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Special pages :
Ch. 13 : Coopération
- Préfaces et postfaces
- Première section : La marchandise et la monnaie
- Ch. 1 : La marchandise
- Ch. 2 : Des échanges
- Ch. 3 : La monnaie ou la circulation des marchandises
- Deuxième section : La transformation de l'argent en capital
- Ch. 4 : La formule générale du capital
- Ch. 5 : Les contradictions de la formule générale du capital
- Ch. 6 : Achat et vente de la force de travail
- Troisième section : la production de la plus-value absolue
- Ch. 7 : Production de valeurs d'usage et production de la plus-value
- Ch. 8 : Capital constant et capital variable
- Ch. 9 : Le taux de la plus-value
- Ch. 10 : La journée de travail
- Ch. 11 : Taux et masse de la plus-value
- Quatrième section : La production de la plus-value relative
- Ch. 12 : La plus-value relative
- Ch. 13 : Coopération
- Ch. 14 : Division du travail et manufacture
- Ch. 15 : Machinisme et grande industrie
- Cinquième section : Recherches ultérieures sur la production de la plus-value
- Ch. 16 : Plus-value absolue et plus-value relative
- Ch. 17 : Variations dans le rapport de grandeur entre la plus-value et la valeur de la force de travail
- Ch. 18 : Formules diverses pour le taux de la plus-value
- Sixème section : Le salaire
- Ch. 19 : Transformation de la valeur ou du prix de la force de travail en salaire
- Ch. 20 : Le salaire au temps
- Ch. 21 : Le salaire aux pièces
- Ch. 22 : Différence dans le taux des salaires nationaux
- Septième section : Accumulation du capital
- Ch. 23 : Reproduction simple
- Ch. 24 : Transformation de la plus-value en capital
- Ch. 25 : Loi générale de l’accumulation capitaliste
- Huitième section : L'accumulation primitive
- Ch. 26 : Le secret de l’accumulation primitive
- Ch. 27 : L’expropriation de la population campagnarde
- Ch. 28 : La législation sanguinaire contre les expropriés à partir de la fin du XV° siècle. - Les lois sur les salaires.
- Ch. 29 : La genèse du fermier capitaliste
- Ch. 30 : Contrecoup de la révolution agricole sur l’industrie. – Établissement du marché intérieur pour le capital industriel
- Ch. 31 : Genèse du capitaliste industriel
- Ch. 32 : Tendance historique de l’accumulation capitaliste
- Ch. 33 : La théorie moderne de la colonisation
La production capitaliste ne commence en fait à s'établir que là où un seul maître exploite beaucoup de salariés à la fois, où le procès de travail, exécuté sur une grande échelle, demande pour l'écoulement de ses produits un marché étendu. Une multitude d'ouvriers fonctionnant en même temps sous le commandement du même capital, dans le même espace (ou si l'on veut sur le même champ de travail), en vue de produire le même genre de marchandises, voilà le point de départ historique de la production capitaliste. C'est ainsi qu'à son début, la manufacture proprement dite se distingue à peine des métiers du moyen âge si ce n'est pas le plus grand nombre d'ouvriers exploités simultanément. L'atelier du chef de corporation n'a fait qu'élargir ses dimensions. La différence commence par être purement quantitative.
Le nombre des ouvriers exploités ne change en rien le degré d'exploitation, c'est-à-dire le taux de la plus-value que rapporte un capital donné. Et des changements ultérieurs qui affecteraient le mode de production, ne semblent pas pouvoir affecter le travail en tant qu'il crée de la valeur. La nature de la valeur le veut ainsi. Si une journée de douze heures se réalise en six shillings, cent journées se réaliseront en 6 shillings x 100; douze heures de travail étaient d'abord incorporées aux produits, maintenant mille deux cents le seront. Cent ouvriers travaillant isolément, produiront donc autant de valeur que s'ils étaient réunis sous la direction du même capital.
