Front unique

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Le front unique est pour les communistes révolutionnaires une méthode visant à s'unir dans l'action - défensive ou offensive - avec des forces politiques différentes tout en restant libre de mener sa propagande et y compris de critiquer les partenaires. Ses principes majeurs peuvent être résumés par la métaphore militaire "marcher séparément, frapper ensemble".

Deux principales applications ont été théorisées : le front unique ouvrier et le front unique anti-impérialiste.

1 Principe[modifier | modifier le wikicode]

Le front unique est un accord visant des actions délimitées, pratiques et communes que le parti révolutionnaire propose, ou met en place avec, d’autres organisations basées sur le prolétariat, sur d’autres classes exploitées ou sur ceux qui souffrent de l’oppression nationale ou sociale. Le principe est d'agir ensemble contre un ennemi commun (Frapper ensemble), tout en conservant l'indépendance politique et organisationnelle des forces révolutionnaires prolétariennes (Marcher séparément). On peut distinguer plus précisément le front unique ouvrier et le front unique anti-impérialiste.

Aujourd’hui, l’écrasante majorité des travailleurs du monde soutient des organisations non-révolutionnaires, voire contre-révolutionnaires. Les révolutionnaires doivent dévoiler la nature de ces organisations, et faire en sorte qu’elles ne dirigent plus le prolétariat et les opprimés. Mais la seule dénonciation des partis réformistes ou centristes ne suffit pas. Il faut démontrer dans la pratique que ces organisations ne peuvent pas se battre de façon adéquate pour les intérêts du prolétariat. Le front unique est un moyen de se battre aux côtés des travailleurs là où ils sont actuellement organisés pour gagner leur confiance -et souvent de pousser ces organisations à l'action- tout en continuant à renforcer le parti révolutionnaire au détriment de ses alliés. Une politique correcte de front unique doit être à même d'ériger le prolétariat en classe pour soi, en construisant un parti communiste de masse qui l'aide à s'organiser sur le chemin de la prise de pouvoir.

On peut dire que la politique de front unique a à la fois une dimension tactique et une dimension stratégique :

  • Tactique (« comment gagner une bataille »), dans le sens où l'unité d'action est la plupart du temps indispensable pour remporter des victoires qui renforcent le camp des exploité.e.s.
  • Stratégique (« comment gagner la révolution »), car si les révolutionnaires favorisent l'auto-organisation et la propagande communiste, c'est la clé pour avancer vers la révolution socialiste.

Puisque la nécessité du front unique découle de l'hégémonie de l'idéologie bourgeoise et de ses soutiens réformistes, il est quasiment en permanence nécessaire de suivre une politique de front unique. Mais cette politique, comme la lutte de classe, change de forme à chaque nouvelle situation. Ainsi, il faut savoir faire et défaire des front uniques, actualiser leur contenu, critiquer durement les alliés...

2 Deux impératifs majeurs[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Frapper ensemble : l'importance de l’unité d’action[modifier | modifier le wikicode]

Sans unité, les révolutionnaires sont condamnés à l'impuissance, étant donné que la conscience de classe, et la conscience révolutionnaire ne sont pas spontanés. Le parti révolutionnaire doit non seulement se joindre aux luttes menées dans des cadres unitaires (avec les syndicats et autres partis socialistes), mais il doit tout faire pour les impulser lorsque les travailleurs sont susceptibles d'être mobilisés sur des revendications bien délimitées.

C'est la première condition : faire la démonstration que l'on est un parti des travailleurs, luttant concrètement pour leurs intérêts et des victoires dès maintenant, en étant plus fiable que les dirigeants réformistes.

Une telle politique offensive est potentiellement déjà capable de faire éclater au grand jour les réticences que peuvent avoir certains partis institutionnels à soutenir des luttes sociales d'ampleur. Mais le parti révolutionnaire doit lui faire preuve de loyauté jusqu'à ce que l'éventuelle trahison des partenaires apparaisse clairement aux yeux des masses.

