Dimanche rouge
Jusqu'en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui avait à l'époque 13 jours de retard sur le calendrier grégorien. Le 23 février « ancien style » correspond donc au 8 mars « nouveau style » (n.s.). |
Le Dimanche rouge (en russe Кровавое воскресенье, littéralement « dimanche sanglant ») désigne la répression sanglante d'une manifestation populaire sur la place du Palais d'Hiver, le 9 janvier 1905 (22 janvier n.s) à Saint-Pétersbourg. Cet événement dramatique marque le début de la révolution russe de 1905.
1 Historique[modifier | modifier le wikicode]
Le 3 janvier 1905 débute une grève aux usines Poutilov après le licenciement de quatre ouvriers, membres de l'Union chapeautée par le prêtre Gueorgui Gapone. La grève s'étendit à d'autres usines. Le 8 janvier 1905, il y eut jusqu'à 200 grévistes. La quasi-totalité des entreprises pétersbourgeoises étaient touchées. Des revendications politiques voient le jour.
Le dimanche 9 janvier 1905, une foule considérable, évaluée par les témoins à un nombre compris entre 50000 et 100000, ouvriers et habitants de Saint-Pétersbourg, participe à une marche pacifique (beaucoup sont venus avec leurs enfants) organisée par le prêtre orthodoxe Gueorgui Gapone. Les cortèges se rassemblent en neuf points différents de la périphérie ouvrière et convergent vers le Palais d'Hiver, lieu de résidence de l'empereur. Selon l'historien W. Berelowitch, les tirs éclatèrent avant que la foule soit parvenue à la place du Palais, en particulier, avant qu'elle ait franchi la Neva. Ce jour-là, cependant, la famille impériale n'est pas à Pétersbourg, mais à Tsarskoïe Selo. Sur le parcours, beaucoup chantent, et la police précède même la manifestation, comme lors des processions religieuses ; en plusieurs endroits du défilé, aucune force de police n'est visible.
1.1 Les doléances[modifier | modifier le wikicode]
Le texte de réclamations qu'apportent les manifestants au gouvernement est relativement long et complet. Les analystes ont relevé l'opposition entre le fond (exigences extrêmement claires et formulées souvent sous la forme d'ultimatum) et la forme (une supplique où l'empereur est appelé « père »). Les manifestants réclamaient :
- la libération de tous les révolutionnaires emprisonnés ;
- de meilleures conditions de travail ;
- la cession des terres aux paysans ;
- la suppression de la censure.
Les manifestants demandaient en outre la création d'un parlement. Ceci ne constituait pas alors un acte de révolution à proprement parler, puisque la manifestation se déroulait de façon pacifique. Certains manifestants étaient accompagnés par leur famille, et des portraits du tsar avaient été hissés au milieu de la manifestation.
Les gardes ouvrent alors le feu sur les manifestants. En l'absence de l'empereur, qui se trouvait dans la résidence de Tsarskoïe Selo depuis le 8 janvier 1905 et qui espérait ainsi désamorcer la crise (Nicolas II détestait Pétersbourg, qu'il qualifiait de « cloaque »), le commandement armé dépassé par l'ampleur de la manifestation aurait pris cette initiative.
1.2 Les victimes[modifier | modifier le wikicode]
Les chiffres officiels font état de 96 morts et 333 blessés. Un emballement médiatique sans précédent s'ensuit. Des chiffres non officiels avancent des chiffres beaucoup plus élevés : 2100 selon l'Evening Sun de New York, 6000 selon plusieurs quotidiens de Berlin, 5000 morts selon la presse italienne, 10000 morts selon certains titres britanniques.
2 Répercussions[modifier | modifier le wikicode]
Le préfet de police de Pétersbourg est révoqué dès le lendemain, remplacé par Dmitri Trepov chargé de rétablir l'ordre ; le 20 janvier, c'est le ministre de l'Intérieur, Piotr Sviatopolk-Mirski, qui est relevé. La réprobation est unanime. Tout l'empire est choqué. Toute la population pétersbourgeoise réagit très fortement : annulation de spectacles, 459 intellectuels indignés signent une lettre de protestation...
À l'initiative de Vladimir Dmitrievitch Nabokov, le conseil municipal vote la constitution d'un fonds de 25000 roubles pour venir en aide aux victimes. L'intelligentsia se mobilise également pour collecter de l'argent. Nicolas II manifestement ne comprend pas la gravité des « événements du 9 janvier » (Il n'y accorde que trois lignes dans son journal). Il accorde 50000 roubles aux victimes, et son « pardon », ce qui est ressenti comme une insulte par la population. De fait, les événements du 9 janvier marquent une coupure radicale entre la population russe et l'autocratie.
Le lendemain, les ouvriers de Saint-Pétersbourg se mettent en grève. Celle-ci atteint rapidement 160000 grévistes. Mais les refus de reprendre le travail ne concernent pas que le monde ouvrier. Les professeurs du Conservatoire de musique de Pétersbourg refusent de reprendre les cours : même le compositeur Nikolaï Rimski-Korsakov adresse une lettre publique de protestation à la direction de l'établissement et indique que la tension est telle que les cours ne peuvent y être donnés.
Dès lors, de multiples grèves tant politiques qu'économiques éclatent un peu partout en Russie, qui vont en se radicalisant jusqu'à l'explosion d'octobre 1905. Commencent alors des actes de protestation plus durs, des grèves, des soulèvements révolutionnaires, des émeutes ou encore des meurtres d'industriels. Une vague de protestation se soulève contre la politique impériale. Une grève générale d'ouvriers paralyse le pays. Devant la crise, l'empereur recule.
Peu après ce dimanche, le poète et révolutionnaire Piotr Yakoubovitch rédigea le poème La Neige rouge, qui dénonça ce crime d'État et qui fut étudié, par la suite, dans les programmes scolaires durant l'ère de l'Union soviétique. L'écrivain Maxime Gorki s'est radicalisé notamment sous l'impact du dimanche rouge, se rapprochant des bolchéviks. L'événement inspira aussi plus tard la symphonie nº 11 de Chostakovitch.
3 Références[modifier | modifier le wikicode]
- Pétition des ouvriers et des habitants de Saint-Pétersbourg à l'attention de Nicolas II
- Traduction française de la pétition
- Wladimir Bérélowitch et Olga Medvedkova, Histoire de Saint-Pétersbourg, Paris, Fayard, , 479 p. (ISBN 978-2-213-59601-3), p. 362.
- (en) Abraham Ascher, The Revolution of 1905, t. I : Russia in Disarray, Stanford, Stanford University Press, (1re éd. 1988), 412 p. (ISBN 0-804-72327-3), chap. 3 (« Gapon and Bloody Sunday »)
- François-Xavier Coquin , La Révolution russe manquée, Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « La mémoire du siècle » (no 41), (1re éd. 1985), 216 p., poche (ISBN 2-870-27161-1)
- A. M. Pankratova (préf. P. Angrand), La Révolution russe de 1905 (revue), Paris, Les Éditions de la nouvelle critique, coll. « Recherches soviétiques » (no 5), , 192 p., « Le « dimanche sanglant » à Petersbourg »
- (en) Walter Sablinsky, The Road to Bloody Sunday, Princeton, Princeton University Press, coll. « Studies of the Russian Institute », (1re éd. 1976), 414 p. (ISBN 0-691-10204-X)