I. Le problème de la reproduction

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1. Objet de l'analyse[modifier le wikicode]

L'un des services les plus éminents que Marx ait rendus à la science économique, c'est la façon dont il a posé le problème de la reproduction du capital social. Il est caractéristique qu'il n'y ait eu, dans l'histoire de l'économie politique, que deux tentatives faites en vue de poser d'une façon exacte le problème : à son début, chez le père des physiocrates, Quesnay, et à sa fin, chez Karl Marx. Dans l'intervalle, le problème ne cesse de tourmenter l'économie politique bourgeoise, sans que celle-ci ait jamais réussi à le poser nettement et dans toute sa pureté, dégagé de tout problème accessoire, et, à plus forte raison, à le résoudre. Étant donné l'importance fondamen­tale de ce problème, on peut, jusqu'à un certain point, suivre d'après ces tentatives le développement de la science économique elle-même.

En quoi consiste le problème de la reproduction du capital social ? Littéralement, reproduction signifie simplement répétition, renouvellement du processus de repro­duction. C'est pourquoi au premier abord, il est difficile de se rendre compte en quoi la notion de reproduction se distingue en fait de la notion générale de production, et pourquoi il est nécessaire d'employer ici une expression spéciale. Mais cette répéti­tion, ce renouvellement constant du processus de production comporte précisément un élément spécial, très important. Tout d'abord, la répétition régulière de la produc­tion est la base et la condition générale de la consommation régulière, et, par là, de l'existence culturelle de la société humaine, dans toutes ses formes historiques. En ce sens, la notion de reproduction contient un élément historique culturel. La production ne peut être recommencée, la reproduction ne peut avoir lieu si cer­taines conditions, telles qu'instruments, matières premières, forces de travail, ne sont pas données, en tant que résultat de la période de production précédente. Aux étapes les plus primiti­ves du développement culturel, tout au début de la domination de la nature par l'hom­me, cette possibilité de reprise de la production dépend chaque fois, plus ou moins, du hasard. Aussi longtemps que la chasse ou la pêche constituent la base principale de l'existence de la société, la régularité dans le renouvellement de la production est fréquemment interrompue par des périodes de famine générale.

Chez un certain nombre de peuples primitifs, les nécessités de la reproduction, en tant que processus se reproduisant à intervalles réguliers, ont trouvé de bonne heure une expression traditionnelle et sociale dans certaines cérémonies de caractère reli­gieux. C'est ainsi que, d'après les travaux de Spencer et de Gillen, le culte des totems, chez les nègres de l'Australie, n'est autre chose que la survivance, figée dans des céré­monies religieuses, de certaines mesures, régulièrement répétées depuis des temps immé­moriaux, prises par les groupements sociaux en vue de se procurer et de conser­ver leur nourriture, tant animale que végétale. Mais seuls le labourage, l'apprivoise­ment des animaux domestiques et l'élevage dans des buts alimentaires rendirent possi­ble le cycle régulier de la consommation et de la production, qui constitue la caracté­ris­tique essentielle de la production. Dans cette mesure, la notion de reproduction apparaît par conséquent comme quelque chose de plus qu'une simple répétition : elle implique déjà un certain degré de domination de la nature par la société, ou, pour employer une expression économique, un certain niveau de productivité du travail.

D'autre part, le processus de production lui-même est, à toutes ses phases de développement social, un tout composé de deux éléments différents, quoique étroite­ment liés l'un à l'autre : des conditions techniques et sociales, c'est-à-dire de la forme déterminée des rapports des hommes avec la nature, et des rapports des hommes entre eux. La reproduction dépend dans une mesure égale de ces deux sortes de rapports. Dans quelle mesure elle est liée aux conditions de la technique du travail humain et n'est elle-même que le résultat d'un certain niveau de la productivité du travail, c'est ce que nous venons précisément d'indiquer. Mais non moins importante est l'influence exercée par les formes sociales existantes de la production.

Dans une société communiste agraire primitive, la reproduction, comme d'ailleurs tout le plan de la vie économique, est déterminée par la collectivité des travailleurs et ses organes démocratiques. La décision de la reprise du travail, son organisation, la recherche de ses conditions préliminaires : matières premières, instruments, forces de travail, enfin la fixation des dimensions et de la répartition de la reproduction, sont le résultat de la collaboration méthodique de la totalité des membres de la communauté. Dans une exploitation esclavagiste ou dans un domaine féodal, la reproduction est imposée sur la base de rapports de domination personnelle et est réglée dans tous ses détails, ses dimensions étant limitées par le droit de disposition du maître ou du seigneur sur une quantité plus ou moins grande de forces de travail étrangères. Dans la société capitaliste, la reproduction a un caractère tout particulier, ce dont il est facile de se rendre compte par un simple coup d’œil jeté sur certaines caractéristiques spéciales. Dans toutes les autres formes de société historiques connues, la reproduc­tion se fait régulièrement, dans la mesure où les conditions de cette reproduction, les moyens de production et les forces de travail existantes le permettent. Seules, des influences d'ordre extérieur, telles qu'une guerre dévastatrice ou une peste, entraînant avec elles une dépopulation et, par là, une destruction en masse de forces de travail et de moyens de production, peuvent avoir pour résultat d'interrompre la reproduction sur de vastes territoires de vieille culture et cela pour un temps plus ou moins long, ou, tout au moins, de la restreindre considérablement. De semblables phénomènes peuvent être amenés par la fixation despotique du plan de la production. Quand la volonté d'un pharaon, dans l'ancienne Égypte, enchaîna pour des dizaines d'années des milliers de fellahs à la construction des pyramides, ou quand, dans l'Égypte moderne, Ismaël pacha fit travailler, en qualité de serfs, 20000 fellahs à la cons­truction du canal de Suez, ou quand l'empereur Schi Hoang Ti, le fondateur de la dynastie Tsin, exténua, 200 ans avant Jésus-Christ, toute une génération et sacrifia quatre cent mille hommes, morts de faim et d'épuisement, pour construire la Grande Muraille, à la frontière septentrionale de la Chine, la conséquence fut, dans tous ces cas, que d'immenses surfaces de terres paysannes restèrent incultes, ce qui eut pour résultat d'interrompre pour de longues périodes toute vie économique régulière. Mais, dans chacun de ces cas, ces interruptions s'expliquaient manifestement par l'intervention arbitraire de la volonté personnelle dans la vie économique, en général. Il en est tout autrement dans la société capitaliste. Dans certaines périodes, nous voyons que, bien que les moyens de production matériels et les forces de travail nécessaires à la reproduction existent en quantité suffisante et que les besoins de la société ne soient pas entièrement satisfaits, la reproduction est interrompue complète­ment ou en partie. Mais ici, la cause n'en incombe plus aux interventions despotiques dans le domaine de la vie économique. En régime capitaliste, en effet, la reproduction dépend, abstraction faite de toutes conditions d'ordre technique, de cette seule condition sociale : à savoir que seuls sont fabriqués les produits dont on est sûr qu'ils seront réalisés, échangés contre de l'argent, et non seulement réalisés, mais encore réalisés avec un certain profit. Le profit, comme fin et moteur principal, domine ici par conséquent non seulement la production, mais aussi la reproduction, c'est-à-dire non seulement l'organisation du processus du travail et la répartition des produits, mais aussi la question de savoir si, dans quelles dimensions et dans quel sens sera repris le processus du travail, une fois terminée une première période de travail. « Si la production a la forme capitaliste, il en va de même de la reproduction[1]. »

Ce caractère purement historique du processus de reproduction de la société capitaliste en fait un problème tout à fait spécial et extrêmement complexe. Déjà, sa caractéristique extérieure manifeste sa particularité historique spécifique : il englobe non seulement la production, mais aussi la circulation (processus d'échange), qu'il unit en un seul tout.

Avant tout, la production capitaliste est une production faite par un nombre incalculable de producteurs individuels, travaillant sans aucun plan d'ensemble et dont le seul lien social entre eux est l'échange. La reproduction ne peut s'appuyer ici, pour déterminer la quantité des besoins sociaux, que sur les expériences de la période de travail précédente. Mais ces expériences sont des expériences individuelles de producteurs isolés, qui n'arrivent pas à trouver une expression sociale générale. D’autre part, ce ne sont jamais des expériences positives et directes sur les besoins de la société, mais des expériences indirectes et négatives qui, d'après le mouvement des prix, renseignent sur le trop ou le pas assez de la masse de produits fabriqués par rapport à la demande solvable. Mais c'est toujours sur la base de ces expériences touchant la période de production précédente que la reproduction a lieu, par l'entre­mise de producteurs individuels. Il ne peut, encore une fois, en résulter dans la période suivante qu'un trop ou un pas assez, chaque branche de production suivant son propre chemin, ce qui a pour résultat que l'une produit trop et l'autre pas assez. Mais étant donné l'état de dépendance technique dans lequel presque toutes les branches de production se trouvent les unes vis-à-vis des autres, un trop ou un pas assez dans quelques-unes des branches de production dirigeantes entraîne le même phénomène dans la plupart des autres branches de production. C'est ainsi que se succèdent régulièrement les périodes de surabondance générale ou de disette générale de produits. Il en résulte que la reproduction revêt dans la société capitaliste un caractère tout à fait spécial, différent de toutes les autres formes historiques de production. Premièrement, chaque branche de production a son mouvement propre, dans une certaine mesure, indépendant, qui conduit de temps en temps à des interruptions plus ou moins longues de la reproduction.

Deuxièmement, les déviations de la reproduction dans les différentes branches à l'égard des besoins sociaux s'additionnent périodiquement en une crise générale, provoquant une interruption générale de la reproduction. La reproduction capitaliste offre ainsi une physionomie toute particulière. Tandis que la reproduction, dans les autres régimes économiques - abstraction faite des interventions violentes venant de l'extérieur - se déroule comme un cycle régulier et ininterrompu, la reproduction capitaliste, pour citer une expression bien connue de Sismondi, ne peut être présentée que sous forme d'une série continue de spirales, dont les courbes sont petites, au début, puis vont en s'agrandissant de plus en plus, pour devenir finalement considérables, sur quoi un rétrécissement se produit, et la spirale suivante commence de nouveau avec de petites courbes, pour répéter la même figure, jusqu'à ce que se produise une nouvelle interruption.

La succession périodique de la plus grande extension de reproduction et de son rétrécissement jusqu'à l'interruption provisoire, c'est-à-dire ce qu'on caractérise com­me le cycle périodique de la faible conjoncture, de la haute conjoncture et de la crise, c'est là la particularité la plus remarquable de la reproduction capitaliste.

Il est cependant très important de constater de prime abord que cette succession périodique des conjonctures et la crise, si elles sont des éléments essentiels de la reproduction, ne constituent cependant pas le véritable problème de la reproduction capitaliste. Succession périodique de conjonctures et crise sont la forme spécifique du mouvement de la production capitaliste, mais non pas ce mouvement lui-même. Pour exposer le problème de la reproduction capitaliste dans toute sa pureté, il faut, tout au contraire, faire abstraction de cette succession périodique de conjonctures et de crises. Si étrange que cela puisse paraître, c'est là une méthode tout à fait rationnelle, et même la seule méthode scientifique possible. Pour exposer le problème de la valeur dans toute sa pureté, et pour le résoudre, il nous faut faire abstraction des oscillations des prix. L'économie politique vulgaire cherche à résoudre le problème de la valeur en se basant sur les oscillations de l'offre et de la demande. L'économie politique classique, de Smith jusqu'à Marx, considère la chose d'une façon tout à fait opposée. Elle déclare que les oscillations de l'offre et de la demande ne peuvent expliquer que les écarts des prix au-dessus ou au-dessous de la valeur, mais non pas la valeur elle-même. Pour comprendre ce qu'est la valeur des marchandises, il nous faut supposer que l'offre et la demande s'équilibrent, c'est-à-dire que le prix des marchandises correspond à leur valeur réelle. Le problème scientifique de la valeur commence par conséquent là où cesse l'effet de l'offre et de la demande. Il en est exactement de même en ce qui concerne le problème de la reproduction du capital social. La succession périodique des conjonctures et les crises ont pour résultat que la reproduction capitaliste oscille ordinairement autour du niveau des besoins solvables de la société, tantôt le dépassant, tantôt tombant jusqu'à une interruption presque totale. Si nous considérons cependant une assez longue période, un cycle tout entier, avec ses conjonctures changeantes, les périodes de prospérité et les crises, c'est-à-dire le niveau le plus élevé de la reproduction et son niveau le plus bas et son interruption, se compensent, et, comme moyenne générale de tout le cycle, nous avons un certain niveau moyen de reproduction. Cette moyenne n'est pas une simple fiction théorique, mais un fait réel, objectif. Car, malgré la forte montée et la forte baisse des conjonctures, malgré les crises, les besoins de la société sont satisfaits, bien ou mal, la reproduction poursuit sa marche cahotante, et les forces productives se développent de plus en plus. Mais comment est-ce possible, si nous faisons abstraction de la crise et des changements de conjonctures ? Ici commence le véritable problème, et la tentative consistant à essayer de le résoudre en s'appuyant sur la périodicité des crises relève tout autant de l'économie vulgaire que celle qui consiste à vouloir résoudre le problème de la valeur en se basant sur les oscillations de l'offre et de la demande. Cependant, nous verrons plus loin que l'économie politique a toujours eu tendance à transformer à l'improviste le problème de la reproduction, à peine l'avait-elle posé d'une façon à peu près consciente, ou tout au moins en avait soupçonné l'existence, en problème des crises, s'interdisant ainsi à elle-même toute possibilité de solution. C'est pourquoi quand nous parlerons de reproduction capitaliste il faudra toujours entendre par là la moyenne qui découle comme la résultante du changement de conjonctures à l'intérieur d'un cycle déterminé.

La production capitaliste est réalisée par un nombre illimité et toujours croissant de producteurs individuels, qui produisent indépendamment les uns des autres, sans autre contrôle social que celui qu'impose l'observation des oscillations des prix, et sans autre lien social que l'échange des marchandises. Comment la production sociale résulte-t-elle en fait de ces innombrables mouvements indépendants les uns des autres ? Si l'on pose ainsi la question - et c'est là en, effet la première forme générale sous laquelle le problème se présente immédiatement à l'esprit - c'est qu'on oublie que les producteurs individuels ne sont pas dans ce cas de simples producteurs de marchandises, mais des producteurs capitalistes, et que la production sociale elle non plus n'est pas une production en vue de la satisfaction des besoins de consommation, ni une simple production de marchandises, mais une production capitaliste. Voyons un peu quelles modifications du problème cela entraîne avec soi.

Le producteur, qui ne produit pas seulement des marchandises mais aussi du capital, doit créer avant tout de la plus-value. La plus-value est le but et le moteur principal du producteur capitaliste. Les marchandises fabriquées, une fois réalisées, doivent lui rapporter non seulement l'équivalent des sommes qu'il a engagées dans la production, mais aussi une certaine somme qui ne correspond à aucun déboursé et qui représente un bénéfice net. Du point de vue de cette création de plus-value le capital avancé par le capitaliste se divise, sans qu'il le sache, et contrairement aux fadaises qu'il se débite à lui-même et aux autres sur le capital fixe et le capital circulant, en deux parties l'une représentant ses dépenses pour les moyens de production bâtiments, matières premières, combustible, instruments; l'autre destinée au paiement des salaires. La première partie, qui par l'usage qui en est fait au cours du processus du travail, incorpore intégralement sa valeur au produit. Marx l'appelle capital constant ; la seconde, qui augmente sa valeur initiale et produit de la plus-value, grâce à J'appropriation de travail non payé, il l'appelle capital variable. C'est ainsi que la composition de valeur de toute marchandise correspond a la formule suivante :

c + v + pl

c représentant la valeur du capital constant investi, c'est-à-dire la partie de la valeur des moyens de production usagés qui a été incorporée à la marchandise, v la partie du capital variable investi, c'est-à-dire la partie du Capital dépensé en salaires, et pl la plus-value, c'est-à-dire l'accroissement de valeur provenant de la partie non payée du travail salarié. Ces trois éléments de valeur sont contenus à la fois dans la forme concrète des marchandises fabriquées, dans chacune d'elles comme dans leur masse, considérée en tant qu'unité, qu'il s'agisse de tissus de coton ou de ballets, de tuyaux de fonte ou de journaux libéraux. La fabrication de marchandises n'est pas pour le producteur capitaliste une fin en soi, mais seulement un moyen en vue de s'approprier la plus-value. Mais tant que la plus-value reste contenue dans la forme concrète de la marchandise, elle est inutilisable pour le capitaliste. Il est obligé, après l'avoir fabriquée, de la réaliser, de la transformer dans sa forme de valeur pure, c'est-à-dire en argent. Dans ce but, et pour que la plus-value soit appropriée par le capitaliste sous forme d'argent, toutes ses avances de capitaux doivent elles aussi rejeter la forme de marchandise et lui revenir sous la forme d'argent. Ce n'est qu'à ce moment-là, par conséquent quand toute la masse des marchandises aura été échangée d'après leur valeur contre de l'argent, que la production aura atteint son but. La formule c + v + pl se conduit maintenant, par rapport à la composition quantitative de l'argent reçu en échange des marchandises, exactement de la même façon que précédemment par rapport à la composition de valeur de ces mêmes marchandises : une partie (c) restitue au capitaliste ses dépenses en moyens de production usagés, une autre partie (v) ses dépenses en salaires pour les ouvriers, une troisième partie (pl) représente le surplus escompté, le « bénéfice net » du capitaliste en espèces[2]. Cette transformation du capital, de sa forme primitive, qui constitue le point de départ de toute production capitaliste, en moyens de production figés et vivants (matières premières, instruments et force de travail), de ceux-ci en marchandises, par le processus vivant du travail, et enfin de marchandises en argent, par le processus de l'échange, et même en plus d'argent qu'au stade du début, cette transformation n'est cependant pas nécessaire seulement pour la production et l'appropriation de la plus-value. Car le but et le moteur de la production capitaliste, ce n'est pas la plus-value tout court, en quelque quantité que ce soit, appropriée en une seule fois, mais une plus-value illimitée, en croissance continue, en quantité de plus en plus grande. Mais cela ne peut être obtenu encore une fois que par le même moyen enchanteur : la production capitaliste, c'est-à-dire l'appropriation de travail salarié non payé au cours du processus de fabrication des marchandises et la réalisation des marchandises ainsi fabriquées. Production toujours à nouveau, reproduction en tant que phénomène régulier reçoivent ainsi, dans la société capitaliste, un motif tout à fait nouveau, inconnu de toute autre forme de production. En effet, dans toutes les formes de production historiques connues, le facteur déterminant de la production est représenté par les besoins de consommation incessants de la société, que ce soient des besoins de consommation de la collectivité des travailleurs, déterminés démocratiquement, comme dans les sociétés communistes agraires primitives, ou des besoins déterminés autoritairement, comme dans les sociétés antagoniques de classe : société esclavagiste, société féodale, etc. Dans le mode de production capitaliste, le souci des besoins de consommation de la société en tant que motif déterminant de la production n'existe pas pour les producteurs individuels - et ici ce sont les seuls qui entrent en ligne de compte. Pour eux seuls existe la demande solvable de marchandises, et celle-ci d'ailleurs uniquement en tant que moyen indispensable en vue de la réalisation de la plus-value. C'est pourquoi la fabrication de produits pour la consommation, qui satisfont les besoins solvables de la société, est à vrai dire une nécessité pour le capitaliste individuel, mais tout autant un détour, du point de vue du véritable motif de son activité, à savoir l'appropriation de la plus-value. Et c'est ce motif qui le détermine à reprendre toujours à nouveau la reproduction. C'est la production de la plus-value qui, dans la société capitaliste, fait de la reproduction des besoins de consommation en général un perpetuum mobile. La reproduction, de son côté, dont le point de départ est toujours le capital, et sous sa forme de valeur la plus pure, c'est-à-dire sous la forme d'argent, ne peut manifeste­ment être reprise que quand les produits de la période précédente, les marchandises, ont été transformés en leur forme d'argent, réalisés, Par conséquent, la première condition de la reproduction est pour le producteur capitaliste la réalisation des marchandises fabriquées au cours de la période de production précédente.

Nous arrivons maintenant à un deuxième point très important. Dans l'économie privée, c'est le capitaliste individuel qui fixe à sa guise les dimensions de la reproduction. Mais son but, c'est l'appropriation de la plus-value, et même d'une plus-value croissant le plus rapidement possible. Or, cette croissance rapide de la plus-value n'est possible qu'au moyen de l'élargissement de la production capitaliste, qui crée la plus-value. En ce sens, la grande entreprise comporte des avantages par rap­port à la petite. Le mode de production capitaliste crée par conséquent non seulement un motif constant de reproduction, mais aussi un motif d'élargissement constant de la reproduction, de reprise de la production.

Mais ce n'est pas tout. Le mode de production capitaliste ne crée pas seulement, dans la soif de plus-value du capitaliste, la force motrice qui mène à l'élargissement illimité de la reproduction, il fait encore de cet élargissement une loi d'airain, une condition d'existence économique pour le capitaliste individuel. Sous le règne de la concurrence, l'arme la plus puissante du capitaliste individuel dans la lutte pour la conquête des débouchés, c'est le bon marché des marchandises. Toutes les méthodes durables de réduction du coût de production des marchandises qui n'ont pas pour but d'obtenir un accroissement supplémentaire de la plus-value au moyen d'une réduction des salaires ou d'une prolongation du temps de travail, et peuvent d'ailleurs se heurter à toutes sortes de difficultés, aboutissent à un élargissement de la production. Qu'il s'agisse d'économies réalisées sur les constructions ou les instruments, ou de l'emploi de moyens de production d'un rendement supérieur, ou du remplacement sur une vaste échelle du travail manuel par la machine, ou de l'utilisation rapide d'une situa­tion favorable sur le marché en vue de se procurer des matières premières à meilleur marché - dans tous ces cas, la grande entreprise comporte des avantages par rapport à la petite et à la moyenne entreprise.

Ces avantages augmentent au fur et à mesure de l'extension de l'entreprise. C'est pourquoi la concurrence elle-même impose tout accroissement d'une partie des entreprises capitalistes à toutes les autres entreprises comme une condition d'existence absolue. Il en résulte une tendance à l'élargissement constant de la reproduction, qui se répand mécaniquement, comme une vague, sur toute la surface de la production privée.

Pour le capitaliste individuel cet élargissement de la reproduction se manifeste en ce sens qu'il transforme en capital une partie de la plus-value obtenue, c'est-à-dire qu'il accumule. Accumulation, transformation de la plus-value en capital actif, c'est là l'expression capitaliste de la reproduction élargie.

Celle-ci n'est nullement une invention du capital. Elle est, au contraire, depuis toujours, la règle dans toute forme de société historique qui indique un certain progrès économique et culturel. La reproduction simple - la simple répétition constante du processus de production dans ses dimensions précédentes - est certes possible, et on peut même l'observer pendant de longues périodes du développement social. Ainsi par exemple, dans les sociétés communistes agraires primitives où l'accroissement de la population n'est pas dû à un élargissement progressif de la production, mais à des scissions périodiques de générations nouvelles et à la fondation de communautés aussi restreintes que la première et se suffisant à elles-mêmes. De même, les vieilles petites entreprises artisanales de l'Inde ou de la Chine offrent l'image d'une répétition traditionnelle, transmise de génération en génération, de la production dans les mêmes formes et les mêmes dimensions. Mais, dans tous ces cas, la reproduction sim­ple est la base et le signe sûr d'un arrêt économique et culturel général. Tous les grands progrès économiques et les monuments importants de la culture, tels que les grands travaux d'irrigation de l'Orient, les pyramides d'Égypte, les voies militaires romaines, les arts et les sciences de la Grèce, le développement de l'artisanat et des villes au Moyen Age, auraient été impossibles sans reproduction élargie, car seule une extension progressive de la production au-delà des besoins immédiats et l'accroisse­ment constant de la population ainsi que de ses besoins constituent à la fois la base économique et la force motrice sociale permettant des progrès culturels décisifs. L'échange, notamment, et, avec lui, la naissance de la société de classe et ses progrès historiques jusqu'à la forme de production capitaliste auraient été impossibles à concevoir sans reproduction élargie. Mais, dans la société capitaliste, la reproduction élargie reçoit un certain nombre de caractères nouveaux. En premier lieu, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, elle devient une nécessité absolue pour le capitaliste individuel. Certes, une reproduction simple et même une régression dans la reproduc­tion ne sont pas exclues non plus dans le mode de production capitaliste ; elles constituent même, au contraire, des manifestations périodiques des crises après la surtension, également périodique, de la reproduction élargie dans les périodes de haute conjoncture. Cependant, le mouvement général de la reproduction, par-delà les oscillations périodiques des différentes phases, va dans le sens d'un élargissement constant. Pour le capitaliste individuel, l'impossibilité de suivre ce mouvement général signifie l'élimination de la lutte pour la concurrence, la mort économique.

Mais il y a encore autre chose. Dans tout mode de production basé sur l'économie purement ou en grande partie naturelle - dans une communauté communiste agraire de l'Inde ou dans une « villa » romaine employant le travail des esclaves ou dans un domaine féodal du Moyen Age - le moteur et le but de la reproduction élargie ne se rapportent qu'aux produits, à la masse des objets de consommation fabriqués. La consommation, en tant que but, détermine les dimensions, ainsi que le caractère du processus du travail, en particulier, comme de la reproduction, en général. Il en est autrement dans le mode de production capitaliste. La production capitaliste n'est pas une production en vue de la consommation, mais une production de valeur. Les rap­ports de valeur dominent tout le processus de la production comme de la repro­duction. La production capitaliste n'est pas une production d'objets de consommation, ni même de marchandises, tout simplement, mais de plus-value. Reproduction élargie signifie par conséquent, du point de vue capitaliste : élargissement de la production de la plus-value. Cette production de plus-value se réalise, il est vrai, sous la forme de production de marchandises, et, par conséquent, en dernier lieu, de production d'objets de consommation. Mais dans la reproduction, ces deux points de vue sont toujours à nouveau séparés par des changements dans la productivité du travail. La même grandeur de capital et la même grandeur de plus-value seront représentées, par suite de l'accroissement de la productivité du travail, par une quantité toujours plus grande d’objets de consommation. L'élargissement de la production dans le sens de la fabrication d'une plus grande masse de valeurs d'usage n'a par conséquent pas besoin d'être une reproduction élargie dans le sens capitaliste. Réciproquement, le capital peut, dans certaines limites, sans aucun changement dans la productivité du travail, au moyen d'une aggravation du degré d'exploitation - par exemple, au moyen de la réduc­tion des salaires - produire une plus grande plus-value sans être obligé de fabriquer une plus grande quantité de produits. Mais, dans un cas comme dans l'autre, les éléments de la reproduction élargie, dans le sens capitaliste, sont produits pareil­lement. Car ces éléments sont : plus-value, à la fois en tant que grandeur de valeur et en tant que somme de moyens de production matériels. L'élargissement de la production de plus-value est généralement obtenu au moyen d'un accroissement du capital, mais celui-ci, à son tour, est obtenu au moyen de la transformation d'une partie de la plus-value produite en capital. Peu importe à ce propos que la plus-value capitaliste soit employée à l'extension de l'entreprise déjà existante ou à la création d'une entreprise nouvelle. La reproduction élargie, dans le sens capitaliste, reçoit par conséquent son expression spécifique d'accroissement de capital au moyen d'une capitalisation progressive de la plus-value ou, comme dit Marx, de l'accumulation du capital. On peut donc représenter de la façon suivante la formule de la reproduction élargie, en régime de production capitaliste :

(c + v) + (pl/x) + pl’

pl représentant la partie capitalisée de la plus-value obtenue au cours de la période de production précédente, pl' la nouvelle plus-value créée à l'aide du capital ainsi accru. Cette nouvelle plus-value est de nouveau capitalisée en partie. La succession constante de cette création et de cette capitalisation de plus-value, qui se condition­nent réciproquement, c'est ce qui constitue le procès de la reproduction élargie en régime capitaliste.

Mais ce n'est là que la formule générale abstraite de la reproduction. Examinons de plus près les conditions concrètes nécessaires à la réalisation de cette formule.

Après avoir quitté sur le marché la forme de marchandise, la plus-value produite se présente sous forme d'une certaine somme d'argent. Sous cette forme, elle a sa forme pure de valeur, sous laquelle elle va commencer sa carrière comme capital. Mais sous cette forme, elle n'est encore qu'au seuil de sa carrière. Car avec de l'argent on ne peut créer aucune plus-value.

Pour que la partie de la plus-value destinée à l'accumulation soit réellement capitalisée, elle doit revêtir la forme concrète qui seule lui permettra d'agir en tant que capital productif, c'est-à-dire de capital créateur de plus-value. Pour cela, il est nécessaire que, tout comme le capital initial, elle se divise en deux parties, l'une constante, représentée par des moyens de production, l'autre variable, représentée en salaires. Ce n'est qu’à ce moment-là qu'elle pourra être, tout comme le capital initial, portée dans la formule c + v + pl.

Mais, pour cela, la bonne volonté qu'a le capitaliste d'accumuler ne suffit pas, non plus que son « esprit d'épargne » et sa « sobriété », grâce auxquels il utilise en vue de la production la plus grande partie de sa plus-value, au lieu de la gaspiller entièrement pour son luxe personnel. Il faut encore qu'il trouve sur le marché les formes concrètes qu'il se propose de donner à son nouvel accroissement de capital, par conséquent : premièrement, les moyens de production matériels (matières premières, machines, etc.) dont il a besoin pour le genre de production qu'il a choisi pour donner la forme productive à la partie constante du capital. Puis, deuxièmement, la partie du capital destinée à servir de capital variable doit être transformée également, et pour cela il faut deux choses : avant tout, qu'il y ait sur le marché des forces de travail supplé­men­taires en quantité suffisante, dont il a précisément besoin pour mettre en mouvement son nouvel accroissement de capital, et ensuite, étant donné que les ouvriers ne peuvent pas vivre d'argent, qu'il y ait également sur le marché les moyens de consom­ma­tion supplémentaires, contre lesquels les ouvriers nouvellement engagés pourront échanger la partie de capital variable qu'ils auront reçue du capitaliste.

Ces conditions une fois remplies, le capitaliste pourra mettre en mouvement sa plus-value capitalisée et lui faire créer, en tant que capital actif, une nouvelle plus-value. Mais ce n'est pas tout. Le nouveau capital, ainsi que la plus-value produite, est encore caché sous la forme d'une nouvelle masse supplémentaire de marchandises. Sous cette forme, le nouveau capital n'est encore que prêté et la plus-value créée par lui n'existe encore que sous une forme inutilisable pour le capitaliste. Afin que le nouveau capital puisse remplir son but, il lui faut rejeter sa forme de marchandise et revenir, ainsi que la plus-value créée par lui, sous sa forme pure de valeur, c'est-à-dire sous sa forme d'argent, dans la poche du capitaliste. Si cela ne se produit pas, alors le nouveau capital et la plus-value sont perdus, entièrement ou en partie, la capitalisation de la plus-value a échoué, l'accumulation n'a pas eu lieu. Afin que celle-ci se fasse réellement il est donc absolument nécessaire que la quantité supplémentaire de mar­chan­dises produite par le nouveau capital conquière une place sur le marché, pour pouvoir être réalisée.

Ainsi, nous voyons que la reproduction élargie, dans les conditions capitalistes, c'est-à-dire en tant qu'accumulation du capital, est liée à toute une série de conditions particulières. Passons-les rapidement en revue. Première condition : la production doit créer de la plus-value, car la plus-value est la forme élémentaire sous laquelle seul l'accroissement de la production est possible dans le sens capitaliste. Cette condition doit être observée au cours du procès même de la production, dans les rapports entre capitalistes et ouvriers dans la production des marchandises. Deuxième condition : afin que la plus-value destinée à l'élargissement de la reproduction soit appropriée, il faut, quand la première condition a été observée, qu'elle soit réalisée, c'est-à-dire transformée en argent. Cette condition nous mène sur le marché, où les chances de l'échange décident du sort de la plus-value, par conséquent aussi de la reproduction future. Troisième condition : en supposant qu'on a réussi à réaliser la plus-value et à transformer une partie de cette plus-value réalisée en capital en vue de l'accumulation, le nouveau capital doit revêtir la forme productive, c'est-à-dire se transformer en moyens de production figés et en force de travail, et, en outre, la partie du capital échangée contre des forces de travail doit revêtir la forme de moyens de consomma­tion pour les ouvriers. Cette condition nous ramène de nouveau sur le marché des marchandises et sur le marché du travail. Si l'on y trouve tout ce dont on a besoin et si la reproduction élargie des marchandises a eu lieu, alors apparaît la quatrième condi­tion, à savoir : la quantité additionnelle de marchandises, qui représente le nouveau capital, ainsi que la nouvelle plus-value, doit être réalisée, transformée en argent. Ce n'est que si l'on y parvient que la reproduction élargie, au sens capitaliste du mot, a lieu. Cette dernière condition nous ramène derechef sur le marché.

C'est ainsi que la reproduction capitaliste, tout comme la production, joue continu­el­lement entre le lieu de production et le marché, entre le bureau et les ateliers, dont « l'entrée est sévèrement interdite aux personnes étrangères » et où la volonté souveraine du capitaliste individuel est la loi suprême, d'une part, et le marché, auquel personne ne peut imposer de lois et où ne se manifestent aucune volonté et aucune raison, d'autre part. Mais c'est précisément dans cet arbitraire et cette anarchie qui règnent sur le marché que le capitaliste individuel sent sa dépendance à l'égard de la société, de la collectivité des producteurs et des consommateurs. Pour élargir sa reproduction, il a besoin de moyens de production et de forces de travail, ainsi que de moyens de consommation pour ces derniers, mais leur existence dépend de facteurs, de circonstances, de phénomènes, qui se passent derrière son dos, tout à fait indépen­damment de lui. Pour pouvoir réaliser sa masse de produits accrue, il a besoin d'un marché élargi, mais l'extension effective de la demande de marchandises, en général, et de celles qu'il fabrique, en particulier, est une chose en face de laquelle il est totalement impuissant.

Les conditions ci-dessus énumérées, qui expriment toute la contradiction profonde existant entre la production et la consommation privées et leurs rapports sociaux ne sont pas des éléments nouveaux, ne se manifestant qu'à l'occasion de la reproduction. Ce sont les conditions générales de la production capitaliste. Elles apparaissent cependant comme des difficultés spéciales du procès de reproduction, et cela pour les raisons suivantes : du point de vue de la reproduction, et particulièrement de la repro­duction élargie, le mode de production capitaliste n'apparaît pas seulement dans ses caractéristiques générales, mais aussi dans un certain rythme de mouvements, comme un processus en voie de développement, où se manifeste l'enchaînement spécifique des différents anneaux de ses périodes de production. De ce point de vue, la question ne se pose par conséquent pas de cette façon générale : comment chaque capitaliste individuel réussit-il à trouver les moyens de production et les forces de travail dont il a besoin et à écouler sur le marché les marchandises qu'il a fait produire, malgré l'absence de tout contrôle ou plan social qui puisse accorder la production et la demande des marchandises ? Car à cette question on pourrait répondre ce qui suit : d'une part, la soif de profit des capitaux individuels et la concurrence à laquelle ils se livrent entre eux, ainsi que les conséquences automatiques de l'exploitation et de la concurrence capitalistes, font en sorte qu'on produit toutes les marchandises et par conséquent aussi les moyens de production nécessaires, et qu'une classe en état de croissance continue d'ouvriers prolétarisés se trouve à la disposition du capital. D'autre part, l'anarchie de ces rapports se manifeste en ce sens que l'accord de l'offre et de la demande, dans tous les domaines, ne se réalise qu'au moyen d'écarts conti­nuels au-dessus ou au-dessous de la ligne où ils s'équilibrent, d'oscillations de prix continuelles, de crises économiques revenant à intervalles périodiques.

Du point de vue de la reproduction, la question se pose tout autrement : comment se fait-il que l'approvisionnement anarchique du marché en moyens de production et en forces de travail, ainsi que les conditions d'écoulement se modifiant d'une façon irrationnelle et imprévisible puissent assurer au capitaliste individuel les quantités et sortes de moyens de production, forces de travail et possibilités d'écoulement corres­pondant exactement à ses besoins d'accumulation et croissant par conséquent dans un certain rapport de quantité ? Examinons la chose de plus près. Le capitaliste produit, disons, par exemple, selon notre formule :

40 c + 10 v + 10 pl

le capital constant étant quatre fois plus grand que le capital variable, et le taux d'exploitation étant de 100 %. La masse des marchandises produites aura donc une valeur de 60. Supposons que le capitaliste soit en mesure de capitaliser la moitié de sa plus-value et qu'il l'ajoute à son capital initial, toujours d'après la même composition du capital. La période de production suivante sera donc exprimée dans la formule .

44 c + 11 v + 11 pl = 66

Supposons que le capitaliste continue à capitaliser la moitié de sa plus-value, et ainsi de suite chaque année. Pour cela, il lui faudra trouver sur le marché, et encore dans une certaine progression, les moyens de production, les forces de travail et les possibilités d'écoulement correspondant aux progrès de son accumulation.

2. Analyse du procès de la reproduction chez Quesnay et chez Adam Smith[modifier le wikicode]

Jusqu'à présent, nous avons considéré la reproduction du point de vue du capita­liste individuel, le représentant typique, l'agent de la reproduction, qui est réalisée en effet par les différentes entreprises capitalistes privées. Cette façon de considérer le problème nous en a déjà montré un assez grand nombre de difficultés. Mais ces diffi­cultés s'accroissent et se développent d'une façon extraordinaire dès que nous passons du point de vue du capitaliste individuel à celui de l'ensemble des capitalistes.

Déjà un simple coup d'œil superficiel nous montre que la reproduction capitaliste, en tant que tout social, ne peut pas être considérée simplement comme la somme mécanique des différentes reproductions capitalistes privées. Nous avons vu, par exemple, qu'une des principales conditions pour la reproduction élargie du capitaliste individuel est un élargissement correspondant de ses possibilités d'écoulement sur le marché. Or, cet élargissement, le capitaliste individuel ne peut pas l'obtenir au moyen d'un élargissement absolu du marché, en général, mais au moyen de la concurrence, au détriment d'autres capitalistes individuels, de sorte que ce que l'un gagne, un autre, ou plusieurs autres, éliminés du marché, le perdent. Ce que gagne l'un pour l'élargis­se­ment de sa reproduction, c'est ce que perd la reproduction d'un autre. Un capitaliste pourra réaliser une reproduction élargie, d'autres ne pourront même pas réaliser une reproduction simple, et ainsi la société capi­taliste, dans son ensemble, ne connaîtra qu'un déplacement local, mais non une modification quantitative de la reproduction. De même, la reproduction élargie d'un capitaliste déterminé peut être réalisée grâce aux moyens de production et aux forces de travail qui auront été rendues disponibles par la faillite, autrement dit la cessation, complète ou partielle, de la reproduction chez d'autres capitalistes.

