Ch. 17 : Le profit commercial

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Nous avons vu, dans le deuxième volume, que la fonction du capital dans la circulation - les opérations M'-A-M qui assurent la conversion de la marchandise en argent et de l'argent en éléments de production - loin d'engendrer de la valeur et de la plus-value, en réduit la quantité à cause du temps qui est absorbé par la circulation. Ce que nous avons constaté en étudiant les métamorphoses du capital-marchandise sous sa forme exclusive n'est pas modifié, lorsqu'une partie de ce capital prend la forme de capital du commerce de marchandises et a ses transformations assurées par une partie spéciale du capital-argent et une catégorie déterminée de capitalistes. Par conséquent, si la vente et l'achat des marchandises ne créent ni valeur, ni plus-value lorsqu'elles sont effectuées par les capitalistes industriels, elles n'acquièrent pas plus cette vertu lorsqu'elles sont faites par d'autres personnes ; l'incapacité qui caractérise à ce point de vue la partie du capital social qui doit être disponible en argent pour que la reproduction suive son cours sans interruption, subsiste quelle que soit la personne, le capitaliste industriel ou tout autre capitaliste, qui en fasse l'avance.

Si nous faisons abstraction de toutes les opérations hétérogènes, l'emmagasinage, l'expédition, le transport, la distribution, qui se rattachent au fonctionnement du capital commercial, et si nous ne considérons que la fonction effective de ce dernier, la vente et l'achat, nous pouvons dire qu'il assure uniquement la réalisation de la valeur et de la plus-value, en opérant l'échange social des marchandises. Cependant la circulation du capital industriel est une phase de la reproduction au même titre que la production; par suite, le capital qui fonctionne dans la circulation doit rapporter le même profit annuel moyen que le capital engagé dans les diverses branches de la production. S'il n'en était pas ainsi, si, par exemple, le capital commercial donnait un profit moyen supérieur à celui du capital industriel, on verrait une partie de celui-ci émigrer aux entreprises commerciales, dans le cas contraire, l'inverse se produirait et cela avec d'autant moins d'hésitation qu'aucun capital ne rencontre moins de difficulté que le capital commercial à changer de destination et de fonction. Mais si le capital commercial est incapable d'engendrer par lui-même de la plus-value, il est évident que celle qui lui tombe en partage sous forme de profit moyen doit provenir de la plus-value créée par le capital productif. Comment parvient-il à s'en emparer ?

Et d'abord, constatons que c'est en apparence seulement que le profit du commerçant résulte d'une addition à la valeur de la marchandise, d'une élévation nominale du prix au-dessus de la valeur.

Il est clair que le commerçant ne peut prélever son profit que sur le prix des marchandises qu'il vend, et il est plus clair encore que ce profit est égal à la différence entre le prix de vente et le prix d'achat. Il se peut qu'entre la vente et l'achat viennent s'ajouter des dépenses supplémentaires (des frais de circulation) ; dans ce cas, l'excédent du prix de vente sur le prix d'achat représente à la fois ces frais et le profit. Pour simplifier l'analyse, nous supposerons que ces dépenses supplémentaires n'existent pas.

Pour le capitaliste industriel, la différence entre le prix de vente de ses marchandises et leur prix d'achat représente l'écart entre leur coût de production et leur prix de revient. Si nous considérons le capital total de la société, cette différence se ramène à la différence entre la valeur des marchandises et le prix de revient payé par les capitalistes, c'est-à-dire à la différence entre la quantité totale et la quantité payée de travail qu'elles contiennent. Avant que les marchandises achetées par le capitaliste industriel puissent être envoyées au marché comme marchandises vendables, elles doivent parcourir le procès de production, pendant lequel la fraction de leur prix qui sera réalisée plus tard comme profit est produite. Il n'en est pas de même pour le commerçant. Les marchandises ne sont en sa possession que pendant qu'elles sont engagées dans la circulation et il ne fait que poursuivre l'opération de vente qui a été commencée par le capitaliste industriel, opération au cours de laquelle aucune plus-value nouvelle n'est incorporée à la marchandise. Alors que le capitaliste industriel réalise seulement dans la circulation la plus-value qui était déjà produite, le commerçant doit, non seulement réaliser, mais créer son profit au moyen de la circulation. A première vue, cette opération ne parait possible que s'il vend au-dessus de leur coût de production les marchandises que le capitaliste industriel lui a vendues au coût de production, c'est-à-dire à leur valeur, si nous considérons l'ensemble du capital-marchandise ; par conséquent s'il leur donne un prix nominal supérieur à leur prix et leur assigne une valeur si nous considérons tout le capital-marchandise) plus grande que leur valeur réelle -, en un mot s'il les vend plus cher qu'elles ne valent. Si une aune de toile coûte 2 sh., je la mettrai en vente, pour réaliser 10 % de profit, à (2 + 2 / 10 ) sh., soit 2 sh. 2 2/5 d. Je la vendrai donc à un prix qui est en réalité celui de 1 1/10 aune ou, ce qui revient au même, pour les 2 sh., je donnerai 10/11 aune et je garderai pour moi 1/11. De cette manière j'arriverai à participer à la plus-value et au surproduit par un détour, par une majoration du prix nominal de la marchandise.

C'est sous cet aspect que la formation du profit commer­cial se présente au premier abord à l'esprit et c'est même de là qu'est partie la conception que tout profit résulte d'une augmentation nominale du prix, c'est-à-dire de la vente de la marchandise au-dessus de sa valeur.

