotsky à l'aide d'un consul anonyme. Voir à ce sujet page 35.
  6. Voir page 25.
  7. L. Trotsky, La bureaucratie staliniste et l'assassinat de Kirov, ed. fr., p. 38.
  8. 4Le procès du centre trotskiste-zinoviéviste, publié par le Commissariat du peuple de la Justice de l'U.R.S.S., p. 33 et 34.
  9. Ibidem, p. 61.
  10. Ibidem, p. 60.
  11. Ibidem, p. 32.
  12. Ibidem, p. 67.
  13. Ibidem, p. 43.
  14. Ibidem, p. 48.
  15. Ibidem, p. 148.
  16. Ibidem, p. 48.
  17. Reingold, par exemple, indique, et le tribunal estima ce fait établi, que Zinoviev lui avait dit : « La principale tâche pratique est d'organiser le travail terroriste d'une façon assez conspirative pour ne se compromettre en rien » (Le Procès..., p. 19).
  18. Sans aucun doute, le Centre de Moscou n'a jamais existé au monde. Liés par de longues années d'un travail commun, des hommes se sont rencontrés, ont eu des entretiens, ont communiqué... et c'est tout. Vychinsky, par exemple, communique que Kamenev a déclaré en janvier 1935 qu'il ignorait l'existence du « Centre de Moscou » : « ...il (Kamenev) dit que du moment (?) que l'existence (??) de ce centre est démontrée (???), il en prend la responsabilité. »! (Le procès..., p. 149).
  19. Dans l'acte d'accusation, Le procès..., p. 12.
  20. Ibidem, p. 125, entre autres.
  21. Nous avons puisé ces renseignements dans les compte-rendus des journalistes anglais qui assistèrent au procès.
  22. Ces trois stalinistes germano-russes (Berman-Iourine, M. Lourié, Fritz David) appartenaient, comme on nous le communique, à l'intérieur du Parti communiste allemand, à la clique de Neumann, étroitement liée dans le passé à la Guépéou, l'une des cliques les plus répugnantes qu'il y ait jamais eu dans la Troisième Internationale. Selon des renseignements parvenus à l'étranger, Moscou aurait liquidé le groupe Neumann avec l'aide de la Guépéou. (L'emploi de la Guépéou, comme instrument de lutte intérieure dans les sections de la Troisième Internationale, est devenu depuis longtemps un phénomène courant, qui a conduit l'appareil de la Troisième Internationale jusqu'à la limite de la décomposition). Il n'est pas exclu, par conséquent, que la mise en cause dans le procès des anciens agents de Staline, F. David, Berman-Iourine et M. Lourié, ait été faite en relation avec la liquidation du groupe Neumann.
  23. Sur l'origine de cet argent, comme sur toute l'histoire du passeport du Honduras d'Olberg, nous disposons de renseignements fort intéressants que nous ne jugeons possible de rendre publics qu'après une vérification précise.
  24. Cela découle avec une certitude absolue du fait qu'Olberg fut inculpé de liaison avec la Gestapo le 31 juillet, c'est-à-dire plus de deux mois et demi après sa déposition du 9 mai et que sa déposition du 31 juillet porte les numéros des pages 263 et 264.
  25. Nous ne mettons pas sur cette liste les personnes qui, d'après les données judiciaires, se trouvent à l'étranger : Weiz, Slomovitz, etc.
  26. On pourrait aussi inclure dans cette liste Ruth Fischer et Maslow.
  27. Pour que la démonstration garde sa valeur, nous avons conservé, naturellement, l'ordre alphabétique russe. Dans l'affaire figure encore un dossier n° 31, dans lequel ont été réunies les dépositions de Reingold, Pikel, Safonova et Dreitzer. C'est, semble-t-il, quelque affaire particulière. Il y a aussi un certain nombre de dossiers portant les numéros 3 (Karev), 14 (Matorine), 24 (Olberg Paul). Ils ne suivent pas l'ordre alphabétique, probablement parce que chacun d'entre eux se rapporte spécialement à l'un des inculpés : Karev à Bakaïev, Matorine à Zinoviev et à Kamenev, et Olberg à son frère. C'est pourquoi, sans doute, leurs numéros suivent les numéros des inculpés à qui ils sont liés.