Obtenir des victoires partielles (retrait d'une loi anti-sociale, augmentation de salaires, libération de détenus politiques...) a au moins une triple conséquence positive :

  • le renforcement de la combativité des travailleurs par la démonstration de la puissance de leurs luttes
  • la renforcement des partis qui ont permis cette victoire
  • l'affaiblissement du capital dans le rapport de force

Dans le cas où un parti révolutionnaire fait partie du front unique victorieux, les idées communistes s'en trouvent renforcées et l'objectif du socialisme d'autant plus réel.

2.2 Marcher séparément : l'importance de l’indépendance[modifier | modifier le wikicode]

Mais le parti qui participe au front unique doit en être une composante indépendante et ne pas s’y dissoudre. C'est nécessaire à la fois pour aider les luttes à se développer, et pour renforcer le parti révolutionnaire en maintenant une propagande communiste.

En effet, même sans parler d'idéologie, les luttes ont besoin pour vaincre d'obtenir le meilleur rapport de force sans être sabotées par les chiens de garde de la bourgeoisie qui sont à la tête des partis réformistes et des syndicats bureaucratisés. Il faut donc une organisation résolue pour pousser à l'auto-organisation des travailleurs, à la convergence des luttes, à la politisation de masse...

Et, pour que les luttes et tout ce qu'elles amènent de radicalisation servent à renforcer le parti révolutionnaire, celui-ci doit sans relâche maintenir sa propagande pour la société socialiste. Cela implique de ne faire aucune auto-censure et critiquer publiquement les autres forces politiques, pour faire la démonstration qu'en finir avec l'exploitation nécessitera un gouvernement des travailleurs eux-mêmes.

Sans une propagande pour expliquer et analyser la lutte de classe en cours, les trahisons des réformistes ne bénéficieront pas aux révolutionnaires, mais possiblement aux réactionnaires, et en tous les cas démobiliseront les travailleurs en lutte. Si au contraire les objectifs des communistes ont été clairs depuis le début, la trahison peut être perçue comme un renoncement à aller jusqu'au bout, et l’avant-garde peut se reporter sur eux.

Si le parti abandonne d'emblée toute référence à son objectif propre et se fond dans un parti ou une coalition floue, les conséquences sont encore pires : la responsabilité de toute erreur politique de ce bloc devra être assumée par les communistes également, et la perspective du socialisme n'est alors plus défendue. Croire que les faits peuvent parler d'eux-mêmes et les démonstrations se faire "par la force des choses" est une grave illusion : la lutte de classe doit être consciemment comprise pour être menée à terme et gagnée par le prolétariat.

3 Deux erreurs jumelles[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la dialectique du front unique n'est pas comprise, cela peut conduire à deux erreurs qui sont le miroir l'une de l'autre.

3.1 Gauchisme[modifier | modifier le wikicode]

Une de ces tendances est celle qui oppose arbitrairement le programme maximum (révolutionnaire) et le programme minimum (les luttes pour les besoins immédiats de la classe ouvrière). Ce que l'on appelle le "gauchisme".

Pour le gauchiste, le front unique devient un ultimatum dont il ne souhaite que le rejet par les dirigeants réformistes ou centristes, croyant qu’une telle politique va "démasquer" ces derniers aux yeux des masses. Or une telle procédure n’a qu’un caractère purement littéraire. Les dirigeants réformistes ne sont jamais démasqués parce qu’ils refusent de mettre en oeuvre une tactique ou une stratégie révolutionnaire, mais plutôt parce qu’ils refusent de combattre pour les intérêts immédiats des masses.

Cela revient en pratique à un sectarisme, qui refuse le test de la lutte de classe, par crainte d’être tenté par l’opportunisme.

3.2 Opportunisme[modifier | modifier le wikicode]

Exemple inverse : l’opportunisme. Il ne part pas de la plate-forme de lutte, ni même d’une seule revendication découlant des besoins objectifs de la lutte de classe. Non, son point de départ est plutôt son estimation de la conscience actuelle des masses. Pire, les  opportunistes basent souvent leur politique de front unique sur ce que les dirigeants non-révolutionnaires des masses sont supposés être prêts à accepter.

