Alliance internationale de la démocratie socialiste

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La Fraternité internationale était une organisation secrète dirigée par Bakounine, entre 1863 et 1873.

L'Alliance internationale de la démocratie socialiste était le pendant « officiel » de la Fraternité, qui est formé en 1868 et se dissout la même année dans l'Association internationale des travailleurs (Première internationale).

Les partisans de Marx qui suspectaient Bakounine d'avoir maintenu son organisation continuèrent à en parler comme « l'Alliance ». Les tensions conduisent finalement à la scission et à la disparition de l'AIT.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Origine[modifier | modifier le wikicode]

Vers 1863, Bakounine commence à organiser la Fraternité Internationale, sur le modèle romantique des sociétés secrètes, coutumier dans l'Italie du Risorgimento mais dépassé alors même que le mouvement ouvrier est sur la voie des grandes organisations de masse. Il en est friand et ne se départit jamais de ce travers - qui cause tant de troubles au sein de l'Association internationale des travailleurs (AIT). La Fraternité est constituée d'une « famille internationale » et de « familles » nationales, regroupées en cercles locaux. Les « familiers » sont des révolutionnaires convaincus, complètement acquis à la cause de la liberté et dont la discrétion est assurée. Le programme et le ciment de l'organisation est le Catéchisme révolutionnaire[1]. Font partie de la Fraternité : parmi les Italiens Giuseppe Fanelli, Saverio Friscia ; parmi les Français les frères Reclus (en 1865), Benoit Malon, Alfred Naquet ; parmi les Suisses Charles Perron (en 1868), James Guillaume (en 1869) ; parmi les Polonais Valérien Mroczkowski ; parmi les Russes Nikolaï Ivanovitch Joukovski.

En septembre 1867, la guerre menace entre la France et la Prusse. Sous l'égide de la Ligue de la Paix et de la liberté se réunit un congrès à Genève, le Congrès démocratique et international de la Paix. Les plus grands noms de la démocratie européenne font partie de l'initiative : Victor Hugo, Louis Blanc, Pierre Leroux, Edgar Quinet, Jules Vallès, Ludwig Büchner, John Stuart Mill, Giuseppe Garibaldi... La semaine précédente, du 2 au 7 septembre, s'était tenu à Lausanne, le second congrès général de l'Association internationale des travailleurs (AIT) qui avait été invitée à se faire représenter au congrès de la paix. Eugène Dupont y prend la parole au nom de l'Internationale.

Bakounine, qui était aussi présent (il n'est pas encore membre de l'AIT), prononce un violent discours lors de la seconde séance. Il est clair dès ce moment-là que, parmi ces pacifistes bourgeois tout au plus capables d'imaginer avant la lettre la création d'une Société des Nations, Bakounine - avec l'aile gauche du congrès qu'il représente - détonne lorsqu'il met en avant des idées socialistes à visée immédiate et portant sur une organisation radicalement opposée aux règnes des empires et portant finalement sur l'organisation internationale d'une fraternité politique effective parce que performative. L'assemblée se sépare sans être capable de se mettre d'accord sur une résolution finale et il est décidé de constituer une commission chargée d'élaborer un programme qu'elle soumettra à un second congrès devant se réunir l'année suivante. Bakounine fait partie de cette commission. Comme elle doit tenir ses réunions à Berne, il décide de s'installer sur les bords du Lac Léman et réside alternativement à Genève, Vevey et Clarens. Il passe les mois qui suivent à tenter de rallier à ses vues la commission de la Ligue de la Paix et écrit à cette fin Fédéralisme, Socialisme, Antithéologie.

1.2 Création de l'Alliance et « dissolution » dans l'AIT (1868)[modifier | modifier le wikicode]

La rupture au sein de la Ligue de la Paix et de la Liberté entre la minorité socialiste et le radicalisme bourgeois se produit au congrès de Berne, en septembre 1868. Les socialistes révolutionnaires claquent la porte et décident de fonder l'Alliance internationale de la démocratie socialiste. L'Alliance est la face publique de la « Fraternité Internationale », les deux structures existant parallèlement, l'une en plein jour, l'autre dans l'ombre. L'Alliance fonctionne avec un « Bureau central » qui réside à Genève, des groupes nationaux pour chaque pays et des groupes locaux. Le groupe local de Genève est constitué le 21 novembre 1868. Il compte d'emblée 145 membres.