Ces phénomènes quotidiens prouvent que la reproduction du capital social est autre chose que la reproduction, accrue à l'infini, du capitaliste individuel ; que, tout au contraire, les phénomènes de reproduction des différents capitaux se croisent d'une façon incessante et peuvent, à tout moment, dans ces rencontres, se supprimer réci­proquement, totalement ou en partie. C'est pourquoi, avant d'étudier le mécanisme et les lois de la reproduction capitaliste, il est nécessaire de nous demander ce que nous devons nous représenter par reproduction du capital social, et s'il est possible, en général, dans le flot des mouvements innombrables des différents capitaux, qui se modifient à chaque instant selon des règles qui échappent à tout contrôle et à tout calcul et qui, tantôt, marchent parallèlement, de concert, tantôt se croisent et se sup­pri­ment réciproquement, de discerner quelque chose qui ressemble à une reproduction sociale. Existe-t-il même, d'une façon générale, un capital social, et que représente cette notion dans la réalité ? Telle est la première question que doit se poser la recherche scientifique des lois de la reproduction. Le père des physiocrates, Quesnay, qui aborda le problème avec toute l'assurance et la simplicité classique des premiers débuts de l'économie politique comme de l'ordre économique bourgeois, admit sans aucune hésitation, comme allant de soi, l'existence du capital social en tant que phénomène réel et agissant. Son célèbre Tableau économique, que personne, jusqu'à Marx, ne réussit à déchiffrer, représente, à l'aide d'un petit nombre de chiffres, le mouvement de la reproduction du capital social, dont il dit également qu'on doit le comprendre sous la forme de l'échange des marchandises, c'est-à-dire en même temps en tant que processus de circulation. « Dans son Tableau économique, Quesnay montre à grands traits comment un produit, de valeur déterminée, de la production nationale, se répartit dans la circulation de telle sorte que, les autres conditions restant les mêmes, sa simple reproduction, c'est-à-dire la reproduction à la même échelle, puisse s'opérer. La période de production a naturellement comme point de départ la dernière récolte. Les innombrables actes individuels de la circulation sont immédiatement réunis dans leur mouvement global à caractère social, la circulation entre deux grandes classes sociales à fonctions économiques déterminées[3]».

D'après Quesnay, la société se compose de trois classes : 1º la classe productrice, c'est-à-dire les cultivateurs ; 2º la classe stérile, qui comprend tous ceux qui sont occupés dans d'autres branches d'activité que l'agriculture : industrie, commerce, professions libérales ; 3º la classe des propriétaires fonciers, y compris le souverain et les bénéficiaires de la dîme. Le produit total national apparaît, dans les mains de la classe productrice, comme une quantité de denrées alimentaires et de matières premières, d'une valeur de cinq milliards de livres. Sur cette somme, deux milliards représentent le capital d'entreprise annuel de l'agriculture, un milliard l'usure annuelle du capital fixe, et deux milliards le revenu net, qui va aux propriétaires fonciers. Outre ce produit total, les cultivateurs - qui sont considérés ici, dans un sens purement capitaliste, comme fermiers - ont en main deux milliards de livres en argent. La circulation se poursuit maintenant de telle façon que la classe des fermiers paie aux propriétaires fonciers deux milliards de livres en argent ne résultat de la période de circulation précédente) en qualité d'arrérages. Avec cette somme, la classe des pro­priétaires achète pour un milliard de denrées alimentaires aux fermiers, et pour l'autre milliard des produits industriels à la classe stérile. Les fermiers, de leur côté, achètent, avec le milliard qui leur est revenu, des produits industriels, sur quoi la classe stérile achète avec les deux milliards qu'elle possède ainsi des produits agricoles, à savoir pour un milliard des matières premières, etc., en vue de reconstituer son capital d'entreprise annuel, et pour un milliard des denrées alimentaires. Ainsi finalement l'argent est revenu à son point de départ : la classe des fermiers, le produit a été réparti entre toutes les classes, de telle sorte que toutes ont leur consommation assurée et qu'en même temps la classe productrice et la classe stérile ont renouvelé leurs moyens de production, et la classe des propriétaires a obtenu son revenu. Ainsi, toutes les conditions de la reproduction sont là, celles de la circulation ont toutes été observées, et la reproduction peut commencer son cours régulier[4].

A quel point est insuffisante et primitive cette représentation des choses, malgré toute la génialité de la pensée, c'est ce que nous verrons plus loin au cours de notre étude. Ce qu'il faut, en tout cas, souligner ici, c'est que Quesnay, sur le seuil de la science économique, n'avait pas le moindre doute en ce qui concerne la possibilité de représenter le capital social et sa reproduction. Ce n'est que chez Adam Smith que nous voyons apparaître, en même temps qu'une analyse plus approfondie du régime de production capitaliste, la confusion dans les grandes lignes claires de la doctrine physiocratique. Smith renversa toute la base de la production capitaliste en établissant cette fausse théorie des prix qui, après lui, domina longtemps la science économique bourgeoise, à savoir la théorie selon laquelle la valeur des marchandises est bien représentée par la quantité de travail extériorisé en elle, mais aussi selon laquelle le prix ne se compose que des trois parties suivantes : salaires, profit et rente. Étant don­né que cela se rapporte également à l'ensemble des marchandises, au produit natio­nal, nous découvrons avec stupéfaction que la valeur de l'ensemble des marchandises produites dans la société capitaliste représente bien tous les salaires payés, les profits des capitaux et les rentes, c'est-à-dire toute la plus-value, et par conséquent peut les remplacer, mais encore qu'aucune partie de la valeur des marchandises produites ne correspond au capital constant employé à la fabrication de ces marchandises : v + pl, telle est, d'après Smith, la formule représentant la valeur de l'ensemble de la produc­tion capitaliste. « Ces trois parties, dit Smith, appuyant son point de vue sur l'exemple du blé (salaire, profit et rente), semblent constituer immédiatement ou en définitive la totalité du prix du blé. On pourrait peut-être penser qu'il faut y ajouter une quatrième partie, nécessaire pour remplacer le capital du fermier ou pour compenser le dépérissement de ses chevaux de labour et autres instruments d'agriculture. Mais il faut considérer que le prix de tout instrument de labourage, tel qu'un cheval de charrue, est lui-même formé de ces mêmes trois parties : la rente de la terre sur laquelle il a été élevé, le travail de ceux qui Pont nourri et soigné, et les profits d'un fermier qui a tait les avances, tant de cette rente que des salaires de ce travail. Ainsi, quoique le prix du blé doive payer aussi bien le prix du cheval que son entretien, la totalité du prix de ce blé se résout toujours, soit immédiatement, soit en dernière analyse, dans ces trois mêmes parties : rente, travail et profit[5]». En nous renvoyant ainsi, selon l'expression de Marx, de Ponce en Pilate, Smith décompose toujours de nouveau le capital en v + pl. A vrai dire, il lui arrivait de temps en temps de douter et de retomber dans l'opinion opposée. C'est ainsi que dans la deuxième partie de son ouvrage, il écrit :

« On a fait voir dans le premier livre que le prix de la plupart des marchandises se résout en trois parties, qui ont concouru à produire la marchandise et à la mettre au marché, et que l'une paye les salaires du travail, l'autre les profits du capital, et la troisième la rente de la terre... que, puisqu'il en était ainsi pour toute marchandise quelconque prise séparément, il fallait nécessairement qu'il en tût de même pour les marchandises qui composent la totalité du produit de la terre et du travail d'un pays, prises en masse. La somme totale du prix ou de la valeur échangeable de ce produit annuel doit se résoudre de même en ces trois parties et se distribuer entre les différents habitants du pays, ou comme salaires de leur travail, ou comme profits de leur capital, ou comme rentes de leur terre. »

Mais ici Smith s'arrête court et déclare immédiatement après :

« Mais quoique la valeur totale du produit annuel des terres et du travail d'un pays soit ainsi partagée entre les différents habitants, et leur constitue un revenu, cependant, de même que dans le revenu d'un domaine particulier nous distinguons le revenu brut et le revenu net, nous pouvons aussi faire une pareille distinction à l'égard de tous les revenus de tous les habitants d'un grand pays.

« ... Le revenu brut d'un domaine particulier comprend généralement tout ce que débourse le fermier; le revenu net est tout ce qui reste franc et quitte de toutes charges ait propriétaire, après la déduction des frais de régie, des réparations et tous les autres prélèvements nécessaires, ou bien ce qu'il peut, sans nuire à sa fortune, placer dans le fonds qu'il destine à servir immédiatement à sa consommation, c'est-à-dire dépenser pour sa table, son train de vie, les ornements et l'ameublement de sa maison, ses jouissances et amusements personnels. Sa richesse réelle n'est pas en proportion de son revenu brut, mais de son revenu net.

« ... Le revenu brut de tous les habitants d'un grand pays comprend la masse totale du produit annuel de leur terre et de leur travail; leur revenu net est ce qui leur reste franc et quitte, déduction faite de ce qu'il faut pour entretenir premièrement leur capital fixe; secondement, leur capital circulant, ou bien ce qu'ils peuvent placer, sans empiéter sur leur capital, dans leur fonds de consommation, c'est-à-dire ce qu'ils peuvent dépenser pour leurs subsistance, commodités et amusements. Leur richesse réelle est aussi en proportion de leur revenu net, et non pas de leur revenu brut[6]. »

Mais Smith n'introduit ici une partie de la valeur du produit correspondant au capital constant que pour s'en débarrasser immédiatement en le décomposant de nouveau en salaires, profits et rentes. Et finalement il en reste à son explication :

« ... De même que les machines et instruments d'industrie, etc., qui composent le capital fixe, soit d'un individu, soit d'une société, ne font partie ni du revenu net de l'un ou de l'autre, de même l'argent, au moyen duquel tout le revenu de la société est régulièrement distribué entre ses différents membres, ne fait nullement lui-même partie de ce revenu[7]. »

Le capital constant (que Smith appelle le capital fixe) est ainsi placé sur le même rang que l'argent et n'entre pas dans la produc­tion sociale (son « revenu brut »), il n'existe pas en tant que partie de valeur du produit total !

Étant donné que là où il n'y a rien, le roi lui-même perd ses droits, il est clair que de la circulation, de l'échange réciproque du produit total ainsi composé on n'obtien­dra que la réalisation des salaires (v) et de la plus-value (pl), mais non pas le rempla­ce­ment du capital constant, et dès lors la continuation de la reproduction s'avère impossible. Certes, Smith savait parfaitement, et il ne songeait pas le moins du monde à le nier, que chaque capitaliste, pour faire marcher son entreprise, a besoin, outre un fonds de salaires, c'est-à-dire un capital variable, d'un capital constant. Mais pour l'ensemble de la production capitaliste, le capital constant a, dans l'analyse ci-dessus du prix des marchandises, disparu mystérieusement, sans laisser de traces, et ainsi le problème de la reproduction du capital social était complètement escamoté. Il est clair que si la condition la plus élémentaire du problème, à savoir l'explication du capital social, avait échoué, toute l'analyse devait échouer également Cette fausse théorie d'A. Smith, Ricardo, Say, Sismondi et d'autres la reprirent à leur tour, et tous se heurtèrent, dans l'étude du problème de la reproduction, à cette difficulté élémentaire : la représentation du capital social.

Une autre difficulté encore s'ajouta à la première dès le début de l'analyse scien­tifique. Qu'est-ce que le capital social ? Pour le capitaliste individuel, la chose est claire. Son capital, ce sont ses dépenses d'exploitation. La valeur de son produit lui rapporte - en supposant le mode de production capitaliste, et par conséquent le travail salarié - outre toutes les sommes avancées par lui, un excédent, la plus-value, qui ne remplace pas son capital, mais constitue son revenu net, qu'il peut consommer entiè­re­ment, sans réduire son capital, par conséquent son fonds de consommation. Certes, le capitaliste peut « mettre de côté » une partie de ce revenu net, ne pas la consommer lui-même, mais la transformer en capital. Mais cela, c'est une autre affaire, un phéno­mène nouveau, la constitution d'un nouveau capital, qui sera remplacé également par la prochaine reproduction, avec le surplus. Mais, en tout cas et toujours, le capital du capitaliste individuel est ce dont il avait besoin en tant qu'avances d'exploitation en vue de la production, son revenu ce qu'il consomme ou peut consommer, en tant que fonds de consommation. Si nous demandons maintenant à un capitaliste ce que sont les salaires qu'il paie à ses ouvriers, il répondra qu'ils constituent évidemment une partie de son capital d'entreprise. Mais si nous demandons ce que sont ces salaires pour les ouvriers qui les reçoivent, on ne pourra pas nous répondre que c'est du capital. En effet, pour les ouvriers qui les reçoivent, les salaires ne sont pas du capital, mais du revenu, un fonds de consommation. Prenons un autre exemple. Un fabricant de machines fait construire dans son usine des machines. Son produit annuel sera un certain nombre de machines. Mais dans ce, produit annuel, dans sa valeur, se trouvent tant le capital avancé par le fabricant que le revenu obtenu par lui. Une partie des machines construites chez lui représente ainsi son revenu et est destinée à constituer ce revenu dans le procès de la circulation, dans l'échange. Mais celui qui achète à notre fabricant ses machines ne les achète évidemment pas en tant que revenu, dans le but de les consommer, mais pour les employer en tant que moyens de production. Pour lui, ces machines sont du capital.

Nous arrivons par ces exemples au résultat suivant : ce qui est capital pour l'un est revenu pour l'autre, et réciproquement. Comment peut-on, dans ces conditions, parler d'un capital social ? Et, en effet, toute la science économique jusqu'à Marx en concluait qu'il n'existe pas de capital social[8]. Chez Smith, ainsi que chez Ricardo, nous voyons encore des hésitations et des contradictions dans cette question. Mais déjà un Say déclare catégoriquement :

« C'est de cette manière que la valeur entière des produits se distribue dans la société. Je dis leur valeur tout entière, car si mon profit ne s'élève qu'à une portion de la valeur du produit auquel j'ai concouru, le surplus compose le profit de mes coproducteurs. Un fabricant de drap achète de la laine à un fermier ; il paie diverses façons d'ouvriers et vend le drap qui en provient à un prix qui lui rembourse ses avances et lui laisse un profit. Il ne regarde comme un profit, comme servant à composer le revenu de son industrie, que ce qui lui reste net, ses déboursés payés, mais ses déboursés n'ont été que l'avance qu'il a faite à d'autres producteurs de diverses portions de revenus dont il se rembourse sur la valeur brute du drap. Ce qu'il a payé au fermier pour la laine était le revenu du cultivateur, de ses bergers, du propriétaire de la ferme. Le fermier ne regarde comme produit net que ce qui lui reste après que ses ouvriers et son propriétaire sont payés; mais ce qu'il leur a payé a été une portion de leurs revenus à eux-mêmes : c'était un salaire pour l'ouvrier, c'était un fermage pour le propriétaire ; C'est-à-dire pour l'un le revenu qu'il tirait de son travail, et pour l'autre le revenu qu'il tirait de sa terre. Et c'est la valeur du drap qui a remboursé tout cela. On ne peut concevoir aucune portion de la valeur de ce drap qui n'ait servi à payer un revenu. Sa valeur tout entière y a été employée.

« On voit par là que ce mot produit net ne peut s'appliquer qu'aux revenus de chaque entrepreneur particulier, mais que le revenu de tous les particuliers pris ensemble, ou de la société, est égal au produit brut résultant des terres, des capitaux et de l'industrie de la nation - ce qui ruine le système des économistes du XVIII° siècle, qui ne regardaient comme le revenu de la société que le produit net des terres et qui concluaient que la société n'avait à consommer qu'une valeur égale à ce produit net, comme si la société n'avait pas à consommer tout entière une valeur qu'elle a créée tout entière[9]. »

Say justifie cette théorie d'une façon qui lui est particulière. Tandis qu'Adam Smith s'efforçait d'en donner la preuve en renvoyant tous les capitaux privés à leur lieu de production, pour en faire de simples produits du travail, mais ne considérait chaque produit du travail, dans un sens strictement capitaliste, que comme une som­me de travail payé et de travail non payé, c'est-à-dire de v + pl, et arrivait ainsi à ramener en fin de compte tout le produit social à v + pl, Say s'empresse de corriger d'une main sûre ces erreurs classiques en banalités tout à fait ordinaires. Il s'appuie sur ce fait que l'entrepreneur, à tous les stades de la production, paie les moyens de production (qui constituent pour lui du capital) à d'autres personnes, représentant les anciens stades de production, et que celles-ci, de leur côté, empochent ce paiement, en partie en qualité de revenu, en partie en qualité de remboursement des sommes qu'elles avaient avancées elles-mêmes, pour payer encore à d'autres personnes leur revenu. La chaîne sans fin de processus de travail de Smith se transforme chez Say en une chaîne sans fin d'avances mutuelles sur le revenu et de remboursements sur la vente. L'ouvrier lui-même apparaît ici comme placé dans la même situation que l'entrepreneur : il reçoit l' « avance » de son revenu, sous forme de salaire, et le paie en travail. C'est ainsi que la valeur finale de l'ensemble du produit social se présente uniquement comme une somme de revenus « avancés », et l'échange n'a, par consé­quent, d'autre but que de rembourser toutes ces avances. Il est caractéristique pour la façon tout à fait plate dont Say se représente les choses qu'il s'efforce d'expliquer les rapports sociaux de la reproduction capitaliste en s'appuyant sur l'exemple de l'industrie horlogère, branche d'industrie - à cette époque et aujourd'hui encore - en grande partie manufacturière, où les « ouvriers » sont en réalité de petits entrepre­neurs et où le processus de la production de la plus-value est masqué par des actes d'échange successifs de la simple production marchande.

Ainsi, Say ne fait que donner son expression la plus grossière à la confusion intro­duite par Smith : toute la valeur des produits annuellement fabriqués par la société se compose de revenus, par conséquent elle est chaque année consommée tout entière. Dès lors, la reprise de la production, sans capital, sans moyens de production, apparaît comme une énigme, la reproduction capitaliste comme un problème insoluble.

Si l'on examine le chemin parcouru par le problème depuis les physiocrates jusqu'à Adam Smith, on constate à la fois un progrès et un recul. Ce qui caractérisait le système économique des physiocrates, c'était leur affirmation selon laquelle seule l'agriculture crée un excédent, c'est-à-dire une plus-value, et par conséquent le travail agricole est le seul productif, au sens capitaliste du terme. C'est ainsi que nous voyons, dans le Tableau économique, que la classe « stérile » des ouvriers de manu­fac­ture ne crée qu'une valeur correspondant aux deux milliards qu'ils consomment en matières premières et en denrées alimentaires. C'est ainsi qu'au cours de l'échange, tous les produits manufacturés vont pour moitié à la classe des fermiers et pour moitié à la classe des propriétaires, tandis que la classe industrielle ne consomme même pas ses propres produits. Cette classe ne fait que reproduire dans la valeur des marchan­dises fabriquées par elle le capital circulant usagé et ne crée aucun revenu pour les entrepreneurs. Le seul revenu de la société dépassant tous les placements de capitaux, et qui entre dans la circulation, est créé par l'agriculture et consommé par la classe des propriétaires sous forme de rente, tandis que la classe des fermiers ne fait que remplacer son capital à savoir : un milliard d'intérêts du capital fixe et deux milliards de capital circulant, c'est-à-dire les deux tiers en matières premières et en denrées alimentaires et un tiers en produits manufacturés. D'autre part, il apparaît clairement que Quesnay n'admet de capital fixe, qu'il appelle « avances primitives », en les distin­guant des « avances annuelles[10] » que dans l'agriculture. Il semble, d'après lui, que la manufacture travaille sans aucun capital fixe et seulement avec le capital d'entreprise circulant annuellement, et que, par conséquent, elle ne crée, dans la masse de marchandises qu'elle fabrique annuellement, aucune valeur destinée à remplacer l'usure du capital fixe (bâtiments, instruments de travail, etc.)[11].

En face de ces erreurs manifestes, l'école classique anglaise réalise un progrès décisif avant tout en ceci qu'elle déclare productive toute espèce de travail, c'est-à-dire qu'elle montre que l'industrie crée de la plus-value tout comme l'agriculture. Nous disons : l'école classique anglaise, parce que Smith lui-même, malgré ses affirmations claires dans ce sens, retombe cependant de temps en temps dans les erreurs des physiocrates. Ce n'est que chez Ricardo que la théorie de la valeur basée sur le travail reçoit la forme la plus haute et la plus conséquente qu'elle pouvait atteindre dans les limites de la science bourgeoise. Il en résultait que nous devons admettre que la section industrielle de la production sociale, tout comme l'agriculture, fournit annuellement une valeur dépassant celle des capitaux engagés, un bénéfice net, c'est-à-dire une plus-value[12]. D'autre part, le fait qu'il mit en évidence, que tous les genres de travaux, qu'ils soient industriels ou agricoles, produisent de la plus-value, le mena à la conclusion suivante : que le travail agricole, outre la rente pour les propriétaires fonciers, doit rapporter encore un excédent à la classe des fermiers, une fois remboursées leurs avances de capitaux. C'est ainsi qu'à côté du remplacement du capital apparut le revenu annuel de la classe des fermiers[13]. Enfin, en approfondissant systématiquement les notions introduites par Quesnay des « avances primitives » et des « avances annuelles », qu'il appela capital fixe et capital circulant, Smith démon­tra que la section manufacturière de la production sociale a tout autant besoin que l'agriculture d'un capital fixe en dehors du capital circulant, et par conséquent aussi d'une partie de valeur correspondante pour remplacer l'usure de ce capital. Smith était en meilleure voie d'apporter de l'ordre dans les notions de capital et de revenu de la société et de les représenter d'une façon exacte. Le passage ci-dessous montre quel fut le maximum de clarté auquel il parvint en cette matière :

« Quoique la totalité du produit annuel des terres et du travail d'un pays soit, sans aucun doute, destinée en définitive à fournir à la consommation de ses habitants et à leur procurer un revenu, cependant à l'instant où il sort de la terre ou des mains des ouvriers productifs il se divise naturellement en deux parties. L'une d'elles, et c'est souvent la plus forte, est, en premier lieu, destinée à remplacer un capital ou à renouveler la portion de vivres de matières ou d'ouvrages faits qui a été retirée d'un capital; l'autre est destinée à former un revenu, ou au maître de ce capital, comme profit de ces fonds ou à quelque autre personne, comme rente de sa terre[14]. »

« Le revenu brut de tous les habitants d'un grand pays comprend la masse totale du produit annuel de leur terre et de leur travail; leur revenu net est ce qui leur reste franc et quitte, déduction faite de ce qu'il faut pour entretenir, premièrement, leur capital fixe, secondement, leur capital circulant, ou bien ce qu'ils peuvent placer, sans empiéter sur leur capital, dans leur fonds de consommation, c'est-à-dire ce qu'ils peuvent dépenser pour leurs subsistance, commodités et amusements. Leur richesse réelle est aussi en proportion de leur revenu net, et non pas de leur revenu brut[15]. »

Nous avons ici les notions du capital et du revenu social, conçues d'une façon générale et plus rigoureuse que dans le Tableau économique ; le revenu social détaché de sa liaison unilatérale avec l'agriculture le capital, sous ses deux formes de capital fixe et de capital circulant servant de base à toute la production sociale. Au lieu de la distinction erronée entre les deux principales branches de la production : l'industrie et l'agriculture, nous voyons ici apparaître au premier plan d'autres catégories de nature plus profonde : la distinction entre le capital et le revenu, puis celle entre capital fixe et capital circulant. Partant de là, Smith passe à l'analyse des rapports mutuels et des transformations de ces catégories dans leur mouvement social : dans la production et la circulation, c'est-à-dire dans le processus de reproduction de la société. Il souligne ici une différence radicale entre le capital fixe et le capital circulant du point de vue social.

« Il est évident qu'il faut retrancher du revenu net de la société toute la dépense d'entretien du capital fixe. Les matières premières nécessaires pour l'entretien des machines utiles, instruments d'industrie, bâtiments d'exploitation, etc., pas plus que le produit du travail nécessaire pour donner à ces matières la forme convenable, ne peuvent jamais faire partie de ce revenu net. Le prix de ce travail, à la vérité, peut bien en faire partie, puisque les ouvriers qui y sont employés peuvent placer la valeur entière de leurs salaires dans leur fonds de consommation, mais la différence consiste en ce que dans les autres sortes de travail et le prix et le produit vont l'un et l'autre à ce fonds; le prix va à celui des ouvriers, et le produit à celui d'autres personnes dont la subsistance, les commodités et les agréments se trouvent augmentés par le travail de ces ouvriers[16]. »

Ici Smith se heurte à la distinction importante entre ouvriers produisant des moyens de production et ouvriers produisant des moyens de consommation. Au sujet des premiers, il remarque que la valeur qu'ils créent en remplacement de leurs salaires vient au monde sous forme de moyens de production (tels que matières premières, machines, etc.), c'est-à-dire qu'ici la partie du produit destinée au revenu des ouvriers existe sous une forme naturelle, qui ne peut absolument pas servir à la consommation. En ce qui concerne la seconde catégorie d'ouvriers, Smith remarque qu'ici, au con­traire, tout le produit, par conséquent tant la partie de valeur qu'il contient et qui remplace les salaires (le revenu) des ouvriers que l'autre partie (Smith ne le dit pas expressément, mais cela découle de son raisonnement : ainsi la partie également qui représente le capital fixe usagé) apparaît sous forme d'articles de consommation. Nous verrons plus loin combien Smith s'est approché ici du point crucial de l'analyse, d'où Marx est parti pour aborder le problème. Cependant, la conclusion générale à laquelle Smith lui-même reste attaché, sans poursuivre plus loin l'analyse, est la suivante : en tout cas, ce qui sert à l'entretien et au renouvellement du capital fixe de la société ne peut être compris dans le revenu net de la société.

Il en est autrement du capital circulant.

« Mais quoique toute la dépense d'entretien du capital fixe se trouve ainsi néces­sai­rement retranchée du revenu net de la société, il n'en est pas de même à l'égard de la dépense d'entretien du capital circulant. On a déjà observé que, des quatre articles qui composent ce capital, qui sont l'argent, les vivres, les matières et l'ouvrage fait, les trois derniers en sont régulièrement retirés pour être versés, soit dans le capital fixe de la société, soit dans le fonds de consommation. De ces choses consommables, tout ce qui ne se trouve pas employé à l'entretien du premier de ces deux fonds va en entier à l'autre et fait partie du revenu net de la société : ainsi l'entretien de ces trois parties du capital circulant ne retranche du revenu net de la société aucune autre portion du produit annuel que celle qui est nécessaire à l'entretien du capital fixe[17]. »

On voit que Smith fait tout entrer dans la catégorie du capital circulant, à l'excep­tion du capital fixe déjà employé, par conséquent tant les moyens de consommation que les matières premières et tout le capital de marchandises non encore réalisé (par conséquent en partie ces mêmes moyens de consommation et matières premières déjà mentionnés, en partie des marchandises qui, confor­mément à leur forme naturelle, doivent servir au remplacement du capital fixe), rendant ainsi tout à fait confuse et équivoque la notion du capital circulant. Mais, à côté et au milieu même de cette confusion, il fait encore une autre distinction importante :

« A cet égard, le capital circulant d'une société diffère de celui d'un individu. Celui d'un individu ne peut entrer pour la moindre partie dans son revenu net, qui se compose uniquement de ses profits. Mais encore que le capital circulant de chaque individu fasse une partie de celui de la société dont il est membre, il ne s'ensuit pas que ce capital ne puisse de même entrer pour quelque chose dans le revenu net de la nation[18]. »

Smith appuie ce qui vient d'être dit par l'exemple suivant :

« Quoique les marchandises qui composent le fonds de boutique d'un marchand ne puissent nullement être versées dans son fonds de consommation, elles peuvent néanmoins aller à celui d'autres personnes qui, au moyen d'un revenu qu'elles tirent de quelque autre source, sont en état d'en remplacer régulièrement la valeur au marchand, ainsi que ses profits, sans qu'il en résulte aucune diminution, ni dans le capital du marchand ni dans le leur[19]. »

Smith a mis au jour des catégories fondamentales relativement à la reproduction et au mouvement du capital social. Capital fixe et capital circulant, capital privé et capital social, revenu privé et revenu social, moyens de production et moyens de consom­mation sont élevés ici au niveau de catégories importantes, et, en partie, étudiés dans leur entrecroisement réel, objectif, en partie noyés dans les contra­dictions théoriques, subjectives, de l'analyse smithienne. Le schéma simple, sévère et d'une pure clarté classique des physiocrates fait ici place à une foule de notions et de rapports qui semblent à première vue former un chaos. Mais, de ce chaos apparent, surgissent déjà petit à petit de nouveaux rapports de production sociale représentés d'une façon plus profonde, plus moderne et plus vivante que chez Quesnay, rapports qui se trouvent à l'état inachevé dans le chaos, tel l'esclave de Michel-Ange dans son bloc de marbre.

C'est là un des aspects du problème, tel que l'aperçoit Smith. Mais, en même temps, il l'étudie sous un tout autre aspect, celui de la valeur. Ce sont précisément cette théorie du caractère productif de tout travail, puis la division strictement capita­liste du travail en travail payé (destiné à remplacer le salaire) et en travail non payé (créateur de la plus-value), enfin la division de la plus-value en ses deux catégories fondamentales : le profit et la rente - ce qui représente autant de progrès sur les physiocrates - qui ont amené Smith à cette affirmation remarquable, d'après laquelle le prix de toute marchandise se compose de salaire + profit + rente, ou, pour employer la formule plus brève de Marx, de v + pl. Il en résultait, par conséquent, que toutes les marchandises produites annuellement par la société se divisent en ces deux parties : salaires et plus-value. Ici disparaissait brusquement la catégorie du capital, la société ne produit que du revenu, que des articles de consommation, entièrement consommés par la société. La reproduction sans capital devient une énigme, et le problème dans son ensemble fait, par rapport aux physiocrates, un bond formidable en arrière.

Les successeurs de Smith ont pris sa double théorie juste du mauvais côté. Tandis que personne, jusqu'à Marx, ne sut utiliser les indications importantes qu'il fournit dans la deuxième partie de son ouvrage en vue d'une exposition exacte du problème, sa fausse théorie des prix, contenue dans la première partie, fut considérée par ses successeurs comme un legs précieux et acceptée telle quelle, comme chez Ricardo, ou transformée en un dogme plat, comme chez Say. Là où il y avait chez Smith des dou­tes et des contradictions fécondes, nous voyons chez Say la suffisance de l'économiste vulgaire. Pour Say, l'observation de Smith, selon laquelle ce qui est capital pour l'un peut être revenu pour l'autre, devient un motif de déclarer absurde, d'une façon générale, toute distinction entre capital et revenu dans le cadre social. Par contre, cette absurdité d'après laquelle la valeur totale de la production annuelle se compose exclusivement de revenus et est, par conséquent, consommée tout entière est élevée par lui à la hauteur d'un dogme absolu. Étant donné que la société consomme entière­ment chaque année toute ce qu'elle produit, la reproduction sociale, sans moyens de production, devient une répétition annuelle du miracle biblique, une création ex nihilo.

C'est dans cet état que resta le problème de la reproduction jusqu'à Marx.

3. Critique de l'analyse de Smith[modifier le wikicode]

Résumons les résultats auxquels est parvenue l'analyse de Smith. Nous pouvons les grouper de la façon suivante :

  1. Il existe un capital fixe de la société, qui ne passe dans aucune partie du revenu net de la société. Ce capital fixe est constitué par les « matières premières, qui servent à l'entretien des machines et instruments » et par « le produit du travail nécessaire à la transformation de ces matières en la forme voulue ». En opposant encore expressé­ment la production de ce capital fixe à la production de moyens de consommation directs, en tant que genre spécial, Smith transforme en fait le capital fixe en ce que Marx appelle capital constant, c'est-à-dire la partie du capital qui existe dans tous les moyens de production matériels, en opposition à la force de travail ;
  2. Il existe un capital circulant de la société. Mais, après en avoir détaché la partie de capital fixe (c'est-à-dire constant), il ne reste que la catégorie des moyens de con­som­mation, qui ne constitue pas pour la société un capital, mais un revenu net, un fonds de consommation ;
  3. Le capital et le revenu net des individus ne se confondent pas avec le capital et le revenu net de la société. Ce qui n'est pour la société que du capital fixe (c'est-à-dire constant) peut être pour les individus non pas un capital, mais un revenu, un fonds de consommation, notamment dans les parties de valeur du capital fixe qui représentent le salaire des ouvriers et le profit des capitalistes. Réciproquement, le capital circulant des individus peut être pour la société non pas un capital, mais un revenu, dans la mesure notamment où il représente des moyens de consommation ;
  4. Le produit social annuel ne contient dans sa valeur aucun atome de capital, mais se résout entièrement en trois sortes de revenus : salaires, profits du capital et rentes.

Quiconque essaierait, d'après ces fragments d'idées, de se faire une image d'en­sem­ble de la reproduction annuelle du capital social devrait renoncer bientôt à cette tentative. Comment, en fin de compte, malgré tout, le capital social se renouvelle chaque année, comment la consommation de tous est assurée au moyen du revenu, et comment, en même temps, les individus observent exactement leurs points de vue de capital et de revenu, ces questions sont encore très loin d'être résolues. C'est pourquoi il est nécessaire de se représenter toute la confusion d'idées et l'abondance de vues contradictoires, pour mesurer quelle clarté Marx a jetée sur le problème.

Commençons par le dernier dogme d'Adam Smith, qui suffisait à lui seul pour empêcher la solution du problème de la reproduction dans l'économie politique classique. La racine de la conception bizarre de Smith, d'après laquelle la valeur du produit total de la société se résoudrait entièrement en salaires, profits et rentes, réside précisément dans sa théorie de la valeur. Le travail est la source de toute valeur. Toute marchandise est, considérée en tant que valeur, le produit du travail et rien de plus. Mais tout travail accompli est, en tant que travail salarié - cette identification du travail humain avec le travail salarié capitaliste est précisément le trait classique chez Smith - destiné non seulement à remplacer les salaires avancés, mais aussi à produire un surplus, provenant du travail non payé, en tant que profit pour le capitaliste et en tant que rente pour le propriétaire foncier. Ce qui est vrai de chaque marchandise l'est également de la totalité des marchandises. Toute la masse des marchandises produites annuellement par la société n'est, en tant que quantum de valeur, que le produit du travail - et notamment du travail payé comme du travail non payé - et se divise par conséquent aussi en salaires, profits et rentes. A vrai dire, il faut faire entrer en ligne de compte, dans chaque travail, les matières premières, instruments, etc. Mais que sont ces instruments et matières premières, si ce n'est également des produits du travail, et encore une fois en partie du travail payé et en partie du travail non payé ? Nous aurons beau nous tourner et nous retourner dans tous les sens, nous ne trouverons dans la valeur, ou dans le prix de toutes les marchandises, rien qui ne soit simplement du travail humain. Mais tout travail se divise en deux parties : l'une destinée à remplacer les salaires et l'autre à fournir un profit aux capitalistes et une rente aux propriétaires fonciers. Il n'y a rien que des salaires et des profits. Mais il existe cependant du capital - capital individuel et capital social. Comment sortir de cette contradiction ? Ce qui prouve que nous nous trouvons en effet ici devant une grosse difficulté théorique, c'est le fait que Marx lui-même dut se plonger longtemps dans l'étude du problème sans pouvoir avancer et trouver la solution, ainsi qu'on peut s'en rendre compte dans ses Théories sur la plus-value (traduites sous le titre d'Histoire des doctrines économiques, tome I, pp. 223-319). Cette solution, il finit cepen­dant par la trouver, et cela grâce à sa théorie de la valeur. Smith avait parfai­tement raison : la valeur de chaque marchandise, en particulier, et de toutes les mar­chan­dises, en général, ne représente pas autre chose que du travail. Il avait également raison quand il disait : tout travail (en régime capitaliste) se divise en travail payé (destiné à remplacer les salaires) et en travail non payé (produisant de la plus-value au profit des différentes classes qui possèdent les moyens de production). Mais il oublia ou plutôt ne vit pas que le travail, outre la propriété qu'il a de créer une valeur nou­velle, a aussi celle de reporter l'ancienne valeur contenue dans les moyens de produc­tion sur les marchandises fabriquées à l'aide de ces moyens de production. Une journée de travail de 10 heures d'un boulanger ne peut pas produire plus de valeur qu'une valeur de 10 heures - et ces 10 heures se divisent en régime capitaliste en travail payé et en travail non payé - mais les marchandises fabriquées en ces 10 heures de travail représenteront plus de valeur que celle de 10 heures de travail. Elles contiendront notamment encore la valeur de la farine, du four dont on se sera servi, des bâtiments de travail, du combustible, etc., bref, de tous les moyens de production nécessaires au travail du boulanger. La valeur de la marchandise ne pourrait se résou­dre entièrement en v + pl qu'à une seule condition, à savoir que l'homme travaille dans l'air bleu du ciel, sans matières premières, sans instrument, sans lieu de travail. Mais étant donné que tout travail matériel suppose des moyens de production, qui sont eux-mêmes le produit d'un travail précédent, il doit reporter également le travail précédent, c'est-à-dire la valeur créée par lui, sur le nouveau produit.

Il ne s'agit pas ici d'un phénomène spécial au régime capitaliste, mais d'un phéno­mène qui est à la base même du travail humain, et par conséquent indépendant de la forme historique de la société. Le travail à l'aide d'instruments fabriqués par l'homme est la caractéristique fondamentale de la société humaine. La notion du travail passé qui précède tout nouveau travail et lui prépare sa base d'opération exprime la relation histori­que et culturelle existant entre l'homme et la nature, la chaîne durable des ef­forts de la société humaine s'engrenant l'un dans l'autre, efforts dont l'origine se perd dans la nuit des temps et qui ne prendront fin qu'avec l'humanité elle-même. Ainsi donc, nous ne pouvons nous représenter le travail humain autrement qu'accom­pagné d'instruments de travail, qui sont eux-mêmes le produit d'un travail précédent. Chaque nouveau produit contient non seulement le nouveau travail qui lui a donné sa dernière forme, mais aussi le travail passé qui lui a fourni la matière, l'instrument de travail, etc. Dans la production de valeur, c'est-à-dire dans la production de marchandises, à laquelle appartient également la production capitaliste, ce phénomène ne disparaît pas, il ne fait que recevoir une expression particulière. Il se manifeste dans le double carac­tère du travail producteur de marchandises, qui, d'une part, en tant que travail utile, concret, de quelque genre qu'il soit, crée la valeur d'usage, et, d'autre part, en tant que travail abstrait, général, socialement nécessaire, crée de la valeur. Dans sa première qualité, il fait ce qu'a toujours fait le travail humain : reporter le travail passé contenu dans les moyens de production usagés sur le nouveau produit, avec cette différence que ce travail passé apparaît maintenant comme valeur, comme une valeur ancienne. Dans sa seconde qualité, il crée une nouvelle valeur qui, selon les règles capitalistes, se décompose en travail payé et travail non payé : v + pl. La valeur de toute marchandise doit par conséquent contenir tant l'ancienne valeur, que le travail, en tant que travail utile, concret, transporte des moyens de production sur la mar­chandise, qu'une nouvelle valeur, que ce même travail crée, en tant que travail socia­le­ment nécessaire, par sa seule extériorisation, par sa seule durée.

Cette distinction, Smith ne pouvait pas la faire, étant donné qu'il ne discernait pas le caractère double du travail créateur de valeur, et Marx déclare même quelque part que c'est dans cette erreur fondamentale de la théorie de la valeur de Smith qu'il faut voir la source véritable de son dogme étrange, selon lequel toute masse de valeur produite se résout entièrement en v + pl[20]. Cette ignorance du caractère double du travail producteur de marchandises : travail concret, utile, et travail abstrait, socia­le­ment nécessaire, constitue en effet l'une des caractéristiques principales, non seule­ment de la théorie de la valeur de Smith, mais aussi de celle de toute l'école classique.

Sans se soucier des conséquences sociales que cela comportait, l'économie poli­tique classique a reconnu le travail humain comme étant le seul facteur créateur de valeur et développé cette théorie jusqu'à lui donner cette clarté avec laquelle elle nous apparaît dans l'œuvre de Ricardo. Mais ce qui distingue essentiellement la théorie de la valeur de Ricardo de celle de Marx - distinction ignorée non seulement des écono­mistes bourgeois, mais aussi de la plupart des vulgarisateurs de la doctrine de Marx - c'est que Ricardo, conformément à sa conception générale du caractère naturel de l'économie bourgeoise, considère la création de valeur comme une propriété naturelle du travail humain, du travail individuel, concret, de l'homme isolé.

