Bataille de Cable Street

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La police s'en prend au militant Charlie Goodman

La bataille de Cable Street s'est déroulée le 4 octobre 1936 autour de Cable Street, une rue de l'East End, dans la banlieue de Londres. Il s'agit d'un affrontement entre les militants de la British Union of Fascists, appelés « chemises noires », qui avaient décidé d'organiser une manifestation dans un quartier à forte population juive, et des antifascistes, regroupant des militants communistes, anarchistes, d'organisations juives et des nationalistes irlandais de gauche.

Les 7 000 chemises noires, protégées par la police, durent affronter plus de 100 000 manifestants anti-fascistes, ce qui donna lieu à de véritables scènes de guerre civile dans Londres, plusieurs membres des deux factions étant armés. Les fascistes furent battus et annulèrent le défilé prévu.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

En 1936, Hitler était au pouvoir depuis 3 ans et Mussolini depuis 14 ans. En Espagne, le mouvement ouvrier espagnol était en guerre contre les forces fascistes dirigées par Franco. En Grande-Bretagne, d’éminents représentants de la classe dirigeante – dont Winston Churchill – ne cachaient pas leur approbation du fascisme, dans lequel ils voyaient une arme redoutable contre la classe ouvrière. Lors d’un discours à Rome en 1927, par exemple, Churchill déclarait :

« Je ne pouvais m’empêcher de tomber sous le charme, comme tant d’autres, de la manière gentille et simple de Mussolini… Si j’étais un Italien, je suis certain que j’aurais été avec vous de tout mon cœur, du commencement jusqu’à la fin, dans votre lutte triomphale contre l’avarice et les passions bestiales du léninisme. […] L’Italie a fourni l’antidote indispensable au poison russe. Désormais, aucune grande nation ne se trouvera dépourvue d’un moyen ultime pour se protéger de la croissance cancéreuse du bolchévisme.  »

Drapeau de la British Union of Fascists

La British Union of Fascists (BUF), sous la direction de Sir Oswald Mosley, bénéficiait de soutiens financiers et d’encouragements politiques de la part des capitalistes. Dans le contexte de la profonde crise économique et sociale des années 1930, les « chemises noires » britanniques, comme les nazis allemands, développaient leur organisation sur la base d’une propagande antisémite désignant les juifs comme la cause du chômage et de la misère. La population juive de Grande-Bretagne était concentrée dans les quartiers populaires de l’Est de Londres. L’annonce d’une manifestation fasciste qui devait traverser ces quartiers, le 4 octobre 1936, a provoqué la colère dans la population ouvrière de la capitale. La mobilisation était générale. S’inspirant de l’exemple des révolutionnaires espagnols, les communistes, socialistes et syndicalistes du mouvement ouvrier britannique ont décidé de résister autour du même mot d’ordre : « Ils ne passeront pas ! »

Une pétition pour l’interdiction de la manifestation fasciste a été lancée. Des élus travaillistes sont intervenus dans le même sens. En vain. La seule façon de mettre la vermine fasciste en déroute était donc de les affronter physiquement dans la rue. Cet affrontement est entré dans les annales du mouvement ouvrier britannique comme « la bataille de Cable Street ».

2 Evenements[modifier | modifier le wikicode]

Il est toujours difficile de faire une estimation de la taille des manifestations ; mais selon pratiquement toutes les sources, la manifestation antifasciste du 4 octobre 1936 a mobilisé au moins 250 000 travailleurs. La police encadrait les fascistes pour les protéger et leur ouvrir un chemin à travers les quartiers juifs. Ceci ne pouvait être fait qu’en livrant bataille contre les manifestants antifascistes, dont l’humeur devenait presque insurrectionnelle. Des étages supérieurs des immeubles pleuvaient des détritus, poubelles, bouteilles, casseroles et divers ustensiles de cuisine, mais aussi des œufs, des pommes de terre et même des chaises. En bas, dans la rue, d’autres missiles fusaient de partout.

La police tenta de se forcer un chemin. Mais une barricade avait été construite pour lui barrer la route. On jetait des centaines de billes sous les chevaux des policiers. Plus de 70 policiers ont été blessés. Finalement, face à la virulence et à la puissance de l’opposition, ils ont compris qu’ils n’avaient d’autre choix que de renoncer à leur mission. Les 5000 « chemises noires » ont pris la fuite. Poursuivis jusque dans les petites ruelles et les escaliers des immeubles, bon nombre d’entre eux ont été battus. Il fallait leur faire comprendre qu’il était dans leur intérêt de ne jamais recommencer !

Les organisations locales du Parti Communiste ont joué un rôle crucial dans cette mobilisation victorieuse. Par contre, la direction nationale du parti n’a soutenu l’initiative qu’à la dernière minute, de crainte d’être tenue pour responsable de « désordres ».

Arrivé en Grande-Bretagne en 1934 (il avait commencé sa vie militante au Parti Communiste sud-africain), le marxiste révolutionnaire Ted Grant était parmi les manifestants. Pour lui, la bataille de Cable Street marquait « l’apogée de l’arrogance de la BUF », mais aussi, grâce à sa défaite ce jour-là, le début de son déclin.