L'Alliance demande aussitôt son adhésion en bloc à l'Association internationale des travailleurs. Dès ce moment, Marx, même s'il connaît Bakounine depuis longtemps, est méfiant : « Monsieur Bakounine – dans les coulisses de cette affaire – condescend à placer le mouvement ouvrier sous direction russe »[2]

En décembre 1868, la demande d'adhésion de l'Alliance est rejetée par le Conseil Général de l'AIT.[3] Celui-ci considère en effet ne pas pouvoir intégrer une organisation internationale dont les structures feraient en quelque sorte double emploi avec celles, fédérations régionales ou locales, de l'AIT. Après de vives discussions internes, les alliancistes reconnaissent le bien-fondé du raisonnement du Conseil Général et le Bureau central de l’Alliance est dissout en février 1869, les groupes divers dont elle était composée adhérant à l'Internationale séparément. Par courrier daté du 28 juillet 1869, Johann Georg Eccarius, au nom du Conseil Général, accepte l'adhésion du groupe de Genève de l'Alliance comme section de l'Internationale. Bakounine écrit à Marx le 22 décembre 1868 :

« Ma patrie maintenant, c’est l’Internationale, dont tu es l’un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple, et je suis fier de l’être ».

1.3 Programme de l'Alliance et de la Fraternité[modifier | modifier le wikicode]

L'Alliance et la Fraternité avaient le même programme.[4] Le préambule du programme de l’Alliance indique qu’au sein de l’AIT, l’Alliance a « pour mission spéciale d’étudier les questions politiques et philosophiques sur la base même de ce grand principe de l’égalité universelle et réelle de tous les êtres humains sur la terre ». Son programme tient en sept points : athéisme, égalité politique, sociale et économique, égalité des moyens de développement pour chaque individu (moyens d’entretien, d’éducation et d’instruction identiques pour tous), république sociale, disparition des États « dans l’union universelle des libres associations, tant agricoles qu’industrielles », solidarité internationale des travailleurs comme base de toute politique, principe de fédération libre pour que s’unissent les associations locales. On pourrait comparer cette conception des rapports entre l’AIT et l’Alliance à la situation qui prévaudra plus tard en Espagne entre la CNT et la FAI.

La Fraternité est censée regrouper des révolutionnaires pour coordonner leur propagande et leur action. Bakounine, qui prône le fédéralisme anarchiste dans l'AIT, admet dans la Fraternité une forme de centralisme, nécessaire pour que tous les membres de la société secrète agissent de concert et soient capables de se reconnaître dans les moments décisifs.

En privé, Bakounine assume cette organisation occulte qui vise une « dictature collective de l'organisation » :

« Mais si nous sommes des anarchistes, demanderez-vous, de quel droit voulons-nous agir sur le peuple et par quels moyens le ferons-nous ? Rejetant toute autorité, à l’aide de quel pouvoir ou plutôt de quelle force dirigerons-nous la révolution populaire ? Au moyen d’une force invisible qui n’aura aucun caractère public et qui ne s’imposera à personne; au moyen de la dictature collective de notre organisation qui sera d’autant plus puissante qu’elle restera invisible, non déclarée et sera privée de tout droit et rôle officiels »[5]

Bakounine soutient que ce qui empêche cette force invisible de devenir une nouvelle source de domination, c’est sa moralité et son programme :

« Ces groupes, ne désirant rien pour eux-mêmes, ni profits, ni honneurs, ni autorité, seront en mesure de diriger le mouvement populaire envers et contre tous les ambitieux, désunis et dressés les uns contre les autres, et de l’acheminer vers la réalisation aussi intégrale que possible de l’idéal social et économique, et vers l’organisation de la liberté populaire la plus complète. Voilà ce que j’appelle la dictature collective de l’organisation secrète »

Cette conception de Bakounine n'est pas seulement une hypocrisie manoeuvrière. Bakounine est persuadé que Marx, symétriquement, reste secrètement membre de la Ligue des communistes (qui a pourtant bel et bien disparu depuis longtemps), et il attribue à l'AIT un rôle spécifique d'organisation large, qui ne doit pas avoir de programme bien défini. L'AIT est censée préfigurer la société future, et doit comme elle fonctionner sur le principe du fédéralisme anarchiste.