Cette conception apparaît encore plus nettement chez A. Smith, qui déclare, par exemple, que la « propension à l'échange » est une particularité de la nature humaine, après l'avoir vainement cherchée chez les animaux, notamment chez les chiens, etc.

D'ailleurs, tout en mettant en doute l'existence d'une soi-disant « propension à l'échan­ge » chez les animaux, Smith reconnaît au travail des animaux la même pro­priété créatrice de valeur qu'au travail humain, notamment là où il lui arrive de retomber dans les conceptions de l'école physiocratique.

« Mais aucun capital, à somme égale, ne met en activité plia de travail productif que celui du fermier. Ce sont non seulement ses valets de ferme, mais ses bestiaux de labour et de charroi qui sont autant d'ouvriers productifs... Ainsi les hommes et les bestiaux employés aux travaux de la culture, non seulement comme les ouvriers des manufactures, donnent lieu à la reproduction d'une valeur égale à leur consommation ou au capital qui les emploie, en y joignant de plus les profits du capitaliste, mais ils produisent encore une bien plus grande valeur. Outre le capital du fermier et tous ses profits, ils donnent lieu à la reproduction régulière d'une rente pour le propriétaire[21]. » Ici apparaît de la façon la plus nette que Smith considérait la création de valeur comme une propriété physiologique du travail, en tant qu'expression de l'organisme animal de l'homme. De même que l'araignée tisse sa toile à l'aide de substances tirées de son propre corps, de même l'homme travailleur crée de la valeur - c'est-à-dire l'homme qui travaille et produit des objets utiles, car l'homme qui travaille est de par sa nature un producteur de marchandises, de même que la société humaine est de par nature une société reposant sur l'échange, et l'économie marchande, la forme écono­mique normale de la société humaine.

Marx fut le premier à reconnaître dans la valeur un rapport social particulier, appa­ru dans certaines conditions historiques, ce qui l'amena à distinguer les deux aspects du travail producteur de marchandises : à savoir le travail concret, individuel, et le travail social, général, distinction grâce à laquelle la solution de l'énigme de l'argent apparut brusquement, comme à la lueur d'une lanterne sourde.

Pour pouvoir discerner ainsi, statiquement, au sein de l'économie bourgeoise, le double caractère du travail, et distinguer l'homme travailleur du producteur de mar­chan­dises, du créateur de valeur, Marx devait auparavant distinguer dynamiquement, dans le développement historique, le producteur de marchandises de l'homme travail­leur tout court, c'est-à-dire reconnaître dans la production de marchandises une certaine forme historique de la production sociale. Marx devait, en un mot, pour pouvoir déchiffrer l'énigme de l'économie capitaliste, commencer son étude par une déduction opposée à celle des économistes classiques, c'est-à-dire en étudiant le passé historique du mode de production bourgeois, au lieu de s'appuyer sur la croyance en son caractère normal humain. Il devait retourner la déduction métaphysique des économistes classiques en son contraire, la déduction dialectique[22].

C'est ce qui explique que Smith ne pouvait pas distinguer clairement les deux aspects du travail créateur de valeur, dans la mesure où, d'une part, il transporte sur le produit nouveau la vieille valeur contenue dans les moyens de production, et où il crée en même temps, d'autre part, une valeur nouvelle. Il nous parait cependant que son affirmation selon laquelle toute valeur se résout en v + pl découle encore d'une autre source. Il est impossible de croire que Smith n'ait pas vu que toute marchandise fabriquée contient non seulement la valeur créée à l'occasion de sa fabrication, - mais aussi celle de tous les moyens de production employés pour sa fabrication. Le fait que, pour affirmer la division de la valeur en v + pl, il nous renvoie constamment d'un stade de production à un autre, ou, comme dit Marx, de Ponce à Pilate, montre bien qu'il ne l'ignore pas. Mais le merveilleux de l'affaire, c'est qu'il dissout toujours à nouveau la vieille valeur des moyens de production en v + pl, ce qui a finalement pour résultat de faire entrer dans cette formule toute la valeur contenue dans la marchandise.

Il en est ainsi notamment dans le passage déjà cité par nous sur le prix du blé : « Dans le prix du blé, par exemple, une partie paye la rente du propriétaire, une autre paye les salaires ou l'entretien des ouvriers ainsi que des bêtes de labour et de charroi employées à produire le blé, et la troisième paye le profit du fermier. Ces trois parties semblent constituer immédiatement ou en définitive la totalité du prix du blé. On pourrait peut-être penser qu'il faut y ajouter une quatrième partie, nécessaire pour remplacer le capital du fermier ou pour compenser le dépérissement de ses chevaux de labour et autres instruments d'agriculture. Mais il faut considérer que le prix de tout instrument de labourage, tel qu'un cheval de charrue, est lui-même formé de ces mêmes trois parties : la rente de la terre sur laquelle il a été élevé, le travail de ceux qui l'ont nourri et soigné, et les profits d'un fermier qui a fait les avances, tant de cette rente que des salaires de ce travail. Ainsi, quoique le prix du blé doive payer aussi bien le prix du cheval que son entretien, la totalité du prix de ce blé se résout toujours, soit immédiatement, soit en dernière analyse, dans ces mêmes trois parties : rente, travail et profit. »

Ce qui a troublé Smith, c'est, à notre avis, ce qui suit :

  1. Tout travail exige des moyens de production. Mais ce qui est moyen de produc­tion pour un travail déterminé (matières premières, instruments, etc.) est lui-même le produit d'un travail passé. Pour le boulanger, la farine est un moyen de production, auquel il ajoute du nouveau travail. Mais la farine provient elle-même du travail du meunier, pour qui elle n'était pas un moyen de produc­tion, mais un produit, tout comme maintenant le pain pour le boulanger. Ce produit supposait lui-même du blé comme moyen de production, mais le blé, à son tour, si nous reculons encore d'un degré, n'était pas pour le cultivateur un moyen de production, mais un produit. On ne peut trouver aucun moyen de production contenant une certaine valeur qui ne soit lui-même le produit d'un travail précédent ;
  2. Il en résulte, au point de vue capitaliste, ce qui suit : tout capital qui a été entiè­re­ment utilisé pour la fabrication d'une marchandise quelconque se laisse finalement résoudre en un certain quantum de travail réalisé ;
  3. Toute la valeur de la marchandise, y compris le capital nécessaire à sa fabrica­tion, se résout donc tout simplement en un certain quantum de travail. Et ce qui est vrai de toute marchandise l'est également de la totalité des marchandises fabriquées chaque année par la société. Leur valeur totale, elle aussi, se résout en un certain quantum de travail accompli ;
  4. Tout travail accompli suivant les règles capitalistes se divise en deux parties : une partie payée, qui remplace les salaires, et une partie non payée, qui crée les pro­fits et les rentes, c'est-à-dire la plus-value. Tout travail accompli suivant les règles capitalistes correspond à la formule v + pl[23].

Tout cela est parfaitement juste et incontestable. La façon dont Smith a formulé ces thèses montre la solidité et la sûreté de son analyse scientifique et les progrès qu'il a réalisés sur les physiocrates en ce qui concerne la conception de la valeur et de la plus-value. Il n'y a à lui reprocher que la bourde grossière qu'il commet dans la conclusion de la thèse 3º, où il dit que la valeur totale de la masse des marchandises annuellement produites par la société se résout dans le quantum de travail accompli pendant l'année, alors qu'en d'autres endroits il montre qu'il sait fort bien que la valeur des marchandises produites pendant un an par la société comprend nécessairement aussi le travail des années précédentes, à savoir le travail inclus dans les moyens de production utilisés.

Et cependant, la conclusion tirée par Smith des quatre thèses absolument justes que nous venons d'énumérer, à savoir : la valeur de toute marchandise, ainsi que de la masse totale des marchandises fabriquées annuellement par la société, se résout entiè­rement en v + pl, cette conclusion est complètement fausse. Smith confond ceci, qui est vrai : la valeur de toute marchandise ne représente pas autre chose que du travail social, avec ceci, qui est faux : toute marchandise ne représente rien d'autre que v + pl. La formule v + pl exprime la double fonction du travail vivant dans les conditions de l'économie capitaliste : 1º remplacement du Capital variable (salaires), 2º création de la plus-value pour le capitaliste. Cette fonction, c'est le travail salarié qui la remplit, par suite de son utilisation par le capitaliste, lequel, en réalisant sur le marché la valeur des marchandises, reprend le capital variable représenté par les salaires avancés par lui et empoche la plus-value. La formule v + pl exprime par conséquent le rapport entre l'ouvrier et le capitaliste, rapport qui prend fin chaque fois avec la fabrication de la marchandise. Si celle-ci est vendue et le rapport v + pl réalisé en argent par le capitaliste, ce rapport et sa trace dans les marchandises sont par conséquent éteints. Il est absolument impossible de voir dans la marchandise et sa valeur dans quel rapport sa valeur a été créée et si elle l'a été par du travail payé ou du travail non payé; la seule chose certaine, c'est que la marchandise contient une certaine quantité de travail socialement nécessaire, ce qui se manifeste dans le fait qu'elle est échangée. Pour ce qui est de l'échange lui-même, par conséquent, comme pour l'usage de la marchandise, il est complètement indifférent de savoir si le travail qu'elle contient se divise en v + pl. Seule la quantité de valeur qu'elle contient joue un rôle dans l'échange, et seule sa structure concrète, son utilité, joue un rôle dans l'usage. La formule v + pl exprime par conséquent, pour ainsi dire, le rapport intime entre le capital et le travail, la fonction sociale du travail salarié, qui s'éteint entièrement dans le produit. Il en est autrement de la partie du capital investie dans les moyens de production, autrement dit du capital constant. Outre le travail salarié, le capitaliste doit se procurer également des moyens de production, car tout travail exige, pour pouvoir être accompli, des matières premières, des instruments, des bâtiments, etc. Le caractère capitaliste de cette condition de la production se mani­feste en ceci que ces moyens de production apparaissent précisément en tant que capital, c'est-à-dire : 1º en tant que propriété d'une autre personne que celles qui travaillent, séparée de la force du travail, en tant que propriété des non-travail­leurs ; 2º en tant que simple avance, que dépense en vue de la production de plus-value. Le capital constant c n'apparaît donc ici que comme base de v + pl. Mais le capital constant exprime encore quelque chose de plus, à savoir la fonction des moyens de production dans le processus du travail humain, indépendamment de toute forme sociale historique. L'indigène de la Terre de Feu, pour construire son canoë familial, la communauté communiste agraire de l'Inde, pour cultiver les terres communales, le fellah égyptien, pour labourer son champ, comme pour construire les pyramides pour le pharaon, l'esclave grec dans la petite manufacture athénienne, le serf féodal, l'artisan des corporations du Moyen Age, tout comme l'ouvrier salarié moderne, ont également besoin de matières premières et d'instruments de travail. Les moyens de production issus du travail humain sont l'expression du contact du travail humain avec la matière brute et, par là, une condition générale, éternelle, du procès de production humain. Le terme c, dans la formule c + v + pl, exprime par conséquent une certaine fonction des moyens de production, qui ne s'éteint pas avec la cessation du travail. Alors qu'il est complètement indifférent, pour l'échange et pour la con­sommation de la marchandise, qu'elle ait été produite par du travail payé ou du travail non payé, par le travail de l'ouvrier salarié, de l'esclave ou du serf ou par quelque autre forme de travail, il est d'une importance décisive pour l'usage de la marchandise de savoir si elle est elle-même moyen de production ou moyen de consommation. Que, pour la fabrication d'une machine, on ait employé du travail payé ou du travail non payé, cela n'a d'intérêt que pour le fabricant et ses ouvriers. Pour ce qui est de la société qui acquiert la machine au moyen de l'échange, ce qui est intéressant, c'est uniquement sa qualité de moyen de production, sa fonction dans le processus de la production. Et de même que chaque forme sociale de production devait de tout temps tenir compte du rôle important des moyens de production, en ce sens que, dans toute période de production, elle veillait à la fabrication des moyens de production néces­saires à la période suivante, de même la société capitaliste ne peut entreprendre, cha­que année, sa production de valeur, selon la formule v + pl, autrement dit l'exploitation du travail salarié, que si la quantité nécessaire de moyens de production en vue de la formation du capital constant existe en tant que produit de la période de production précédente. Cette liaison spécifique de chaque période de production avec la suivante, qui constitue la base générale, éternelle, du procès de la reproduction sociale et qui consiste en ce qu'une partie des produits d'une période de production est destinée à servir de moyens de production pour la période suivante, a échappé aux regards de Smith. Ce qui l'intéressait dans les moyens de production, ce n'était pas leur fonction spécifique dans le processus de la production où ils sont employés, mais le fait que, comme toute autre marchandise, ils sont eux-mêmes un produit du travail salarié employé selon les règles capitalistes. La fonction spécifiquement capitaliste du travail salarié dans le processus de production de la plus-value l'empêchait complètement de voir la fonction générale, éternelle, des moyens de production dans le processus du travail. Son regard, voilé par le point de vue bourgeois, n'apercevait pas, derrière le rapport social particulier entre le capital et le travail, le rapport général entre l'homme et la nature. C'est ici que nous paraît résider la véritable source de l'affirmation étrange de Smith que la valeur totale de la masse des marchandises produites annuellement par la société se ramène à v + pl. Smith ne vit pas que c, en tant que premier terme de la formule c + v + pl, est l'expression nécessaire de la base sociale générale de l'exploitation capitaliste du travail salarié.

La valeur de toute marchandise doit par conséquent être exprimée dans la formule c + v + pl. La question se pose maintenant de savoir à quel point ceci se rapporte à la totalité des marchandises produites par la société. Reportons-nous, à ce propos, aux doutes qu'exprimait Smith sur ce point, et notamment à son affirmation selon laquelle le capital fixe, le capital circulant et le revenu de l'individu ne correspondent pas aux mêmes catégories envisagées du point de vue social (page 32, paragraphe 3). Ce qui est pour l'un capital circulant n'est pas du capital pour d'autres, mais du revenu, comme par exemple les avances de capital destinées à payer les salaires. Cette affirmation repose sur une erreur. Quand le capitaliste paie des salaires à ses ouvriers, il ne leur donne pas un capital variable qui passe dans leurs mains pour y être transformé en revenu, mais seulement la forme de valeur de son capital variable contre sa forme naturelle, la force de travail. Le capital variable reste toujours dans les mains des capitalistes : d'abord sous forme d'argent. puis sous forme de force de travail, qu'il a achetée avec cet argent, plus tard sous forme d'une partie de la valeur des marchandises produites, pour lui revenir finalement - augmenté du profit - à la suite de la vente des marchandises sous forme d'argent. Quant à l'ouvrier, il n'entre jamais en possession du capital variable. Pour lui, la force de travail ne constitue jamais un capital, mais son bien (le pouvoir de travailler, le seul qu'il possède). S'il l'a extériorisée et s'il a reçu de l'argent comme salaire, ce dernier n'est pas pour lui un capital, mais le prix de la marchandise qu'il a vendue. Enfin, le fait que l'ouvrier achète des moyens de consommation avec le salaire qu'il a reçu n'a pas plus de rapport avec la fonction que cet argent a jouée, en tant que capital variable, dans les mains du capitaliste que l'usage personnel que fait tout vendeur d'une marchandise quelconque de l'argent qu'il en a reçu. Ce n'est donc pas le capital variable du capitaliste qui devient le revenu de l'ouvrier, mais le prix de la marchandise force-de-travail vendue par l'ouvrier, tandis que le capital variable reste comme auparavant dans les mains du capitaliste et fonctionne comme tel.

Tout aussi fausse est l'affirmation selon laquelle le revenu (plus-value) du capita­liste, contenu, par exemple, dans des machines non encore réalisées, ce qui est le cas pour un fabricant de machines, est du capital fixe pour un autre, à savoir celui qui achète des machines. Ce qui constitue, en effet, le revenu du fabricant de machines, ce ne sont pas les machines elles-mêmes ou une partie de ces machines, mais la plus-value qu'elles contiennent, par conséquent le trayait non payé fourni par ses ouvriers. Après la vente des machines, ce revenu reste comme auparavant dans les mains du fabricant de machines ; il n'a fait que changer de forme. Il a perdu sa forme de machines pour revêtir la forme d'argent. Réciproquement, ce n'est pas par l'achat de la machine que son acheteur est entré en possession de son capital fixe, car il le possédait déjà auparavant sous forme d'un certain capital argent. Par l'achat de la machine, il n'a fait que donner à ce capital la forme matérielle dont il avait besoin pour le faire fonctionner d'une façon productive. Avant comme après l'achat de la machine, le revenu (la plus-value) reste dans les mains du fabricant, le capital fixe dans les mains de l'acheteur. Exactement de la même façon que dans l'exemple indiqué plus haut le capital variable reste toujours dans les mains du capitaliste, le revenu dans celles de l'ouvrier.

Ce qui a amené la confusion chez Smith et ses successeurs, c'est qu'ils ont con­fondu, tout d'abord dans l'échange capitaliste des marchandises, leur forme d'usage avec leurs rapports de valeur, et ensuite qu'ils n'ont pas su séparer les différentes circulations de capital et circulations de marchandises, qui se confondent continuelle­ment. Un seul et même acte d'échange de marchandises peut être, vu d'un côté, circu­la­tion de capital, et, de l'autre, simple échange de marchandises, pour la satisfaction des besoins de consommation. La fausse affirmation selon laquelle ce qui est pour l'un capital est revenu pour un autre, et réciproquement, se ramène par conséquent à cette juste affirmation : ce qui est pour l'un circulation de capital est, pour un autre, simple échange de marchandises, et réciproquement. Par là se manifestent seulement la capacité de transformation du capital au cours de sa carrière et l'entrelacement des différentes sphères d'intérêts dans le processus d'échange social; mais l'existence nettement délimitée du capital, en opposition au revenu, et notamment dans ses deux formes principales, en tant que capital constant et en tant que capital variable, subsiste entièrement.

Et, cependant, en affirmant que le capital et le revenu privés ne concordent pas entièrement avec le capital et le revenu de la société, Smith s'approche très près de la vérité, quoiqu'il n'ait pas su montrer le rapport exact entre ces deux sortes de caté­gories.

4. Le schéma de la simple reproduction de Marx[modifier le wikicode]

Considérons la formule c + v + pl, expression du produit social. Avons-nous là une simple construction théorique, un schéma abstrait, ou cette formule a-t-elle, dans son application à la société tout entière, un sens concret, une existence sociale objective ?

C'est Marx qui a, le premier, montré l'importance fondamentale, en tant que caté­gorie, de c, le capital constant. Mais déjà Smith lui-même, qui ne travaille exclusive­ment qu'avec les catégories capital fixe et capital circulant, transforme en fait et inconsciemment le capital fixe en capital constant, englobant dans cette catégorie non seulement les moyens de production qui s'usent en plusieurs années, mais aussi ceux qui passent entièrement chaque année dans la production[24]. Son affirmation elle-même, selon laquelle la valeur se résout en v + pl, et les arguments à l'aide desquels il en fait la preuve l'amènent à séparer les deux catégories de conditions de la production, à savoir le travail vivant et tous les moyens de production figés. D'autre part, en essayant de construire le processus de reproduction sociale au moyen des capitaux et revenus privés, ce qui lui reste en qualité de capital « fixe », c'est en réalité, du capital constant.

Chaque capitaliste individuel emploie, pour la fabrication de ses marchandises, un certain nombre de moyens de production : bâtiments, matières premières, instru­ments. Pour la fabrication de la totalité des marchandises, la totalité des moyens de production matériels employés par les différents capitalistes individuels est évidem­ment nécessaire dans la société donnée. L'existence de ces moyens de production dans la société est un fait tout à fait réel, quoiqu'ils n'existent que sous forme de capitaux privés. Ici se manifeste la condition générale absolue de toute production sociale, quelle que soit sa forme historique. Ce qui caractérise la forme capitaliste particulière de cette production, c'est le fait que les moyens de production matériels fonctionnent précisément en tant que c, en tant que capital, c'est-à-dire en tant que propriété de non-travailleurs, en tant que pôle opposé aux forces de travail prolé­tariennes, que contrepartie du travail salarié. Le v, capital variable, est la somme des salaires réellement payés dans la société au cours de la production annuelle. Ce fait, lui aussi, a une importance objective, réelle, quoique celle-ci se manifeste sous forme d'une multitude de salaires individuels. Dans toute société, quelle qu'elle soit, le nombre de forces de travail réellement employées à la production et leur entretien annuel sont des questions d'une importance primordiale. La forme capitaliste particu­lière de cette catégorie, en tant que v, que capital variable, fait que les moyens d'exis­tence des travailleurs leur sont accordés : 1º en tant que salaires, c'est-à-dire en tant que prix de leur force de travail, qu'ils ont vendue, et en tant que capital appartenant à d'autres, aux non-travailleurs, aux possesseurs de moyens de production matériels ; 2º en tant que forme de valeur de leurs moyens d'existence. Le v exprime à la fois que les travailleurs sont « libres », au double sens du mot, c'est-à-dire libres personnelle­ment, et libres de tous moyens de production, et que la production de marchandises est la forme générale de la production dans la société donnée.

Enfin, le pl, plus-value, représente la somme totale de toutes les plus-values obtenues par les différents capitalistes individuels. Dans toute société, on fait du surtravail, et l'on devra en faire également dans la société socialiste. Et cela dans un triple sens : 1º en tant qu'un certain quantum de travail, pour l'entretien des non-travailleurs (éléments inaptes, enfants, vieillards, malades, fonctionnaires, membres des professions dites libérales, qui ne participent pas directement au procès de la production[25]) ; 2º en tant que fonds d'assurance de la société pour tous les accidents élémentaires qui peuvent avoir pour résultat de réduire la production annuelle (mau­vai­ses récoltes, incendies de forêts, inondations) ; 3º en tant que fonds pour l'élargis­sement de la production, déterminé soit par l'augmentation de la population, soit par l'accroissement culturel des besoins. La forme capitaliste du surtravail se manifeste de deux façons : 1º en ce qu'il a pour but la plus-value, sous la forme de marchandises, et réalisable en argent ; 2º en ce qu'il fait son apparition en tant que propriété de non-travailleurs possesseurs des moyens de production.

Enfin, les deux termes v + pl représentent également une grandeur objective d'une valeur générale : la somme totale de travail vivant réalisée dans la société au cours d'une année. Toute société humaine, quelle qu'elle soit, doit s'intéresser à ce fait, tant par rapport aux résultats obtenus que par rapport aux forces de travail existantes et disponibles. La division en v + pl est, elle aussi, une division générale, indépendante des formes historiques particulières de la société. La forme capitaliste de cette divi­sion ne se manifeste pas seulement dans leurs particularités qualitatives, que nous avons déjà soulignées, mais aussi dans leur rapport qualitatif, en ceci que v a tendance à être réduit au minimum physiologique et social nécessaire à l'existence des travailleurs et que pl a tendance à croître constamment aux dépens de v et par rapport à lui.

Ce dernier fait exprime enfin la caractéristique dominante de la production capi­taliste : le fait que la création et l'appropriation de la plus-value sont le véritable but et le moteur déterminant de cette production.

On voit donc que les rapports qui sont à la base de la formule capitaliste du pro­duit total ont une valeur générale et seront dans tout régime économique organisé l'objet d'une réglementation consciente de la part de la société - de la collectivité des travailleurs et de ses organes démocratiques dans une société communiste, de la clas­se dominante et de son pouvoir despotique dans une société reposant sur la domina­tion de classe. Dans la société capitaliste, il n'y a pas d'organisation méthodique de la production. La totalité des capitaux, comme des marchandises de la société, n'est composée en réalité que d'une somme d'innombrables capitaux et de postes-marchan­dises individuels.

La question se pose donc de savoir si ces sommes, même dans la société capita­liste, n'ont d'autre sens que celui d'une simple énumération statistique, et encore d'un caractère très approximatif. Dans le cadre de la société, il apparaît cependant que l'existence souveraine, indépendante, des entreprises capitalistes privées n'est que la forme historique déterminée, tandis que la liaison sociale est la base. Quoique les capitaux individuels agissent d'une façon complètement indépendante les uns des autres et qu'une réglementation sociale fasse complètement défaut, le mouvement général de tous les capitaux se poursuit comme un seul tout. Ce mouvement général, lui aussi, se manifeste sous des formes spécifiquement capitalistes. Tandis que, dans tout régime de production organisée, la réglementation concerne avant tout le rapport entre l'ensemble du travail réalisé et à réaliser et les moyens de production (c'est-à-dire entre (v + pl) et c) ou entre la somme des moyens de consommation et des moyens de production nécessaires (dans la formule, le même (v + pl) à c), le travail social nécessaire à l'entretien des moyens de production figés comme des forces de travail vivantes est considéré, dans les conditions capitalistes, comme un tout, en tant que capital, auquel s'oppose le surtravail réalisé, la plus-value, pl. Le rapport de ces deux sortes de grandeurs, pl et (c + v), est un rapport réel, objectif, concret, de la société capitaliste, à savoir le taux de profit moyen, pour lequel chaque capital privé n'est effectivement qu'une partie d'un tout commun, le capital social, auquel celui-ci alloue le profit comme la part qui lui revient, conformément à sa grandeur, de la plus-value extorquée dans la société, sans égard à la quantité réellement obtenue par lui. Le capital social et sa contrepartie, la plus-value sociale ne sont donc pas seulement des grandeurs réelles, objectives, mais leur rapport, le profit moyen, dirige et oriente - au moyen du mécanisme de la loi de la valeur - tout le processus de l'échange, c'est-à-dire les rapports d'échange quantitatifs des différentes sortes de marchandises, indé­pendamment de leurs rapports de valeur particuliers, ainsi que la division du travail social, c'est-à-dire la répartition des capitaux et des forces de travail correspondantes entre les différentes branches de production, le développement de la productivité du travail, d'une part, en poussant les capitaux à entreprendre des travaux de pionniers pour s'élever au-dessus du profit moyen, et, d'autre part, en étendant les progrès obtenus par les unes à l'ensemble de la production. En un mot : le capital social domine entièrement, par l'intermédiaire du taux de profit moyen, les mouvements, en apparence indépendants, des capitaux individuels[26].

La formule c + v + pl concorde par conséquent, non seulement avec la compo­sition de valeur de chaque marchandise, mais aussi avec l'ensemble des marchandises produites dans la société capitaliste. Mais elle se rapporte seulement à la composition de valeur. Au-delà cesse l'analogie.

Cette formule est entièrement exacte si nous voulons analyser en ses différents éléments le produit total d'une société produisant dans des conditions capitalistes en tant que totalité, que produit du travail d'une année. Le terme c nous indique quelle est la quantité de travail passé, réalisé au cours des années précédentes, sous forme de moyens de production, qui a été incorporée au produit de cette année. Les termes v + pl nous indiquent quelle est la partie de valeur du produit qui a été créée exclusi­vement au cours de la dernière année, grâce à un travail nouveau. Enfin, le rapport de v à pl nous indique de quelle façon la quantité du travail annuel de la société se répartit entre I'entretien des travailleurs et celui des non-travailleurs. Cette analyse vaut également pour la reproduction du capital individuel, sans égard à la forme matérielle du produit créé par lui. Pour le capitaliste de l'industrie mécanique, c comme v, comme pl, reviennent indistinctement sous forme de machines ou de parties de machines. Pour son collègue de l'industrie du sucre, c comme v et pl sortent du processus de production sous forme de sucre. Pour le propriétaire d'un café chantant, ils sont représentés par les appâts physiques des danseuses et les « attrac­tions ». Ils ne se différencient l'un de l'autre au sein du produit indistinct qu'en tant que ses différentes parties de valeur. Et cela suffit entièrement pour la reproduction du capital individuel. Car la reproduction du capital individuel commence avec la forme de valeur du capital ; son point de départ est une certaine somme d'argent, provenant de la réalisation du produit fabriqué. La formule c + v + pl est alors la base donnée pour la division de cette somme d'argent en une partie pour l'achat de moyens de production matériels, une autre pour l'achat de la force de travail, et une troisième destinée à la consommation personnelle du capitaliste, au cas où, ainsi que nous le supposons ici, il y a seulement reproduction simple, ou seulement en partie destinée à la consommation et en partie à l'accroissement du capital en cas de reproduction élargie. Il va de soi que pour la reproduction effective, il doit retourner au marché avec le capital argent ainsi partagé, pour y acheter les moyens matériels de production : matières premières, instruments, ainsi que les forces de travail nécessaires. Qu'il trouve effectivement sur le marché les moyens de production et les forces de travail dont il a besoin, cela apparaît tout aussi naturel au capitaliste individuel et à son idéologue, l'économiste vulgaire.

Il en est tout autrement de la production sociale. Du point de vue de la société tout entière, l'échange des marchandises ne peut réaliser qu'un transfert, un déplacement des différentes parties du produit total ; il ne peut modifier en rien sa composition matérielle. Après comme avant ce déplacement, la reproduction du capital social ne peut avoir lieu que s'il y a, dans le produit total sorti de la dernière période de pro­duc­tion : 1º des moyens de production en quantité suffisante ; 2º des moyens de consom­mation suffisants pour l'entretien de l'ancienne quantité de forces de travail ; 3º last not least, les moyens de consommation nécessaires à l'entretien « convenable » de la classe capitaliste et de sa suite. Ici, nous pénétrons dans un domaine nouveau : des purs rapports de valeur nous passons aux points de vue matériels. Il s'agit maintenant de la forme d'usage du produit social. Ce qui est au capitaliste individuel tout à fait indifférent devient, pour l'ensemble des capitalistes, quelque chose d'extrêmement important. Tandis que le capitaliste individuel se moque totalement de la question de savoir si la marchandise qu'il a fabriquée est une machine, du sucre, des engrais arti­ficiels ou une gazette libérale, pourvu qu'il puisse l'écouler afin de retrouver son capital, plus la plus-value, il est d'une énorme importance pour la classe des capita­listes que son produit ait une forme d'usage bien déterminée, et notamment qu'il con­tienne trois choses : 1º des moyens de production pour le renouvellement du proces­sus du travail ; 2º des moyens de consommation simples pour l'entretien de la classe ouvrière ; 3º des moyens de consommation de qualité supérieure, avec le luxe nécessaire, pour l'entretien de la classe capitaliste elle-même. Et même ce désir n'est pas formulé d'une façon générale et vague, mais d'une façon tout à fait précise. Si nous considérons maintenant quelle est l'importance des quantités d'objets de ces trois catégories dont la classe capitaliste a besoin, nous obtenons une évaluation précise - en supposant toujours la reproduction simple que nous prenons comme point de départ - dans la composition de valeur du produit total de la dernière année. La formule c + v + pl, que nous avons considérée jusqu'ici, tant en ce qui concerne l'ensemble du capital social que le capital individuel, comme une simple division quantitative de la valeur totale, c'est-à-dire de la quantité de travail contenue dans le produit annuel de la société, apparaît maintenant également comme la base donnée de la division matérielle du produit. Il est clair que, pour reprendre la production dans les mêmes dimensions que jusqu'alors, la classe capitaliste doit trouver dans son nouveau produit total une quantité de moyens de production correspondant à la grandeur c, une quantité de moyens de consommation simples pour les ouvriers correspondant à la somme des salaires v et une quantité de moyens de consommation de qualité supéri­eure pour elle-même et pour sa suite correspondant à la grandeur pl. La composition de valeur du produit social annuel se traduit par conséquent dans la forme matérielle de ce produit de la façon suivante : pour que la reproduction simple devienne possi­ble, tout le c de la société doit réapparaître sous forme d'une quantité équivalente de moyens de consommation pour les ouvriers, et pl sous forme de moyens de consommation pour les capitalistes.

Nous arrivons ici à une différence manifeste entre les capitalistes individuels et l'ensemble des capitalistes. Le premier reproduit chaque fois son capital constant et variable, ainsi que sa plus-value : 1º les trois parties dans un produit unique de la même forme matérielle; 2º sous une forme quelconque, mais qui diffère chez chaque capitaliste. L'ensemble des capitalistes, par contre, reproduisent chaque partie de valeur de leur produit annuel sous une forme matérielle différente, à savoir : le c en tant que moyens de production, le v en tant que moyens de consommation pour les ouvriers, et le pl en tant que moyens de consommation pour les capitalistes. Pour la reproduction du capital individuel, seuls comptaient les rapports de valeur, en supposant les conditions matérielles comme expression naturelle de l'échange des marchandises. Pour la reproduction du capital social, les rapports de valeur s'unissent aux points de vue matériels. Il est d'ailleurs évident que le capital individuel ne peut avoir de purs points de vue de valeur et considérer les conditions matérielles comme une loi du ciel que dans la mesure où, réciproquement, le capital social tient compte des points de vue matériels. Si tout le c de la société n'était pas reproduit chaque année sous forme de la même quantité de moyens de production, chaque capitaliste individuel aurait beau fouiller le marché avec son c réalisé sous forme d'argent, il ne trouverait pas les conditions matérielles nécessaires à sa reproduction individuelle. Du point de vue de la reproduction, nous n'arrivons par conséquent à rien avec la formule générale c + v + pl pour l'ensemble du capital social, ce qui prouve d'ailleurs une fois de plus que la notion de reproduction représente quelque chose de réel et plus qu'une simple façon différente d'exprimer la notion de production. Nous devons plutôt faire des distinctions de caractère matériel et représenter le capital social, au lieu d'un seul tout, dans ses trois parties principales, ou encore, pour simplifier les choses, étant donné que, théoriquement, cela ne présente aucun inconvénient, en deux sections : en tant que production de moyens de production et en tant que production de moyens de consommation pour les ouvriers et les capitalistes. Chaque section devra être considérée à part, en observant pour chacune d'elles les conditions fonda­mentales de la production capitaliste. Mais, en même temps, nous devons, du point de vue de la reproduction, souligner les rapports réciproques des deux sections. Car ce n'est, précisément, que considérées dans leurs rapports l'une avec l'autre qu'elles fournissent les bases de la reproduction du capital social, en tant que tout.

C'est ainsi que dans la représentation du capital social et son produit nous consta­tons une certaine modification par rapport au capital individuel. Quantitativement, en tant que grandeur, le c de la société se compose exactement de la somme des capitaux constants individuels. Il en est de même en ce qui concerne les deux autres termes v et pl. Mais la forme sous laquelle ils apparaissent est différente. Tandis que le c des capitaux individuels ressort du procès de production en tant que particule de valeur d'une variété infinie d'objets de consommation, il apparaît dans le produit total pour ainsi dire condensé dans une certaine quantité de moyens de production. Et de même v et pl, lesquels, dans les capitaux individuels réapparaissent en tant que fragments d'un « vrac de marchandises » de la forme la plus variée, sont, dans le produit total, condensés en une quantité déterminée de moyens de consommation pour les ouvriers et les capitalistes. C'est à peu près à cette constatation que s'est heurté Smith dans ses considérations sur la non-concordance des catégories de capital fixe, capital circulant et revenu, suivant qu'on considère le capitaliste individuel et l'ensemble de la société.

Nous sommes donc arrivés aux résultats suivants :

  1. La production de la société, considérée en tant que tout, peut, tout comme celle du capitalisme individuel, être exprimée dans la formule c + v + pl;
  2. La production sociale se divise en deux sections : production de moyens de production et production de moyens de consommation ;
  3. Ces deux sortes de production sont réalisées dans des conditions capitalistes, c'est-à-dire en tant que production de plus-value. Par conséquent, la formule c + v + pl s'applique également à chacune d'elles ;
  4. Ces deux sections s'appuient l'une sur l'autre et doivent par conséquent présenter certains rapports quantitatifs, en ce sens que l'une doit fabriquer tous les moyens de production des deux sections, l'autre tous les moyens de consommation destinés aux ouvriers et aux capitalistes des deux sections.

C'est en partant de ces deux considérations que Marx établit la formule suivante de la reproduction capitaliste[27] :

I : 4 000 c + 1 000 v + 1 000 pl = 6 000 moyens de production.

II : 2 000 c + 500 v + 500 pl = 3 000 moyens de consommation.

Les chiffres de cette formule expriment des grandeurs de valeur, par conséquent des quantités d'argent qui, quoique arbitraires en soi, sont cependant exactes en ce qui concerne leurs rapports. Les deux sections se distinguent l'une de l'autre par la forme d'usage des marchandises fabriquées. Leur circulation réciproque se fait de la manière suivante : la première section fournit des moyens de production pour toute la produc­tion, par conséquent pour elle-même comme pour la seconde section - d'où il résulte déjà que, pour que la reproduction puisse se poursuivre sans heurts (on suppose toujours la reproduction simple - dans les anciennes dimensions), le produit total de la première section (6 000) doit être égal en valeur à la somme des capitaux constants dans les deux sections (I- 4 000 c + II- 2 000 c) ; la deuxième section fournit des moyens de consommation pour toute la société, par conséquent tant pour ses propres ouvriers et capitalistes que pour ceux de la première section - d'où il résulte que, pour que la consommation et la production et leur renouvellement puissent se poursuivre sans difficultés dans les anciennes dimensions, il est nécessaire que la quantité totale de moyens de consommation fournis par la seconde section soit égale en valeur à la somme des revenus de tous les ouvriers occupés et de tous les capitalistes de la société (ici 3 000 II- = (1000 v + 1000 pl) I- + (500 v + 500 pl) II-).

Nous avons en effet exprimé ici, en rapports de valeur, uniquement ce qui est la base, non seulement de la reproduction capitaliste, mais de toute reproduction, dans quelque société que ce soit. Dans toute société productrice, quelle que soit sa forme sociale - que ce soit dans la petite communauté villageoise primitive des Bakaïris du Brésil, dans la grande exploitation esclavagiste d'un Timon d'Athènes ou dans les domaines impériaux d'un Charlemagne - la quantité de travail disponible de la société doit être répartie de telle sorte que moyens de production et moyens de consommation soient fabriqués en quantité suffisante. Les premiers doivent suffire tant à la fabrica­tion directe de moyens de consommation qu'au renouvellement futur des moyens de production eux-mêmes, et les seconds, à l'entretien des ouvriers occupés à leur fabrication, ainsi qu'à celle des moyens de production, et en plus à l'entretien de tous les non-travailleurs. En ce sens le schéma établi par Marx est, dans ses proportions générales, la base générale absolue de la reproduction sociale, avec cette seule réserve qu'ici le travail socialement nécessaire apparaît comme valeur, les moyens de production comme capital constant, le travail nécessaire à l'entretien des travailleurs comme capital variable, et celui nécessaire à l'entretien des non-travailleurs comme plus-value.

Mais, dans la société capitaliste, la circulation entre les deux grandes sections re­po­se sur l'échange des marchandises, sur l'échange d'équivalents. Les ouvriers et les capitalistes de la section I ne peuvent recevoir de la section II qu'autant de moyens de consommation qu'ils peuvent eux-mêmes lui fournir de leurs propres marchandises, les moyens de production. Mais les besoins en moyens de production de la section Il sont mesurés par l'importance de son capital constant - d'où il résulte, par conséquent, que la somme du capital variable et de la plus-value dans la production des moyens de production [ici (1000 v + 1000 pl) I-] doit être égale au capital constant dans la production des moyens de consommation (ici 2 000 c II-).