  28. Le fait qu'Evdokimov et Ter-Vaganian viennent à la fin seulement s'explique, semble-t-il, parce que primitivement Staline n'avait pas l'intention de les faire entrer dans le procès. Indiquons aussi que les « aveux » d'Evdokimov ne datent que du 10 août, c'est-à-dire quelques jours avant la publication de l'acte d'accusation, et ceux de Ter-Vaganian du 14 août seulement, c'est-à-dire du jour même de la signature par le procureur de l'acte d'accusation. Ayant obtenu ces aveux, le procureur s'est empressé de rédiger l'acte d'accusation et de le signer. Les deux Lourié, vraisemblablement, n'étaient pas prévus non plus au début pour entrer dans ce procès et ils y furent mis plus tard.
  29. 1 Le procès..., p. 54.
  30. Ibidem, p. 55.
  31. Ibidem, p. 67.
  32. Ibidem, p. 67.
  33. Ibidem, p. 17.
  34. Ibidem, p. 68.
  35. Ibidem, p. 77.
  36. 1 Le Procès..., p. 11.
  37. Ibidem, p. 37.
  38. Ibidem, p. 37.
  39. Ibidem, p. 60.
  40. Ibidem, p. 56.
  41. Dans le verdict, la tentative est faite d'améliorer la chose, par l'indication que le centre naquit non pas à la fin de l'année 1932, mais en automne 1932. Cela ne change rien à l'affaire. Il reste que le centre s'organisa et en même temps cessa son activité. Il s'était sans doute organisé avec le but spécial... de cesser son activité.
  42. Ibidem, p. 52.
  43. Ibidem, p. 44. Citant dans son réquisitoire les paroles de Zinoviev : « Jusqu'en 1936 », Vychinsky remplace 1936 par 1934, craignant, visiblement, que le mensonge n'apparût trop grossièrement. (Voir Le Procès..., p. 154.)
  44. Ibidem, p. 179.
  45. Ibidem, p. 157.
  46. Ibidem, p. 51.
  47. Cela explique que les dépositions de Smirnov devant le tribunal contredisent dans une certaine mesure ses dépositions lors de l'instruction. N'ayant pas le courage de rompre ouvertement avec les « aveux » extorqués par la Guépéou et de dire toute la vérité, Smirnov tenta malgré tout d'opposer de la résistance au cours du procès. Il faut rendre cette justice à Smirnov, qu'il s'est conduit quelque peu mieux que les autres accusés.
  48. C'est la traduction officielle de la Correspondance Internationale (numéro spéciale sur le procès). La réponse de Smirnov correspond plutôt en français, à l'exclamation : Allons donc !
  49. Outre le Centre unifié, figure aussi au procès un certain Centre terroriste de Moscou (ne pas confondre avec le Centre zinoviéviste de Moscou de 1934!). La composition officielle de ce centre est : Dreitzer, Reingold et Pikel. Il serait facile de montrer que tout ce que nous avons dit sur la question du Centre unifié peut aussi se rapporter plus ou moins à ce « centre ». Comme pour l'autre, sa composition varie selon les diverses dépositions. Ce « centre » fut organisé par Mratchkovski avant son départ de Moscou en 1932. Revenant à Moscou presque deux ans plus tard, Mratchkovski entend un rapport du dirigeant de ce centre, Dreitzer, d'après lequel... le centre de Moscou s'est organisé et ainsi de suite.
  50. Si un bloc entre l'opposition de gauche et les divers groupes qui avaient capitulé devant Staline avait existé, comment expliquer que rien n'ait paru sur un fait aussi remarquable dans la presse, et dans la presse staliniste en particulier ? L'opposition de gauche fut toujours un adversaire résolu des combinaisons et des accords de coulisses. Pour elle, la question d'un bloc ne pouvait se poser que comme un acte politique ouvert, devant la masse, sur la base de sa plate-forme politique. L'histoire des treize années de lutte de l'opposition de gauche en est la garantie. Bien entendu, une attitude politiquement intransigeante envers l'esprit de capitulation n'excluait pas des rencontres individuelles isolées ou l'échange d'informations, — rien de plus.
