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Special pages :
La guerre et la crise du socialisme
Auteur·e(s) | Grigori Zinoviev |
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Écriture | 1916 |
Publiés en tant que Volume 9: Voina i krizis sotsializma (La guerre et la crise du socialisme) des Sochineniia (Œuvres choisies) publiées en 1923–1929 par le gouvernement soviétique
Qu'est-ce que l'impérialisme ?[modifier le wikicode]
Source : numéro 41/42 du Bulletin communiste, première année, 11 novembre 1920, précédé de l'introduction suivante : « L'étude que nous publions ci-après est tirée d'un important ouvrage de G. Zinoviev : La Guerre et la crise du socialisme (tome II) paru en Russie. La traduction est de Victor Serge (Kibaltchiche). »
Quelques corrections de la MIA du corps du texte d'après les versions anglaise et allemande du texte, et des textes cités comme indiqué en notes.
Avant de répondre à cette question, arrêtons-nous un moment sur cette autre : Qu'est-ce que la politique coloniale ? La politique coloniale est, en effet, une des parties composantes essentielles de l'impérialisme actuel. Entre l'impérialisme et la politique coloniale la plus récente, comprise dans le sens le plus large de ce mot, on peut même souvent mettre le signe d'équivalence.
Le mot « colonie » vient lui-même du latin « colère », — conquérir, partager.
Les auteurs ont proposé différents critères pour reconnaître la « politique coloniale ».
Rocher considère comme un facteur décisif l'âge du peuple qui colonise ; les peuples vieux colonisent ; les peuples relativement jeunes sont soumis à la colonisation.
James Mill voit dans les relations politiques et juridiques des colons ou de l'organisme qu'ils constituent, avec la métropole (ou patrie) un caractère essentiel.
Fallot accorde la plus haute importance à la civilisation supérieure du peuple colonisateur et à la situation arriérée des pays colonisés.
Guirault, Reinsch et d'autres insistent sur ce point. Wakefield écrit :
Je n'entends pas désigner par le mot colonie un pays tel que l'Inde, (…) Une colonie est donc un pays entièrement ou partiellement inoccupé où viennent s'installer des émigrants originaires de pays éloignés;et c'est une colonie du pays d'origine des émigrants, que l'on désigne, par suite, sous le nom de métropole. Le processus du peuplement do la colonie — et seul ce processus — pourrait être, à mon avis, appelé colonisation. (…) La subordination de la colonie à la métropole , en ce qui concerne le gouvernement, est-elle une condition essentielle de la colonisation ? Il ne me semble pas. Les Etats souverains indépendants que nous appelons des colonies de la Grèce antique sont, je le suppose, ainsi appelés de manière adéquate. A mon avis, les Etats-Unis d'Amérique (…) sont toujours des colonies de l'Angleterre. Je divise les colonies en deux catégories ; les dépendantes et les indépendantes ».[1]
Levis appelle « colonie », toute région gouvernée, directement ou indirectement, par l'intermédiaire d'un Etat vassal, par une métropole[2].
Les auteurs anglais ne « soulignent » pas aussi fortement la dépendance politique directe des colonies à l'égard de la métropole. Cette attitude correspond, dans une certaine mesure, aux usages pratiques de la politique coloniale anglaise. Par contre, les auteurs américains font ressortir en premier lieu la dépendance politique des colonies.
C'est, à titre d'exemple, l'opinion de Reinsch qui admet une définition économique de la colonie, beaucoup plus large. Sous ce rapport, dit-il, le Canada peut encore être considéré comme une colonie française — et l'Amérique du Sud, comme une colonie allemande. Mais sa définition politique d'une colonie est la suivante :
Une colonie est une possession extérieure d'un état national, administré par système distinct, mais subordonné au gouvernement du territoire national. La colonie peut être peuplée de citoyens de la métropole et par leurs descendants ; sa population peut aussi appartenir en majorité à une autre race., mais, en tout état de choses, le gouvernement de la colonie doit reconnaître une forme ou une autre de d'allégeance à l'égard de la métropole.[3]
Un autre économiste américain — Snow — n'admet pas la nécessité d'une civilisation supérieure des colonisateurs. Sa voix est celle d'un homme d'affaires bourgeois, plein de bon sens.
Les meilleurs spécialistes français et allemands insistent le plus souvent sur la nécessité de la subordination politique des colonies aux métropoles.
James Mill, Léon Say, Leroy-Beaulieu et aussi les Allemands Heeren, Dedel, Roscher divisent les colonies en trois groupes économiques : 1° colonies commerciales, 2° colonies de peuplement, 3° colonies de plantation et de production.
Un peu plus tard on devait plus généralement diviser des colonies en deux catégories : 1° colonies commerciales, 2° colonies de peuplement et colonies d'exploitation.
Leroy-Beaulieu a reproduit plus récemment (1908) la division en trois catégories : 1° colonies ou comptoirs de commerce, 2° colonies ordinaires ou de peuplement, 3° colonies de plantation ou d'exploitation[4].
La plupart de ces définitions sont suggérées par des relations remontant à l'ancienne politique coloniale. Elles sont donc toutes insuffisantes.
La définition fournie par Marx dans le tome Ier du Capital, ne suffit même plus à embrasser les faits actuels. Marx écrit :
« Le bas prix des produits de fabrique et le perfectionnement des voies de communication et de transport fournissent des armes pour la conquête des marchés étrangers. En ruinant par la concurrence leur main-d'œuvre indigène, l'industrie mécanique les transforme forcément en champs de production des matières premières dont elle a besoin. C'est ainsi que l'Inde a été contrainte de produire du coton, de la laine, du chanvre, de l'indigo, etc., pour la Grande-Bretagne. En rendant surnuméraire là où elle réside une partie de la classe productive, la grande industrie nécessite l'émigration, et par conséquent, la colonisation de contrées étrangères qui se transforment en greniers de matières premières pour la mère-patrie ; c'est ainsi que l'Australie est devenue un immense magasin de laine pour l'Angleterre.µ
Une nouvelle division internationale du travail, imposée par les sièges principaux de la grande industrie, convertit de cette façon une partie du globe en champ de production agricole pour l'autre partie, qui devient par excellence le champ de production industriel.
Cette révolution va de pair avec des bouleversements dans l'agriculture.[5]
A l'heure actuelle, nul ne l'ignore, ce tableau a subi des modifications considérables. Il nous suffira d'indiquer que les pays de grande industrie ne sont plus ceux qui fournissent la plus forte émigration. Au contraire, l'émigration provient surtout, présentement, des pays agricoles.
Depuis que ces lignes ont été écrites, bien des événements se sont accomplis. Et l'ancienne politique coloniale n'a été remarquable ni par ses tendances humanitaires, ni par son paisible travail civilisateur, dont MM. les Bourgeois parlent si volontiers avec éloquence. Loin de là. Nous verrons plus loin quelles cruautés l'ont caractérisée.
K. Liebknecht fit jadis remarquer que l'on ne pouvait « en général, séparer de la colonisation la culture de l'humanité ». Il pensait à des faits historiques d'une importance capitale pour l'humanité, tels que la découverte et la colonisation de l'Amérique, etc... Les socialistes-impérialistes[6] allemands voudraient maintenant tirer parti de ces mots pour justifier la politique coloniale impérialiste contemporaine. K. Liebknecht, lui-même, précisa pourtant plus d'une fois que la politique coloniale était inéluctablement une politique de violence, de rapine et de meurtre.
Une assez bonne définition de la politique coloniale actuelle nous est donnée par un savant allemand, très bourgeois, auteur de divers rapports officiels sur la question coloniale, le Dr Zoepfl. Les colonies, dit-il, « sont des territoires possédés par un Etat, en dehors de ses frontières, et dont il dispose dans l'arène internationale selon ses intérêts économiques et politiques »[7].
« Si, dit encore le Dr Zoepfl, nous appelons colonies les territoires situés en dehors des frontières d'un Etat et dont il dispose suivant les intérêts économiques et politiques dans l'arène mondiale, nous voulons ainsi dire que ses buts économiques ont ici un rôle essentiel, tandis que les considérations de politique internationale peuvent, mais ne doivent pas nécessairement jouer un certain rôle. » Avec la brutale franchise d'un homme d'affaires bourgeois, cet auteur écarte les considérations sur les « nations supérieures », sur la « pénétration de la culture », etc... On vend les colonies, on les échange, on les donne. La bourgeoisie voit en elles des articles de vente et d'achat. Leur valeur économique, leur signification pour le marché mondial, leur rôle économique de colonies, voilà ce qui importe à la bourgeoisie, aux impérialistes de notre époque. Toutes autres conditions étant égales, il va de soi que la dépendance politique directe, la possession directe par une métropole donnée, leur paraît désirable. Mais ce n'est pas là une condition indispensable. Zoepfl a raison quand il parle tout bonnement de territoires « situés en dehors des frontières d'un Etat ». Celle formule embrasse aussi bien les colonies placées directement et complètement sous la dépendance politique de la métropole (à titre d'exemple : Kiautschou et l'Empire allemand, jusqu'à 1914) que les colonies jouissant, relativement d'une assez large autonomie politique (à titre d'exemple, le Canada et l'Empire britannique).
La définition de la politique coloniale qui nous est donnée par M. Zoepfl, bourgeois clairvoyant, nous amène à la notion d'impérialisme.
Le mot vient du latin imperium (empire). Dans sa signification la plus large, il exprime la tendance à l'empire universel, qui ne peut être réalisé que par les conquêtes d'un Etat, par ses entreprises coloniales, par la fusion « pacifique » des Etats existants — ou par tous ces moyens à la fois. C'est ainsi que l'on parle de l'lmperium Romanum — empire romain — que voulut créer Jules César (vers l'an 45 av. J.-C.) quand il étendit son pouvoir autocratique sur tous les pays méditerranéens et adopta le titre d'imperator. On peut aussi, dans ce sens, parler de l'empire grec d'Alexandre le Grand, et, plus tard, de l'empire franc de Charlemagne.
Mais traitant de l'impérialisme contemporain nous entendons l'impérialisme issu du développement supérieur du capitalisme, l'impérialisme de la bourgeoisie capitaliste dont le capital financier est le champion.
L'impérialisme contemporain est caractérisé par l'union du capital financier et du capital industriel.
Il est indispensable, si l'on veut étudier le rôle historique du capital, de distinguer ses diverses variétés. Marx (T. III du Capital) propose la division suivante : capital industriel, commercial et capital argent.
Kautsky, Hilferding, Bauer, Cunow et d'autres marxistes[8] développant les découvertes de Marx, ont institué une nouvelle catégorie : capital financier.
Le fait dominant de l'époque industrielle que nous traversons, c'est la concentration grandiose de la production, la centralisation du capital par les monopoles et les vastes entreprises (trusts, syndicats financiers, etc.). Parallèlement s'accomplit une centralisation plus grande encore des banques, désormais très étroitement reliées à l'industrie et qui acquièrent dans la vie économique des pays capitalistes une importance croissante, allant, de plus en plus, jusqu'à une domination absolue. Ainsi s'avère la toute puissance du capital financier qui domine également le pouvoir politique[9] des monarchies et des républiques, étendant sa dictature sur toutes les classes possédantes.
La dépendance de l'industrie à l'égard des banques est donc la conséquence des rapports de propriété. Une partie de plus en plus grande du capital de l'industrie n'appartient pas aux industriels qui l'emploient. Ils n'en obtiennent la disposition que par la banque, qui représente à leur égard le propriétaire. En outre, la banque doit fixer une part de plus en plus grande de ses capitaux dans l'industrie. Elle devient ainsi dans une mesure croissante capitaliste industriel. J'appelle le capital bancaire, - par conséquent capital sous forme d'argent, qui est de cette manière transformé en réalité en capital industriel - le capital financier.
Par rapport aux propriétaires, il conserve toujours sa forme d'argent, il est placé par eux sous forme de capital-argent, capital portant intérêt, et peut toujours être retiré sous forme d'argent. En réalité, la plus grande partie du capital ainsi placé par les banques est transformée en capital industriel, productif (moyens de production et force de travail), et fixée dans le processus de production. Une partie de plus en plus grande du capital employé dans l'industrie est du capital financier, capital à la disposition des banques et employé par les industriels.
Le capital financier s'accroît au fur et à mesure du développement du système des sociétés par actions et atteint son apogée avec la monopolisation de l'industrie. Le revenu industriel acquiert ainsi un caractère plus sûr et plus constant. Par là, la possibilité de placement du capital bancaire dans l'industrie s'étend de plus en plus. Mais la disposition du capital bancaire, c'est la banque qui la possède, et le contrôle des banques, ce sont les détenteurs de la majorité des actions bancaires qui l'exercent. Il est clair qu'avec la concentration croissante de la propriété, les propriétaires du capital fictif qui donne le pouvoir sur les banques et de ce capital qui donne le pouvoir sur l'industrie sont de plus en plus les mêmes. D'autant que, nous l'avons vu, les grandes banques ont de plus en plus pouvoir de disposition sur le capital fictif.
Si l'industrie tombe ainsi sous la dépendance du capital bancaire, cela ne veut pas dire pour autant que les magnats de l'industrie dépendent eux aussi des magnats de la banque. Bien plutôt, comme le capital lui-même devient, à son niveau le plus élevé, capital financier, le magnat du capital, le capitaliste financier, rassemble de plus en plus la disposition de l'ensemble du capital national sous forme de domination du capital bancaire. Ici aussi l'union personnelle joue un rôle important.
Avec la cartellisation et la trustisation, le capital financier atteint son plus haut degré de puissance, tandis que le capital commercial connaît son plus profond abaissement. Un cycle du capitalisme a pris fin. Au début du développement capitaliste, le capital-argent joue, en tant que capital usuraire et capital commercial, un rôle important, tant en ce qui concerne l'accumulation du capital que la transformation de la production artisanale en production capitaliste. Mais ensuite commence la résistance du capitaliste « productif », c'est-à-dire créant du profit, par conséquent du capitaliste industriel et commercial, contre le capitaliste dont les revenus proviennent de l'intérêt.[10](…) La mobilisation du capital et l'expansion de plus en plus grande du crédit changent peu à peu complètement la position du capitaliste prêteur d'argent. La puissance des banques s'accroît, elles deviennent les fondateurs et finalement les maîtres de l'industrie, dont elles tirent les profits à elles en tant que capital financier, tout comme autrefois le vieil usurier, avec son intérêt, le revenu du travail du paysan et la rente du seigneur. L'hégélien pourrait parler de négation de la négation : le capital bancaire était la négation du capital usuraire et lui-même à son tour est nié par le capital financier. Ce dernier est la synthèse du capital usuraire et du capital bancaire et s'approprie, à un niveau infiniment plus élevé du développement économique, les fruits de la production sociale.
Tout autre est le développement du capital commercial. Le développement de l'industrie le chasse peu à peu de la position dominante qu'il occupait à l'époque de la manufacture. Mais ce recul est définitif, et le développement du capital financier réduit le commerce absolument et relativement et transforme le marchand, autrefois si fier, en un simple agent de l'industrie monopolisée par le capital financier.[11]
Nous observons dans tous les pays capitalistes l'accroissement colossal, irrésistible des forces productrices. Partout et toujours nous observons les plus fortes tendances à l'internationalisation de la vie économique. Des milliers de liens s'enchevêtrent, reliant entre eux les différents pays. Chaque nouveau kilomètre de voie ferrée, chaque nouveau câble sous-marin, chaque nouveau fil télégraphique semble devoir collaborer à celte internationalisation. Mais nous vivons en régime capitaliste et dans la phase impérialiste de ce régime. De l'impérialisme naissent de puissantes tendances contraires. La bourgeoisie de chaque pays tend à faire de sa « patrie » un organisme économique se suffisant à lui-même, capable de se satisfaire entièrement dans les cadres du travail « national » et de la production « nationale ».
Le protectionnisme de l'époque la plus récente joue sous ce rapport le rôle le plus important. L'ancienne division internationale du travail (la division en pays agricoles et industriels), devient très difficile. Tout pays tend maintenant à être à la fois agricole et industriel afin de se suffire à lui-même au point de vue économique. Afin de développer leur propre industrie nationale tous les pays — excepté l'Angleterre qui eut, en son temps une primauté industrielle indiscutable — ont dû recourir aux tarifs « temporaires » bientôt devenus des tarifs permanents. D'où le protectionnisme.
En 1846, l'Angleterre abolit chez elle les droits sur les céréales. La liberté du commerce triompha bientôt dans les Iles Britanniques. Mais nous voyons à présent le protectionnisme succéder, même en Angleterre, au libre-échange. Même les colonies anglaises, afin de protéger leur propre industrie, se défendent contre la métropole par des tarifs douaniers.
Vers 1860 le système des traités de commerce libéraux triomphe sur le continent européen. Mais vers 1870, sous l'influence de la crise générale, on peut observer un penchant évident au protectionnisme. Elle se manifeste différemment selon les pays. Outre les raisons économiques, les conditions d'existence politique de chaque État ont une certaine signification.[12]
En 1879 l'Allemagne passe au système des tarifs douaniers élevés, mettant simultanément en vigueur des tarifs protecteurs et sur les articles manufacturés et sur les céréales. La politique commerciale libérale a échoué. En 1885 et 1887, nouvelle hausse des tarifs douaniers de l'Allemagne. En 1902, élaboration d'un nouveau tarif dicté par les agrariens et les rois de la grande industrie.