Il faut encore faire une remarque importante au sujet du schéma ci-dessus. Le capital constant indiqué de ces deux sections ne représente en réalité qu'une partie du capital constant employé par la société. Ce dernier se divise en capital fixe – bâti­ments, machines, bêtes de somme - qui sert pour plusieurs périodes de production, mais qui, dans chacune, ne s'incorpore dans la production que pour une partie seule­ment de sa valeur (en rapport avec sa propre usure), et en capital circulant - matières premières, combustible, éclairage - qui, dans chaque période de production, s'incor­pore avec toute sa valeur dans le nouveau produit. Mais, pour la reproduction, seule entre en ligne de compte la partie des moyens de production qui s'incorpore vérita­blement dans la production de valeur. L'autre partie du capital fixe, restée en dehors du produit et continuant à fonctionner, doit être assurément tenue en considération, mais peut cependant être laissée de côté dans la représentation exacte de la circulation sociale sans diminuer en quoi que ce soit la justesse de cette représentation. C'est ce qu'il est facile de démontrer.

Posons, par exemple, le capital constant 6 000 c des sections I et II, qui s'incor­pore en fait dans la production annuelle de cette section, comme étant composé de 1 500 c fixe et de 4 500 c circulant, les 1 500 c fixe représentant l'usure annuelle des bâtiments, machines, bêtes de travail, etc. Cette usure annuelle est, disons, égale à 10 % de la valeur totale du capital fixe employé. Nous aurions alors en réalité dans les deux sections, 15 000 c de capital fixe et 4 500 c de capital circulant, soit en tout, par conséquent, 19 500 c + 1 500 v de capital social. Cependant, tout le capital fixe, dont la durée d'existence (en supposant une usure annuelle de 10 %) est de dix ans, ne devra être renouvelé qu'au bout de dix ans. Entre-temps, tous les ans, un dixième de sa valeur s'incorpore dans la production sociale. Si tout le capital fixe de la société s'usait dans la même proportion et avait une même durée d'existence, il devrait - toujours d'après notre supposition - être renouvelé entièrement une fois tous les dix ans. Mais ce n'est pas le cas. Des différentes formes d'usage et parties du capital fixe, les unes durent moins longtemps, les autres plus longtemps ; l'usure et la durée d'existence sont tout à fait différentes suivant les espèces et les formes différentes du capital fixe. Il en résulte que même le renouvellement, la reproduction du capital fixe dans sa forme d'usage concrète n'a pas du tout besoin d'être réalisé en une seule fois dans sa totalité, mais que, constamment, en différents points de la production sociale, un renouvellement de certaines parties du capital fixe a lieu, tandis que d'autres parties continuent à fonctionner sous leur ancienne forme. L'usure de 10 % du capital fixe, que nous avons supposée dans notre exemple, ne signifie donc pas que tous les dix ans une reproduction en une seule fois du capital fixe pour une valeur de 15 000 c doit avoir lieu, mais que tous les ans, en moyenne, le renouvellement et le rempla­cement d'une partie du capital fixe de la société correspondant au dixième de la valeur de ce capital doit avoir lieu, c'est-à-dire que dans la section I, qui doit couvrir les besoins totaux de la société en moyens de production, doit avoir lieu, tous les ans, outre la reproduction de toutes les matières premières du capital circulant, pour une valeur de 4 500, la fabrication des formes d'usage du capital fixe, par conséquent des bâtiments, machines, etc., pour une valeur de 1500, correspondant à l'usure effective du capital fixe, soit en tout 6 000 c, qui ont d'ailleurs été supposées dans le schéma. Si la section I continue à renouveler ainsi tous les ans un dixième du capital fixe, sous sa forme d'usage, il en résultera que, tous les dix ans, tout le capital fixe de la société aura été remplacé entièrement dans toutes ses parties, que, par conséquent, la repro­duction aussi de celles de ses parties que nous avons, d'après leur valeur, laissées de côté, aura été complètement réalisée dans le schéma ci-dessus.

Pratiquement, cela se passe ainsi : chaque capitaliste met de côté sur sa production annuelle, après avoir vendu ses marchandises, une certaine somme d'argent pour l'amortissement du capital fixe. Ces différents décomptes annuels doivent atteindre une certaine hauteur avant que le capitaliste ait effectivement renouvelé son capital, ou l'ait remplacé par d'autres modèles d'un rendement supérieur. Mais cette activité changeante de réserves annuelles de sommes d'argent pour le renouvellement du capi­tal fixe et d'utilisation périodique des sommes ainsi accumulées en vue du renouvelle­ment effectif du capital fixe ne se poursuit pas de la même façon chez tous les capitalistes individuels, de telle sorte que les uns font encore des réserves alors que d'autres procèdent déjà au renouvellement. De cette manière se réalise chaque année le renouvellement d'une partie du capital fixe. Les petites opérations d'argent ne font que masquer ici le phénomène véritable qui caractérise le procès de la reproduction du capital fixe.

Et d'ailleurs, quand on examine les choses de près, c'est tout à fait dans l'ordre. Le capital fixe participe bien dans sa totalité au procès de la production, mais seulement comme une masse d'objets de consommation. Des bâtiments, des machines, des bêtes de somme, sont utilisés, avec toute leur structure matérielle, dans le processus du travail. Cependant ils n'entrent dans la production de valeur - et c'est précisément en cela que consiste leur particularité en tant que capital fixe - que pour une partie seulement de leur valeur. Étant donné que dans le procès de la reproduction (en sup­po­sant toujours la reproduction simple) ce qui importe uniquement, c'est de remplacer dans leur forme naturelle les valeurs effectivement consommées dans la production annuelle, tant en moyens de consommation qu'en moyens de production, le capital fixe n'entre en ligne de compte pour la reproduction que dans la mesure où il est passé effectivement dans les marchandises produites. L'autre partie de valeur incorporée dans toute la forme d'usage du capital fixe a une importance décisive pour la produc­tion, en tant que processus du travail, mais n'existe pas pour la reproduction annuelle de la société en tant que procès de création de valeur.

D'ailleurs, le phénomène qui s'exprime en rapports de valeur vaut également pour toute société, même non productrice de marchandises. Quand, par exemple, pour construire le célèbre lac Mœris, dans l'ancienne Égypte, avec les canaux du Nil s'y rattachant, ce lac merveilleux, dont Hérodote nous dit qu'il a été « creusé avec les mains », il a fallu, disons, dix années de travail de 1 000 fellahs, et pour l'entretien de cette installation d'irrigation, la plus grandiose du monde entier, tous les ans le travail de 100 fellahs (ces chiffres sont, bien entendu, arbitraires), on peut dire que ce lac, avec les canaux, a été refait entièrement tous les cent ans, quoiqu'en réalité il ne l'ait pas été en une seule fois, dans sa totalité. C'est si vrai que lorsqu'à la suite des violentes péripéties de l'histoire politique et des invasions étrangères on assista à cet abandon barbare des vieux travaux d'art (comme celui, par exemple, dont se rendirent coupables les Anglais dans l'Inde), lorsqu'eut disparu toute compréhension pour les besoins de reproduction de la culture antique, alors avec le temps disparut également le lac Mœris, avec l'eau, les digues, les canaux, les deux pyramides au milieu, le colosse pardessus, et autres merveilles, sans laisser la moindre trace, comme s'il n'avait jamais existé. Dix lignes seulement dans Hérodote, une tache sur la carte de Ptolémée, ainsi que quelques traces d'anciennes civilisations et de grandes villes et bourgades témoignent qu'autrefois une vie abondante coulait de cette magnifique ins­tal­lation hydraulique, là où s'étendent aujourd'hui un vaste désert de sable au centre de la Libye et des marais stagnants le long de la côte.

Il y a un cas cependant où le schéma de la reproduction simple de Marx pourrait nous paraître insuffisant ou défectueux du point de vue du capital fixe. C'est quand nous nous reportons à la période de production où tout le capital fixe a été créé pour la première fois. En effet, la société possède, en travail réalisé, plus que la partie du capital fixe qui passe chaque fois dans la valeur du produit annuel et est de nouveau remplacée par lui. Dans les chiffres que nous avons supposés, le capital social se compose, non pas de 6 000 c + 1 500 v, comme dans le schéma, mais de 19 500 c + 1 500 v. Annuellement, sur les 15 000 c, qui, d'après notre supposition, constituent le capital fixe, 1 500 sont bien reproduits sous forme de moyens de production corres­pondants. Mais, chaque année aussi, une quantité égale est consommée dans la même production. Au bout de dix ans, tout le capital fixe est bien renouvelé entièrement en tant que forme d'usage, en tant que somme d'objets. Mais, au bout de dix ans, comme chaque année, la société possède 15 000 c de capital fixe, tandis qu'elle ne produit annuellement que 1 500 c, ou ne possède en tout que 19 500 de capital constant, tan­dis qu'elle ne produit que 6 000 c. Il est évident que cet excédent de 13 500 de capital fixe, elle doit l'avoir créé par son travail ; elle possède en travail passé accumulé plus qu'il ne ressort de notre schéma de reproduction. Chaque journée de travail social annuel s'appuie déjà ici, comme sur une base donnée, sur plusieurs journées annuelles de travail accumulé. Mais cette question du travail passé, base de tout travail actuel, nous transporte au « commencement de tous les commencements », qui ne vaut pas davantage dans le développement économique de l'humanité que dans le développe­ment naturel de la matière. Le schéma de la reproduction n'a pas pour objet de représenter le début du processus social, in statu nascendi; il le prend au milieu même de son cours, comme un anneau dans « la chaîne infinie de l'être ». Le travail passé est toujours la condition du procès de la reproduction sociale, qu'on remonte aussi loin qu'on voudra. Pas plus qu'il n'a de fin, le travail social n'a de commencement. Les origines des bases du procès de la reproduction se perdent dans ces ténèbres légen­daires de l'histoire de la civilisation où se perd également l'histoire de la construction du lac Mœris dont parle Hérodote. Au fur et à mesure du développement technique et du progrès de la civilisation, la forme des moyens de production se modifie : les paléolithes grossiers sont remplacés par des outils de pierre taillée, ces derniers par d'élégants instruments de bronze et de fer, l'outil de l'artisan par la machine à vapeur. Mais, à travers toutes ces transformations dans la forme des moyens de production et des modes de production, la société possède toujours, comme base de son processus de travail, une certaine quantité de travail passé, matérialisé, qui lui sert de base pour la reproduction annuelle.

Dans le mode de production capitaliste, le travail passé de la société, accumulé dans les moyens de production, reçoit la forme de capital, et la question de l'origine du travail passé, qui constitue la base du procès de la reproduction, se transforme en la question de la genèse du capital. Celle-ci est assurément beaucoup moins légen­daire ; elle est inscrite en lettres de sang dans l'histoire des temps modernes, comme constituant le chapitre dit de l'accumulation primitive. Mais le fait même que nous ne pouvons pas nous représenter la reproduction simple autrement que sous condition de travail passé accumulé, dépassant en dimensions le travail réalisé tous les ans pour l'entretien de la société, ce fait touche au point faible de la reproduction simple et montre qu'elle n'est qu'une fiction, non seulement pour la production capitaliste, mais pour le développement culturel en général. Pour pouvoir nous représenter seulement cette fiction même, d'une façon exacte - en schéma -, nous sommes obligés de suppo­ser comme sa condition les résultats d'un processus de production passé, qui lui-même ne pouvait pas être restreint à la reproduction simple, mais tendait déjà à la reproduction élargie. Pour illustrer ce fait à l'aide d'un exemple, nous pouvons compa­rer tout le capital fixe de la société à un chemin de fer. La durée et par conséquent aussi l'usure annuelle des différentes parties du chemin de fer sont très variables. Des parties telles que les viaducs, les tunnels, peuvent durer des siècles, les locomotives des décennies, mais tout le reste du matériel roulant s'usera en très peu de temps, parfois même au bout de quelques mois. Il en résulte une certaine usure moyenne, qui sera, disons, de 30 ans ; autrement dit, il y aura tous les ans une perte de valeur de 1/30 du tout. Cette perte de valeur sera remplacée d'une façon permanente par une reproduction partielle du chemin de fer (qui peut figurer au titre de réparations), en ce sens qu'on renouvellera aujourd'hui un wagon, demain une partie de locomotive, après-demain une certaine longueur de rails. Ainsi, au bout de 30 ans, d'après notre supposition, le vieux chemin de fer sera remplacé par un nouveau, la société effec­tuant bon an mal an la même quantité de travail, ce qui signifie par conséquent qu'il y a reproduction simple. Mais, de cette manière, on peut seulement reproduire le che­min de fer, on ne peut pas le produire. Pour pouvoir l'utiliser et remplacer peu à peu l'usure progressive résultant de l'usage qu'on en fait, il faut que le chemin de fer ait été d'abord entièrement construit en une fois. On peut le réparer, morceau par morceau, mais on ne peut pas le rendre capable de servir morceau par morceau : aujourd'hui un essieu, demain un wagon. Car ce qui caractérise précisément le capital fixe, c'est qu'il passe chaque fois matériellement, en tant que valeur d'usage et dans sa totalité, dans le procès du travail. Par conséquent, pour pouvoir constituer en une fois sa forme d'usage, la société doit concentrer en une fois une grande quantité de travail en vue de sa fabrication. Elle doit - pour employer les chiffres de notre exemple - concentrer, disons, en deux ou trois ans, en vue de la construction du chemin de fer, la quantité de travail dépensée en trente ans pour les réparations. Dans cette période de construction, elle doit par conséquent réaliser une quantité de travail dépassant la moyenne, autrement dit faire appel à la reproduction élargie, après quoi elle pourra - quand le chemin de fer aura été construit - revenir à la reproduction simple. Certes, il ne faut pas se représenter tout le capital fixe de la société comme un vaste objet de consom­mation, ou comme une complexe d'objets de consommation, qui doit toujours être produit en une fois. Mais tous les instruments de travail importants : bâtiments, moyens de transport, installations agricoles, nécessitent pour leur construction une grande dépense de travail concentré, ce qui est aussi vrai du chemin de fer moderne et de l'avion que de la hache de silex et du moulin à bras. D'où il résulte que la reproduc­tion simple en soi ne peut se concevoir autrement que succédant périodiquement à la reproduction élargie, ce qui n'est pas seulement imposé par le progrès de la culture et l'accroissement de la population, en général, mais aussi par la forme économique du capital fixe ou des moyens de production correspondant dans chaque société au capital fixe.

Marx ne s'occupe pas directement de cette contradiction entre la forme du capital fixe et la reproduction simple. Il ne fait que souligner la nécessité d'une «  surproduc­tion » constante, par conséquent d'une reproduction élargie en rapport avec la part d'usure irrégulière du capital fixe, plus ou moins considérable selon les années, ce qui devrait entraîner périodiquement un déficit dans la reproduction, si l'on observait strictement la reproduction simple.

Il considère donc ici la reproduction élargie du point de vue du fonds d'assurance de la société pour le capital fixe, et non pas du point de vue de sa production même[28].

Sous un tout autre rapport, Marx confirme entièrement, nous semble-t-il, et d'une façon indirecte la conception ci-dessus exposée. En analysant la transformation du revenu en capital, dans le tome Il, 2º partie, des Théories sur la plus-value (Histoire des doctrines économiques), il traite la question de la reproduction particulière du capital fixe, dont le simple remplacement fournit déjà un fonds d'accumulation, et tire les conclusions suivantes .

« Si le capital total employé dans la construction des machines était juste suffisant pour remplacer l'usure annuelle de la machinerie, il produirait beaucoup plus de machines qu'il n'en faut chaque année, parce qu'une partie de l'usure n'existe que théoriquement et ne demande à être remplacée effectivement qu'au bout d'un certain nombre d'années. Le capital employé de la sorte fournit donc chaque année une masse de machines qui rendent possible le placement de nouveaux capitaux et anticipent ces placements. Mettons que le constructeur commence sa fabrication cette année et qu'il produise 12 000 ₤ de machines dans l'année. Pour chacune des onze années qui restent il n'aurait donc, en reproduisant simplement la machinerie qu'il a créée, qu'à produire pour 1 000 ₤, et cette production annuelle ne serait pas même consommée chaque année. Elle le serait encore moins s'il employait tout son capital. Celui-ci ne peut se reproduire annuellement que si la fabrication, qui a besoin de ces machines, s'élargit constamment. A fortiori, quand il accumule lui-même. Même s'il n'y a que simple reproduction du capital placé dans cette sphère de production, il faut donc une accumulation continuelle dans les autres sphères de production[29]. »

Le constructeur de machines dont parle ici Marx, nous pouvons nous le repré­senter comme la sphère de production du capital fixe de la société. Il en résulte que si l'on observe dans cette sphère la reproduction simple, c'est-à-dire si la société consa­cre annuellement la même quantité de travail à la production du capital fixe (ce qui est pratiquement impossible), elle doit, dans toutes les autres sphères de la produc­tion, procéder chaque année à un élargissement de la production. Mais si elle ne fait qu'observer ici la simple reproduction, elle ne doit dépenser, pour le simple renouvel­le­ment du capital fixe une fois créé, qu'une petite partie du travail employé à sa création. Or, pour employer une formule toute différente, la société doit, de temps en temps, pour pouvoir se procurer de grands investissements de capital fixe, même en supposant la reproduction simple, faire appel à la reproduction élargie.

Au fur et à mesure du progrès de la civilisation se modifient non seulement la forme, mais aussi les dimensions de valeur des moyens de production - ou, plus exactement, le travail social accumulé en eux. La société, en dehors du travail néces­saire à son entretien immédiat, épargne toujours plus de temps et de forces de travail, qu'elle emploie à la production de moyens de production, et cela en quantités de plus en plus considérables. Comment cela se manifeste-t-il dans le procès de la reproduc­tion ? Comment la société crée-t-elle - dans les conditions capitalistes - au moyen de son travail annuel plus de capital qu'elle n'en possédait jusqu'alors ? Cette question nous transporte dans le domaine de la reproduction élargie, dont il nous reste à nous occuper maintenant.

5. La circulation de l'argent[modifier le wikicode]

Jusqu'ici, dans notre étude du processus de reproduction, nous avons fait complè­tement abstraction de la circulation de l'argent. Non pas de l'argent en tant que représentation et mesure de valeur ; tous les rapports du travail social ont été supposés et mesurés en tant qu'exprimés en argent. Mais il est cependant nécessaire d'examiner le schéma ci-dessus de la reproduction simple du point de vue de l'argent en tant que moyen d'échange.

Comme le supposait déjà le vieux Quesnay, il faut, pour comprendre le processus de reproduction sociale, supposer que la société, outre certains moyens de production et de consommation, possède encore une certaine somme d'argent[30]. Deux questions se posent : dans quelles mains se trouve cette somme d'argent, et quelle doit être son importance ? Avant tout, ce qui est hors de doute, c'est le fait que les ouvriers reçoi­vent leur salaire en argent, pour s'acheter, avec cet argent, des moyens de consomma­tion. Socialement, cela aboutit dans le processus de reproduction à ceci que les ouvriers reçoivent un simple bon à valoir sur un certain fonds de moyens de consom­ma­tion, qui leur est attribué, comme cela se produit dans toute société, quelle que soit sa forme de production historique. Mais le fait que les travailleurs reçoivent ici leurs moyens de consommation non pas directement, mais par l'intermédiaire de l'échange des marchandises, est tout aussi essentiel pour la forme de production capitaliste que le fait qu'ils mettent leur force de travail à la disposition des possesseurs des moyens de production, non pas directement, sur la base d'un rapport de domination person­nelle, mais au moyen de l'échange des marchandises, à savoir la vente de la force de travail. La vente de la force de travail et le libre achat des moyens de consommation par les ouvriers constituent le facteur essentiel de la production capitaliste. L'un et l'autre s'expriment et sont réalisés par la forme argent du capital variable v.

Avant tout, par conséquent, l'argent entre en circulation au moyen du paiement des salaires. Les capitalistes des deux sections, tous les capitalistes, doivent, par conséquent, avant tout mettre de l'argent en circulation, chacun pour le montant des salaires payés par lui à ses ouvriers. Les capitalistes de la section I doivent être en possession de 1 000 en argent, ceux de la section II de 500, qu'ils paient à leurs ouvriers. Dans notre schéma entrent par conséquent en circulation deux sommes d'argent : I- 1000 v et II- 500 v. L'une et l'autre sont dépensées par les ouvriers en moyens de consommation, donc en produits de la section II. Par ce moyen est conservée la force de travail, c'est-à-dire que le capital variable de la société est reproduit sous sa forme naturelle, comme étant la base du reste de la reproduction capitaliste. En outre, les capitalistes de la section Il se débarrassent en même temps ainsi de leur produit total 1 500, à savoir 500 donnés à leurs propres ouvriers et 1000 à ceux de l'autre section. Au moyen de cet échange, les capitalistes de la section II sont entrés en possession de 1 500 en argent : 500 leur sont revenus en qualité de capital variable propre, qui pourra circuler de nouveau en tant que tel et par conséquent a terminé momentanément son mouvement; mais 1000 ont été obtenus de nouveau au moyen de la réalisation d'un tiers du produit. Avec ces 1000 en argent, les capitalistes de la section II achètent aux capitalistes de la section I des moyens de production pour le renouvellement de leur propre capital constant usagé. Par cet achat, la section II a renouvelé la moitié du capital constant nécessaire (Il c) sous sa forme naturelle, pour laquelle elle a payé aux capitalistes de la section I la somme de 1000 en argent. Pour ces derniers, ce n'est que leur propre somme d'argent qu'ils avaient payée sous forme de salaires à leurs ouvriers et qui leur revient maintenant, après deux actes d'échange, pour pouvoir ensuite de nouveau fonctionner en tant que capital variable, après quoi le mouvement de cette somme d'argent est momenta­nément épuisé. Mais la circulation sociale n'est cependant pas encore terminée. Les capitalistes de la section I n'ont toujours pas réalisé leur surproduit, qui réside pour eux sous la forme inutilisable de moyens de production, pour s'acheter des moyens de consommation, et les capitalistes de la section II n'ont toujours pas renouvelé la seconde moitié de leur capital constant. Ces deux actes d'échange se compensent tant en grandeur de valeur que matériellement, car les capitalistes de la section I reçoivent les moyens de consommation de la section II pour la réalisation de leur propre plus-value I- 1000 pl, en fournissant de leur côté, en échange, aux capitalistes de la section Il ces moyens de production qui leur manquent II- 1000 c. Mais pour réaliser cet échange, il faut une nouvelle somme d'argent. Nous pourrions, à la vérité, mettre encore un certain nombre de fois en circulation les sommes d'argent précédemment mises en mouvement, ce à quoi il n'y aurait théoriquement rien à objecter. Mais, pratiquement, cela n'entre pas en ligne de compte, car les besoins de consommation des capitalistes doivent être satisfaits d'une façon aussi ininterrompue que ceux des ouvriers, les deux suivent parallèlement le procès de la production et doivent être satisfaits à l'aide de sommes d'argent spéciales. II en résulte que les capitalistes des deux sections, tous les capitalistes, doivent avoir en main, outre une certaine somme d'argent pour le capital variable, une réserve d'argent pour la réalisation de leur propre plus-value en objets de consommation.

D'autre part, se poursuit parallèlement à la production - par conséquent avant la réalisation du produit total - l'achat courant de certaines parties du capital constant, notamment de sa partie circulante (matières premières, combustible, éclairage, etc.). Il en résulte que non seulement les capitalistes de la section I, pour couvrir leur propre consommation, mais aussi les capitalistes de la section Il, pour couvrir leurs besoins de capital constant, doivent posséder certaines sommes d'argent. L'échange de I- 1000 pl en moyens de production contre II- 1000 c en moyens de consommation se réalise par conséquent au moyen de l'argent qui est avancé en partie par les capitalistes de la section I pour leurs besoins de consommation, et en partie par les capitalistes de la section II pour leurs besoins de production[31]. Sur cette somme d'argent 1000 néces­saire à cet échange, chaque section de capitalistes peut avancer chacune 500, ou plus ou moins. En tout cas, deux choses sont claires : 1º leur réserve d'argent commune doit suffire pour réaliser l'échange entre I- 1000 pl et II- 1000 c; 2º quelle que soit la façon dont cette somme ait été partagée, l'échange social une fois réalisé, chaque groupe de capitalistes se trouve à nouveau en possession de la même somme d'argent qu'il avait jetée dans la circulation. Cela est vrai en général de l'ensemble de la circulation sociale : celle-ci une fois réalisée, l'argent revient toujours à son point de départ; de telle sorte qu'après tous les échanges les capitalistes ont atteint deux résultats : premièrement, ils ont échangé leurs produits, dont la forme naturelle leur était indifférente, contre d'autres, dont ils ont besoin de la forme naturelle, soit en tant que moyens de production, soit en tant que moyens de consommation propres; et, deuxièmement, l'argent qu'ils avaient jeté eux-mêmes dans la circulation pour réaliser ces actes d'échange est de nouveau revenu dans leurs mains.

Du point de vue de la simple circulation des marchandises, c'est là un phénomène incompréhensible. Car, ici, les marchandises et l'argent échangent constamment leurs places, la possession des marchandises exclut celle de l'argent, ce dernier prend cons­tamment la place laissée libre par la marchandise, et réciproquement. Cela est également vrai de chaque acte individuel d'échange de marchandises, sous la forme duquel se poursuit la circulation sociale. Mais elle est elle-même plus qu'un simple échange de marchandises, à savoir une circulation de capital. Mais ce qui, pour cette dernière, est précisément caractéristique et essentiel, c'est qu'elle ne ramène pas seulement le capital aux mains des capitalistes en tant que grandeur de valeur, plus l'accroissement, c'est-à-dire la plus-value, mais qu'elle sert, également, à réaliser la reproduction sociale et assure par conséquent la forme naturelle du capital productif (moyens de production et force de travail) ainsi que l'entretien des non-travailleurs.

Étant donné que tout le processus social de la circulation part des capitalistes qui possèdent à la fois les moyens de production et l'argent nécessaire en vue de la circulation, tout doit, après chaque cycle du capital social, retourner dans leurs mains et notamment dans chaque groupe et à chaque capitaliste individuel au prorata de leurs avances. Dans les mains des ouvriers, l'argent ne se trouve que momentanément, pour réaliser l'échange du capital variable entre sa forme d'argent et sa forme naturelle. Dans les mains des capitalistes, il est la forme sous laquelle apparaît une partie de leur capital et doit par conséquent leur revenir toujours. Jusqu'à présent, nous n'avons considéré la circulation que dans la mesure où elle a lieu entre les deux grandes sections de la production. Mais en outre il reste encore : sur le produit de la première section 4 000 sous forme de moyens de production, qui restent dans la section I pour renouveler son propre capital constant 4 000 c ; puis dans la deuxième section 500 en moyens de consommation qui restent également dans la même section, notamment en qualité de moyens de consommation de la classe capitaliste, pour le montant de sa plus-value Il- 500 pl. Étant donné que, dans les deux sections, la production est capitaliste, c'est-à-dire production privée anarchique, le partage du produit de chaque section entre leurs différents capitalistes - en qualité de moyens de production de la section I ou de moyens de consommation de la section Il - ne peut se faire qu'au moyen de l'échange des marchandises, par conséquent d'une grande quantité d'actes individuels d'achat et de vente entre capitalistes de la même section. Pour cet échange, par conséquent, tant pour le renouvellement des moyens de pro­duction en I- 4 000 c que pour le renouvellement des moyens de consommation de la classe capitaliste de la section II- 500 pl, il faut également certaines sommes d'argent dans les mains des capitalistes des deux sections. Cette partie de la circulation n'offre en soi aucun intérêt particulier, car elle a le caractère d'une simple circulation de marchandises, étant donné qu'ici acheteurs comme vendeurs appartiennent à une seule et même catégorie d'agents de la production, et elle ne fait qu'entraîner un change­ment de place entre l'argent et la marchandise à l'intérieur de la même classe et de la même section. De même, l'argent nécessaire à cette circulation doit se trouver d'avance dans les mains de la classe capitaliste et constitue une partie de son capital.

Jusqu'ici la circulation du capital social, même en tenant compte de la circulation de l'argent, n'offrait en soi rien de remarquable. Que pour cette circulation la société doive nécessairement disposer d'une certaine somme d'argent, cela doit apparaître d'avan­ce comme une chose tout à fait évidente, et pour deux raisons : d'une part, la forme générale du mode de production capitaliste est la production marchande, ce qui implique en même temps la circulation de l'argent ; d'autre part, la circulation de capital repose sur une transformation constante des trois formes du capital : capital argent, capital productif, capital marchandises. Pour permettre ces transformations, il faut aussi qu'il y ait de l'argent qui puisse jouer le rôle de capital argent. Et enfin, étant donné que cet argent fonctionne précisément comme capital - dans notre schéma nous avons affaire exclusivement à la production capitaliste - cela implique que cet argent doit, comme le capital sous toutes ses formes, se trouver entre les mains de la classe capitaliste, être jeté par elle dans la circulation, pour lui revenir finalement.

Seul, un détail peut frapper au premier abord. Si tout l'argent qui circule dans la société y est jeté par les capitalistes, il en résulte que ceux-ci doivent également, pour la réalisation de leur propre plus-value, avancer eux-mêmes l'argent nécessaire.

C'est comme si les capitalistes en tant que classe devaient, avec leur propre argent, payer leur propre plus-value, et étant donné que la somme d'argent correspondante doit se trouver d'avance en possession de la classe capitaliste déjà avant la réalisation du produit de chaque période de production, il peut sembler au premier abord que l'appropriation de la plus-value ne repose pas, comme c'est réellement le cas, sur le travail non payé des ouvriers, mais qu'elle est un résultat du simple échange des mar­chan­dises, pour lequel la classe capitaliste fournit elle-même l'argent pour un montant égal. Un examen rapide suffit pour détruire cette fausse apparence. La circulation une fois terminée, la classe capitaliste se trouve comme auparavant en possession de sa somme d'argent qui lui revient ou reste entre ses mains, pendant qu'elle a, en outre, acquis et consommé des moyens de production pour un montant égal - nous mainte­nons toujours, bien entendu, la supposition principale du schéma de la reproduction, à savoir reproduction simple, c'est-à-dire renouvellement de la production dans les anciennes dimensions et utilisation de toute la plus-value produite pour des fins de consommation personnelle de la classe capitaliste.

Cette fausse apparence disparaît d'ailleurs complètement dès que nous cessons de nous en tenir à une période de reproduction, mais considérons plusieurs périodes dans leur succession et leur entrelacement mutuel. Ce que le capitaliste jette aujourd'hui com­me argent dans la circulation pour la réalisation de sa propre plus-value n'est rien d'autre en effet que la forme argent de sa plus-value provenant de la période de pro­duc­tion écoulée. Si le capitaliste doit, pour l'achat de ses moyens de consommation, avancer de l'argent de sa propre poche, pendant que sa plus-value nouvellement produite se trouve sous une forme naturelle inutilisable ou que sa forme naturelle utilisable se trouve entre des mains étrangères, l'argent qu'il s'avance maintenant lui-même est entré dans sa poche comme le résultat de la réalisation de sa plus-value provenant de la période précédente. Et cet argent lui reviendra de nouveau quand il aura réalisé sa nouvelle plus-value cachée sous forme de marchandises. Au cours de plusieurs périodes, il résulte, par conséquent, que la classe capitaliste tire réguliè­rement de la circulation, outre toutes les formes naturelles de son capital, ses propres moyens de consommation, leur montant argent primitif restant constamment le même en sa possession.

Pour le capitaliste individuel, il s'ensuit donc de l'étude de la circulation de l'ar­gent qu'il ne peut jamais transformer son capital argent en moyens de production pour son montant total et qu'il doit au contraire toujours laisser une certaine partie de son capital sous forme d'argent, pour les buts de capital variable, pour les salaires, et constituer en outre des réserves de capital pour l'achat courant de moyens de produc­tion au cours de la période de production. Outre ces réserves de capital, il doit encore posséder une réserve d'argent pour des buts de consommation personnelle.

Il en résulte pour le processus de reproduction du capital social la nécessité de la production et de la reproduction du matériel argent. Comme celles-ci doivent être également, d'après notre supposition, une production et une reproduction capitalistes - d'après le schéma de Marx, dont nous avons déjà parlé, nous ne connaissons pas d'autre production que la production capitaliste - le schéma doit paraître en fait com­me incomplet. Aux deux grandes sections de la production sociale : la production de moyens de production et la production de moyens de consommation, il faudrait adjoin­dre une troisième section : la production de moyens d'échange, pour lesquels il est précisément caractéristique qu'ils ne servent ni à la production ni à la consomma­tion, mais représentent le travail social dans une marchandise indistincte, inconsom­mable. Certes, l'argent et la production de l'argent, comme aussi l'échange et la produc­tion de marchandises, sont beaucoup plus anciens que le mode de production capitaliste. Mais c'est dans ce dernier seulement que la circulation de l'argent est devenue la forme générale de la circulation sociale et, par là, l'élément essentiel du procès de la reproduction sociale. C'est seulement la représentation de la production et de la reproduction de l'argent dans leur entrelacement mutuel avec les deux autres sections de la production sociale qui fournirait le schéma complet de l'ensemble du processus capitaliste dans ses points essentiels.

Ici, à vrai dire, nous nous éloignons de Marx. Marx incorpore la production de l'or (pour la simplicité de la chose, toute la production de l'argent est ramenée à la production de l'or) dans la première section de la production sociale. « La production de l'or, comme celle de n'importe quel métal, rentre dans la classe 1, la catégorie qui embrasse la production des moyens de production[32]. » Cela n'est vrai que dans la mesure où il s'agit précisément de la production de l'or dans le sens de la production métallurgique, c'est-à-dire de métal destiné à des buts industriels (joaillerie, plomba­ges de dents, etc.). En tant qu'argent, l'or n'est pas du métal, mais l'incarnation du travail social abstrait, et en tant que tel, aussi bien moyen de production que moyen de consommation. D'ailleurs, un coup d’œil sur le schéma même de la reproduction montre à quelles erreurs devrait mener la confusion des moyens d'échange avec les moyens de production. Si nous plaçons à côté des deux sections de la production sociale la représentation schématique de la production d'or annuelle (dans le sens du matériel argent), nous avons les trois équations suivantes :

I- 4 000 c + 1000 v + 1 000 pl = 6 000 moyens de production

II- 2 000 c + 500 v + 500 pl = 3 000 moyens de consommation

Cette grandeur de valeur (choisie par Marx comme exemple) de 30 ne correspond manifestement pas à la quantité d'argent circulant annuellement dans la société, mais uniquement à la partie de cette quantité d'argent reproduite annuellement, par consé­quent à l'usure annuelle du matériel argent qui, en supposant les mêmes dimensions de la reproduction sociale et la même durée de la circulation du capital ainsi que la même rapidité de la circulation des marchandises, reste en moyenne la même. Si nous considérons la troisième équation, comme le veut Marx, comme une partie intégrante de la première, il en résulte la difficulté suivante : le capital constant de la troisième section 20 c se compose de moyens de production réels, concrets, comme dans les deux autres sections (bâtiments, instruments, matières premières, récipients, etc.), mais le produit de cette section, 30 mci, qui représente l'argent, ne peut dans aucun processus de production fonctionner dans sa forme naturelle en tant que capital constant. Si nous comptons ce produit 30 mci en tant que partie intégrante du produit de la première section 6 000 mp, nous obtenons un déficit social de moyens de pro­duc­tion pour un montant de valeur que la reproduction dans les mêmes dimensions, soit dans la section I, soit dans la section II, rendra impossible. D'après notre supposition - qui constitue la base de tout le schéma de Marx - le produit de chacune de ces deux sections est, dans sa forme d'usage concrète, le point de départ de la reproduction en général, les proportions du schéma se basant sur cette supposition, sans laquelle elles se dissolvent en chaos. C'est ainsi que la première composition de valeur fondamentale reposait sur l'équation I- 6 000 mp = I- 4 000 c + II- 2 000 c. Pour le produit III- 30 mci, cela n'est pas exact, car l'or ne peut pas (environ dans la proportion I- 20 c + II- 10 c) être utilisé par les deux sections en tant que moyen de production. La deuxième composition fondamentale découlant de la première reposait sur l'équation I- 1 000 v + I- 1 000 pl = 2 000 c. Pour la production de l'or, cela signifierait qu'elle enlève à la deuxième section autant de moyens de consommation qu'elle lui fournit de moyens de production. Mais cela n'est pas plus vrai. La production de l'or enlève, certes, au produit social total, tant des moyens de produc­tion concrets, qu'elle utilise en tant que capital constant, que des moyens de consom­mation concrets pour ses ouvriers et capitalistes, pour le montant de son capital variable et de sa plus-value. Mais son propre produit peut aussi bien, dans quelque production que ce soit, faire fonction de moyen de production qu'entrer dans la consommation humaine en tant que moyen de consommation. L'inclusion de la pro­duction de l'argent dans la section I romprait par conséquent toutes les proportions matérielles et de valeur du schéma de Marx et lui ôterait toute signification.

La tentative faite par Marx de faire entrer la production de l’or dans la section I (moyens de production) le mène d'ailleurs à des résultats dangereux. Le premier acte de circulation entre cette nouvelle sous-section, que Marx appelle I mci, et la section II (moyens de consommation) consiste, comme d'ordinaire, en ce que les ouvriers de la section I mci, avec la somme (5 v) reçue en salaires des capitalistes, achètent des moyens de consommation de la section Il. L'argent employé à cela n'est pas encore un produit de la nouvelle production, mais un fonds de réserve des capitalistes I mci, fonds provenant du quantum d'argent se trouvant dans le pays, ce qui est tout à fait dans l'ordre. Or, Marx fait acheter par les capitalistes de la section Il, à l'aide des 5 d'argent reçus d'abord par I mci, pour 2 d'or « en tant que matériel marchandises », et saute par conséquent de la production de l'argent dans la production industrielle de l'or, laquelle a aussi peu affaire avec le problème de l'argent que celle du cirage. Mais comme, sur ces I mci 5 v, il en reste toujours 3, dont les capitalistes de la section II ne savent que faire, étant donné qu'ils ne peuvent pas les utiliser en tant que capital constant, cette somme d'argent, Marx la fait thésauriser. Mais pour ne pas faire apparaître par là un déficit dans le capital constant de la section Il, qui doit être échangé entièrement contre des moyens de production (I v + pl), Marx trouve la solution suivante : « Il faut que cet argent passe en totalité de Il c à Il pl. Peu importe que ce dernier existe sous forme de moyens de subsistance nécessaires ou de moyens de luxe, et qu'une valeur-marchandises correspondante soit transférée de Il pl à Il c. Résultat : une partie de la plus-value est accumulée comme trésor[33]. » Le résultat est assez étrange. Du fait que nous avons considéré uniquement la reproduction de l'usure annuelle du matériel-argent est apparue brusquement une thésaurisation de l'argent, par conséquent un excédent de matériel-argent. Cet excédent apparaît, on ne sait pas pourquoi, aux dépens des capitalistes de la section des moyens de consommation, qui doivent se sacrifier, non pas pour élargir leur propre production de plus-value, mais afin qu'il y ait suffisamment de moyens de consommation pour les ouvriers de la production d'or.