  51. Cette exclusion même de Zinoviev et de Kamenev en commun avec celle de droitiers représente un amalgame staliniste, c'est-à-dire thermidorien, typique.
  52. Il s'agit de Rioutine et de ses amis.
  53. Voici comment un correspondant de Moscou du Bulletin de l'Opposition russe, un bolchévik-léniniste, décrivait ces événéments : « Les nombreuses arrestations de ceux qui s'étaient séparés de l'opposition (à Moscou seulement on a arrêté et déporté environ 150 personnes) sont expliqués comme une mesure prophylactique. Quoique beaucoup d'entre ceux qui nous avaient quittés fussent passifs, on n'avait pas confiance en eux. Et Staline juge qu'il faut déporter l'homme avant même qu'il puisse réfléchir. » (Bulletin de l'Opposition, n° 35, juillet 1933.)
  54. 5 Le Procès..., p. 13.
  55. 1 Le Procés..., p. 55. Le traducteur français de ce compte rendu a paraphrasé le texte russe, lui enlevant sa grossièreté ; aussi l'avons-nous traduit directement.
  56. Cela apparaît de façon particulièrement frappante dans les dépositions de Ter-Vaganian.
  57. 2 Le Procès..., p. 129. Le traducteur français de ce compte-rendu a traduit le verbe russe убрать (écarter, élminer) par supprimer, ce qui est un contresens. C'est un grain de sable qui vient s'ajouter au monceau de falsifications du procès.
  58. Ibidem, p. 87. Le traducteur rend ici, à tort, le même verbe russe убрать par débarrasser.
  59. Ibidem, p. 129.
  60. Bien que cette lettre ait été imprimée, Sédov aurait montré à Olberg un exemplaire « tapé à la machine ». Olberg avait besoin de cette histoire pour donner à la chose un caractère mystérieux et conspiratif. Truc misérable !
  61. Le numéro de septembre 1936 du Bolchévik, organe du Comité central du parti, traduit en ces termes le Testament de Lénine : « Staline, que Lénine mourant a mis à la tête du parti » !
  62. 1 Le Procès..., p. 100. Il faut noter que Goltzman était citoyen soviétique et, comme tel, l'obtention d'un visa pour un pays quelconque était liée pour lui à des difficultés quasi insurmontables, si la demande n'en était pas appuyée par l'ambassade soviétique. Il ne pouvait évidemment pas être question d'un appui de l'ambassade dans ce cas. Aussi, Goltzman ne pouvait aller à Copenhague qu'illégalement. Il est étrange que le tribunal ne se soit pas intéressé à ce fait et n'ait pas tiré au clair à l'aide de quels papiers Goltzman serait allé au Danemark, où il se serait procuré ces papiers, etc.
  63. Sur ce détail, voir le Sozial-Demokraten de Copenhague du 1er septembre 1936, ainsi que le Baedeker. Le travail de falsification s'est poursuivi même après le procès. Dans le compte-rendu du procès en langue anglaise, paru un peu plus tard que les autres, l'hôtel Bristol a disparu !
  64. 3 Le Procès..., p. 101.
  65. Trotsky quitta Copenhague, comme nous l'avons déjà indiqué, le 2 décembre.
  66. Nous saisissons l'occasion pour corriger une inexactitude qui s'est glissée dans l'édition russe de ce travail. Il y était dit, à ce passage, que des journalistes avaient rendu visite à Trotsky dans cette villa. C'était inexact et cela fut immédiatement rectifé par des camarades présents à Copenhague. En réalité, aucun journaliste, pas plus que quiconque, en dehors des amis immédiats qui assuraient la garde, n'a pu pénétrer dans la villa.