En 1881 la France applique à son tour les nouveaux tarifs. En 1885 elle les complète pour protéger l'agriculture. En 1910 nouveaux tarifs élaborés sur les mêmes bases protectionnistes.
Depuis 1880 — à peu près — la Russie, l'Amérique, l'Autriche-Hongrie suivent la même voie. La Hollande même y entre en 1910.
Les droits d'importation subissent une hausse constante, le développement du marché intérieur se ralentit, les prix des articles de première nécessité s'élèvent à l'excès ; la cherté des vivres atteint directement l'ouvrier, tandis que les salaires (ne serait-ce que les salaires nominaux) n'augmentent que très lentement.
Le monde entier se couvre de barrières douanières. Les traités du commerce deviennent le moyen d'asservir un pays à la bourgeoisie d'un autre. Autour des traités de commerce des conflits ont lieu entre les coteries capitalistes des différents pays ; les masses populaires en font les frais.
De là les guerres de tarifs douaniers.
La France lutte pendant 10 ans contre l'Italie (à partir de 1887) ; la Russie lutte contre l'Allemagne (1892-94) ; la France contre l'Espagne et la Suisse (1893-95) ; l'Allemagne contre le Canada (1903-1910) ; l'Autriche-Hongrie contre la Serbie (1906-1911) ; la Bulgarie contre la Turquie, l'Autriche-Hongrie contre la Roumanie (1886-1890) ; l'Autriche-Hongrie contre le Monténégro (1908-1911) ; l'Allemagne contre l'Espagne (1894-1899), etc...
Les coteries capitalistes de chaque pays tendent simultanément à imposer les importations et à forcer les exportations.
Syndicats et trusts qui, en principe, devraient « régulariser » la production s'occupent, en réalité, de toute autre chose : ils travaillent à l'obtention de la plus-value. Augmenter l'exportation est leur premier souci. D'où cette exportation spéciale que l'on appelle « Schleuderexport » ou « dumping », exportation de produits cédés au rabais à des prix extrêmement bas. Les trusts et les cartels maîtres du marché intérieur peuvent, en y faisant monter les prix aux dépens des consommateurs de leur propre « patrie », se servir de ce procédé. Développant ainsi leur production dans une très large mesure, ils diminuent leurs frais de production et détroussent avec une énergie d'autant plus grande « leurs » ouvriers, leurs « paysans », « leur » petit peuple des villes.
Tous les pays s'efforcent de passer à l'exportation intensifiée. Une situation économique absurde en résulte. L'anarchie et la concurrence en sont accrues.
Et le monde capitaliste ne peut être guéri de ses maux même par les syndicats financiers internationaux, dernière innovation de la politique économique.
Parce que le moteur initial de ces syndicats, c'est toujours, uniquement, le bénéfice.
Trusts et syndicats — sous des noms différents, avec des fonctions en apparence variées, sous des formes différentes — jouent dans la vie des pays industriels un rôle de plus en plus grand. Au premier plan, parmi les pays des trusts, il faut placer les États-Unis ; mais l'Angleterre, l'Allemagne, la France, la Belgique et même la Russie ne lui cèdent guère sous ce rapport.
Le règne du capital financier est donc caractérisé à la fois par la concentration et la centralisation, par le développement des trusts et des cartels, par l'accroissement d'influence des banques et par la suppression du libre-échange supplanté par le protectionnisme.
Les tarifs douaniers protecteurs accroissent la fâcheuse influence des petits territoires économiques. Ils nuisent à l'exploitation, ils contrarient la spécialisation, ils empêchent une division internationale du travail rationnelle, ils élèvent les frais de la production. Mais s'ils sont un fléau pour le développement des forces de la production et pour celui de l'industrie, ils signifient par contre, pour le capitalisme, une augmentation immédiate de bénéfices. La liberté du commerce entrave la formation des cartels, enlève aux branches d'industrie faciles à truster, leur situation prépondérante sur le marché intérieur, et supprime en même temps les bénéfices supplémentaires que procurent les tarifs protecteurs des cartels (ou trusts).[13]
« Le protectionnisme, écrivait Kautsky, dès 1901, dans son livre sur la Politique Commerciale, n'est qu'un anneau dans la chaîne du nouveau système industriel, qui représente la forme la plus récente, et sans doute la dernière, du mode de production capitaliste. L'esprit de violence supplante de plus en plus chez la bourgeoisie industrielle l'esprit commercial. Autrefois d'humeur pacifique, elle rêvait une paix perpétuelle, elle condamnait la guerre comme une survivance de la barbarie du moyen-âge qui ne pouvait servir que les desseins des dynasties régnantes et des castes féodales ; mais, à l'heure actuelle, et quel que soit à ce sujet le chagrin de certains de ses idéologues, elle se pénètre de plus en plus d'un esprit de violence. La politique coloniale entre en scène. Cette politique provoque à tour des conflits ou menace d'en provoquer entre les puissances industrielles concurrentes. La lutte par les moyen des mesures de violence économique menace de se transformer en une lutte par le fer et par le feu, par la dynamite et la cheddite... Encourager le protectionnisme c'est, à l'heure actuelle, encourager un système qui finirait par remettre entre les mains d'une poignée de capitalistes toutes les forces d'une nation, afin qu'ils puissent vaincre ou affamer tout ennemi intérieur ou extérieur. »[14]
Le protectionnisme cause un préjudice considérable au développement des forces productrices. Les maîtres du capital financier le défendent pourtant partout et toujours. L'Angleterre fut pondant longtemps le pays classique du libre-échange. Mais l'impérialisme anglais, lui aussi, s'écarta de plus en plus de cette tradition, tendant au protectionnisme. Il suffit de rappeler ici la propagande de Chamberlain pour l'union plus étroite des colonies et de la métropole en un « plus grand Empire anglais ». Il suffit de rappeler la lutte qu'il soutint pour l'introduction des tarifs différentiels dans les colonies anglaises.
Ces tarifs doivent favoriser l'importation dans les colonies des produits originaires des métropoles anglaises au détriment des produits étrangers ; ils constituent en fait un premier pas dans la voie du remplacement du libre-échange par le protectionnisme.[15]
L'idée de remplacer le libre-échange par le protectionnisme trouve aussi un nombre croissant d'adeptes parmi les libéraux anglais, — parmi ceux-là mêmes qui, naguère, ne juraient que par le free-trade. On trouvera dans l'ouvrage cité une quantité de preuves de la popularité grandissante du protectionnisme parmi les libéraux. « Nous entourer d'un puissant système de défense [de tarifs douaniers] dans notre lutte contre les autres États est devenu pour notre pays, plus qu'une possibilité : une nécessité urgente. » Ainsi s'exprimait, en 1903, un manifeste en faveur du protectionnisme, édile par les libéraux anglais. De nombreuses notabilités libérales l'avaient signé : le duc de Sutherland, L.S. Amery, S. Bourne, T.A. Brassey, J.C. Dobbie, A.F. Firth, Benjanlin Kidd, H.J. MacKinder, J. Saxon Mills, James Paxman, Charles Fennant, H.E. Vollmer etc...[16] Depuis 1903, le protectionnisme a fait en Angleterre d'immenses progrès. Les brochures de Chamberlain (Ce que nous avons appris en trois années de commence. — Le libre-échange de Cobden et le club de Cobden. — Quatre problèmes pratiques) et ses discours avaient un succès croissant. Les conférences qu'il organisa au nom du gouvernement anglais et auxquelles il invita les représentants de toutes les colonies anglaises marquent les étapes de la lutte de l'impérialisme anglais contre le libre-échange. Engels demandait en 1885 : « Quand les marchandises du continent et surtout celles de l'Amérique se feront de plus en plus abondantes ; quand la part du lion de l'approvisionnement mondial qui revient encore maintenant aux fabriques anglaises fondra d'année en année, quelles en seront les conséquences ? Réponds-nous, libre-échange, ô panacée ! »
Nous avons aujourd'hui la réponse : C'est l'impérialisme le plus récent.
Otto Bauer le dit fort justement :
La politique d'expansion capitaliste moderne est l'héritière du vieux libéralisme. (…) Partout où le capital anglais cherche des débouchés, partout où il cherche et des sphères d'investissement, il se heurte à la concurrence des autres États capitalistes. Pour atteindre son ancien but, l'Angleterre doit maintenant chercher comme tous les autres Etats, de nouveaux chemins.
L'ancien libre-échange anglais était cosmopolite : il anéantissait les frontières, tendant à faire du monde un seul domaine économique. (…) Tout autre est l'impérialisme moderne. Il n'aspire pas à faire de tous les pays un seul domaine économique ; il ne veut qu'entourer son propre domaine
d'une barrière douanière ; il recherche les pays les plus arriérés pour en assurer les marchés et les sphères d'investissement à ses capitalistes, en barrant le chemin aux capitalistes des autres pays. Il ne rêve pas de paix, il prépare la guerre.[17] '
Les grandes [colonies britanniques] peuplées de blancs — Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique australe — sont des États autonomes. Afin de favoriser leur propre industrie, de création récente, ils se défendent contre la métropole au moyen de tarifs douaniers. Ils se détachent de plus en plus économiquement et politiquement, de la métropole. Le jour où ils s'en détacheront complètement et où le grand Empire britannique aura vécu, est-il éloigné ? Le sentiment national commun est trop faible pour les rattacher au Royaume-Uni ; il audrait que des intérêts communs unissent intimement la métropole et les colonies pour que l'empire britannique ne périsse pas. Ces intérêts communs, les impérialistes anglais pourrait les créer si seulement ils renonçaient au libre-échange. Que la métropole s'entoure de barrières douanières et frappe de taxes moindres les produits de l'agriculture et de l'élevage des colonies que les produits provenant des pays concurrents et les colonies accorderont en retour à la métropole des tarifs douaniers avantageux.[18]
C'est ainsi que la liberté du commerce apparaît superflue et nuisible même au pays du libre-échange classique. Le protectionnisme porte-t-il atteinte aux forces productrices ? Que nous importe ?
Ces entraves à la productivité, par suite de la réduction du territoire économique, il cherche à les compenser, non par le passage au libre-échange, mais par l'élargissement de son propre territoire économique et l'accroissement des exportations de capital.[19]
L'exportation du capital joue un rôle immense dans la vie sociale économique actuelle. L'impérialisme contemporain n'est plus caractérisé uniquement par l'exploitation des produits ; il l'est aussi par l'exportation du capital.
Hilferding définit celle-ci en ces termes :
Par exportation de capital nous entendons l'exportation de valeur destinée à produire de la plus-value à l'étranger. En quoi il est essentiel que la plus-value reste à la disposition du capital du pays d'origine. Si, par exemple, un capitaliste allemand émigre au Canada avec son capital, qu'il met en valeur dans ce pays, et ne revient plus dans son pays d'origine, il en résulte une perte pour le capital allemand, une dénationalisation du capital.[20]
L'exportation du capital prend des proportions de plus en plus grandioses (nous en donnerons dans les chapitres suivants les chiffres et les détails).[21] Les pays riches en capital l'exportent non seulement dans les colonies — au sens étroit de ce mot — mais aussi dans des États politiquement indépendants. C'est ainsi que la Russie investit non seulement dans ses colonies, mais aussi aux Etats-Unis d'Amérique. A. Sartorius dit dans son ouvrage bien connu Das Volkswirtschaftliche System Der Kapitalanlage Im Auslande que « l'Angleterre reçoit maintenant des Etats-Unis des bénéfices et des intérêts pour un million de marks environ, annuellement ». De même la France introduit ses capitaux, non seulement dans ses colonies, mais aussi en Russie, en Espagne, etc...
La lutte pour les sphères d'influence du capital, c'est-à-dire pour les marchés, joue le plus grand rôle dans toute la vie économique et politique actuelle. Quel est le pays dont le capital sera appelé à construire les chemins de fer, à recevoir des concessions dans les colonies et dans les pays auxquels est nécessaire l'importation du capital ? — C'est là une des questions qui contribuent le plus à déterminer la politique étrangère des pays capitalistes, à provoquer les guerres, etc...
Le pays le plus riche en capitaux, l'Angleterre, règne sur le monde, bien qu'il ait déjà perdu l'hégémonie industrielle. L'Angleterre, dit Sartorius, est un pays de rentiers. Schulze-Gaevernitz dans son livre sur l'impérialisme britannique conclut qu'il y avait en Angleterre, au début du XXe siècle, un million de rentiers (ce qui fait, en tenant compte de leurs familles 10 à 11 % de la population totale). Et cette opulence met son cachet sur toute la vie anglaise, détermine les destinées du pays, la politique des partis et des classes. Il y avait chez Sartorius un grain de vérité quand il exposait que : « Le Royaume-Uni ne connaissait aucune social-démocratie de quelque importance. (...) Les richesses incalculables qu'elle a accumulées au cours du dernier siècle sont devenues une protection (ein Beschützer) pour la classe des ouvriers instruits, en dépit du recul de l'industrie. » Et il cite en l'approuvant Schultze-Gaevernitz : « Les ouvriers qualifiés hautement de la grande industrie anglaise ont aujourd'hui compris que leur confort durement acquis s'élève et descend suivant la puissance politique de l'Angleterre. »[22]
Ou voit ici, dirons-nous entre parenthèses, toute la philosophie du social-chauvinisme actuel : les travailleurs de chaque pays seraient, dit-on, directement intéressés à la prospérité de « leur patrie » et de son impérialisme.
Sartorius se trompe s'il pense que la social-démocratie doit être le parti des ouvriers qualifiés hautement rétribués. — Nous ne sommes pas le parti d'une aristocratie ouvrière, mais celui de la classe ouvrière, Monsieur Sartorius ! Mais il remarque avec juste raison que la bourgeoisie impérialiste, riche en capitaux, a, en plus de toutes ses ressources, celle de corrompre et de démoraliser une notable portion de l'aristocratie ouvrière, nuisant ainsi à la démocratie socialiste.
Soit dit entre parenthèses. Bornons-nous pour l'instant à noter le rôle considérable de l'exportation du capital dans le régime capitaliste actuel.
La concurrence pour les nouvelles sphères d'influence du capital amène à de nouvelles contradictions et à de nouveaux conflits entre les grands États capitalistes au sujet du partage du butin. D'autre part, les possibilités de conflit entre le pays où les capitaux sont importés et les classes dominantes des pays qui les exportent ne cessent d'augmenter. Les classes dominantes tendent à soumettre le plus possible à leur souveraineté les pays dans lesquels elles importent leurs capitaux. Ces pays, par contre, cherchent à s'assurer la plus grande indépendance à l'égard des États qui les fournissent en capitaux. Ce mouvement vers l'indépendance nationale menace le capital européen dans les domaines d'exploitation qui lui sont surtout précieux et qui lui font espérer les bénéfices les plus considérables. Et le capital européen ne peut maintenir sa domination qu'en augmentant de façon continue ses forces militaires.
De là, l'accroissement insensé du militarisme, de là les appels continuels des capitalistes, intéressés dans la vie des pays étrangers, à la création d'un pouvoir gouvernemental assez fort pour que son poing ganté de fer puisse défendre leurs intérêts, toujours et partout, fût-ce dans les coins les plus reculés du globe. Le capital d'exportation jouit évidemment de toutes ses aises quand le pouvoir de sa « patrie » règne sans conteste (par voie d'annexion ou de concession pour cent ans, ou tout autrement) sur le nouveau territoire économique en question. Ses intérêts sont alors parfaitement protégés ; il est garanti contre la concurrence du capital d'exportation rival, il a une situation privilégiée, l'armée de sa patrie assure ses bénéfices, etc...
L'exportation des capitaux contribue de la sorte à renforcer la politique impérialiste, à nourrir et à développer l'impérialisme contemporain.
Les pays dont l'industrie est la plus avancée sont en ce moment caractérisés par la plus forte tendance à l'exportation du capital industriel. C'est le cas de l'Allemagne et des États-Unis. Ici l'évolution industrielle a produit les formes tout à fait nouvelles, tant sous le rapport de la technique que sous celui de l'organisation. — L'Angleterre et la Belgique viennent ensuite. Les autres pays dont le développement capitaliste est relativement ancien, exportent plutôt leurs capitaux sous forme de prêts, — que par l'organisation des manufactures, etc... A cet égard, l'une des premières places revient à la France. Les prêts de la France à la seule Russie se sont élevés, d'après les calculs de Sartorius, à 9 milliards pour l'année 1906. En 1914 ces prêts se montaient à 14 ou 18 milliards. — Les mêmes pays peuvent simultanément exporter et importer des capitaux. C'est ainsi que les États-Unis exportent sur la plus large échelle des capitaux industriels dans l'Amérique du Sud et à la même heure empruntent à l'Angleterre, à la Hollande, etc., sous forme de bons et d'obligations, le capital espèces dont ils ont besoin. Même les pays tels que la Russie qui a un besoin continuel de capitaux étrangers exportent les leurs ; la Russie en exporte dans des proportions il est vrai restreintes, dans les Balkans.
