Abstraction

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En science, l'abstraction n'est pas l'opposition entre l'abstrait et le concret. Abstrait et concret sont dialectiquement liés. L'abstraction permet de s'éloigner de la réalité concrète, réduite à nos sens (empirisme, observation) ou à nos idées (idéalisme, modélisation) , afin de définir les phénomènes globaux constituant ainsi un cadre théorique. L'abstraction peut se définir comme un processus mental de décomposition/classification[1] mais de telle manière que chaque « partie du tout » (notions de base ou cellules) est significative et représentative du « tout » (unité ou sphère). L'abstraction est un cheminement entre l'abstrait et le concret.

Pour l'exprimer simplement, selon Paul Langevin,

« le concret est l'abstrait rendu familier par l'usage. »[2]

Chez Hegel : « Voilà donc ce qu’est la pensée abstraite : ne voir dans le meurtrier que cette abstraction [vulgaire] d’être un meurtrier, et, à l’aide de cette qualité simple, anéantir tout autre caractère humain. »[3]

La pensée abstraite c'est mettre l'Être au centre de tout. C'est ontologiser soit penser les choses et les personnes comme des en-soi en occultant l'acte, ses procès, ses émotions et le « milieu » (« situation.configuration < échange.(émotion.utilité)> actions impliquées.potentialisation ») qui génèrent/d'où émergent pourtant le concret pensée. Penser de manière apriori abstraite est l'erreur conceptuelle réalisée entre autres par la génétique néodarwinienne et la psychologie cognitive du XXI[4]. La pensée abstraite fige le concept par une abstraction vulgaire/formelle tandis que chez Hegel le concept est une réalité en devenir forgée par une abstraction complexe/dialectique.

Or, les études en sémiologie[5] montre que notre langue alphasyllabaire et phonétique (issue de notre évolution culturelle figée par l'enseignement traditionnel) génère une pensée et une vision spontanément abstraites (en opposition avec la perception syncrétique de l'enfant et de son devenir complexe). Ainsi, il est nécessaire d'utiliser la méthode d'abstraction afin de retranscrire et de représenter le réel dans son développement complexe : « C1 <A1> C2 » <> « C2' <A2> C3 ».

Dans le cadre de la connaissance, c'est la « force d'abstraction » (A1), avec ses conflits entre pratiques et expériences, qui permet de définir le concret réel dans sa globalité incommensurable (C1). Cependant, ce réel concret conceptualisé (C2) a besoin nécessairement d'une mise en forme simplexe particulière (C2') afin de l'étudier à l'échelle des sens ou de la technologie d'une part, de l'enseigner d'autre part. On passe de la sphère de la connaissance du domaine de la contemplation (« C1 <A1> C2 ») aux cellules du savoir du domaine de la mesure (« C2' <A2> C3 »). Ainsi, dans le cadre du savoir un second processus d'abstraction qu'est la modélisation (A2), avec ses conflits entre expérimentations et applications, conduit à formaliser la connaissance sous la forme de symboles (C3). Cela permet a posteriori de créer une représentation singulière du réel universel (C1').

L'abstraction est la base de l'application des démarches dialectiques en science. C'est la méthode du passage de l'abstrait au concret.

« La question de l’abstraction est centrale pour les sciences sociales, comme pour les sciences de la nature d’ailleurs. Elle pose le problème de la complétude des descriptions et des explications que ces sciences se proposent d’atteindre, soit encore celui de la légitimité de leurs méthodes et de leurs résultats eu égard à la complexité et à la diversité infinies du monde réel, qui se situent à l’horizon de leurs investigations. »[6]

Elle est mise en pratique par/dans la méthode globale en pédagogie afin de sortir l'enfant de la confusion syncrétique générée par une pensée par couple abstraite et chaotique.

