Testament de Lénine

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Lénine-bureau-1918.jpg

On désigne par Testament de Lénine une brève note dictée par Lénine le 23 décembre 1922 (« Lettre au congrès »[1]), complétée le 4 janvier 1923, peu avant qu'il ne soit définitivement écarté de la vie politique par la maladie.

On regroupe parfois cette lettre avec les autres derniers textes dictés par Lénine sous le nom de Testament politique de Lénine.

1 La « lettre au congrès »[modifier | modifier le wikicode]

Lénine s'inquiète d'abord et avant tout des risques de scission dans le Parti communiste. Il considère qu'il existe un général, du fait que le pouvoir soviétique est issu d'une alliance de classe (ouvriers-paysans), mais que le facteur de risque qui l'inquiète est d'ordre personnel, et en premier lieu le risque de conflit entre Staline et Trotski.

Il dicte quelques mots sur les membres les plus marquants du comité central. Staline a concentré un immense pouvoir en tant que secrétaire général et Lénine se demande s'il saura toujours s'en servir avec assez de circonspection. Trotski est présenté comme l'homme le plus capable du comité central mais il pêche par un excès d'assurance et une vision trop administrative des choses. Viennent ensuite Grigori Zinoviev et Lev Kamenev, dont Lénine rappelle que ce n'est pas par hasard qu'ils se sont opposés à la prise du pouvoir en octobre. Nikolaï Boukharine et Gueorgui Piatakov sont les plus remarquables des jeunes membres du comité central. Mais le premier a quelque chose de scholastique dans ses raisonnements et les capacités du second sont plus d'ordre administratif que politique.

Le 18 décembre, Staline, arguant des ordres donnés par le corps médical, interdit à Lénine toute activité et enjoint à son entourage ne lui communiquer ni informations ni documents et de ne pas écrire sous sa dictée. Lénine soupçonne dès lors Staline de le priver délibérément d'informations et d'être lui-même à l'origine des consignes de prudence des médecins. Lénine est veillé par sa sœur Maria et par son épouse Nadejda Kroupskaïa ; cette dernière, notamment, le tient au courant des derniers évènements et transmet ses messages à différents dirigeants. Le 22 décembre, Staline apprend que Kroupskaïa a transmis à Trotski une lettre dictée par Lénine ; il téléphone alors à la femme de Lénine et lui dit violemment que le partage du lit de Lénine ne lui donne aucune légitimité politique. Kroupskaïa écrit en à Kamenev à cette époque chef du Politburo :

« Léon Borisovitch ! À la suite d'une courte lettre que m'a dictée, avec l'autorisation des médecins, Vladimir Ilitch, Staline est entré hier dans une violente et inhabituelle colère contre moi. Ce n'est pas d'hier que je suis au Parti. Au cours de ces trente années je n'ai jamais entendu d'aucun camarade un mot grossier. Les affaires du Parti et celles d'Ilitch me sont aussi chères qu'à Staline. J'ai besoin aujourd'hui d'un maximum de sang-froid. Ce que l'on peut — et ce que l'on ne peut pas — discuter avec Ilitch je le sais mieux que n'importe quel médecin, parce que je sais ce qui le rend ou ne le rend pas nerveux. En tout état de cause, je le sais mieux que Staline. Je m'adresse à vous et à Grigori (nda : Zinoviev) comme à de vieux camarades de Vladimir Ilitch, et vous supplie de me protéger contre des ingérences brutales dans ma vie privée, de viles invectives et de basses menaces. Je n'ai aucun doute quant à ce que sera la décision unanime de la Commission de contrôle, de laquelle Staline a jugé bon de me menacer. Quoi qu'il en soit, je n'ai ni force, ni temps à perdre dans cette stupide querelle. Je suis un être humain, et mes nerfs sont tendus à l'extrême. N. Kroupskaïa. »[2]

On ne sait pas quand Lénine a su exactement la réaction de Staline. Une hypothèse est qu'il l'a su fin décembre / début janvier, ce qui expliquerait le bref ajout du 4 janvier, beaucoup plus vif et déterminé que la note du 23 décembre : « Staline est trop brutal, et ce défaut parfaitement tolérable dans notre milieu et dans les relations entre nous, communistes, ne l'est plus dans les fonctions de secrétaire général. Je propose donc aux camarades d'étudier un moyen pour démettre Staline de ce poste »

Cependant ce n'est que le 5 mars 1923 que Lénine envoie à Staline une lettre dans laquelle il lui reproche d'avoir insulté son épouse et lui réclame des excuses sous peine que toute relation soit rompue entre eux.[3] Staline lui répond le 7 mars en s'excusant à moitié.

2 Autres textes[modifier | modifier le wikicode]

Le 6 mars 1923, Lénine fait porter à Trotski ses notes[4] sur le dossier géorgien, et le charge d'aborder cette question en son nom devant le Comité central ; il envoie également aux Géorgiens une note dans laquelle il leur annonce son soutien. Dans ses derniers articles, publiés en janvier et mars 1923, il se penche sur les questions de la bureaucratisation.

Lénine voulait que le Testament soit lu au XIIe Congrès du Parti, d'avril 1923 (mais pas en dehors). Mais le 10 mars, avant ce Congrès décisif, Lénine est frappé d'une nouvelle attaque, qui le laisse paralysé et incapable de parler distinctement.