Néanmoins, en de certaines limites une modification a lieu. Le travail réalisé en valeur est du travail de qualité sociale moyenne, c'est-à-dire la manifestation d'une force moyenne. Une moyenne n'existe qu'entre grandeurs de même dénomination. Dans chaque branche d'industrie l'ouvrier isolé, Pierre ou Paul, s'écarte plus ou moins de l'ouvrier moyen. Ces écarts individuels ou ce que mathématiquement on nomme erreurs se compensent et s'éliminent dès que l'on opère sur un grand nombre d'ouvriers. Le célèbre sophiste et sycophante Edmund Burke, se basant sur sa propre expérience de fermier, assure que même « dans un peloton aussi réduit » qu'un groupe de cinq garçons de ferme, toute différence individuelle dans le travail disparaît, de telle sorte que cinq garçons de ferme anglais adultes pris ensemble font, dans un temps donné, autant de besogne que n'importe quel cinq autres[1]. Que cette observation soit exacte ou non, la journée d'un assez grand nombre d'ouvriers exploités simultanément constitue une journée de travail social, c’est-à-dire moyen. Supposons que le travail quotidien dure douze heures. Douze ouvriers travailleront alors cent quarante-quatre heures par jour, et quoique chacun d'eux s'écarte plus ou moins de la moyenne et exige par conséquent plus ou moins temps pour la même opération, leur journée collective comptant cent quarante-quatre heures possède la même qualité sociale moyenne. Pour le capitaliste qui exploite les douze ouvriers la journée de travail est de cent quarante-quatre heures et la journée individuelle de chaque ouvrier ne compte plus que comme quote-part de cette journée collective; il importe peu que les douze coopèrent à un produit d'ensemble, ou fassent simplement la même besogne côte à côte. Mais si au contraire les douze ouvriers étaient répartis entre six petits patrons, ce serait pur hasard si chaque patron tirait de sa paire la même valeur et réalisait par conséquent le taux général de la plus-value. Il y aura des divergences. Si un ouvrier dépense dans la fabrication d'un objet beaucoup plus d'heures qu'il n'en faut socialement et qu'ainsi le temps de travail nécessaire pour lui individuellement s'écarte d’une manière sensible de la moyenne, alors son travail ne comptera plus comme travail moyen, ni sa force comme force moyenne; elle se vendra au-dessous du prix courant ou pas du tout.
Un minimum d'habileté dans le travail est donc toujours sous-entendu et nous verrons plus tard que la production capitaliste sait le mesurer. Il n'en est pas moins vrai que ce minimum s’écarte de la moyenne, et cependant la valeur moyenne de la force de travail doit être payée. Sur les six petits patrons l'un retirera donc plus, l'autre moins que le taux général de la plus-value. Les différences se compenseront pour la société, mais non pour le petit patron. Les lois de la production de la valeur ne se réalisent donc complètement que pour le capitaliste qui exploite collectivement beaucoup d'ouvriers et met ainsi en mouvement du travail social moyen[2].
Même si les procédés d'exécution ne subissent pas de changements, l'emploi d'un personnel nombreux amène une révolution dans les conditions matérielles du travail. Les bâtiments, les entrepôts pour les matières premières et marchandises en voie de préparation, les instruments, les appareils de toute sorte, en un mot les moyens de production servent à plusieurs ouvriers simultanément : leur usage devient commun. Leur valeur échangeable ne s'élève pas parce qu'on en tire plus de services utiles mais parce qu'ils deviennent plus considérables. Une chambre où vingt tisserands travaillent avec vingt métiers doit être plus spacieuse que celle d'un tisserand qui n'occupe que deux compagnons. Mais la construction de dix ateliers pour vingt tisserands travaillant deux à deux coûte plus que celle d'un seul où vingt travailleraient en commun. En général, la valeur de moyens de production communs et concentrés ne croît pas proportionnellement à leurs dimensions et à leur effet utile. Elle est plus petite que la valeur de moyens de production disséminés qu'ils remplacent et de plus se répartit sur une masse relativement plus forte de produits. C'est ainsi qu'un élément du capital constant diminue et par cela même la portion de valeur qu'il transfère aux marchandises. L'effet est le même que si l'on avait fabriqué par des procédés moins coûteux les moyens de production. L'économie dans leur emploi ne provient que de leur consommation en commun. Ils acquièrent ce caractère de conditions sociales de travail, qui les distingue des moyens de production éparpillés et relativement plus chers, lors même que les ouvriers rassemblés ne concourent pas à un travail d'ensemble, mais opèrent tout simplement l'un à côté de l'autre dans le même atelier. Donc, avant le travail lui-même, ses moyens matériels prennent un caractère social.
L'économie des moyens de production se présente sous un double point de vue. Premièrement elle diminue le prix de marchandises et par cela même la valeur de la force de travail. Secondement, elle modifie le rapport entre la plus-value et le capital avancé, c'est-à-dire la somme de valeur de ses parties constantes et variables. Nous ne traiterons ce dernier point que dans le troisième livre de cet ouvrage. La marche de l'analyse nous commande ce morcellement de notre sujet; il est d'ailleurs conforme à l'esprit de la production capitaliste. Là les conditions du travail apparaissent indépendantes du travailleur; leur économie se présente donc comme quelque chose qui lui est étranger et tout à fait distinct des méthodes qui servent à augmenter sa productivité personnelle.
Quand plusieurs travailleurs fonctionnent ensemble en vue d'un but commun dans le même procès de production ou dans des procès différents mais connexes, leur travail prend la forme coopérative[3].