1.4 Congrès de Bâle (1869)[modifier | modifier le wikicode]

En février 1869, Bakounine se rend au Locle avec l'objectif d'y constituer un groupe. James Guillaume, Adhémar Schwitzguébel ou encore Auguste Spichiger en font partie. Le « socialisme anti-autoritaire » trouve dans le Jura suisse une implantation forte et durable grâce à ces militants de la Première Internationale. On a pu discuter des raisons du succès des idées bakouniniennes auprès de ces ouvriers et de ces artisans jurassiens, souvent pour en conclure que les jurassiens avaient sans doute davantage influencé Bakounine que le contraire[6].

Le 4e congrès de Bâle (6-12 septembre 1869) réunit 75 délégués. Les bakouninistes et les marxistes se retrouvent sur le principe du collectivisme, notamment sur une proposition ayant trait à la socialisation du sol. Le socialiste belge De Paepe joue un rôle décisif en faisant basculer la délégation belge, auparavant mutuelliste, du côté collectiviste. Enfin, et à l'unanimité, le congrès décide d'organiser les travailleurs dans des sociétés de résistance (syndicats).

Mais les marxistes et les bakounistes se séparent sur la question de l'héritage :

  • Les Bakouninistes veulent inscrire la suppression du droit d’héritage dans le programme de l’Internationale, et obtiennent une majorité.
  • Pour Marx, il fallait défendre des mesures pratiques comme l'établissement d'impôts sur la succession et la limitation du droit de tester. L'héritage disparaîtrait avec le capitalisme, car il en est une conséquence et pas une cause.[7]

À partir de votes sur des motions ou amendements présentés par ces divers « courants », on peut établir le « rapport de force » comme suit :

  • 63 % des délégués de l'AIT se regroupent sur des textes collectivistes dits « anti-autoritaires » (« bakouninistes »).
  • 31 % se regroupent sur des textes collectivistes dits « marxistes ».
  • 6 % maintiennent leurs convictions mutuellistes (proudhoniens).

Cette mise en minorité surprend Marx et lui fait dire que le bakouninisme représente une menace.

1.5 Tensions avec les marxistes[modifier | modifier le wikicode]

L’AIT va rapidement se trouver divisée entre "marxistes" et "anarchistes" de tendance bakouniniste. Errico Malatesta commentera ainsi plus tard cette division :

« Nous voulions, par une action consciente, imprimer au mouvement ouvrier la direction qui nous semble la meilleure, contre ceux qui croient au miracle de l'automatisme et aux vertus de la masse travailleuse... Nous qui dans l'Internationale, étions désignés sous le nom de bakouninistes, et étions membres de l'Alliance, nous criions très fort contre Marx et les marxistes parce qu'ils tentaient de faire triompher dans l'Internationale leur programme particulier ; mais à part la loyauté des moyens employés et sur lesquels il est maintenant inutile d'insister, nous faisions comme eux, c'est-à-dire que nous cherchions à nous servir de l'Internationale pour atteindre nos buts de parti. » (Volonta, 1914)

La méfiance se renforce. Marx est persuadé que l'Alliance n'est pas véritablement dissoute, ce en quoi il n'a pas tort puisque la Fraternité Internationale existe encore. Mais Marx et ses amis, dans le feu de la polémique, tendent à exagérer les machinations de l'Alliance et à minimiser ce qui pouvait relever de véritables divergences théoriques. Ainsi, par exemple, la réception en Espagne du programme de l'Alliance et l'adhésion que ce programme y trouve ne doivent rien à l'existence de supposées conspirations : la Alianza en Espagne est une organisation à part entière, sans lien organisationnel avec l'Alliance bakouninienne. Par ailleurs, selon Arthur Lehning, l'Alliance de Bakounine ne serait, dans son fonctionnement, au fond pas tellement différente du réseau que Marx entretient par voie épistolaire avec divers correspondants en Europe.