Il suffit cependant de regarder les choses de près pour être convaincu que cette explication (il est bien entendu que nous parlons du profit moyen et non de ce qui peut se passer dans un cas particulier) repose sur une apparence. Pourquoi considérons-nous que le commerçant ne peut réaliser 10 % sur sa marchandise qu'en la vendant 10 % au-dessus du coût de production ? Parce que nous avons admis que le producteur, le capitaliste industriel (pour le monde extérieur, c'est le capitaliste industriel, la personnification du capital industriel, qui apparaît comme « producteur ») la lui a vendue au coût de production. Et, en effet, si le coût de production, c'est-à-dire en dernière instance la valeur de la marchandise, est le prix de revient du commerçant, il est évident que celui-ci ne peut profiter d'une différence entre son prix de vente et son prix d'achat - et cette différence seulement peut lui rapporter un profit qu'en vendant la marchandise au-dessus de sa valeur, en établissant un prix du commerce supérieur au coût de production. Mais pourquoi avons-nous admis que le capitaliste industriel vend au coût de production, supposition qui implique que le capital commercial (nous ne parlons que du capital du commerce de marchandises) n'intervient pas dans la constitution du taux général du profit ? Nous avons été amenés naturellement à faire cette hypothèse dans notre exposé du taux général du profit, d'abord parce que le capital commercial n'existait pas encore pour nous à ce moment, ensuite parce que nous devions nécessairement considérer alors le taux général du profit comme le résultat du nivellement des profits (c'est-à-dire des plus-values) produits réellement par les capitaux industriels des diverses branches. Il n'en est plus de même maintenant que nous avons affaire au capital commercial, qui recueille une part du profit sans intervenir dans la production. Nous devons donc compléter notre exposé précédent.

Supposons que le capital industriel avancé pendant l'aimée soit 720 c + 180 v = 900 (par ex., 900 millions de £) et que, pl' soit de 100 %. Le produit sera 720 c + 180 v + 180 pl = 1080. Désignons ce produit (le capital-marchandise) par M. La valeur de M ou son coût de production (car valeur et coût de production sont identiques quand on considère l'ensemble des marchandises) sera égal à 1080 et le taux du profit, étant donné que le capital avancé est de 900, sera de 20 %. D'après ce que nous avons développé précédemment, ces 20 %, représentent le taux moyen du profit, car nous considérons la plus-value, non isolément pour chaque capital, mais pour l'ensemble des capitaux industriels et nous la rapportons à la composition moyenne de ceux-ci. Supposons qu'aux 900 £ des capitalistes industriels s'ajoutent 100 £ des capitalistes commerçants, devant participer au profit total en proportion de leur importance. Le capital commercial représentera 1/10 du capital total qui sera maintenant de 1000 £, et il recevra 1/10 de la plus-value (180), soit un profit dont le taux sera de 18 %. Le restant (900) du capital total ne touchera plus qu'un profit de 162, ce qui en ramènera le taux également à 18 %. Les capitalistes industriels vendront donc leurs produits aux commerçants au prix de : 720 c + 180 v + 162 pl = 1062 et les commerçants les revendront à 1062 + 18 = 1080, c'est-à-dire à leur coût de production, à leur valeur, bien que le profit commercial ne prenne naissance que dans la circulation et qu'il ne soit que la différence entre les prix de vente et d'achat. Les commerçants ne vendent donc pas la marchandise au-dessus de sa valeur, au-dessus de son coût de production; ils l'achètent aux capitalistes industriels au-dessous de sa valeur, au-dessous de son coût de production.

Le capital commercial intervient dans la formation du taux général du profit en raison de son importance par rapport au capital total. Dans notre exemple le taux moyen du profit était de 18 % il aurait été de 20 %, si 1/10 du capital n'avait pas été du capital commercial. Notre définition du coût de production doit donc être modifiée quelque peu. Ce coût, qu'il y ait capital commercial ou non, est le prix de la marchandise, c'est-à-dire son prix de revient (la valeur du capital constant + celle du capital variable) augmenté du profit moyen. Mais ce profit moyen n'est plus le même; s'il résulte encore du profit total engendré par le capital productif, il est calculé non plus d'après ce capital productif, mais d'après celui-ci augmenté du capital commercial. Notre capital productif était de 900 et notre capital commercial de 100 ; notre profit total de 180 a donné, non un taux moyen de 180 / 900 = 20 %, mais un taux de 180 / 1000 = 18 %, et le prix de revient étant k, le coût de production, a été de k + 162 au lieu de k + 180. La part du capital commercial est donc déjà comprise dans le taux moyen du profit, de sorte que si nous désignons par h le profit commercial, nous voyons que la valeur réelle, le véritable coût de production du capital-marchandise, est k + p + h. Le prix de vente du capitaliste industriel est donc inférieur au véritable coût de production, et si l'on considère l'ensemble des marchandises, on peut dire que les prix auxquels elles sont vendues par la classe des capitalistes industriels sont inférieurs à leurs valeurs. Ainsi, dans notre exemple, la marchandise a été vendue par le capitaliste industriel à 900 (prix de revient) + 18 % de 900 = 900 + 162 = 1062. En vendant à 118 la marchandise qui ne lui a coûté que 100, le commerçant augmente, il est vrai, le prix de 18 % ; mais comme la marchandise vaut 118, il ne la vend pas au-dessus de sa valeur. Nous attribuerons dorénavant à l'expression « coût de production » le sens que nous venons de préciser. Le profit des capitalistes industriels sera donc égal à la différence entre le coût de production et le prix de revient, tandis que le profit des commerçants sera exprimé par l'excédent du prix de vente sur le coût de production, ce dernier représentant le prix d'achat des commerçants; enfin le prix des marchandises sera égal à leur coût de production augmenté du profit commercial. De même que le capital industriel ne réalise un profit que parce que de la plus-value a été préalablement incorporée au produit, de même un profit ne tombe en partage au capital commercial que parce que toute la plus-value incorporée au produit n'a pas été réalisée par le capital industriel[1]. Le commerçant vend à un prix supérieur à celui auquel il achète, non parce que son prix de vente est supérieur à la valeur de la marchandise, mais parce que son prix d'achat est inférieur à cette valeur.

