Grèves de Limoges de 1905
Le terme de grèves ouvrières de 1905 renvoie aux grèves et manifestations des ouvrier·ères de Limoges, principalement les porcelainiers, qui eurent lieu entre février et mai 1905. Ces événements eurent un retentissement national.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
À Limoges, l’activité industrielle s’est affirmée, dès la fin du 18e siècle, autour du textile et de la porcelaine ; les convictions socialistes ont fortement imprégné la classe ouvrière. La ville est déjà aguerrie aux luttes de classe. En 1871, une Commune de Limoges a fait écho à celle de Paris.
2 Historique[modifier | modifier le wikicode]
Protestant contre les bas salaires et les contremaîtres, les ouvriers de la chaussure et du feutre sont les premiers à se mettre en grève.
Le 27 mars, trois peintres sur porcelaine de l’usine Haviland sont renvoyés puis réintégrés. Ils s’étaient plaints du « droit de cuissage » exigé par Penaud, un directeur d’atelier, sur les ouvrières : le patron avait défendu l’accusé. La grève éclate dans plusieurs entreprises de la ville. Issus de secteurs différents (porcelaine, chaussures, imprimerie...), les ouvriers limousins s’unissent pour protester contre les pouvoirs autoritaires des contremaîtres, ces derniers cristallisant la colère des grévistes. Ils s’insurgent aussi contre les bas salaires.
En mars, l'arrivée d'un nouveau général à la tête de la division de Limoges est mal perçue, et les ouvrières de Haviland (porcelaine) rejoignent le mouvement en solidarité avec leurs camarades renvoyés.
Les grèves se généralisent en avril à l'imprimerie. Dans la porcelaine, les ouvriers réclament le renvoi d'un contremaître, dans chacune des deux usines Haviland (Charles Haviland, avenue Garibaldi, et Théodore Haviland, place des Tabacs). Le drapeau rouge est hissé sur le toit de la seconde, en réponse au patron qui, d'origine américaine, avait hissé le drapeau des États-Unis.
Le président du Conseil Maurice Rouvier demande que les échanges entre ouvriers et patrons aboutissent. Les pourparlers sont repoussés. Le lock-out est engagé le 5 avril et les porcelainiers mis à la porte le 13 avril. 13 000 personnes se retrouvent au chômage. Le maire radical-socialiste, Émile Labussière, essaie en vain de faire négocier les deux classes en lutte.
L'armée intervient le 14 avril. Une bagarre éclate, des barricades sont dressées dans l'un des faubourgs populaires (ancienne route d'Aixe). On déplore un cheval tué, la jument Estacade, dont le corps devient le centre d'une nouvelle barricade. Tout Limoges est dans la rue, y compris les femmes et les enfants.
Le 15 avril, un millier de manifestants envahit l’usine Haviland. Une bombe explose devant la maison du directeur de l'une des usines Haviland, l'automobile (rare à l'époque) de Théodore Haviland est incendiée. Le maire impuissant est dessaisi par le préfet qui fait intervenir l’infanterie et les chasseurs à cheval. Tout attroupement est prohibé par la préfecture, des armureries sont pillées. Des arrestations interviennent.
La presse nationale ne parle plus que des manifestations. Certains journaux s’effrayent, tels L’Union nationale qui parle de la « bande de Limoges »[1] ou le journal d’extrême-droite La Libre Parole, qui titre « La Révolution à Limoges »[2]. Le Matin ira jusqu’à parler de « guerre civile »[3]. Dans son édito du 16, La Lanterne défend les ouvriers :
« Les ouvriers de Limoges […] luttent pour quelque chose de plus sacré que leurs intérêts économiques ; ils luttent pour les droits les plus incontestables de l'homme et du citoyen […]. En leur payant un salaire sur lequel il prélève d'ailleurs un bénéfice exorbitant, le patron acquiert le droit de traiter ses ouvriers comme des bêtes de somme. Pas de justice, pas d'égards : le maître ou son valet peuvent tout se permettre ; ils peuvent abuser de leur autorité pour violenter la conscience des ouvriers, pour offenser leur dignité d'hommes ; ils peuvent user de brutalité et d'arbitraire, imposer au personnel de l'usine leurs caprices et leurs fantaisies et congédier qui leur déplaît. »[4]
Le 17 avril, un cortège formé après un meeting de la CGT se rend à la préfecture demander la libération des personnes arrêtées. Sur le refus du préfet, la foule se rend à la mairie demander l'intervention du maire. Celui-ci tente une démarche qui échoue. Les manifestants gagnent alors la prison départementale (place du Champ-de-Foire) et en défoncent l'entrée. Une troupe de cavaliers (dragons) est dépêchée. S'ensuit un violent affrontement. L'infanterie est envoyée au secours des cavaliers empêchés d'agir; les émeutiers se réfugient dans le jardin d'Orsay, qui domine la place, mais est occupé par des badauds. Sous le jet de projectiles divers et (selon certaines sources, non avérées, après avoir subi des coups de feu), la troupe ouvre le feu et prend le jardin d'assaut. On déplore plusieurs blessés et un mort, du nom de Camille Vardelle (19 ans), ouvrier porcelainier qui se serait trouvé là comme spectateur.