C’est le contraire des propositions avancées par les révolutionnaires en vue d’un front unique, qui, même si elles ne vont pas jusqu’à mettre en avant le "programme entier", iront au-delà des propositions timides des dirigeants réformistes, et même un peu au-delà de la conscience générale des masses. Car l’objectif du front unique doit être de lier la conscience actuelle des masses (et notamment des sections avancées) aux tâches brûlantes de l’heure, dictées par la nature des attaques de l’ennemi.

4 Modalités pratiques[modifier | modifier le wikicode]

Le front unique peut beaucoup varier en ce qui concerne ses revendications, sa forme et sa longévité, selon la situation concrète. Quelques axes peuvent cependant être dégagés.

4.1 Les partenaires possibles[modifier | modifier le wikicode]

Avec quelles forces peut-on faire un front unique ? Il n’existe pas de réponse définitive. Cela dépend des classes en présence et de leur état de conscience, donc de l’époque, du type de pays...

Dans un pays impérialiste, l'objectif principal est de stimuler la lutte contre les capitalistes, tout en arrachant les travailleurs à l'influence des réformistes et des bureaucrates syndicaux. Les révolutionnaires doivent donc chercher à réaliser un "front unique ouvrier", c'est-à-dire basé sur les organisations du prolétariat. Dans ce cadre, aucun parti bourgeois n’est pas admissible, parce qu’aucune section de la bourgeoisie n’a de différence d’intérêt fondamentale avec le reste de sa classe qui pourrait la conduire à être une alliée fiable et combative pour le prolétariat. Qui plus est, pour former une telle alliance elle poserait comme condition préalable que le prolétariat subordonne sa lutte de classe (pour les revendications immédiates et son combat pour le pouvoir) aux objectifs limités de l’alliance. Bref, une telle alliance serait un front populaire.

Des conditions différentes peuvent parfois exister dans une colonie ou un pays semi-colonial. La bourgeoisie nationale peut se trouver écrasée et exploitée par le grand capital impérialiste, opprimée par l’intervention armée de l’impérialisme ou par des forces militaires locales agissant pour le compte de l’impérialisme. Des partis nationalistes bourgeois (souvent basés sur la petite-bourgeoisie) peuvent alors ne pas se contenter d’utiliser une rhétorique anti-impérialiste, mais aussi, à de rares moments, participer à un combat réel contre les impérialistes ou leurs agents locaux. Il peut être alors bénéfique de réaliser un front unique anti-impérialiste avec un tel parti. L'important est que les mains du prolétariat ne soient pas liées, qu'il n’y ait aucune renonciation à la lutte pour le pouvoir (et encore moins la promesse de soutenir un gouvernement bourgeois).

Enfin, il peut y avoir des fronts uniques avec des forces luttant contre des oppressions (nationales, raciales, sexistes...), même si ces forces sont politiquement bourgeoises. Evidemment par nature ces front uniques doivent être plus limités, et les révolutionnaires doivent défendre leur propagande pour articuler ces oppressions à la lutte de classe et chercher à recruter parmi la base prolétarienne de ces forces.

La possibilité ou non d’un front unique donné ne dépend pas de l’histoire des autres partis faisant partie du bloc. De 1917 à 1933, à des moments différents, le front unique fut nécessaire avec des organisations de masse dirigées par Kerensky, Noske, ou Staline - tous responsables de l’assassinat de travailleurs révolutionnaires. Le front unique avec des dirigeants contre-révolutionnaires est un mal nécessaire, d’où le dicton bien connu que le front unique peut être fait « avec le diable et sa grand-mère »[1][2][3], étant entendu que la liberté de critiquer ces dirigeants à travers l’action commune est un principe essentiel du front unique. Une telle critique doit être dirigée aussi bien contre les vacillations des partenaires du bloc au moment de l’action commune, que contre leurs erreurs politiques plus larges. Il ne faut pas se limiter à une propagande commune, car cela conduirait à ce que des différences importantes - voire décisives - soient mises de côté. Le seul matériel commun autorisé sont des publications liées au front unique (par exemple les bulletins du comité de grève, des tracts appelant à une manifestation). L’équilibre exact entre l’action commune et la critique ne peut pas être avancée selon des formules toutes prêtes.