Le capital commercial contribuant à ramener la plus-value au niveau du profit moyen sans participer à sa production, il en résulte que le taux général du profit contient d'avance la plus-value qui tombe en partage au capital commercial.

L'exposé que nous venons de faire conduit aux conclusions suivantes :

  1. Le taux du profit industriel est d'autant plus petit que le capital commercial est plus important par rapport au capital industriel.
  2. L'intervention du capital commercial accentue l'écart entre le taux de la plus-value et celui du profit. Nous avons vu dans la première partie, que le taux du profit est toujours plus petit que celui de la plus-value et qu'il exprime un degré d'exploitation du travail plus petit que la réalité; c'est ainsi que dans notre exemple d'un produit d'une valeur de 720 c + 180 v + 180 pl, le taux de la plus-value était de 100 %, tandis que celui du profit n'était que de 20 %. L'intervention du capital commercial a en pour effet d'augmenter cette différence, puisqu'il a fait tomber le taux du profit de 20 % à 18 %. Le taux moyen du profit du producteur immédiat est donc une expression inférieure a la réalité.

Toutes choses égales, l'importance relative du capital commercial (nous faisons abstraction du commerce de détail, qui constitue une catégorie hybride et exceptionnelle) est d'autant plus petite que sa rotation est plus accélérée et, par conséquent, que la reproduction est plus énergique. Dans l'analyse scientifique, le taux général du profit semble prendre naissance dans le capital industriel et sous l'action de la concurrence, pour se modifier et se compléter par l'intervention du capital commercial. L'évolution historique présente les choses sous l'aspect inverse. C'est le capital commercial qui a d'abord déterminé les prix des marchandises plus ou moins d'après leurs valeurs, et c'est dans la circulation servant d'intermédiaire à la reproduction que s'est constitué en premier lieu un taux général du profit. Plus tard, lorsque le système capitaliste s'est généralisé et que le producteur lui-même est devenu commerçant, le profit commercial a été ramené à n'être qu'une fraction de la plus-value, la quote-part assignée au capital commercial considéré comme une partie du capital total engagé dans la reproduction sociale.

Nous avons vu que lorsque se fait l'égalisation des profits par l'intervention du capital commercial, il n'entre dans la valeur des marchandises aucun élément supplémentaire correspondant au capital-argent avancé par le commerçant, et que ce qui est ajouté au prix pour former le profit du commerçant est simplement égal à la partie de la valeur de la marchandise que le capital productif n'a pas pu faire entrer dans le coût de production. Il en est de ce capital-argent comme du capital fixe industriel, tant que celui-ci n'est pas consommé et que sa valeur n'est pas devenue un élément de la valeur de la marchandise. Son prix d'achat équivaut au coût de production A et son prix de vente est A + DA, où DA exprime la somme que le taux général du profit ajoute au prix de la marchandise; de sorte que la vente produit non seulement DA, mais restitue le capital-argent qui a été avancé pour l'achat. Il se manifeste ici de nouveau que le capital-argent du commerçant n'est que le capital-marchandise du capitaliste industriel transformé en argent, et qu'il n'affecte pas plus la valeur de la marchandise que si celle-ci était vendue directement à celui qui doit la consommer. Sa seule action consiste à en anticiper le paiement, et encore n'en est-il ainsi que pour autant que le commerçant, ainsi que nous l'avons admis, n'est astreint à aucun faux frais et qu'en dehors du capital-argent pour acheter la marchandise au producteur, il n'engage aucun autre capital, soit fixe, soit circulant, dans le procès des métamorphoses de la marchandise. Cette condition ne se présente pas dans la réalité, comme nous l'avons vu dans l'étude des frais de la circulation (vol. II, chap. VI), qui nous a montré que celle-ci donne lieu à des dépenses que le commerçant rencontre directement dans la conduite de ses affaires ou qui proviennent d'autres agents de la circulation.

Quels que soient ces frais, qu'ils soient inhérents directement à l'entreprise commerciale ou qu'ils proviennent d'opérations complémentaires, comme l'expédition, le transport, l'emmagasinage, ils exigent que le commerçant dispose d'un capital supplémentaire à côté du capital-argent qu'il consacre à l'achat des marchandises. Ce capital supplémentaire passe dans le prix de vente, entièrement s'il est du capital circulant, partiellement et proportionnellement à son usure s'il est du capital fixe ; seulement il y passe comme un élément constituant une valeur nominale, même lorsqu'il n'ajoute à la marchandise aucune valeur réelle, comme par exemple, les dépenses purement commerciales de la circulation. Qu'il soit circulant ou fixe, tout le capital supplémentaire contribue à la formation du taux général du profit.

