Islam en Union soviétique

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Au moment de la révolution de 1917, il y avaient environ 10% de musulmans dans la population de l'Empire russe. Les musulmans ne formaient pas un peuple en tant que tel, ils étaient d'ethnies différentes, et ces divisions ethniques (tatars, non tatars...) primaient parfois sur l'identité musulmane. Sous le tsarisme, la liberté religieuse leur était refusée.[1][2]

Le 1er mai 1917, après la révolution de février, le premier Congrès panrusse des musulmans se tint à Moscou. À l’issue de débats très vifs, cette assemblée vota en faveur de la reconnaissance des droits des femmes, faisant des musulmans russes les premiers au monde à libérer les femmes des restrictions qui caractérisaient les sociétés islamiques de l’époque. Mais les éléments petit-bourgeois conservateurs prédominent, comme à ce moment là partout en Russie. Trotski souligne que « même les imans (...), dans tous les cas où la pression d’en bas les mettait en situation difficile, insistaient sur la nécessité de différer "jusqu’à l’Assemblée constituante" ».

Les musulmans de l'empire russe s'organisent en forces bourgeoises (Harbi Shura, Mulli Shura, Milli Idare...), mais aussi en Comités socialistes musulmans (dont le plus connu est celui de Kazan), qui mettent en avant des revendications nationales, mais au sein desquels se retrouvent aussi les clivages entre menchéviks, bolchéviks, SR, anarchistes...

Le 20 novembre 1917, peu après la prise de pouvoir par les bolcheviks, Lénine lance un appel, cosigné par Staline, « À tous les travailleurs musulmans de Russie et d’Orient », afin de les rallier à la révolution :

« Musulmans de Russie, Tatars de la Volga et de Crimée, Kirghizes et Sartes de Sibérie et du Turkestan, Turcs et Tatars de Transcaucasie, Tchétchènes et montagnards du Caucase ! Vous tous dont les mosquées et les maisons de prière ont été détruites, dont les croyances et les coutumes ont été piétinées par les tsars et les oppresseurs de la Russie ! Désormais, vos croyances et vos coutumes, vos institutions nationales et culturelles sont libres et inviolables. Organisez votre vie nationale librement et sans entrave ! C’est votre droit. Sachez que vos droits, comme les droits de tous les peuples de Russie, sont protégés par la puissance de la Révolution, par les soviets des députés travailleurs, soldats et paysans. »[3]

Certains colons russes d’Asie centrale adhèrent au parti bolchévik victorieux par opportunisme, mais ils profitent de leur pouvoir local pour perpétuer la domination de la population locale, majoritairement paysanne et musulmane. Pendant deux ans, la région fut coupée de Moscou par la guerre civile et le pouvoir central des bolchéviks n'avait aucun contrôle. Une révolte armée de populations musulmanes éclata, la révolte des Basmatchis.

En janvier 1918 est créé au sein du Narkomnats un Commissariat central des affaires musulmanes en Russie intérieure et en Sibérie (dit Muskom). Le révolutionnaire tatar Mullanur Waxitov (qui n'était pas au parti bolchévik) fut placé à sa tête, secondé par Sultan-Galiev. Il supervisait notamment le Collège central militaire musulman, qui entraînait des troupes musulmanes alliées aux rouges.

Le second congrès militaire musulman pan-russe, qui se tient en février-mars 1918, est fortement polarisé entre ailes gauche et droite.[4]

En 1920, Lénine parla de l’importance « gigantesque, historique » de redresser la situation. De nombreux anciens membres de la police, de l’armée, des forces de sécurité, de l’administration, etc., qui étaient des produits de l’ère tsariste, furent envoyés dans des camps de concentration. Dans le Caucase et en Asie centrale les colons furent encouragés à revenir en Russie et dans certains cas chassés de force. La langue russe cessa d’être la langue dominante et les langues autochtones furent employées dans les écoles, les administrations, les journaux et l’édition. On créa un programme massif de « discrimination positive ».

Dans les régions d'Asie centrale, le christianisme orthodoxe était avant tout une idéologie légitimant la domination des populations musulmanes indigènes. Pour lutter contre le chauvinisme grand-russe, les bolchéviks traitaient de façon différente le christianisme et l'islam. Les musulmans progressistes (jadidistes, socialistes musulmans, national-communistes...) étaient encouragés à adhérer au PC, tandis que « l’absence totale de préjugés religieux » était indispensable pour les Russes.

Les monuments, les livres et les objets sacrés islamiques volés par les tsars furent rendus aux mosquées. Par exemple le « Coran d'Othman », un manuscrit ancien du Coran, est rendu aux musulmans d'Oufa (Bachkirie). (Cependant ce manuscrit, avant d'être volé par les Russes, était à Samarcande, si bien que les musulmans du Turkestan protestèrent et récupérèrent finalement le manuscrit en 1924.)

Le vendredi — jour sacré pour les musulmans — fut déclaré jour férié dans toute l’Asie centrale. Un système juridique parallèle fut créé en 1921, avec des tribunaux islamiques qui administraient la justice selon les lois de la charia. L’objectif était que les gens aient le choix entre la justice révolutionnaire et la justice religieuse. Une commission spéciale concernant la Charia fut créée au sein du Commissariat soviétique à la justice.