De même que la force d'attaque d'un escadron de cavalerie ou la force de résistance d'un régiment d'infanterie diffère essentiellement de la somme des forces individuelles, déployées isolément par chacun des cavaliers ou fantassins, de même la somme des forces mécaniques d'ouvriers isolés diffère de la force mécanique qui se développe dès qu'ils fonctionnent conjointement et simultanément dans une même opération indivise, qu'il s'agisse par exemple de soulever un fardeau, de tourner une manivelle ou d'écarter un obstacle[4]. Dans de telles circonstances le résultat du travail commun ne pourrait être obtenu par le travail individuel, ou ne le serait qu'après un long laps de temps ou sur une échelle tout à fait réduite. Il s'agit non seulement d'augmenter les forces productives individuelles mais de créer par le moyen de la coopération une force nouvelle ne fonctionnant que comme force collective[5].
A part la nouvelle puissance qui résulte de la fusion de nombreuses forces en une force commune, le seul contact social produit une émulation et une excitation des esprits animaux (animal spirits) qui élèvent la capacité individuelle d'exécution assez pour qu'une douzaine de personnes fournissent dans leur journée combinée de cent quarante-quatre heures un produit beaucoup plus grand que douze ouvriers isolés dont chacun travaillerait douze heures, ou qu'un seul ouvrier qui travaillerait douze jours de suite[6]. Cela vient de ce que l'homme est par nature, sinon un animal politique, suivant l'opinion d'Aristote, mais dans tous les cas un animal social[7].
Quand même des ouvriers opérant ensemble feraient en même temps la même besogne, le travail de chaque individu en tant que partie du travail collectif, peut représenter une phase différente dont l'évolution est accélérée par suite de la coopération. Quand douze maçons font la chaîne pour faire passer des pierres de construction du pied d'un échafaudage à son sommet, chacun d'eux exécute la même manœuvre et néanmoins toutes les manœuvres individuelles, parties continues d'une opération d'ensemble, forment diverses phases par lesquelles doit passer chaque pierre et les vingt-quatre mains du travailleur collectif la font passer plus vite que ne le feraient les deux mains de chaque ouvrier isolé montant et descendant l'échafaudage[8]. Le temps dans lequel l'objet de travail parcourt un espace donné, est donc raccourci.
Une combinaison de travaux s'opère encore, bien que les coopérants fassent la même besogne ou des besognes identiques, quand ils attaquent l'objet de leur travail de différents côtés à la fois. Douze maçons, dont la journée combinée compte cent quarante-quatre heures de travail, simultanément occupés aux différents côtés d'une bâtisse, avancent l’œuvre beaucoup plus rapidement que ne le ferait un seul maçon en douze jours ou en cent quarante-quatre heures de travail. La raison est que le travailleur collectif a des yeux et des mains par-devant et par derrière et se trouve jusqu'à un certain point présent partout. C'est ainsi que des parties différentes du produit, séparées par l'espace, viennent à maturité dans le même temps.
Nous n'avons fait que mentionner les cas où les ouvriers se complétant mutuellement, font la même besogne ou des besognes semblables. C'est la plus simple forme de la coopération, mais elle se retrouve, comme élément, dans la forme la plus développée.
Si le procès de travail est compliqué, le seul nombre des coopérateurs permet de répartir les diverses opérations entre différentes mains, de les faire exécuter simultanément et de raccourcir ainsi le temps nécessaire à la confection du produit[9].
Dans beaucoup d'industries il y a des époques déterminées, des moments critiques qu'il faut saisir pour obtenir le résultat voulu. S'agit-il de tondre un troupeau de moutons ou d'engranger la récolte, la qualité et la quantité du produit dépendent de ce que le travail commence et finit à des termes fixes. Le laps de temps pendant lequel le travail doit s'exécuter est déterminé ici par sa nature même comme dans le cas de la pêche aux harengs.
Dans le jour naturel l'ouvrier isolé ne peut tailler qu'une journée de travail, soit une de douze heures; mais la coopération de cent ouvriers entassera dans un seul jour douze cents heures de travail. La brièveté du temps disponible est ainsi compensée par la masse du travail jetée au moment décisif sur le champ de production. L'effet produit à temps dépend ici de l'emploi simultané d'un grand nombre de journées combinées et l'étendue de l'effet utile du nombre des ouvriers employés[10]. C'est faute d'une coopération de ce genre que dans l'ouest des Etats-Unis des masses de blé, et dans certaines parties de l'Inde où la domination anglaise a détruit les anciennes communautés, des masses de coton sont presque tous les ans dilapidées[11].
