Robinsonnade
La robinsonnade est un genre littéraire et cinématographique qui tient son nom de Robinson Crusoé, roman de Daniel Defoe publié en 1719. [1]
Mais les économistes aussi sont friands de robinsonnades, dans le sens d'expériences de pensée se plaçant sur une île déserte pour exposer leur modèle économique de façon simplifiée.[2]
Marx se moquait souvent de cette mode, mais répond néanmoins dans le Capital par un passage avec sa propre robinsonnade.
1 La robinsonnade de Ricardo[modifier | modifier le wikicode]
Même Ricardo y va de sa robinsonnade: «Du pêcheur et du chasseur primitifs, il fait aussitôt des possesseurs de marchandises échangeant poisson et gibier à proportion du temps de travail réifié dans ces valeurs d'échange. Ce faisant, il tombe dans l'anachronisme qui consiste à faire calculer par son pêcheur et son chasseur primitifs le montant de leurs instruments de travail d'après les tables d'annuités en usage à la Bourse de Londres en 1817. Les «parallélogrammes de M. Owen» semblent être la seule forme de société qu'il ait connue en dehors de la société bourgeoise» (Karl MARX, Contribution à la critique de l'Economie politique, p.38-39 [Editions sociales, 1977, p.37]
2 La robinsonnade de Marx[modifier | modifier le wikicode]
Puisque l'économie politique aime les robinsonnades faisons d'abord paraître Robinson dans son île. Aussi peu exigeant qu'il soit à l'origine, il n'en doit pas moins satisfaire des besoins divers et, pour ce faire, accomplir divers types de travaux utiles, faire des outils, fabriquer des meubles, domestiquer des lamas, pêcher, chasser, etc. Nous ne parlerons pas ici de prière et autres, car notre Robinson, y trouvant son plaisir, considère ce genre d'activité comme une récréation. Il sait que ses fonctions productives, en dépit de leur diversité, ne sont que diverses formes d'activité du même Robinson et donc diverses modalités du travail humain. La nécessité même le contraint à répartir exactement son temps entre ses différentes fonctions. Des difficultés plus ou moins grandes qu'il aura à surmonter pour parvenir à l'effet utile visé dépend la place que prendra telle ou telle fonction dans son activité d'ensemble. L'expérience apprend cela à notre Robinson, et lui, qui a sauvé du naufrage montre, livre de comptes, encre et plume, a tôt fait, en bon Anglais, de tenir une comptabilité sur lui-même. Son inventaire comporte une liste des objets d'usage en sa possession, des diverses opérations requises pour les produire, enfin du temps de travail que lui coûtent en moyenne des quantités déterminées de ces différents produits. Les relations entre Robinson et les choses qui constituent la richesse qu'il s'est créée lui-même sont toutes à ce point simples et transparentes que même Monsieur M. Wirth devrait pouvoir les comprendre sans effort intellectuel particulier. Et pourtant toutes les déterminations essentielles de la valeur y sont contenues.
Transportons-nous maintenant de l'île lumineuse de Robinson dans le sombre Moyen Age européen. Ici nous trouvons, au lieu de l'homme indépendant, chacun dépendant d'un autre - serfs et seigneurs, vassaux et suzerains, laïcs et clercs. La dépendance personnelle caractérise tout autant les rapports sociaux de la production matérielle que les sphères de vie édifiées sur elle. Mais du fait précisément que des rapports personnels de dépendance constituent la base sociale existante, travaux et produits n'ont pas besoin de revêtir une figure fantastique distincte de leur réalité. Ils entrent dans les rouages sociaux comme services et prestations en nature. Ici, c'est la forme de prestation en nature du travail, sa particularité et non son universalité comme c'est le cas sur la base de la production marchande, qui est la forme immédiatement sociale de celui-ci. Certes, la corvée est mesurée en temps tout aussi bien que le travail producteur de marchandises, mais tout serf sait que c'est un quantum déterminé de sa force de travail personnelle qu'il dépense au service de son maître. La dîme à fournir au curé est plus intelligible que sa bénédiction. Quel que soit le jugement que l'on est amené à porter sur les personnages sous les masques desquels ces hommes se font face, les rapports sociaux des personnes, dans leurs travaux, apparaissent du moins comme leurs rapports personnels et ne sont pas déguisés en rapports sociaux de ces choses que sont les produits du travail.
Pour examiner le travail en commun, c'est-à-dire immédiatement socialisé, nous n'avons pas besoin de remonter à sa forme primitive, que l'on rencontre au seuil de l'histoire chez tous les peuples civilisés. L'industrie rurale patriarcale d'une famille paysanne produisant pour ses besoins propres grain, bétail, fil, toile, vêtements, etc. offre un exemple plus proche. Ces différentes choses se présentent, vis-à-vis de la famille, comme autant de produits divers de son travail familial sans se faire mutuellement face comme marchandises. Les différents travaux qui sont à l'origine de ces produits, culture, élevage, filage, tissage, confection, etc., sont, sous leur forme concrète, des fonctions sociales puisqu'ils sont des fonctions de la famille, laquelle possède tout autant que la production marchande sa propre division spontanée du travail. Les différences d'âge et de sexe, de même que les conditions naturelles du travail, qui changent au gré des variations saisonnières, règlent la répartition de celui-ci au sein de la famille ainsi que le temps de travail de chacun de ses membres. Mais la dépense des forces de travail individuelles mesurée par la durée apparaît ici originairement comme détermination sociale des travaux eux-mêmes, du fait que, dès l'origine, ces forces de travail individuelles n'agissent qu'en tant qu'organes de la force de travail collective de la famille.
Représentons-nous enfin, pour changer, des hommes libres associés qui travaillent avec des moyens de production collectifs et dépensent consciemment leurs multiples forces de travail individuelles comme une seule force de travail sociale. Toutes les déterminations du travail de Robinson se répètent ici, mais à l'échelle sociale et non plus individuelle. Tous les produits de Robinson étaient son produit personnel exclusif, et donc, de façon immédiate, objets d'usage pour lui. La totalité du produit de l'association est un produit social. Une partie de ce produit sert à nouveau comme moyen de production. Elle demeure sociale. Mais une autre partie est consommée comme moyen de subsistance par les membres de l'association. Elle doit donc être partagée entre eux. La modalité de ce partage variera suivant le type particulier d'organisme social de production et le niveau de développement historique correspondant atteint par les producteurs. A seule fin d'établir un parallèle avec la production marchande, nous posons au préalable que la part en moyens de subsistance revenant à chacun des producteurs est déterminée par son temps de travail. Alors, le temps de travail jouerait un rôle double. Sa répartition socialement planifiée règle l'adéquation des différentes fonctions du travail aux différents besoins. D'autre part, le temps de travail sert également à mesurer la participation individuelle du producteur au travail commun et donc aussi à la fraction individuellement consommable du produit commun. Les relations sociales des hommes à leurs travaux et aux produits de leur travail demeurent ici, dans la production comme dans la distribution, d'une simplicité transparente.[3]