La concurrence des différentes coteries financières a mis plus d'une fois l'Europe en présence de la guerre. Il nous suffira d'évoquer ici le Maroc. Que de « nobles » discours « patriotiques » ne prononça-t-on pas en Allemagne sur la méconnaissance par la France et l'Angleterre des intérêts de la « patrie » germanique, etc... En réalité, il ne s'agissait, outre l'annexion pure et simple de telle de telle colonie africaine, que d'obtenir au capital allemand sa part de concessions de chemins de fer, de ports, de télégraphes, de travaux publics, d'emprunts. Dans les conflits turcs et marocains entre l'Allemagne et la France, il s'agissait surtout de la rivalité de la banque française et de la Deutsche Bank, de MM. Rouvier et Helfferich, de M. Schneider du Creusot et de Krupp, en un mot des gros requins du capital financier ou, pour employer les termes affecteux dont la bourgeoisie se sert à leur égard, des « Geld-maréchaux » de l'argent français et allemand. A la conférence d'Algésiras les uns et les autres marchandèrent comme des boutiquiers jusqu'au moment où s'acheva le partage des concessions et des autres avantages. Les patriotes allemands ne se tranquillisèrent que lorsqu'ils se furent assuré une part des emprunts, — et ainsi de suite.[23] Faute de quoi le gouvernement allemand, fidèle serviteur des impérialistes d'outre-Rhin, était prêt à déclarer la guerre à la France.
Le capital financier travaille de la sorte par tous les moyens à renforcer le pouvoir de l'État. Il devient le moteur principal qui fait agir le militarisme. L'antagonisme entre les plus grandes puissances impérialistes et en premier lieu entre l'Angleterre et l'Allemagne a depuis longtemps revêtu ses formes les plus âpres. Qu'il doive nécessairement se « résoudre par la violence » — c'est-à-dire par la guerre — les marxistes l'ont prédit bien avant 1914.
La guerre, écrivait Hilferding dans son Capital financier « serait de puis longtemps intervenue si certaines causes n'avaient agi dans le sens contraire. Car l'exportation de capital crée elle-même des tendances qui s’opposent à une telle solution. L'inégalité du développement industriel entraîne certaines différences dans les formes que revêt l'exportation de capital. (…) Cela a pour résultat que, par exemple, le capital français, hollandais et même, dans une certaine mesure, anglais, devient du capital de prêt pour des industries sous direction allemande et américaine. (…) Le capital français est intéressé en tant que capital de prêt au développement des industries allemandes en Amérique du Sud, etc.[24]
Pour le succès de ces entreprises, pour la sécurité de ces placements à l'étranger, le capital financier peut préférer la paix à la guerre.
Cette tendance — Hilferding la désigne en parlant d'une « certaine solidarité des intérêts internationaux du capital » — est, théoriquement, possible et elle existe même dans une certaine mesure. En l'exagérant, certains auteurs arrivent à nier le caractère impérialiste de la guerre de 1914-1918. Le capital financier n'y serait pour rien, s'il fallait en croire par exemple les affirmations de notre historien bien connu, M. N. Pokrovsky. Car... le capital financier est intéressé à la paix. En temps de guerre les capitaux étrangers sont tout bonnement confisqués, etc...[25]
Cette opinion est absolument erronée. Une faible tendance à la solidarisation « existe ». Mais comme nous l'avons vu d'autre part, il y a de puissantes tendances contraires. Laquelle de ces tendance aura le dessus — Hilferding le note très justement — cela dépend des circonstances dans chaque situation donnée et avant tout des espérances de profits attachées à l'issue de la lutte.
Et d'abord les capitaux confisqués par les parties belligérantes au cours de la récente guerre font, en partie, contrepoids. En second lieu, la perte de ces capitaux est, en partie, compensée par les bénéfices que réalisent les rois de la grande industrie, etc..., pendant la guerre et par suite de la guerre. Enfin, les bénéfices ne sont rien en comparaison des avantages escomptés par les impérialistes anglais, allemands ou français, au cas où leur « patrie » réussirait à écraser sa redoutable rivale.
Mais il faut en outre tenir compte de ceci. Il est hors de doute que l'une des conditions de la coalition victorieuse sera précisément l'annulation des confiscations, la reconnaissance des dettes, assurant à un vainqueur la conservation des capitaux qu'il a pu importer auparavant chez les vaincus. Or, quand la guerre éclate les deux partis espèrent vaincre. Évidemment, il y a le risque. Mais ce risque professionnel, inévitable, est de ceux auxquels les coteries impérialistes doivent se résigner.
En règle générale, il demeure vrai que le capital financier ne cesse de pousser les gouvernements des différents pays aux armements sur terre et sur mer, que l'impérialisme nous amène à une ère de conflits armés, qu'il crée l'insécurité du lendemain, qu'il rompt tous les équilibres et révolutionnarise avec une force terrible toutes les relations sociales en Europe, en Asie, en Amérique.
Kautsky décrivait exactement les faits quand il disait que le capital industriel et la classe industrielle manifestent dès le début des tendances tout à fait différentes de celles du capital commercial et financier. Le capital industriel est enclin à la paix, à la limitation du pouvoir absolu de l'État par les institutions parlementaires et démocratiques, à l'économie dans le budget de l'État ; il est constamment adversaire des impositions sur les articles de première nécessité et sur les matières premières. Il considère même souvent les taxes sur l'industrie comme un résultat de la situation arriérée de cette dernière et qui doit disparaître avec le progrès économique.
Au contraire, le capital financier, la classe des gros propriétaires et des banquiers a plutôt une propension à encourager l'absolutisme de l'État, à s'imposer par la force dans la politique intérieure et extérieure. Le capital financier est précisément intéressé à ce que les dettes de l'État soient grandes. Il voisine amicalement avec la grande propriété foncière et ne voit pas d'inconvénients à bénéficier de la faveur des tarifs protecteurs de l'agriculture.
Le développement économique a amené au pouvoir le capital argent, avant le capital industriel. Mais au cours du siècle dernier, le capital industriel a été au pouvoir et a même rejeté assez loin à l'arrière-plan les capitalistes financiers. À la fin des fins un autre capital a triomphé : la forme des sociétés par actions — qui avait déjà joué un grand rôle dans le capital commercial et financier —s'est solidement implantée dans le capital industriel.
Ainsi s'unissent au capital les plus grandes et les plus fortes parties du capital industriel. La création des trusts et la centralisation des grandes banques achèvent cette évolution.
Les tendances gouvernementales du capital financier sont maintenant dans les pays capitalistes avancés les tendances générales des classes dominantes.
Et comme elles poussent incessamment à la guerre, la politique impérialiste belliqueuse donne le ton à toute l'activité des États modernes « avancés », réduits au rôle de commis du capital.
Les appétits des coteries financières sont insatiables. Plus elles ont, et plus elles veulent avoir, et plus leur jeu devient risqué. Dans sa convoitise des marchés, des sources de matières premières, des sphères d'influence du capital, des colonies, des concessions, des privilèges variés qu'une semblable politique procure aux classes gouvernantes, le capital en est arrivé au partage de l'univers entre plusieurs « grandes » puissances et à la lutte armée entre elles pour le partage du butin le plus friand. D'où la lutte pour l'hégémonie mondiale, la tendance des grands États capitalistes à former des empires universels, et la lutte impérialiste dans laquelle le Japon et les Etats-Unis d'Amérique eux-mêmes se sentent de plus en plus attirés à la suite de l'Europe.
Le classique représentant du classique impérialisme anglais Chamberlain, termina jadis l'un de ses grands discours (prononcé à Johannesburg le 17 janvier 1903) par ces mots :
« Le temps des petits royaumes et de leurs mesquines jalousies est passé. L'avenir appartient aux grands Empires... » Aux empires mondiaux, voulait-il dire.
Les socialistes, eux aussi, ne sont pas partisans des petits États. Toutes autres conditions étant égales, ils sont partisans des grandes républiques démocratiques reconnaissant à toutes les nations le droit de décider elles-mêmes de leur propre sort, droit fondé sur le principe d'une complète égalité des nations. Au contraire, les « grands » États sont nécessaires aux impérialistes de tous les pays, précisément comme des moyens d'écraser et d'exploiter au profit de la bourgeoisie des grandes puissances les centaines de millions d'habitants des petits pays, des colonies, ou d'une façon générale des pays infortunés tombés sous la la coupe des bandes rapaces du capital européen. Les dictateurs actuels du capital financier de l'Europe ne forment qu'un petit groupe qui n'est peut-être fort que de quelques centaines d'hommes. Tous, dirigeants des plus grandes banques, rois de la bourse, maîtres des trusts et des cartels les plus importants, rois de l'acier et du canon, présidents des compagnies de chemins de fer les plus importantes, milliardaires, tous ceux qui décident en fait de la paix ou de la guerre pour l'Europe contemporaine, peuvent être facilement nommés par leurs noms — tant leur nombre est petit.
En 1910, Francis Delaisi fit dans son livre si intéressant sur La Démocratie et les Financiers, une semblable tentative concernant la France. En 15 pages, il put donner une liste assez complète des principaux dirigeants du capital financier de la France. Il dressa aussi une série de tableaux montrant dans combien de banques, de sociétés métallurgiques, de compagnies de chemins de fer, etc... régnaient ces personnages. Résumant ses données nous obtiendrons le résultat que voici :
53 familles sont nommées. Parmi elles, nous trouvons les noms de Rothschild, Schneider, Rostand, barons Nervaux, Duval, marquise Frondeville, prince de Camondo, Adam, Aynard, René Brice, Aubonneau, etc... Ces messieurs sont les maîtres dans 158 banques françaises, coloniales ou étrangères (telles que turques, néerlandaises, etc...). Au nombre de ces banques figurent les banques les plus importantes du monde : Crédit Lyonnais, Société Générale, Banque Ottomane, Union Parisienne, Banque de France, Comptoir d'Escompte, Banque Russo-Chinoise, Banque d'Indo-Chine, Crédit Industriel, Banque Transatlantique, Banque Tunisienne, etc. Ces messieurs sont aussi les maîtres de 108 entreprises métallurgiques et minières françaises, en France, dans les colonies ou à l'étranger (en Russie).
Citons : le Creusot, les mines d'or de l'Afrique, du Sud, Carmaux, le bassin du Donietz, etc... Les mêmes magnats du capital font la loi à 101 compagnies de chemins de fer ou de transports, et ils disposent, enfin, de 117 entreprises diverses monopolisées, parmi lesquelles la société par actions du canal de Suez, de vastes entreprises coloniales, des sociétés d'assurance, des usines à gaz, etc...[26]
En somme, 50 à 60 gros requins de la finance française règnent sur 108 banques, 105 grandes entreprises industrielles, 101 compagnies de chemins de fer, 117 autres entreprises industrielles et financières parmi les plus importantes, soit au total sur 431 entreprises dont chacun dispose de centaines de millions.
Voilà bien le capital financier personnifié !
L'Angleterre et l'Allemagne, et aussi notre Russie, pauvre pécheresse, nous offrent mutatis mutandis, le même spectacle. 500 grands financiers tiennent entre leurs mains le monde entier.
Voici des données précises sur la puissance du capital financier aux Etats-Unis en 1912-1914.
D'après le Bureau des Corporations il existait, en 1912, aux Etats-Unis, 18 grandes banques ou établissements de Crédit.[27]
Postes directoriaux | Postes occupés | Capitaux en millions de dollars | |
J. P. Morgan & Co. | 63 | 38 | 10 036 |
First National Bank of New York | 89 | 48 | 11 393 |
Guaranty Trust Co. of New York | 160 | 76 | 17 342 |
Bankers Trust Co. of New York | 113 | 55 | 11 184 |
National City Bank of New York | 86 | 47 | 13 205 |
Kuhn, Loeb & Co. | 15 | 12 | 3 011 |
National Bank of Commerce | 149 | 82 | 13 165 |
Hanover National Bank | 37 | 29 | 7 495 |
Chase National Bank of New York | 67 | 48 | 11 527 |
Astor Trust Co. | 74 | 47 | 12 408 |
Blair & Co. of New York | 12 | 11 | 1 784 |
Speyer & Co. | 10 | 10 | 2 443 |
Continental and Commercial
National Bank of Chicago | 49 | 27 | 6 969 |
First National Bank of Chicago | 55 | 29 | 9 021 |
Illinois Trust & Savings Bank of Chicago | 28 | 22 | 4 599 |
Kidder, Peabody & Co. of Boston | 8 | 6 | 2 395 |
Lee, Higginson & Co. of Boston | 11 | --- | 3 199 |
Il va de soi que beaucoup de chiffres dans ce tableau sont comptés deux fois, le capital de chaque firme étant chaque fois indiqué en entier. Si l'on déduit les chiffres comptés deux fois, on obtient (voir Philippovich) le résultat suivant :
Les maîtres des firmes désignés et leurs directeurs, soit en tout 180 personnes, occupent les places suivantes :
- 385 postes directoriaux dans 41 banques et trusts ayant un capital total de 3 832 millions de dollars et des dépôts pour la somme de 2 834 millions de dollars.
- 50 postes directoriaux dans 11 compagnies d'assurance disposant d'un actif variant de 2 à 6 millions de dollars.
- 155 postes directoriaux dans 31 compagnies de chemins de fer possédant un capital total de 12 193 millions de dollars et 271 120 km de voies ferrées.
- 6 postes directoriaux dans 2 sociétés de trains express et 4 dans 1 compagnie de navigation au capital total de 245 millions de dollars, et jouissant d'un revenu brut de plus de 97 millions de dollars.
- 98 postes directoriaux dans 28 compagnies industrielles et commerciales, au capital total de 3.583 millions de dollars et jouissant d'un revenu annuel brut de 1 145 millions de dollars.
- 48 postes directoriaux dans 19 sociétés desservant les grandes villes en eau, en électricité au capital total de 2 626 millions de dollars et jouissant d'un revenu brut de 428 millions de dollars.
Au total ces 180 souverains de la banque et leurs directeurs occupent 746 postes directoriaux dans 134 entreprises au capital global de 25 325 millions de dollars (à cette époque plus de 50 milliards de roubles, plus de 125 milliards de francs[28] soit près du tiers du patrimoine national américain.
Tels sont les dictateurs du capital financier eu Amérique ! Quelque deux cents milliardaires et leurs clients disposent de cette immense, richesse et tiennent entre leurs mains toutes les grandes branches de l'industrie !
Cette poignée de magnats du capital financier tient entre ses mains non seulement les destinées de l'industrie nationale de l'Amérique, mais aussi par son intermédiaire une bonne part des destinées du monde. Qu'il nous suffise de rappeler le concours financier décisif prêté par l'Amérique à l'Entente, dès avant son entrée en guerre. Qu'il nous suffise d'indiquer le rôle des milliardaires américains quand l'Amérique entra en guerre.
Tels sont les souverains de tous les gouvernements modernes, tels sont ceux qui décident de la guerre et sont responsables pour les millions de victimes qu'elle a faites !
Il en est ainsi dans tout pays impérialiste. Si par exemple, vous voulez savoir pourquoi la « généreuse » Italie est entrée en guerre aux côtés de l'Entente, parcourez la liste des directeurs et des actionnaires de la Banco Commerciale et vous verrez les noms des capitalistes français ; examinez de plus près les chiffres qui révèlent la dépendance économique de la bourgeoisie italienne vis-à-vis du capital anglais. Là est la cause véritable de l'Alliance de l'Italie avec la France et l'Angleterre ; le désir « d'affranchir les frères de race opprimée » n'y est pour rien.
Nous pouvons désormais dresser le bilan et définir en peu de lignes l'impérialisme contemporain.
Ce faisant nous ne devons pas perdre de vue que l'impérialisme revêt des formes différentes : l'impérialisme anglais n'est pas identique à l'impérialisme allemand. L'impérialisme russe est très différent de ce dernier, etc... Il y a un impérialisme européen, asiatique, américain, blanc et jaune. L'impérialisme japonais est très différent de l'impérialisme français. L'impérialisme russe tient une place à part étant le plus arriéré (on ne peut même plus en dire ; le plus asiatique), le plus « cosaque » et se développant dans un pays économiquement très en retard.
Nous avons pourtant à faire ressortir ce qui nous paraît être essentiellement la caractéristique de l'impérialisme qui donne aujourd'hui le ton à la vie économique et politique du monde, qui fait la pluie et le beau temps, qui décide des destinées du monde.
La formule la plus générale admise jusqu'à présent par la plupart des marxistes dit : l'impérialisme est la politique (économique, étrangère ou autre) du capital financier. Mais cette définition est insuffisante précisément à cause de sa généralité.
Kautsky a proposé la définition suivante :
L'impérialisme est le produit d'un capitalisme industriel puissamment développé. Il consiste en la compulsion de toute nation capitaliste industrielle à se soumettre et à s'annexer un domaine agraire de plus en plus vaste, quelles que soient les nations qui l'habitent.[29]
Mais cette définition n'est pas satisfaisante. Kautsky ne voit qu'une partie du phénomène quand il le ramène tout à la conquête des domaines agraires L'expansion moderne ne s'y borne pas, l'exportation du capital ne se fait pas seulement dans les pays agraires. En outre, la définition de Kautsky est trop académique, incolore, trop anémique. Nous n'y voyons pas une allusion au partage du monde entre les grands rapaces capitalistes, par un écho des tempêtes, des guerres, des révolutions, que l'ère impérialiste nous apporte ; nous n'y trouvons pas un mot sur ce fait que l'impérialisme sévit alors que les conditions économiques nécessaires à la réalisation du socialisme existent déjà dans la plupart des pays capitalistes avancés. Sa définition est faible et terne, bien qu'elle contienne des éléments de vérité.[30]
Hilferding se rapproche davantage de la définition exacte de l'impérialisme, quand il dit :
La politique du capital financier poursuit ainsi trois objectifs : premièrement, créer un territoire économique le plus vaste possible, qui sera, deuxièmement, protégé par de hautes barrières douanières contre la concurrence étrangère, et deviendra ainsi, troisièmement, un territoire réservé aux unions nationales à caractère de monopole.[31]
Hilferding est dans la vérité lorsqu'il parle du « territoire économique le plus vaste possible ». Cette expression est excellente parce qu'elle embrasse la conquête politique directe (annexion prise de possession de colonies) et l'exercice d'une suzeraineté purement économique. Il est aussi dans la vérité quand il mentionne les barrières douanières et les monopoles (trusts et cartels). Tels sont sans nul doute, les signes évidents de l'impérialisme.