1 Généralité[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Notion d'abstraction[modifier | modifier le wikicode]

1.1.1 En philosophie classique[modifier | modifier le wikicode]

La notion d'abstraction consiste à construire ou séparer certains aspects d'une chose (Herbert Spencer) ou d'une représentation par l'attention (John Stuart Mill) afin d'en saisir des caractéristiques communes :

«  L'abstraction est donc l'opération qui isole, pour les considérer à part, certains éléments d'une représentation qui ne sont pas donnés séparément dans la réalité »

  • Manuel de philosophie, A. Cuvillier, éd. Armand Colin, 1947, t. 1 - Introduction générale - Psychologie, p. 481

Dans ce cas, la pensée abstraite est regardée avec méfiance, par son éloignement de la pensée réelle ou concrète (Joseph Joubert) :

Avant que l’abstraction soit devenue pour l’esprit une chose qu’il puisse se représenter, et même concevoir, que de temps il lui faut ! Par combien de retouches il faut fortifier cette ombre ! Combien de gens se font abstraits pour paraître profonds ! La plupart des termes abstraits sont des ombres qui cachent des vides.
  • Pensées (~1780-1824), Joseph Joubert, éd. Librairie Vve Le Normant, 1850, t. 1, p. 321 ([intégral sur Wikisource])

Cependant,

L'idée abstraite n'est pas, [...], un simple « extrait » de la représentation concrète, une « idée partielle », un résidu appauvri de la perception. L'abstraction véritable est tout autre chose que cette pseudo-abstraction qui n'est guère qu'une attention toute spontanée, prêtée à certains caractères de l'objet perçu tels qu'ils sont donnés dans l'intuition sensible.
  • Manuel de philosophie, A. Cuvillier, éd. Armand Colin, 1947, t. 1 - Introduction générale - Psychologie, p. 487
L'abstraction proprement dite, celle qui forme les concepts, est INSÉPARABLE DE LA GÉNÉRALISATION.
  • Manuel de philosophie, A. Cuvillier, éd. Armand Colin, 1947, t. 1 - Introduction générale - Psychologie, p. 487

/!\ NE PAS OUBLIER :

Une généralisation (tout <> partie du tout ») englobe la particularité (ce qui propre et commun aux parties) et la singularité (ce qui est rare dans le tout et infiniment petit dans les parties).

1.1.2 En sociologie[modifier | modifier le wikicode]

=> Demeulenaere Pierre, « Les différentes dimensions de la notion d'abstraction dans le modèle du choix rationnel », L'Année sociologique, 2006/2 (Vol. 56), p. 437-455. DOI : 10.3917/anso.062.0437. URL : https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2006-2-page-437.htm

Différentes dimensions de la démarche « abstraite » dans le modèle du choix rationnel (tab. réalisé d'après Demeulenaere)
délimitation 1 / de délimiter un ensemble d’objets ;
formalisation 2 / d’en déterminer la forme commune ;
prédicats communs 3 / d’effectuer les rapprochements possibles avec d’autres aspects du réel partiellement congruents, mais partiellement divergents ;
formalisme 4 / d’envisager leur traductibilité en un langage formel ;
systématisation 5 / d’en suivre l’extension possible sur un ensemble de phénomènes ;
typicité 6 / d’en mesurer la fréquence au regard d’une séquence de réalité ;
stylisation 7 / de les synthétiser en des figures homogènes stylisées ;
idéalisation 8 / d’en interpréter le sens idéal ;
extrapolation 9 / de supposer ensuite généraux certains traits particuliers du comportement.

1.1.3 En Informatique et ingénieri : La modélisation[modifier | modifier le wikicode]

1.1.3.1 Définitions[modifier | modifier le wikicode]

=> José Paumard, Cours de Java langage & API. Blog Java Le Soir - Insomniaque ? URL : http://blog.paumard.org/cours/java/chap07-heritage-interface-abstraction.html

L’abstraction est le processus qui consiste à représenter des objets qui appartiennent au monde réel dans le monde du programme que l’on écrit. Il consiste essentiellement à extraire des variables pertinentes, attachées aux objets que l’on souhaite manipuler, et à les placer dans un modèle informatique convenable.

1.1.3.2 Questionnements[modifier | modifier le wikicode]

=> Le Moigne Jean-Louis, « Pourquoi je suis un constructiviste non repentant », Revue du MAUSS, 2001/1 (no 17), p. 197-223. DOI : 10.3917/rdm.017.0197. URL : https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2001-1-page-197.htm

les « critiques épistémologiques internes » auxquelles J. Piaget invitait les chercheurs de toutes les disciplines s’interrogeant sur la légitimité des connaissances qu’ils produisent, commençaient à porter leurs fruits;

47 il fallait y être attentif et se souvenir que le plus assuré des discours de la méthode était, comme les autres, un discours de circonstance.