4.2 Le contenu des revendications[modifier | modifier le wikicode]

Il n’existe pas de "programme de front unique" allant, sans interruption, des combats actuels jusqu’à la prise du pouvoir. L’organisation révolutionnaire avance les éléments de son programme qui apparaissent nécessaires pour unir des forces plus larges dans un combat concret. Ayant déterminé la nature de l’attaque et l’équilibre des forces de classe, l’organisation révolutionnaire soulève des revendications concrètes qui, prises ensemble, constituent une unité combative pour repousser l’attaque donnée ou arracher un nouvel acquis.

C’est pourquoi le caractère des revendications qui se trouvent au coeur du front unique ne peut être défini de manière schématique. Les revendications doivent être spécifiques, précises et éviter toute revendication artificielle ou accessoire, tout cadre idéologique, n’ayant pas de rapport avec l’accomplissement de l’objectif commun.

Toute proposition concrète de front unique devrait se limiter à un seul type de revendications, par exemple des revendications économiques immédiates, des revendications  démocratiques, des revendications transitoires. Elle peut être proposée, ou faite, sur la base d’une série de revendications liées entre elles comme une série d’actions combinées afin de répondre à une crise donnée. Elle peut aussi se limiter à une seule revendication, une seule action - une grève, une action armée - ou une campagne d’actions plus longue.

On peut critiquer de façon valable une proposition de front unique à partir du moment où une revendication essentielle a été exclue, à laquelle il aurait été possible de gagner les masses, et dont le refus par les dirigeants aurait permis de les démasquer. Mais l’absence d’une ou de plusieurs revendications révolutionnaires d’une plateforme de front unique ne constitue pas une critique valable. La présence de telles revendications dans une situation non révolutionnaire est plutôt révélatrice d’un propagandisme métaphysique et d'un sectarisme stérile. Par contre, dans les conditions d’une montée massive de la lutte de classe, il devient indispensable de combattre pour de telles revendications révolutionnaires qui constituent alors la meilleure expression du front unique.

4.3 Un accord politique et des organes de lutte[modifier | modifier le wikicode]

Les revendications et actions doivent être défendues par des méthodes de lutte claires et précises et portées par des organes de lutte (comités de grève, comités de mobilisation, conseils ouvriers...). Le front unique va donc au delà d'une simple action (par exemple une manifestation), car il implique aussi une préparation et une bilan.

Une action purement ponctuelle, sans aucun accord politique, n'a donc rien d'un front unique. Par exemple, il peut arriver dans des circonstances exceptionnelles qu'un groupe fasciste soutienne une grève ouvrière et donc s'y retrouve "aux côtés" du parti révolutionnaire, mais ce sont seulement des actions coïncidentes, pas un front unique. De même, le front unique doit être distingué d’une simple participation à une manifestation de masse dont la base politique et la direction sont contestées par l’organisation  révolutionnaire et pour lesquelles cette dernière ne prend aucune responsabilité. Dans ces circonstances, le parti révolutionnaire ne forme aucun bloc avec les dirigeants, il n’accorde aucun soutien à leurs slogans, il les critique ouvertement et fait de la propagande et de l’agitation sur ses propres mots d’ordre.

Puisque "la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens", ces distinctions valent aussi sur le terrain militaire. Par exemple une milice anti-fasciste organisée conjointement par divers partis ouvriers est aussi un front unique. A l'inverse, si pour des raisons de tactique une "armée rouge" se trouvait alliée lors d'une bataille à des forces bourgeoises, cela n'a rien d'un front unique.

