Roman Malinovski
Roman Vatslavovitch Malinovski (en russe Роман Вацлавович Малиновский), dit Ernest, dit le Tailleur, dit Constantin, né en Russie au mois de mars 1876, exécuté à Moscou en novembre 1918, était un militant bolchevik, agent provocateur de l'Okhrana infiltré au sein du mouvement révolutionnaire russe.
1 Biographie[modifier | modifier le wikicode]
D'origine paysanne polonaise, Roman Malinovski commença par travailler comme serrurier, ce qui lui donna l'occasion d'effectuer des cambriolages, et fut arrêté en 1902. En 1906, il lui fut proposé de faire oublier son passé à condition de collaborer avec l'Okhrana, les services secrets russes. Il fut chargé d'espionner la fraction bolchevik du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), parti qu'il avait quelque peu fréquenté auparavant. Secrétaire du syndicat des métallurgistes de Saint-Pétersbourg de 1908 à 1910, c'est en tant que militant ouvrier qu'il se fit remarquer par les cercles révolutionnaires. À la suite d'une nouvelle arrestation, en 1910, il se lia définitivement à l'Okhrana, touchant des appointements réguliers.
Malinovski rencontra Lénine pour la première fois à Prague, où se tenait la conférence bolchévique de janvier 1912. Lénine l'accueillit avec enthousiasme et insista pour qu'il soit élu au comité central. Avoir avec lui un militant ouvrier qui partageait son opinion sur la nécessité d'une rupture avec les menchéviks à un moment où nombre de bolchéviks hésitaient sur cette question lui semblait un atout sérieux[1]. De son côté l'Okhrana espérait affaiblir le POSDR en favorisant ses divisions.
En mai 1912, lorsque le quotidien bolchevik légal, la Pravda, est fondé à Pétersbourg, sa rédaction contient deux agents doubles, dont Malinovski en tant que trésorier. Celui-ci transmit notamment une liste complète des donateurs du journal et des abonnés, et fit arrêter Staline et Sverdlov.
Quelques mois plus tard, Malinovski, fut élu à la 4e Douma, où les mencheviks et les bolcheviks constituaient encore un groupe unique. Le menchevik Cher, qui fut arrêté sur dénonciation de Malinovski, le qualifiait de « Bebel russe ». Il assura la direction des six députés bolchéviks de la Douma, prononçant des discours écrits par Lénine et relus par la police ! Pour concilier les exigences contradictoires de l'Okhrana et de Lénine, il lui arrivait dans son double-jeu de supprimer une attaque trop violente de Lénine ou bien d'en rétablir une censurée par la police, au nom de considérations tactiques. Il prétextait ensuite des étourderies. Mais dans tous les cas, c'était le discours original écrit par Lénine qui était ensuite publié dans la Pravda. Le but principal des bolchéviks étant bien plus l'utilisation de la députation comme tribune que comme moyen de parlementer avec les Cent-Noirs et les Cadets, le rôle de Malinovski ne fut pas forcément négatif...
Lénine l’admirait. « Pour la première fois il y a parmi les nôtres à la Douma un leader ouvrier éminent ».[2] Il le faisait venir à l’étranger pour les réunions les plus confidentielles, et lui révéla d’importants secrets.
Pour les services rendus à l'Okhrana, Malinovski reçut jusqu'à 500 roubles par mois, somme tout à fait substantielle. En quatre ans, il rédigea plus de 80 dénonciations.
Malinovski joua un rôle important dans la séparation des bolcheviks et des mencheviks. Le général de gendarmerie Spiridovitch écrivait : « Malinovski, qui suivait les instructions de Lénine et du département de police, réussit à faire qu’en octobre 1913… les « sept » et les « six » se brouillèrent définitivement ».[3]
En mai 1914, à la stupeur générale, Malinovski démissionna de son siège de député. Lénine crut à un coup de tête, à une crise nerveuse, et conserva cette opinion quand Malinovski vint le voir en Galice autrichienne. En réalité, le nouveau chef de la police, Djounkovski, jugeait dangereuse la présence d'un agent provocateur à la Douma. Il craignait le scandale et c'est pour l'éviter qu'il ordonna à Malinovski de quitter son siège.
Depuis plusieurs années, Malinovski avait éveillé les soupçons de sociaux-démocrates, aussi bien bolcheviks que mencheviks. Mais Lénine refusait d'y croire. Il y voyait de la calomnie de la part de ses adversaires politiques au sein du mouvement socialiste.