  67. Le contenu de cette « lettre » de Trotsky sur Olberg, que le lecteur connaît déjà suffisamment, est fort réjouissant. Pour se remonter, semble-t-il, Olberg déclare que dans sa lettre Trotsky était « pleinement d'accord » avec la candidature d'Olberg pour le voyage en U.R.S.S. Trotsky considérait Olberg comme « un homme qui convenait (??) absolument (!!) et en qui on pouvait avoir toute confiance (!!) ». (Le Procès..., p. 24). Toute la lettre n'est qu'un dithyrambe sur Olberg !
  68. 7 Le Procès..., p. 87.
  69. « Nous nous voyions (Sédov et Olberg) presque chaque semaine et parfois deux fois par semaine. Nos entrevues avaient lieu dans un café... ou bien j'allais le voir chez lui. » (Le Procès..., p. 87).
  70. Ibidem, p. 87.
  71. La Guépéou a pu avoir des informations là-dessus par ses propres moyens, par exemple, par l'intermédiaire de Sénine, mentionné plus haut, qui a joué par la suite un rôle assez louche. Il n'est pas exclu que ce Sénine soit l'un des candidats au rôle de nouveau Berman-Iourine ou Olberg dans un procès à venir. Certes, Sénine a rompu avec l'opposition depuis 1932 et il l'a fait sous une forme particulièrement répugnante, en lançant dans la presse des insinuations calomnieuses à l'égard de l'opposition. Il est alors parti en U.R.S.S. et a raconté à la Guépéou tout ce qu'il pouvait savoir sur la vie de la gauche internationale et depuis lors, voici quatre ans qu'il est avec les stalinistes. Mais de tels faits ont-ils empêché de mettre en cause Lourié et Olberg, ou même Fritz David et Berman-Iourine, qui n'avaient jamais été dans les rangs de l'opposition ? Un autre candidat possible est un certain Mill-Oben-Okoun. Il avait fait partie du secrétariat administratif de l'opposition de gauche, mais en avait été écarté pour son incapacité complète. Peu après Mill passa aux stalinistes et parti en U.R.S.S. La presse oppositionnelle publia alors une note qui démasquait cet individu (en langue française dans La Vérité, n° 129, du 20 octobre 1932).
  72. 1 Le Procès..., p. 159.
  73. Ibidem, p. 17.
  74. Ibidem, p. 17. Par cet exemple, on peut voir quelle est la technique du témoignage : on pousse les accusés de degré en degré à de faux aveux.
  75. Au cours du procès, Smirnov est tout le temps nommé le « représentant » de Trotsky en U.R.S.S. Une telle conception personnelle, où un inférieur représenterait non pas l'organisation, mais un supérieur, est absolument étrangère à l'opposition et c'est, au contraire, une invention tout à fait typique de la bureaucratie, faite à son image : le « chef » et ses représentants personnels. Mais comment Smirnov aurait-il pu être le représentant de l'opposition, lui qui avait rompu publiquement avec elle, en face de milliers de bolchéviks-léninistes en U.R.S.S., fidèles à leur cause ? Celui qui était à la tête de l'opposition de gauche en U.R.S.S. jusqu'en 1934, c'était Rakovski, dont l'autorité morale en cette période ne pouvait être comparée à celle de I.N. Smirnov.
  76. 5 Le Procès..., p. 52. Le texte français dit, par suite d'une erreur du traducteur, Smirnov au lieu de Dreitzer.
  77. Ibidem, p. 52.
  78. Or, Goltzman avait déclaré qu'il existait un chiffre pour correspondre avec Trotsky.
  79. Ibidem, p. 43 et 44.
  80. Ibidem, p. 43.
  81. Ibidem, p. 22.
  82. Ce fait peut être contrôlé sur la base de documents et de nombreuses dépositions de témoins.
  83. Quant à la « liaison » de Moïse Lourié avec Zinoviev, il est intéressant de noter que Lourié, qui apportait à Zinoviev des instructions terroristes si importantes, est arrivé à Moscou en mars 1933, mais ne s'est rencontré avec lui qu'en août 1934 !