Les funérailles du jeune Vardelle sont suivies, deux jours plus tard, par des dizaines de milliers de personnes.
« Lendemain de massacre », titre L’Humanité du 19 avril :
« La répression s'est affirmée d'une façon sauvage ; il fallait que cette ville si profondément émue, si douloureusement éprouvée déjà par la misère, eût aussi ses deuils, qu'aux larmes d'angoisse vinssent se joindre les larmes de souffrance. Le prétexte fut facile à trouver. »
Jean Jaurès prononce un discours à l’Assemblée dans lequel il prend fait et cause pour les grévistes et rappelle les faits à l’origine du mouvement social :
« Comment ! le préfet savait que cette grève avait un caractère singulier, qu'elle n'avait pour cause ni une revendication de salaires, ni la durée des heures de travail, et cela a suffi au préfet pour dire que la grève ne procède que du caprice et de la fantaisie. Il y avait pourtant une question de dignité morale en jeu et ce pays serait singulièrement abaissé si la classe ouvrière comme les autres classes, n'avait pas conscience de cette dignité. »[5]
Le 21 avril, le travail reprend dans la porcelaine après la fin des négociations, mais les salariés n'ont pas obtenu satisfaction sur leurs principales revendications. Le mouvement se poursuit dans d'autres secteurs, principalement à la couperie de poils de lapin Beaulieu, rue d'Auzette. Les grévistes bloquent l'usine et la maison du patron. Le siège est finalement levé.
3 Répercussions[modifier | modifier le wikicode]
Les festivités du 14 juillet sont cette année-là annulées.
L'évènement de Limoges est relaté dans les grands quotidiens français et étrangers, donnant à Limoges son surnom de ville rouge, ou encore de Rome du socialisme.
Dans les décennies qui suivent, la ville acquiert une image en partie liée à ces évènements historiques. Ainsi, peu de temps après, un dessin portant la légende « Faites-nous peur, Monsieur Jaurès, parlez-nous de Limoges ! », paraît dans L'Assiette au beurre[6].
4 Références[modifier | modifier le wikicode]
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Grèves_de_Limoges_de_1905
- RetroNews, Guerre civile à Limoges : la révolte de la « ville rouge », novembre 2017
- Journal Le Populaire du Centre
- ↑ https://www.retronews.fr/journal/l-union-nationale/16-avril-1905/697/1881307/2
- ↑ https://www.retronews.fr/journal/la-libre-parole/16-avril-1905/691/1957135/1
- ↑ https://www.retronews.fr/journal/le-matin/27-avril-1905/66/179591/1
- ↑ https://www.retronews.fr/journal/la-lanterne/16-avril-1905/62/1031153/1
- ↑ https://www.retronews.fr/journal/l-humanite/19-avril-1905/40/293269/2
- ↑ Limoges, ville d'art et d'histoire (livre publié en 2009 et issu du dossier de candidature de la ville présenté en 2007 au Ministère de la Culture), Ed. AD&D
5 Bibliographie et discographie[modifier | modifier le wikicode]
- Disque de 1986 réédité en 2005 en CD : « Rue de la Mauvendière », avec Philippe Destrem, Françoise Etay et Jean-Jacques Le Creurer.
- Vincent Brousse, Dominique Danthieux, Philippe Grandcoing, 1905, le printemps rouge de Limoges, Limoges, éditions Culture et patrimoine en Limousin, 2005.
- Georges-Emmanuel Clancier, Le pain noir, 1956