Marx cherche à obtenir des informations compromettantes sur Bakounine via le jeune militant russe Serno-Solovievitch, mais celui-ci en informe Bakounine[8]. En revanche, il trouvera dans la personne de Nicolas Outine un informateur dévoué, animé d’une haine tenace pour Bakounine. Dès le mois de mars 1869, Marx s’inquiète auprès d’Engels des succès rencontrés en France, en Suisse, en Italie et en Espagne par le programme de l’Alliance et des risques de scission.[9] Marx se doute que Bakounine entretient secrètement le réseau de l'Alliance, et se fait menaçant dans une lettre à Engels de juillet 1869 :

« Ce russe, cela est clair, veut devenir le dictateur du mouvement ouvrier européen. Qu'il prenne garde à lui, sinon il sera excommunié » [10]

Bakounine se prépare à un conflit ouvert :

« Il pourrait arriver et même dans un très bref délai, que j'engageasse une lutte avec lui [Marx]... pour une question de principe, à propos du communisme d'État... Alors, ce sera une lutte à mort » (lettre du 28 octobre 1869 de Bakounine à Herzen)

Mais ce conflit dans l'AIT n'est pas qu'une querelle de personnes, même si la différence de tempérament entre Marx et Bakounine a joué un rôle. Il s'agit d'une lutte politique entre deux courants, qui se cristallisera sur deux principales questions : la question de l'organisation (fédéralisme ou centralisme), et la question de la politique (prendre part à la vie politique légale et utiliser les institutions bourgeoises ou s'en tenir à la lutte économique).

1.6 Scission dans la section suisse (1870)[modifier | modifier le wikicode]

En avril 1870, lors du congrès régional de la fédération romande, va se produire une scission : les délégués suisses vont se diviser sur l'attitude à adopter à l'égard des gouvernements et des partis politiques. Quelques phrases extraites des deux résolutions divergentes expriment bien cette opposition qui, de locale, allait gagner tout le mouvement. Pour les bakouninistes,

« toute participation de la classe ouvrière à la politique bourgeoise gouvernementale ne peut avoir d'autre résultat que la consolidation de l'ordre des choses existant, ce qui paralyserait l'action révolutionnaire socialiste du prolétariat. Le congrès romand commande à toutes les sections de l'AIT de renoncer à toute action ayant pour but d'opérer la transformation sociale au moyen des réformes politiques nationales, et de porter toute leur activité sur la constitution fédérative de corps de métiers, seul moyen d'assurer le succès de la révolution sociale. Cette fédération est la véritable représentation du travail, qui doit avoir lieu absolument en dehors des gouvernements politiques. »

A l'inverse, les «marxistes» affirment:

« l'abstention politique est funeste par ses conséquences pour notre œuvre commune. Quand nous professons l'intervention politique et les candidatures ouvrières, nous voulons seulement nous servir de cette représentation comme d'un moyen d'agitation qui ne doit pas être négligé dans notre tactique. Nous croyons qu'individuellement chaque membre doit intervenir, autant que faire se peut, dans la politique. »

Le Conseil Général de Londres va tenter d'éviter l'affrontement, et rappelle aux bakouninistes que les statuts de l’AIT considèrent l'action politique comme un moyen d'émancipation. Mais, rapidement, ce conflit va déborder les frontières suisses. Les «bakouninistes», désormais appelés « jurassiens », vont rencontrer d'actives sympathies en France, en Espagne et en Belgique. Des tentatives de conciliation au sein des sections romandes, puis à la conférence de Londres en 1871, vont échouer. Le Conseil Général de Londres enjoint alors aux jurassiens de se fondre dans la fédération agréée de Genève. Au nom du principe statutaire d’Autonomie, les jurassiens s'obstinent, et refusent qu’il y ait une seule section suisse de l’Internationale.

Dès le 6 septembre 1871, les jurassiens se mettent en marge de l'AIT en adoptant de nouveaux statuts, et en contestant le conseil général qu’ils qualifient de « hiérarchique et autoritaire ». Marx et ses partisans sont alors persuadés que le but de Bakounine est de parvenir à relocaliser à Genève le Conseil général. Bakounine dément, et soutient seulement la réduction des pouvoirs du Conseil général. A l'inverse, le Conseil général dénoncera l'inefficacité du modèle d'organisation des anarchistes :

« Tous les socialistes entendent par anarchie ceci : le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteint, le pouvoir de l’État qui sert à maintenir la grande majorité productrice sous le joug d’une minorité exploitante peu nombreuse, disparaît et les fonctions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives. L’Alliance prend la chose au rebours. Elle proclame l’Anarchie dans les rangs prolétaires comme le moyen le plus infaillible de briser la puissante concentration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l’Internationale, au moment où le vieux monde cherche à l’écraser, de remplacer son organisation par l’Anarchie. »[11]