48 À partir de cette description de la situation initiale de mon propre questionnement sur la légitimité épistémologique et donc civique de mes activités de recherche et d’enseignement, je peux évoquer les principales étapes du cheminement intellectuel qui m’a conduit à m’autoproclamer constructiviste. Ou, plus exactement, à expliciter aussi loyalement que possible les fondements épistémiques par lesquels je légitime les connaissances que je peux et dois considérer. Pragmatiquement, il m’importe que ces fondements soient très généralement tenus pour plausibles (vraisemblables plutôt que certainement vrais, disent les épistémologues).

49 Pragmatiquement, ce questionnement s’est développé à partir de considérations banales sur la représentativité des modèles que je concevais ou utilisais pour raisonner les actions individuelles et collectives dans lesquelles je m’impliquais, ou en délibérer. Toutes les méthodes de modélisation que je mettais en œuvre me contraignaient à quelque sorte de fermeture ou de clôture : elles imposaient une décontextualisation qui devait être indifférente à mes propres projets de modélisation. En un mot, il fallait faire le plus simple possible, réduire, décomposer en autant de parcelles (quantifiables) qu’il se pourrait, sans pouvoir privilégier mes intentions modélisatrices, et sans chercher à explorer a priori d’autres alternatives possibles.

50 Les renouvellements méthodologiques apportés dans les années soixante par

  • la modélisation cybernétique (G. Klir, J. Mélése… ),
  • la dynamique industrielle (J. Forrester),
  • la General System Theory (L. von Bertalanffy et la SGSR)
  • ou l’analyse de systèmes (C. Churchman et R. Ackoff)

étaient certes perçus comme des progrès substantiels par rapport à la modélisation analytique et linéaire classique.

Mais

ces nouvelles méthodologies dissimulaient toujours une contrainte de fermeture a priori ou de découpe arbitraire des phénomènes modélisés.

Cela sans que l’on semble s’interroger sur la légitimation épistémologique des modalités d’application de ces méthodes.

1.2 Différence entre abstraction et formalisme[modifier | modifier le wikicode]

1.2.1 Définitions[modifier | modifier le wikicode]

Abstraction Formalisation Formalisme
=> Olivier Batteux. Différences entre abstraction, formalisation et formalisme. Erreurs et confusions fréquentes en pédagogie théorique. URL : http://astro52.com/didactique.html
« Une abstraction (ou concept) est un objet intellectuel qui n'est pas son nom, de la même façon que pour un objet matériel : une chaise n'est pas son nom, et inversement.


Elle est le résultat d'une démarche d'abstraction :


c'est à dire une démarche qui consiste à retirer de situations réelles des éléments (que l'on est capable de nommer) parce qu'on a choisi arbitrairement de ne pas les prendre en considération, de manière à former une classe d'équivalence de situations autorisées par ailleurs à différer les unes des autres par tout ce qui n'est pas l'abstraction fabriquée.


Comme une abstraction n'est qu'un objet de pensée, elle ne peut pas être simplement montrée à quelqu'un qui ne la connaît pas comme on le ferait pour un objet matériel, elle ne peut être apprise qu'en étant reconstruite ;


et en même temps la dimension arbitraire mentionnée plus haut implique une transmission.


C'est là toute la subtilité de leur enseignement. »

« les enfants sont parfaitement capables d'abstraction, et ce très tôt, pour peu qu'on leur permette de suivre un cheminement qui permet leur reconstruction.»

« Les enfants sont parfaitement capables de considérer que cet objet de pensée qu'ils partagent désormais puisse recevoir un nom, ou à l'écrit un signe.


C'est cette étape, notamment du codage écrit d'une abstraction partagée, que l'on appelle « formalisation ».

La capacité des enfants à la comprendre, pour peu que l'abstraction en elle-même ait été travaillée, n'est rien d'autre que la conséquence évidente de leur capacité à l'abstraction. »

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« Cette capacité des enfants à la formalisation ne doit pas faire surestimer leur capacité très limitée au formalisme (ou pensée formelle).