Cependant, les capitalistes de la section II sont assez mal récompensés de cette vertu chrétienne. Non seulement ils ne peuvent, malgré leur « abstinence », procéder à aucune extension de leur production, mais ils ne sont même pas en état de maintenir leur production dans les mêmes dimensions que jusqu'alors. Car même si l'on trans­porte la valeur marchandise correspondante de II pl en Il c, ce qui importe ce n'est pas seulement la valeur, mais la forme réelle, concrète de cette valeur, et comme mainte­nant une partie du produit de la section I existe sous forme d'argent, qui ne peut pas être utilisé en tant que moyen de production, la section Il ne peut pas, malgré son abstinence, renouveler entièrement son capital constant. Et ainsi serait rompue la supposition du schéma : simple reproduction, dans deux sens : thésaurisation de plus-value et déficit de capital constant. Ces résultats obtenus par Marx prouvent d'eux-mêmes que la production de l'or ne peut absolument pas être incluse dans l'une des deux sections sans briser le schéma lui-même. Cela déjà en raison du premier échange entre les sections I et II. L'étude de l'échange de l'or nouvellement produit à l'intérieur du capital constant de la section I, que Marx s'était proposé de faire, ne se trouvait pas dans le manuscrit, ainsi que l'indique Fr. Engels (Le Capital, II, p. 449, note 55. Trad. Molitor, VII, p. 121, note). Elle n'aurait fait qu'accroître les difficultés. D'ailleurs, Marx confirme lui-même notre point de vue et épuise la question en deux mots, lorsqu'il dit d'une façon aussi brève que juste : « L'argent n'est point par lui-même élé­ment de la véritable reproduction[34]. »

Un exposé de la production de l'argent en tant que troisième section spéciale de la production sociale a encore une raison importante. Le schéma de la reproduction simple de Marx vaut comme base et point de départ du procès de la reproduction non seulement pour le mode de production capitaliste, mais - mutatis mutandis - aussi pour tout mode de production rationnel, par exemple pour le mode de production socia­liste. La production de l'argent, par contre, disparaît avec la forme marchandise des produits, c'est-à-dire avec la propriété privée des moyens de production. Elle représente les « faux frais » du mode de production anarchique du capitalisme, une charge spécifique du régime de l'économie privée, qui se traduit dans la dépense annuelle d'une quantité de travail considérable pour la fabrication de produits qui ne servent ni comme moyens de production ni comme moyens de consommation. Cette dépense de travail spécifique du régime de production capitaliste, qui disparaît dans un régime de production rationnel, trouve son expression la plus exacte en tant que section spéciale dans le procès de reproduction général du capital social. A ce sujet, il est entièrement indifférent que nous nous imaginions un pays produisant lui-même de l'or ou le faisant venir de l'étranger. Dans ce dernier cas seulement l'échange permet cette dépense de travail social, qui était directement nécessaire à la production de l'or.

On voit par ce qui précède que le problème de la reproduction du capital social n'est pas aussi simple qu'on l'imagine souvent du point de vue des crises, la question étant à peu près posée ainsi : comment est-ce possible qu'avec le régime anarchique d'innombrables capitaux individuels les besoins de la société soient couverts par sa production ? A quoi on répond en montrant les oscillations constantes de la produc­tion autour de la demande, c'est-à-dire les changements de conjoncture périodiques. Cette conception, qui considère le produit social total comme une masse confuse de marchandises et les besoins sociaux d'une façon aussi abstruse, oublie l'essentiel : la differentia specifica du mode de production capitaliste. Le problème de la reproduc­tion capitaliste comporte, ainsi que nous l'avons vu, toute une série de rapports exacts, qui se rapportent tant aux catégories spécifiquement capitalistes que - mutatis mutan­dis - aux catégories générales du travail humain, et leur union, tant dans leur contra­diction que dans leur accord, constitue le véritable problème. Le schéma de Marx est la solution scientifique du problème.

Nous avons à nous demander quelle signification le schéma ci-dessus analysé du procès de la reproduction a pour la réalité. D'après ce schéma, tout le produit social passe entièrement dans la circulation, les besoins de la consommation sont entière­ment satisfaits, la reproduction se poursuit sans obstacles, la circulation de l'argent suit celle des marchandises, le cycle du capital social se ferme exactement. Qu'en est-il en réalité ? Pour une production méthodiquement réglée, le schéma donne dans ses rapports une base exacte de division du travail social - en supposant toujours une reproduction simple, c'est-à-dire des dimensions de production restant les mêmes. Mais dans l'économie capitaliste, il n'y a pas d'organisation méthodique de la produc­tion. C'est pourquoi tout ne s'y passe pas d'une façon aussi simple qu'il apparaît dans le schéma. Le cycle de la reproduction se poursuit tout au contraire avec des dévia­tions constantes des rapports du schéma, ce qui se manifeste :

  • dans les oscillations quotidiennes des prix,
  • dans les oscillations constantes des profits,
  • dans la fluctuation incessante des capitaux d'une branche de production dans une autre,
  • dans l'oscillation cyclique périodique de la reproduction entre la prospérité et la crise.

Cependant, à travers toutes ces déviations, le schéma représente cette moyenne socialement nécessaire autour de laquelle se poursuivent ces mouvements et à laquelle ils tendent toujours à revenir après s'en être écartés. C'est cette moyenne qui fait que les mouvements oscillants des capitaux individuels ne dégénèrent pas en chaos, mais sont ramenés à un certain ordre, qui assure la continuation de l'existence de la société malgré son caractère anarchique.

Si l'on compare le schéma de la reproduction de Marx avec le Tableau économi­que de Quesnay, la ressemblance de même que la grande différence en sautent immé­diatement aux yeux. Les deux schémas, qui flanquent la voie du développement de l'économie politique classique, sont les deux seules tentatives de représentation exacte du chaos apparent que présente le mouvement général de la production et de la con­som­mation capitalistes dans leur entrelacement réciproque et dans leur dissociation d'innombrables producteurs et consommateurs individuels. L'un et l'autre réduisent le va-et-vient confus dans le mouvement des capitaux individuels à un certain nombre de grands rapports, dans lesquels est ancrée la possibilité de l'existence et du dévelop­pement de la société capitaliste, malgré son activité désordonnée, anarchique. L'un et l'autre allient notamment le double point de vue, qui est à la base du mouvement général du capital social, à savoir qu'il est à la fois, en tant que mouvement de capital, une production et une appropriation de plus-value, et, en tant que mouvement social, production et consommation des moyens matériels nécessaires à la vie de l'homme civilisé. Dans l'un et l'autre, la circulation des produits réalise, en tant que circulation des marchandises, tout le processus, et dans l'un comme dans l'autre, le mouvement de l'argent suit seulement, en tant que manifestation extérieure, à la surface, le mou­ve­ment de la circulation des marchandises.

Mais dans l'exposé de ces grandes lignes générales, il y a une différence profonde entre les deux schémas. Le Tableau de Quesnay fait bien de la production de la plus-value le pivot de toute la reproduction, mais considère encore la plus-value sous la forme féodale naïve de la rente foncière, prenant ainsi une forme partielle pour le tout. Il fait de même de la distinction matérielle dans la masse du produit total un autre pivot de la reproduction sociale, mais la considère du point de vue de l'antago­nis­me naïf entre produits agricoles et produits manufacturés, prenant ainsi par consé­quent des différences extérieures dans les matières auxquelles a affaire l'homme travailleur pour des catégories fondamentales du processus du travail humain, en général.

Chez Marx, la production de plus-value est considérée dans sa forme pure et géné­rale, par conséquent dans sa forme absolue de production de capital. En même temps, il est tenu compte des conditions matérielles éternelles de la production dans la distinction fondamentale entre moyens de production et moyens de consommation et les rapports des uns et des autres sont ramenés à un rapport exact de valeur.

Si l'on demande pourquoi la solution du problème, si heureusement entamée par Quesnay, a échoué chez les économistes bourgeois qui l'ont suivi, et ce qu'il fallait encore pour arriver au bond formidable que l'analyse fait avec le schéma de Marx, nous trouvons principalement deux conditions préliminaires. Avant tout, le schéma de la reproduction de Marx s'appuie sur la distinction claire et nette des deux aspects du travail dans la production de marchandises : le travail concret utile, qui crée certaines valeurs d'usage, et le travail général humain abstrait, qui crée des valeurs socialement nécessaires. Cette idée fondamentale géniale qui est à la base de la théorie de la valeur de Marx, et qui lui a permis, entre autres, de trouver la solution du problème de l'argent, le mena également à distinguer et à réunir les deux points de vue suivants : celui de valeur et celui de rapports matériels. En second lieu, le schéma s'appuie sur la distinction très nette entre capital constant et capital variable, qui seule a permis d'expliquer la production de la plus-value dans son mécanisme interne et de la mettre, en tant que rapport de valeur, dans un rapport exact avec ces deux catégories matérielles de la production : moyens de production et moyens de consommation.

L'économie classique après Quesnay, notamment chez Smith et Ricardo, s'appro­che très près de ces points de vue. Chez Ricardo, la théorie de la valeur a reçu cette conception stricte, qui fait qu'on la confond souvent même avec celle de Marx. Du point de vue de sa théorie de la valeur, Ricardo a considéré également comme fausse la division smithienne du prix de toutes les marchandises en v + pl, division qui a apporté tant de confusion dans l'analyse de la reproduction. Mais il ne se soucia pas autrement de cette bourde de Smith, pas plus qu'il ne s'échauffa en général pour le problème de la reproduction. En somme l'analyse de Ricardo était dans un certain sens un pas en arrière par rapport à celle de Smith, de même que ce dernier fit en partie un pas en arrière par rapport aux physiocrates. Si Ricardo a analysé ces catégo­ries fondamentales de l'économie bourgeoise : valeur, salaire, plus-value, capital, d'une façon plus vigoureuse et plus systématique que tous ses prédécesseurs, ils les traita par contre d'une façon plus rigide. Smith avait une plus grande compréhension des rapports vivants, du grand mouvement de l'ensemble. S'il lui arriva à l'occasion de donner pour un seul et même problème deux ou, comme pour le problème de la valeur, trois ou quatre solutions différentes et de se contredire lui-même hardiment dans différentes parties de l'analyse, ses contradictions précisément le conduisaient à considérer l'ensemble d'un point de vue toujours nouveau et à le mettre en mouve­ment. La barrière à laquelle l'un et l'autre - Smith tout comme Ricardo - devaient se heurter était leur horizon bourgeois limité. Pour considérer les catégories fondamen­tales de la production capitaliste : valeur et plus-value, dans leur mouvement vivant, en tant que processus de reproduction social, il fallait considérer le mouvement comme un mouvement historique et les catégories elles-mêmes en tant que formes historiquement déterminées de rapports de travail généraux. C'est ce qui explique pourquoi le problème de la reproduction ne pouvait être résolu que par un socialiste. Entre le Tableau économique et le schéma de la reproduction dans le tome II du Capital se placent, non seulement chronologiquement, mais aussi quant au fond, l'apo­gée et la mort de l'économie bourgeoise.

6. La reproduction élargie[modifier le wikicode]

Le caractère défectueux du schéma de la reproduction simple apparaît clairement : il expose les lois d'une forme de reproduction qui, dans les conditions de la produc­tion capitaliste, ne peut être qu'exceptionnelle. La règle du mode de production capitaliste, encore plus que de tout autre mode de production, n'est pas la reproduc­tion simple, mais la reproduction élargie[35]. Malgré cela, le schéma conserve toute son importance scientifique. Cela sous un double rapport. Pratiquement, même avec une reproduction élargie, la plus grande partie du produit total tombe toujours sous le point de vue de la reproduction simple. Celle-ci constitue la large base sur laquelle a lieu, chaque fois, l'extension de la production au-delà des limites précédentes. De même, théoriquement, l'analyse de la reproduction simple constitue le point de départ indispensable de toute représentation scientifique exacte de la reproduction élargie. Ainsi, le schéma de la reproduction simple du capital social mène automatiquement au-delà de ses propres limites, au problème de la reproduction élargie du capital social.

Nous connaissons déjà la particularité historique de la reproduction élargie sur la base capitaliste : elle doit se présenter en tant qu'accumulation de capital, ceci étant à la fois sa forme spécifique et sa condition. Autrement dit, la production sociale - qui est, sur la base capitaliste, une production de plus-value - ne peut être chaque fois élargie que dans le sens et la mesure où le capital jusqu'alors actif de la société reçoit un accroissement de la plus-value produite par lui. L'emploi d'une partie de la plus-value, et notamment d'une partie croissante, à des buts productifs et non pas à des buts de consommation personnelle de la classe capitaliste ou à des buts de thésaurisa­tion, telle est la base de la reproduction élargie dans les conditions de la production capitaliste.

Un élément de la reproduction élargie du capital social est, tout comme pour la reproduction simple que nous avons supposée plus haut, la reproduction du capital individuel. Car la production, qu'elle soit simple ou élargie, ne se poursuit en fait que sous la forme d'innombrables mouvements de reproduction indépendants de capitaux individuels. La première analyse complète de l'accumulation du capital individuel est donnée dans le tome I du Capital de Marx, 7° partie, chapitres XXII et XXIII. Marx y étudie la division de la plus-value en capital et en revenu, les conditions qui détermi­nent, indépendamment de la division de la plus-value en capital et en revenu, l'accumulation du capital, telles que le degré d'exploitation de la force de travail et la production du travail, l'accroissement du capital fixe par rapport au capital circulant en tant que facteurs de l'accumulation, enfin la formation continue de l'armée de réserve industrielle à la fois comme résultat et comme condition du procès de l'accu­mu­lation. Entre-temps, Marx réfute deux idées extravagantes de l'économie bour­geoise touchant l'accumulation : d'une part, la plus « économie-vulgaire » « théorie de l'abstinence », qui présente la division de la plus-value en capital et en revenu, et par conséquent l'accumulation elle-même comme un acte hautement moral des capita­listes, et, d'autre part, l'erreur de l'économie classique d'après laquelle toute la partie capitalisée de la plus-value est employée exclusivement « à être consommée par des ouvriers productifs », c'est-à-dire à payer des salaires à des ouvriers supplémentaires. Cette conception erronée, qui oublie complètement que toute extension de la produc­tion doit s'exprimer non seulement dans l'augmentation du nombre des ou­vriers occupés, mais aussi dans l'accroissement des moyens de production matériels (bâti­ments, instruments, pour le moins et en tout cas matières premières), s'appuie mani­fes­te­ment sur le faux « dogme » déjà mentionné d'Adam Smith.

De l'erreur selon laquelle le prix de toutes les marchandises se divise entièrement - en laissant complètement de côté le capital constant - en salaire et en plus-value, a découlé également cette croyance qu'il suffit, pour élargir la production, de dépenser plus de capital en salaires. Il est caractéristique que Ricardo, qui, tout au moins occa­sionnellement, a compris le caractère erroné de la doctrine de Smith, reprenne expressément sa conclusion erronée, en écrivant : « Il faut comprendre que tous les produits d'un pays sont consommés, mais cela fait une très grande différence qu'ils le soient par des gens qui reproduisent une autre valeur ou par des gens qui n'en reproduisent pas. Quand nous disons que le revenu est épargné et transformé en capital, nous disons que la partie du revenu transformé en capital est consommée par des ouvriers productifs au lieu de l'être par des ouvriers improductifs. » D'après cette conception étrange, qui fait consommer par les hommes tous les produits fabriqués, et ne laisse par conséquent, dans l'ensemble de la production sociale, aucune place pour les moyens de production non consommables : instruments et machines, matières premières et bâtiments, la reproduction élargie se fait de cette façon merveilleuse qu'au lieu d'une partie de moyens de consommation de qualité supérieure pour la classe capitaliste on produit, pour le montant de la partie capitalisée de la plus-value, des moyens de consommation de qualité ordinaire pour de nouveaux ouvriers. De déplacement autre que celui qui a lieu à l'intérieur de la production de moyens de consommation la théorie classique de la reproduction élargie n'en connaît pas. Que Marx ait réfuté en se jouant cette bourde élémentaire de Smith-Ricardo, c'est ce qui se comprend de soi-même d'après ce qui a été dit plus haut. De même que, pour la reproduction simple, à côté de la production de la quantité nécessaire de moyens de consommation pour les ouvriers et les capitalistes doit avoir lieu le renouvellement régulier du capital constant (les moyens de production matériels), de même, pour l'élargissement de la production, une partie du nouveau capital supplémentaire doit être employée à l'accroissement de la partie du capital constant, c'est-à-dire à l'aug­men­tation des moyens de production matériels. Ici entre en jeu une autre loi découverte par Marx : la partie du capital constant qu'oublie régulièrement l'économie classique croît constamment par rapport à la partie variable, dépensée en salaires. Ce n'est là que l'expression capitaliste des effets généraux de la productivité croissante du travail. Avec le progrès technique, le travail vivant est en mesure de mettre en mouvement et de transformer en produits, en un temps de plus en plus court, des masses de plus en plus considérables de moyens de production. Au point de vue capitaliste, cela signifie une diminution continue des dépenses consacrées au travail vivant, aux salaires, par rapport à celles consacrées aux moyens de production fixes. La reproduction élargie doit par conséquent, non seulement, contrairement à la con­ception de Smith-Ricardo, commencer toujours avec la division de la partie capita­lisée de la plus-value en capital constant et capital variable, mais encore cette division doit, au fur et à mesure du progrès technique de la production, comporter une part relativement de plus en plus grande pour la partie constante du capital et une part relativement de plus en plus petite pour la partie variable. Ce changement qualitatif incessant dans la composition du capital constitue la forme spécifique de l'accumu­lation du capital, c'est-à-dire de la reproduction élargie sur la base capitaliste[36].

L'autre aspect de ce déplacement continuel dans le rapport de la partie constante à la partie variable du capital est ce que Marx appelle la formation de la population ouvrière en excédent pour les besoins moyens de mise en valeur du capital, et par conséquent superflue. La production de cette réserve constamment disponible d'ou­vriers industriels non occupés (dans le sens large, y compris les prolétaires placés sous le commandement du capital commercial), qui constitue à son tour la condition des accroissements brusques de la production dans les périodes de haute conjoncture, fait partie des conditions spécifiques de l'accumulation du capital[37].

Nous avons par conséquent à déduire de l'accumulation du capital individuel les quatre éléments suivants de la reproduction élargie :

  1. Les dimensions de la reproduction élargie dépendent dans une certaine mesure de l'accroissement du capital et peuvent le dépasser. Les méthodes qui y mènent sont : augmentation de l'exploitation de la force de travail et des forces naturelles, augmen­tation de la productivité du travail (dans cette dernière est comprise l'augmentation de l'efficacité de la partie fixe du capital) ;
  2. Le point de départ de toute accumulation véritable est la division de la partie de la plus-value à capitaliser en capital constant et capital variable ;
  3. L'accumulation en tant que processus social est accompagnée d'une modifica­tion constante dans le rapport du capital constant au capital variable, la partie du capi­tal investie dans des moyens de production fixes croissant constamment par rapport à la partie investie dans des salaires ;
  4. L'autre phénomène d'accompagnement et en même temps condition du procès de l'accumulation est la constitution de l'armée de réserve industrielle.

Ces éléments déduits déjà du mouvement de reproduction du capital individuel constituent un progrès énorme sur l'analyse de l'économie bourgeoise. Mais il s'agis­sait maintenant, partant du mouvement du capital individuel, de représenter l'accumu­lation du capital social. D'après le schéma de la reproduction simple, il fallait pour la reproduction élargie également mettre en rapport exact les uns avec les autres, du point de vue de l'accumulation, tant les points de vue de valeur d'une production de plus-value que les points de vue concrets du procès du travail (production de moyens de production et production de moyens de consommation).

Ce qui distingue essentiellement la reproduction élargie de la simple reproduction, c'est que, dans cette dernière, toute la plus-value est consommée par la classe capita­liste et sa suite, tandis que dans la première une partie de la plus-value est soustraite à la consommation personnelle de ses possesseurs, non pas pour être thésaurisée, mais pour être transformée en capital actif, capitalisée. Pour cela, il est nécessaire que le nouveau capital additionnel trouve réalisées les conditions matérielles de sa mise en activité. Ici entre par conséquent en ligne de compte la composition concrète du produit social total. Marx dit déjà dans le tome I du Capital à propos de l'accumu­lation du capital individuel :

« En premier lieu, la production annuelle doit fournir tous les objets ou valeurs d'usage qui serviront à remplacer les éléments matériels du capital consommés dans le cours de l'année. En sus de ces objets, il y a le produit net ou surproduit, représentait de la plus-value. De quoi se compose ce surproduit ? De choses peut-être qui seraient destinées à la satisfaction des besoins et des appétits de la classe capitaliste et entreraient par suite dans le fonds de consommation capitaliste ? S'il en était ainsi, la plus-value serait dépensée jusqu'au dernier centime, et il n'y aurait que simple reproduction.

« Pour accumuler, il faut transformer en capital une partie du surproduit. Mais à moins d'opérer des miracles, on ne peut transformer en capital que des choses qui soient utilisables dans le procès de travail, c'est-à-dire des moyens de production, ou encore des choses dont l'ouvrier ait besoin pour vivre, c'est-à-dire des moyens de subsistance. Par conséquent, il faut qu'une partie du surtravail annuel ait été consacrée à créer des moyens supplémentaires de production et de subsistance, en excédent sur la quantité nécessaire au remplacement du capital avancé. En un mot : la plus-value n'est convertible en capital que parce que le surproduit, dont elle est la valeur, contient déjà les éléments matériels d'un nouveau capital[38]. »

Assurément, des moyens de production et des moyens de consommation supplé­mentaires ne suffisent pas pour les ouvriers : il faut encore des forces de travail sup­plé­men­taires pour mettre en mouvement la production élargie. Mais cette condition n'offre d'après Marx aucune difficulté particulière. « Par son mécanisme même, la production capitaliste a résolu le problème : elle reproduit la classe ouvrière comme une classe dépendante du salaire et à qui le salaire assure la conservation et l'accrois­se­ment. Ces forces additionnelles que lui fournit tous les ans la classe ouvrière aux divers degrés d'âge, le capital n'a qu'à les incorporer aux moyens de production additionnels déjà contenus dans la production annuelle, et la conversion de la plus-value en capital est effectuée[39]. »

Nous avons ici la première solution que Marx donne au problème de l'accumula­tion du capital social. Sans insister davantage sur cet aspect de la question dans le tome I du Capital, il n'y revient qu'à la fin du tome II de son ouvrage principal : le vingt et unième et dernier chapitre est consacré à l'accumulation et à la reproduction élargie du capital social.

Examinons maintenant d'un peu près la représentation schématique de l'accumu­lation chez Marx. D'après l'exemple du schéma, que nous connaissons déjà, de la reproduction simple, Marx construit un schéma de la reproduction élargie. Une comparaison des deux schémas en fera apparaître nettement la différence.

Supposons que le produit total annuel de la société représente une valeur de 9 000 (par quoi on peut entendre des millions d'heures de travail, ou, exprimé en argent, n'importe quelle somme d'argent), le produit total est réparti de la façon suivante :

I- 4 000 c + 1000 v + 1000 pl = 6 000

II- 2 000 c + 500 v + 500 pl = 3 000

Total : 9 000.

La première section représente des moyens de production, la seconde des moyens de consommation. Un simple coup d'œil sur les rapports numériques suffit pour montrer qu'il ne peut y avoir ici que reproduction simple. Les moyens de production fabriqués dans la première section sont égaux à la somme des moyens de production effectivement consommés dans les deux sections, et dont le seul renouvellement ne permet que la répétition de la production dans les anciennes dimensions. D'autre part, tout le produit de la section des moyens de consommation est égal à la somme des salaires, ainsi que des plus-values dans les deux sections. Cela montre que les moyens de consommation existants ne permettent aussi que l'occupation de la même quantité de forces de travail, mais qu'en même temps aussi toute la plus-value passe dans les moyens de consommation, c'est-à-dire dans la consommation personnelle de la classe capitaliste. Mais prenons maintenant le même produit total de 9 000 dans la composition suivante :

I- 4 000 c + 1000 v + 1000 pl = 6 000

II- 1 500 c + 750 v + 750 pl = 3 000

Total : 9 000.

Ici apparaît immédiatement une double disproportion. La quantité fabriquée de moyens de production (6 000) dépasse, en valeur, de 500 la quantité effectivement consommée dans la société (4 000 c + 1500 c). En même temps, la quantité de moyens de consommation (3000) représente par rapport à la somme des salaires payés, c'est-à-dire des besoins des ouvriers (1000 v + 750 v), ainsi qu'à la somme de la plus-value obtenue (1000 pl + 750 pl), un déficit de 500. Il en résulte - étant donné que la réduction du nombre des ouvriers occupés est exclue - que la consommation de la classe capitaliste doit être plus petite que la plus-value obtenue par elle. Ainsi sont observées les deux conditions indispensables à la reproduction élargie sur la base capitaliste : une partie de la plus-value obtenue n'est pas consommée, mais employée à des buts productifs, et en même temps des moyens de production en quantité accrue sont fabriqués, afin que la plus-value capitalisée puisse être employée effectivement à l'extension de la production.

Si nous avons trouvé, dans le schéma de la reproduction simple, que ses princi­pales conditions sociales sont incluses dans le rapport exact suivant : la somme des moyens de production fabriqués (produit de la section I) doit être égale en valeur au capital constant des deux sections, mais la somme des moyens de consommation fabriqués (produit de la section Il) à la somme des capitaux variables comme de la plus-value dans les deux sections, nous devons en déduire pour la reproduction élargie un double rapport exact inverse. La condition générale de la reproduction élargie est la suivante : le produit de la section I est, d'après sa valeur, plus grand que le capital constant des deux sections ensemble, le produit de la section II est, d'après sa valeur également, plus petit que la somme des capitaux variables et de la plus-value dans les deux sections.

Mais par là nous sommes loin d'avoir épuisé l'analyse de la reproduction élargie. Nous en sommes au contraire à peine au commencement.

En effet, ces rapports que nous avons déduits du schéma, il nous faut maintenant les suivre dans leur activité ultérieure, dans le flot de la circulation et la marche de la reproduction. Si la simple reproduction peut être comparée à un cercle qui se répète toujours à nouveau, la reproduction élargie ressemble, d'après l'expression de Sismondi, à une spirale, qui monte toujours plus haut. Il nous faut par conséquent étu­dier tout d'abord les courbes de cette spirale. La première question générale qui se pose est celle-ci : comment se réalise en fait, étant donné les conditions que nous connaissons maintenant, l'accumulation dans les deux sections, de telle sorte que tous les capitalistes capitalisent une partie de leur plus-value et trouvent en même temps les conditions matérielles nécessaires à la reproduction élargie ?

Marx explique cette question à l'aide de l'exposé schématique suivant.

Supposons que la moitié de la plus-value de I soit accumulée. Les capitalistes emploient par conséquent 500 pour leur consommation, et transforment les 500 autres en capital. Ce nouveau capital de 500 doit, comme nous le savons maintenant, pour pouvoir être mis en activité, être partagé en capital constant et capital variable. Supposons que le rapport de ces deux sortes de capital reste, malgré l'extension de la production, le même que dans le capital original, c'est-à-dire 4 à 1. Alors les capita­listes de la section I répartiront leur capital additionnel de 500 de façon à acheter pour 400 de nouveaux moyens de production et pour 100 de nouvelles forces de travail. L'achat de nouveaux moyens de production pour 400 n'offre aucune difficulté : nous savons que la section I a déjà fabriqué pour 500 de moyens de production supplémentaires. Là-dessus, les 4/5 ont été employés à l'intérieur de la section I pour permettre l'élargissement de la production. Mais l'accroissement correspondant du capital variable de 100 en argent ne suffit pas, les nouvelles forces de travail addition­nelles doivent trouver aussi des moyens de consommation correspondants, et ceux-ci ne peuvent être tirés que de la section II. Maintenant par consé­quent la circulation se fait entre les deux grandes sections. Jusqu'alors, dans la reproduction simple, la section I tirait pour 1000 de moyens de consommation de la section Il pour ses propres ouvriers, maintenant elle doit en tirer pour 100 de plus. Elle commencera donc la reproduction élargie de la manière suivante :

4 400 c + 1 100 c

A son tour, la section II, par suite de la vente de moyens de consommation supplémentaires de 100, est en mesure d'acheter à la section I pour une quantité supplémentaire correspondante de moyens de production. En effet, sur l'excédent total du produit de la section I, il reste encore juste 100. La section II les achète pour pouvoir procéder à son tour à un élargissement de la production. Mais ici non plus on ne peut pas faire grand-chose uniquement avec une plus grande quantité de moyens de production : pour pouvoir les mettre en mouvement, des forces de travail supplémentaires sont nécessaires. Si nous supposons ici aussi que l'ancienne composition du capital est maintenue, que par conséquent le rapport du capital constant au capital variable est de 2 à 1, il faut pour mettre en activité les moyens de production supplémentaires de 100 de nouvelles forces de travail pour 50. Mais pour ces nouvelles forces de travail, il faut également, pour le montant de leurs salaires, de nouveaux moyens de consommation, que la section Il fournit elle-même. Du produit total de la section II, par conséquent, en dehors des moyens de consommation supplémentaires de 100 pour les nouveaux ouvriers de la section I, de nouveaux moyens de consommation supplémentaires de 50 devront être employés pour les ouvriers de la section Il. Celle-ci commence par conséquent la reproduction élargie de la façon suivante :

1600 c + 800 v

Maintenant, le produit total de la section I- (6 000) est passé entièrement dans la circulation : 5 500 ont été nécessaires pour le simple renouvellement des vieux moyens de consommation usagés dans les deux sections, 400 ont été utilisés pour l'élargis­sement de la production de la section I et 100 pour le même but dans la section II. En ce qui concerne le produit total de la section Il (3 000), 1900 ont été employés pour la quantité accrue des forces de travail dans les deux sections. Les 1100 de moyens de consommation restants servent à la consommation personnelle des capitalistes, à la consommation de leur plus-value, à savoir 500 dans la section I, 600 pour les capitalistes de la section II, qui sur leur plus-value de 750 n'en ont capitalisé que 150 (100 pour l'achat de moyens de production et 50 pour le paiement de salaires). Alors la production élargie peut avoir lieu. Si nous conservons le même degré d'exploitation (100 %), comme pour le capital original, nous aurons dans la période suivante :

I- 4 400 c + 1 100 v + 1 100 pl = 6 600

II- 1600 c + 800 v + 800 pl = 3 200

Total : 9 800

Le produit total de la société est passé de 9 000 à 9 800, la plus-value dans la première section de 1000 à 1100, dans la seconde de 750 à 800. Le but de l'élargissement capitaliste de la production, à savoir la production accrue de plus-value, est atteint. En même temps, la composition matérielle du produit social donne de nouveau un excédent de 600 de moyens de production (6600) par rapport à ceux qui ont été effectivement utilisés (4 400 + 1 600), ainsi qu'un déficit de moyens de consommation (3 200) par rapport aux salaires payés jusque-là (1100 v + 800 v) et à la plus-value obtenue (1 100 pl + 800 pl). Par là est donnée de nouveau déjà une base matérielle comme une nécessité d'employer une partie de la plus-value non seulement à la consommation personnelle de la classe capitaliste, mais à un nouvel élargissement de la production.

Le deuxième élargissement de la production et de la création de plus-value découle automatiquement, avec ses rapports mathématiquement exacts, de la première. L'accumulation du capital une fois commencée mène mécaniquement toujours plus loin au-delà d'elle-même. Le cercle s'est transformé en une spirale, qui monte de plus en plus haut, comme sous la contrainte d'une force naturelle, qu'on peut mesurer mathématiquement. Si nous supposons au cours des années suivantes toujours cette même capitalisation de la moitié de la plus-value dans la section I, en conservant la même composition du capital et le même degré d'exploitation, nous aurons la progression suivante dans la reproduction du capital social :

Deuxième année.

I- 4 840 c + 1210 v + 1210 pl = 7 260

II- 1760 c + 880 v + 880 pl = 3 520

Total : 10 780

Troisième année.

I- 5 324 c + 1331 v + 1 331 pl = 7 986

II- 1 936 c + 968 v + 968 pl = 3 872

Total : 11 858

Quatrième année.

I- 5 856 c + 1464 v + 1 464 pl = 8 784

II- 2 129 c + 1065 v + 1 065 pl = 4 249

Total : 13 033

Cinquième année.

I- 6 442 c + 1 610 v + 1610 pl = 9 662

II- 2 342 c + 1 172 v + 1 172 pl = 4 686

Total : 14 348

Ainsi, en cinq années d'accumulation, le produit social serait passé de 9 000 à 14 348, le capital social de 5 400 c + 1750 v, soit 7 150, à 8 784 c + 2 782 v, soit 11 566, et la plus-value de 1 000 pl + 500 pl, soit 1500, à 1 464 pl + 1 065 pl, soit 2 529, la plus-value consommée par les capitalistes étant passée de 1 500 avant le commen­cement de l'accumulation à 732 + 958 (dans la dernière année), soit 1 690[40]. La classe capitaliste a pu par conséquent capitaliser davantage, faire preuve de plus d'esprit d'épargne et cependant vivre plus agréablement. La société est devenue plus riche au point de vue matériel : plus riche en moyens de production, plus riche en moyens de consommation, et en même temps dans le sens capitaliste, car elle produit une plus-value de plus en plus grande. Le produit total passe entièrement dans la circulation sociale : il sert en partie à l'élargissement de la reproduction, en partie à des buts de consommation. Les besoins d'accumulation des capitalistes concordent en même temps avec la composition matérielle du produit social. Il en est comme Marx l'a dit dans le tome I du Capital : la plus-value accrue peut précisément être transformée en capital parce que le surproduit social vient au monde sous la forme matérielle de moyens de production, une forme qui ne permet précisément aucun autre usage que son emploi dans le processus de la production. En même temps, l'élargissement de la reproduction se réalise dans le respect le plus strict des lois de la circulation : l'appro­visionnement réciproque des deux sections de la production en moyens de production et moyens de consommation supplémentaires se fait en tant qu'échange d'équivalents, en tant qu'échange de marchandises, l'accumulation dans l'une rendant possible et conditionnant précisément l'accumulation dans l'autre. Le problème compliqué de l'accu­mulation est par conséquent transformé en une progression schématique d'une étonnante simplicité. On peut poursuivre à l'infini la chaîne d'équations ci-dessus commen­cée. Il suffit seulement d'observer les règles simples suivantes : à l'accroisse­ment du capital constant dans la première section doit toujours correspondre un certain accroissement du capital variable. Ce dernier accroissement indique d'avance quel peut être l'accroissement du capital constant, dans la seconde section. Ce dernier doit être accompagné à son tour d'un accroissement correspondant du capital variable. Enfin, l'importance du capital variable accru dans les deux sections indique toujours combien, sur la somme totale des moyens de consommation, il reste pour la consommation personnelle de la classe capitaliste. On constatera que cette quantité de moyens de consommation restant pour la consommation personnelle des capitalistes correspond exactement en valeur à la partie non capitalisée de la plus-value dans les deux sections.

La continuation du développement schématique de l'accumulation, en tenant compte de ces quelques règles faciles, ne connaît, comme nous l'avons dit, aucune limite. Mais il est temps maintenant de nous demander si nous n'arrivons précisément à des résultats aussi étonnamment faciles que parce que nous ne nous livrons là qu'à des exercices mathématiques avec additions et soustractions, exercices ne pouvant présenter aucune surprise, et si l'accumulation ne se poursuit ainsi sans heurts, à l'infini, que parce que le papier a bon dos et se laisse couvrir facilement de formules mathématiques. En d'autres termes, il est temps de considérer les conditions sociales concrètes de l'accumulation.

7. Analyse du schéma de la reproduction élargie de Marx[modifier le wikicode]

Le premier élargissement de la production se présentait de la manière suivante :

I- 4 400 c + 1 100 v + 1 100 pl = 6 600

II- 1600 c + 800 v + 800 pl = 3 200

Total : 9 800.

Ici se manifeste déjà nettement la dépendance réciproque de l'accumulation dans les deux sections. Mais cette dépendance est d'une nature toute particulière. L'accu­mulation part ici de la section I, la section Il ne fait que suivre le mouvement, et, de plus, les dimensions de l'accumulation sont déterminées uniquement par la section I. Marx met ici au point l'accumulation en faisant capitaliser dans la section I la moitié de la plus-value, mais dans la section II tout juste ce qu'il faut pour assurer la production et l'accumulation dans la section I. Il fait consommer par les capitalistes de la section II- 600 pl, tandis que ceux de la section I, qui s'approprient une valeur deux fois plus grande et une plus-value beaucoup plus considérable, ne consomment que 500 pl. Au cours de l'année suivante, il fait de nouveau capitaliser par les capitalistes de la section I la moitié de leur plus-value, et cette fois, il « oblige » les capitalistes de la section II à capitaliser davantage que l'année précédente et arbitrairement autant que la section I en a besoin, 560 pl restant cette fois pour les capitalistes de la section II - c'est-à-dire moins que l'année précédente, ce qui est en tout cas un résultat assez étrange de l'accumulation. Marx décrit le processus de la manière suivante :

« Supposons qu'en I- l'accumulation se poursuive dans la même proportion : 550 pl sont dépensés comme revenu, 550 pl sont accumulés. Tout d'abord, 1100 I- v sont remplacés par 1100 II- c; en outre, 550 I- pl sont à réaliser dans une somme égale de marchandises II-; au total 1650 I- (v + pl). Mais le capital à remplacer en II- n'est que de 1600, les 50 autres doivent être prélevés sur 800 II- pl. Si nous faisons abstraction de l'argent, nous avons comme résultat de cette transaction :

« I- 4400 c + 550 pl (à capitaliser); puis, en fonds de consommation des capitalistes et des ouvriers, 1650 v + pl réalisés en marchandises II- c;

« II- 1650 c (50 prélevés sur II- pl) + 800 v + 750 pl (fonds de consommation des capitalistes).

« Mais si l'ancien rapport entre v et c persiste en II-, il faut, pour 50 c ajouter 25 c, à prendre sur les 750 pl. Nous aurons donc :

« II- 1650 c + 825 v + 725 pl.

« 550 pl sont à capitaliser en I-. Si l'ancien rapport est maintenu, 440 forment du capital constant et 110 du capital variable. Ces 110 sont à prélever éventuellement sur 725 Il pl ; des moyens de consommation d'une valeur de 110 sont consommés par les ouvriers I au lieu de l'être par les capitalistes II-; ces derniers sont donc forcés de capitaliser ces 110 pl qu'ils ne peuvent consommer. Sur les 725 pl, il reste donc 615 II- pl. Mais si II- convertit ainsi ces 110 en capital constant additionnel, il lui faut en outre un capital variable additionnel de 55 ; celui-ci doit également être fourni par sa plus-value ; sur 615 Il pl, il reste donc 560 pour la consommation des capitalistes Il et nous avons en valeur capital, après tous les transferts actuels et potentiels :

« I- (4 400 c + 440 c) + (1 100 v + 110 v) = 4 840 c + 1 210 v = 6 050;

« II- (1 600 c + 50 c + 110 c) + (800 v + 25 v + 55 v) = 1 760 c + 880 v = 2640.

« Au total : 8 690[41]. »

Nous avons reproduit ce long passage, parce qu'il montre nettement comment Marx réalise ici l'accumulation dans la section I aux dépens de la section II. C'est avec le même manque de douceur qu'il procède avec les capitalistes de la section des moyens de consommation au cours des années suivantes. La troisième année, il les fait, de la même façon, accumuler 264 pl et consommer 616 pl, cette fois plus qu'au cours des deux années précédentes. La quatrième année, il les fait capitaliser 290 pl et consommer 678 pl; la cinquième, ils accumulent 320 pl et consomment 745 pl. A ce propos, Marx dit même : « Pour que tout se passe normalement, l'accumulation doit être plus rapide en Il qu'en I parce que la partie I (v + pl) qui doit se convertir en marchandises II- c augmenterait sans cela plus rapidement que II c, le seul où elle puisse se convertir[42]. » Mais les chiffres indiqués, non seulement ne montrent pas une accumulation plus rapide, mais plutôt une accumulation oscillante dans la section II, la règle étant la suivante : Marx mène l'accumulation de plus en plus loin en faisant produire la section I sur une base de plus en plus large ; l'accumulation dans la section II n’apparaît que comme conséquence et condition de l'autre : premièrement, pour faire entrer dans la production les moyens de production supplémentaires ; deuxième­ment, pour fournir le surplus nécessaire de moyens de consommation pour les forces de travail supplémentaires. L'initiative du mouvement appartient exclusivement à la section I, la section Il n'étant qu'un appendice passif. C'est ainsi que les capitalistes de la section II ne peuvent chaque fois accumuler et consommer que la quantité néces­saire pour permettre l'accumulation dans la section I. Tandis que celle-ci capitalise chaque fois la moitié de la plus-value et consomme l'autre moitié, ce qui entraîne une augmentation régulière tant de la production que de la consom­mation personnelle de la classe capitaliste, le double mouvement dans la section Il se poursuit par bonds de la manière suivante :

Laannée, on capitalise150et on consomme600
-240560
-264616
-290678
-320745

Il n'y a aucune règle visible dans cette accumulation et cette consommation ; l'une et l'autre ne servent qu'aux besoins de la section I. Que les chiffres absolus du schéma dans chaque équation soient arbitraires, cela va de soi et ne diminue en rien leur valeur scientifique. Ce qui importe, ce sont les rapports de grandeur, qui doivent exprimer les rapports exacts. Mais les rapports de l'accumulation dictés par une claire légalité semblent être achetés au prix d'une construction purement arbitraire des rapports dans la section Il, et cette circonstance est de nature à nous inciter à un examen attentif des rapports internes de l'analyse. On pourrait penser qu'il ne s'agit ici que d'un exemple pas très heureusement choisi. Marx lui-même ne se contente pas du schéma ci-dessus, mais fournit immédia­tement après un second exemple pour expliquer le mouvement de l'accumulation. Dans cet exemple, les chiffres de l'équation sont ordonnés de la manière suivante[43] :

I- 5000 c + 1000 v + 1000 pl = 7000

II- 1430 c + 285 v + 285 pl = 2000

Total : 9 000.