Marx considérait qu'il était important que le Conseil général soit à Londres, « la métropole du capital », pour avoir « la main directement sur le grand levier de la révolution prolétaire » :

« Les Anglais ont toute la matière nécessaire à la révolution sociale. Ce qui leur manque, c’est l’esprit généralisateur et la passion révolutionnaire. C’est seulement le Conseil général qui peut y suppléer, qui fait ainsi accélérer le mouvement vraiment révolutionnaire dans ce pays et par conséquent partout. (...) [Si] l’initiative révolutionnaire partira probablement de France, l’Angleterre seule peut servir de levier pour une révolution sérieusement économique. »[12]

1.7 La Conférence de Londres (1871)[modifier | modifier le wikicode]

La guerre de 1870 et la Commune n'allaient que retarder le dénouement de cette opposition. En effet, les événements empêchent la tenue du 5e congrès qui devait s'ouvrir à Paris en septembre 1870. Au lendemain de la Commune, Bakounine fait encore cause commune avec Marx contre les attaques de Mazzini.

A défaut de congrès, une conférence de Londres se tient en septembre 1871. Celle-ci confirme la position de Marx sur la question politique, en renvoyant à l'Adresse inaugurale de l'AIT qui disait « la conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe ouvrière »[13]. La légitimité de cette conférence et ses décisions seront attaquée par plusieurs sections en octobre 1871, lorsque les décisions prises à Londres sont connues. Les fédérations italienne, belge et espagnole demandent une révision des statuts de l’Internationale pour restreindre le rôle du Conseil général à celui d’un simple centre de statistiques et de correspondance, proposition à laquelle se rallie la fédération jurassienne.

Bakounine insiste à ce moment sur la « la liberté la plus absolue de la propagande tant politique que philosophique »[14] afin de prôner la cohabitation des deux lignes.

1.8 La scission au congrès de La Haye (1872)[modifier | modifier le wikicode]

La scission aura lieu début septembre 1872 lors du 8e congrès, à La Haye. Les modalités d'organisation du congrès elles-mêmes font partie de la controverse. En effet, les règlements administratifs de l'Internationale, qui permettaient à chaque section d'envoyer au congrès un délégué avec voix délibérative, donnaient de facto une sur-représentation aux sections les plus proches géographiquement, compte tenu des difficultés économiques que la plupart des sections éprouvaient à envoyer un délégué. Pour ces raisons, Paul Lafargue avait dans un premier temps suggéré à Engels d'organiser le congrès en Angleterre : « les Bakounistes y seraient coulés avant de paraître »[15]Genève avait ensuite été envisagé. Lorsque le Conseil général choisit finalement La Haye, Henri Perret écrit à Jung (7 juillet 1872) : « Si le Congrès avait eu lieu à Genève, vous aviez trente délégués, rien que de Genève, parfaitement assurés, plus les autres groupes de la Fédération romande ; les Allemands auraient eu un bon nombre de délégués [...] nous étions sûrs d'une belle majorité »

Le choix de La Haye (séance du Conseil général du 18 juin 1872) au détriment de Genève rendait la présence de Bakounine pratiquement impossible, l'accès de la France et de l'Allemagne lui étant interdit. La décision du Conseil général entraîna, outre la décision des italiens de ne pas se rendre au congrès, une protestation (le 15 juillet) du Comité fédéral jurassien qui jugeait le lieu "extrêmement excentrique". Les jurassiens donnent mandat impératif à James Guillaume et Adhémar Schwitzguebel pour présenter leur motion « anti-autoritaire » au congrès officiel et se retirer en cas de vote négatif. A la Haye, Guillaume rédige une déclaration en des termes modérés qui lui permettent d’être signée par les délégués des fédérations espagnole, belge, jurassienne et hollandaise, ce qui prend au dépourvu la majorité. La déclaration rejette l’autorité du Conseil général en affirmant que seule l’autonomie des fédérations permet le maintien de l’unité et l’expression des différentes tendances politiques.

