Sous-prolétariat

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Allégorie du sous-prolétariat

Le sous-prolétariat désigne une population située socialement sous le prolétariat, du point de vue des conditions de travail et de vie, formée d'éléments déclassés misérables, non organisés du prolétariat urbain.

Appelée en allemand Lumpenproletariat (prolétariat en haillons, de Lumpen = loque, chiffon, haillon et Proletariat), cette population a été considérée par de nombreux marxistes comme sans conscience politique. Les théoriciens de la révolution recommandaient de s'en méfier, car cette classe était susceptible de servir de force d'appoint à la bourgeoisie.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Le terme a été créé par Karl Marx et Friedrich Engels l'Idéologie allemande (1845) et développé par la suite dans d'autres travaux de Marx.

Au chapitre V de son livre Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852), Karl Marx écrit que Louis-Napoléon avait formé (sous la façade d'une « société de bienfaisance ») une force d'intervention qui lui était dévouée « avec des roués ruinés n'ayant ni ressources ni origine connues… […] les rebuts et laissés pour compte de toutes les classes sociales, vagabonds, soldats renvoyés de l'armée, échappés des casernes et des bagnes, escrocs, voleurs à la roulotte, saltimbanques, escamoteurs et pickpockets, joueurs, maquereaux, patrons de bordels, portefaix, écrivassiers, joueurs d'orgue de barbarie, chiffonniers, soulographes sordides, rémouleurs, rétameurs, mendiants, en un mot toute cette masse errante, fluctuante et allant de ci-de là que les Français appellent « la bohème ». »

Engels a écrit sur le lumpenprolétariat napolitain lors de la répression de la révolution de 1848 à Naples : « Cette action du sous-prolétariat napolitain a décidé de la défaite de la révolution. Des gardes suisses, des soldats napolitains et des Lazzaroni se sont rués tous ensemble sur les défenseurs des barricades. »

Dans d'autres écrits, Marx a également vu peu de « potentiel » dans ces couches de la société. À propos des mercenaires rebelles, il écrit : « une équipe hétéroclite de soldats ; des mutins qui ont assassiné leurs officiers, déchiré les liens de la discipline, et n’ont pas réussi à trouver en leur sein un homme à qui donner le commandement suprême sont certainement le corps moins susceptibles d'organiser une résistance sérieuse et durable ».

La description de Marx de ces révoltés comme étant non fiables pourrait être longuement discutée. Les mutins de l’armée russe et leurs comités de soldats furent essentiels pour le renversement du régime tsariste pendant la révolution russe de 1917. Pourtant, il y a une différence, en cela que la révolution russe était un soulèvement général de la plupart des classes populaires de la Russie, et pas seulement une mutinerie militaire. En outre, l'armée impériale russe était une armée régulière de conscrits, pas une armée de mercenaires ; en tant que tel, son extraction sociale était très différente et beaucoup plus proche de la paysannerie que du lumpenprolétariat.

Selon Marx, le sous-prolétariat n'avait pas de motif particulier pour avoir participé à la révolution, et pourrait même — en fait — avoir eu un intérêt dans la préservation de la structure de classe actuelle, parce que les membres du sous-prolétariat dépendent généralement de la bourgeoisie et de l'aristocratie pour leur survie au quotidien. En ce sens, Marx voyait le lumpenprolétariat comme une force contre-révolutionnaire.

Dans le Capital (1867), Marx écrit, dans son analyse de la « surpopulation relative » (chômeurs, rejetés comme inutile par le capital) :

Enfin, le dernier résidu de la surpopulation relative habite l'enfer du paupérisme. Abstraction faite des vagabonds, des criminels, des prostituées, des mendiants, et de tout ce monde qu'on appelle les classes dangereuses [Marx emploie le terme de lumpenproletariat en allemand, qui a été traduit différemment selon les éditions], cette couche sociale se compose de trois catégories.

La première comprend des ouvriers capables de travailler. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les listes statistiques du paupérisme anglais pour s'apercevoir que sa masse, grossissant à chaque crise et dans la phase de stagnation, diminue à chaque reprise des affaires.

La seconde catégorie comprend les enfants des pauvres assistés et des orphelins. Ce sont autant de candidats de la réserve industrielle qui, aux époques de haute prospérité, entrent en masse dans le service actif, comme, par exemple, en 1860.

La troisième catégorie embrasse les misérables, d'abord les ouvriers et ouvrières que le développement social a, pour ainsi dire, démonétisés, en supprimant l’œuvre de détail dont la division du travail avait fait leur seule ressource puis ceux qui par malheur ont dépassé l'âge normal du salarié; enfin les victimes directes de l'industrie - malades, estropiés, veuves, etc., dont le nombre s'accroît avec celui des machines dangereuses, des mines, des manufactures chimiques, etc.[1]

1.2 Kautsky[modifier | modifier le wikicode]

Karl Kautsky, principal théoricien de la social-démocratie allemande et donc de l'Internationale, reprit globalement les idées de Marx et Engels. A noter qu'il parle du lumpenprolétariat comme d'une « classe du prolétariat », et non comme une classe distincte.

« Comme les domestiques, cette espèce de prolétaires rampe devant les puissants. Ils ne forment pas une opposition contre l’ordre social actuel, au contraire. Ils dépendent des miettes de pain qui tombent de la table des riches. Comment pourraient-ils souhaiter que le riche disparût ! Eux-mêmes ne sont pas exploités. Le riche peut être d’autant plus généreux, le pauvre peut attendre d’autant plus de lui que le degré d’exploitation du travailleur, que le revenu du riche est plus grand. »[2]

Kautsky ajoute qu’aux débuts de la grande industrie capi­taliste, les prolétaires qui y travaillaient se distinguaient très peu du lumpenprolétariat.

1.3 Trotski[modifier | modifier le wikicode]

Leon Trotski a développé ce point de vue, voyant le lumpenprolétariat comme particulièrement vulnérable à la pensée réactionnaire. Dans son essai (série d'articles sur le fascisme) Comment vaincre le fascisme ?, il décrit la prise du pouvoir de Benito Mussolini : « Grâce à la propagande fasciste, le capitalisme a mis en mouvement les masses de la petite bourgeoisie affolée et les bandes d’un lumpenprolétariat déclassé et démoralisé - tous ces êtres humains, innombrables, que le capitalisme financier avait lui-même portés au désespoir et la frénésie ».

1.4 Postérité dans la sociologie[modifier | modifier le wikicode]

La définition de Marx a influencé les sociologues contemporains qui sont concernés par de nombreux éléments marginalisés de la société caractérisée par Marx sous cette appellation. Les marxistes ­— et même certains sociologues non-marxistes — utilisent désormais ce terme pour désigner ceux qu'ils considèrent comme les « victimes » de la société moderne, qui existent en dehors du système du travail salarié, comme des mendiants, ou des gens qui gagnent leur vie par des moyens peu recommandables : les prostituées et les proxénètes, les escrocs, les forains, les trafiquants de drogue, les contrebandiers et les bookmakers, mais dépendent de l'économie formelle pour leur survie au jour le jour.

En théorie sociale moderne, le mot « sous-classe » est parfois utilisé comme équivalent au lumpenprolétariat de Marx.

2 Cas historiques[modifier | modifier le wikicode]

Les chemises noires de Mussolini étaient principalement constitués d'anciens soldats démobilisés, de chômeurs et de jeunes bourgeois. C'est donc un mélange hétéroclite de jeunes membres radicalisés de la classe dominante, et de sous-prolétaires.

3 Notes[modifier | modifier le wikicode]