Nous voyons ici qu'à la différence de l'exemple précédent la composition du capital est la même dans les deux sections, à savoir 5 pour le capital constant et 1 pour le capital variable. Cela suppose un développement déjà considérable de la production capitaliste et par conséquent de la force productive du travail social, une extension considérable, déjà réalisée, de l'échelle de la production, enfin un dévelop­pe­ment de toutes les conditions qui produisent une surproduction relative dans la classe ouvrière. Ne faisons par conséquent plus, comme dans le premier exemple, le premier passage du début de la reproduction simple à la reproduction élargie, qui n'a d'ailleurs qu'une valeur théorique, mais prenons le mouvement de l'accumulation au milieu même de son cours, à une étape de développement déjà élevée. En soi, ces suppositions sont parfaitement admissibles et ne changent d'ailleurs rien aux règles qui doivent nous guider dans le développement des différentes courbes de la spirale de la reproduction. Ici aussi, encore une fois, Marx prend comme point de départ la capitalisation de la moitié de la plus-value de la section I :

« Supposons que la classe capitaliste I- consomme la moitié de la plus-value et accumule l'autre moitié. Il y aurait alors 1000 v + 500 pl I- = 1500 à convertir en 1500 II- c. Comme II- c = 1430 seulement, il faut prélever 70 de la plus-value ; sur 285 II- pl il ne reste donc que 215 II- pl. Nous avons donc :

« I- 5000 c + 500 pl (à capitaliser) + 1500 (v + pl) en fonds de consommation des capitalistes et des ouvriers;

« II- 1430 c + 70 pl (à capitaliser) + 285 v + 215 pl.

« Comme 70 II- pl sont ici directement annexés à II- c, il faut, pour mettre en mouvement ce capital constant additionnel, un capital variable de 70 : 5 = 14; ces 14 sont encore à déduire de 215 II- pl; il reste donc 201 II- pl, et nous avons :

« II- (1430 c + 70 c) + (285 v + 14 v) + 201 pl[44]. »

Après ces premiers arrangements, la capitalisation peut se faire sans heurts. Elle se réalise de la façon suivante :

Dans la section I, les 500 pl qui sont capitalisés se divisent en 5/6 = 417 c + 1/6 = 83 v. Ces 83 v enlèvent une quantité équivalente de II- pl, qui achète des éléments du capital constant et se transforme par conséquent en II- c. Un accroissement de II- c de 83 détermine un accroissement de II- v de 115 de 83 = 17. Nous avons par conséquent à la fin de toute l'opération :

I- (5000 c + 417 pl) + (1000 v + 83 pl) v = 5417 c + 1083 v = 6500 II- (1500 c + 83 pl) + (299 v + 17 pl) v = 1583 c + 316 v = 1899Au total : 8399.

Le capital dans la section I est passé de 6000 à 6500, soit une augmentation de 1/12, dans la section II de 1715 à 1899, soit une augmentation d'environ 1/9. La reproduction sur cette base, l'année suivante, donnera à la fin de l'année :

I- 5417 c + 1083 v + 1083 pl = 7 583

II- 1583 c + 316 v + 316 pl = 2 215

Total : 9798

Si on continue à accumuler dans la même proportion, nous obtenons à la fin de la deuxième année :

I- 5869 c + 1173 v + 1173 pl = 8215

II- 1715 c + 342 v + 342 pl = 2399

Total : 10 614

Et à la fin de la troisième année :

I- 6358 c + 1271 v + 1271 pl = 8 900

II- 1858 c + 371 v + 371 pl = 2 600

Total : 11 500

En trois ans, le capital social sera passé de 6000 I- + 1715 II- = 7715 à 7629 I- + 2229 II- = 9858 ; le produit total, de 9000 à 11500.

Ici, l'accumulation, à la différence de ce qui se passait dans le premier exemple, s'est poursuivie d'une façon égale dans les deux sections. Dans la première comme dans la seconde, à partir de la deuxième année, la moitié de la plus-value a été capita­lisée et la moitié consommée. Le caractère arbitraire du premier exemple semble n'être dû par conséquent qu'à des chiffres mal choisis. Il nous faut cependant exami­ner si cette fois la marche sans obstacles de l'accumulation représente quelque chose de plus qu'une série d'opérations mathématiques faites avec des chiffres habilement choisis.

Ce qui apparaît immédiatement comme une règle générale de l'accumulation, tant dans le premier que dans le deuxième exemple, c'est toujours de nouveau ceci : afin que l'accumulation puisse se faire, la section Il doit chaque fois procéder à l'élargisse­ment du capital constant dans la même mesure où la section I procède, d'une part, à l'accroissement de la partie consommée de la plus-value, et, d'autre part, à l'accroisse­ment du capital variable. En prenant l'exemple de la première année, il doit y avoir un supplément de 70 au capital constant dans la section II. Pourquoi ? Parce que ce capital représente jusqu'ici 1430. Mais si les capitalistes de la section I accumulent la moitié de leur plus-value (1000) et consomment l'autre moitié, ils ont besoin pour eux comme pour leurs ouvriers de moyens de consommation pour une valeur de 1500. Ils ne peuvent les recevoir de la section II qu'en échange de leurs propres produits, les moyens de production. Mais étant donné que la section Il n'a pu couvrir ses propres besoins en moyens de production que jusqu'à concurrence de la valeur représentée par son propre capital constant (1430), l'échange ne peut se faire que dans le cas où la section Il se déciderait à augmenter de 70 son capital constant, c'est-à-dire à accroître sa propre production, ce qui ne peut se faire autrement que par la capitalisation d'une partie correspondante de la plus-value. Si celle-ci représente dans la section Il 285 pl, sur cette quantité 70 devront être transformés en capital constant. Ici est déterminé le premier pas dans l'élargissement de la production dans la section II en tant que con­dition et conséquence d'un accroissement de la consommation des capitalistes de la section I. Allons plus loin. Jusqu'à présent, la classe capitaliste n'a pu consommer personnellement que la moitié de sa plus-value (500). Pour pouvoir capitaliser l'autre moitié (500), elle doit la diviser tout au moins d'une façon correspondant à la composition existant jusqu'ici du capital, par conséquent transformer 417 en capital constant et 83 en capital variable. La première opération n'offre aucune difficulté : les capitalistes de la section I possèdent dans leur propre produit un excédent de 500 qui consiste en moyens de production, dont la forme naturelle lui permet d'être intégré directement dans le processus de la production. Ainsi se réalise un élargissement du capital constant de la section I pour un montant correspondant au produit propre de cette section. Mais pour pouvoir occuper ces 83 en tant que capital variable, il est nécessaire d'avoir pour une valeur égale de moyens de consommation pour les nouveaux ouvriers qu'on veut embaucher. Ici apparaît de nouveau la dépendance dans laquelle se trouve l'accumulation dans la section I à l'égard de la section II. La première doit acheter à la seconde pour 83 de moyens de consommation de plus que jusqu'alors. Comme cela, encore une fois, ne peut se faire qu'au moyen de l'échange des marchandises, ces besoins de la section I ne peuvent être satisfaits qu'à la condition que la section II, à son tour, se déclare prête à acheter des produits de la section I, c'est-à-dire des moyens de production, pour une valeur de 83. Comme elle ne peut faire rien d'autre avec ces moyens de production que les utiliser dans le processus de la production, il en résulte pour la section II la possibilité et en même temps la nécessité d'accroître de nouveau son capital constant, de 83, par quoi encore une fois, sur la plus-value de cette section, 83 sont enlevés à la consommation personnelle et employés à la capitalisation. Le deuxième pas dans l'élargissement de la production de la section II est déterminé par l'élargissement du capital variable dans la section I. Maintenant, toutes les conditions matérielles de l'accumulation sont données dans la section I, et la reproduction élargie peut se faire. Dans la section II par contre, il n'y a eu d'abord qu'un élargissement, à deux reprises différentes, du capital constant. Il en résulte que pour que les moyens de production nouvellement acquis soient vraiment utilisés, il sera nécessaire de procéder à une aug­mentation correspondante du nombre des forces de travail. Si l'on maintient le rapport existant jusqu'ici, pour le nouveau capital constant de 153 un nouveau capital variable de 31 sera nécessaire. Cela veut dire qu'une quantité égale sera de nouveau tirée de la plus-value et capitalisée. Le fonds de consommation personnelle des capitalistes de la section II apparaît ainsi comme la quantité restante de la plus-value (285 pl), après prélèvement du double accroissement du capital constant (70 + 83) et de l'accroisse­ment correspondant du capital variable (31), en tout 184. Reste par conséquent 101. Après des manipulations semblables, il se produit à la deuxième année de l'accumu­lation dans la section II une division de la plus-value en 158 pour la capitalisation et 158 pour la consommation des capitalistes, la troisième année, 172 et 170.

Nous n'avons si minutieusement examiné et suivi. pas à pas tout ce processus que parce qu'il en ressort nettement que l'accumulation dans la section Il dépend entière­ment de l'accumulation dans la section I. Certes, cette dépendance ne se manifeste plus dans les modifications arbitraires réalisées dans la division de la plus-value dans la section II, comme c'était le cas dans le premier exemple du schéma de Marx, mais le fait lui-même reste, même si la plus-value est partagée dans les deux sections en moitiés égales, l'une pour des buts de capitalisation, l'autre pour des buts de consommation personnelle. Malgré cette égalisation numérique de la classe capitaliste dans les deux sections, il est visible que tout le mouvement de l'accumulation est mené activement et dirigé par la section I et accepté passivement par la section II. Cette dépendance trouve aussi son expression dans la règle stricte suivante : l'accumulation ne peut se faire que dans les deux sections à la fois et seulement à la condition que la section des moyens de consommation augmente chaque fois son capital constant dans la mesure exacte où les capitalistes de la section des moyens de production augmentent leur capital variable et leur fonds de consommation personnel. Ce rapport (accroissement de II- c = accroissement de I- v + accroissement de I- pl) est la base mathématique du schéma de l'accumulation de Marx, quels que soient les rapports numériques que nous puissions donner en exemple.

Examinons maintenant si cette règle stricte de l'accumulation capitaliste corres­pond aux faits réels.

Revenons d'abord à la reproduction simple. Le schéma de Marx est. ainsi que nous l'avons dit :

I- 4000 c + 1000 v + 1000 pl = 6000 moyens de production.

II- 2000 c + 500 v + 500 pl = 3000 moyens de consommation.

Ici aussi nous avons constaté certains rapports, sur lesquels repose la reproduction simple. Ces rapports étaient les suivants :

  1. Le produit de la section I est égal (en valeur) à la somme des capitaux constants dans les sections I et II;
  2. Ce qui découle automatiquement du 1º : le capital constant de la section Il est égal à la somme du capital variable et de la plus-value dans la section I ;
  3. Ce qui découle du 1º et du 2º : le produit de la section II est égal à la somme des capitaux variables et des plus-values dans les deux sections.

Ces rapports du schéma correspondent aux conditions de la production capitaliste des marchandises (réduite, à vrai dire, à la reproduction simple). Ainsi, par exemple, le rapport 2º est conditionné par la production des marchandises, c'est-à-dire par le fait que les entrepreneurs de chaque section ne peuvent recevoir les produits de l'autre section qu'en échange d'équivalents. Le capital variable et la plus-value de la section I expriment ensemble les besoins de cette section en moyens de consommation. Ceux-ci doivent être couverts à l'aide du produit de la section Il, mais ils ne peuvent l’être qu'en échange de la même quantité de valeur du produit de la section I, c'est-à-dire de moyens de production. Comme la section II ne peut rien faire d'autre, avec cet équivalent, étant donné sa forme naturelle, que l'employer dans le processus de la production en tant que capital constant, la grandeur du capital constant de la section II est ainsi donnée. S'il y avait ici une disproportion, si par exemple le capital constant dans la section II (en tant que grandeur de valeur) était plus grand que (v + pl) dans la section I, il ne pourrait pas être transformé entièrement en moyens de consommation, car la section I aurait des besoins de moyens de consommation trop petits. Si le capital constant de la section II était plus petit que (v + pl) dans la section I, les forces de travail de cette section ne pourraient pas être employées dans les mêmes dimensions que jusqu'alors, ou les capitalistes ne pourraient consommer toute leur plus-value. En tout cas, les conditions de la reproduction simple seraient violées.

Mais ces proportions ne sont pas de simples exercices mathématiques et ne sont pas déterminées seulement par la forme de marchandises des produits. Pour nous en convaincre, nous avons un moyen bien simple. Représentons-nous pour un instant, au lieu du mode de production capitaliste, le mode de production socialiste, par consé­quent une économie organisée, où la division du travail social a pris la place de l'é­chan­ge. Dans cette société, il y aurait également une division du travail en production de moyens de production et production de moyens de consommation. Représentons-nous encore que le niveau technique du travail oblige à consacrer deux tiers du travail social à la fabrication de moyens de production et un tiers à la fabrication de moyens de consommation. Supposons que dans ces conditions 1500 unités de travail (jours, mois ou années) suffiraient tous les ans pour l'entretien de toute la partie travailleuse de la société, c'est-à-dire, selon notre supposition, 1000 dans la section des moyens de production et 500 dans la section des moyens de consommation, chaque année des moyens de production provenant de la période de travail précédente étant utilisés, moyens de production représentant eux-mêmes le produit de 3000 unités de travail. Cette quantité de travail ne suffit cependant pas pour la société, car l'entretien de tous les membres non-travailleurs (dans le sens matériel, productif) de la société - enfants, vieillards. malades, fonctionnaires, artistes et savants - exige un supplément considé­rable de travail. En outre, toute société cultivée a besoin, pour se garantir contre des cas de crise de nature élémentaire, d'un certain fonds d'assurances. Supposons que l'entretien de tous les membres non-travailleurs de la société, y compris le fonds d'assurances, exige encore une quantité de travail égale à celle nécessitée par l'entre­tien des travailleurs, et par conséquent encore autant de moyens de production. Nous aurions alors, d'après les chiffres adoptés précédemment par nous, le schéma suivant d'une production organisée :

I- 4000 c + 1000 v + 1000 pl : 6000 moyens de production

II- 2000 c + 500 v + 500 pl : 3000 moyens de consommation

c représentant les moyens de production matériels employés, exprimés en temps de travail social, v le temps de travail socialement nécessaire à l'entretien des travail­leurs, pl le temps de travail socialement nécessaire à l'entretien des non-travailleurs, plus le fonds d'assurances.

Si nous examinons maintenant les rapports du schéma, nous obtenons ce qui suit : il n'y a pas ici production de marchandises, et par conséquent pas non plus d'échange, mais seulement division de travail social. Les produits de la section I sont attribués dans la quantité nécessaire aux travailleurs dans la section II, les produits de la section Il sont attribués à tous les travailleurs et non-travailleurs (dans les deux sections), ainsi qu'au fonds d'assurances - non pas parce qu'il y a ici échange d'équi­valents, mais parce que l'organisation sociale dirige méthodiquement tout le proces­sus, parce que les besoins existants doivent être couverts, parce que la production ne connaît précisément pas d'autre but que la satisfaction des besoins sociaux.

Malgré cela, les rapports de grandeurs conservent toute leur valeur. Le produit dans la section I doit être égal à I- c + II- c. Cela signifie simplement que dans la section I tous les moyens de production usés par la société dans son processus de travail annuel doivent être renouvelés. Le produit de la section II doit être égal à la somme (v + pl) I- + (v + pl) II-. Cela signifie que la société doit fabriquer annuelle­ment autant de moyens de consommation qu'il en faut pour couvrir les besoins de tous ses membres, travailleurs et non-travailleurs, plus les réserves pour le fonds d'assurances. Les rapports du schéma apparaissent tout aussi naturels et nécessaires dans une économie organisée que dans une économie capitaliste fondée sur l'échange des marchandises et l'anarchie. C'est ce qui prouve la validité sociale objective du schéma - bien qu'en tant que reproduction simple, aussi bien dans la société capitaliste que dans la société socialiste, il ne puisse être que pensé théoriquement, et qu'il ne puisse se réaliser qu'exceptionnellement.

Essayons maintenant d'examiner de la même façon le schéma de la reproduction élargie.

Représentons-nous une société socialiste et mettons à la base de l'examen le schéma du second exemple de Marx. Du point de vue de la société organisée, l'affaire ne doit naturellement pas être engagée en partant de la section I, mais de la section II. Représentons-nous que la société s’accroît rapidement, d'où il résulte des besoins croissants de moyens de consommation pour les travailleurs et les non-travailleurs. Ces besoins s'accroissent si rapidement que - si on laisse momentanément de côté les progrès de la productivité du travail - une quantité toujours croissante de travail sera nécessaire pour la fabrication de moyens de consommation. La quantité nécessaire de moyens de consommation, exprimée en temps de travail social contenu en eux, s'accroît d'année en année, disons dans la proportion suivante : 2000, 2215, 2399, 2600, etc. Pour fabriquer cette quantité croissante de moyens de consommation, une quantité croissante de moyens de production est techniquement nécessaire, laquelle, mesurée en temps de travail social, s’accroît d'année en année dans la proportion suivante : 7000, 7583, 8215, 8900, etc. En outre, supposons que pour cette extension de la production une quantité de travail annuelle de 2570, 2798, 3030, 3284 (les chiffres correspondent aux sommes respectives de (v + pl) I- + (v + pl) II-) soit nécessaire. Et enfin que la division du travail social soit telle que la moitié est employée chaque fois à l'entretien des travailleurs eux-mêmes, un quart à l'entretien des non-travailleurs et un dernier quart à l'élargissement de la production de l'année suivante. Nous obtenons alors pour la société socialiste les rapports du second schéma de la reproduction élargie de Marx. En fait, un élargissement de la production n'est possible dans toute société, même dans la société socialiste, que : si la société dispose d'une quantité croissante de forces de travail, si l'entretien immédiat de la société dans chaque période de travail ne prend pas tout son temps de travail, de telle sorte qu'une partie de ce temps puisse être consacrée au souci pour l'avenir et ses exigences croissantes, si d'année en année une quantité suffisamment croissante de moyens de production est fabriquée, sans laquelle un élargissement croissant de la production est impossible.

De ces points de vue généraux, le schéma de la reproduction élargie de Marx conserve par conséquent - mutatis mutandis - sa valeur objective pour la société organisée.

Examinons maintenant la validité du schéma pour l'économie capitaliste. Ici, la question qui se pose est la suivante : quel est le point de départ de l'accumulation ? De ce point de vue, il nous faut suivre la dépendance réciproque du procès de l'accumu­lation dans les deux sections de la production. Il est incontestable que dans la société capitaliste également la section Il dépend de la section I dans la mesure ou son accumulation est liée à une quantité correspondante de moyens de production supplé­men­taires disponibles. Réciproquement, l'accumulation dans la section I est liée à une quantité additionnelle correspondante de moyens de consommation pour des forces de travail supplémentaires. Il n'en résulte d'ailleurs nullement qu'il suffise d'observer ces deux conditions pour que l'accumulation puisse avoir lieu, en fait, dans les deux sections et se poursuive automatiquement d'année en année, ainsi qu'il pourrait le sem­bler d'après le schéma de Marx. Les conditions ci-dessus indiquées de l'accumu­lation ne sont précisément que des conditions à défaut desquelles l'accumulation ne peut pas avoir lieu. De même la volonté d'accumulation peut exister dans la section I comme dans la section II. Mais, à elles seules, la volonté et les conditions techniques de l'accumulation ne suffisent pas dans une société capitaliste marchande. Afin que l'accumulation ait lieu en fait, c'est-à-dire que la production soit élargie, il y faut encore une autre condition, à savoir une augmentation de la demande solvable de marchandises. Or, d'où vient la demande constamment croissante, qui est à la base de l'élargissement croissant de la production dans le schéma de Marx ?

Avant tout, une chose est claire : elle ne peut pas provenir des capitalistes eux-mê­mes, c'est-à-dire de leur propre consommation personnelle. Au contraire, l'accu­mu­lation consiste précisément en ceci qu'ils ne consomment pas eux-mêmes une partie - et une partie croissante, tout au moins absolument - de la plus-value, mais créent avec cette partie des biens qui sont employés par d'autres. La consommation personnelle des capitalistes croît certes avec l'accumulation, elle peut même croître en valeur consommée. Cependant, ce n'est qu'une partie de la plus-value qui est employée à la consommation des capitalistes. La base de l'accumulation est précisément la non-consommation de la plus-value par les capita­listes. Pour qui produit donc cette autre partie, celle qui est accumulée, de la plus-value ? D'après le schéma de Marx, le mouvement part de la section I, de la production des moyens de production. Qui a besoin de ces moyens de production accrus ? A cela, le schéma répond : c'est la section Il qui en a besoin, pour pouvoir fabriquer plus de moyens de consommation. Mais qui a besoin de ces moyens de consommation accrus ? Le schéma répond : précisément la section I, parce qu'elle occupe maintenant plus d'ouvriers. Nous tournons manifestement dans un cercle. Produire plus de moyens de consommation, pour pouvoir entretenir plus d'ouvriers, et produire plus de moyens de production, pour pouvoir occuper ce surplus d'ouvriers, est du point de vue capitaliste une absur­dité. Pour le capitaliste individuel, l'ouvrier est certes un consommateur, c'est-à-dire un acheteur de ses marchandises - tout aussi bon (à la condition qu'il puisse les payer) qu'un capitaliste ou autre acheteur quelconque. Dans le prix de la marchandise qu'il vend à l'ouvrier, chaque capitaliste réalise sa propre plus-value exactement de la même façon que dans le prix de toute marchandise qu'il vend à n'importe quel autre acheteur. Il n'en est pas de même du point de vue de la classe capitaliste prise dans son ensemble. Celle-ci ne donne à la classe ouvrière, dans son ensemble, qu'un bon sur une part exactement déterminée du produit social total pour le montant du capital variable. Si par conséquent les ouvriers achètent des moyens de consommation, ils ne font que rendre à la classe capitaliste la somme de salaires reçue par eux, le bon pour le montant du capital variable. Ils ne peuvent pas rendre un centime de plus - plutôt moins, s'ils peuvent « épargner », pour devenir indépendants, devenir de petits entre­preneurs, ce qui est d'ailleurs une exception. Une partie de la plus-value, la classe capitaliste la consomme elle-même sous forme de moyens de consommation et conserve dans sa poche l'argent échangé contre eux. Mais qui lui achète les produits où est incorporée l'autre partie, la partie capitalisée, de la plus-value ? Le schéma répond : en partie les capitalistes eux-mêmes, en fabriquant de nouveaux moyens de production, au moyen de l'élargissement de la production ; en partie de nouveaux ouvriers, qui sont nécessaires pour utiliser ces nouveaux moyens de production. Mais pour pouvoir faire travailler de nouveaux ouvriers avec de nouveaux moyens de production, il faut - du point de vue capitaliste - avoir auparavant un but pour l'élargis­se­ment de la production, une nouvelle demande de produits à fabriquer.

On pourrait peut-être répondre : c'est l'accroissement naturel de la population qui crée cette demande croissante. Effectivement, dans notre examen hypothétique de la reproduction élargie dans une société socialiste, nous sommes partis de l'accroisse­ment de la population et de ses besoins. Mais c'est que, dans une telle société, les besoins de la population constituent la base suffisante de la production, comme elle en est aussi le seul but. Dans la société capitaliste, il en est tout autrement. De quelle population s'agit-il, quand nous parlons de son accroissement ? Nous ne connaissons ici - dans le schéma de Marx - que deux classes de la population : capitalistes et ouvriers. L'accroissement de la classe capitaliste est déjà compris dans l'accroisse­ment absolu de la partie consommée de la plus-value. En tout, il ne peut pas consom­mer toute la plus-value, sinon nous reviendrions à la reproduction simple. Restent les ouvriers. La classe ouvrière s'accroît, elle aussi, par accroissement naturel. Mais cet accroissement n'intéresse en rien l'économie capitaliste en tant que point de départ de besoins croissants.

La production de moyens de consommation pour couvrir I- v et II- v n'est pas un but en soi, comme dans une société où les travailleurs et la satisfaction de leurs besoins constituent la base du système économique. Ce n'est pas pour nourrir les ouvriers de la section I et de la section II que celle-ci produit des moyens de con­sommation. Tout au contraire. Les ouvriers de la section I et de la section II ne peuvent se nourrir que parce que leur force de travail peut être utilisée dans les conditions d'écoulement données. Cela signifie qu'une quantité donnée d'ouvriers et leurs besoins ne sont pas un point de départ pour la production capitaliste, mais que ces grandeurs elles-mêmes sont des variables très oscillantes et dépendant des perspectives capitalistes de profit. On se demande par conséquent si l'accroissement naturel de la population ouvrière signifie un nouvel accroissement de la demande solvable au-delà du capital variable. Cela ne peut être le cas. Dans notre schéma, la seule source de revenus pour la classe ouvrière est le capital variable. Ce dernier englobe par conséquent d'avance l'accroissement de la classe ouvrière. L'un ou l'autre : ou bien les salaires sont calculés de telle sorte qu'ils permettent de nourrir aussi les enfants des ouvriers, et alors ceux-ci ne peuvent pas, encore une fois, entrer en ligne de compte en tant que base de la consommation élargie. Ou ce n'est pas le cas, et alors la nouvelle génération de jeunes ouvriers doit fournir elle-même du travail pour pouvoir recevoir des salaires et des moyens de consommation. Et, dans ce cas, ces nouveaux ouvriers sont déjà compris dans le nombre des ouvriers occupés. Par conséquent, l'accroissement naturel de la population ne peut pas expliquer le proces­sus de l'accumulation dans le schéma de Marx.

Mais, attention ! La société - même sous la domination du capitalisme - ne consis­te pas uniquement en capitalistes et en ouvriers. En dehors de ces deux classes, il existe encore une grande masse de la population : propriétaires fonciers, employés, membres des professions libérales (avocats, artistes, savants), il y a encore l'Église avec ses servants, le clergé, et enfin l'État, avec ses fonctionnaires et avec l'armée. Toutes ces couches de la population ne peuvent être comptées ni parmi les capitalistes ni parmi les salariés, au sens catégorique du mot. Mais elles doivent être nourries et entretenues par la société. Peut-être sont-ce ces couches existant en dehors des capitalistes et des ouvriers dont la demande rend nécessaire l'élargissement de la production ? Mais cette issue, quand on l'examine de près, n'est qu'apparente. Les propriétaires fonciers sont, en tant que consommateurs de la rente, c'est-à-dire d'une partie de la plus-value capitaliste, manifestement à compter dans la classe capitaliste, sa consommation étant, ici où nous considérons la plus-value dans sa forme primaire, non divisée, déjà contenue dans la consommation de la classe capitaliste. Les membres des professions libérales reçoivent leurs revenus, c'est-à-dire leurs bons sur une partie du produit social, la plupart du temps directement ou indirectement des mains de la classe capitaliste, qui les paye avec des miettes de sa plus-value. Dans cette mesure, en tant que consommateurs de la plus-value, ils sont à compter dans la classe capitaliste. Il en est de même du clergé, avec cette différence qu'il tire égale­ment une partie de ses ressources des travailleurs, par conséquent des salaires. Enfin l'État, avec ses fonctionnaires et avec l'armée, est entretenu au moyen des impôts, mais ceux-ci reposent soit sur la plus-value, soit sur les salaires. D'une façon générale, nous ne connaissons ici - dans les limites du schéma de Marx - que deux sources de revenus dans la société : salaires ou plus-value. C'est ainsi que toutes les couches de la population mentionnées en dehors des capitalistes et des ouvriers ne peuvent être considérées que comme des consommateurs de ces deux sortes de revenus. Marx lui-même rejette comme une échappatoire le renvoi à ces « tierces personnes » en tant qu'acheteurs : « Tous les membres de la société qui ne figurent pas directement dans la reproduction, avec ou sans travail, ne peuvent recevoir leur part du produit marchandise annuel, donc leurs moyens de consommation, que des mains de ceux à qui ce produit revient en première ligne, c'est-à-dire les ouvriers productifs, les capitalistes industriels et les propriétaires fonciers. A ce point de vue, leurs revenus dérivent matériellement du salaire (des ouvriers productifs), du profit et de la rente foncière. Mais, d'autre part, les bénéficiaires de ces revenus dérivés les perçoivent grâce à leur fonction sociale de roi, prêtre, professeur, hétaïre, soldat, etc., et ils peuvent donc voir en leur fonction la source première de leur revenu [45]. » Au sujet des renvois aux consommateurs d'intérêts et de rente foncière en tant qu'acheteurs, Marx dit : « Mais si la partie de la plus-value des marchandises, que le capitaliste indus­triel doit verser, comme rente foncière ou intérêt, à d'autres copropriétaires de la plus-value, ne peut se réaliser par la vente des marchandises, c'en est fait du paiement de la rente foncière et de l'intérêt, et les anciens bénéficiaires, ne pouvant plus les dépenser, sont dans l'impossibilité d'assurer la conversion en argent de certaines parties de la reproduction annuelle. il en va de même des dépenses de tous les ouvriers improductifs fonctionnaires, médecins, avocats, etc., et tous ceux qui, sous le nom de grand public, servent aux économistes politiques à expliquer ce qu'en réalité ils n'expliquent pas[46]. »

Étant donné que par ce moyen on ne peut trouver au sein de la société capitaliste aucun acheteur apparent pour les marchandises dans lesquelles se trouve la partie accumulée de la plus-value, il ne reste plus qu'une solution : le commerce extérieur. Mais il y a plusieurs objections qui s'opposent à cette méthode consistant à considérer le commerce extérieur comme un lieu de décharge commode pour les produits dont on ne saurait que faire autrement dans le procès de la reproduction. Le renvoi au commerce extérieur ne tend en réalité qu'à déplacer d'un pays dans un autre, mais sans la résoudre, la difficulté à laquelle on s'est heurté dans l'analyse. Celle-ci ne se rapporte nullement à un pays capitaliste isolé, mais à l'ensemble de l'économie capitaliste, pour laquelle tous les pays sont des marchés intérieurs. Marx le souligne déjà expressément au tome I du Capital en étudiant l'accumulation. « Nous faisons abstraction du commerce d'exportation, par lequel une nation peut convertir des articles de luxe en moyens de production ou de subsistance et inversement. Pour étudier l'objet de notre examen dans toute sa pureté et indépendamment de toutes les conditions accessoires qui pourraient y jeter de la confusion, nous considérons le monde commerçant tout entier comme une seule nation et nous supposerons que la production capitaliste s'est installée partout et s'est emparée de toutes les branches de l'industrie [47]. »

L'analyse offre la même difficulté si nous considérons la chose d'un autre côté encore. Dans le schéma de Marx, on suppose que la partie à capitaliser de la plus-value sociale vient tout d'abord au monde sous la forme naturelle, qui détermine et permet son emploi en vue de l'accumulation : en un mot, la plus-value n'est convertible en capital que « parce que le surproduit, dont elle est la valeur, contient déjà les éléments matériels d'un nouveau capital[48]. Exprimé dans les chiffres du schéma, nous avons :

I- 5 000 c + 1 000 v + 1 000 pl = 7 000 moyens de production

II- 1 430 c + 285 v + 285 pl = 2 000 moyens de consommation

Ici la plus-value peut être capitalisée pour un montant de 570 pl, car elle consiste de prime abord en moyens de production ; et à cette masse de moyens de production correspond une masse additionnelle de moyens de consommation pour un montant de 114 pl, soit en tout 684 pl qui peuvent être capitalisés. Mais le processus ici supposé de simple transfert des moyens de production correspondants dans le capital constant, des moyens de consommation dans le capital variable, est en contradiction avec les bases de la production capitaliste marchande. Quelle que soit la forme naturelle dans laquelle elle se trouve, la plus-value ne peut pas être transportée directement en vue de l'accumulation dans les lieux de production, elle doit être auparavant réalisée, échangée contre de l'argent[49]. La plus-value de la section I pourrait être capitalisée pour un montant de 500, mais dans ce but elle doit auparavant être réalisée, elle doit d'abord rejeter sa forme naturelle et revêtir sa pure forme de valeur avant de pouvoir être transformée en capital productif. Cela vaut non seulement pour chaque capitaliste individuel, mais aussi pour l'ensemble des capitalistes, car la réalisation de la plus-value dans sa pure forme de valeur est l'une des conditions fondamentales de la production capitaliste, et dans l'étude sociale de la production « il ne faut pas tomber dans le travers des économistes bourgeois et de Proudhon et croire qu'une société de production capitaliste perd ce caractère économique particulier et historique, du moment qu'on la prend en bloc, comme un tout. C'est tout le contraire. On se trouve alors aux prises avec le capitaliste total[50]. »

La plus-value doit par conséquent revêtir absolument la forme argent et rejeter la forme de surproduit avant de la reprendre de nouveau en vue de l'accumulation. Mais quels sont les acheteurs du surproduit de la section I et de la section II ? Pour pouvoir seulement réaliser la plus-value des sections I et II, il faut, d'après ce qui précède, qu'il existe un débouché en dehors d'elles. Ainsi seulement la plus-value serait transformée en argent. Afin que cette plus-value réalisée puisse être encore employée à l'élargissement de la production, à l'accumulation, il faut qu'il y ait une perspective de débouchés ultérieurs encore plus considérables, qui se trouvent également en dehors des sections I et II. Ces débouchés pour le surproduit doivent par conséquent s'augmenter chaque année du taux accumulé de la plus-value. Or, au contraire, l'accumulation ne peut avoir lieu que dans la mesure où les débouchés s'accroissent en dehors des sections I et II.

8. Les tentatives de solution de la difficulté chez Marx[modifier le wikicode]

Nous trouvons ainsi que l'oubli complet de la circulation de l'argent dans le schéma de la reproduction élargie, qui nous a fait apparaître le processus de l'accumu­lation si facile et si simple, mène à de grandes difficultés. Pour l'analyse de la repro­duction simple, ce procédé était entièrement justifié. Là où la production se faisait exclusivement pour la consommation et était basée sur elle, l'argent ne servait que d'intermédiaire de la répartition du produit social entre les différents groupes de consommateurs et du renouvellement du capital. Ici, pour l'accumulation, la forme argent joue un rôle essentiel : elle ne sert plus seulement d'intermédiaire dans la circu­lation des marchandises, mais en tant que forme sous laquelle apparaît le capital, en tant que facteur de la circulation du capital. La transformation de la plus-value en ar­gent est la condition économique essentielle de l'accumulation capitaliste, quoiqu'elle ne soit pas un facteur essentiel de la reproduction véritable. Entre la production et la reproduction, il y a par conséquent ici deux métamorphoses de la plus-value : le rejet de la forme d'usage et ensuite l'adoption de la forme naturelle correspondant aux buts de l'accumulation. Peu importe qu'il s'agisse de périodes annuelles s'écoulant entre les différentes périodes de production. Cela pourrait être également des périodes mensuelles, ou les métamorphoses de la plus-value dans les sections I et II pourraient se croiser chronologiquement dans leur succession. Ce que signifient en réalité ces successions d'années, ce ne sont pas des intervalles de temps, mais une succession de transformations économiques. Mais cette succession doit être observée, quel que soit le temps, plus ou moins long, qu'elle nécessite pour que soit maintenu le caractère capitaliste de l'accumulation. Nous revenons ainsi de nouveau à la question : qui réalise la plus-value accumulée ?

Marx lui-même sent la lacune existant dans son schéma extérieurement sans défauts de l'accumulation et considère à plusieurs reprises le problème de différents côtés. Écoutons :

« Nous avons montré au livre I° comment l'accumulation s'effectue pour le capitaliste individuel. La conversion en argent du capital marchandise entraîne celle du surproduit qui représente la plus-value. Cette plus-value transformée en argent, le capitaliste la reconvertit en éléments naturels supplémentaires de son capital pro­ductif. Dans le cycle suivant de la production, le capital augmenté fournit un produit augmenté. Mais ce qui se produit pour le capital individuel doit également se reproduire dans la reproduction annuelle totale, tout comme nous avons vu, dans l'étude de la reproduction simple, que la constitution en trésor des éléments fixes du capital individuel, une fois consommés, se retrouve dans la production sociale annuelle[51]. »

Plus loin, Marx étudie le mécanisme de l'accumulation, précisément de ce point de vue que la plus-value, avant d'être accumulée, doit revêtir la forme argent :

« Si le capitaliste A vend dans une année ou pendant un assez grand nombre d'années les masses de marchandises qu'il a produites, il convertit également en argent cette partie du produit marchandise, le surproduit, qui représente la plus-value, par conséquent la plus-value produite par lui sous forme de marchandises; il accumule peu à peu cet argent et se constitue un nouveau capital argent virtuel; capital virtuel à cause de sa capacité et de sa destination de se convertir en éléments du capital productif. Mais, en réalité, il n'y a que thésaurisation simple, qui n'est pas un élément de la reproduction véritable. Le capitaliste A borne donc son activité à retirer successivement de la circulation de l'argent circulant, étant bien entendu que cet argent circulant qu'il enferme dans sa caisse a pu, avant d'entrer dans la circulation, faire partie d'un autre trésor...

« L'argent est retiré de la circulation et accumulé comme trésor par la vente, sans achat subséquent, de la marchandise. Si l'on considère cette opération comme générale, on ne voit pas d'où viendraient les acheteurs, puisque dans ce procès, qu'il faut envisager comme général, chaque capital individuel pouvant se trouver en voie d'accumulation, chacun veut vendre pour entasser et que personne ne veut acheter.

« Si l'on admettait qu'entre les différentes parties de la reproduction annuelle le procès de circulation suit une ligne droite - ce qui serait faux, puisque, à part quel­ques exceptions, il se compose de mouvements réciproques - il faudrait commencer par le producteur d'or ou d'argent qui achète sans vendre, et supposer que tous les autres sont vendeurs vis-à-vis de lui. La totalité du surproduit social annuel, repré­sen­tant de la plus-value totale, lui reviendrait alors et tous les autres capitalistes se répartiraient au prorata son surproduit existant naturellement sous la forme argent; car la partie du produit qui doit remplacer le capital en fonction du producteur d'argent n'est plus disponible. La plus-value, produite en or, du producteur d'or serait alors le seul fonds où puiseraient les autres capitalistes pour convertir en argent leur surproduit annuel. Elle devrait donc égaler en valeur toute la plus-value sociale annuelle, qui doit d'abord prendre la forme de trésor. Ces suppositions absurdes ne pourraient du reste qu'expliquer la possibilité d'une thésaurisation universelle et simultanée, ce qui n'avancerait en aucune façon la reproduction, si ce n'est du côté des producteurs d'or.