Mais la définition de Hilferding ne comprend que des termes économiques. Les aspects politiques et autres de l'impérialisme — très importants — y font défaut.
En nous basant sur tout ce qui précède, nous pensons que la définition marxiste de l'impérialisme contemporain pourrait être exprimée dans les termes suivants :
L'impérialisme contemporain est la politique économique sociale du capital financier qui tend à la création des plus vastes domaines d'exploitation et des empires mondiaux. Il est caractérisé par la tendance du protectionnisme à supplanter totalement le libre-échange et à soumettre toute sa vie économique aux grands monopoles, tels que trusts, cartels, consortiums financiers, etc... Il marque le plus haut degré de l'évolution capitaliste, où l'exportation du capital — et non plus celle des marchandises — a le plus d'importance. Il marque l'époque du partage du monde entre plusieurs grandes puissances capitalistes, et celles des luttes pour de nouveaux partages et pour le partage des derniers territoires alors que les conditions économiques nécessaires à la réalisation du socialisme sont déjà réunies dans la plupart des pays avancés et que les cadres de l'État national entravent le développement ultérieur des forces productrices ; alors que la bourgeoisie cherche à retarder par sa politique coloniale et par des guerres sanglantes, le krach imminent du capitalisme.
Les socialistes français et la guerre[modifier le wikicode]
Source : numéro 7, 8 et 9 du Bulletin communiste, deuxième année, 17 et 24 février et 3 mars 1921, précédé de l'introduction suivante : « Dans son grand ouvrage : La Guerre et la Crise du socialisme, G. Zinoviev consacre quelques pages aux anciens chefs du mouvement socialiste français. »
Corrections de la MIA d'après les originaux cités quand ils ont été retrouvés (la source est alors donnée).
Nous étudierons, afin de caractériser l'évolution des socialistes français en présence de la guerre, les conceptions de Jaurès, de Marcel Sembat et de Jules Guesde.
Les côtés faibles et les côtés forts de la position de Jaurès par rapport à la guerre se révèlent avec une vigueur particulière dans un de ses remarquables discours sur l'idée de la paix et la solidarité prolétarienne. Ce discours devait être prononcé par Jaurès à Berlin, le 9 juillet 1905, devant l'assemblée socialiste que la gravité de la situation au Maroc avait fait convoquer.
Le Chancelier d'Empire, prince de Bülow, adressa dans cette circonstance à Jaurès toute une série de compliments à double sens. Dans une circulaire envoyée au prince de Radolin, ambassadeur d'Allemagne à Paris, Bülow écrivait :
L'on pourrait sans doute se fier au tact de M. Jaurès pour attendre de lui qu'il évitât tout ce qui pourrait causer des désagréments au gouvernement allemand ou au gouvernement français ; on ne saurait malheureusement avoir la même confiance dans les organisateurs allemands de la réunion. M. Jaurès a pu se convaincre lui-même il y a un an, à Amsterdam[32], de l'attitude retardataire de la social-démocratie allemande dont le point de vue purement négatif, doctrinaire et rétrograde contraste avec l'orientation plus pratique des socialistes français.
Payant ainsi son tribut au tact de Jaurès et soulignant comment « il appréciait en lui l'orateur », M. de Bülow lui interdit néanmoins de prendre la parole à Berlin. Jaurès prononça son discours à Paris, et ce discours, reproduit par toute la presse allemande, fut, le jour de la conférence de Berlin, distribué à des millions d'exemplaires.
Dans ce discours que Jaurès ne manqua pas de travailler profondément et qui donne par conséquent l'expression la plus complète de sa politique étrangère, nous lisons ce qui suit :
Oui, nous savons cela, et nous savons aussi que la force ouvrière n'est pas encore assez organisée, assez consciente, assez efficace, pour refouler et neutraliser ces forces mauvaises. Ou bien le prolétariat, séduit par une fausse apparence de grandeur nationale, et corrompu par une part dérisoire du butin capitaliste et colonial, ne s'oppose que mollement aux entreprises de la force. (…) La guerre est, comme l'exploitation directe du travail ouvrier, une des formes du capitalisme, et le prolétariat peut engager une lutte systématique et efficace contre la guerre, comme il a entrepris une lutte systématique et efficace contre l'exploitation de la force ouvrière.[33]
Ce sont là les paroles d'un socialiste convaincu. Il n'ignore pas que la Triple Alliance et la Triple Entente, comparables à deux mécaniciens qui auraient lancé deux trains en sens contraire, sur la même voie, mènent l'Europe à une catastrophe imminente. Jaurès voit clairement que les guerres actuelles ne se justifient que par les intérêts du capital, que les impérialistes s'efforcent de corrompre les travailleurs, en leur jetant les miettes du butin colonial, et de tromper le prolétariat au moyen de leur phraséologie de « grandeur nationale », de culture, de droit, etc.
Jaurès s'exclame :
Il n'y a pas un peuple qui représente contre un autre un système politique et social. Partout, selon un rythme différent mais dans une direction identique, la démocratie s'organise, le prolétariat se meut. Heurtez aujourd'hui l'une contre l'autre l'Allemagne, la France, l'Angleterre. il vous sera impossible du dire quelle est l'idée qui est engagée dans le conflit. (...) Ceux qui chercheraient à mettre aux prises l'Angleterre et l'Allemagne seraient obligés de s'avouer à eux-mêmes et à l'humanité tout entière que la seule âpreté de la concurrence capitaliste suscite et légitime le conflit. Or, le capitalisme, quelles que soient son audace et son impudence, n'aime pas à être surpris de la sorte à l'état de nudité ; et il a si souvent couvert ses méfaits de prétextes honnêtes, qu'il ne reste plus de feuilles au figuier.
Et c'est là encore le langage d'un socialiste. Ce langage vise directement les prophètes actuels du social-chauvinisme, les Vandervelde, les Renaudel et Cie. Vous ne sauverez aucune culture, leur dit Jaurès, vous ne ferez qu'aider les impérialistes à masquer leurs desseins. Jaurès ne s'est trompé que sur un point. Il croyait en 1905 qu'il n'y avait plus de feuilles au figuier... Dix années se sont écoulées depuis et voici que le parti socialiste officiel lui-même en trouve des brassées pour voiler la honte de l'impérialisme.
Jaurès passe ensuite à la question la plus pressante, celle des relations entre la France et l'Allemagne. Il ne cherche pas à blanchir sa patrie. Volontiers il admet que la France « a trop souvent abusé de son unité nationale constituée avant les autres, pour brutaliser et offenser les nations morcelées encore et inorganisées ».
Ce fut pour nos deux nations, il y a trente-cinq ans, une grande faillite d'idéalisme, que nous ne soyons arrivés que par le chemin de la guerre, nous [Français] à la République, vous [Allemands] à l'unité.
Passant à la question d'Alsace-Lorraine, Jaurès dit :
nous socialistes français, (…) nous répudions à fond, aujourd'hui et à jamais, et quelles que puissent être les conjectures de la fortune changeante, toute pensée de revanche militaire contre l'Allemagne, toute guerre de revanche. (...Touché, citoyen Renaudel ! — G.Z.) Car cette guerre irait contre la démocratie, elle irait contre le prolétariat, elle irait donc contre le droit des nations (…) le crime suprême, l'attentat suprême, qui puisse être commis (...) c'est de jeter les uns contre les autres les diverses fractions nationales de la grande patrie internationale.
Et c'est là encore le langage d'un socialiste ferme et convaincu. Mais Jaurès dans ces questions était le Janus à double visage. Ce qui suit lui semble inspiré par un mauvais esprit. D'une main il sème le socialisme, la haine de l'impérialisme ; de l'autre, bien que son geste soit hésitant, contenu, comme honteux, il laisse choir les graines qui, depuis, ont donné une si abondante moisson au socialisme chauvin...
La France, nous assure Jaurès, a « éliminé le césarisme ». « Si la nation française était conduite à la guerre, ce serait ou par une agression du dehors, ou par l'effet indirect et imprévu de combinaisons dont elle n'aurait pas mesuré les conséquences »....
Dans cette phrase qui semble incidente, il faut voir sans nul doute une allusion à ce que, en cas de guerre défensive, les ouvriers soutiendront « leur » gouvernement. L'orateur semble avoir oublié ce qu'il vient de dire sur les feuilles de figuier... Car la théorie de la guerre défensive est bien la feuille de figuier préférée de MM. les impérialistes.
Mais continuons :
l'alliance franco-russe n'a jamais été offensive (...) Dans la réconciliation avec l'Italie, dans le rapprochement avec l'Angleterre, ils [les socialistes et les républicains français] saluaient une garantie nouvelle pour la paix, pour le développement de l'esprit de liberté en Europe. (...) C'était là, je vous l'affirme, la pensée presque unanime des Français. (dont il faut excepter ici les impérialistes qui dirigeaient, en fait, la politique étrangère ! — G. Z.). L'opinion française (...) ne s'est pas rendu d'emblée un compte suffisant des intérêts que l'Allemagne pouvait avoir au Maroc. (...) [La] faute la plus grave [de la diplomatie allemande], c'est de n'avoir pas averti à temps et assez nettement l'opinion française du prix qu'elle attachait aux intérêts de l'Allemagne au Maroc et des inquiétudes que l'accord franco-anglais lui inspirait a cet égard. (…) (Comme s'il suffisait d'avertir, de faire connaître pour que tout s'arrange ! — G. Z.)
Où sont dans tout ceci les intérêts des coteries impérialistes qui tiennent entre leurs mains les intérêts du monde ?
Mais lisons encore :
Si on attendait de nous, directement ou indirectement, une répudiation de l'amitié franco-anglaise, nous serions irréductibles (...) l'entente de la France et de l'Angleterre est une victoire de la civilisation et une garantie pour la paix. Que les deux peuples longtemps divisés aient su dissiper les malentendus, dominer les défiances, c'est un effort de sagesse et de raison, et un salutaire exemple.
C'est à n'y pas croire ! Le rapprochement de la France et de l'Angleterre s'est accompli d'après la formule : « L'Egypte en échange du Maroc, le Maroc en échange de l'Egypte ! » Nul ne l'ignore[34]. Ni les impérialistes français, ni les impérialistes anglais n'en ont fait mystère. Et ce rapprochement n'a pas été un « gage de paix » ; il a marqué au contraire l'approche de la guerre entre les deux grands trusts impérialistes rivaux. Et Jaurès, qui connaissait admirablement la politique extérieure, qui était mieux que personne au courant des intrigues dans les coulisses et les ficelles secrètes de la diplomatie européenne, Jaurès en parle au nom de ses théories socialistes-pacifistes — comme d'une victoire de la paix, etc. Il va même jusqu'à affirmer que les bases de l'entente cordiale franco-anglaise ont été jetées « par les travailleurs français et anglais ».
Cette façon de comprendre l'entente anglo-française et la triplice n'était pas fortuite chez Jaurès. Il publie en 1907 dans l'organe de la libre-pensée libérale allemande, le Berliner Tageblatt, un article-programme qui fait grand bruit et suscite, de la part des marxistes allemands représentés par Rosa Luxemburg les plus vives protestations ; Jaurès écrit :
L'entente entre la France, l'Angleterre et la Russie, la Triple-Entente n'est pas en elle-même une menace à la paix. Elle peut au contraire poursuivre des buts pacifiques et exercer son influence en faveur de la paix. Cette entente démontre en tout cas que des antagonismes que l'on croyait irréductibles peuvent être surmontés. Au temps de Fachoda, il parut que la France et l'Angleterre étaient à la veille de la guerre ; ces deux puissances viennent de conclure maintenant l'Entente Cordiale. N'étant encore qu'un enfant, j'entendis répéter à l'école que la Russie et l'Angleterre étaient en Asie des ennemis irréconciliables. — Et vous voici arrivés à l'entrevue de Réval qui solutionne par un accord les questions litigieuses en Asie et peut-être en Europe.
Est-il donc impossible de régler de même les litiges entre l'Allemagne et l'Angleterre ?
La nouvelle triple entente pourra même concourir à cette solution si la France a la juste notion de son rôle et si à côté de la notion de sa force, elle place la notion de son droit.
Encore une fois, c'est à un degré stupéfiant que les rêveries pacifistes obscurcissaient la vision de Jaurès ! Jaurès connaissait tous les dessous de la diplomatie européenne. Sa situation dans le monde politique français lui permettait d'étudier tous les jours l'anatomie et la psychologie du capital financier. Toutes les innombrables « affaires » au cours desquelles deux coteries du capital financier entraient en conflit se déroulaient sous ses yeux. Il arrivait même souvent que leurs querelles nécessitaient l'intervention des commissions parlementaires. Et c'est Jaurès que l'on nommait alors à la présidence des commissions d'enquête (affaire Rochette, affaire Caillaux) comme le seul homme probe et désintéressé.
On ne peut concevoir que Jaurès — en 1908 — ne comprît pas quels intérêts matériels de groupes nettement impérialistes se dissimulaient derrière les accords diplomatiques dont il parle dans lies lignes citées plus haut ! Pouvait-il ne pas comprendre que le partage de l'Asie — à commencer par la Perse — n'a rien qui puisse réjouir un socialiste ? Pouvait-il ne pas comprendre le rôle de cet accord anglo-russe dans la politique intérieure de la Russie ?
Rosa Luxemburg avait parfaitement raison d'écrire en termes indignés, dans sa lettre ouverte à Jaurès[35] :
Qu'eussiez-vous dit s'il se fût jamais trouvé en Allemagne, ou en Russie, ou en Angleterre, des socialistes et des révolutionnaires qui « dans l'intérêt de la paix » eussent défendu l'alliance avec le gouvernement de la restauration, ou bien avec le gouvernement de Cavaignac, — ou avec celui de Thiers et de Jules Favre ; et l'aient couverte de leur autorité morale ?
La question d'Orient était dès lors la pomme de discorde entre les deux impérialismes. Autour de la Turquie la mêlée des intérêts capitalistes devenait terriblement âpre. On ne pouvait pas ne pas s'en apercevoir. Et pourtant Jaurès, dans le même article de fond — publié par un journal qui défendait les intérêts de l'impérialisme allemand — invite les impérialistes à se partager pacifiquement le gâteau turc.
C'est un grand malheur que l'Allemagne semble se solidariser avec la Turquie. (...) Si l'Allemagne avait élevé en son temps, à Constantinople, la voix de la raison, la tâche des amis de la paix en eût été facilitée pour donner au rapprochement entre la France, la Russie et l'Angleterre un caractère véritablement pacifique et hâter de la sorte l'heure où la Triple Entente et la Triple Alliance pourront s'unir en une vaste entente européenne.
Je peux dire que les socialistes français travaillent dans la mesure de leurs forces et avec une passion ardente à la réalisation de ce dessein[36].
Les socialistes français eussent difficilement trouvé un objet moins digne de leurs efforts. Rêver de réconcilier par des prêches de morale les deux trusts impérialistes — et qualifier cela de « politique réaliste » ! Jaurès prouve ainsi — et de façon frappante — qu'on ne peut être un grand utopiste et n'avoir qu'une toute petite utopie....
C'est en vain que Rosa Luxemburg lui démontra dans sa lettre ouverte que les intérêts des Etats capitalistes actuels, en politique étrangère, diffèrent selon qu'on les envisage du point de vue des classes gouvernantes ou de celui du prolétariat. C'est en vain qu'elle lui rappela — ce qu'il ne pouvait d'ailleurs pas ne pas savoir — qu'il ne s'agit pas uniquement de politique coloniale. C'est en vain qu'elle l'invita à démasquer les mensonges des deux diplomaties en présence an lieu d'encourager leurs manœuvres. Jaurès continua à se croire dans le bon chemin.
Dans les citations que nous avons empruntées à un discours et à un article d'un représentant autorisé de la IIe Internationale, toutes les contradictions de cette Internationale même sont visibles. En de nombreuses résolutions, la IIe Internationale dénonçait cruellement l'impérialisme et conviait les travailleurs à une lutte impitoyable contre la guerre. Mais il tolérait pourtant les phrases sur « la guerre défensive », sur la « défense nationale », les accords pacifiques, etc., qui ont servi par la suite de point de départ à la bacchanale du chauvinisme socialiste.
Quatre jours avant sa mort, à la veille même de la guerre Jaurès parlant à Lyon-Vaise, reconnaissait le caractère impérialiste de la guerre imminente. Démocrate probe, il ne ménageait pas son propre gouvernement. « La politique coloniale de la France était coupable », disait-il, et la « politique étrangère qui craint la lumière était l'alliée principale de cette dernière ».