Dans la pensée formelle, la juxtaposition de signes produit quelque chose qui ne fait plus sens que par son écriture, même si le sens de chaque signe est connu, par un effet de « saturation de code ».


Chez l'enfant, ce phénomène de saturation intervient très tôt et est fatal à leur compréhension. »

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=> Jean-Louis Le Moigne. Le formalisme de la modélisation systématique. URL : http://www.intelligence-complexite.org/fileadmin/docs/0505formalismesvfr.pdf
« Ne faut-il pas pourtant relire cet axiome pascalien qui constitue la première alternative moderne, et l’une des mieux écrites, à l’axiomatique de la ModélIsation Analytique ?
« Donc toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et  toutes  s’entretenant  par  un  lien  naturel  et  insensible  qui  lie    les  plus  éloignées  et  les  plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître  le  tout  sans    connaître  particulièrement  les  parties »   (Pensées,  199-72-9,  p  527  de l’édition Lafuma)

D'Héraclite à Platon, de Pascal à Hegel par tant d'autres, la Modélisation Dialectique a su se construire quelques corps d'axiomes sur lesquels elle peut s'exercer, et à l'aune desquelles raisonnement peut évaluer sa propre rigueur. Le monopole de la rigueur que s'était implicitement attribué au nom de la logique formelle la modélisation analytique depuis deux siècles, s'avère contingent; en établissant au fil d'une riche histoire, ses axiomatiques propres (ses topos,)la modélisation dialectique témoigne de la faisabilité des alternatives à la modélisation analytique.

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« Entendons dès lors la formalisation par l’exercice cognitif par lequel une action (un système concret) est transformé en une forme (un système abstrait), et acceptons que l'opération inverse soit comprise comme l’interprétation,ces systèmes concrets et abstrait pouvant être considérés comme des "systèmes de signes" (nous dirons bientôt des systèmes de symboles). »

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« Et entendons le formalisme comme un système symbolique de règles opérant un tel processus de transformation d’expériences (dans l’univers Φ, Φ pour physique selon P. Valéry) en connaissances (dans l’univers Ψ, Ψ pour psychique selon P. Valéry).

Est donc formalisme tout système de signe résultant de la formalisation ;


Mais cette définition ne réduit pas les formalismes à quelques variétés d'une logique formelle tout en les incluant sans réserve. »

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1.2.2 Relations dialectiques[modifier | modifier le wikicode]

=> Les confessions d'un homme en trop, Alexandre Zinoviev, éd. éditions Folio, 1991, p. 316-317

Il ne s'agit pas, dis-je, de faire comme s'il existait quelque part une logique dialectique toute prête, que nous n'aurions qu'à identifier comme telle. Cette science n'existe pas et l'expression "logique dialectique" possède d'ailleurs plusieurs sens. Il faut poser le problème autrement. Personne ne remet en cause le fait qu'il existe un mode de pensée et une approche dialectique des phénomènes.

On emploie dans cette approche des formes que décrit la logique formelle. Mais on recourt également à d'autres moyens qui nous permettent de nous orienter dans une réalité complexe, changeante et contradictoire.

Ce sont ces moyens, qui rendent possible la pensée dialectique, qui doivent être pris pour objet d'étude de la logique. Et, il importe peu que nous envisagions cette science comme une logique dialectique particulière ou comme une branche de la logique formelle. Soit dit en passant, ces modes de pensée ont déjà été étudiés par John Stuart Mill, pour ne citer que lui.

[...]

Ce débat m'obligea à élaborer ma propre conception de ces aspects de la philosophie. Je décidai de concevoir une discipline qui engloberait comme objet d'étude les problèmes de logique, de gnoséologie, d'ontologie, de méthodologie, et de dialectique ainsi que d'autres matière qui touchent aux problèmes généraux du langage et de la connaissance. je considérais comme secondaire l'appellation de ladite discipline. "Philosophie" ne convenait pas. [...]. Avec le temps, je me mis à utiliser l'expression "logique complexe" pour distinguer ce que je faisais de ce que faisaient les autres.