4.4 S'adresser à la base et à la direction[modifier | modifier le wikicode]

Le front unique doit être orienté à la fois vers la base et la direction des autres partis. L'idée d'un front unique s'adressant uniquement à la base, sous prétexte que les directions sont remplies de corrompus, est une impasse gauchiste. Si les travailleurs pouvaient être convaincus de rompre avec leurs dirigeants par un tel appel direct et unilatéral, il n’y aurait aucunement besoin d’un front unique. En orientant l’appel au front unique vers les dirigeants, l’objectif est de les obliger à entrer en action. A travers cette expérience, et non pas par des "révélations" déclamatoires, nous pouvons montrer aux masses que les limitations de leurs dirigeants sont fatales. Dans la grande majorité des cas, le front unique demeurera au stade d’une proposition, sans pouvoir se transformer en accord formel avec les dirigeants réformistes. Dans ces conditions, il restera au niveau d’une campagne d’agitation et de propagande populaire, orientée vers la base des organisations réformistes. Parfois, le front unique "à la base", peut être nécessaire là où les dirigeants ont refusé d’agir avec les révolutionnaires. Alors, il est nécessaire de combiner les dénonciations des dirigeants avec des propositions d’action dirigées vers la base, dont l’objectif est qu’elles soient menées par une direction révolutionnaire. Néanmoins, même ici la tactique a pour but d’exercer une pression sur les dirigeants afin qu’ils mènent l’action qui, si elle réussit, ne pourra qu’entraîner encore plus de couches à agir.

4.5 Savoir rompre un front unique[modifier | modifier le wikicode]

Rompre le front unique peut être aussi important que de le créer. Quand le front unique a rempli son objectif, que le but soit atteint ou non, il doit être redéfini ou rompu et il faut en tirer les leçons. Les circonstances suivantes pourraient nécessiter la rupture du front unique: quand le front unique n’est maintenu que sous la forme d’un exercice littéraire ou diplomatique et n’implique aucune obligation d’agir ; quand les partenaires du bloc sabotent ou minent les objectifs du front unique en refusant de le mettre en oeuvre ou en passant des compromis avec l’ennemi de classe ; quand les partenaires du front unique refusent de prendre au sérieux l’extension du front unique à d’autres forces de masse et limitent le bloc à la taille d’une secte. Mais en même temps, les révolutionnaires doivent tenter de maintenir l’unité d’action avec la direction de la base, établissant leur propre direction et gagnant à leurs rangs les meilleurs éléments des organisations non révolutionnaires.

4.6 Une tactique qui requiert de l'expérience[modifier | modifier le wikicode]

Pour que le front unique soit admissible, il est essentiel de suivre les conseils ci-dessus. Toutefois, pris seuls, ils ne garantissent pas qu’il sera correct ou qu’il réussira. Seule une analyse concrète d’une situation concrète peut révéler quelle est la base correcte pour une proposition de front unique.

Il faut du leadership et de l’expérience, accumulés depuis des années d’intervention dans la lutte des classes, pour déterminer quelles propositions de front unique sont admissibles et nécessaires, et vers quelles forces il faut orienter ces revendications. Rien de bien étonnant à ces difficultés : il ne s'agit rien de moins qu'apprendre à diriger des luttes de masse et à en prendre la direction...

Néanmoins, en comprenant l’objectif et les principes fondamentaux du front unique, les révolutionnaires peuvent éviter bien des erreurs élémentaires et inutiles.

5 Historique[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Éléments précurseurs[modifier | modifier le wikicode]

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Au 19e siècle, la question des alliances se posait encore largement avec la bourgeoisie. Marx et Engels n'étaient pas opposés par principe à des actions communes avec la bourgeoisie, qui était alors capable de mouvements démocrates progressistes. Ils ont par exemple encouragé la revendication commune du suffrage universel avec une organisation bourgeoise (English Reform League). Pour autant, dans le moindre conflit où des bourgeois étaient opposés à des ouvriers ou paysans, Marx et Engels ont systématiquement défendu ces derniers.

Ceci est exprimé dans le Manifeste communiste, où dans la dernière partie, Marx et Engels évoquent selon les pays, les forces que soutiennent les communistes, tout en précisant :

« Dans tous ces mouvements, [les communistes] mettent en avant la question de la propriété à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement. [Ils] ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. »[4]

Dans le mouvement révolutionnaire de 1848 en Allemagne, Marx et Engels appelaient la Ligue des communistes à faire front avec la petite-bourgeoisie pour la démocratie, tout en gardant son indépendance (y compris en s'armant) en prévision de l'inévitable retournement que fera la petite-bourgeoisie une fois la réaction vaincue.[5]

C'est globalement cette ligne que Marx fit passer dans l'Association internationale des travailleurs. Par exemple avec le soutien à la Pologne, ou avec le soutien au Nord dans la guerre de Sécession.

