Toast de Londres
Le Toast de Londres est un texte du révolutionnaire français Auguste Blanqui, écrit pour dénoncer les républicains de 1848 ayant trahi l'idéal de République sociale.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
Le terme de toast vient de la pratique de trinquer à des idéaux et revendications, depuis notamment la campagne des banquets de 1847-1848, qui avait préparé la Révolution de février 1848.
Lors de cette révolution, beaucoup d'enthousiasme populaire s'exprime, notamment à Paris où les ouvriers ont contribué par leur mobilisation à faire chuter la monarchie de juillet et à porter au pouvoir les républicains.
Les républicains apparaissent alors comme un arc de forces uni, et intègrent même au gouvernement deux républicains-socialistes, Louis Blanc et l'ouvrier Albert. Cependant, très vite les intérêts de classe fracturent cette unité de façade, en particulier sur la question des ateliers nationaux. Les socialistes se retrouvent vite écartés et réprimés, que ce soit les révolutionnaires comme Auguste Blanqui ou Barbès, Albert et Blanc (qui a réussi à s'exiler). Cela conduira à une révolte ouvrière qui sera réprimée dans le sang par le pouvoir (« Journées de Juin »).
Après cela, même les républicains à peine à gauche se retrouvent en prison. Cela s'incarne de façon caricaturale dans la forteresse de Belle-Ile-en-Mer, où Blanqui était depuis mai, et voit arriver après juin Barbès et Albert. Les prisonniers se divisaient en deux factions.
C'est dans ces conditions que Blanqui reçoit une lettre de ses amis exilés à Londres, Adam, Videl, Barthélemy. Ceux-ci lui demandait d'écrire un « toast » pour célébrer les trois ans de la révolution de 1848 lors du banquet des Égaux. Ce banquet était organisé avec d'autres organisations d'exilés : l'Union socialiste de Cabet, Pierre Leroux et Louis Blanc (ami intime de Barbès), et la Société de la révolution, de Ledru-Rollin.[1]
Dans sa lettre, Barthélemy demandait à Blanqui de ménager Louis Blanc « dont les intentions avaient été meilleures que les actes ». Il voulait faire une différence entre les « les monstres qui ont avoué avoir fait mitrailler le peuple pendant les sinistres journées de juin 48 » et les hommes comme Blanc et Albert qui se montrèrent impuissants, faibles ou inintelligents au Gouvernement Provisoire. Blanqui, qui avait déjà écrit des lignes assassines, refusa d'épargner Louis Blanc, et envoya son toast.[2]
2 Texte[modifier | modifier le wikicode]
Quel écueil menace la révolution de demain ?
L'écueil où s'est brisée celle d'hier : la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns.
Ledru-Rollin, Louis Blanc, Crémieux, Lamartine, Garnier-Pagès, Dupont de l'Eure, Flocon, Albert, Arago, Marrast !
Liste funèbre ! Noms sinistres, écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l'Europe démocratique.
C'est le gouvernement provisoire qui a tué la Révolution. C'est sur sa tête que doit retomber la responsabilité de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes.
La réaction n'a fait que son métier en égorgeant la démocratie.
Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui l'ont livré à la réaction.
Misérable gouvernement ! Malgré les cris et les prières, il lance l'impôt des 45 centimes qui soulève les campagnes désespérées, il maintient les états-majors royalistes, la magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison !
Il court sus aux ouvriers de Paris ; le 15 avril, il emprisonne ceux de Limoges, il mitraille ceux de Rouen le 27 ; il déchaîne tous leurs bourreaux, il berne et traque tous les sincères républicains. Trahison ! Trahison !
À lui seul, le fardeau terrible de toutes les calamités qui ont presque anéanti la Révolution.
Oh ! Ce sont là de grands coupables et entre tous les plus coupables, ceux en qui le peuple trompé par des phrases de tribun voyait son épée et son bouclier; ceux qu'il proclamait avec enthousiasme, arbitres de son avenir.
Malheur à nous, si, au jour du prochain triomphe populaire, l'indulgence oublieuse des masses laissait monter au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat ! Une seconde fois, c'en serait fait de la Révolution.
Que les travailleurs aient sans cesse devant les yeux cette liste de noms maudits ! Et si un seul apparaissait jamais dans un gouvernement sorti de l'insurrection, qu'ils crient tous, d'une voix : trahison !
Discours, sermons, programmes ne seraient encore que piperies et mensonges ; les mêmes jongleurs ne reviendraient que pour exécuter le même tour, avec la même gibecière ; ils formeraient le premier anneau d'une chaîne nouvelle de réaction plus furieuse !
Sur eux, anathème, s'ils osaient jamais reparaître !
Honte et pitié sur la foule imbécile qui retomberait encore dans leurs filets !
Ce n'est pas assez que les escamoteurs de Février soient à jamais repoussés de l'Hôtel de Ville, il faut se prémunir contre de nouveaux traîtres.
Traîtres seraient les gouvernements qui, élevés sur les pavois prolétaires, ne feraient pas opérer à l'instant même :
1° - Le désarmement des gardes bourgeoises.
2° - L'armement et l'organisation en milice nationale de tous les ouvriers.
Sans doute, il est bien d'autres mesures indispensables, mais elles sortiraient naturellement de ce premier acte qui est la garantie préalable, l'unique gage de sécurité pour le peuple.
Il ne doit pas rester un fusil aux mains de la bourgeoisie. Hors de là, point de salut.
Les doctrines diverses qui se disputent aujourd'hui les sympathies des masses, pourront un jour réaliser leurs promesses d'amélioration et de bien-être, mais à la condition de ne pas abandonner la proie pour l'ombre.
Les armes et l'organisation, voilà l'élément décisif de progrès, le moyen sérieux d'en finir avec la misère.
Qui a du fer, a du pain.
On se prosterne devant les baïonnettes, on balaye les cohues désarmées. La France hérissée de travailleurs en armes, c'est l'avènement du socialisme.
En présence des prolétaires armés, obstacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra.
Mais, pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d'arbres de la liberté, par des phrases sonores d'avocat, il y aura de l'eau bénite d'abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours.
Que le peuple choisisse !
3 Autour du texte[modifier | modifier le wikicode]
Ce toast, publié d'abord en tract par les « Amis de l'Égalité », fut, ensuite, repris par La Patrie le 27 février 1851. Blanqui s'explique longuement sur l'origine et l'utilisation de ce texte dans une lettre (B. N., N. A. F., 9580, liasse Ia , chemise 2, sous-chemise a, feuillet 41 et sq. du 19 mars 1851, [voir appendice p. 122 et sq.).
Comme l'écrira Engels :
« Barthélémy, se disant blanquiste, persuada Blanqui d'envoyer un toast au congrès. Mais il ne reçut qu'une attaque magnifique contre le gouvernement provisoire, Louis Blanc et Cie entre autres. Barthélémy stupéfié, remit le document, et il fut décidé de ne pas le publier… Nous traduisîmes le toast en allemand et le diffusâmes en Allemagne et en Angleterre. »
4 Notes[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Cahiers du mouvement ouvrier, N° 8, Décembre 1999
- ↑ Lutte ouvrière, De l'eau bénite à la mitraille, Février 1961