Ainsi s'exprimait encore Jaurès en juillet 1914. Et pointant, on a peine à ne pas croire que Jaurès, s'il avait échappé aux balles de son assassin, eût suivi la même politique que ses successeurs actuels. Vaillant, Sembat et leurs amis, ne connaissaient-ils pas comme Jaurès le caractère véritable de la guerre qui approchait ? Le pacifisme démocratico-bourgeois avait des racines trop profondes chez Jaurès pour qu'il pût surmonter les vieilles traditions de la bourgeoisie française révolutionnaire, pour qu'il pût se débarrasser de l'idée de défense nationale et surmonter les contradictions intérieures dont est morte la IIe Internationale. Jaurès, qui a pris une part si importante à la rédaction des résolutions de Stuttgart et de Bâle — résolutions où il n'y avait pas un mot sur la défense nationale, mais qui invitaient le prolétariat à consacrer toute son attention à la lutte contre l'impérialisme, — Jaurès écrivait à peu près à la même époque son livre sur l'Armée Nouvelle, dont la défense de la patrie est l'idée maîtresse. Et défendant le projet d'une réforme radicale de l'armée française, il faisait surtout valoir qu'elle accroîtrait les forces de la France, que l'armée nouvelle pourrait mieux défendre le territoire national... Dans le projet de loi de réforme militaire annexé à son livre, Jaurès énonce dès le premier de ses 18 articles le devoir de tout citoyen âgé de 20 à 45 ans de participer à la défense nationale. — C'est écrit après le Congrès de Stuttgart, après le conflit marocain, à la veille de l'expédition italienne en Tripolitaine et de la première guerre des Balkans, 4 ou 5 années avant la première grande guerre impérialiste européenne. Il l'écrit à Paris, dans la capitale de l'une des plus grandes puissances coloniales ! Et l'homme qui écrit cela connaissait mieux que personne l'envers de la politique internationale des « grandes » puissances, pouvait de plus près que tout autre socialiste observer les vilenies, le caractère réactionnaire, l'esprit de lucre et de pillage de la politique de la ploutocratie financière jouant le destin des patries !
Jaurès connaissait naturellement tous les mobiles de la politique coloniale. Il reconnaissait que les « bandits colonisateurs » pouvaient d'un moment à l'autre provoquer la guerre. Parlant du congrès de Stuttgart, il disait à Paris (1907) :
Au moment où je vous parle, il y a des flibustiers, il y a des journalistes de proie, il y a des banquiers d'audace, il y a des capitalistes cyniques qui rêvent au Maroc une grande expédition fructueuse.
Contre ces projets, contre la guerre, il faut lutter de toutes nos forces. Mais par quels moyens ?
L'arbitrage constitue la revendication essentielle de Jaurès :
Quand un litige commencera, nous dirons aux gouvernants : Entendez-vous par vos diplomates. Si vos diplomates n'y réussissent pas, allez devant les arbitres que vous avez désignés vous-mêmes, inclinez-vous devant eux ; pas de guerre, pas de sang versé : l'arbitrage de l'humanité, l'arbitrage de la raison. Et si vous ne le voulez pas, eh bien, vous êtes un gouvernement de scélérats, un gouvernement de bandits, un gouvernement de meurtriers. Et le devoir des prolétaires, c'est de se soulever contre vous, c'est de prendre, c'est de garder les fusils que vous leur mettez en mains, mais non pas... (…)
C'est une révolution qui sortira non seulement du cœur du prolétariat révolté à la seule pensée de la guerre où on veut l'entraîner contre d'autres prolétaires ; cette révolution jaillira aussi de la conscience même du pays. (…)
« Vous voulez la paix ? Allons devant les arbitres » (…)
Ou s'ils ne le veulent pas, s'ils continuent alors à mobiliser leurs bataillons, ce sera pour écraser le prolétariat et le prolétariat se défendra lui-même en défendant la patrie de la Révolution.[37]
L'arbitrage ou la révolution ! Le biographe de Jaurès résume ainsi son point de vue. Et ce dilemme caractérise on ne peut mieux le tribun disparu.
La classe ouvrière doit s'insurger... au nom de l'arbitrage, pour contraindre les gouvernements à s'incliner devant le tribunal arbitral de la Haye !
Peut-on concevoir plus parfaite utopie ?
Tout le jauressisme est là : pacifisme à doublure révolutionnaire.
D'une part, les appels les plus révolutionnaires, la dénonciation impitoyable des flibustiers « coloniaux ».
De l'autre, cette déclaration : « aucune contradiction pour les prolétaires socialistes et internationalistes à participer de façon active à l'organisation populaire de la défense nationale ».
D'une part, l'intelligence la plus nette du rôle du militarisme entre les mains des impérialistes. — De l'autre, les projets de création de « l'armée nouvelle », d'une « armée idéale au service de l'idéal ». — Jaurès, écrit son biographe, « aime passionnément l'armée parce qu'il adore la France. ». Tout Jaurès est là.
Marcel Sembat[modifier le wikicode]
Dans toutes ces questions (de guerre et de paix), l'attitude de Marcel Sembat est intéressante. Faire plus ample connaissance avec ses vues à ce sujet est, sous certains rapports, plus important encore que d'étudier celles de Jaurès.
- Il les a énoncées dans un petit livre, après tous les autres leaders du socialisme français. Nous voulons parler du livre : Faites un roi, sinon faites la paix.
- Il est à l'heure actuelle non seulement ministre[38], mais, en fait, l'un des leaders les plus influents du parti.
- Et c'est là l'essentiel — même au temps de Jaurès et de Vaillant, Sembat, avec incomparablement plus d'exactitude, reflétait la psychologie, la mentalité de toutes les sommités du parti socialiste français, de ses parlementaires, de ses politiciens, de ses aventuriers, et si l'on peut ainsi dire, de ses sphères dirigeantes.
Jaurès et Sembat étaient réformistes. Mais il y avait chez Jaurès une immense réserve d'idéalisme révolutionnaire. Il avait foi en l'idéal socialiste, en la société future, et de toute son âme il aspirait à elle. Il planait bien souvent sur cette terre pécheresse. Il s'élevait d'une coudée entière au-dessus de tout l'état-major « jauressiste » de députés, de rédacteurs, de politiciens. Marcel Sembat, lui, est « libre » de tout cela. Et c'est la raison pour laquelle il est devenu précisément l'interprète fidèle du réformisme moyen français, de ce réformisme qui en pratique a acheminé le parti socialiste français à la politique du 4 août.
Jaurès avait foi en l'idéalisme humain, il croyait au triomphe de la cause juste, il croyait que la parole honnête, équitable, chaude peut aller jusqu'au cœur de ceux qui président aux destinées des peuples. Rien de semblable chez Sembat. Il ne croît, peut-on dire, ni à Dieu, ni au Diable. Le trait dominant de son caractère est un scepticisme illimité qui ronge tout. Il est trop « lucide » pour croire comme Jaurès au pacifisme. Les dessous de la politique étrangère des grands Etats lui sont parfaitement connus.
En particulier il connaît tous les piliers de l'impérialisme français comme ses cinq doigts. A l'occasion il sait les railler avec mordant. Il connaît on ne peut mieux tous leurs points faibles, et c'est ce qui fait qu'à tout coup ses flèches atteignent merveilleusement le but. Toutefois, il n'en reste pas moins un des leurs, un de leurs proches. On sent bien qu'ils ne sont pas pour lui de mortels ennemis. Ils défendent — quoi qu'on en dise — la grandeur de la patrie française. Il faut les mettre en garde contre leurs erreurs. il faut lutter contre eux, il faut aller jusqu'à condamner certains de leurs procédés. Mais ils sont tout de même français...
Lisez donc le spirituel pamphlet pétillant de cynisme du Marcel Sembat : Faites un roi. C'est là ce qui a été écrit de plus caractéristique, de plus typique au sujet de la guerre et de la paix par les socialisées français de la dernière formation — de cette formation qui a conduit les socialistes français à « l'union sacrée » avec leurs impérialistes. Sembat savait pertinemment en 1913 vers quoi les impérialistes français orientaient leur action.
« J'étais, dit-il, bien placé, j'avais une place excellente, un observatoire parfait : la Commission du budget », et les autres commissions du parlement français, dont Sembat était membre. Il connaît parfaitement non seulement la ligne politique, le programme, les intrigues diplomatiques du groupe dirigeant, mais encore les particularités de chacun de ses membres influents. Lorsque, à larges traits, presque en artiste, il esquisse des portraits, tous ces Caillaux, ces Delcasse, ces Clemenceau, ces Viviani s'agitent devant vous comme s'ils étaient vivants. On se sent pénétré de l'esprit de ce socialisme français.
Que la guerre fût inévitable — et précisément pour les colonies, pour les « sphères d'influence », en un mot pour l'impérialisme — c'est ce que Sembat avait parfaitement entrevu. Tous le savaient. Léon Daudet le criait dans son livre L'avant-guerre.
« Le système actuel des alliances n'assure pas la paix : il mène à la guerre. », écrivait Sembat. Il reconnaît sans peine que la différence entre la guerre offensive et défensive n'a plus aucun sens. On dit qu'il ne faut soutenir que la guerre défensive. « Mais la guerre défensive est une guerre aussi bien que l'offensive, et la pensée de se défendre peut conduire à attaquer. »[39].
« Mon ami Jaurès, entre autres, me l'a dit à plusieurs reprises : « Vous vous exagérez le péril. Il ne faut pas croire que la guerre doive infailliblement survenir. Chaque année qui s'écoule consolide la paix et diminue les chances de guerre ». Sembat considérait les choses plus froidement et ne le croyait pas. Il se gaussait des rêves pacifistes. « Cher monsieur Normann Angell, votre livre est intéressant, et votre intention excellente. S'il n'a pas empêché la guerre des Balkans, c'est, croyez-vous, que les affaires y sont à l'état naissant. Mais la grande illusion est celle qui vous a bouché les yeux, comme à tout homme possédé d'une idée. »[40].
le bourgeois en général est moins hostile à la guerre que la masse ouvrière. Phénomène notable ! Dans la classe ouvrière, c'est la partie la plus consciente et la plus active qui est la plus violemment opposée à la guerre : dans la bourgeoisie, c'est souvent la partie éclairée qui se déclare patriote et belliqueuse.[41]
Ainsi écrivait Sembat en 1913. A l'heure présente, la partie « éclairée » de la bourgeoisie a réalisé son plan, et M. Sembat, fort à regret, a cru devoir apprécier tout autrement les travailleurs qui contrecarrent ce plan...
La réciprocité des rapports entre la Russie et la France rappelle à Marcel Sembat une farce italienne : le personnage auquel son collègue soulage convenablement les poches, tape sur l'épaule de celui-ci avec bonhomie et lui crie : « Je te protège ! ».
je n'ai jamais compris ceux des publicistes de chez nous qui s'obstinent à nous imposer le rôle d'alliés naturels des Slaves. Il me semble que la civilisation européenne est jusqu'ici le patrimoine commun des Français, des Allemands, des Anglais, des Italiens, et que le triomphe des Slaves, la suprématie des peuples slaves, l'hégémonie russe, risqueraient de le compromettre. (...) Nous unir avec eux [aux Russes] pour détruire les Germains ou placer ces derniers sous leur joug, auquel nous n'échapperions pas longtemps non plus, ce serait montrer au monde la France travaillant avec la sauvagerie contre la civilisation.[42]
Sembat rappelle l'exemple du roi François Ier qui, en son temps, n'avait pas hésité à lancer les hordes turques contre Vienne et qui disait alors « avoir lancé les chiens » contre l'Autriche. Et Sembat d'interroger : « Tenons-nous le tsar, ou est-ce lui qui nous tient en bride ? » Il fut un temps où Sembat appréciait de même bien autrement qu'en 1914-1916 l'Alliance franco-anglaise. « Rappelez-vous Fashoda ! » s'écriait Sembat en 1913. « Et Marchand évacué, et Delcassé pleurant ! (...) Nous ne sommes pas forcés de nous battre pour plaire à des gens [les Anglais] qui comptent bien rester à l'abri des coups les plus dangereux. »[43].
Sembat ne voulait pas la guerre, bien qu'il sût que la conflagration européenne approchait irrésistiblement. En général, il ne la voulait pas à cause de toutes ses horreurs, et surtout, peut-être, parce qu'elle lui apparaissait grosse de désastres pour sa patrie. Dès lors, on comprend pourquoi il ne tarissait pas de sarcasmes amers à l'adresse de ceux qui, par leur politique, rendaient la guerre inévitable.
quand Vaillant me dit pendant la guerre russo-japonaise : « Delcassé veut nous jeter, malgré nous, derrière la Russie, et l'Angleterre est avec le Japon ! (...) je ne songe pas, aucun d'entre nous ne songe : « Dieu ! Que j'ai peur ! Où me cacher ! » Je ne songe pas, et aucun d'entre nous ne songe : « Que vais-je perdre ? » Je songe : « Ah ! Salauds ! Brigands ! Idiots ! Bandits ! La guerre ? Mais c'est le retour des sauvageries ! (...) la Guerre nie la liberté, nie la justice.[44]
Mais que faire pour lutter contre la guerre ? Sembat ne croit pas a la lutte révolutionnaire. Lorsqu'il entend Vaillant faire le serment d'Annibal : « Plutôt l'insurrection que la guerre », il ne peut retenir un léger sourire de scepticisme. II considère Vaillant (et dans une certaine mesure Jaurès) comme de grands enfants, et du haut de sa maturité s'étonne que des hommes faits puissent croire à de pareilles sornettes.
Son parti mène à grands coups de tam-tam une agitation intense contre la guerre qui s'annonce. Sembat reste aussi froid que la glace. Il administre à ses camarades trop épris de pacifisme, des douches froides ; parfois même, il les raille avec mépris.
Approchons d'une tribune, voulez-vous ! (…)
...« Prolétariat tout entier !... plutôt l'insurrection que la guerre... la presse empoisonneuse, les complots des capitalistes... le Creusot... les fabricants de canons, à la force capitaliste nous opposerons la révolte ouvrière... »
Ils crient trop ! Leur voix se casse, et ils se déchirent la gorge.
...« Citoyens, nous sommes tous debout contre la guerre, contre toute guerre ! Guerre à la guerre ! »[45]
Combien chez l'homme qui écrit ces lignes goguenardes peut-il y avoir de souverain mépris pour ces travailleurs, pour ceux qui ajoutent foi à ce que leur dit leur propre parti !...
Sembat lui-même n'en croit absolument rien.
La grève générale ? Oui ! Les syndicats ont voté ! Ils marcheront ! L'insurrection ? Les barricades ? Oui ! Il y aura du mouvement dans les faubourgs, surtout si le peuple a l'impression que nous sommes les agresseurs, les provocateurs.
Mais si nous étions les provoqués ? Si Guillaume, carrément, nous attaquait ?
« Les socialistes allemands sont là pour un coup ! » Cela, c'est la phrase pour l'adversaire (...) « Et si les socialistes allemands, ont, comme nous-mêmes, plus de bonne volonté que de puissance ? S'ils ne peuvent pas arrêter l'agression ? (...) la presse chauvine est diablement canaille quand il s'agit de brouiller les cartes, des deux côtés de la frontière ! (Ce qui est vrai, est vrai ! — G. Z.).
Ah ouiche ! Sitôt l'attaque de Tripoli, ça a été le coup de folie, le flot débordé ! Rien à faire ! Tout le peuple marchait pour la guerre. Le parti socialiste ? Les syndicats ? Une poignée de bonshommes qui rédigeaient des ordres du jour et qu'on ne prenait même pas la peine de fourrer en prison, tant on s'en fichait.[46]
(…)
Et on va faire l'affiche, l'article, le nouveau papier ! Écrit par des gens qui n'osent pas tout dire, et lu par des gens qui n'osent pas tout s'avouer ![47]
Pour un homme qui ne craint pas de raisonner ainsi, il est clair que toutes les décisions des congrès socialistes français et internationaux sont de la « phraséologie » creuse et des « chiffons de papier ». Et sous ce rapport, Sembat n'était pas le seul parmi les leaders opportunistes de la IIe Internationale. Lorsqu'il leur arrivait de rédiger une solennelle résolution, ils se considéraient les uns les autres le plus souvent comme des augures.
« Belles journées de Bâle où vers la vieille cathédrale se pressaient par les rues montantes les processions de l'Internationale ! », rappelle Sembat.
Mais pour lui ce n'est rien de plus que le souvenir platonique d'un beau spectacle.
Jamais il ne prit au sérieux les promesses faites au congrès de Bâle en 1912. Et il savait bien que les opportunistes de ce défilé du Rhin ne s'en souciaient, eux aussi, que fort peu. Est-il étonnant dès lors, ainsi que le raconte lui-même Sembat, que les bourgeois français s'en moqueront et se gaussèrent de ce congrès, qu'ils appelèrent « le Grand Pardon de Bâle »[48]
De ces trois cent milles internationalistes de Treptow combien auraient consenti à livrer l'Allemagne sans défense aux coups des chauvins ? Pas un ! et bravo ! Je les en félicite ! Nous non plus n'acceptons pas de livrer la France aux pangermanistes ![49]
Où donc est l'issue ?