Ainsi

la méthode dialectique n'est rien d'autre qu'une pensée scientifique dans des conditions où, pour paraphraser Marx, les méthodes d'investigation expérimentale et empirique doivent laisser la place à la force de l'abstraction, à des postulats théoriques et à des déductions appliquées à une interconnexion changeante et complexe de relation et de processus. John Stuart Mill avait déjà tenté de décrire une telle méthode, mais Dieu sait pourquoi on ne l'a jamais rapprochée à la dialectique.

2 Démarches dialectiques en science[modifier | modifier le wikicode]

2.1 L'abstraction en acte[modifier | modifier le wikicode]

En science, l'abstraction est une habilité mentale qui permet de mettre à jour la globalité d'un phénomène inaccessible aux sens (sphère, tout) à partir de l'étude dans leur mouvement spatio-temporel d'éléments partiels.

La finalité de l'abstraction est de définir les « déterminations les plus simples » (Karl Marx) ou les « cellules » (Alexandre Zinoviev) soit les parties (finies, définies, micro) abstraites d'un ensemble (infini, indéfini, macro) théorique représentatives et significatives de la sphère (Pascal, Hegel, Marx...). 

Dans ce cas, en science moderne, l'abstraction est considérée comme une faculté de compréhension plus riche des phénomènes. Ce processus mental est utilisé par les scientifiques de la lignée scientifique d'Hegel dont Marx.

Dans le livre d'Angel Rivière, la psychologie de Vygotski (édition La Dispute) à la page 7 :

« 

[...] sur le plan méthodologie, il convient d'élaborer un type d'analyse en unités non décomposables, c'est-à-dire qui intègre les différents aspects significatifs de la conduite humaine. À ce propos, Vygotski indique : 

« Par unité de base nous entendons des produits de l'analyse tels qu'à la différence des éléments ils possèdent toutes les propriétés fondamentales du tout et sont des parties vivantes de cette unité qui ne sont plus décomposables [...] » (Vygotski, 1985, p. 36)

»

Or, chez Alexandre Zinoviev, on retrouve également la même chose avec unité de base = cellule, et tout = sphère.

Ainsi, en géologie, dans l'étude de lames minces (partie d'un tout ou cellule) issues d'un même bassin (le tout ou sphère), si l'on rate en effet un seul minuscule grain de quartz anguleux présent seulement dans une unique lame mince parmi moult autres lames contenant aucun grain quartz anguleux, la détermination de la nature du bassin et de son histoire sera erronée. On en générera de fausses généralités.

Ce minuscule et unique grain de quartz d'une unique lame mince détruit toute l'histoire des milliers d'autres lames minces (micro et millimétrique) du même bassin (kilométrique). Ce qui génère une contradiction statistique. La rareté - ou la preuve de bas niveau - forme ainsi la généralité et donne le cadre théorique du tout. Dans la langue populaire, on parle souvent de jeter son grain de sable afin de détruire des généralités hâtives, spéculatives et idéologiques. Ce grain de sable met en lumière les erreurs d'une vérité considérée comme absolue. Ainsi, mettre en avant les erreurs est plus efficace que d'apporter une autre vérité ; ce qui fait que la vérité est l'erreur.

Par ailleurs, l'observation stricte de millier de lames minces, comme le font souvent les gens sur leur quotidien et de nombreux historiens, ne suffit pas. Généralement, on fait le tri et on nie ce qui est dérangeant pour nos vérités absolues ou nos généralités hâtives. On en oublie que les faits bien que réels ne font pas des faits scientifiques (C'est le premier principe d'épistémologie).

Ainsi, pour comprendre les choses et surtout ne pas faire d'erreur ("le succès"[7]), il est nécessaire d'aller sur le terrain afin d'appréhender le bassin en son entier, puis revenir aux lames minces et vis-versa. Cela conduit à « Abstraire » apriori ou « Classifier/modéliser » a posteriori de telle façon que l'histoire du bassin observée dans les lames minces est significative et représentative de l'histoire du bassin global.

Les cellules (après abstraire/classifier) doivent être significatives et représentatives de la sphère et vice versa.