Le congrès regroupe 65 délégués d'une dizaine de pays, et les marxistes y sont majoritaires. Les marxistes étaient majoritaires dans les pays où il était possible de participer à la vie politique et de réaliser des améliorations des conditions de vie des travailleurs, tandis que l'anarchisme était majoritaire dans les pays où les interdictions étaient plus fortes. Bakounine et Guillaume sont exclus, en raison de leur structure internationale officieuse, et sur la base du dossier constitué par Marx compromettant Bakounine. Le conseil général est transféré à New York. Des militants et des fédérations se solidarisent avec les exclus et quittent alors l'AIT.

Le Conseil Général consacre à l'Alliance[16] un volumineux rapport, plus volumineux encore que le compte-rendu intégral du congrès de La Haye.

1.9 Conséquences[modifier | modifier le wikicode]

Après l’affaiblissement dû à la répression qui suit l’échec de la Commune, cette scission sera fatale à la Première Internationale, qui va s'éteindre progressivement.

Une Internationale dite « anti-autoritaire » va naître. La Fédération jurassienne sera le point de regroupement des fédérations hostiles au conseil général. C'est autour d'elle que va mûrir l'idéologie anarchiste qui se revendique alors du nom de « collectivisme révolutionnaire », se voulant le promoteur d'un système économique autogéré en dehors de toute autorité, de toute centralisation, de tout Etat. La constitution de cette nouvelle internationale a lieu à Saint-Imier le 15 septembre 1872. Y sont représentées les fédérations espagnoles, italiennes et jurassiennes, plusieurs sections françaises et deux sections d'Amérique. Le Congrès de Saint-Imier se donne comme objectif « la destruction de tout pouvoir politique par la grève révolutionnaire ».

L'Internationale « officielle » dénonce cette scission. Le conseil général convoque un congrès général le 8 septembre 1873, à Genève. Les trente délégués qui y assistent ne représentent presque qu'eux-mêmes. « Le fiasco du congrès de Genève était inévitable... Les événements et l’inévitable évolution et involution des choses pourvoiront d’eux-mêmes à une résurrection de l’Internationale » (lettre de Marx à Friedrich Sorge du 27 septembre 1873 - Marx était lui-même absent à ce congrès, comme à quasiment tous les congrès de l’AIT). « La vieille internationale est complètement finie et a cessé d'exister » (lettre d'Engels à Sorge du 12 septembre 1873). Le 15 juillet 1876, le congrès réunit à Philadelphie décide l'auto-dissolution de l’Internationale.

2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Jean-Christophe Angaut, Le conflit Marx-Bakounine dans l’internationale : une confrontation des pratiques politiques, 2007

  1. Publié par Daniel Guérin dans l'anthologie Ni Dieu, ni maître, Maspero, 1970.
  2. Lettre de Marx à Engels du 15 décembre 1868
  3. Conseil général de l'AIT, Résolution sur l'Alliance internationale de la démocratie socialiste, 22 décembre 1868
  4. Statuts secrets de l’Alliance rédigés à l’automne 1868 et Fraternité internationale. Programme et objet (fin 1868).
  5. M. Bakounine, Œuvres complètes, Paris, Champ Libre, t. V, p. 237
  6. Voir par exemple Jacques Droz, Le socialisme suisse des origines à 1914, dans Jacques Droz (dir.), Histoire générale du socialisme, volume 2, pages 336-337.PUF, Quadrige, 1997 [1974].
  7. Voir à ce propos la Communication confidentielle, qui qualifie la proposition adoptée à Bâle de « vieillerie saint-simonienne », et les exposés de Marx sur le droit d’héritage au Conseil général en juillet 1869.
  8. Lettre de Marx à Engels du 13 janvier 1869
  9. Lettre de Marx à Engels du 14 mars 1869
  10. Lettre de Marx à Engels du 27 juillet 1869
  11. Les Prétendues scissions dans l'Internationale, texte adopté par le conseil général, essentiellement rédigé par Karl Marx. Publié à Genève, 1872
  12. K. Marx - F. Engels, Le Conseil général au conseil fédéral de la Suisse romande, mars 1870
  13. Adresse inaugurale de l'AIT, écrite entre le 21 et le 27 octobre 1864.
  14. Bakounine, L’Écrit contre Marx, 1872
  15. Lettre de Paul Lafargue à Engels du 17 mai 1872
  16. Report on the Alliance presented in the name of the General Council to the Hague Congress, fin août 1872