Chez Sembat, il n'y en a pas. Fort justement, il nous a parlé lui-même de la « ruse diabolique » dont on use pour tromper le peuple des deux côtés de la frontière, et de la façon dont on brouille les cartes pour masquer la guerre impérialiste sous le prétexte de guerre du « droit » et de défense. Mais que faire ? Il ne croit pas en la lutte révolutionnaire des masses. Aussi conclut-il avec la résignation d'un fataliste :
Il en résulte qu'il ne faut pas compter sur nous plus que sur les pacifistes pour maintenir et garantir aujourd'hui, en toute hypothèse et contre tout péril, la paix de l'Europe.[50]
Où donc chercher le salut de l'homme qui ne veut pas la guerre, mais qui ne croit pas à l'action révolutionnaire des masses ? Dans les projets des cours d'arbitrage ou de limitation volontaire des armements ? Bien sûr, Sembat ne serait pas loin de nous le proposer. Mais il est trop réaliste pour ajouter foi sérieusement à ces projets.
Clemenceau le faisait très justement remarquer, dans un article de L'Homme libre. Comment voulez-vous que deux Etats qui, demain, vont se battre, fassent convention de limiter leurs chances en limitant leurs armements ?[51]
Sembat sait bien que ce n'est pas avec de bonnes paroles qu'il convaincra Clemenceau et ses rivaux de la nécessité d'interrompre la course aux armements. Il ne lui reste plus qu'un moyen : le convaincre — nous ne parlons pas, bien entendu, du Clemenceau individuel, mais du Clemenceau collectif, de la haute finance qui gouverne la France — que ses propres intérêts exigent présentement une paix solide avec les impérialistes d'Allemagne, et que ses propres appétits seront bien mieux satisfaits par une alliance avec ce maudit Guillaume. Sur ce terrain — glissant, hélas ! et combien stérile — Sembat s'engage avec tout son programme « pratique ». Ce programme est on ne peut plus simple. Il s'agit de convaincre les intéressés que l'alliance avec l'Allemagne impérialiste ne sera pas sans avantages pour le Capital français.
Mais... et l'Angleterre ? Ce n'est un secret pour personne que la première condition de son alliance avec la France fut la lutte contre l'Allemagne. L'Egypte pour le Maroc ! Cette formule n'est-elle pas dirigée directement contre l'impérialisme allemand ?
Ces obstacles, Sembat les écarte de sa route à l'aide d'un argument vraiment trop enfantin. « Quant aux Anglais raisonnables, leur souhait très vif est l'entente de l'Angleterre avec la France et l'Allemagne »[52]. On voudrait connaître ceux que Sembat considère comme les « raisonnables » parmi les Anglais. Mais il n'est pas douteux que les impérialistes anglais, qui en fait gouvernent l'Angleterre, aient eu surtout besoin de l'accord franco-anglais — aussi bien que de la Triple-Entente — comme d'un levier contre l'impérialisme allemand.
Après avoir écarté (sur le papier) de si simple façon le principal obstacle, Sembat se met en devoir de démontrer tout le profit qui résulterait d'un accord avec l'Allemagne... du point de vue français.
Qui donc ignore que tout l'effort de l'Allemagne et de son empereur a tendu pendant de longues années à sceller avec nous un étroit rapprochement, si nous consentions à l'accepter ? (...) Nous (..) avons raillé [l'empereur Guillaume] ! Nous avons trouvé fin, spirituel et délicat de le plaisanter sur les avances qu'il nous prodiguait !
C'est incontestablement vrai. Sembat a raison. Il fut un temps où l'impérialisme allemand aspirait ardemment aux embrassements des capitalistes français. Les capitalistes allemands avaient le plus grand besoin du capital français. Précisément d'ailleurs pour lutter contre l'impérialisme anglais. A un certain moment, les gentlemen de l'impérialisme franco-allemand se faisaient si pressants auprès de la belle France capitaliste, qu'ils ne lui donnaient pas même le temps de reprendre haleine. Sembat propose de trancher très simplement la question : donner simultanément main et cœur aux deux prétendants. Mais sans parler des principes les plus élémentaires de morale et de droit qui, au dire de G. Plekhanov, inspirent les diplomates de certains pays, pareille solution n'était guère possible sans l'acquiescement des deux prétendants.
Mais Sembat ne cesse pas de presser la belle France récalcitrante.
M. Maurice de Waleffe m'objectait (…)
« Vous n'y songez pas, disait-il, ils demanderont l'admission des valeurs allemandes à la Bourse de Paris ! »
J'y songe très bien, (...) En effet, les Allemands demanderaient certainement cela (…). Cette perspective (…) ne m'effraie nullement ; et je suis beaucoup moins alarmé par l'offre ouverte de titres allemands aux placements français que par le transport méthodique de nos capitaux à l'étranger.
Sembat redoute moins l'admission des valeurs allemandes à la bourse de Paris que l'émigration des capitaux français à l'étranger. La première alternative ne « l'effraie nullement », la seconde n'a pas le don de lui plaire ! C'est affaire de goût, citoyen Sembat ! L'émigration des capitaux à l'étranger ne vous plaît pas. Mais pour les impérialistes de tous les pays, et notamment pour les impérialistes français, c'est l'alpha et l'oméga de toute leur politique. Et sachez bien que ce sont eux qui décident de leurs affaires, et non vous ; et après que vous-mêmes avez exclu toute idée d'intervention sérieuse de la classe ouvrière et que les impérialistes peuvent en toute liberté agir à leur guise, avouez donc... qu'il est naïf d'apprendre aux requins de la finance que l'admission des valeurs allemandes à la bourse française leur serait une source de profits, et que le placement des capitaux à l'étranger, qui leur rapporte des bénéfices inouïs et leur fait entrevoir nombre d'avantages politiques, ne peut leur être d'aucun profit...
« L'entente franco-allemande, et la fondation d'une solide Paix ». Ce programme « nous est commandé par le seul souci d'éviter une guerre imminente »[53]. C'est ainsi que continue Sembat. Mais du fait que les impérialistes français n'ont nullement le désir d'éviter l'inévitable, et que les arguments de Sembat n'ont pas le don de les convaincre, il ne lui reste plus qu'à recourir au dernier moyen. Il cherche à les épouvanter par l'idée qu'il sera bientôt trop tard et qu'il leur faudra se repentir.
L'Allemagne d'aujourd'hui peut trouver grand intérêt encore à nous avoir pour sûrs amis. L'Allemand de demain peut trouver plus d'intérêt à nous réserver comme une proie qu'à solliciter notre alliance. Nous avons déjà perdu beaucoup de temps. N'en perdons pas davantage ! Si le rapprochement nécessaire s'était fait il y a dix ans (…) nous eussions été accueillis avec plus d'empressement et de gratitude ; il n'eut tenu qu'à nous déjouer le grand rôle dans cette nouvelle puissance diplomatique, d'incomparable force, formée par l'accord intime de la France et de l'Allemagne. La situation n'est plus la même. (…) Mais n'exagérons plus ! La France peut encore apporter à l'Allemagne une valeur de premier ordre : suprématie militaire incontestable, par la réunion de nos forces qui fixe désormais l'hégémonie de l'Europe occidentale ; formidable appoint de capitaux qui développe le crédit de l'Allemagne et l'assied sur une base sûre ; vaste champ colonial ouvert à l'entreprise germanique. (…)
« Et nous ? Que recevons-nous en échange ? Qu'y gagnons-nous, à cette alliance ? Que va-t-on nous donner ? »
Calmons-nous, je vous prie ! pas d'emballement ! Nous pouvons encore aujourd'hui offrir tout cela !Prenons garde que demain on ne se croie en état de nous le prendre de force ! Notre situation pour négocier l'entente est bonne ! Profitons-en, car il faut, en la concluant, être assez forts au moment du contrat pour y imposer les clauses de sauvegarde qui nous assureront la durée et la continuité de notre force présente.
Gardons-nous comme du feu de demander à l'Allemagne ce qu'elle ne peut pas nous donner. Elle ne peut pas nous donner l'Alsace-Lorraine (…) Ne demandons pas l'impossible ; cette sagesse nous permettra d'obtenir tous les possibles.
Le seul fruit de l'entente franco-allemande doit être pour la France de fonder définitivement la paix européenne et de s'assurer pour l'avenir, dans l'Europe occidentale consolidée, les conditions de son libre développement et de sa légitime influence.[54]
Où trouver, dans tous ces raisonnements de Sembat, ne serait-ce que l'ombre d'une politique de principes socialistes ? A coup sûr, nulle part. Son programme se borne à recommander aux impérialistes français de se contenter de ce qu'ils ont déjà et de ne pas se mettre en quête de nouveauté. Est-ce que les colonies nous manquent ? s'écrie Sembat. Du moment qu'il faut nous assurer de la paix, d'une « légitime influence » et d'un « libre développement », Seigneur, faites que nos désirs soient exaucés ! C'est tout ce dont nous avons besoin. Pourquoi donc nous attirer encore des déboires par de nouvelles conquêtes ?...
Au fond, il ne s'agit ici, entre Sembat et les impérialistes français, que d'une querelle sur une question de fait. Et il est bien probable, qu'en la matière, les impérialistes ont plus raison que Sembat. Il est très possible que la vérité fût de leur côté, lorsqu'ils affirmaient que, rien que pour garder les colonies « bien acquises », et les sphères d'influence, la guerre avec l'Allemagne était inévitable. En ce sens, les impérialistes étaient aussi partisans de la guerre « défensive ». Aussi ne manquaient-ils pas de répondre à Sembat et à ses disciples : Messieurs, nos désaccords ne sont pas si grands que vous admettiez vous-mêmes la guerre « défensive »...
Sembat exhorte les dirigeants français à renoncer définitivement à l'idée d'un retour de l'AIsace-Lorraine.
L'Allemagne, dit-il, ne la rendra jamais. Pour l'Allemagne, la question de l'Alsace-Lorraine n'existe déjà plus, en ce sens que la population même de ces provinces s'est fondue dans l'Etat allemand. L'Alsace-Lorraine ne veut obtenir au maximum que l'autonomie, Alsace-Lorraine aux Alsaciens-Lorrains ! Tel est le cri le plus populaire. Et « nous » n'avons pas besoin d'obtenir de l'Allemagne le retour de ces provinces[55] — déclare Sembat, auquel peu s'en faut que les larmes ne montent aux yeux. Mais ici encore il n'a pas le moindre succès. Ne savez-vous pas, cher monsieur Sembat, que, pour nous, il s'agit moins de l'Alsace-Lorraine que des colonies ? lui répond-on Et par quel moyen les garder, si l'Allemagne n'entend pas tolérer notre puissance coloniale actuelle ?... Ce à quoi Sembat et ses disciples, tant ils étaient restés sur le même terrain, ne trouvèrent rien à répondre. Dès ce moment ils étaient déjà prisonniers de l'impérialisme.
Personne ne connaît mieux la vraie physionomie des magnats du capital, que Sembat. Ce n'est pas pour rien qu'il fut « bien placé »...
On y voit ces grandes compagnies comprendre très vite qu'il est infiniment plus fructueux d'exploiter l'Etat que les lointains territoires ; et qu'il y a plus d'or à tirer de la faiblesse des ministres que des sauvages d'Afrique.[56] (…) Les ministres passaient : la Compagnie durait ! (…)
L'histoire financière contemporaine de la France, si elle était jamais sincèrement écrite, serait faite de l'histoire d'une foule de pillages particuliers, comme la mise à sac d'une ville conquise !
C'est la mise à sac d'une nation sans cervelle par des financiers habiles. Voyons ce qui se passe quand l'Etat français a en face de lui, non plus des nationaux, mais des gouvernements étrangers.[57]
Les louches trafics, les enchères et les surenchères, entre les impérialistes des différents pays, n'avaient pas échappé au regard de Sembat. Il sait qu'au moment du conflit marocain la question se posait ainsi : l'Espagne marchera-t-elle pour ou contre « nous » ?
Pour la décider, M. Delcassé lui proposait un beau morceau du Maroc avec la promesse de notre appui amical et de notre concours militaire et financier.[58]
Il savait que parler de paix et en même temps — pour s'exprimer comme les diplomates — vouloir modifier le « statu quo » territorial sont deux choses contradictoires par nature.[59] « Comment voulez-vous, déclarait-il aux capitalistes, que les Allemands prennent au sérieux nos affirmations pacifiques, lorsque les plus notoires revanchards se déclarent amis de la paix? ».[60]
Sembat connaissait bien tout cela. Et il le disait à la face des capitalistes français. Mais il était incapable d'en tirer une conclusion quelconque. Car il restait sur le terrain de la « défense de la patrie » ; il ne voyait aucune perspective « réelle », sauf un regroupement diplomatique quelconque des impérialistes entre eux ; il ne croyait ni au socialisme, ni à la lutte révolutionnaire des masses. Dans cette situation, il ne lui restait plus qu'à épouvanter les capitalistes de sa patrie : « Faites un roi, sinon faites la paix ; trouvez un terrain d'entente avec l'Allemagne, sans quoi vous serez acculés à la guerre et, pour cela, il vous faudra rétablir la royauté en France... » Comme si la république des Briand, Millerand, Delcassé et Poincaré ne pouvait pas sans roi s'embarquer dans une guerre impérialiste ! Comme si les représentants de la finance avaient juré fidélité éternelle à l'idéal républicain ! Sembat déclare : « Le nationalisme intégral, c'est la Monarchie ». Mais, tout d'abord, il s'en faut que tous les dirigeants « républicains » se fussent épouvantés de voir tourner ainsi les choses. Et en second lieu... en second lieu, les politiciens bourgeois influents savaient parfaitement que Sembat ne faisait « qu'agiter un épouvantail », mais qu'en réalité, le cas échéant, il se ferait le défenseur du « nationalisme intégral », ce qui d'ailleurs est arrivé.
Le livre de Sembat ne faisait rien prévoir de bon pour les destinées du socialisme français. Lorsqu'on le lit maintenant, après un an et demi de guerre, et non un an avant la déclaration de guerre, on voit qu'au fond il n'y a rien d'extraordinaire à ce que le socialisme français soit ce qu'il est en ce moment. Toute la politique du 4 août est à l'état embryonnaire dans ce livre, de la lecture duquel il ressort que, non seulement parmi les socialistes, mais parmi les anarchistes[61], celte politique avait mûri déjà bien avant la guerre — ce que les faits ont démontré.
Le parti socialiste préconisait la grève militaire. Vaillant et Keir Hardie avaient fait franchement des propositions en ce sens dans les congrès socialistes internationaux ; vers cette tactique penchait un leader aussi influent que Jaurès ; les syndicalistes prenaient des décisions sonores de grève générale ; le cri de Vaillant : « Plutôt l'insurrection ! » avait une répercussion de plus en plus forte. Et c'est à ce moment que Sembat leur déclare ouvertement : Toutes vos menaces ne sont que pure « puérilité »[62] ; espérer arrêter la guerre qui approche, sans disposer pour cela de forces suffisantes, c'est tout simplement une « chimère ».
Et qu'est-ce que la réalité a démontré ? Que le véritable état de choses, le véritable état d'esprit de la majorité des leaders opportunistes et syndicalistes du mouvement ouvrier français n'étaient pas incarnés par Vaillant, ce révolutionnaire de vieille trempe, ni même par le véhément Jaurès, mais par le lucide, le blasé, le sceptique Sembat, rattaché par mille liens à l'idéologie bourgeoise. Voila pourquoi son livre doit particulièrement attirer notre attention.
Jaurès et ses amis — et dans ce nombre Sembat — ne voulaient certainement pas aider les impérialistes à augmenter le poids du militarisme qui pesait déjà si lourdement sur les épaules des masses ouvrières. D'où leur lutte acharnée contre l'augmentation de la durée du service militaire. Mais le point vulnérable des jauressistes était leur opportunisme, leur incrédulité en la lutte révolutionnaire des masses, l'absence chez eux de toute perspective autre que celle d'un arrangement à l'amiable entre les impérialistes ennemis. Jaurès lui-même, en dépit de cette faiblesse organique de toute sa position n'en continuait pas moins d'enflammer le cœur des masses de haine pour l'impérialisme. Pour cela, on le détestait et on le craignait. Mais, sur l'épaule des opportunistes du type Sembat, la bourgeoisie tapait amicalement. Lorsque Sembat et ses pareils parlaient des « Etats-Unis d'Europe »[63], les madrés bourgeois sentaient bien que c'était là une simple boutade à laquelle Sembat lui-même n'ajoutait pas d'importance sérieuse. Un simple hommage à la tradition internationaliste ou, plus exactement, à la tradition pacifiste.
Discourez autant qu'il vous plaira sur les Etats-Unis d'Europe, sur le désarmement, sur les tribunaux d'arbitrage, sur les accords pacifiques, ce n'est pas dangereux. Seulement, continuez à traiter de « puérilité » et de « chimère » la lutte des masses contre la guerre. Seulement, continuez à préconiser l'idée de la « défense de la patrie ». « Nous » n'en demandons pas davantage. Depuis longtemps, les plus intelligents des bourgeois voient qu'on réalité Sembat est leur homme et que son livre même : Faites un roi, en fin de compte n'a rien de bien terrible pour eux. Dans un spirituel article de Guy de Lubersac (« Révision et révisionnistes ») inséré dans dans l'Echo de Parisdu 6 mai 1914 cette attitude de la bourgeoisie à l'égard des socialistes du type Sembat est mise tout particulièrement en relief.
J'ai l'impression très nette que, lorsque M. Marcel Sembat veut entonner l'Internationale, il doit lui arriver, pour ainsi dire d'instinct et malgré lui, de chanter la Marseillaise. Son style, son esprit ont une allure trop française pour qu'il en soit autrement. Il est né sur la rive gauche du Rhin, ce séduisant démagogue ; il est bien de chez nous, et il n'est pas d'ailleurs. S'il n'y avait point de frontières, il serait, j'imagine, de ceux qui seraient capables de les inventer. (...) je suis un de ses admirateurs.