La coopération permet d'agrandir l'espace sur lequel le travail s'étend; certaines entreprises, comme le dessèchement, l'irrigation du sol, la construction de canaux, de routes, de chemins de fer, etc., la réclament à ce seul point de vue. D'autre part, tout en développant l'échelle de la production, elle permet de rétrécir l'espace où le procès du travail s'exécute. Ce double effet, levier si puissant dans l'économie de faux frais, n'est dû qu'à l'agglomération des travailleurs, au rapprochement d'opérations diverses, mais connexes, et à la concentration des moyens de production[12].
Comparée à une somme égale de journées de travail individuelles et isolées, la journée de travail combinée rend plus de valeurs d'usage et diminue ainsi le temps nécessaire pour obtenir l'effet voulu. Que la journée de travail combinée acquière cette productivité supérieure en multipliant la puissance mécanique du travail, en étendant son action dans l'espace ou en resserrant le champ de production par rapport à son échelle, en mobilisant aux moments critiques de grandes quantités de travail, en développant l'émulation, en excitant les esprits animaux, en imprimant aux efforts uniformes de plusieurs ouvriers soit le cachet de la multiformité, soit celui de la continuité, en exécutant simultanément des opérations diverses, en économisant des instruments par leur consommation en commun, ou en communiquant aux travaux individuels le caractère de travail moyen; la force productive spécifique de la journée combinée est une force sociale du travail ou une force du travail social. Elle naît de la coopération elle-même. En agissant conjointement avec d'autres dans un but commun et d'après un plan concerté, le travailleur efface les bornes de son individualité et développe sa puissance comme espèce[13].
En général, des hommes ne peuvent pas travailler en commun sans être réunis. Leur rassemblement est la condition même de leur coopération. Pour que des salariés puissent coopérer, il faut que le même capital, le même capitaliste les emploie simultanément et achète par conséquent à la fois leurs forces de travail. La valeur totale de ces forces ou une certaine somme de salaires pour le jour, la semaine, etc., doit être amassée dans la poche du capitaliste avant que les ouvriers soient réunis dans le procès de production. Le payement de trois cents ouvriers à la fois, ne fût-ce que pour un seul jour, exige une plus forte avance de capital que le payement d'un nombre inférieur d'ouvriers, par semaine, pendant toute une année. Le nombre des coopérants, ou l'échelle de la coopération, dépend donc en premier lieu de la grandeur du capital qui peut être avancé pour l'achat de forces de travail, c'est-à-dire de la proportion dans laquelle un seul capitaliste dispose des moyens de subsistance de beaucoup d'ouvriers.
Et il en est du capital constant comme du capital variable. Les matières premières, par exemple, coûtent trente fois plus au capitaliste qui occupe trois cents ouvriers qu'à chacun des trente capitalistes n'en employant que dix. Si la valeur et la quantité des instruments de travail usés en commun ne croissent pas proportionnellement au nombre des ouvriers exploités, elles croissent aussi cependant considérablement. La concentration des moyens de production entre les mains de capitalistes individuels est donc la condition matérielle de toute coopération entre des salariés.
Nous avons vu (ch. XI) qu'une somme de valeur ou d'argent, pour se transformer en capital, devait atteindre une certaine grandeur minima, permettant à son possesseur d'exploiter assez d'ouvriers pour pouvoir se décharger sur eux du travail manuel. Sans cette condition, le maître de corporation et le petit patron n'eussent pu être remplacés par le capitaliste, et la production même n'eût pu revêtir le caractère formel de production capitaliste. Une grandeur minima de capital entre les mains de particuliers se présente maintenant à nous sous un tout autre aspect; elle est la concentration de richesses nécessitée pour la transformation des travaux individuels et isolés en travail social et combiné; elle devient la base matérielle des changements que le mode de production va subir.
Aux débuts du capital, son commandement sur le travail a un caractère purement formel et presque accidentel. L'ouvrier ne travaille alors sous les ordres du capital que parce qu'il lui a vendu sa force; il ne travaille pour lui que parce qu'il n'a pas les moyens matériels pour travailler à son propre compte. Mais dès qu'il y a coopération entre des ouvriers salariés, le commandement du capital se développe comme une nécessité pour l'exécution du travail, comme une condition réelle de production. Sur le champ de la production, les ordres du capital deviennent dès lors aussi indispensables que le sont ceux du général sur le champ de bataille.
Tout le travail social ou commun, se déployant sur une assez grande échelle, réclame une direction pour mettre en harmonie les activités individuelles. Elle doit remplir les fonctions générales qui tirent leur origine de la différence existante entre le mouvement d'ensemble du corps productif et les mouvements individuels des membres indépendants dont il se compose. Un musicien exécutant un solo se dirige lui-même, mais un orchestre a besoin d'un chef.
Cette fonction de direction, de surveillance et de médiation devient la fonction du capital dès que le travail qui lui est subordonné devient coopératif, et comme fonction capitaliste elle acquiert des caractères spéciaux.