Les frais purement commerciaux, c'est-à-dire ceux qui ne résultent pas de l'expédition, du transport et de l'emmagasinage, sont nécessaires pour réaliser la valeur de la marchandise, pour la convertir de marchandise en argent on d'argent en marchandise, en un mot pour en permettre l'échange. Il faut donc les distinguer de certains actes de production qui continuent pendant la circulation et qui d'ailleurs peuvent se produire absolument en dehors de l'entreprise commerciale. C'est ainsi que l'industrie du transport et les entreprises d'expédition peuvent être et sont en réalité des branches en dehors du commerce - de même les marchandises à négocier peuvent être emmagasinées dans des docks ou des entrepôts publics, et donner lieu à des frais que des tierces personnes porteront en compte au commerçant. Tous ces faits se présentent couramment dans le grand commerce, où le capital commercial fonctionne dans sa forme la plus pure et se cantonne le plus rigoureusement sur le terrain qui lui est propre. Les entrepreneurs de charriage, les directeurs de chemins de fer, les affréteurs ne sont pas des « commerçants », et les frais dont ils grèvent les produits ne sont pas ceux que nous considérons ici et qui portent exclusivement sur l'achat et sur la vente. Précédemment déjà, nous avons constaté que ces frais consistent uniquement en dépenses de comptabilité, de correspondance, etc., et qu'ils ont pour point de départ un capital constant qui comprend le mobilier de bureau, les registres, le papier, etc., et un capital variable qui sert à payer les salaires des employés. (Les frais d'expédition, de transport, de droits d'entrée, etc., peuvent être considérés en partie comme des avances faites pour l'acquisition des marchandises et doivent comme telles être intégrées au prix d'achat.)

Tous ces frais, qui résultent de ce que la forme économique du produit est la marchandise, prennent naissance, non dans la production de la valeur d'usage, mais au cours de la réalisation de la valeur. Ils sont inhérents, non au procès de production, mais au procès de circulation et par suite au procès de reproduction. La seule partie qui nous en intéresse ici est celle qui est dépensée sous forme de capital variable. (Nous aurions en outre à examiner : Comment la loi qui veut que la valeur de la marchandise ne contient que du travail nécessaire, se vérifie dans la circulation ; Comment l'accumulation s'accomplit dans le capital commercial ; Comment le capital commercial fonctionne dans le procès de reproduction sociale.)

Si le temps de travail que les capitalistes industriels perdent lorsqu'ils se vendent leurs produits entre eux - ou objectivement parlant, le temps de rotation - n'ajoute rien à la valeur de la marchandise, il est évident qu'il en est de même lorsque l'opération est faite par le commerçant se substituant à l'industriel. La transformation de la marchandise (du produit) en argent et de l'argent en marchandise (en moyens de production) est une fonction inévitable du capital industriel et du capitaliste, qui est le capital doué de conscience et de volonté. Cette fonction, bien qu'elle réponde à une opération indispensable du procès de reproduction, n'engendre ni valeur, ni plus-value, et il en est de même lorsque dans la sphère de la circulation le commerçant vient prendre la place de l'industriel. Si le commerçant ne l'accomplissait pas et s'il n'y consacrait pas le temps de travail qu'elle exige, il ne ferait pas de son capital un agent de circulation du capital industriel, et il n'aurait pas à participer, en proportion de l'argent qu'il avance, au profit produit par la classe des capitalistes industriels. Pour participer à la plus-value, pour mettre en valeur son capital, le capitaliste commerçant doit s'abstenir d'occuper des salariés. Lorsque son entreprise et son capital sont de peu d'importance, il doit être le seul travailleur qu'il utilise ; car ce qui lui est payé est la partie du profit qui équivaut à la différence entre le prix auquel il achète les marchandises et leur véritable coût de production.

Lorsque le commerçant opère avec un petit capital, le profit qu'il réalise peut ne pas être supérieur et même être inférieur au salaire d'un ouvrier habile et bien payé. De même, à côté de lui fonctionnent des agents commerciaux dépendant directement de l'entreprise industrielle, chargés de la vente ou de l'achat, ayant autant ou même plus de revenu que lui, sous forme d'un salaire ou d'une commission sur la vente. Il se différencie de ceux-ci en ce qu'il encaisse le profit commercial comme capitaliste autonome, tandis que les autres ne reçoivent qu'un salaire de l'industriel qui empoche alors a la fois le profit industriel et le profit commercial. Dans tous ces cas, le revenu de l'agent de la circulation, qu'il se présente comme un salaire ou comme un profit, résulte uniquement du profit commercial et cela parce que dans ces circonstances le travail n'est pas créateur de valeur.

Toute prolongation des opérations de la circulation constitue : au point de vue du capitaliste industriel, une perte de temps qui l'empêche de vaquer à ses fonctions de directeur du procès de production ; au point de vue du produit, un retard dans sa transformation en argent ou en marchandise et un séjour exagéré dans le procès de circulation, qui n'ajoute rien à sa valeur et qui interrompt le procès de production. Cette interruption ne peut être évitée que par une réduction de la production ou la mise en œuvre d'un capital-argent supplémentaire, ce qui revient à dire, ou bien que le capitaliste doit se résoudre à retirer moins de profit du capital qu'il a engagé ou bien qu'il doit donner plus d'importance à celui-ci s'il veut continuer à toucher le même profit. La substitution du commerçant à l'industriel ne modifie en rien cette situation. C'est le commerçant qui maintenant consacre son temps à la circulation et c'est lui qui avance le capital supplémentaire qu'elle exige ; aussi le capitaliste industriel doit lui abandonner une partie de son profit, à laquelle d'ailleurs il aurait dû renoncer s'il avait affecté à la circulation une fraction de son capital productif. Tant que l'importance du capital commercial ne dépasse pas ce qu'elle doit être, l'intervention du commerçant n'a que ce seul effet que la circulation prend moins de temps, exige moins de capital supplémentaire et déter­mine une perte moindre de profit. Dans l'exemple dont nous nous sommes servis plus haut, le capital industriel 720 c + 180 v + 180 pl servi par un capital commercial de 100, donne à l'industriel 162 ou 18 % de profit ; il est probable que si l'industriel s'était chargé lui-même de la vente, il aurait dû affecter à la circulation un capital de 200 au lieu de 100, ce qui l'aurait conduit à engager un capital de 1100 au lieu d'un capital de 900, qui, pour une plus-value de 180, ne lui aurait donné qu'un profit de 16 4/11 %.