Reg Weston, qui était le jeune secrétaire de la section de Southgate du Parti Communiste, nous a laissé des souvenirs détaillés de la journée telle qu’il l’a vécue.

A propos de l’organisation de la manifestation antifasciste, il écrivait :

« Les Mosleyistes ont annoncé leur manifestation juste quatre jours auparavant. On n’avait aucune information précise. A l’époque, très peu de gens avaient des téléphones. Il n’y avait pas de télévision et peu de postes de radio. Pour s’informer et informer, il fallait faire du porte-à-porte, laisser des tracts dans les boîtes aux lettres et organiser des meetings sur les lieux de travail ou dans la rue. La source principale d’informations était la presse. Il y avait le Daily Worker [le journal du PC], avec une circulation de quelque 40 000 exemplaires, et aussi le journal de la confédération des syndicats, le Daily Herald.

« Le jour venu, on avait rassemblé une quarantaine d’adhérents et sympathisants du parti. Nous sommes partis nous opposer à la manifestation de quelques milliers de chemises noires à l’Est de Londres. Arrivés au métro Aldgate, nous n’avions encore aucune idée des événements dans les quartiers au cours des jours précédents. Les rues étaient noires de monde. On ne pouvait pas se déplacer. Au milieu de la rue (Aldgate High Street), il y avait une ligne de véhicules du tramway, tous immobilisés. On nous disait que c’était fait exprès pour gêner les fascistes. Il y avait 10 000 policiers, d’après ce que j’ai lu dans la presse. Ils voulaient ouvrir la voie aux Mosleyistes.

« Je dis souvent que j’étais à la bataille de Cable Street, mais en fait, ce n’est pas tout à fait exact. Mes camarades et moi ne pouvions même pas nous rapprocher de Cable Street, à cause de la masse compacte des manifestants. On dit qu’il y avait peut-être 500 000 personnes dans la rue, ce jour-là. On ne pouvait pas les compter, de toute façon. On était coincés là, comme des sardines.

« On a compris que les fascistes se sont rassemblés à côté de la Monnaie Royale et que la police montée s’était attaquée aux manifestants pour pouvoir les escorter. Cela n’a pas marché. On a renversé un camion et construit une barricade. Enfin, la police a dit à Sir Oswald que sa manifestation ne pouvait pas avoir lieu. Les fascistes avaient été battus et humiliés ; la police s’est montrée incapable de les protéger. »

Il résume l’impact politique de la bataille de la façon suivante :


« En Grande-Bretagne, le mouvement ouvrier ne s’était pas encore remis de la défaite de la grève générale de 1926 et des conséquences de la crise de 1929 qui se sont prolongées dans les années 30. Le Parti Travailliste s’est divisé avec la trahison de MacDonald [qui avait dirigé un gouvernement de coalition avec la droite en 1931-1935]. Le gouvernement conservateur appliquait une politique vicieuse contre les chômeurs. On avait le sentiment qu’il fallait que ça change, et nous pensions que nous pouvions hâter l’avènement de ce changement. Ainsi, la victoire à Cable Street nous a renforcé le moral. C’était la preuve que nous pouvions réveiller les masses, malgré la mollesse étouffante des dirigeants travaillistes, et malgré les libéraux. Cela montrait ce qu’il était possible de faire avec un peu d’organisation et beaucoup de détermination. »

3 Conséquences[modifier | modifier le wikicode]

Oswald Mosley, le chef des fascistes britanniques, avait prévu d'organiser de nombreuses marches de ce genre dans tout le Royaume-Uni. Après cette cuisante déroute, il ne put plus jamais organiser de nouveaux rassemblements. L'événement entraîna également l'adoption du Public Order Act[1], qui interdisait notamment le port d'uniformes politiques en public. Plus tard, dans les années 1970, le vétéran de la bataille de Cable street Charlie Goodman participa à la création du Jewish Socialist's Group[2].

Les événements de Cable Street nous rappellent que le fascisme – ce danger mortel pour la classe ouvrière – ne peut pas être vaincu par des appels à la sagesse et à la moralité, ni par des pétitions ou des discours pompeux, mais seulement par l’action organisée et vigoureuse de la classe ouvrière. Aujourd’hui, grâce à la modification des rapports de force entre les classes depuis l’époque d’Hitler et Mussolini, le fascisme ne se présente pas comme un mouvement de masse et un danger imminent. Mais les organisations fascistes grandissent partout en Europe. Et qui peut savoir ce que l’avenir nous réserve ? En définitive, la seule façon d’éradiquer la possibilité de nouvelles dictatures fascistes, c’est d’éradiquer le système social qui les engendre, à savoir le système capitaliste.

4 Dans la culture[modifier | modifier le wikicode]

Dans son roman L'Hiver du monde, deuxième volet de la trilogie Le Siècle, Ken Follett évoque cet événement, qui est vécu par plusieurs de ses personnages, il y fait également rapidement référence dans La Nuit de tous les dangers. Cet épisode est également représenté dans un chapitre du roman de Ned Beauman Boxer, Beetle.

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]