L'aiguillon puissant, le grand ressort de la production capitaliste, c'est la nécessité de faire valoir le capital; son but déterminant, c'est la plus grande extraction possible de plus-value[14], ou ce qui revient au même, la plus grande exploitation possible de la force de travail. A mesure que la masse des ouvriers exploitée simultanément grandit, leur résistance contre le capitaliste grandit, et par conséquent la pression qu'il faut exercer pour vaincre cette résistance. Entre les mains du capitaliste la direction n'est pas seulement cette fonction spéciale qui naît de la nature même du procès de travail coopératif ou social, mais elle est encore, et éminemment, la fonction d'exploiter le procès de travail social, fonction qui repose sur l'antagonisme inévitable entre l'exploiteur et la matière qu'il exploite.
De plus, à mesure que s'accroît l'importance des moyens de production qui font face au travailleur comme propriété étrangère, s'accroît la nécessité d'un contrôle, d'une vérification de leur emploi d'une manière convenable[15].
Enfin, la coopération d'ouvriers salariés n'est qu'un simple effet du capital qui les occupe simultanément. Le lien entre leurs fonctions individuelles et leur unité comme corps productif se trouve en dehors d'eux dans le capital qui les réunit et les retient. L'enchaînement de leurs travaux leur apparaît idéalement comme le plan du capitaliste et l'unité de leur corps collectif leur apparaît pratiquement comme son autorité, la puissance d'une volonté étrangère qui soumet leurs actes à son but.
Si donc la direction capitaliste, quant à son contenu, a une double face, parce que l'objet même qu'il s'agit de diriger, est d'un côté, procès de production coopératif, et d'autre côté, procès d'extraction de plus-value, - la forme de cette direction devient nécessairement despotique. - Les formes particulières de ce despotisme se développent à mesure que se développe la coopération.
Le capitaliste commence par se dispenser du travail manuel. Puis, quand son capital grandit et avec lui la force collective qu'il exploite, il se démet de sa fonction de surveillance immédiate et assidue des ouvriers et des groupes d'ouvriers et la transfère à une espèce particulière de salariés. Dès qu'il se trouve à la tête d'une armée industrielle, il lui faut des officiers supérieurs (directeurs, gérants) et des officiers inférieurs (surveillants, inspecteurs, contremaîtres), qui, pendant le procès de travail, commandent au nom du capital. Le travail de la surveillance devient leur fonction exclusive. Quand l'économiste compare le mode de production des cultivateurs ou des artisans indépendants avec l'exploitation fondée sur l'esclavage, telle que la pratiquent les planteurs, il compte ce travail de surveillance parmi les faux frais[16]. Mais s'il examine le mode de production capitaliste, il identifie la fonction de direction et de surveillance, en tant qu'elle dérive de la nature du procès de travail coopératif, avec cette fonction, en tant qu'elle a pour fondement le caractère capitaliste et conséquemment antagonique de ce même procès[17]. Le capitaliste n'est point capitaliste parce qu'il est directeur industriel; il devient au contraire chef d'industrie parce qu'il est capitaliste. Le commandement dans l'industrie devient l'attribut du capital, de même qu'aux temps féodaux la direction de la guerre et l'administration de la justice étaient les attributs de la propriété foncière[18].
L'ouvrier est propriétaire de sa force de travail tant qu'il en débat le prix de vente avec le capitaliste, et il ne peut vendre que ce qu'il possède, sa force individuelle. Ce rapport ne se trouve en rien modifié, parce que le capitaliste achète cent forces de travail au lieu d'une, ou passe contrat non avec un, mais avec cent ouvriers indépendants les uns des autres et qu'il pourrait employer sans les faire coopérer. Le capitaliste paye donc à chacun des cent sa force de travail indépendante, mais il ne paye pas la force combinée de la centaine. Comme personnes indépendantes, les ouvriers sont des individus isolés qui entrent en rapport avec le même capital mais non entre eux. Leur coopération ne commence que dans le procès de travail; mais là ils ont déjà cessé de s'appartenir. Dès qu'ils y entrent, ils sont incorporés au capital. En tant qu'ils coopèrent, qu'ils forment les membres d'un organisme actif, ils ne sont même qu'un mode particulier d'existence du capital. La force productive que des salariés déploient en fonctionnant comme travailleur collectif, est par conséquent force productive du capital. Les forces sociales du travail se développent sans être payées dès que les ouvriers sont placés dans certaines conditions et le capital les y place. Parce que la force sociale du travail ne coûte rien au capital, et que, d'un autre côté, le salarié ne la développe que lorsque son travail appartient au capital, elle semble être une force dont le capital est doué par nature, une force productive qui lui est immanente.