« Avant de résoudre cette difficulté apparente, etc.[52].

Marx appelle ici difficulté apparente celle qui existe dans la réalisation de la plus-value. Mais toute la suite de l'étude, jusqu'à la fin du deuxième tome du Capital, est consacrée à cette difficulté. Tout d'abord, il s'efforce de la résoudre au moyen du renvoi à la thésaurisation qui, dans la production capitaliste, découle inévitablement de la séparation dans le processus de la circulation des différents capitaux constants. Étant donné que différents placements individuels de capitaux se trouvent à des âges différents, mais qu'une partie de ces placements n'est renouvelée qu'après une plus ou moins longue période de temps, nous voyons qu'à chaque moment il y a des capitalistes qui renouvellent déjà leurs placements, tandis que d'autres ne font encore que des réserves au moyen de la vente de leurs marchandises, jusqu'à ce qu'elles aient atteint la hauteur nécessaire au renouvellement du capital fixe. C'est ainsi que sur la base capitaliste la thésaurisation se poursuit toujours parallèlement au processus de reproduction social en tant qu'expression et condition de la rotation particulière du capital fixe.

« A vend par exemple à B (qui peut représenter plus d'un acheteur) 600 (= 400 c + 100 v + 100 pl). Il a vendu des marchandises pour 600 en argent, dont 100 pl, qu'il retire à la circulation pour les enlever comme argent; mais ces 100 d'argent ne sont que la forme argent du surproduit représentant d'une valeur de 100. (Pour formuler le problème dans toute sa pureté, Marx suppose ici que toute la plus-value est capitalisée et fait par conséquent entièrement abstraction de la partie de la plus-value consacrée à la consommation personnelle du capitaliste ; en outre, tant les A', A", A"' que les B’, B", BI"' appartiennent à la section I). En somme, la thésaurisation ne constitue pas de la production, ni par suite une augmentation de la production. Le capitaliste retire simplement de la circulation l'argent provenant de la vente du surproduit, le retient et le met sous clé. Cette même opération est faite, sur de nombreux points de la péri­phérie de la circulation, par d'autres capitalistes, qui travaillent tous, avec une égale ardeur, à cette sorte de thésaurisation... Mais A n'opère cette thésaurisation qu'autant que, par rapport à son surproduit, il fonctionne uniquement comme vendeur. Il ne peut donc thésauriser que s'il produit de la plus-value représentée par son surproduit. Dans le cas donné, où l'on ne considère la circulation qu'à l'intérieur de la catégorie I, la forme naturelle du surproduit comme du produit total dont il n'est qu'une partie est la forme naturelle d'un élément du capital constant I et rentre dans la catégorie des moyens de production. Nous allons voir ce qu'il en advient entre les mains des acheteurs B, B', B", etc. Un point reste acquis : bien que A retire de la circulation et accumule de l'argent en échange de sa plus-value, il y jette d'autre part de la marchandise sans lui en enlever, ce qui permet à B, B', B", etc., d'y jeter de l'argent et de n'en retirer que de la marchandise. Dans le cas présent, cette marchandise, d'après sa forme naturelle et sa destination, entre comme élément fixe ou circulant dans le capital constant de B, B', B'', etc.[53]. »

Ce processus qui nous est décrit ici, nous le connaissons déjà. Marx l'a déjà exposé en détail à propos de la reproduction simple, car il est indispensable pour expliquer comment le capital constant de la société se renouvelle dans les conditions de la reproduction capitaliste. C'est pourquoi tout d'abord nous ne voyons pas du tout comment ce processus doit nous aider à résoudre la difficulté particulière à laquelle nous nous sommes heurtés dans l'analyse de la reproduction élargie. Cette difficulté était la suivante : en vue de l'accumulation, une partie de la plus-value n'est pas con­som­mée par les capitalistes, mais transformée en capital en vue de l'élargissement de la production. Or, on se demande : où sont les acheteurs pour ce produit supplé­mentaire, que les capitalistes eux-mêmes ne consomment pas et que les ouvriers peuvent encore moins consommer, étant donné que leur consommation est totalement couverte par le montant du capital variable ? Où est la demande pour la plus-value accumulée, ou, ainsi que le dit Marx : d'où vient l'argent pour payer la plus-value accumulée ? Si l'on nous répond en nous renvoyant au processus de thésaurisation qui découle du renouvellement progressif et séparé dans le temps du capital constant chez les différents capitalistes, nous ne voyons pas très bien le rapport qu'ont ces choses entre elles. Si les capitalistes B, B', B", etc., achètent à leurs collègues A, A', A" des moyens de production dans le but de renouveler leur capital constant effectivement usé, nous nous trouvons alors dans les limites de la reproduction simple et l'affaire n'a rien du tout à voir avec notre difficulté. Mais si l'on suppose que l'achat des moyens de production par B, B', B", etc., sert à l'élargissement de leur capital constant dans des buts d'accumulation, alors se posent immédiatement plusieurs questions. Avant tout : d'où les capitalistes B, B', B'' tirent-ils l'argent pour pouvoir acheter un surpro­duit supplémentaire de A, A', A", etc. ? Cet argent, ils ne peuvent se l'être procuré qu'au moyen de la vente de leur propre surproduit. Avant d'acheter de nouveaux moyens de production pour étendre leurs entreprises, c'est-à-dire de se présenter comme acheteurs du surproduit à accumuler, ils doivent s'être débarrassés d'abord de leur propre surproduit, c'est-à-dire s'être présentés comme vendeurs. A qui ont-ils donc vendu leur surproduit ? On voit qu'on n'a fait ainsi que déplacer la difficulté en la transportant de A, A', A" en B, B', B'', mais on ne l'a pas résolue.

Un moment, il semble, pendant l'analyse, que la difficulté est résolue. Après une petite digression, Marx reprend ainsi le fil de l'étude :

« Dans le cas présent, ce surproduit consiste en moyens de production de moyens de production. Ce n'est qu'entre les mains de B, B', B'' (I) que ce surproduit fonc­tionne comme capital constant additionnel; mais il l'était déjà virtuellement avant d'être vendu, c'est-à-dire entre les mains du thésauriseur A, A', A" (I). Si nous ne considérons que la grandeur de la valeur de la reproduction en I, nous restons dans les limites de la reproduction simple, car aucun capital supplémentaire n'a été mis en mouvement pour créer ce capital constant virtuellement additionnel (le surproduit), et il n'y a pas eu plus de surtravail que dans la reproduction simple. Toute la différence se trouve dans la forme du surtravail employé, la nature concrète de sa manière utile spéciale. Il a été dépensé en moyens de production pour I- c au lieu de II- c, en moyens de production de moyens de production et non pas en moyens de production de moyens de consommation. Dans la reproduction simple, nous avons supposé que toute la plus-value I est dépensée comme revenu, c'est-à-dire en mar­chandises; elle se composait donc exclusivement de moyens de production destinés à remplacer le capital constant II- c sous sa forme naturelle. Mais pour que la transition s'opère de la reproduction simple à la reproduction élargie, la production, dans la section I, doit pouvoir fournir moins d'éléments du capital constant pour II, mais d'autant plus pour I. Ce qui facilite cette transition parfois difficile, c'est que certains produits de I peuvent servir de moyens de production dans les deux sections.

« Il s'ensuit donc que, si nous ne considérons que la grandeur de la valeur, nous avons déjà dans la reproduction simple la base matérielle de la reproduction élargie. C'est tout bonnement du surtravail fourni par la classe ouvrière I et dépensé directement dans la production de moyens de production, dans la création de capital I virtuel additionnel. La formation de ce capital par A, A' A" (I), par la vente successive de leur surproduit formé sans la moindre dépense capitaliste, est donc ici la simple forme argent de moyens de production I produits en supplément[54]. »

Ici, la difficulté semble s'être dissoute en fumée entre nos mains. L'accumulation ne nécessite aucune source nouvelle d'argent : autrefois, les capitalistes consom­maient leur plus-value eux-mêmes et devaient par conséquent posséder une réserve d'argent correspondante, car nous savons déjà par l'analyse de la reproduction simple que la classe capitaliste doit jeter elle-même dans la circulation l'argent nécessaire à la réalisation de sa plus-value. Maintenant, la classe capitaliste achète pour une partie de cette réserve d'argent (à savoir B, B', B", etc.), au lieu de moyens de consommation pour une valeur égale, de nouveaux moyens de production supplémentaires afin d'élargir sa production. Par là une quantité d'argent pour une valeur égale s'accumule dans les mains de l'autre partie des capitalistes (à savoir A, A' A", etc.). « Cette thé­saurisation... ne suppose en aucune façon une richesse métallique supplémentaire, mais une simple modification de la fonction de l'argent en circulation. Tout à l'heure, il fonctionnait comme moyen de circulation, maintenant comme trésor, comme du capital argent virtuel, en formation. »

Ainsi, nous aurions résolu la difficulté. Mais il n'est pas difficile de nous rendre compte à quelle circonstance nous devons dans ce cas la solution de la difficulté : Marx prend ici l'accumulation à son début, in statu nascendi, où elle surgit comme un bourgeon de la reproduction simple. En quantité de valeur, la production n'est pas enco­re élargie, seuls son arrangement et ses éléments matériels sont ordonnés autre­ment. Et ce n'est pas du tout un miracle que les sources d'argent apparaissent aussi comme suffisantes. Mais la solution que nous avons trouvée ne tient qu'un instant : uniquement pour le passage de la reproduction simple à la reproduction élargie, c'est-à-dire juste pour un cas concevable seulement en théorie, mais qui n'entre pas en ligne de compte pour la réalité. Mais quand l'accumulation a déjà commencé depuis longtemps et que chaque période de production jette sur le marché une masse de valeur plus grande que la précédente, alors la question se pose : où sont les acheteurs pour ces valeurs supplémentaires ? La solution que nous avons trouvée nous aban­donne ici complètement. En outre, elle n'est elle-même qu'apparente. A l'examen, elle nous échappe juste au moment où nous croyons qu'elle va nous aider à nous tirer d'embarras. Car si nous prenons l'accumulation juste au moment oùelle s'apprête à sortir du sein de la reproduction simple, sa première condition est une diminution de la consommation de la classe capitaliste. Au moment même nous trouvons la possibilité de procéder, à l'aide des anciens moyens de circulation, à un élargissement de la production, nous perdons dans la même mesure de vieux consommateurs. Pour qui donc doit-on élargir la production, c'est-à-dire qui achètera demain aux capi­talistes B, B', B" de la section I la quantité de produits accrue qu'ils ont fabriquée en « mettant de côté » « l'argent nécessaire pour acheter aux capitalistes A, A', A" » de la section I de nouveaux moyens de production ?

On voit que la solution, non la difficulté, n'était qu'apparente, et Marx lui-même revient, l'instant d'après, à la question qui est de savoir où les capitalistes B, B', B" prennent l'argent nécessaire pour acheter aux capitalistes A, A', A" leur surproduit :

« Dans la mesure où les produits de B, B', B", etc. (I), entrent de nouveau en natu­re dans le procès, il va de soi qu'une partie de leur propre surproduit est transférée directement (sans l'intermédiaire de la circulation) à leur capital productif, où elle entre comme élément supplémentaire du capital constant. Mais dans cette mesure, il n'y a pas conversion en argent du surproduit de A, A', etc. (I). Laissant tout cela de côté, nous demandons : d'où vient l'argent ? Nous savons que B, B', B" (I) ont formé leur trésor de la même manière que A, A', etc., par la vente de leurs surproduits respectifs et sont arrivés au moment où leur capital argent, accumulé comme trésor et purement virtuel, doit fonctionner effectivement comme capital argent supplémen­taire. Mais nous ne faisons que tourner dans un cercle vicieux. D'où vient l'argent enlevé à la circulation et accumulé comme trésors[55] ? »

La réponse qu'apporte Marx aussitôt semble de nouveau d'une simplicité surpre­nante :

« Mais nous savons déjà, par l'étude de la reproduction simple, qu'une certaine masse d'argent doit se trouver entre les mains des capitalistes I et Il pour la conver­sion de leur surproduit. Là, l'argent qui ne servait qu'à être dépensé en moyens de consommation comme revenu faisait retour aux capitalistes, dans la mesure où ils l'avaient avancé pour l'échange de leurs marchandises respectives; ici, le même ar­gent réapparaît, mais avec une autre fonction A et B, etc., se fournissent alternati­ve­ment l'argent nécessaire pour convertir leur surproduit en capital argent virtuel supplémen­taire et rejettent alternativement dans la circulation, comme moyen d'achat, le nouveau capital argent[56]. »

Nous sommes de nouveau retombés ici dans la reproduction simple. Il est tout à fait exact que les capitalistes A et les capitalistes B accumulent toujours peu à peu une somme d'argent pour renouveler de temps en temps leur capital constant (fixe) et s'aident ainsi mutuellement à réaliser leur produit. Mais cette somme qui s'accumule ainsi ne tombe pas du ciel. Ce n'est que le dépôt formé peu à peu de la valeur du capital fixe transférée progressivement dans les produits et qui est réalisée peu à peu, au fur et à mesure de leur vente. C'est pourquoi la somme accumulée ne peut jamais suffire qu'au renouvellement de l'ancien capital ; elle ne peut pas servir à l'achat d'un capital constant supplémentaire. Ainsi nous ne sortons pas des limites de la reproduc­tion simple. Ou bien il s'ajoute, en tant que nouvelle source d'argent supplémentaire, une partie des moyens de circulation qui servaient jusqu'alors à la consommation personnelle des capitalistes et qui doivent maintenant être capitalisés. Mais par là nous revenons de nouveau à la courte phase exceptionnelle, et que l'on ne peut d'ailleurs concevoir que théoriquement, du passage de la reproduction simple à la repro­duction élargie. L'accumulation ne va pas plus loin. Nous tournons manifeste­ment dans un cercle.

La thésaurisation capitaliste ne peut pas par conséquent nous aider à sortir de la difficulté. Et c'était à prévoir, car la question était mal posée. Il ne s'agit pas, dans le problème de l'accumulation, de savoir d'où vient l'argent, mais d'où vient la demande pour le produit supplémentaire qui découle de la plus-value capitalisée. Ce n'est pas une question technique de circulation monétaire, mais une question économique de la reproduction du capital social. Car même si nous faisons abstraction de la question dont Marx s'est exclusivement occupé jusqu'ici, à savoir d'où les capitalistes B, B', etc., tiraient l'argent nécessaire pour acheter aux capitalistes A, A', etc., des moyens de production supplémentaires, la question beaucoup plus importante se pose, une fois l'accumulation réalisée, de savoir à qui les capitalistes B, B', etc., veulent mainte­nant vendre leur surproduit accru. Marx les fait en fin de compte se vendre les uns aux autres leurs produits !

« Il peut se faire que les divers B, B', B" (I), dont le nouveau capital virtuel entre en fonction comme capital actif, s'achètent et se vendent réciproquement leurs pro­duits (parties de leur surproduit). Dans cette mesure, l'argent avancé pour la circulation du surproduit fait retour, si tout se passe normalement, aux divers B. B', etc., suivant les proportions où ils l'ont avancé pour la circulation de leurs marchandises respectives[57]. »

« Dans cette mesure » n'est pas une solution, car, en fin de compte, les capitalistes B, B', B", etc., n'ont pas renoncé à une partie de leur consommation et élargi leur production pour se vendre ainsi les uns aux autres leur produit accru, à savoir des moyens de production. D'ailleurs cela aussi n'est possible que dans une mesure très restreinte. D'après l'hypothèse de Marx, il y a une certaine division du travail au sein de la section I, les capitalistes A, A', A", etc., de cette section fabriquant des moyens de production avec des moyens de production, tandis que les capitalistes B, B', B", etc., de cette même section fabriquent des moyens de production avec des moyens de consommation. Si par conséquent le produit des capitalistes A, A', etc., pouvait rester à l'intérieur de la section I, le produit de B, B', B", etc., est destiné d'avance par sa forme naturelle à la section Il (fabrication de moyens de consommation). L'accumu­lation chez les capitalistes B, B', etc., nous mène déjà à la circulation entre la section I et la section II. Par là, la marche de l'analyse de Marx confirme elle-même que, s'il doit y avoir accumulation au sein de la section I, il doit en fin de compte y avoir directement ou indirectement une demande accrue de moyens de production dans la section des moyens de consommation. C'est ici par conséquent, chez les capitalistes de la section II, que nous devrons chercher les acheteurs pour le produit supplémen­taire de la section I. »

En effet, la seconde tentative de Marx en vue de résoudre le problème se porte vers la demande des capitalistes de la section II. Leur demande de moyens de production supplémentaires ne peut avoir d'autre sens que de grossir leur capital constant. Mais ici toute la difficulté saute aux yeux.

« Mettons maintenant que A (I) vende son surproduit à un B de la section II. Ceci ne peut se faire qu'à la condition que A (I), après avoir vendu ses moyens de production à B (II), n'achète pas ensuite des moyens de consommation et soit donc exclusivement vendeur. Mais Il c ne peut passer de la forme de capital marchandise à la forme naturelle de capital constant productif que si I- v, et même une partie de I- pl, s'échange contre une partie de II- c, ce dernier existant sous forme de moyens de consommation. D'autre part, A convertit son I pl en or, en ne faisant pas cet échange, puisque, au lieu de le dépenser en achat de moyens de consommation II- c, il enlève à la circulation l'argent tiré de la vente de I- pl. Il s'ensuit qu'il y a bien, du côté de A (I), formation de capital argent virtuel supplémentaire ; mais, d'autre part, une partie égale de capital constant de B (II) est immobilisée sous forme de capital marchan­dise, sans pouvoir se convertir en la forme naturelle de capital constant productif. En d'autres termes : une partie des marchandises de B (II), et tout d'abord la partie dont la vente seule peut lui permettre de rendre à tout son capital constant la forme productive, est devenue invendable; à cet égard, il y a donc surproduction, qui, l'échelle restant la même, arrête également la reproduction[58]. »

La tentative d'accumulation de la part de la section I au moyen de la vente du surproduit supplémentaire à la section Il a eu ici un résultat tout à fait inattendu : un déficit du côté des capitalistes de la section II, qui n'ont même pas pu reprendre la reproduction élargie. Arrivé à ce nœud, Marx s'enfonce dans l'analyse pour suivre la chose de près.

« Voyons maintenant de plus près l'accumulation dans la section II. La première difficulté, concernant la retransformation de II- c d'un élément du capital marchan­dise II- en la forme naturelle du capital constant, se rapporte à la reproduction simple. Reprenons notre ancienne formule.

« (1000 v + 1000 pl) I- s'échangent contre 2000 I- ».

« Si la moitié par exemple du surproduit I-, c'est-à-dire 1000 : 2 ou 500 I- pl est incorporée de nouveau à la section I comme capital constant, cette partie ne peut pas remplacer une partie de II­- c Elle n'est pas convertie en moyens de consommation (et dans cette partie de la circulation entre I- et II- il y a, contrairement à ce qui se passe pour le remplacement, effectué grâce aux ouvriers, de 1000 II- c par 1000 I- v, échange réciproque réel, donc un double déplacement des marchandises); elle doit servir en 1 même de moyen de production supplémentaire. Elle ne peut accomplir cette fonction à la fois en I- et II-. Le capitaliste ne peut dépenser la valeur de son surproduit en moyens de consommation, et consommer en même temps producti­ve­ment le surproduit, c'est-à-dire l'incorporer à son capital productif. Au lieu de 2000 I- (v + pl), il n'y a donc que 1500, c'est-à-dire (1000 v + 500 pl) I-, qui puissent se con­ver­tir en 2000 II- c ; 500 II- c ne peuvent donc être reconvertis de leur forme mar­chandise en capital productif (constant) II[59]. »

Jusqu'ici, nous nous sommes convaincus encore plus nettement de l'existence de la difficulté, mais nous n'avons pas avancé d'un pas vers sa solution. D'ailleurs, ce qui se venge ici de l'analyse, c'est le fait que Marx est obligé, pour expliquer le problème de l'accumulation, d'avoir recours à la fiction du passage de la reproduction simple à la reproduction élargie, par conséquent au début de l'accumulation, au lieu de prendre celle-ci au milieu même de son cours. Or, cette fiction, qui, tant que nous ne considé­rions l'accumulation qu'au sein de la section I, nous offrait tout au moins pour un instant une apparence de solution - les capitalistes de la section I, en renonçant à une partie de leur consom­mation personnelle, se trouvaient brusquement avoir à leur disposition une nouvelle somme d'argent, à l'aide de laquelle ils pouvaient commen­cer la capitalisation - cette fiction, dès le moment où nous nous tournons vers la section II, ne fait maintenant qu'aggraver la difficulté. Car, ici, le renoncement de la part des capitalistes de la section I se traduit par une perte douloureuse de consomma­teurs, sur la demande desquels était basée la production. Les capitalistes de la section II, dont nous nous proposions d'examiner s'ils n'étaient pas les acheteurs que nous cherchions depuis longtemps pour le produit supplémentaire de l'accumulation dans la section I, peuvent d'autant moins nous aider à sortir de la difficulté qu'ils sont eux-mêmes dans l'embarras et ne savent pas encore ce qu'ils doivent faire avec leur propre produit invendu. On voit à quelles difficultés nous mène la tentative consistant à faire réaliser l'accumulation chez un capitaliste aux dépens de l'autre.

Marx indique ensuite un moyen possible de tourner la difficulté, qu'il rejette lui-même immédiatement comme une échappatoire. On pourrait considérer l'excédent invendable découlant dans la section II de l'accumulation dans la section I comme une réserve de marchandises nécessaire de la société pour l'année suivante. A cela, Marx répond avec sa profondeur ordinaire : « Une telle constitution de provision et sa nécessité s'appliquent aux capitalistes I aussi bien qu'aux capitalistes II. En tant que simples vendeurs, ils ne se distinguent que parce qu'ils vendent des marchandises de différentes sortes. La provision en marchandises II suppose une provision antérieure en marchandises I. Si nous négligeons cette provision d'un côté, il faut la négliger également de l'autre. Mais si nous en tenons compte pour les uns et les autres, cela ne change rien au problème; cette année qui se clôture avec une provision de mar­chandises pour l'année prochaine s'est ouverte avec une provision fournie par l'année précédente. Dans l'analyse de la reproduction annuelle, réduite à son expression la plus abstraite, cela ne peut donc entrer en ligne de compte. En laissant à l'année présente sa production tout entière, y compris la provision qu'elle cède à l'année prochaine, nous lui enlevons en même temps la provision que lui a léguée l'année précédente, et notre analyse s'applique donc au produit total d'une année moyenne ; le simple fait que la difficulté qu'il s'agit de tourner ne nous est pas apparue dans l'étude de la reproduction simple prouve qu'il s'agit d'un phénomène spécifique, uni­que­ment dû au groupement différent, par rapport à la production, des éléments I, modi­fication sans laquelle toute reproduction sur une échelle agrandie serait impossible [60]. »

Mais cette dernière remarque concerne également les tentatives faites jusqu'ici par Marx lui-même en vue de résoudre la difficulté spécifique de l'accumulation au moyen de facteurs qui appartiennent déjà à la reproduction simple, à savoir cette thésaurisation par les capitalistes liée à la transformation progressive du capital fixe et qui devait soi-disant expliquer l'accumulation au sein de la section I.

Marx passe ensuite à l'exposé schématique de la reproduction élargie, mais se heurte immédiatement, de nouveau, dans l'analyse de son schéma, à la même diffi­culté. Il suppose que les capitalistes de la section I accumulent 500 pl, mais que ceux de la section II, de leur côté, doivent transformer 140 pl en capital constant, pour permettre aux premiers l'accumulation, et demande :

« Il doit acheter 140 I- pl au comptant, sans qu'il puisse récupérer cet argent en vendant ensuite sa marchandise à I. Et ce procès se répète constamment dans toute production annuelle nouvelle, dans la mesure où celle-ci est de la reproduction sur une échelle agrandie. Mais où jaillit la source d'argent en II[61] ? »

Marx s'efforce ensuite de trouver cette source de différents côtés. Tout d'abord, il examine de près la dépense des capitalistes de la section Il pour le capital variable. Ce dernier existe assurément sous forme d'argent. Mais il ne peut pas être soustrait à son but, l'achat de la force de travail, pour servir à l'achat de ces moyens de production supplémentaires. « Ces allées et venues n'augmentent en rien l'argent engagé dans ce cycle. Il n'y a donc point là de source d'accumulation. » Marx examine ensuite toutes les échappatoires possibles, pour les rejeter en tant que telles. « Mais halte ! n'y aurait-il pas moyen de faire un petit bénéfice ? » s'écrie-t-il, et il examine si les capi­talistes ne peuvent pas, au moyen d'une réduction des salaires de leurs ouvriers au-dessous du niveau moyen d'existence, arriver à épargner le capital variable et obtenir ainsi une nouvelle source d'argent pour des buts d'accumulation. Bien entendu, il rejette immédiatement cette idée. « Mais n'oublions pas que le paiement réel du salai­re normal qui, toutes choses égales d'ailleurs, détermine la grandeur du capital varia­ble n'est pas un acte de bonté du capitaliste ; celui-ci ne petit faire autrement. Il est donc inutile de nous arrêter à cette explication[62]. » Il examine même les méthodes ca­chées en vue d'épargner le capital variable - système Taylor, falsification, etc. - pour arriver finalement à la constatation suivante : « C'est prati­quée par un moyen détour­né, l'opération indiquée plus haut. Ici encore elle est à rejeter. » Ainsi, toutes les tentatives en vue de tirer du capital variable une nouvelle source d'argent pour l'accu­mulation n'ont donné aucun résultat : « Les 376 II- v ne peuvent donc pas nous servir. »

Marx se tourne ensuite vers la réserve d'argent des capitalistes de la section II, destinée à la circulation de leur propre consommation, pour voir s'il ne reste pas ici une certaine quantité d'argent pour des buts de capitalisation. Mais il appelle lui-même cette tentative « encore plus douteuse » que la précédente. « Dans ce cas, il n'y a que des capitalistes de même classe en présence, ils se vendent et s'achètent réci­proquement les moyens de consommation qu'ils ont produits. L'argent nécessaire à cet échange fonctionne uniquement comme moyen de circulation et doit, si tout se passe normalement, faire retour aux intéressés dans la mesure où ils l'ont jeté dans la circulation ; et il refera toujours la même circulation. » Puis suit encore une tentative, qui appartient naturellement à la catégorie des échappatoires rejetées impitoya­ble­ment par Marx : celle qui consiste à expliquer la formation de capital argent dans les mains d'un certain nombre de capitalistes de la section II au moyen d'une tromperie au détriment des autres capitalistes de la même section, notamment à l'occasion de la vente réciproque de moyens de consommation. Il est inutile de nous y arrêter.

Puis une autre tentative sérieuse : « Ou bien, une partie de Il- pl représentée par des moyens de subsistance nécessaires n'est pas directement transformée en capital variable nouveau de la section II[63]. »

Comment cette tentative doit nous aider à sortir de la difficulté, c'est-à-dire à mettre en mouvement l'accumulation, c'est ce qui n'apparaît pas tout à fait clairement. Car, la formation d'un capital variable additionnel dans la section II ne nous sert de rien, étant donné que nous n'avons pas encore constitué le capital constant additionnel et que nous étions seulement sur le point d'y arriver ; il s'agissait ici cette fois, dans cet examen, de trouver une source d'argent dans la section II pour l'achat de moyens de production supplémentaires de la section I et non pas d'incorporer d'une façon quelconque le produit supplémentaire de la section II dans la production de cette même section ; si cette tentative devait signifier que les moyens de consommation correspondants peuvent être employés de nouveau « directement », c'est-à-dire sans l'intermédiaire de l'argent, dans la production de la section II en tant que capital variable, par quoi la somme d'argent correspondante provenant du capital variable serait libre pour les buts d'accumulation, nous devrions rejeter cette tentative. La production capitaliste exclut, dans des conditions normales, le paiement direct des ouvriers en moyens de consommation. La forme d'argent du capital variable, la transaction constante entre les ouvriers en tant qu'acheteurs de marchandises, et les producteurs des moyens de consommation, est l'une des bases essentielles de la pro­duction capitaliste. Marx le souligne lui-même dans un autre rapport : «Le capital variable réel, et par suite le capital variable additionnel, se composent de force de travail. Ce n'est pas le capitaliste I qui achète à Il une provision de moyens de subsis­tance nécessaires et les accumule, comme le faisait le maître d'esclaves, pour la force de travail supplémentaire qu'il doit employer. Ce sont les ouvriers eux-mêmes[64] . » Cela concerne les capitalistes II tout autant que les capitalistes I. Avec cela, la ten­tative ci-dessus de Marx est épuisée.

En terminant, il nous renvoie à la dernière partie du Capital, qu'Engels a ajoutée au tome II, sous le titre de « Notes complémentaires ». Nous y trouvons la brève explication suivante : « La source primitive de l'argent pour II est v + pl de la production d'or I, échangé contre une partie de II- c. Ce n'est que dans la mesure où le producteur d'or accumule de la plus-value, ou la change en moyens de production I en étendant ainsi sa production, que v + pl n'entre pas en II. D'autre part, dans la mesure où l'accumulation de l'argent par le producteur d'or lui-même conduit fina­lement à la reproduction agrandie, une partie, non dépensée comme revenu, de la plus-value de la production d'or entre en II comme capital variable supplémentaire du producteur d'or, provoque une nouvelle thésaurisation ou fournit de nouveaux moyens d'acheter à I sans lui revendre directement[65] . »

Ainsi, après l'échec de toutes les tentatives en vue d'expliquer l'accumulation, après que nous nous sommes promenés de Ponce en Pilate, de A I- à B I-, de B I- à B II-, nous sommes revenus, en fin de compte, à ces mêmes producteurs d'or, dont Marx disait, dès le début de son analyse, qu'il était absurde de faire appel à eux. Ainsi, l'analyse du procès de la reproduction et le tome II du Capital se terminent sans nous avoir apporté la solution si longtemps cherchée de la difficulté.

9. La difficulté du point de vue du procès de la circulation[modifier le wikicode]

L'analyse de Marx souffrait, entre autres, de ceci qu'il cherchait à résoudre le problème en se posant au point de vue faux de la recherche des « sources d'argent ». Mais il s'agit en réalité de demande véritable, d'utilisation de marchandises, et non d'argent pour les payer. En ce qui concerne l'argent en tant que moyen de circulation, nous devons ici supposer, dans l'étude du procès de la reproduction en général, que la société capitaliste a toujours à sa disposition la quantité d'argent nécessaire à sa circulation ou sait se créer les équivalents nécessaires. Ce qu'il faut expliquer, ce sont les grands actes d'échange sociaux, qui sont provoqués par des besoins économiques réels. Certes, il ne faut pas oublier que la plus-value capitaliste, pour pouvoir être accumulée, doit absolument revêtir la forme argent. Cependant, ce qu'il nous faut trouver, c'est la demande économique du surproduit, sans nous soucier davantage de l'origine de l'argent. Car, ainsi que Marx le dit lui-même à un autre endroit : « L'ar­gent d'un côté provoque alors de l'autre côté la reproduction agrandie, parce que celle-ci est déjà possible sans l'argent; car l'argent n'est point par lui-même élément de la véritable reproduction[66]. »

Que la question de la « source d'argent » en vue de l'accumulation soit une façon tout à fait stérile de poser le problème de l'accumulation, c'est ce qui apparaît chez Marx lui-même dans un autre rapport.

Cette difficulté l'avait déjà retenu une fois dans le tome II du Capital, dans l'étude du procès de circulation. Déjà, à propos de la reproduction simple, il pose pour la circulation de la plus-value la question suivante : « Mais le capital marchandise doit être transformé en argent avant sa reconversion en capital productif et avant que soit dé­pen­sée la plus-value qu'il renferme. D'où vient l'argent nécessaire à cette transfor­mation ? Il me semble difficile, au premier abord, de résoudre cette question. Personne ne l'a d'ailleurs résolue jusqu'ici[67]. »

Et il examine impitoyablement la question à fond : « Supposons que le capital circulant de 500 £ avancé sous forme de capital argent soit, avec n'importe quelle période de rotation, le capital circulant total de la société, c'est-à-dire de la classe capitaliste. Supposons en outre que la plus-value soit de 100 £ Comment toute la classe capitaliste peut-elle continuellement retirer 600 £ de la circulation où elle n'en jette que 500 ? »

Il s'agit ici, notons-le, de la reproduction simple, où toute la plus-value est em­ployée par la classe capitaliste à sa consommation personnelle. La question devrait par conséquent d'avance être posée de la façon suivante, plus précise : où les capita­listes, après avoir mis en circulation 500 livres sterling pour le capital constant et le capital variable, trouvent-ils leurs moyens de consommation pour le montant de la plus-value, à savoir 100 livres sterling ? Car il apparaît immédiatement que ces 500 livres sterling, qui, en tant que capital, servent constamment à l'achat de moyens de production et au paiement des salaires des ouvriers, ne peuvent servir en même temps à couvrir la consommation personnelle des capitalistes. D'où vient par conséquent la somme additionnelle de 100 livres sterling dont les capitalistes ont besoin pour réaliser leur propre plus-value ? Marx rejette immédiatement toutes les échappatoires plausibles pour tourner la difficulté.

« Par exemple : pour ce qui est du capital circulant constant, il est évident que tous les capitalistes ne l'avancent pas en même temps. Pendant que le capitaliste A vend sa marchandise et que son capital avancé reprend la forme argent, l'acheteur B voit au contraire son capital existant sous la forme argent se convertir en la forme de ses moyens de production précisément fournis par A. L'acte par lequel A rend la forme argent au capital marchandise qu'il vient de produire est également celui par lequel B rend à son capital la forme productive et le convertit de la forme argent en moyens de production et en force de travail; la même somme d'argent fonctionne dans le procès bilatéral comme dans tout achat simple M-A (marchandise-argent). D'autre part, lorsque A retransforme l'argent en moyens de production, il achète auprès de C et celui-ci se sert de cet argent pour payer B. Tout se trouverait donc expliqué, mais :

« Toutes les lois établies (liv. I, ch. III) en ce qui concerne la quantité de l'argent circulant dans la circulation des marchandises ne sont aucunement modifiées par le caractère capitaliste du procès de production.

« Lorsqu'on dit par conséquent que le capital social circulant à avancer sous forme d'argent est de 500 £ on tient compte déjà que telle est la somme simultanément avan­cée, mais que cette somme met en mouvement un capital productif supérieur à 500 £, parce qu'elle sert alternativement de fonds monétaire à des capitaux produc­tifs différents. Cette explication suppose donc l'existence de l'argent au lieu de l'expliquer.

« On pourrait dire encore : le capitaliste A produit des articles que le capitaliste B consomme individuellement, improductivement. L'argent de B monnaie donc le capi­tal marchandise de A, et la même somme d'argent sert à monnayer la plus-value de B et le capital constant circulant de A. Plus nettement encore que ci-dessus on suppose donc la question résolue : d'où B tire-t-il l'argent de son revenu ? Comment a-t-il même monnayé cette plus-value de son produit ?

« On pourrait encore dire ceci : la partie du capital variable circulant, que A avance constamment à ses ouvriers, lui revient continuellement de la circulation ; et il n'en retient toujours qu'une partie variable pour le paiement des salaires. Mais entre la dépense et la rentrée il s'écoule un certain temps pendant lequel l'argent avancé en salaires peut également servir à monnayer la plus-value. Mais nous savons déjà que plus ce temps est considérable, et plus doit être importante la masse de la provision d'argent que le capitaliste A doit toujours avoir sous la main. Ensuite l'ouvrier dépense l'argent, achète des marchandises. L'argent avancé sous forme de capital variable sert donc en partie à monnayer la plus-value. Sans approfondir la question, faisons remarquer ceci : la consommation de toute la classe capitaliste et des personnes improductives qui dépendent d'elle va de pair avec celle des ouvriers. Parallèlement à l'argent que les ouvriers jettent dans la circulation, les capitalistes doivent y en jeter également, pour dépenser leur plus-value comme revenu ; il faut donc qu'ils retirent de l'argent de la circulation. Cette explication ne diminuerait que la quantité d'argent nécessaire, mais n'expliquerait rien.

« On pourrait dire enfin : au premier engagement du capital fixe, on jette cons­tam­ment dans la circulation une grande quantité d'argent que celui qui l'a avancée ne retire de la circulation que peu à peu, par fractions, dans le cours des années. Cette somme ne peut-elle suffire à monnayer la plus-value ? On peut répondre : dans la somme de 500 £ (qui renferme le fonds de réserve nécessaire à la thésauri­sation), remploi de cette somme au titre de capital fixe a pu être envisagé déjà, si ce n'est par le premier possesseur, du moins par quelqu'un d'autre. En outre, quand il s'agit de la somme dépensée pour les produits servant de capital fixe, on a déjà supposé que l'on paie la plus-value contenue dans ces marchandises. Il s'agit précisément de savoir d'où vient cet argent[68]. »

Il nous faut en outre accorder une attention particulière à ce dernier point. Car ici Marx refuse d'expliquer la réalisation de la plus-value même pour la reproduction simple par la thésaurisation pour le renouvellement périodique du capital fixe. Plus tard, lorsqu'il s'agit de la réalisation beaucoup plus difficile de la plus-value dans l'accumulation, il revient, comme nous l'avons vu, plusieurs fois, à titre d'essai, à cette même explication rejetée par lui comme « échappatoire plausible ».

Puis vient la solution, qui sonne d'une façon quelque peu inattendue :

« Nous avons déjà donné la réponse générale : pour la circulation d'une masse de marchandises de X x 1000 £, l'importance de la somme d'argent est indépendante du fait que la valeur de cette masse de marchandises contienne ou ne contienne pas de la plus-value et que cette masse soit de la production capitaliste ou non. Le problème n'existe donc pas. Dans des circonstances déterminées, par exemple la vitesse de circulation de l'argent étant donnée, il faut une certaine somme d'argent pour faire circuler la valeur marchandise de X x 1000 £, indépendamment de la part plus ou moins grande qui, dans cette valeur, revient au producteur immédiat de ces marchandises. Le problème qui peut exister ici coïncide avec le problème général : d'où vient la somme d'argent nécessaire pour faire circuler les marchan­dises dans un pays[69] ? »

La réponse est tout à fait juste. Car la question : d'où vient l'argent pour la circula­tion de la plus-value ? est comprise dans la question générale suivante : d'où vient l'argent qui sert à mettre en circulation une certaine quantité de marchandises dans le pays ? La division de la masse de valeur de ces marchandises en capital constant, capital variable et plus-value, n'existe pas du point de vue de la circulation de l'argent en tant que telle et n'a de ce point de vue aucun sens. Par conséquent, ce n'est que du point de vue de la circulation de l'argent, ou de la simple circulation des marchandises que « le problème n'existe pas ».Mais il existe du point de vue de la reproduction sociale, en général. Toutefois, il ne faut pas le formuler d'une façon si maladroite que la réponse nous rejette dans la simple circulation des marchan­dises, où le problème n'existe pas. La question ne doit donc pas être posée ainsi : d'où vient l'argent qui sert à réaliser la plus-value ? mais : où sont les consommateurs pour la plus-value ? Que l'argent doive se trouver dans les mains des consommateurs et jeté par eux dans la consommation, cela va de soi. Marx lui-même revient de nouveau au problème, bien qu'il ait déclaré, un instant auparavant, qu'il n'existait pas :

« Mais nous avons alors deux points de départ : le capitaliste et l'ouvrier. Toutes les autres personnes ou bien reçoivent l'argent de ces deux classes en échange de services rendus, ou bien sont propriétaires de la plus-value sous forme de rente, intérêt, etc. Peu importe ici que le capitaliste industriel garde toute la plus-value ou la partage avec d'autres personnes. Il s'agit de savoir comment il monnaie sa plus-value et non pas comment cet argent se répartit ensuite. Dans notre cas, le capitaliste figure donc comme unique propriétaire de la plus-value. Quant à l'ouvrier, il n'est que le point de départ secondaire, tandis que le capitaliste est le point de départ principal de l'argent jeté dans la circulation par l'ouvrier. L'argent, d'abord avancé comme capital variable, accomplit déjà sa deuxième circulation quand l'ouvrier le dépense pour payer ses moyens de subsistance.