Si outre le capital additionnel qui sert à acheter de nouvelles matières avant que la marchandise en circulation soit reconvertie en argent, l'industriel qui vend lui-même son produit doit encore avancer du capital sous forme de frais de bureau et de salaires pour assurer la circulation de ce qu'il met en vente, ce capital n'est pas producteur de plus-value ; il doit être reconstitué par la vente de la marchandise et doit par conséquent figurer dans la valeur de celle-ci. On peut donc dire qu'une partie du capital total de la société doit servir à des opérations secondaires, qui ne contribuent pas au procès de mise en valeur ; cette partie doit être continuellement reproduite. Il en résulte, tant pour chaque capitaliste considéré individuellement que pour l'ensemble des capitalistes, une réduction du taux du profit, qui est d'autant plus importante que la quantité de capital nécessaire pour faire circuler la même masse de capital variable est plus considérable.

Cette réduction du taux du profit persiste évidemment lorsque les frais inhérents à la circulation sont transférés de l'industriel au commerçant, seulement elle a lieu d'une autre manière et dans une moindre mesure. En effet, le commerçant doit alors avancer plus de capital qu'il n'en engagerait si ces frais n'existaient pas, et son profit est augmenté du profit qui doit être attribué à ce capital additionnel; le capital commercial intervient donc pour une plus large part dans la constitution du taux du profit moyen et celui-ci devient nécessairement plus petit. Si, dans notre exemple, en dehors du capital commercial de 100 il fallait avancer 50 pour les frais commerciaux supplémentaires, la plus-value de 100 se répartirait sur 900 de capital productif + 150 de capital commercial = 1050, et le taux moyen du profit tomberait à 17 1/7 %. L'industriel aurait cédé sa marchandise au commerçant au prix de 900 + 154 2/7 = 1054 2/7 et le commerçant l'aurait vendue à 1130, soit 1080 + 50 pour les frais qu'il doit payer. Il est vrai que la division du capital en capital industriel et capital commercial entrave inévitablement la centralisation des opérations commerciales et la réduction de leurs frais.

Il s'agit maintenant de caractériser les salaires des ouvriers occupés par le capitaliste commerçant. Ces ouvriers ont des salaires comme tous les autres et leur travail est acheté, par le capital variable du commerçant et non par l'argent de son revenu ; ils sont payés non pour des services personnels, mais pour faire valoir le capital, et leur salaire est déterminé comme celui de tous les salariés, non par le produit de leur travail, mais par les frais de production et de reproduction de leur force de travail. Mais entre eux et les ouvriers occupés directement par l'industrie, il existe la même différence qu'entre le capital industriel et le capital commercial, entre l'industriel et le commerçant. Le commerçant est un simple agent de la circulation, qui ne crée ni valeur ni plus-value (la valeur ajoutée à la marchandise par les frais qu'il supporte est une valeur qui existait précédemment et la seule question qui soit à résoudre est de savoir comment il conserve la valeur de son capital constant) ; de même les ouvriers que le commerçant occupe comme agent à la circulation ne peuvent produire aucune plus-value pour lui. Nous supposons ici, comme nous l'avons fait pour les ouvriers productifs, que le salaire corresponde rigoureusement à la valeur de la force de travail et que le commerçant ne s'enrichisse pas en portant en compte des salaires fictifs, plus élevés que ceux qu'il paie en réalité.

La difficulté ne consiste pas à éclaircir comment le salaire commercial, tout en n'étant pas producteur de plus-value, peut rapporter un profit à celui qui l'occupe; l'analyse générale du profit commercial a fourni la réponse à cette question. De même que le capitaliste industriel réalise un profit parce qu'il vend, incorporé à la marchandise, du travail qu'il n'a pas payé, de même le capitaliste commercial fait un profit parce que, ne payant pas intégralement au capitaliste industriel le travail non payé que celui-ci a intégré au produit, il porte néanmoins cette partie de travail en compte à ses acheteurs. Le rapport entre le capital commercial et la plus-value diffère complètement de celui entre la plus-value et le capital industriel ; ce dernier produit de la plus-value en s'appropriant directement du travail non payé, tandis que le premier se borne à se faire allouer une partie de la plus-value produite par le capital-industriel.

C'est uniquement parce qu'il a pour fonction d'assurer la réalisation de la valeur, que le capital commercial participe au procès de reproduction et recueille une part de la plus-value produite parle capital total. Pour chaque commerçant, cette part dépend du capital qu'il peut consacrer à la vente et à l'achat, et ce capital peut être d'autant plus grand qu'il extorque à ses commis une quantité de travail non payé plus considérable. Le commerçant fait exécuter par des salariés la plus grande partie des opérations qui permettent à son argent d'être un capital; le travail qu'il ne paye pas à ceux-ci ne produit pas de plus-value, mais est recueilli par lui comme plus-value, ce qui revient au même au point de vue du profit qu'il encaisse. S'il n'en était pas ainsi, aucune entreprise commerciale ne pourrait être exploitée en mode capitaliste.

La difficulté est la suivante : le commerçant ne créant pas de la valeur par son travail (bien que celui-ci lui permette de s'assurer une part de la plus-value produite ailleurs), en est-il de même du capital variable qu'il avance pour l'achat de la force de travail ? Ce capital doit-il être ajouté au capital commercial comme avance pour subvenir aux frais de celui-ci ? S'il n'en est pas ainsi, il paraît y avoir contradiction avec la loi de l'égalisation des taux du profit - en effet, quel est le capitaliste qui avancerait 150 s'il sait qu'ils ne peuvent fonctionner que comme un capital de 100 ? Et s'il en est ainsi, la contradiction se reporte sur la nature même du capital commercial, qui fonctionne comme capital, non parce qu'il met en œuvre, comme le capital industriel, le travail d'autrui, mais parce qu'il travaille lui-même, exerce lui-même les fonctions de l'achat et de la vente et recueille à ce titre une partie de la plus-value engendrée par le capital industriel.