En revanche, Marx et Engels ne mettaient que peu en avant la nécessité d'une distinction des forces révolutionnaires au sein de la classe ouvrière. Dans le Manifeste ils écrivaient :

« Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. (...) Ils n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.

Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. »

Avec leur effort pour former l'Internationale, ils ont voulu regrouper toutes les forces de la classe ouvrière, au delà de leurs idéologies (proudhoniens, marxistes...). De même en Allemagne, ils ont voulu pousser à la fusion des deux principaux partis ouvriers, le SDAP et l'ADAV (pourtant dirigée par les lassaliens aux idées non marxistes).

5.2 Dans la Deuxième internationale[modifier | modifier le wikicode]

Au temps de la social-démocratie classique (1889-1914), des organisations de masse étaient en train de se constituer un peu partout dans les pays capitalistes avancés, et elles se concevaient globalement comme des organisations ayant vocation à représenter tout le prolétariat. La question et le besoin de faire des fronts ne se posaient pas vraiment, en dehors de quelques votes communs aux parlements avec la bourgeoisie démocrate sur des questions précises.

En revanche, ce questionnement est apparu en Russie vis-à-vis de la révolution bourgeoise qui les social-démocrates russes attendaient. Pour les menchéviks, il s'agissait globalement de laisser la bourgeoisie mener cette révolution, sans que le prolétariat n'ait de rôle dirigeant. Pour les bolchéviks en revanche, il fallait une « dictature démocratique des ouvriers et des paysans » pour que la révolution accomplisse jusqu'au bout ses objectifs démocratiques et écrase la réaction. Dans ce contexte, Lénine envisageait que des social-démocrates participent activement à l'insurrection et au gouvernement provisoire aux côtés de forces bourgeoises (ou plus exactement petite-bourgeoises, car la grande bourgeoisie montrait une lâcheté qui la poussait dans les bras du tsarisme). Lénine insistait cependant sur l'indépendance du parti social-démocrate. Il résumait la ligne, en 1905, par : « frapper ensemble, marcher séparément, ne pas confondre les organisations, sur­veiller notre allié comme un ennemi, etc. »[6]

En janvier 1905, Parvus écrivait « Pour faire simple, en cas de lutte commune avec des alliés d'occasion, on peut suivre les points suivants : »[7]

1) Ne pas mélanger les organisations. Marcher séparément, mais frapper ensemble.
2) Ne pas renoncer à ses propres revendications politiques.
3) Ne pas cacher les divergences d'intérêt.
4) Suivre son allié comme on file un ennemi.
5) Se soucier plus d'utiliser la situation créée par la lutte que de préserver un allié.

5.3 Formalisation dans l'Internationale communiste[modifier | modifier le wikicode]

ViveLaTroisièmeInternationale.jpg

La question de la tactique à adopter vis-à-vis des forces politiques réformistes n'a été systématisée... qu'après la grande rupture avec les réformistes ! Dans le pays où la social-démocratie était la plus développée, l'Allemagne, il y a avait presque un lien organique entre le parti, les syndicats et le prolétariat, malgré le décalage qui se creusait insidieusement avec le sommet de l'appareil, embourgeoisé et bureaucratisé. Lorsque la trahison s'est révélée au grand jour, lors de l'Union sacrée en 1914, les révolutionnaires internationalistes ont dû dans l'urgence se délimiter des partis de la IIe internationale.

La Première guerre mondiale accouchait d'une situation révolutionnaire dans de nombreux pays, et ces nouveaux partis, qui prirent le nom de communistes, grossirent rapidement. Mais le reflux et les échecs (en Italie, en Allemagne...) freinèrent ces progrès, et il fallait bien constater qu'une bonne partie des travailleurs restaient sous l'influence des sociaux-démocrates, devenus les meilleurs remparts du capitalisme.

La tactique du front unique a alors commencé à être développée, au sein de la IIIe Internationale. Lors de son 3e Congrès, l'Internationale avait défini le « front unique ouvrier » (FUO) pour guider les communistes dans la question de l'unité avec des partis ouvriers réformistes. L'enjeu était ni plus ni moins que de pousser dans le seul sens progressiste : favoriser les luttes ouvrières en y faisant entendre toujours plus la perspective communiste.