Jusqu'à la mort de Lénine le 21 janvier 1924, sa femme, Nadejda Kroupskaïa, conserva le texte du Testament, espérant un rétablissement de Lénine. Seule elle et la secrétaire Maria Voloditchéva à qui il l'avait dicté en avaient connaissance. Elle le remit au secrétariat général en 1924, insistant pour qu'il soit lu comme prévu. Mais elle dut insister, car la troïka Zinoviev-Kamenev-Staline était extrêmement réticente. Finalement, le testament fut lu de façon très restrictive aux délégués du 13e congrès : les chefs des délégations provinciales au congrès seraient rassemblées ; Kamenev donnerait lecture du Testament - ce qu’il fit avant la séance du 22 mai 1924 ; puis il serait lu ensuite devant chaque délégation séparément ; il serait formellement interdit de prendre des notes pendant les lectures et interdit également de faire une référence quelconque au Testament en séance plénière et à l'extérieur.

Par ailleurs, au début du congrès, Trotski annonce être en possession des notes de Lénine sur la question nationale, mais Staline retourne la situation en l'accusant de dissimuler des documents au Parti, et Trotski renonce à faire usage des notes de Lénine.

L'existence du Testament fut néanmoins révélée à l'étranger. Le 12 juillet 1925, le New York Times titre "Lénine trahi par son parti. Son testament faisant l'éloge de Trotski face au groupe Staline-Zinoviev est camouflé".[5] Le contenu du Testament fut publié en 1926 par Max Eastman, Alfred Rosmer et Boris Souvarine. La direction stalinienne affirma d'abord que c'était un faux, et Trotski se plie à cette ligne par discipline de parti, désavouant même publiquement Eastman :

« Eastman affirme que le Comité central a caché le prétendu ’Testament’ au Parti ; on ne peut appeler cela autrement qu’une calomnie contre le Comité central de notre Parti. (...) Vladimir Ilyitch n’a laissé aucun ’testament’ et le caractère même de ses rapports avec le Parti, ainsi que le caractère du Parti lui-même exclut toute idée de ’testament’. Généralement, la presse des émigrés et la presse étrangère bourgeoise et menchevique désignent sous ce nom, en la déformant au point de la rendre méconnaissable, une des lettres de Vladimir Ilyitch qui contient des conseils d’ordre organisationnel. Le XIIIe Congrès du Parti l’a traitée avec la plus grande attention.  »

En 1927, quand les partisans de Zinoviev forment l'Opposition unifiée avec Trotski, ils tentent d'utiliser le Testament en rappelant les critiques de Lénine sur Staline. Mais il est trop tard, Staline détient un rapport de force bien trop fort, et l'Opposition unifiée est exclue. Lors du Plénum du Comité central qui suit l'exclusion, Staline se déclare prêt à démissionner du poste de Secrétaire général, en accord avec ce que préconisait Lénine. Mais le Comité central rejette quasi-unanimement la proposition, dans une sorte de plébiscite servile.

Staline dira ensuite publiquement :

« Les opposants ont soulevé ici une grande clameur et ils ont prétendu que le Comité central du Parti a 'caché' le 'Testament' de Lénine. Cette question a été traitée plusieurs fois lors des plénums du Comité central et de la Commission centrale de contrôle. (Une voix: 'Des milliers de fois!') Il a été prouvé et encore prouvé que personne ne cache quoi que ce soit, que ce 'testament' de Lénine fut adressé au XIIIe Congrès, que ce 'Testament' a été lu à ce Congrès (Une voix: 'Absolument') et que le Parti a décidé à l'unanimité de ne pas le publier, entre autres parce que Lénine lui-même ne l'avait pas voulu et souhaité." "On dit que, dans ce 'Testament', Lénine a proposé qu'on discute, au vu de la 'grossièreté' de Staline, si on ne pouvait pas remplacer Staline comme secrétaire général par un autre camarade. Cela est tout à fait exact. Oui, camarades, je suis grossier envers ceux qui brisent et divisent le Parti de façon grossière et traîtresse. Déjà lors de la première session du plénum du Comité central après le XIIIe Congrès, j'ai demandé que le plénum me décharge de ma fonction de secrétaire général. Le Congrès lui-même avait traité de cette question. Chaque délégation a traité cette question et toutes les délégations, parmi lesquelles Trotski, Zinoviev et Kaménev, ont obligé Staline à rester à son poste. Une année plus tard, j'ai adressé à nouveau une demande au plénum pour me décharger de ma fonction, mais on m'a obligé à nouveau de rester à mon poste. »

Le Testament ne fut plus mentionné pendant la période de terreur stalinienne. Nikita Khrouchtchev réutilisa ce document au moment de la déstalinisation, en 1956.

En 1932, Trotski est revenu sur le Testament de Lénine.[6]

3 Le « Testament politique de Lénine »[modifier | modifier le wikicode]

4 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Nikita Khrouchtchev, Rapport secret sur Staline au XXe Congrès du P.C. soviétique, suivi du Testament de Lénine, Éditions Champ libre, Paris, 1970.
  • Moshe Lewin, Le Dernier Combat de Lénine, Les Éditions de Minuit, (ISBN 978-2-940189-52-6)
  • La Révolution prolétarienne, novembre 1926 (première publication en français).
  • Collectif, Le testament de Lénine, aux éditions de Moscou, préfacé par Mikhail Gorbatchev
  • Histoire de l'Union soviétique de Lénine à Staline, Nicolas Werth, éditions Que sais je ?, PUF, page 37
  • Le texte du Testament de Lénine et son commentaire par Alfred Rosmer

5 Notes[modifier | modifier le wikicode]