(Nous avons donc à analyser : le capital variable du commerçant, la loi du travail nécessaire dans la circulation, la conservation de la valeur du capital constant par le travail commercial, le rôle du capital commercial dans le procès de reproduction, enfin le dédoublement du capital du commerce en capital-marchandise et capital-argent, correspondant à la subdivision en capital du commerce de marchandises et capital du commerce d'argent).

Si chaque commerçant ne possédait que le capital qu'il peut faire valoir par son travail personnel, il y aurait une subdivision à l'infini du capital commercial et cet émiettement s'accentuerait à mesure que la production capitaliste, prenant plus d'extension, opérerait avec des masses de capitaux de plus en plus considérables. A mesure que le capital se concentrerait dans la sphère de la production, il se décentraliserait dans celle de la circulation. Le cercle d'opérations et par suite les dépenses purement commerciales du capitaliste industriel s'étendraient à l'infini, puisqu'au lieu de cent il aurait mille commerçants en face de lui. Une bonne partie des avantages résultant de l'individualisation et de l'autonomie du capital commercial disparaîtrait, et non seulement il y aurait majoration des frais de vente et d'achat, mais accroissement de toutes les autres dépenses de circulation (échantillonnage, expédition, etc.). Tels seraient les inconvénients en ce qui concerne le capital industriel ; ils ne seraient pas moindres pour le capital commercial. Si calculer avec de grands chiffres ne coûte pas plus de peine que faire des opérations d'arithmétique avec de petits chiffres, il faut au contraire dix fois plus de temps pour faire dix achats de 100 £ qu'un seul de 1000 et de même la correspondance (papier, timbres) coûte dix fois plus avec dix petits commerçants qu'avec un grand. La division du travail dans l'établissement commercial où un commis fait la comptabilité pendant que l'autre tient la caisse et un troisième fait la correspondance, où l'un achète pendant que l'autre vend et un autre voyage, assure une économie de temps considérable, à tel point que le nombre des salariés occupés par le grand commerce est hors de toute proportion avec l'importance des affaires. Il en est ainsi parce que dans le commerce bien plus que dans l'industrie certaines fonctions prennent le même temps, qu'elles soient exercices en grand ou en petit; aussi la concentration apparaît-elle dans le commerce bien avant de se manifester dans l'industrie. Ce que nous avons dit du capital variable est vrai du capital constant : cent petits comptoirs et cent petits magasins coûtent beaucoup plus cher qu'un grand, et les frais de transport augmentent avec l'émiettement.

Le capitaliste industriel aurait, par conséquent, à dépenser beaucoup plus de temps et d'argent pour la partie commerciale de son entreprise; il en serait de même du côté du capital commercial, qui, disséminé entre un grand nombre de petits commerçants, n'assurerait la fonction qui lui est assignée que par le concours d'un très grand nombre de travailleurs et devrait lui-même avoir une importance exagérée pour faire circuler un même capital-marchandise. Si nous appelons B tout le capital commercial consacré directement à l'achat et la vente des marchandises, et b le capital variable affecté au paiement des salariés des opérations commerciales, B + b sera plus petit que le capital B' qui serait nécessaire si b n'existait pas, c'est-à-dire si au lieu d'avoir un certain degré de concentration des affaires, chaque commerçant opérait individuellement, sans le concours d'un employé.

Le prix de vente des marchandises doit être suffisant :

  1. pour donner le profit moyen correspondant à B + b (ce qui s'explique par ce fait que B + b représente un capital plus petit que celui qui serait nécessaire si b n'existait pas);
  2. pour renouveler le capital variable b, c'est-à-dire le salaire que le commerçant paie à ses employés.

Ce b constitue-t-il un nouvel élément du prix ou est-il simplement une partie du profit rapporté par B + b, dans lequel il figure comme élément reconstituant le salaire des employés, c'est-à-dire le capital variable du commerçant ? Dans ce dernier cas, le profit réalisé par le commerçant sur le capital B + b qu'il avance, ne serait donc que le profit qui d'après le taux général retombe sur B, augmenté de la quantité b représentant le salaire des employés, c'est-à-dire une somme qui ne donne aucun profit.

Il s'agit de trouver la limite mathématique de b. Désignons par B le capital servant directement à la vente et à l'achat des marchandises, par k le capital constant (les dépenses de matériel) nécessaire pour ces opérations et par b le capital-variable que le commerçant doit avancer.

Le renouvellement de B ne soulève aucune difficulté. B est le prix d'achat du commerçant, c'est-à-dire le coût de production du fabricant. Le commerçant retrouve ce coût dans son prix de vente, qui lui rapporte en outre le profit correspondant a B. Si, par exemple, la marchandise lui coûte 100 £ et si le profit est de 10 %, il la revendra 110 £. Le capital commercial de 100 a donc ajouté 10 au prix de la marchandise, qui avant la vente ne coûtait que 100.