Vous souvenez-vous de son livre déjà vieux d'un an : Faites un Roi, sinon faites la Paix ? Il n'a, je crois, jamais été écrit de satire plus cinglante contre le régime actuel. (…) Mais par exemple, M. Sembat s'est tout à coup, rappelé qu'il était de l'école de M. Jaurès, et, dns la seconde partie de son livre, il nous impose une conclusion à la teutonne qui fait grincer des dents.Que voulez-vous ? Il souffre d'une appendicite internationaliste, et il n'a pas encore pris le parti de se faire opérer/ Dix jours de clinique, une petite boutonnière dans le ventre, et puis, citoyen Sembat, je vous garantis une santé florissante !
Comme parfois MM. les bourgeois apprécient justement la situation. C'est positivement stupéfiant ! Depuis des années, les jauressistes mènent une tapageuse agitation « internationaliste », et au Parlement et dans le pays, et dans l'Internationale. A grand fracas, ils insistent pour qu'en cas de guerre, les ouvriers répondent par la grève générale. Mais la bourgeoisie est bien tranquille. Oh ! elle les connaît ces socialistes. Comment donc, s'irriter... et de quoi ? Une légère appendicite, ce n'est pas grave. En dix jours nous guéririons ce mal. Et voilà comment politiciens et prosateurs de la bourgeoisie se moquent du socialisme.
Mais qu'est-ce à dire ? Sacrebleu ! Ils avaient raison. Des événements décisifs ont surgi. Et dix jours même ne se sont pas écoulés, que l'opération des petits et des grands Sembat, réclamée par les impérialistes, s'est terminée de la manière la plus indolore et la plus heureuse... (pour la bourgeoisie !)
Se résigner à l'état de choses actuel signifierait consentir à occuper une place d'Etat de second ordre. Ce ne serait pas qu'un coup porté à notre fierté, non, mais ce serait tuer notre commerce, notrre courage ; ce serait ravaler notre niveau intellectuel à ce degré d'idéologie chevaleresque que M. Sembat veut imposer à notre pays. Il est suffisant d'avoir, au cours de 40 ans, apporté sur l'autel de la paix plus de sang que nous en eût coûté une centaine de grandes défaites... Exiger une entente avec l'Allemagne sur la base de notre renoncement à l'Alsace-Lorraine, mais ce serait la capitulation du nain devant le géant !
C'est ainsi que le journal La France (Editorial) parlait du livre de Sembat. Et maintenant... maintenant, autres temps, autres chansons... Sembat est, présentement, ministre de la république française et le meilleur ami de Briand. Aujourd'hui c'est l'ère de « l'Union sacrée ».
Jules Guesde[modifier le wikicode]
Jules Guesde est aujourd'hui le plus ardent des socialistes chauvins. Mais il a eu des jours meilleurs.
Il fut un temps où il était en France le propagateur zélé des idées de Marx.
Mais il y a longtemps que sa doctrine était dans une certaine mesure unilatérale.
Les côtés forts et les côtés faibles du guesdisme, entièrement conditionnés par l'atmosphère dans laquelle le socialisme français doit se développer, se sont nettement dessinés lors de la polémique Guesde-Jaurès sur l'affaire Dreyfus.
Jules Guesde fut un des premiers « dreyfusards » en ce sens qu'il se convainquit un des premiers de l'innocence de Dreyfus. Mais quand l'affaire passionna le pays tout entier, quand Jaurès prit la part la plus active à la campagne en faveur de Dreyfus, entraînant à sa suite tout le parti socialiste, Guesde s'insurgea contre cette attitude. Guesde, Vaillant et leurs amis furent d'avis que la classe ouvrière devait s'abstenir de prendre une part active à la campagne dreyfusarde. N'était-ce pas une querelle de famille, une dispute entre bourgeois ? Qu'ils se débrouillent entre eux ! Dreyfus est innocent, c'est l'évidence. Mais tout ce tapage vient de ce qu'il appartient à la classe privilégiée. « Il ne s'agit pas d'un prolétaire laissons les bourgeois s'occuper d'un bourgeois. S'il s'agissait d'un ouvrier, il serait oublié depuis longtemps. »
Quand, répondant à cela, Jaurès indiqua que Dreyfus, depuis sa condamnation, n'appartenait plus à la classe privilégiée et n'était plus qu'un citoyen de « l'humanité souffrante », quand Jaurès montra que la France avait manqué aux règles élémentaires de l'équité, violé les droits de l'homme et du citoyen, Guesde répliqua : « Des mots ! Des mots ! » En la circonstance ce n'était en effet que paroles vides de sens. Mais Jaurès montrait aussi en Dreyfus « la preuve vivante des hontes du régime militaire, de la corruption politique de la bourgeoisie, de la culpabilité des gouvernements actuels ». Il spécifiait que l'affaire Dreyfus devenait dans cette conjoncture « un ferment révolutionnaire » et que la classe ouvrière ne pouvait par conséquent pas s'abstenir d'y intervenir. Et ici Jaurès avait raison contre Guesde.
S'écarter, s'abstenir dans cette affaire qui passionnait la France entière et même toute l'Europe civilisée, c'eût été biffer de la liste des partis politiques pour toutes la durée de cette crise grandiose, le parti ouvrier, c'eût été, quittant la vie, s'enfermer dans la solitude du cabinet de travail...
Et l'on se demande comment une idée pareille avait, elle pu venir à l'homme qu'était Jules Guesde ?
La clef de l'énigme nous est donnée par la pôlémique qui se produisit à Lille entre Jaurès et Guesde, quelque temps après l'entrée de Millerand au ministère.
« Ah ! vous dites et vous concluez que vous aviez raison dans la campagne Dreyfus parce qu'elle a conduit Millerand dans le cabinet Waldeck Rousseau-Galliffet. Je dis, moi, que là est la condamnation définitive de cette campagne. »... En défendant la civilisation bourgeoise Jaurès fait « un travail de Pénélope ». La Bastille bourgeoise doit être prise d'assaut comme le fut celle de la féodalité. « Nous sommes et ne pouvons être qu'un parti de révolution, parce que notre émancipation et l'émancipation de l'humanité ne peuvent s’opérer que révolutionnairement. Nous détourner de cette lutte, camarades, c'est trahir, c'est déserter, c'est faire le jeu des bourgeois ».[64] Ainsi parlait Guesde contre Jaurès.
Jaurès était puissamment intuitif et il était un agitateur supérieurement doué. Il se sentait toujours attiré là où le pouls de la vie politique battait avec le plus d'intensité. Il avait eu raison quand, de la façon la plus active, il s'était mêlé à l'affaire Dreyfus. Mais il était réformiste. L'appui accordé à la partie « avancée » de la bourgeoisie, contre la partie réactionnaire l'amena à défendre la participation des socialistes au ministère. Guesde comprenait dès alors que laisser entrer des socialistes dans les ministères bourgeois, c'est donner à la bourgeoisie des otages. Mais dans sa haine légitime du réformisme et du ministérialisme Guesde dépassait la mesure.
Le réformisme d'une part, l'anarchisme (plus tard le syndicalisme) de l'autre, jouaient un très grand rôle dans le mouvement ouvrier français. Les guesdistes étaient dans la bonne voie en luttant contre l'un et l'autre. Mais pris entre ces deux tendances, ils avaient parfois une certaine gaucherie, ils étaient dans la politique des reclus, des isolés, ils ne savaient pas se fondre avec les masses ouvrières, ils demeuraient à l'écart de la vie. Sous ce rapport ils offraient certaine ressemblance avec la Fédération Social-Démocrate d'Angleterre.
Le guesdisme avait encore un point faible qui l'amenait à renouveler dans le milieu français les errements de Lassalle. Le guesdisme était l'ennemi irréductible de la bourgeoisie française. Il flétrissait, comme nulle autre tendance politique, la pourriture, l'égoïsme, la démoralisation de la république bourgeoise. Et c'était parfait. Mais il le faisait de telle façon qu'il lui arrivait de faire chorus avec les ennemis de droite de la république bourgeoise. Il ne savait pas flétrir avec la même vigueur les réactionnaires, les antisémites, les cléricaux, la réaction à demi féodale. Les choses allaient si loin que lors des élections, les forces de la réaction soutenaient souvent les guesdistes contre la bourgeoisie radicale. Guesde, dans une circonstance, déclara qu'il ne suivait personne, mais qu'il ne pouvait non plus empêcher personne de le suivre. En l'occurrence, la réaction ne songeait guère à lui emboîter le pas. Elle préférait les guesdistes précisément à cause de leur faiblesse. Elle les considérait comme moins dangereux précisément à cause de leur incapacité à marcher avec les masses, à faire de l'agitation, à intervenir dans les luttes politiques, à concentrer leurs efforts.
Parmi les députés guesdistes il n'est pas rare d'en trouver qui, dans les ballottages, bénéficiaient des voix de la droite, ce qui les rendait dans une certaine mesure dépendants des éléments réactionnaires.
Dans les derniers temps, à la veille de la guerre, le guesdisme se mourrait de consomption. Au congrès international d'Amsterdam il remporta, avant de se fondre avec le jauressisme, sa dernière victoire. Et cette victoire il la dut moins à ses propres forces qu'à celles des marxistes des autres pays. Les jauressistes s'y soumirent sachant bien qu'ils ne tarderaient pas à prendre leur revanche sur l'arène française. Le fait est qu'au bout d'un temps très court, leur victoire en France, était complète. Les guesdistes perdirent leur presse. Leur dernier petit organe, Le Socialisme, souffrit d'une constante anémie idéologique. Les plus fidèles disciples de Guesde, Bracke, Dumas, etc., étaient en réalité, depuis longtemps, aussi réformistes que les jauressistes. Ceux-ci prirent la direction politique du parti.
La guerre surprit le guesdisme dans cette situation qui explique toutes les métamorphoses du citoyen Guesde.
Guesde avait pourtant été autrefois un marxiste révolutionnaire.
En 1885, le conflit latent entre l'Angleterre et la Russie, rivales en Afghanistan, atteignit sa plus grande acuité. Il y avait de la poudre dans l'air, la guerre semblait inévitable. A ce moment les meilleurs représentants du marxisme, Engels, Bebel, Guesde considéraient la révolution sociale comme devant se produire dans un avenir rapproché. En tout cas ils « s'orientaient » vers elle. C'est dans ces circonstances que Jules Guesde, qui était à cette époque incontestablement marxiste et révolutionnaire, publie un article sur la guerre imminente entre la Russie et l'Angleterre.
La guerre entre l'Angleterre et la Russie peut hâter le dénouement, c'est-à-dire la fin de l'ordre bourgeois. Mais à qui souhaiter la victoire ? à l'Angleterre ou à la Russie ? Guesde répond : je souhaite la défaite des deux belligérants.
La Russie écrasée dans l'Asie centrale, c'est la fin du tsarisme, qui a pu survivre a la mise en pièces d'un tsar, mais ne saurait résister a l'effondrement de la puissance militaire sur laquelle il s'appuie et avec laquelle il se confond. Les classes aristocratique et bourgeoise, qui trop lâches pour opérer elles-mêmes, n’ont su jusqu’à présent que laisser passer les bombes nihilistes, se trouvent du coup portées au gouvernement désormais constitutionnalisé, parlementarisé, occidentalisé. Et le premier effet, l’effet inévitable de cette révolution politique à Pétersbourg, est la libération de l’Allemagne ouvrière. Débarrassé du cauchemar moscovite, certaine de ne plus trouver en travers de ses efforts l’armée d’un Alexandre derrière l’armée d’un Guillaume, voilà la démocratie socialiste allemande en mesure d’ouvrir sur les ruines de l’Empire de fer et de sang le bal révolutionnaire, le Quatre-vingt-neuf ouvrier. En attendant et avant tout défaite — les journaux tsaristes sont obligés de le confesser — c’est la banqueroute russe qui va ébranler tout le vieux monde.
L’écrasement de l’Angleterre n’aurait pas des conséquences moindres — et moins heureuses. Du seul fait de tous les moyens militaires britanniques transportés et concentrés sur la route de Hérat, l’Irlande — en état de siège — respire. Des dynamitades individuelles qui font plus de bruit que de besogne et ne sauraient en tout cas aboutir, elle peut passer à l’action collective, seule féconde, et imposer par la force — qui a changé de camp — sa volonté à l’île fratricide, pendant que de son côté le Soudan — et par contrecoup l’Égypte — échappe aux bienfaits de la civilisation à coups de fusil que Wolsely, après Gordon, avait mission de lui imposer.
Au premier échec sur les bords du Murghal et de l’Héri-Roud, c’est un « décollage » général du plus immense et du plus exploité des empires coloniaux. Depuis les « métis » du Canada qui ont pris les devants et tiennent déjà la campagne jusqu’aux « boers » du cap, c’est à qui secouera le joug des marchands — et des marchandises — de la métropole.
Mais vienne le désastre définitif, vienne la perte de l’Inde, insurgée dans ses rajahs mal domestiqués d’abord, dans ses cipayes ensuite, au fur et à mesure de l’invasion russe triomphante, et depuis la liquidation de l’empire romain le spectateur humain n’aura jamais assisté à un pareil krach, ne laissant intact aucun point de l’univers connu.
Et Guesde conclut :
Quel que soit celui des deux systèmes et des deux régimes — également quoique diversement oppresseurs — qui doive succomber ; que la caserne russe ait raison du comptoir britannique, ou que l'or anglais brise le fer moscovite, c'est une des assises de la présente société qui se détache, c'est la brèche ouverte par laquelle passera l'ordre nouveau.
Et nous pouvons par suite donner carte blanche au Dieu des batailles, qui, quoi qu'il fasse, est forcé de travailler pour nous.
Guesde, à cette époque, ne parlait pas de « défense nationale », n'adoptait pas le mot d'ordre « ni victoire, ni défaite ». Il souhaitait également la défaite des deux belligérants. Il appelait les colonies à s'insurger contre les métropoles. Si les socialistes anglais ou russes, à cette époque, avaient admis les points de vue de Liebknecht, ils seraient devenus également « défaitistes ». Guesde était alors un marxiste révolutionnaire.
Et Jaurès blâmait Guesde en ces termes :
Mais son internationalisme n'est pas un internationalisme de paix, permettant a tout le prolétariat européen d'accroître les libertés générales, et par elles sa puissance propre ; lui permettant aussi de concentrer sur la transformation nécessaire de la propriété toutes les ressources de force morale et de force budgétaire qui sont dévorées aujourd'hui ou par la guerre, ou par la paix armée. Non ; comme ce n'est pas de la croissance régulière du prolétariat et du progrès des démocraties qu'il attend la délivrance des salariés, mais de commotions profondes qui feront jaillir du sol déchiré la force révolutionnaire, les cataclysmes les plus vastes seront les plus féconds.[65]
Or, comme on ne peut se représenter de pire catastrophes que la guerre entre les grandes puissances, Guesde devenait logiquement — selon Jaurès — le partisan de toutes les guerres.
Précisément. Il y a « l'internationalisme paisible », pacifiste, petit-bourgeois, réformiste, qui craint les « secousses », ne sait que soupirer en songeant à la vie pacifique, à l'évolution indolore et aplanit en fait le terrain pour la bourgeoisie, — c'est-à-dire pour l'impérialisme réactionnaire. Les partisans de cet impérialisme peuvent être, quant à eux, les gens les mieux intentionnés, les plus bienfaisants. Ils n'en sont pas moins, d'un point de vue objectif, des jouets entre les mains du nationalisme le plus nocif. Et il y a un autre internationalisme qui n'est point paisible, mais au contraire militant, l'internationalisme marxiste, celui dont Guesde lui-même encore marxiste à cette époque, défendait en 1885 les principes essentiels.
Jaurès et les jauressistes, de même que les socialistes pacifistes allemands de la tendance Bernstein — et plus tard Kautsky — liaient toujours partie avec le pacifisme bourgeois. Il n'en pouvait être autrement. Ils avaient trop de choses en commun.
A la même époque Guesde — avant la désagrégation du guesdisme — et ses amis se livraient à la campagne la plus énergique contre le pacifisme. A propos du quatrième congrès de la Paix (1892) Guesde écrit un article éloquemment intitulé : Un Congrès de Fous. « Jamais encore, écrit-il, il n'y eut tant de guerres — et de si horribles guerres — que depuis qu'ils se sont mis (les pacifistes) à combattre la guerre ». Et Guesde prouve à ces « maniaques » que « l'on ne peut tuer les guerres extérieures que par la guerre sociale »[66]. Il sait parfaitement que les guerres actuelles réalisent « la dernière et la pire des formes du cannibalisme ». Mais il sait également que ce cannibalisme ne peut pas être combattu par le pacifisme. Quand en 1898 ont eu lieu les préparatifs de la première conférence de la Haye, à laquelle Jaurès accordait une si grande importance, Guesde écrit que Le tsar s'amuse et décoche aux pacifistes ses plus amers sarcasmes[67].
En :1885-1892-1898 Guesde est le disciple de Marx et Engels tandis que Jaurès, en mettant les choses au mieux, propage le kautskysme de l'époque, mais sur des bases françaises. En 1914-1916 guesdisme et jauressisme rivalisent de... chauvinisme.