Alexandre Zinoviev appelle cela Méthode du passage de l'abstrait au concret d'après sa thèse en 1954 sur la Logique complexe du Capital de Marx. Il l'utilise sur sa société (URSS) caractérisée par son aspect globalement communaliste formant ainsi une sphère communautaire.

Marx a utilisé cette méthode d'abstraction sur sa société caractérisée par son aspect professionnel dont la sphère professionnelle est encore aliénée au privé (sphère communautaire mère) de la propriété des moyens de productions et de services (sphère professionnelle fille) :

Les économistes du 17e siècle, par exemple, commencent toujours par la totalité vivante : la population, la nation, l’État, plusieurs États, etc. ; mais ils finissent toujours par dégager au moyen de l’analyse un certain nombre de relations générales et abstraites déterminantes telles que la division du travail, l’argent, la valeur, etc.

Dès que ces moments singuliers furent plus ou moins fixés dans des abstractions, ont commencé les systèmes économiques, qui partent du simple, comme travail, division du travail, besoin, valeur d’échange, pour s’élever jusqu’à l’État, l’échange entre nations et le marché mondial.

C’est manifestement cette dernière méthode qui est correcte du point de vue scientifique.

Le concret est concret parce qu’il est le rassemblement de multiples déterminations, donc unité de la diversité.

C’est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de rassemblement, comme résultat, non comme point de départ, bien qu’il soit le point de départ réel et, par suite, aussi le point de départ de l’intuition et de la représentation.[8]

Afin de construire leurs théories, Alexandre Zinoviev et Karl Marx partent tous deux des petits rien de la vie quotidienne et non pas des phénomènes spectaculaires que l'on généralise hâtivement et qui conduisent à des conclusions absurdes reprises le plus souvent politiquement.

Les études d'Alexandre Zinoviev sur la société communaliste sous pression historique et Karl Marx sur la société professionnelle aliénée sont en rapports dialectiquement : « AZ <> KM »

Cette unité des antagonistes « AZ <> KM » développe une dynamique émergente « communalisme moderne (AZ) <> modernisme commun (KM) » que l'on peut qualifier de communisme individuant.

On retrouve entre autre les mêmes méthodes d'abstraction ou démarches dialectiques chez Charles Darwin, Alfred Wegener et Stephen Jay Gould entre autres.

Karl Marx Lev Vygotski Alexandre Zinoviev Exemples pratiques
Sujet Population Tout Sphère Bassin géologique In vivo Nature
Objet Déterminations la plus simple unités de base Cellules lames minces du bassin In vitro Culture

2.2 Schémas du regard-scientifique[modifier | modifier le wikicode]

2.2.1 Linéaire/ponctué[modifier | modifier le wikicode]

Afin d'appréhender l'abstraction au quotidien, voici un schéma réalisé de manière linéaire/ponctué avec qui met en lumière le rapport et les écarts entre la science et la technique.

2.2.1.1 Mouvement de la sphère de la contemplation[modifier | modifier le wikicode]
  • Domaine de la connaissance (Science - Sujet)
Émile Jalley et Henri Wallon : « « la connaissance procède de l'action sur les choses avant de la guider ». Et la science en tant que « conscience des rapports entre le réel et la pensée », est adaptation active des cadres de la connaissance à l'objet, « réaction » des forces humaines en réponse aux forces de la nature, selon un cycle d'interactions. C'est « une création », non pas une continuité [E. J. : théorie de Descartes], mais perpétuelle et progressive qui rend compte à la fois du monde et de la science. Entre les deux, il y a continuité, « foncière identité ». C'est pourquoi, les lois de la pensée sont en homologie essentielle, en conformité avec celles de l'univers : « sans dialectique dans le monde, il n'y aurait pas de dialectique dans la pensée. Il faut bien que la pensée du monde soit inscrite par le monde dans la pensée ».»