L'effet de la coopération simple éclate d'une façon merveilleuse dans les oeuvres gigantesques des anciens Asiatiques, des Egyptiens, des Étrusques, etc.
« Il arrivait à des époques reculées que ces Etats de l'Asie, leurs dépenses civiles et militaires une fois réglées, se trouvaient en possession d'un excédent de subsistances qu'ils pouvaient consacrer à des oeuvres de magnificence et d'utilité. Leur pouvoir de disposer du travail de presque toute la population non agricole et le droit exclusif du monarque et du sacerdoce sur l'emploi de cet excédent, leur fournissaient les moyens d'élever ces immenses monuments dont ils couvraient tout le pays... Pour mettre en mouvement les statues colossales et les masses énormes dont le transport excite l'étonnement, on n'employait presque que du travail humain, mais avec la plus excessive prodigalité. Le nombre des travailleurs et la concentration de leurs efforts suffisaient. Ainsi voyons-nous des bancs énormes de corail surgir du fond de l'Océan, former des îles et de la terre ferme, bien que chaque individu qui contribue à les constituer soit faible, imperceptible et méprisable. Les travailleurs non agricoles d'une monarchie asiatique avaient peu de chose à fournir en dehors de leurs efforts corporels; mais leur nombre était leur force, et la despotique puissance de direction sur ces masses donna naissance à leurs oeuvres gigantesques. La concentration en une seule main ou dans un petit nombre de mains des revenus dont vivaient les travailleurs, rendit seule possible l'exécution de pareilles entreprises[19]. »
Cette puissance des rois d'Asie et d'Egypte, des théocrates étrusques, etc., est, dans la société moderne, échue au capitaliste isolé ou associé par l'entremise des commandites, des sociétés par actions, etc.
La coopération, telle que nous la trouvons à l'origine de la civilisation humaine, chez les peuples chasseurs[20], dans l'agriculture des communautés indiennes, etc., repose sur la propriété en commun des conditions de production et sur ce fait, que chaque individu adhère encore à sa tribu ou à la communauté aussi fortement qu'une abeille à son essaim. Ces deux caractères la distinguent de la coopération capitaliste. L'emploi sporadique de la coopération sur une grande échelle, dans l'antiquité, le moyen âge et les colonies modernes, se fonde sur des rapports immédiats de domination et de servitude, généralement sur l'esclavage. Sa forme capitaliste présuppose au contraire le travailleur libre, vendeur de sa force. Dans l'histoire, elle se développe en opposition avec la petite culture des paysans et l'exercice indépendant des métiers, que ceux-ci possèdent ou non la forme corporative[21]. En face d'eux la coopération capitaliste n'apparaît point comme une forme particulière de la coopération; mais au contraire la coopération elle-même comme la forme particulière de la production capitaliste.
Si la puissance collective du travail, développée par la coopération, apparaît comme force productive du capital, la coopération apparaît comme mode spécifique de la production capitaliste. C'est là la première phase de transformation que parcourt le procès de travail par suite de sa subordination au capital. Cette transformation se développe spontanément. Sa base, l'emploi simultané d'un certain nombre de salariés dans le même atelier, est donnée avec l'existence même du capital, et se trouve là comme résultat historique des circonstances et des mouvements qui ont concouru à décomposer l'organisme de la production féodale.
Le mode de production capitaliste se présente donc comme nécessité historique pour transformer le travail isolé en travail social; mais, entre les mains du capital, cette socialisation du travail n'en augmente les forces productives que pour l'exploiter avec plus de profit.
Dans sa forme élémentaire, la seule considérée jusqu'ici, la coopération coïncide avec la production sur une grande échelle. Sous cet aspect elle ne caractérise aucune époque particulière de la production capitaliste, si ce n'est les commencements de la manufacture encore professionnelle[22] et ce genre d'agriculture en grand qui correspond à la période manufacturière et se distingue de la petite culture moins par ses méthodes que par ses dimensions. La coopération simple prédomine aujourd'hui encore dans les entreprises où le capital opère sur une grande échelle, sans que la division du travail ou l'emploi des machines y jouent un rôle important.
Le mode fondamental de la production capitaliste, c'est la coopération dont la forme rudimentaire, tout en contenant le germe de formes plus complexes, ne reparaît pas seulement dans celles-ci comme un de leurs éléments, mais se maintient aussi à côté d'elles comme mode particulier.