Affiche 1921. "Travailleuse musulmane ! Les tsars, les beys et les khans t'ont privée de ton droit ! Tu étais esclave dans l’État, esclave à l'usine, esclave dans la famille. Le pouvoir des soviets t'a donné un droit égal à tous. Il a rompu les chaînes qui te liaient. PRENDS SOIN DU POUVOIR OUVRIER ET PAYSAN. C'EST TON POUVOIR, TRAVAILLEUSE."
« Khăzir mīndă ăzad! (Maintenant moi aussi je suis libre) » Affiche de 1918-1921 représentant une femme se détournant de la mosquée, rejoignant une organisation de jeunesse.

On interdit certains des châtiments prônés par la charia (comme la lapidation ou le fait de couper une main) car ils contredisaient le droit soviétique. Les décisions des tribunaux islamiques concernant ces questions devaient être confirmées par une juridiction supérieure. Certains tribunaux islamiques défiaient la loi soviétique, en refusant, par exemple, d’accorder le divorce aux femmes qui en faisaient la demande, ou en considérant que le témoignage d’une femme valait seulement la moitié de celui d’un homme. C’est ainsi qu’en décembre 1922 un décret introduisit la possibilité qu’une affaire soit rejugée devant les tribunaux soviétiques si l’une des parties le réclamait. Même ainsi, entre 30 et 50 % de toutes les affaires étaient résolues par des tribunaux islamiques, et en Tchétchénie le chiffre était de 80 %.

En 1922 près de 1500 Russes furent expulsés du Parti communiste du Turkestan à cause de leurs convictions religieuses, mais pas un seul turcophone. En 1923, dans certaines régions, près de 15 % des militants bolchéviks étaient musulmans, et jusqu’à 70 % dans certains cas. Dans le gouvernement central à Moscou, le Commissariat aux affaires musulmanes supervisait la politique russe envers l’Islam. Des musulmans aux connaissances marxistes très limitées occupaient des positions élevées dans ce ministère.

Par leur politique, les bolchéviks parviennent à attirer vers les soviets une majorité des révolutionnaires musulmans, qui sont alors traversés de nombreux débats. Certains mettent en avant des similitudes entre valeurs islamiques et socialistes. A l’époque on entendait souvent des slogans comme « Vive le pouvoir des soviets, vive la charia ! » « Vive la liberté, la religion et l’indépendance nationale! ».

Les bolcheviks conclurent des alliances militaires avec le groupe panislamique kazak des Ush-Zhuz (qui rejoignirent le PC en 1920), les guérillas panislamistes iraniennes des Jengelis (avec qui une tentative de soulèvement eut lieu à Téhéran) et les Vaisites, une organisation soufie.

Cependant les efforts pour garantir la liberté religieuse et les droits nationaux étaient constamment minés par la faiblesse de l’économie. Déjà en 1922, les subventions de Moscou à l’Asie centrale durent être diminuées et de nombreuses écoles publiques fermées. Les professeurs abandonnaient leurs postes faute de toucher un salaire. Cela signifiait que les écoles musulmanes en vinrent à représenter la seule solution pour la population. « Quand vous ne pouvez fournir du pain, vous n’osez enlever aux gens son substitut », déclara Lounatcharsky, commissaire du peuple à l’Éducation. On supprima les subventions aux tribunaux islamiques entre la fin de 1923 et le début de 1924. Mais des facteurs économiques empêchaient déjà les musulmans de porter plainte au tribunal. Si, par exemple, une jeune femme refusait d’accepter un mariage arrangé par sa famille ou de se marier à un mari polygame, elle avait peu de chances de survivre parce qu’elle ne pouvait trouver ni travail ni logement indépendant.

La disgrâce de Sulta-Galiev en 1923 fut le signe avant-coureur du retournement politique. Dans la seconde moitié des années 1920, les staliniens vont commencer à restaurer la domination grand-russe, en parallèle d'une attaque contre la religion en général. Ils lancent une attaque frontale (nommée « hujum »[5], offensive) contre l’Islam au nom de l'émancipation des femmes. Des journaux pour femmes en Ouzbékistan présentaient des femmes blanches « émancipées »[6] Le  hujum entra en action massivement le 8 mars 1927, à l’occasion de la journée internationale des femmes. Au cours de meetings de masse on appela les femmes à enlever leur voile. De petits groupes de musulmanes autochtones montèrent sur des podiums et se dévoilèrent en public, après quoi on brûla leurs voiles.

En réaction, des milliers d’enfants musulmans, spécialement des filles, furent retirés des écoles soviétiques  par leur famille et démissionnèrent des jeunesses communistes. Des femmes non voilées furent agressées dans les rues, parfois violées et des milliers d’entre elles furent tuées. De nombreux Vieux bolchéviks musulmans furent éliminés, et la liberté religieuse disparut. Des mosquées furent fermées ou transformées en entrepôts.

En 1928 les dirigeants des républiques soviétiques à majorité musulmane sont purgés, avec l'exécution de Veli Ibrahimov du PC tatar et Milli Firka. Puis vint l'élimination des leaders de Hummet, de l'Union tatare des sans-dieu et des Jeunes boukhariotes.

1 Voir aussi

Minorités nationales en Russie

2 Références

  1. Dave Crouch, Les bolcheviks, l’Islam et la liberté religieuse, 2003
  2. Dave Crouch, The Bolsheviks and Islam, 2006
  3. À tous les travailleurs musulmans de Russie et d’Orient [1917], cité in Henry Bogdan, Histoire des peuples de l’ex-URSS, Paris, Perrin, 1993, p. 187-188
  4. Mirsäyet Soltanğäliev, The Tartars and the October Revolution, 1921
  5. https://en.wikipedia.org/wiki/Hujum
  6. British Library, A New Path, A New Dawn: Women’s Magazines in 1920s Soviet Uzbekistan, 10 mai 2017