C1 : Sphère (concret réel) = Regardé globale/Expérience ↔ Réflexions/Pratique

A1 : Abstraction (catégorisation abstraite : tout/sphère <=> parties du tout/cellules)

C2 : Théorie (concret pensé)


  • Saut 1 :

C2

Simplexification / Conceptualisation => « jugement logique » (Alexandre Zinoviev)

C2'

2.2.1.2 Mouvement de la sphère de la mesure[modifier | modifier le wikicode]
  • Domaine du savoir acquis (Ingénierie - Objet)

C2' : Cellules (concret réel) => Observation fine/Expérimentation ↔ Applications/Raisonnement

A2 : Modélisation (catégorie classée / modéliser)

C3 : Symbole (concret pensé)

  • Saut 2 :

C3

Représentation / Formalisation => « Évaluation » (Yves Richez)

C1'

2.2.2 En ruban de Möbius[modifier | modifier le wikicode]

cf le schéma du regard-scientifique analogues à un nœud « borroméen » représenté sur la couverture de La psychanalyse pendant et après Lacan d'Émile Jalley.

2.2.3 En réseau/circuit[modifier | modifier le wikicode]

cf le schémas d'Yvan Duril avec les corrélations suivante :

    • domaine de la contemplation => programme et phénoménologie
    • domaine de la mesure => observation et analyse
    • évaluation - jugement logique => Analyse combinée

2.2.4 De cercle en cercle[modifier | modifier le wikicode]

Représentation du développement de la science de cercle en cercle sous la forme d'un tableau dynamique marqué par le sens des flèches : { « C1 <A1> C2 » <∞> « C2' <A2> C3 » } : cf [1] et consilience.

Domaine de la contemplation
Passage de l'abstrait au concret
Domaine de la mesure
Sphère

Tout

Sujet

concret réel complexe

Concret 1 (C1)

C1 <= C3


<--- Représentation simplexe du concret réel complexe


DM à DC

symbole

Concret 3 (C3)

concret pensé modélisé

expérience/regard technique/application
↓↑ > abstraction/Abstrait 1 (A1) <
<--- évaluation/jugement logique --- >


DC <---> DM

↑↓ > modélisation/Abstrait 2 (A2) <
science-questionnement/praxie expérimentation/observation
théorie

Concret 2 (C2)

concret pensé naturalisé (matérialisé)

C2 => C2'


Symplexification du concret réel complexe --- >


DC à DM

Cellule

Partie du tout abstrait

Objet

concret réel abstrait

Concret 2' (C2')

Champ de la connaissance
Champ du savoir construit


2.2.5 Modèle de la circularité dialectique des savoirs[modifier | modifier le wikicode]

Émile Jalley : « Le savoir humain est comme un arbre (1), dont les racines puis le tronc sont les savoirs sur l’esprit inconscient (2) et conscient (3), les branches qui sortent de ce tronc (4) étant les sciences formelles, les sciences de la nature et les sciences de l’homme (5), le feuillage de l’arbre se formant alors de l’entrelacement de leurs applications techniques et pratiques particulières. »

Avec

  1. Descartes, Hegel ;
  2. Freud, Lacan et col. ;
  3. Wallon, Piaget, Gesell et col. ;
  4. Descartes, Hegel, Freud, Wallon, Piaget ;
  5. Hegel, Marx et col.


3 Citations[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Karl Marx[modifier | modifier le wikicode]

3.1.1 Grundisse, Manuscrits de 1857-1858[modifier | modifier le wikicode]

ce sont les déterminations abstraites qui mènent à la reproduction du concret au cours du cheminement de la pensée.
Partant de là [des déterminations les plus simples atteintes par le procès d’abstraction], il faudrait refaire le chemin à rebours jusqu’à ce qu’enfin j’arrive de nouveau à la population, qui cette fois ne serait plus la représentation chaotique d’un tout, mais une riche totalité de multiples déterminations et relations
Les abstractions les plus générales ne prennent au total naissance qu’avec le développement concret le plus riche, où un aspect apparaît comme appartenant à beaucoup, comme commun à tous. Désormais les individus sont dominés par des abstractions, alors qu’antérieurement ils dépendaient les uns des autres.