- ↑ « Sans contredit, il y a beaucoup de différences entre la valeur du travail d'un homme et celle d'un autre, sous le rapport de la force, de la dextérité et de l'application consciencieuse. Mais je suis parfaitement convaincu, et d'après des expériences rigoureuses, que n'importe quels cinq hommes, étant donné les périodes de vie que j'ai fixées, fourniront la même quantité de travail que n’importe quels autres cinq hommes; c'est-à-dire que parmi ces cinq hommes, un possédera toutes les qualités d'un bon ouvrier, un autre d'un mauvais, et les trois autres ne seront ni bons ni mauvais, mais entre les deux. Ainsi donc dans un si petit peloton que cinq hommes, vous trouverez tout ce que peuvent gagner cinq hommes. » E. Burke, l.c., p.16. Consulter Quételet sur l'Homme moyen.
- ↑ Le professeur Roscher découvre qu'une couturière que madame son épouse occupe pendant deux jours fait plus de besogne que les deux couturières qu’elle occupe le même jour. Monsieur le professeur ferait bien de ne plus étudier le procès de production capitaliste dans la chambre de la nourrice, ni dans des circonstances où le personnage principal, le capitaliste, fait défaut.
- ↑ « Concours de forces. » Destutt de Tracy, l.c., p.78.
- ↑ « Il y a une multitude d'opérations d'un genre si simple qu'elles n'admettent lent pas la moindre division parcellaire et ne peuvent être accomplies sans la coopération d'un grand nombre de mains : le chargement d'un gros arbre sur un chariot par exemple... en un mot tout ce qui ne peut être fait si des mains nombreuses ne s'aident pas entre elles dans le même acte indivis et dans le même temps. » (E. G. Wakefield : A View of the Art of Colonization. London, 1849, p.168.)
- ↑ « Qu'il s'agisse de soulever un poids d'une tonne, un seul homme ne le pourra point, dix hommes seront obligés de faire des efforts; mais cent hommes, y parviendront aisément avec le petit doigt. » (John Bellers: Proposals for raising a college of industry. Lond. 1696, p.21.)
- ↑ « Il y a donc » (quand un même nombre de travailleurs est employé par un cultivateur sur trois cents arpents au lieu de l'être par dix cultivateurs sur trente arpents) « un avantage dans la proportion des ouvriers, avantage qui ne peut être bien compris que par des hommes pratiques; on est en effet porté à dire que comme un est à quatre ainsi trois est à douze, mais ceci ne se soutient pas dans la réalité. Au temps de la moisson et à d'autres époques semblables, alors qu'il faut se hâter, l'ouvrage se fait plus vite et mieux si l'on emploie beaucoup de bras à la fois. Dans la moisson par exemple, deux conducteurs, deux chargeurs, deux lieurs, deux racleurs, et le reste au tas ou dans la grange, feront deux fois plus de besogne que n'en ferait le même nombre de bras, s'il se distribuait entre différentes fermes. » (An Inquiry into the Connection between the present price of provisions and the size of farms. By a Farmer. Lond. 1773, p.7, 8.)
- ↑ La définition d'Aristote est à proprement parier celle-ci, que l'homme est par nature citoyen, c'est-à-dire habitant de ville. Elle caractérise l'antiquité classique tout aussi bien que la définition de Franklin : « L'homme est naturellement un fabricant d'outils », caractérise le Yankee.
- ↑ V. G. Skarbek: Théorie des richesses sociales. 2° édit. Paris, 1870, t. 1, p.97, 98.
- ↑ « Est-il question d'exécuter un travail compliqué? Plusieurs choses doivent être faites simultanément. L'un en fait une, pendant que l'autre en fait une aune, et tous contribuent à l'effet qu'un seul n'aurait pu produire. L'un rame pendant que l'autre tient le gouvernail, et qu'un troisième jette le filet ou harponne le poisson, et la pêche a un succès impossible sans ce concours. » (Destutt de Tracy, l.c.)
- ↑ « L'exécution du travail (en agriculture) précisément aux moments critiques, est d'une importance de premier ordre. » (An Inquiry into the Connection between the present price etc.) « En agriculture, il n'y a pas de facteur plus important que le temps. » (Liebig : Ueber Theorie and Praxis in der Landwirthschaft, 1856, p.23.)
- ↑ « Un mal que l'on ne s'attendrait guère à trouver dans un pays qui exporte te plus de travailleurs que tout autre au monde, à l'exception peut-être de la Chine et de l'Angleterre, c'est l'impossibilité de se procurer un nombre suffisant de mains pour nettoyer le coton. Il en résulte qu'une bonne part de la moisson n'est pas recueillie et qu'une autre partie une fois ramassée décolore et pourrit. De sorte que faute de travailleurs à !a saison voulue, le cultivateur est forcé de subir la perte d'une forte part de cette récolte que l'Angleterre attend avec tant d'anxiété. » (Bengal Hurcuru By Monthly Overland Summary of News, 22 July 1861.)