Le capital constant k du commerçant est au maximum aussi grand et en réalité plus petit que le capital constant que le producteur devrait employer pour la vente et l'achat, et qui pour lui représenterait une somme additionnelle au capital constant qu'il consacre à la production. Cette partie doit toujours être reconstituée par le prix de la marchandise ou, ce qui revient au même, une partie correspondante de la marchandise - en considérant tout le capital de la société - doit être constamment reproduite sous cette forme. Cette partie du capital constant, comme tout le capital avancé directement pour la production, aura pour effet de diminuer le taux du profit. Elle n'est plus avancée par l'industriel, dès que celui-ci reporte sur le commerçant la partie commerciale de son entreprise, et c'est alors ce dernier qui en fait l'avance. Mais cette avance n'est que nominale, car le commerçant ne produit ni reproduit le capital constant qu'il utilise ; ce dernier est produit par des capitalistes industriels spéciaux, dont les entreprises sont analogues à celles des industriels qui fournissent le capital constant aux producteurs d'aliments. Le commerçant, qui perçoit un profit sur ce capital reproduit par d'autres, réduit donc doublement le profit de l'industriel ; mais grâce à la concentration et à l'économie résultant de la division du travail, cette réduction est moins importante qu'elle ne le serait si l'industriel devait lui-même avancer le capital (lequel serait, dans ce cas, plus considérable).

Les deux éléments B et k du prix de vente que nous avons analysés jusqu'à, présent ne donnent pas lieu â dif­ficulté, ainsi qu'on vient de le voir. Nous avons maintenant à nous occuper de b, du capital variable avancé par le commerçant. L'intervention de b ramène l'expression du prix de vente à B + k + b + le profit sur (B + k) + le profit sur b.

B reconstitue le prix d'achat et y ajoute le profit qui lui correspond. De même k ne figure dans le prix de vente qu'avec sa valeur et le profit qui lui échoit, et encore peut-on dire que s'il était avancé par l'industriel, au lieu de l'être par le commerçant, il représenterait une somme plus considérable. Jusqu'à présent, le profit moyen n'a donc subi d'autre réduction que celle correspondant au profit de B + k, c'est-à-dire le profit d'un capital spécial, le capital du commerçant. Il n'est pas de même de b + le profit sur b, c'est-à-dire b + 1/10 b, en supposant un profit de 10 %. C'est ici que se trouve la véritable difficulté.

Ce que le commerçant achète pour b, c'est selon notre hypothèse du travail appliqué exclusivement à la circulation et indispensable pour qu'un capital puisse fonctionner comme capital commercial, c'est-à-dire assurer la conversion de la marchandise en argent et de l'argent en marchandise. C'est du travail qui réalise des valeurs mais n'en produit pas, et ce n'est que pour autant qu'il fonctionne dans ces conditions, que le capital avancé pour le payer intervient dans la fixation du taux général du profit et participe au profit total. L'expression b + profit de b semble cependant exprimer la rémunération du travail que le commerçant doit exécuter lui-même (peu importe que l'industriel lui remette cet argent pour le travail qu'il fait lui-même ou pour celui qu'il confie à des commis) augmentée du profit retombant sur cette rémunération. Le capital commercial récupérerait donc d'abord le paiement de b et percevrait ensuite un profit sur b, c'est-à-dire qu'il se ferait d'abord payer le travail en vertu duquel il est capital commercial et qu'il réclamerait ensuite un profit en tant que capital. C'est là la question qui est à résoudre :

Supposons que B soit égal à 100, b à 10 et le taux du profit à 10 %. Admettons que k soit nul, afin de ne pas introduire inutilement dans notre calcul un élément dont le rôle a été éclairci. Le prix de revient sera donc B + Bp' + b + bp' exprimant le taux du profit, soit 100 + 10 + 10 + 1 = 121.

Si b n'était pas avancé par le commerçant pour le salaire (b n'est payé que pour la réalisation de la valeur de la marchandise que le capital industriel jette au marché), les choses se présenteraient comme sait : pour acheter et vendre pour B = 100, le commerçant donne son temps (et nous supposons qu'il y consacre tout son temps). Le salaire qui était représenté par b = 10 et qui était la rémunération du travail du commerçant devient maintenant un profit, supposant un capital commercial de 100 (étant donné que nous avons admis un taux du profit de 10 %). Il y a donc un second B = 100, qui n'entrera pas dans le prix de la marchandise, mais y introduira 10 % de sa valeur et nous nous trouvons en présence de deux opérations de 100 chacune (soit en tout 200) qui achèteront des marchandises pour 200 + 20 = 220.

Le capital commercial n'étant qu'une partie du capital industriel devenu autonome pour assurer la circulation, toutes les questions qui s'y rapportent doivent être examinées comme si les phénomènes propres au capital commercial n'étaient pas encore séparés de ceux accompagnant le fonctionnement du capital industriel. Dans le bureau du capitaliste industriel, qui est le pendant de son usine, le capital commercial fonctionne sans interruption dans le procès de circulation et c'est là que nous aurons à étudier en premier lieu le b qui nous intéresse. Ce bureau est toujours infiniment petit relativement à l'usine, bien qu'à mesure que la production prend des proportions plus considérables, les opérations commerciales et les travaux de comptabilité deviennent plus importants, tant pour la vente des produits devenus marchandises que pour la conversion en moyens de production de l'argent provenant de leur vente. Le calcul des prix, la comptabilité, la tenue de la caisse, la correspondance, toutes ces opérations acquièrent d'autant plus d'importance que la production se fait à une échelle plus grande, sans que cependant les opérations commerciales du capital industriel, le travail et les frais de circulation pour la réalisation de la valeur et de la plus-value gagnent en importance proportionnellement à l'extension de la production. Le capitaliste industriel se voit donc obligé de confier tous ces travaux à des employés salariés, pour la rémunération desquels il doit avancer un capital qui, tout en servant à payer des salaires, diffère du capital variable avancé pour payer le travail productif, en ce qu'il augmente la masse de capital qui doit être engagée sans fournir un accroissement correspondant de la plus-value. Ce capital supplémentaire sert en effet à payer du travail dépensé uniquement pour la réalisation de-valeurs déjà créées et, comme toute avance du même genre qui fait augmenter le capital sans plus-value, il détermine une baisse du taux du profit. (La plus-value pl restant constante pendant que le capital C s'accroît et devient C + DC, le taux du profit pl / C baisse et devient pl / (C + DC).) Il s'ensuit que l'industriel cherche à réduire au minimum ces frais de circulation de même qu'il fait pour toutes ses dépenses en capital constant, et qu'il ne se comporte pas de la même manière à l'égard de ses salariés commerciaux qu'à l'égard de ses salariés productifs. Plus il occupe de ces derniers, plus, toutes circonstances égales, sa production est importante et plus considérables sa plus-value et son profit. Mais plus sa production prend de l'extension et par conséquent plus grandes deviennent la valeur et la plus-value qu'il doit réaliser, plus augmentent, d'une manière absolue (non relative), les frais de bureau auxquels il est assujetti et plus ils donnent lieu à une espèce de division du travail. Ces frais ne sont possibles que pour autant que l'entreprise soit lucrative, ce qui apparaît clairement dans ce fait que les salaires commerciaux, à mesure qu'ils deviennent plus importants, sont généralement payés en partie par un prélèvement sur le profit. Il est tout naturel qu'un travail qui se rapporte exclusivement au calcul et a la réalisation des valeurs et à la reconversion de l'argent en moyens de production, dont l'importance dépend des valeurs produites et à réaliser agisse, non comme cause à l'exemple du travail productif, mais comme conséquence de ces valeurs. Il en est de même des autres frais de circulation. L'importance des travaux de mesurage, de pesage, d'emballage et de transport dépend de la masse des marchandises qui doivent être l'objet de ces opérations.