  84. Ibidem, p. 62.
  85. La police de Napoléon III a d'ailleurs accusé aussi la Première Internationale d'avoir trempé dans un attentat contre l'Empereur (Affaire Beaury, mai 1870). Comme tout se répète !
  86. Quelques années auparavant, c'est dans des circonstances analogues que s'était suicidé M.S. Glazman, secrétaire de Trotsky. Révolutionnaire d'une droiture et d'un dévouement rares, il s'était tué à la suite de son exclusion du parti.
  87. Déposition de Pikel, Le Procès..., p. 63.
  88. Ibidem, p. 58.
  89. Ibidem, p. 163.
  90. 1 Le Procès..., p. 140.
  91. En réalité l'article intitulé L’éditorial du n° 179 de la « Gazette de Cologne », paru dans la Gazette rhénane. (Note de la MIA)
  92. Ibidem, p. 141.
  93. Ibidem, p. 139.
  94. Ibidem, p. 133.
  95. Ibidem, p. 133.
  96. Comment ne pas rappeler ici le procès des socialistes-révolutionnaires de 1922 ? Ils étaient eux, de véritables terroristes. Ils avaient tué Ouritski, blessé Lénine. Et c'était dans les moments les plus redoutables et les plus précaires de la révolution. Le procès fut public, des avocats furent admis, même des avocats étrangers (Vandervelde, Kurt Rosenfeld, Theodor Liebknecht). IL n'y avait alors rien à cacher. Le procès établit en pleine évidence que les actes terroristes n'avaient pas été le fait d'individus isolés, comme il l'avait semblé tout d'abord, mais avaient été organisés par le parti des socialistes-révolutionnaires. Tous les accusés, ennemis mortels de la révolution d'Octobre, eurent malgré tout la vie sauve.
  97. Reingold, Kamenev et Zinoviev avaient déclaré que ceux-ci étaient au courant de l'activité terroriste et qu'ils avaient trouvé avec eu un « langage commun ». La « réhabilitation » de Boukharine et de Rykov donne indirectement une appréciation non équivoque des dépositions des inculpés.
  98. M.P. Tomski (né en 1880), ouvrier lithographe, entra en 1904 dans le mouvement révolutionnaire ; en 1905 député au Soviet de Réval ; arrêté pour la première fois en 1906, il est déporté et s'enfuit de la déportation. Délégué au Congrès de Londres (1907) ; de nouveau arrêté à la fin de 1907. Tomski, sauf une courte interruption, reste en prison jusqu'en avril 1909. Après quelques mois d'activité illégale, il est de nouveau arrêté en décembre 1909 et, après deux ans de détention préventive, il est une nouvelle fois condamné à cinq ans de prison. En 1916, après presque sept ans d'emprisonnement, Tomski sort de prison pour être déporté à vie en Sibérie. Après la révolution d'Octobre, Tomski est pour de nombreuses années le dirigeant des syndicats soviétiques ; membre du Comité central et du Bureau politique.
  99. Cet état d'esprit ne manque pas de pénétrer les sommets eux-mêmes. Fait caractéristique : dans la liste, composée par Staline, des chefs que les terroristes auraient eu l'intention d'assassiner, on ne trouve pas seulement les chefs de première grandeur, mais aussi les Jdanov, Kossior et Postychev. Or, il n'y a pas Molotov. Dans ce genre d'affaires Staline ne laisse rien au hasard. Ne se prépare-t-il pas le terrain pour la « liquidation » future de Molotov ? Que les terroristes n'aient pas voulu assassiner Molotov, cela ne signifie-t-il pas qu'ils « comptaient » sur lui ? Et de là il n'y a qu'un pas pour accuser Molotov lui-même de terrorisme. Mais, bien entendu, c'est là une réserve pour un avenir encore assez lointain.
  100. L'un des buts du prochain procès sera aussi d'apporter, par de nouveaux « aveux », des corrections aux contradictions et falsifications les plus flagrantes du dernier procès.