- ↑ « Avec le progrès de la culture tout, et plus peut-être que tout le capital et le travail autrefois disséminés sur cinq cents arpents, sont aujourd'hui concentrés pour la culture perfectionnée de cent arpents. » Bien que « relativement au montant du capital et du travail employés l'espace soit concentré, néanmoins la sphère de production est élargie, si on la compare à la sphère de production occupée ou exploitée auparavant par un simple producteur indépendant ». (R. Jones : On Rent. Lond., 1831, p.191,199.)
- ↑ « La force de chaque homme est très petite, mais la réunion de petites forces engendre une force totale plus grande que leur somme, en sorte que par le fait seul de leur réunion elles peuvent diminuer le temps et accroître l'espace de leur action. » (G. R. Carli, l.c., t. XV, p.176, note.) « Le travail collectif donne des résultats que le travail individuel ne saurait jamais fournir. A mesure donc que l'humanité augmentera en nombre, les produits de l'industrie réunie excéderont de beaucoup la somme d'une simple addition calculée sur cette augmentation... Dans les arts mécaniques comme dans les travaux de la science, un homme peut actuellement faire plus dans un jour qu'un individu isolé pendant toute sa vie. L'axiome des mathématiciens, que le tout est égal aux parties, n'est plus vrai, appliqué à notre sujet. Quant au travail, ce grand pilier de l'existence humaine, on peut dire que le produit des efforts accumulés excède de beaucoup tout ce que des efforts individuels et séparés peuvent jamais produire. » (Th. Sadler : The Law of Population. London, 1850.)
- ↑ « Le profit... tel est le but unique du commerce. » (J. Vanderlint, l.c., p.11.)
- ↑ Une feuille anglaise archi-bourgeoise, le Spectateur du 3 juin 1866, rapporte qu'à la suite de l'établissement d'une espèce de société entre capitalistes et ouvriers dans la « Wirework company » de Manchester, « le premier résultat apparent fut une diminution soudaine du dégât, les ouvriers ne voyant pas pourquoi ils détruiraient leur propriété. et le dégât est peut-être avec les mauvaises créances, la plus grande source de pertes pour les manufactures ». Cette même feuille découvre dans les essais coopératifs de Rochdale un défaut fondamental. « Ils démontrent que des associations ouvrières peuvent conduire et administrer avec succès des boutiques, des fabriques dans toutes les branches de l'industrie, et en même temps améliorer extraordinairement la condition des travailleurs, mais! mais on ne voit pas bien quelle place elles laissent au capitaliste. » Quelle horreur !
- ↑ Après avoir démontré que la surveillance du travail est une des conditions essentielles de la production esclavagiste dans les Etats du Sud de l'Union américaine, le professeur Cairnes ajoute : « Le paysan propriétaire (du Nord) qui s'approprie le produit total de sa terre, n'a pas besoin d'un autre stimulant pour travailler. Toute surveillance est ici superflue. » (Cairnes, l.c., p.48, 49.)
- ↑ Sir James Stewart, qui en général analyse avec une grande perspicacité les différences sociales caractéristiques des divers modes de production, fait la réflexion suivante : « Pourquoi l'industrie des particuliers est-elle ruinée par de grandes entreprises en manufactures, si ce n'est parce que celles-ci se rapprochent davantage de la simplicité du régime esclavagiste ? » (Princ. of Econ., trad. franç. Paris, 1789, t.1, p.308, 309.)
- ↑ Auguste Comte et son école ont cherché à démontrer l'éternelle nécessité des seigneurs du capital; ils auraient pu tout aussi bien et avec les mêmes raisons, démontrer celle des seigneurs féodaux.
- ↑ R. Jones : Textbook of Lectures, etc., p.77, 78. Les collections assyriennes, égyptiennes, etc., que possèdent les musées européens, nous montrent les procédés de ces travaux coopératifs.
- ↑ Linguet, dans sa Théorie des lois civiles, n'a peut-être pas tort de prétendre que la chasse est la première forme de coopération, et que la chasse à l'homme (la guerre) est une des premières formes de la chasse.
- ↑ La petite culture et le métier indépendant qui tous deux forment en partie la base du mode de production féodal, une fois celui-ci dissous, se maintiennent en partie à côté de l'exploitation capitaliste; ils formaient également la base économique des communautés anciennes à leur meilleure époque, alors que la propriété orientale originairement indivise se fut dissoute, et avant que l'esclavage se fût emparé sérieusement de la production.
- ↑ « Réunir pour une même oeuvre l'habileté, l'industrie et l'émulation d'un certain nombre d'hommes, n'est-ce pas le moyen de la faire réussir ? Et l'Angleterre aurait-elle pu d'une autre manière porter ses manufactures de drap à un aussi haut degré de perfection ? » (Berkeley : The Querist, Lond., 1750, p.521)