3.2 Paul Langevin[modifier | modifier le wikicode]

La notion d'un objet isolable, c'est quelque chose qui, au fond, est singulièrement abstrait. C'est une synthèse accomplie depuis longtemps par nos ancêtres, contre un grand nombre d'apparences et de sensations diverses et même parfois contradictoires, les unes tactiles, les autres visuels, les une individuelles, les autres collectives. Grâce à cette notion de l'objet, non seulement nous groupons, nous synthétisons nos expériences individuelles, mais encore nous pouvons communiquer les unes avec les autres et confronter, humaniser nos représentations.
  • P. Langevin, La Notion de Corpuscules et d'Atomes, Hermann, Paris, 1934, p.44-46.
  • In La nature dans la pensée dialectique, Eftýchios Bitsákis, éd. L'Harmattan, 2001, p.293

Il y a une véritable construction qui a été abstraite au début, et qui s'est colorée de concret à mesure que nous nous le servions. Le concret est l'abstrait rendu familier par l'usage.

  • P. Langevin, La Notion de Corpuscules et d'Atomes, Hermann, Paris, 1934, p.44-46.
  • In La nature dans la pensée dialectique, Eftýchios Bitsákis, éd. L'Harmattan, 2001, p.294

3.3 Alexandre Zinoviev[modifier | modifier le wikicode]

Pour sentir la vie, l'éprouver vraiment, il faut, bien sûr, être dedans. Mais, pour la connaître, il convient avant tout, de s'en éloigner à une distance suffisante. Sinon, tu n'as aucune vision d'ensemble, tu ne peux distinguer ses traits essentiels, sa dynamique, ces visées.
D'autres interrogent les faits réels et font des erreurs. De mon côté, j'ignore cette face de la réalité et je me trompe peu. Il y a plusieurs façon de trouver la vérité des choses : pour moi, c'est toujours dans ma tête et dans mon cœur.
  • in The 2012 Alexandre Zinoviev Birthday Book, entrevue d'Alexandre Zinoviev par J.J. Lafaye en 1991 à Munich, éd. blurb, 2012, p.39

3.4 Stephen Jay Gould[modifier | modifier le wikicode]

On ne peut pas s'attaquer de front à la "nature de la vérité", de façon abstraite et générale, sans devenir ennuyeux et pédant.
  • Le renard et le hérisson : Pour réconcilier la science et les humanités (?), Stephen_Jay_Gould Stephen Jay Gould], éd. Points, 2012, p.341

3.5 Bertell Ollman[modifier | modifier le wikicode]

... la réalité ne se réduit pas aux apparences, et qu'à s'en tenir aux apparences, à ce qui nous frappe immédiatement et directement on peut se fourvoyer. L'erreur mise en scène dans ce récit est-elle courante ? Selon, Marx, loin d'être une exception, elle est typique dont la plupart des gens appréhendent la réalité dans notre société. S'appuyant sur ce qu'ils voient, entendent et touchent dans leur environnement immédiat - empreintes de toutes sortes -, ils en tirent des conclusions qui sont dans bien des cas l'exact opposé de la vérité
  • La Dialectique mise en œuvre, Le processus d'abstraction dans la méthode de Marx, Bertell Ollman, éd. Syllepse, 2005, p.24

4 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

Emploi

5 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. La définition de Abstraction. Une activité de traitement cognitif. URL : https://carnets2psycho.net/dico/sens-de-abstraction.html
  2. P. Langevin, La Notion de Corpuscules et d'Atomes, Hermann, Paris, 1934, p.44-46.
  3. G.W.F. Hegel. Qui pense abstrait ?. Traduit par Marie-Thérèse Bernon. In Revue d’Enseignement de la Philosophie, 22ième année, N° 4, Avril-Mai 1972.
    URL : http://paris4philo.over-blog.org/article-13518103.html
  4. cf par exemple sur Intelligence des mesures apriori héréditaristes.
  5. Richez, Y. (2017). Détection et potentialisation des talents en entreprise. ISTE.
  6. Demeulenaere Pierre, « Présentation : le problème de l'abstraction en sociologie », L'Année sociologique, 2006/2 (Vol. 56), p. 253-262. DOI : 10.3917/anso.062.0253. URL : https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2006-2-page-253.htm
  7. selon la définition des études d'Yves Richez sur l'actualisation et l'émergence des talents
  8. K. Marx, « Introduction de 1857 », in Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », trad. J.-P. Lefebvre et alii, Paris, Éditions sociales, 2011, p. 39-68.