Jaurès bien avant croyait avoir réussi à accabler Guesde en démasquant aux yeux des bons bourgeois toute « l'horreur » du guesdisme révolutionnaire.
Jaurès cependant n'avait révélé qu'une chose : sa propre faiblesse, le « confusionnisme » qui lui était propre dans toutes les grandes questions du socialisme, comme dans celle qui a trait aux rapports du socialisme et de la politique extérieure.
Jaurès était complètement incapable de concevoir l'attitude marxiste dans la question de la guerre. Ce que Guesde soutenait en 1885, c'était, à son avis, une sorte de « justification révolutionnaire de la guerre » grosse de dangers (p. 123), une sorte de « militarisme révolutionnaire », — un « socialisme qui entreprend contre le capitalisme anglais et l'autocratie moscovite une double guerre napoléonienne », — c'était une misérable « parodie du passé » (p. 132).
C'est que Guesde ne comprenait pas, voyez-vous, les « lois de l'évolution » qui font que « plus est vaste et complexe le problème [que la classe ouvrière] aura à résoudre, plus elle a besoin d’un long régime de paix entre les nations » (p. 131). Jaurès est mort le jour où éclatait la guerre impérialiste. Il a été assassiné par les impérialistes français. Nul ne peut dire ce qu'il eût fait s'il avait vécu jusqu'à la grande folie du massacre, pendant laquelle tant d'hommes ne surent pas résister au courant du chauvinisme. Jaurès est mort à son poste, il est mort en vaillant démocrate qui jamais ne cessa de démasquer les turpitudes des ministres et des diplomates bourgeois.
Autre et plus triste a été le sort de Jules Guesde. Il a, au déclin de ses jours, adoré ce qu'il avait brûlé. Il est passé au camp des socialistes chauvins...
Le socialisme français ne se fit jamais remarquer par la fermeté de sa ligne de conduite et par sa fidélité à la théorie marxiste. La tradition des guerres libératrices devait en outre être particulièrement forte en France, par suite des influences historiques. Le terrain y était particulièrement favorable à l'idéologie des guerres défensives, des guerres « justes ».
Et cette tradition vieillie, la bourgeoisie s'est naturellement attachée à la cultiver avec soin. Elle était absolument nécessaire à la justification de la grande politique impérialiste de la bourgeoisie française et à l'idée de la revanche contre l'Allemagne.
Nous ne voyons pourtant pas (jusqu'à la guerre de 1914-1915) de critérium de défense nationale unanimement accepté et défendu parmi les socialistes français.
Les opportunistes, les futurs indépendants (millerandistes) soutinrent toujours la théorie de la défense nationale.
Jean Jaurès fut toujours avec une égale ardeur, l'avocat du pacifisme et celui de la défense nationale. Un lien logique la relie en effet au pacifisme. Le pacifisme ouvre toutes les perspectives que l'on veut, sauf celle de la guerre civile, de la révolution. Inlassablement, ardemment il prône la paix. Mais quand la paix n'est plus, quand la guerre a éclaté, il ne voit pas d'issue hors la « défense nationale ». Une guerre finie, il recommence, en attendant l'autre, à prêcher de nouveau non la révolution, mais la paix. Du pacifisme au social-chauvinisme et du social-chauvinisme au pacifisme, tel est le cercle vicieux dont ne sortira jamais la pensée du plus grand des socialistes pacifistes s'il ne veut pas la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Le jauressisme en tant que tendance ne cessa jamais de soutenir la nécessité de la défense nationale et, sans doute, la théorie de la guerre défensive. Quant à son aile droite, point n'est besoin d'en parler. Les citoyens de Pressensé, Gérault-Richard dans la Petite République (au temps où elle était encore socialiste), dans l'Humanité, Viviani (au temps où n'étant pas encore ministre il était encore un « citoyen ») défendirent en véritables social-patriotes, et avec la plus vive passion, la théorie de la guerre défensive[68].
Mais des jauressistes tels que Sembat, qui par la suite devait devenir ministre, se gardèrent bien au moment où s'épanouit l'impérialisme français de manifester un semblable patriotisme. Quand un conflit se produisit entre les gouvernements français et turc, ce dernier ayant lésé les intérêts d'une clique de financiers français représentée par les sieurs Lorando et Tubini, Marcel Sembat prononça à la Chambre un discours retentissant dans lequel il disait notamment :
« Le massacre de 300.000 Arméniens ne vous touche pas. Mais quand deux requins de la finance perdent 300.000 francs vous êtes prêts à déclarer la guerre ». (C'est en réponse à ce discours que M. Delcassé prononça la phrase devenue classique : « Assez longtemps nous avons joué les Don Quichottes ! » (En d'autres termes il fit constater alors que l'intérêt d'une poignée de financiers était certes plus cher aux gouvernements impérialistes que l'émancipation des Arméniens, à laquelle ne peuvent évidemment s'intéresser que les gens atteints de donquichottisme...)
Le socialiste qui tenait un semblable langage n'aurait certes pas pu soutenir la guerre contre les Turcs (par exemple) si même la bourgeoisie l'avait qualifiée de « défensive ».
Mais la lutte la plus décisive contre le social-patriotisme fut le fait de Guesde et des marxistes français. Nul ne flétrit le patriotisme de sarcasmes aussi cruels que Guesde et Lafargue (voir les pamphlets de ce dernier). Les guesdistes combattaient avec raison l'anti-patriotisme vulgaire du sieur Hervé ancienne manière.
Ils étaient tout aussi impitoyables pour les social-patriotes.
Dès 1901, guesdistes et blanquistes (Vaillant) éditèrent en commun, au moment de la conscription le Conscrit, feuille où les thèses de la « défense nationale » étaient âprement combattues.
« Conscrit, tu es le mouton inintelligent que l'on mène à l'abattoir ! Les prolétaires n'ont pas de patrie. Ils n'ont qu'un ennemi : le bourgeois, — leurs frères de misère sont leurs alliés. Tu dois le savoir et ne jamais l'oublier », — guesdistes et blanquistes écrivaient ceci en 1908 dans la feuille précitée.
On ne peut cependant pas dire que les guesdistes n'aient fait aucune concession au patriotisme « Jaurèssiste ». Mais d'une façon générale la gauche marxiste du parti socialiste français — surtout avant sa fusion avec les opportunistes en 1904 — fut pure et de pacifisme et de social-chauvinisme.
Le fait demeure donc établi que, parmi les militants du mouvement ouvrier français, des cris d'alarme ont été jetés, dévoilant tout le danger des théories de la guerre défensive et les dénonçant comme ne servant qu'à la bourgeoisie pour duper les travailleurs.
Une place d'honneur appartient sous ce rapport au remarquable pamphlet La guerre qui vient dû à la plume de Francis Délaisi et qui parut en mai 1911, à Paris. Les prédictions faites par Francis Delaisi se sont vérifiées sur toute une série de points importants.
Toute la diplomatie internationale, écrivait F. Delaisi, « est maintenant entre les mains d'un petit groupe de financiers et d'industriels et n'opère que dans l'intérêt de leurs emprunts extérieurs et de leurs affaires. L'ambassadeur d'une grande puissance n'est plus aujourd'hui que l'agent des banques ou des grandes firmes commerciales... — Une petite coterie d'hommes d'affaires et de financiers peut décider la guerre et jeter notre pays dans la plus périlleuse aventure... Nos gros bonnets de la finance (française) vendent à leurs collègues anglais, pour quelques con. cessions de chemin de fer turcs, la vie de centaines de milliers de Français... Il va de soi que la convention militaire à passer entre la France et l'Angleterre sera officiellement déclarée « défensive »... On jettera de la poudre aux yeux des Français en leur parlant de l'honneur national, des « intérêts supérieurs de la patrie et de la civilisation », etc. Mais à l'heure actuelle toutes les guerres sont « défensives ». Demandez à un Français quel fut l'agresseur en 1870 et il vous répondra avec assurance que ce fut le falsificateur de la dépêche d'Ems : Bismarck. Posez la même question à un Allemand, et il vous dira que Napoléon III fut l'agresseur, puisqu'il déclara la guerre. En fait, quand une guerre éclate c'est que les deux belligérants l'ont voulue. Quand les impérialistes français et anglais seront prêts, prophétise notre auteur, « nous lirons dans tous les journaux, en lettres d'un pouce ces mots, gros de conséquences :
La neutralité belge est violée !!!
L'armée allemande marche sur Lille !! Etc., etc. »
F. Delaisi invitait les socialistes à lutter de toutes leurs forces contre les théories de « guerres défensives », dont la bourgeoisie de tous les pays a le plus grand besoin, pour tromper les peuples, pour amener l'ouvrier et le paysan à verser leur sang au profit de quelques magnats de la finance. Quelques années avant la guerre, F. Delaisi prédisait que si les travailleurs socialistes ne se préparaient à la lutte contre la guerre qui venait, ils seraient également bernés dans tous les pays, par les impérialistes qui ne manqueraient pas de crier partout et toujours que « leur patrie » ne soutient qu'une « guerre défensive ».
Hélas ! Quand la guerre vint, quand se vérifièrent toutes les prédictions de F. Delaisi, le parti socialiste français se trouva, non du côté des ennemis du massacre impérialiste, mais du côté de ses partisans.
Telle devait être la destinée des partis socialistes « officiels » de la 2e Internationale !
- ↑ Edward Gibbon Wakefield, citation tirée de A view of the art of colonization, with present reference to the British Empire; in letters between a statesman and a colonist (1849), p. 17. Traduction corrigée à l'aide du texte original. (note de la MIA)
- ↑ Voir le travail, en quelque sorte classique de « l'économiste colonial allemand. », Dr. G. Zoepfl, « Kolonien und kolonialpolitik », in Handwörterbuch der Staatswissenschaften. (Note de Zinoviev)
- ↑ Paul Samuel Reinsch, Colonial government : an introduction to the study of colonial institutions (1902), p.16. Traduction corrigée à l'aide du texte original. (note de la MIA)
- ↑ Paul Leroy-Beaulieu, De la Colonisation chez les Peuples Modernes, Paris 1908, Vol.I. (Note de Zinoviev)
- ↑ Karl Marx, Le Capital , volume I, Chapitre XV-7.
- ↑ Voir le livre du député Noske sur la politique coloniale. (Note de Zinoviev)
- ↑ G. Zoepfl, Kolonien, p. 930.
- ↑ Il s'agit naturellement ici de Kautsky, Bauer et de Cunow ancienne manière, avant leur évolution à droite. (Note de Zinoviev)
- ↑ Nous préférons l'expression française consacrée de « pouvoir politique » à la traduction littéraire du texte russe qui dit « pouvoir gouvernemental ». (Note du traducteur)
- ↑ En fait « l'usure a été une des principales sources d'accumulation du capital, c'est-à-dire sa copropriété dans les revenus du propriétaire terrien. Mais le capital industriel et commercial, plus ou moins solidairement avec les propriétaires, s'insurgent contre cette forme obsolète du capitalisme ». Karl Marx, Theorien der Mehrwert (Théories de la plus-value) – note de Zinoviev, traduction corrigée d'après le texte original de Marx (note de la MIA)
- ↑ Rudolf Hilferding, Le capital financier, chapitre XIV. Pour toutes les citations de ce livre nous avons substitué à la traduction de deuxième main de Victor Serge la traduction de Marcel Ollivier parue en 1970 (note de la MIA).
- ↑ Consulter sur l'Allemagne les intéressantes remorques de Kautsky (ancienne manière) dans son ouvrage sur La Social-démocratie et la politique commerciale. Le lecteur trouvera des données phis récentes dans les deux livres consacrés a ce sujet par K. Renner.
- ↑ Hilferding 468-474 de la traduction russe de Stepanow. Nous examinerons en détail dans un des chapitres suivants les raisons qui obligent les impérialistes à lutter contre te libre-échange. — (Note du traducteur) — Voir l'ouvrage entier du camarade Zinoviev La guerre et la crise du socialisme.
- ↑ Karl Kautsky, Handelspolitik und Socialdemokratie, pp.41 et suivantes, Berlin 1901.
- ↑ Voir à ce sujet : Bernhard Braude, Die Grundlagen und die Grenzen der Chamberlainismus publié par le Dr. Heinrich Herkner, Zürich, 1905.
- ↑ Cité par Bernhard Braude, op. cit. p.140-141.
- ↑ Otto Bauer, Die Nationalitätenfrage und die Sozialdemokratie (La question des nationalités et la sociale-démocratie), chapitre VI-27. Traduction corrigé d'après le texte original de Bauer (note de la MIA)
- ↑ Idem, chapitre VI-29.
- ↑ Rudolf Hilferding, Le capital financier, chapitre XXII.
- ↑ Idem.
- ↑ Voir l'ouvrage entier La guerre et la crise du socialisme. (Note du traducteur).
- ↑ A. Sartorius, Das Volkswirtschaftliche System Der Kapitalanlage Im Auslande, p. 387-389.
- ↑ Voir la brochure saisissante dans sa concision de Francis Delaisi : La guerre qui vient.
- ↑ Rudolf Hilferding, Le capital financier, chapitre XXII.
- ↑ Au congrès d'Iéna (1911), Bebel a occasionnellement exprimé la même opinion dans la phrase suivante : « Je l'avoue : il se peut que la garantie de paix la plus sérieuse nous soit donnée précisément par l'exportation internationale du capital. »
- ↑ Francis Delaisi : La démocratie et les financiers, Paris 1910, p. 44-50.
- ↑ Eugen von Philippovich, « Monopole und Monopolpolitik », Archiv für die Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung (Grünbergs Archiv), 1. Jg., 1915, pp. 158ff. L'article de Philippovich se basait sur les travaux suivants : John Bates Clark, The Problem of Monopoly: A Study of a Grave Danger and of the Natural Mode of Averting It, New York: Columbia University Press, 1904; Robert Liefmann, Beteiligungs- und Finanzierungsgesellschaften: Eine Studie über den modernen Kapitalismus und das Effektenwesen in Deutschland, den Vereinigten Staaten, der Schweiz, England, Frankreich und Belgien, 2. verm. Aufl., Jena: Fischer, 1913; J. Singer, Das Land der Monopole: Amerika oder Deutschland?, Berlin: Siemenroth, 1913; Oswald Whitman Knauth, The Policy of the United States towards Industrial Monopoly, New York, Columbia University, 1914. (Note de Daniel Gaido pour la MIA)
- ↑ Et l'on sait que pendant la guerre européenne, le capital américain s'est enrichi dans des proportions énormes de la ruine du vieux continent. — (Note de l'éditeur.)
- ↑ 29 Karl Kautsky, « Der Imperialismus », Die Neue Zeit, Vol. 32, No. 2 (1914), p. 909 ; voir aussi Nationalstaat, Imperialistischer Staat und Staatenbund, Nürnberg: Fränkische Verlagsanstalt, 1915, p. 15, et les travaux antérieurs de Kautsky. Traduction corrigé par la MIA d'après l'original de Kautsky.
- ↑ Cunow critique aussi cette définition de Kautsky, mais non du point de vue du marxisme : de celui du social-chauvinisme. L'impérialisme est une « nécessité historique ». Tout ce est, est rationnel ; si l'impérialisme est, il est nécessaire, rationnel, progressif. D'où les travailleurs doivent soutenir l'impérialisme de leur patrie.
- ↑ Rudolf Hilferding, Le capital financier, chapitre XXII.
- ↑ Au Congrès socialiste international de 1904.
- ↑ Jean Jaurès, La paix et le socialisme, l'Humanité, 9 juillet 1905.
- ↑ Se reporter à ce sujet aux autres chapitres du livre, La Guerre et la Crise du socialisme.
- ↑ « Offener Brief an Jaurès », Die neue Zeit 26ème année, deuxième volume, p. 592.
- ↑ D'après la citation de Rosa Luxemburg.
- ↑ Cité in Rappoport, Jean Jaurès, l'homme , le penseur, le socialiste , pp. 271-274. Rappoport est le « biographe » mentionné par Zinoviev.
- ↑ Le livre de Zinoviev a été écrit en 1915. (Note de la rédaction du Bulletin communiste). Sembat est alors ministre des travaux publics. (Note de la MIA).
- ↑ Marcel Sembat, Faites un roi, sinon faites la paix. (Paris, Eugène Fichière et Cie, pp. 90-91).
- ↑ p. 257
- ↑ p. 258
- ↑ p. 218
- ↑ p. 220
- ↑ pp. 259-260
- ↑ p. 106
- ↑ p. 109
- ↑ p. 110
- ↑ p. 131
- ↑ p. 122
- ↑ p. 123
- ↑ p. 226
- ↑ p. 220
- ↑ p. 230
- ↑ pp. 211-213
- ↑ pp. 161-163
- ↑ p. 36
- ↑ pp. 40-41
- ↑ p. 49
- ↑ p. 87
- ↑ p. 88
- ↑ pp. 246-249
- ↑ p. 128
- ↑ p. 230
- ↑ Les deux méthodes
- ↑ Jean Jaurès, Le socialisme et le radicalisme en 1885 (1904)
- ↑ Le Socialiste, 31 juillet 1892. En Garde, Paris 1911, pp. 177-178.
- ↑ Ibid. pp. 179-182.
- ↑ Voir dans le livre de G. Hervé des extraits suggestifs des discours opportunistes et patriotes de ces socialistes. Leur Patrie, p. 114, 249, 251. Edition de Zurich.