Le travailleur du commerce ne produit pas directement de la plus-value ; le prix de son travail est déterminé par la valeur de sa force de travail, c'est-à-dire par les frais de production de cette dernière, tandis que l'exercice et l'usure de sa force de travail n'est pas plus limitée par sa valeur que celle de tout autre salarié. Il n'existe donc aucun rapport nécessaire entre son salaire et la masse de profit qu'il aide à réaliser. Ce qu'il coûte au capitaliste dif­fère absolument de ce qu'il lui rapporte. Il rapporte, non parce qu'il produit directement de la plus-value, mais parce qu'il contribue à diminuer la dépense de réalisation de la plus-value, dans la mesure du travail non payé qu'il accomplit. Les véritables travailleurs du commerce appar­tiennent à la classe des salariés bien payés, ceux qui font du travail qualifié supérieur au travail moyen. Leur salaire tend à baisser, même par rapport au travail moyen, à mesure que la production capitaliste se développe : d'abord, par suite de la division du travail, qui permet sans qu'il en coûte au capitaliste de développer et de perfectionner les aptitudes des travailleurs dans une direction; ensuite grâce aux progrès de la science et de l'enseignement, qui diffusent plus rapidement et plus complètement l'instruc­tion générale, les connaissances commerciales et linguistiques, et qui sous l'influence du régime capitaliste adoptent des méthodes plus pratiques. Le développement de l'instruction, en permettant le recrutement des salariés du commerce dans des classes qui précédemment ne fournissaient pas des travailleurs de ce genre et étaient habitués à une vie moins aisée, augmente le nombre des candidats et les pousse à la concurrence; par suite, leur force de travail se déprécie et leur rémunération baisse à mesure que leurs capacités et leurs aptitudes se perfectionnent. Le capitaliste en augmente le nombre chaque fois qu'il doit réaliser plus de valeur et par conséquent plus de profit, de sorte que cette augmentation est un effet et non une cause de l'accroissement de la plus-value[2].

Il se produit donc un dédoublement : d'une part, les fonctions du capital-marchandise et du capital-argent répondent à des formes générales du capital industriel; d'autre part, des capitaux et des capitalistes spéciaux sont exclusivement occupés par ces fonctions qui correspondent à des sphères spéciales de la mise en valeur du capital.

Les fonctions commerciales et les frais de circulation ne sont spécialisés que pour le capital commercial. La partie du capital industriel consacrée aux opérations commerciales est caractérisée, non seulement en ce qu'elle se présente sous forme de capital-marchandise et de capital-argent, mais aussi en ce qu'elle fonctionne dans le bureau à coté de l'atelier. Quand elle devient autonome et se transforme en capital commercial, le bureau devient son seul atelier. La partie du capital correspondant aux frais de circulation est beaucoup plus importante chez le grand commerçant que chez l'industriel, parce que les opérations commerciales de toute la classe des industriels sont concentrées aux mains de quelques commerçants qui s'occupent à la fois des fonctions et des frais de la circulation.

Au point de vue du capital industriel, les dépenses de la circulation sont de faux frais ; elles sont, au contraire, la source du profit du commerçant dont elles rendent l'entreprise d'autant plus lucrative - le taux général du profit étant donné - qu'elles sont plus considérables. L'avance pour les frais de la circulation est donc une avance productive pour le capitaliste commerçant et de même le travail qu'il achète est pour lui immédiatement productif.

  1. John Bellers.
  2. Cette prédiction faite en 1865 au sujet du sort du prolétariat du commerce s'est complètement vérifiée depuis, et parmi ceux qui peuvent en certifier, il faut citer en première ligne les centaines d'employés allemands qui, connaissant à fond toutes les opérations commerciales et possédant trois ou quatre langues, offrent en vain leurs services dans la Cité de Londres, à raison de 25 shillings par semaine, bien au-dessous du salaire d'un mécanicien habile. Une lacune de deux pages dans le manuscrit indique que ce point avait été détaillé plus longuement. Au surplus qu'on veuille s'en rapporter au volume II, chapitre VI (les frais de circulation) qui s'occupe de différents points qui sont traités ici. - F. E.