5.4 Déformations par le stalinisme[modifier | modifier le wikicode]

Stalinisme

En même temps que la bureaucratie stalinienne va s'emparer de l’État de l'URSS et de l'Internationale communiste, elle va tourner le dos au principe du front unique. Elle a d’abord poussé à la soumission politique des partis communistes aux forces réformistes dans les pays impérialistes (comme pendant la grève générale en Angleterre en 1926), puis dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. A partir de 1924, le Parti communiste chinois commence à se subordonner plus profondément au KMT, acceptant de mettre en veilleuse son caractère de classe. Le principe d'indépendance du front unique n'est plus respecté, et cela va avoir des conséquences funestes : en 1927, le KMT écrase les communistes, précisément parce qu'ils devenaient trop influents et menaçant, et parce qu'ils n'ont pas fait usage de leur force...

Staline écrivait, dans ses prétendues Questions du léninisme :

« Les communistes doivent passer de la politique du front unique national à celle du bloc révolutionnaire des ouvriers et de la petite bourgeoisie. Dans de tels pays, ce bloc peut prendre la forme d’un parti unique, parti ouvrier et paysan, dans le genre du Kuomintang [parti bourgeois nationaliste chinois]. »[8]

Dans un second temps, face à l’échec de cette politique, opérant un revirement spectaculaire, la direction stalinienne de l’IC a inventé la « théorie » de la social-démocratie comme « social-fascisme », refusant dès lors tout front unique avec cette force qualifiée d’ennemi n° 1, ce qui a conduit à l’affaiblissement du mouvement ouvrier face au fascisme, notamment en Allemagne ; et, dans un pays semi-colonial comme la Chine, après l’écrasement des communistes par les nationalistes du Kuomintang auxquels elle les avait subordonnés, la clique stalinienne s’est lancée dans une politique aventuriste, putschiste et purement militaro-paysanne, tout en considérant comme sans importance les questions « bourgeoises » de l’indépendance nationale et de la démocratie politique. — Enfin, effrayée par les risques que le nazisme faisait peser sur l’existence même de l’URSS, la clique stalinienne a opéré un nouveau virage à 180 degrés en appelant à réaliser partout des « fronts populaires » contre le fascisme et pour la « démocratie », avec non seulement les social-démocrates, mais aussi avec des partis bourgeois, y compris dans les pays impérialistes, comme le parti radical en France. Ces « fronts populaires » se distinguent des « fronts uniques » (ouvrier ou anti-impérialiste) par le fait que les communistes sont appelés à abandonner leur propre programme, à reporter toute perspective révolutionnaire aux calendes grecques et à ne pas combattre politiquement leurs alliés. Dès lors, il ne s’agit plus d’une tactique visant à mobiliser les masses et à les faire rompre avec les réformistes (front unique ouvrier) ou avec les partis nationalistes anti-impérialistes (front unique anti-impérialiste), mais d’une stratégie revenant à liquider toute politique prolétarienne véritablement indépendante, en subordonnant le prolétariat au capitalisme « démocratique » et à l’État bourgeois.

5.5 Débats dans la IVe internationale[modifier | modifier le wikicode]

La façon d'avoir recours au front unique a fait l'objet de plusieurs débats dans la IVe internationale, et entre les différents courants qui s'en réclament aujourd'hui.[9]

6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

ESSF, Démarche transitoire, Front unique, gouvernement ouvrier, 2005

  1. Léon Trotski, Oeuvres - décembre 1931
  2. Léon Trotski, Œuvres - janvier 1932
  3. Léon Trotski, Œuvres - octobre 1932
  4. Friedrich Engels, Karl Marx, Manifeste du parti communiste - IV. Position des communistes envers les différents partis d’opposition, 1847
  5. Karl Marx, Friedrich Engels, Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes, mars 1850.
  6. Lénine, La dictature révolutionnaire démocratique du prolétariat et de la paysannerie, 12 avril 1905
  7. Parvus, Préface à Avant le 9 janvier de L. Trotsky, Janvier 1905
  8. Staline, Les questions du léninisme, 1926
  9. Ernest Mandel, Actualité du trotskisme, Critique Communiste, novembre 1978.