Qu’a donc fait Nacha Rabotchaïa Gazéta ? Elle a propagé des rumeurs anonymes et de louches allusions au sujet de prétendues provocations de Malinovski.
… bavarder et multiplier les cancans, aller chez Martov (ou d’autres vils calomniateurs du même acabit) ou s’en venir de chez lui et ranimer de louches rumeurs, accueillir et colporter des allusions, là, nos commères intellectuelles sont à leur affaire !
Pas l’ombre de crédit aux « bruits » répandus par Martov et Dan ; la ferme volonté de ne pas leur prêter attention, de ne pas leur attribuer d’importance.[4]
En juillet 1914, Lénine, Zinoviev et le social-démocrate polonais Ganetski, qui la présida, formèrent une commission d'enquête chargée d'examiner les accusations portées contre Malinovski. Ils l'interrogèrent longuement et conclurent à son innocence. Après la révolution_de_1917, Lénine devait reconnaître son erreur de jugement, remarquant néanmoins que si Malinovski avait livré des dizaines de militants à l'Okhrana, il avait contribué, par son activité révolutionnaire, à en former un nombre bien plus important.
Peut-être pour se faire oublier, Malinovski s'engagea dans l'armée russe au début de la Première Guerre mondiale. Il fut fait prisonnier par les Allemands et reprit la propagande révolutionnaire parmi les prisonniers russes. Officiellement démasqué en 1917, lorsque les archives de l'Okhrana tombèrent entre les mains des révolutionnaires, il rentra néanmoins en Russie soviétique en octobre 1918 et alla se livrer aux autorités bolcheviques, en espérant peut-être être épargné. Il déclara au tribunal révolutionnaire qu'il méritait la mort et qu'il avait beaucoup souffert de sa double vie. Nikolai Krylenko, le président du tribunal, estima qu'il ne s'agissait que du coup de bluff d'un aventurier.
Victor Serge conclut : « Une révolution ne peut pas s'attarder au déchiffrement des énigmes psychologiques. Elle ne peut pas non plus s'exposer au risque d'être une fois de plus trompée par un joueur trouble et passionné. Le Tribunal révolutionnaire rendit le verdict réclamé à la fois par l'accusateur et l'accusé. Dans la même nuit, quelques heures plus tard, Malinovski traversant une cour écartée du Kremlin recevait à l'improviste une balle dans la nuque[5]. »
Zinoviev écrivait en 1924 :
Sentant qu’il n’allait pas tarder à être démasqué, Malinovsky, en 1914, s’engagea et fut envoyé sur le front. Il fut fait prisonnier et, comme le prouvent des nombreuses lettres envoyées par des prisonniers, il se livra parmi ces derniers à une propagande bolchéviste. Il est peu probable que, dans sa situation, il eût alors des raisons de continuer à jouer un double rôle. Après Octobre, il revint de lui-même en Russie, se remit entre nos mains, fut arrêté, transféré à Moscou, où il fuit condamné à mort et exécuté. Le fait que Malinovsky vint se livrer lui-même aux mains de la justice, alors qu’il était à peu près sûr d’être fusillé, semble montrer qu’il y avait en cet homme deux natures : celle du révolutionnaire et celle de l’agent provocateur, qui tour à tour prenaient en lui le dessus.[6]
2 Références bibliographiques[modifier | modifier le wikicode]
- Vladimir Fédorovski, De Raspoutine à Poutine - Les hommes de l'ombre, Perrin, 2001.
- Ralph Carter Elwood, Roman Malinovsky, a life without a cause, Oriental Research Partners, 1977
3 Lien externe[modifier | modifier le wikicode]
4 Notes[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Jean-Jacques Marie, Lénine, Balland, ISBN 2-7158-1488-7, pp. 133-134
- ↑ Lénine, Œuvres, vol.36, p. 201.
- ↑ Trotski, Staline - V: Nouvelle montée, 1940
- ↑ Lénine, Œuvres, vol.20, pp. 503, 504, 505.
- ↑ Victor Serge, « Les coulisses d'une sûreté générale », dans Mémoires d'un révolutionnaire, coll. Bouquins, ISBN 2-221-09250-3, p. 235
- ↑ Grigori Zinoviev, Histoire du Parti Bolchevik, 31 mars 1924