« La classe capitaliste reste donc le seul point de départ de la circulation de l'argent. Quand elle a besoin de 400 £ pour payer les moyens de production et de 100 £ pour payer la force de travail, elle jette 500 £ dans la circulation. Mais le taux de la plus-value étant de 100 %, la plus-value contenue dans le produit est égale à 100 £. Comment peut-on retirer 600 £ de la circulation, où l'on n'en jette que 500 ? Le néant ne produit rien. La classe totale des capitalistes ne peut retirer de la circulation que ce qu'elle y a jeté[70]. »

Marx rejette encore une échappatoire à laquelle on pourrait recourir pour expli­quer le problème, à savoir la rapidité dans la circulation de l'argent, qui permet de mettre en circulation une quantité de valeur plus considérable avec moins d'argent. Cette échappatoire ne mène naturellement à rien, car la rapidité de circulation de l'argent est déjà entrée en ligne de compte lorsqu'on suppose que tant et tant de livres sterling sont nécessaires pour la circulation de la masse de marchandises. Puis vient ensuite la solution du problème :

« En effet, quelque paradoxal que cela puisse sembler de prime abord, c'est la classe capitaliste elle-même qui jette dans la circulation l'argent servant à réaliser la plus-value contenue dans les marchandises. Mais elle ne l'y jette pas comme argent avancé au capital. Elle le dépense comme moyen d'achat pour sa consommation individuelle. Elle ne l'avance donc pas, bien qu'elle forme le point de départ de sa circulation[71]. »

Cette solution claire et complète montre admirablement que le problème n'était pas de pure apparence. Elle ne repose pas non plus sur le fait que nous avons découvert une nouvelle « source d'argent », pour réaliser la plus-value, mais que nous avons trouvé les consommateurs de cette plus-value. Nous sommes encore ici, d'après la supposition de Marx, sur le terrain de la reproduction simple. Cela signifie que la classe capitaliste emploie toute sa plus-value à sa consommation personnelle. Étant donné que les capitalistes sont les consommateurs de la plus-value, il n'est pas paradoxal, mais au contraire tout naturel qu'ils doivent avoir en poche l'argent néces­saire pour s'approprier la forme naturelle de la plus-value, les objets de consomma­tion. L'acte de circulation de l'échange découle comme une nécessité du fait que les capitalistes individuels ne peuvent pas consommer directement leur plus-value indivi­duelle, leur surproduit individuel, comme le faisait le propriétaire d'esclaves de l'anti­quité. La forme naturelle, concrète, de cette plus-value exclut bien plutôt, en règle générale, une telle utilisation. Mais l'ensemble de la plus-value de tous les capitalistes se trouve - dans les conditions de la reproduction simple - exprimé dans le produit social en une quantité correspondante de moyens de consommation pour la classe capitaliste, de même qu'à la somme totale des capitaux variables correspond une quan­tité de valeur égale de moyens de consommation pour la classe ouvrière et qu'à la somme totale des capitaux constants correspond une quantité de valeur égale de moyens de production matériels.

Pour échanger la plus-value individuelle inconsommable contre la quantité corres­pondante de moyens de consommation, il faut un double acte de circulation des marchandises : la vente de la plus-value et l'achat de moyens de consommation tirés du surproduit social. Étant donné que ces deux actes se font exclusivement à l'inté­rieur de la classe capitaliste, entre différents capitalistes, l'intermédiaire de l'argent ne fait que passer d'une main des capitalistes dans l'autre et reste en fin de compte dans la poche des capitalistes. Étant donné que la reproduction simple n'apporte à l'échange que les mêmes quantités de valeur, la même somme d'argent sert chaque année à la circulation de la plus-value, et l'on pourrait tout au plus, si l'on voulait trop appro­fondir, poser la question suivante : d'où est venue dans les poches des capitalistes cette somme d'argent servant à acheter leurs moyens de consommation ? Mais cette question se résout dans cette question plus générale : d'où est venu, d'une façon géné­rale, le premier capital argent dans les mains des capitalistes, ce capital argent dont, outre les dépenses consacrées aux placements productifs, ils doivent toujours conser­ver une certaine partie en poche pour leur consommation personnelle ? Mais la question ainsi posée nous ramène au problème de l' « accumulation primitive », c'est-à-dire de la genèse historique du capital et sort du cadre de l'analyse tant du procès de la circulation que de celui de la reproduction.

Ainsi la question est claire et nette, savoir : tant que nous restons sur le terrain de la reproduction simple. Ici, le problème de la réalisation de la plus-value est résolu par les conditions mêmes, il est déjà en fait anticipé dans la notion de la reproduction simple. Celle-ci repose précisément sur le fait que toute plus-value est consommée par les capitalistes, ce qui signifie par conséquent qu'elle est aussi achetée par eux, c'est-à-dire qu'elle doit être achetée par les capitalistes les uns aux autres. « Nous avons supposé que la somme d'argent que le capitaliste, en attendant la première rentrée de son capital, jette dans la circulation pour payer sa consommation indivi­duelle est exactement égale à la plus-value qu'il a produite et qu'il veut monnayer. Par rapport au capitaliste isolé, cette supposition est évidemment arbitraire. Mais, dans l'hypothèse de la reproduction simple, elle doit être exacte pour l'ensemble de la classe capitaliste. Elle ne fait qu'exprimer cette hypothèse : toute la plus-value, mais elle seule, sans aucune traction du capital primitif, est consommée impro­duc­tivement[72]. »

Mais la reproduction simple sur la base capitaliste est dans l'économie théorique une grandeur imaginaire, une grandeur imaginaire aussi justifiée scientifiquement et indispensable que en mathématiques. Mais avec cela le problème de la réalisa­tion de la plus-value n'est aucunement résolu pour la réalité, c'est-à-dire pour la reproduction élargie ou accumulation. Et c'est ce que Marx confirme lui-même pour la deuxième fois, dès qu'il poursuit son analyse.

D'où vient l'argent pour la réalisation de la plus-value dans les conditions de l'accu­mu­lation, c'est-à-dire de la non-consommation, de la capitalisation d'une partie de la plus-value ?

La première réponse que Marx donne est la suivante :

« Le capital argent supplémentaire, nécessaire au fonctionnement du capital pro­ductif croissant, est fourni par cette partie de la plus-value réalisée que le capitaliste jette dans la circulation sous forme de capital argent et non pas comme la forme argent du revenu. L'argent se trouve déjà entre les mains du capitaliste. Seul l'emploi en diffère. »

Nous connaissons déjà cette explication de l'étude du procès de la reproduction et aussi son insuffisance. Elle s'appuie exclusivement sur le moment du premier passage de la reproduction simple à la reproduction élargie. Hier, les capitalistes consom­maient toute leur plus-value et possédaient par conséquent aussi la quantité d'argent nécessaire pour sa circulation. Aujourd'hui, ils se décident à « mettre de côté » une partie de la plus-value et à la placer d'une façon productive au lieu de la gaspiller. Ils n'ont besoin pour cela - à la condition que des moyens de production, au lieu d'articles de luxe, aient été produits - que d'employer différemment une partie seulement de leurs fonds d'argent. Mais le passage de la reproduction simple à la reproduction élar­gie est tout autant une fiction théorique que la reproduction simple du capital lui-même. Et Marx poursuit aussitôt :

« Mais, grâce au capital productif supplémentaire, une masse supplémentaire de marchandises, qui en est le produit, est jetée dans la circulation. En même temps que cette masse supplémentaire de marchandises, l'on a jeté dans la circulation une partie de l'argent supplémentaire nécessaire à sa réalisation, pour autant que la valeur de cette masse de marchandises est égale à la valeur du capital productif consommé dans sa production. Cette masse supplémentaire d'argent a été précisément avancée com­me capital d'argent supplémentaire et revient donc au capitaliste par la rotation de son capital. Nous retrouvons ici la même question : d'ou vient l'argent supplémentaire permettant de réaliser la plus-value supplémentaire existant sous forme de mar­chandises ? »

Mais maintenant que le problème est de nouveau posé en toute netteté, nous recevons, au lieu d'une solution, la réponse inattendue suivante :

« La réponse générale reste la même. La somme des prix de la masse des mar­chan­dises en circulation est accrue, non parce que telle masse de marchandises a augmenté de prix, mais parce que la masse des marchandises actuellement en circu­lation est plus grande que celle qui circulait précédemment, sans qu'il y ait compen­sation par une baisse des prix. L'argent supplémentaire nécessaire à la circulation d'une plus grande masse de marchandises d'une plus grande valeur doit être fourni soit par une économie plus élevée de la masse d'argent en circulation, par des virements, par des mesures rendant plus rapide la circulation des mêmes pièces de monnaie, soit par la transformation de l'argent de sa forme trésor en sa forme circulante[73]. »

Cette solution aboutit à l'explication suivante : la reproduction capitaliste jette, dans les conditions d'une accumulation toujours croissante, une masse toujours plus considérable de marchandises sur le marché. Pour mettre en circulation cette masse de marchandises de valeur croissante, une quantité de plus en plus considérable d'argent est nécessaire. Cette quantité croissante d'argent, il s'agit précisément de la créer. Tout cela est incontestablement juste et convaincant, mais le problème dont il s'agissait n'en est aucunement résolu. Il a seulement disparu.

L'un ou l'autre. Ou l'on considère le produit social (de l'économie capitaliste) tout simplement comme une masse de marchandises d'une certaine valeur, comme un « vrac de marchandises », et l'on ne voit dans les conditions de l'accumulation qu'un accroissement de ce vrac confus de marchandises et de sa masse de valeur. Alors il y aura seulement à constater que, pour la circulation de cette masse de valeur, une quantité d'argent correspondante est nécessaire, que cette quantité d'argent doit croître si la quantité de valeur s'accroît, à moins que la rapidité de la circulation et les économies qu'elle permet de réaliser ne compensent l'accroissement de valeur. Et à la question : d'où vient en fin de compte tout l'argent ? on peut répondre avec Marx : des mines d'or. C'est aussi un point de vue, celui de la simple circulation de marchandises. Mais alors on n'a pas besoin d'apporter des notions telles que capital constant et capital variable, plus-value, etc., qui n'appartiennent pas à la simple circulation de marchandises, mais à la circulation du capital et à la reproduction sociale, et l'on n'a pas non plus besoin de poser la question : d'où vient l'argent pour la réalisation de la plus-value sociale, et notamment dans la reproduction simple, dans la repro­duction élargie ? Car de telles questions n'ont aucun sens du point de vue de la simple circulation de marchandises et d'argent. Mais si l'on a déjà posé ces questions et dirigé l'étude dans le domaine de la circulation du capital et de la reproduction sociale, alors il ne faut pas chercher la réponse dans le domaine de la simple circulation de mar­chan­dises - étant donné qu'ici le problème n'existe pas et ne comporte par conséquent pas de solution - pour venir déclarer ensuite : le problème a déjà été résolu depuis longtemps, il n'existe pas.

C'est par conséquent la façon même de poser le problème qui a été dès le com­men­cement mauvaise chez Marx. Ce qui importe, ce n'est pas de demander : d'où vient l'argent pour réaliser la plus-value ? mais : d'où vient la demande ? Où est le besoin solvable pour la plus-value ? Si la question avait été ainsi posée dès le début, il n'eût pas fallu tant de longs détours pour montrer clairement comment on pouvait la résoudre ou comment on ne pouvait pas la résoudre. Dans l'hypothèse de la repro­duction simple, la chose est tout à fait simple : étant donné que toute la plus-value est consommée par les capitalistes, qu'ils sont ainsi eux-mêmes les acheteurs, la demande pour la plus-value sociale dans sa totalité, ils doivent par conséquent aussi avoir en poche l'argent nécessaire pour la circulation de la plus-value. Mais de ce même fait découle avec évidence ceci : c'est que, dans les conditions de l'accumulation, c'est-à-dire de la capitalisation d'une partie de la plus-value, la classe capitaliste elle-même ne peut pas acheter, réaliser toute sa plus-value. Il est exact qu'il faut réunir la quan­tité d'argent nécessaire pour réaliser la plus-value capitaliste, si, d'une façon générale, elle doit être réalisée. Mais cet argent ne peut absolument pas provenir de la poche des capitalistes eux-mêmes. Ils sont tout au contraire, d'après l'hypothèse même de l'accumulation, non acheteurs de leur plus-value, même si - théoriquement - ils ont suffisamment d'argent en poche pour cela. Qui donc peut représenter la demande pour les marchandises où se trouve contenue la plus-value capitaliste ?

« D'après notre hypothèse : prédominance générale et absolue de la production capitaliste, il n'y a que deux classes : la classe capitaliste et la classe ouvrière. Tout ce que la classe ouvrière achète est égal à la somme de son salaire, égale à la somme du capital variable avancé par l'ensemble de la classe capitaliste. »

Les ouvriers peuvent donc encore moins réaliser la plus-value capitalisée que la classe capitaliste. Mais il faut cependant que quelqu'un l'achète, pour que les capita­listes puissent rentrer en possession du capital accumulé avancé par eux. Et cepen­dant, en dehors des capitalistes et des ouvriers, on ne voit aucun acheteur. « Comment la classe capitaliste peut-elle par conséquent accumuler de l'argent[74]? » La réalisa­tion de la plus-value en dehors des deux seules classes existantes de la société paraît tout aussi nécessaire qu'impossible. Dans le tome II du Capital, nous ne trouvons en tout cas aucune solution du problème.

Si l'on voulait maintenant demander pourquoi la solution de ce problème impor­tant de l'accumulation capitaliste ne se trouve pas dans le Capital de Marx, il faudrait tenir compte avant tout de ce fait que le tome II du Capital n'est pas un ouvrage entièrement terminé, mais un manuscrit, interrompu au milieu même de sa rédaction.

Déjà la forme extérieure de ce tome, notamment des derniers chapitres, montre que ce sont davantage des notes rédigées par l'auteur pour son propre éclaircissement que des résultats définitifs destinés à l'éclaircissement du lecteur. Ce fait nous est amplement confirmé par le témoin le plus qualifié, à savoir l'éditeur du deuxième tome, Frédéric Engels. Dans sa préface au tome II, il nous renseigne de la façon suivante sur l'état des brouillons et manuscrits laissés par Marx, qui devaient servir de base à la rédaction de ce tome :

« La simple énumération des matériaux manuscrits laissés par Marx pour le livre II prouve la conscience sans pareille, le sévère esprit critique avec lesquels il s'effor­çait de poursuivre jusqu'à l'extrême perfection ses grandes découvertes en matière économique avant de les livrer à publicité. Et cette critique, à laquelle il se soumettait lui-même, ne lui a permis que rarement d'adapter, pour le fond aussi bien que pour la forme, l'exposé à son horizon que de nouvelles études ne cessait d'élargir. Voici les matériaux :

« Nous avons d'abord un manuscrit : « Cahiers de l'économie politique », 1472 pages in 4º, formant 23 cahiers, écrits d'août 1861 à juin 1863. C'est la suite du pre­mier fascicule publié à Berlin en 1859 sous le même litre. Malgré son incontestable valeur, ce manuscrit ne pouvait être utilisé pour la présente édition du livre II.

« Le manuscrit qui vient ensuite dans l'ordre chronologique est celui du livre III...

« De la période qui suivit la publication du livre I, nous avons, pour le livre II, une collection de quatre manuscrits in-folio, numérotés par Marx lui-même de I à IV. Le manuscrit I (150 pages), datant vraisemblablement de 1865 ou 1867, est la première rédaction indépendante, mais plus ou moins fragmentaire, du livre II avec sa division actuelle; rien n'a pu en être utilisé ici. Le manuscrit III comprend d'abord un classement de citations et de renvois aux carnets ou Marx notait ses citations, le tout se rapportant en majeure partie à la section I du livre II; puis les développe­ments de certains points particuliers, notamment de la critique de ce que Smith dit du capital fixe et du capital circulant ainsi que de la source du profit, enfin, la discus­sion du rapport entre le taux de la plus-value et le taux du profit, qui a sa place dans le livre III. Les renvois ne fournirent guère de documentation nouvelle; les dévelop­pements étaient, pour le livre Il, aussi bien que pour le livre III , dépassés par de nouvelles rédactions et durent donc pour la plupart être laissés de côté. Le manuscrit IV est la rédaction, prête à l'impression, de la première section ainsi que des premiers chapitres de la deuxième section du livre II; nous l'avons utilisé partout où la chose a été possible. Bien qu'il fût prouvé que ce manuscrit IV était antérieur au livre II, nous avons pu, parce qu'il est de forme plus achevée, l'utiliser largement pour la partie correspondante du livre II; il a suffi d'y faire quelques additions tirées du manuscrit Il. Ce dernier manuscrit constitue la seule rédaction à peu près complète du livre II et remonte à 1870. Les notes dont nous allons parler concernent la rédaction définitive et disent expressément : '' Nous prendrons comme base la rédaction II. ''

« Après 1870, il y eut une nouvelle interruption, due surtout à la mauvaise santé de l'auteur. Suivant soit habitude, Marx employa ce temps à l'étude; l'agronomie, les conditions rurales américaines et principalement russes, le marché financier, le système bancaire, enfin les sciences naturelles, telles que la géologie et la physio­logie, et en particulier des travaux mathématiques personnels, forment le contenu des nombreux carnets d'extraits datant de l'époque. Au début de 1877, il se sentit suffisamment rétabli pour pouvoir reprendre son véritable travail. Nous avons, de fin mars 1877, des indications et des notes tirées des quatre manuscrits mentionnés ci-dessus, devant servir de base à une révision complète du livre II, dont la rédaction constitue le début du manuscrit V (56 pages grand format). Ce manuscrit comprend les quatre premiers chapitres, mais est d'une rédaction encore bien imparfaite, des points essentiels sont traités dans des notes au bas des pages; la matière a été réunie plutôt que triée. Mais cela n'en constitue pas moins le dernier exposé complet de cette très importante partie de la première section. Marx fit une première tentative de donner à ce travail la forme nécessaire pour l'impression; cela nous a valu le manuscrit VI (entre octobre 1877 et juillet 1878), de 17 pages in-4º et comprenant la plus grande partie du chapitre I; puis il fit une seconde et dernière tentative; c'est le manuscrit VII (2 juillet 1878), ne comptant que 7 pages grand format.

« Il semble qu'à ce moment Marx se soit rendu compte que, s'il ne s'opérait pas une révolution complète dans son état de santé, il n'arriverait jamais à rédiger le second et le troisième livre d'une façon qui lui donnât satisfaction à lui-même. Les manuscrits V à VIII ne révèlent que trop souvent avec quelle énergie il avait à lutter contre le mauvais état physique qui le déprimait. La partie la plus difficile de la première section eut une rédaction nouvelle dans le manuscrit V; le reste de la première et la totalité de la deuxième section, à l'exception du chapitre VII, ne présen­taient pas de sérieuses difficultés théoriques; il estimait, au contraire, que la troisième section, la reproduction et la circulation du capital social, avait absolument besoin d'être remaniée. Dans le manuscrit II, en effet, la reproduction était étudiée d'abord en tenant compte de la circulation. Il importait de remédier à ce défaut et de remanier en somme toute la section de telle façon qu'elle répondit à l'horizon élargi de l'auteur. Telle fut l'origine du manuscrit VIII, qui ne compte que 70 pages in-4º. Mais il suffit, pour comprendre quelle matière Marx a su condenser en ces quelques pages, de comparer le texte imprimé de la section III, déduction faite des passages empruntés au manuscrit II.

« Ce manuscrit n'est, lui aussi, qu'un développement provisoire du sujet, où il s'agissait avant tout de donner une forme définitive aux conceptions nouvelles non contenues dans le manuscrit Il et de les développer en laissant de côté les points sur lesquels il n'y avait rien de neuf à dire. Même un fragment important du chapitre XVII de la deuxième section, fragment qui, d'ailleurs, empiète en quelque sorte sur la troisième section, est de nouveau mis à contribution et développé davantage. L'ordre logique est assez souvent interrompu, le développement présente par endroits des lacunes et, notamment à la fin, est absolument fragmentaire. Mais ce que Marx se proposait de dire y est dit d'une manière ou d'une autre.

« Tels sont les matériaux du livre II, matériaux dont, suivant une parole dite peu de temps avant sa mort par Marx à sa fille Éléonore, je devais “ faire quelque chose ”. »

Il faut admirer ce « quelque chose » qu'Engels a réussi à faire d'un tel matériel. Mais de son exposé précis ressort avec une netteté parfaite, pour la question qui nous intéresse, que, des trois parties qui forment le tome II, pour les deux premières : sur la circulation du capital-argent et du capital-marchandises ainsi que le coût de circula­tion et sur la rotation du capital, le manuscrit était le plus prêt pour l'impression. Par contre, la troisième partie, qui traite de la reproduction du capital social, ne représen­tait qu'un recueil de fragments, qui paraissait à Marx lui-même avoir « extrêmement besoin » d'un travail de rédaction. Mais, dans cette partie, c'est le dernier chapitre, le chapitre XXI, qui nous intéresse particulièrement, « L'accumulation et la reproduction élargie », qui a été le moins travaillé de tous. Il comprend en tout 35 pages seulement et s'interrompt brusquement au milieu même de l'analyse.

En dehors de cette circonstance extérieure, un autre facteur encore joua, à notre avis, un rôle important. L'étude du procès de la reproduction sociale part, chez Marx, ainsi que nous l'avons vu, de l'analyse d'Adam Smith, qui s'est heurtée, entre autres, à la thèse inexacte d'après laquelle le prix de toutes les marchandises se compose de v + pl. La réfutation de ce dogme domine toute l'analyse du procès de la reproduction chez Marx. Ce dernier consacre tout son effort à montrer que le produit social ne doit pas servir seulement à la consommation pour le montant des différentes sources de revenus, mais aussi au renouvellement du capital constant. Mais comme pour cette démonstration la forme théoriquement la plus pure n'est pas donnée pour la repro­duc­tion élargie, mais pour la reproduction simple, Marx considère surtout la reproduction d'un point de vue précisément opposé à l'accumulation : en partant de l'hypothèse selon laquelle toute la plus-value est consommée par les capitalistes. A quel point cette polémique contre Smith a dominé l'analyse de Marx, c'est ce que montre le fait qu'au cours de tout son travail il revient à cette polémique un nombre incalculable de fois des côtés les plus différents. C'est ainsi que lui sont consacrées dans le tome I, 7º partie, chapitre XXII, les pages 551 à 554; dans le tome II, les pages 335 à 370, 383, 409 à 412, 451 à 453. Dans le tome III, Marx reprend de nouveau le problème de la reproduction, mais se lance immédiatement de nouveau dans le problème abandonné par Smith et lui consacre tout le chapitre XLIX (pp. 367-388) et en fait aussi l'objet de tout le chapitre I (pp. 388-413). Enfin, dans les Théories sur la plus-value, nous trou­vons de nouveau des polémiques détaillées contre le dogme de Smith dans le tome I (pp. 164-253) et le tome II (pp. 92, 95, 126, 233-262). A de nombreuses reprises, Marx souligna lui-même qu'il considérait précisément le problème du renouvellement du capital constant au moyen du produit social comme le plus difficile et le plus important de la reproduction. C'est ainsi que l'autre problème, celui de l'accumulation, à savoir la réalisation de la plus-value à des fins de capitalisation, a été rejeté au second plan et finalement à peine effleuré par Marx.

Étant donné l'importance considérable de ce problème pour l'économie capitaliste, il n'est pas étonnant qu'il ait constamment occupé la science économique bourgeoise. Les tentatives de résoudre la question vitale de l'économie capitaliste : l'accumulation du capital est-elle pratiquement possible ? réapparaissent constamment au cours de l'histoire de la science économique. Ce sont ces tentatives historiques, avant comme après Marx, en vue de résoudre la question, que nous allons examiner maintenant.

  1. Le Capital, I, p. 529 de la quatrième édition, 1890. Trad. Molitor. IV, p. 11.
  2. Dans cet exposé, nous supposons la plus-value identique au profit, ce qui est d'ailleurs vrai pour l'ensemble de la production, qui nous occupera seule dans la suite. De même, nous faisons abstraction de la division de la plus-value en ses différentes parties : bénéfice de l'entrepreneur, intérêt du capital, rente, étant donné qu'elle n'a aucune importance pour le problème de la reproduction.
  3. Le Capital, II, p. 332 de la deuxième édition, 1893 trad. Molitor, VII, p. 178.
  4. Voir Analyse du Tableau économique dans le Journal de l'Agriculture, du Commerce et des Finances, de Dupont, 1766, p. 305 de l'édition d'Oncken des Œuvres de F. Quesnay. Quesnay remarque expressément que la circulation décrits par lui suppose deux conditions : une liberté Illimitée des relations commerciales et un système d'impôts pesant exclusivement sur la rente : « Mais ces données ont des conditions sine quabus non ; elles supposent que la liberté du commerce soutient le débit des productions à un bon prix, - elles supposent d'ailleurs que le cultivateur n'ait à payer directement ou indirectement d'autres charges que le revenu, dont une partie, par exemple les deux septièmes, doit former le revenu du souverain. » (p. 311.)
  5. Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (traduction Germain Garine, Parts, 1843), liv. I. chap. 6, pp. 68-69.
  6. Ibidem, liv. Il, chap. 2, pp. 345-46.
  7. Ibidem, p. 349.
  8. Sur Rodbertus et son « capital national », voir plus loin, dans la deuxième partie.
  9. J.-B. Say, Traité d'Économie Politique, livre II, chap. V (6° éd., Parts, 1841), pp. 353-354.
  10. En français dans le texte.
  11. Il faut d'ailleurs remarquer que Mirabeau, dans ses Explications au sujet du Tableau économique, mentionne expressément le capital fixe de la classe stérile : « Les avances primitives de cette classe pour établissement de manufactures, pour instruments, machines, moulins, forges et autres usines... 2 000 000 000 de livres » (Tableau économique avec ses explications. Mil sept cent soixante. p. 82).
    Il est vrai que dans son projet confus de Tableau, Mirabeau ne fait pas entrer en ligne de compte ce capital fixe de la classe stérile.
  12. Smith écrit encore d'une façon tout à fait générale : « La valeur que les ouvriers ajoutent à la matière se résout alors en deux parties, dont l'une paye leurs salaires, et l'autre les profits que fait l'entrepreneur sur la somme des fonds qui lui ont servi à avancer ces salaires et la matière à travailler. » (Op. cit., livre I, ch. VI, p. 66.) Dans l'original : « The value which the workmen add to the materials, therefore, resolves itself in this case into two parts, of which the one pays their wages, the other the profite of their employer upon the whole stock of materials and wages which ho advanced » (Wealth of Nations, ed. Mac Culloch, 1828, tome I, p. 83). Et, dans le livre Il, chapitre III, spécialement sur le travail industriel : « Le travail d'un ouvrier de manufacture ajoute en général à la valeur de la matière sur laquelle travaille cet ouvrier la valeur de sa subsistance et du profit de son maître. Le travail d'un domestique, au contraire, n'ajoute à la valeur de rien. Quoique le premier reçoive des salaires que son maître lui avance, il ne lui coûte, dans le fait, aucune dépense, la valeur de ces salaires se retrouvant en général avec un profit de plus dans l'augmentation de valeur du sujet auquel ce travail a été appliqué. » (pp. 410-411.)
  13. « Les hommes... employés aux travaux de la culture, non seulement, comme les ouvriers des manufactures, donnent lieu à la reproduction d'une valeur égale à leur consommation ou au capital qui les emploie, en y joignant de plus les profits des capitalistes, mais ils produisent encore une bien plus grande valeur. Outre le capital du fermier et tous ses profits, ils donnent lieu à la reproduction régulière d'une rente pour le propriétaire. » (Op. cit., p. 455.)
  14. P. 445. Il est vrai qu'une phrase plus loin, Smith transforme le capital tout entier en salaires, c'est-à-dire en capital variable : « That part of the annual produce of the land and labour of any country which replaces a capital, never is immediately employed to maintain any but productive hands. It pays the wages of productive labour only. That which is immediately destined for constituting a revenue, either as profit or as rent, may maintain indifferently either productive or unproductive hands. » (Ed. Mac Culloch, tome I, p. 98.)
  15. Ibid., p. 346.
  16. Ibid., p. 346.
  17. Ibid., p. 348.
  18. Ibid., p. 348.
  19. Ibid., p. 348.
  20. Le Capital, II, p. 351. Trad. Molitor, VII, p. 200 et suiv.
  21. A. Smith, op. cit., I. p. 455.
  22. Rosa Luxemburg, die Neue Zeit, XVIII, tome II, p. 184.
  23. Nous ne tenons pas compte ici du fait que chez Smith apparaît également de temps en temps en temps la conception contraire, suivant laquelle ce n'est pas le prix des marchandises qui se résout en v + pl, mais la valeur des marchandises qui se compose de v + pl. Ce quiproquo est plus important pour la théorie de la valeur de Smith que pour le sujet qui nous intéresse ici.
  24. C'est pour simplifier les choses et dans le sens du langage courant que nous parlons continuellement ici de production annuelle, ce qui n'est exact en réalité que pour l'agriculture. La période de production industrielle et le cycle de transformation du capital n'ont pas du tout besoin de correspondre aux changements d'année.
  25. Dans une société organisée rationnellement, et reposant sur la propriété collective des moyens de production, la division du travail entre travail intellectuel et travail manuel n'a pas besoin d'être liée à des catégories spéciales de la population. Mais elle se manifestera en tout temps par l'existence d'un certain nombre d'hommes occupés à un travail purement intellectuel, et qui devront être entretenus matériellement, ces dIfférentes fonctions pouvant d'ailleurs être remplies à tour de rôle par tous les membres de la société.
  26. « Quand on considère, au point de vue social, le produit total, qui comprend la reproduction du capital social aussi bien que la consommation individuelle, il ne faut pas tomber dans le travers des économistes bourgeois et de Proudhon et croire qu'une société de production capitaliste perd ce caractère économique particulier et historique, du moment qu'on la prend en bloc, comme un tout. C'est tout le contraire. On se trouve alors aux prises avec le capitaliste total. Le capital total apparaît comme le capital par actions de tous les capitalistes individuels réunis. Cette société par actions a ceci de commun avec beaucoup d'autres sociétés par actions que chacun sait ce qu'il apporte à l'association, mais non pas ce qu'il en retire. » (Le Capital, Il. p. 409. Trait. Molitor, VIII, pp. 56-57.)
  27. Le Capital, II, p. 371. Trad. Molitor, VII, pp. 243-244.
  28. Le Capital, Il, p. 443-445. Trad. Molitor, VIII, p. 111 et sq. Voir également sur la nécessité de la reproduction élargie du point de vue du fonds d'assurance en général, I. c., p. 148. Trad. Molitor, VI, p. 47 et suiv.
  29. Trad. Molitor : Histoire des doctrines économiques, tome V, pp. 19-20.
  30. Dans sa septième Considération sur le Tableau, Quesnay, après avoir polémiqué contre la théorie mercantiliste qui identifie l'argent avec la richesse, déclare : « La masse d'argent ne peut s'accroître dans une nation qu'autant que cette reproduction elle-même s'y accroît ; autrement, l’accroissement de la masse d'argent ne pourrait se faire qu'au préjudice de la reproduction ',annuelle des richesses Ce n'est donc pas par le plus au la mains d'argent qu'on doit juger de l'opulence des États ; aussi estime-t-on qu'un pécule, égal au revenu des propriétaires des terres, est beaucoup plus que suffisant pour une nation agricole où la circulation se fait régulièrement et où le commerce s'exerce avec confiance et en pleine liberté. » (Analyse du Tableau économique, éd. Oncken, pp. 324-325.)
  31. Marx ne prend comme point de départ de cet échange qu'une dépense d'argent des capitalistes Il (Le Capital II, 81. Trad. Molitor, VIII, p. 23 et suiv.). Cela ne change rien au résultat 1 de la circulation, comme le remarque justement en note Fr. Engels, mais cela n'est pas exact en tant que condition de la circulation sociale. Plus exact est l'exposé de Marx lui-même, l. c., p. 374. Trad. Molitor, VII, 247 et suiv.
  32. Le Capital, Il, p. 446. Tract. Molitor, VIII, pp. 117-118.
  33. Le Capital, II, p. 448. Trad. Molitor, VIII, p. 120.
  34. Le Capital, II, p. 466. Trad. Molitor, VIII, p. 150.
  35. « L'hypothèse de la reproduction simple, d'après laquelle I (v + pl) = Il c, est tout d'abord incompatible avec la production capitaliste. cela n'exclut pas du reste que, dans un cycle industriel de dix ou douze années, la production d'une année ne soit moindre que celle de l'année précédente et qu'il n'y ait même pas reproduction simple. En outre, étant donné l'accroissement annuel naturel de la population, la reproduction simple ne pourrait avoir lieu que si un nombre correspondant d'auxiliaires improductifs aidait à consommer les 1500, qui représentent la plus-value totale. L'accumulation de capital, c'est-à-dire la production capitaliste proprement dite, serait impossible. » (Le Capital, Il, p. 497 Trad. Molitor, VIII, pp. 200-201.)
  36. « Le mode de production spécifiquement capitaliste, le développement correspondant de la productivité du travail, le changement qui en résulte dans la composition organique du capital ne contentent pas de marcher de pair avec le progrès de l'accumulation ou l'accroissement de la richesse sociale. Leur marche est infiniment plus rapide, parce que l'accumulation simple, ou l'extension absolue du capital total, s'accompagne de la centralisation de ses éléments Individuels, et que le bouleversement technique du capital additionnel s'accompagne du bouleversement technique du capital primitif. Avec le progrès de l'accumulation, le rapport entre la partie constante et la partie variable du capital se transforme donc ; de 1 : 1 qu'il était il abord, il devient 2 : 1, 3 : 1, 4 : 1, 5 : 1, 6 : 1, 8 : 1, etc., si bien qu'avec l'accroissement du capital ce n'est plus 1/2 de sa valeur totale, mais progressivement 1/3, 1/4, 1/5, 1/6, 1/7, 1/8, etc., qui sont convertis en force de travail, et par contre 2/3, 3/4, 4/5, 5/6, 6/7, 7/8, etc., en moyens de production. La demande de travail, étant déterminée non point par l'étendue du capital total, mais par celle de la partie variable, diminue progressivement avec l'accroissement du capital total, au lieu d'augmenter proportionnellement, comme nous l'avons supposé plus haut. Elle diminue relativement à la grandeur du capital total et dans une progression accélérée avec l’accroissement de cette grandeur. Il est vrai que l'accroissement du capital total entraîne celui de la partie variable ou de la force de travail incorporée au capital mais dans une proportion sans cesse décroissante. Les intervalles où l'accumulation opère comme simple extension de la production sur une base technique donnée deviennent de plus en plus courts. Il faut d'abord que l'accumulation du capital total soit accélérée dans une progression constante, pour pouvoir absorber un nombre additionnel donné d'ouvriers, ou encore pour pouvoir, à cause de la métamorphose incessante du capital ancien, occuper les ouvriers déjà en fonctions. De son côté, cette accumulation croissante et cette centralisation provoquent de nouveaux changements dans la composition du capital ou une nouvelle diminution accélérée de sa partie variable par rapport à la partie constante. » (Le Capital, I, p. 593. Trad. Molitor, IV, p. 93-94.)
  37. « Le cours caractéristique de l'industrie moderne, la forme d'un cycle décennal, interrompu par des fluctuations plus ou moins accentuées, et composé de périodes d'une vitalité moyenne, de production compliquée d'excès, crises et de stagnations, repose sur la formation continuelle, l'absorption plus ou mains grande et la reproduction de l'armée de réserve industrielle ou de la surpopulattion. De leur côté, les vicissitudes du cycle industriel recrutent la surpopulation, à la reproduction de laquelle elles concourent puissamment. » (Le Capital, I, p. 594. Trait. Molitor, IV, p. 98.)
  38. Le Capital, I, p. 543. Trad. Molitor, IV, p. 31.
  39. Le Capital, I. p. 544. Trad. Molitor, IV, p. 32.
  40. Le Capital, II, pp. 487-490. Trad. Molitor VIII, p. 189.
  41. Le Capital, II, p. 488, Trad. Molitor, VIII, pp. 186-187.
  42. Le Capital, Il, p. 489. Trad. Molitor, VIII, p. 187.
  43. Le Capital, II, p. 491. Trad. Molitor, VIII, p. 190.
  44. Le Capital, Il, p. 491. Trad. Molitor, VIII, p. 190.
  45. Le Capital, II, p. 346. Trad. Molitor, VII, p. 201.
  46. Le Capital. Il, p. 432. Trad. Molitor, VIII, p. 95.
  47. Le Capital, I, p. 544. Trad. Molitor, IV, pp. 31-32.
  48. Le Capital, I, p. 544. Trad. Molitor, IV, pp. 31.
  49. Nous faisons ici abstraction des cas où une partie du produit, disons par exemple du charbon dans les mines de bouille, peut passer directement de nouveau sans échange dans le procès de la production. Ce sont là, en général, des cas d'exception dans la production capitaliste. Voir Marx, H. D. E., II, p. 256 et suiv.
  50. Le Capital, II, p. 409, Trad. Molitor, VIII, p. 57.
  51. Le Capital, II, p. 465, Trad. Molitor, VIII, p. 149.
  52. Le Capital, II, pp. 466-468. Trad. Molitor, VIII, p. 150-153.
  53. Le Capital, II, p. 469. Trad. Molitor, VIII, pp. 155-156.
  54. Le Capital, II, p. 473, Trad. Molitor, VIII, pp. 160-162.
  55. La Capital, Il. p. 476, Trad. Molitor, VIII, pp. 165-166.
  56. Le Capital, II, p. 476, Trad. Molitor, VIII, p. 166.
  57. Le Capital, II. p. 477, Trad. Molitor. VIII, p. 168.
  58. Le Capital, II, p. 478, Trad. Molitor, VIII, pp. 170-171.
  59. Le Capital, II. p. 480, Trad. Molitor, VIII, pp. 172-173.
  60. Le Capital, II, p. 482, Trad. Molitor, VIII, pp. 175-176.
  61. Le Capital, II, p. 484, Trad. Molitor, VIII, p. 180.
  62. Le Capital, II, p. 485, Trad. Molitor, VIII, p. 181.
  63. Le Capital, II, p. 487, Trad. Molitor, VIII, p. 183.
  64. Le Capital, Il, p. 482, Trad. Molitor, VIII, p. 191.
  65. Le Capital, II, p. 499, Trad. Molitor, VIII, pp. 203-204.
  66. Le Capital, II, p. 468, Trad. Molitor, VIII, p. 160.
  67. Le Capital, II, p. 304, Trad. Molitor, VII, p. 129.
  68. Le Capital, II. pp. 305-406, Trad. Molitor, VII, pp. 130-133.
  69. Le Capital, II, p. 306, Trad. Molitor, VII, p. 133.
  70. Le Capital, II, p. 308, Trad. Molitor, VII, pp. 134-135.
  71. Le Capital, II, p. 308, Trad. Molitor, VIII, p. 135.
  72. Le Capital, II, p. 309, Trad. Molitor, VII pp. 137-138.
  73. Le Capital, II, p. 318, Trad. Molitor, VII, p. 153.
  74. Le Capital, II, p. 322, Trad. Molitor, VII, p. 158.