Dette publique russe

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La dette publique russe fut répudiée en 1917 par le gouvernement bolchévik, qui refusa de reconnaître ce fardeau hérité du tsarisme et contracté notamment pour la guerre auprès des puissances capitalistes.

En particulier, les Français avaient prêté beaucoup d'argent à la Russie tsariste entre 1888 à 1914, ce qui resta connu sous le nom d'emprunts russes, surtout après l'annulation. Après la chute de l'URSS, les Français ont réclamé les sommes perdues en 1917...

1 De 1867 à 1917[modifier | modifier le wikicode]

En 1822, l'État russe émet en son propre nom un emprunt en France.

Dans la seconde moitié du 19e siècle, les tensions entre l'Allemagne et la France poussent cette dernière à chercher l'alliance avec la Russie.

En 1867, les compagnies de chemins de fer russes lancent en France un emprunt nommé « Nicolas » pour la construction de nouvelles voies en Russie, ceci étant dû à un besoin russe de capitaux pour ces investissements coûteux.

La défaite militaire de 1870 contre l'Allemagne et la volonté de reconquérir l'Alsace-Lorraine incitent les gouvernements français successifs à se rapprocher de la Russie. Cette dernière est d'autant plus réceptive que leur source principale de capitaux, l'Allemagne, s'est tarie. Les Allemands investissent désormais sur leur territoire et les prêts se font plus rares. À l'époque, la Russie est aussi considérée comme un pays très peu solvable.

Dès janvier 1876, les emprunts russes subissent le contre-coup d'une insurrection bosniaque, qui se conjugue avec un conflit militaire entre la Russie et l'Empire ottoman, ce qui inquiète les investisseurs. En un mois, l'emprunt public français de référence perd quatre points, l'italien six points et le russe dix points.

À la suite de l'alliance tripartite Allemagne - Autriche-Hongrie - Italie, dite Triplice, signée en 1882, la France s'allie avec la Russie en 1892.

Des emprunts d'État, des emprunts de collectivités et des emprunts liés aux compagnies de chemins de fer russes sont lancés. Le plus important est lancé le 10 décembre 1888[1] par le tsar Alexandre III et remporte en France dès le 11 décembre un immense succès. Ils financent la construction de dizaines de milliers de kilomètres de lignes de chemin de fer, comme le Transsibérien, le développement de nouvelles industries (chimie) et de plus anciennes (mines). Des entreprises françaises renommées investissent dans les États satellites de la Russie.

Pendant trente ans, le gouvernement et les médias français vont encourager les épargnants français à investir en Russie, si bien que près d'un tiers de l'épargne française sera dirigée vers la Russie, pour un montant d’environ 15 milliards de francs or. De 1887 à 1913, l'exportation nette de capitaux correspond à 3,5 % du PNB de la France. Des campagnes de publicité sont lancées par affiches et dans les journaux français (« Prêter à la Russie, c’est prêter à la France ! »), des commissions étant versées aux journaux et aux banques (le Crédit lyonnais réalise 30 % de ses profits avant 1914 grâce aux emprunts russes).

En 1897, le rouble se rattache à l'or.

Les emprunts russes, soutenus par l'État français, sont censés garantir à leur détenteur une « sécurité à 100 % » et des performances intéressantes au regard du marché financier de l'époque. Les émissions des emprunts se sont accélérées pour ralentir au début du 20e siècle.

Pendant l'épisode révolutionnaire de 1905, le Soviet de Petersbourg, confiant dans la chute du tsarisme et préparant l'après, proclame dans son « manifeste financier » :

« L'autocratie n'a jamais joui de la confiance du peuple et n'a pas été fondée par lui en pouvoirs. En conséquence, nous décidons que nous n'admettrons pas le paiement des dettes sur tous emprunts que le gouvernement du tsar aura conclus alors qu'il était en guerre ouverte et déclarée avec tout le peuple. »

En juin 1906 la Russie lance un emprunt international destiné à rétablir les finances après la guerre russo-japonaise (2,25 milliards de francs couverts pour moitié par la France).

Au moment de la révolution russe, près d'un million et demi de Français (capitalistes et petits bourgeois surtout) avaient investi dans ces emprunts (pour environ 15 milliards de francs-or ≏ 53 milliards € de 2005).

2 La répudiation des emprunts[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Le décret et les espoirs des créanciers[modifier | modifier le wikicode]

Le 28 janvier (vs)-10 février (ns) 1918, un décret des bolchéviques répudie unilatéralement l'intégralité de ces dettes. Malgré la répudiation, les cours boursiers des emprunts russes demeurèrent relativement élevés pendant les trois années suivant la répudiation. Les investisseurs espèrent notamment une reprise partielle de la dette par la France, par des pays créés sur les ruines de l'Empire russe (Pologne, pays baltes...), par une armée blanche victorieuse voire par un gouvernement bolchévique qui aurait revu ses positions[2].

Certains éléments pouvaient laisser penser cela aux créanciers. Par exemple, le 4 février 1919, le gouvernement bolchévique fait par radio, à tous les gouvernements capitalistes, les propositions suivantes s'ils cessent leur intervention militaire :[3]

  1. Reconnaissance des dettes contractées par les précédents gouvernements de la Russie.
  2. Engagement de nos matières premières comme garantie du paiement des emprunts et des intérêts.
  3. Concessions à leur goût.
  4. Cession de territoire sous forme d´occupation militaire de certains districts par les forces armées de l´Entente ou de ses agents russes.

A ce moment-là les impérialistes estiment pouvoir vaincre totalement et n'acceptent pas. Par la suite, avec le renforcement de l'Armée rouge, les bolchéviks ne proposeront plus la moindre reconnaissance des emprunts russes. Par exemple à la conférence de Gênes d’Avril 1922, la Grande-Bretagne exigea une dénationalisation de l'économie russe et le paiement des dettes. Lénine poussa la délégation à rompre les négociations.

2.2 Le remboursement des mécènes de la révolution[modifier | modifier le wikicode]

En revanche, le nouvel État révolutionnaire remboursa certains créanciers qui avaient prêté de l'argent au parti social-démocrate russe... Ainsi Trotski raconte dans son autobiographie cet épisode du Congrès de Londres du POSDR (1907) :

« Les fonds manquèrent non seulement pour les voyages de retour, mais aussi pour mener à bonne fin le congrès. (...) Un des libéraux anglais consentit à la révolution russe un emprunt, qui, je m'en souviens, fut de trois mille livres sterling. Mais il exigea que la reconnaissance fût signée par tous les délégués au congrès. L'Anglais reçut un document sur lequel figuraient plusieurs centaines de signatures, tracées avec les caractères qui appartiennent à toutes les populations de la Russie. Il eut cependant à attendre longtemps le versement de la somme marquée sur cet effet. Pendant la réaction et la guerre, le parti ne pouvait penser à payer de pareilles sommes. C'est seulement le gouvernement soviétique qui racheta la traite signée par le congrès de Londres. La révolution fait honneur à ses engagements, bien que d'ordinaire avec un certain retard. »[4]

2.3 L'affaire Arthur Raffalovitch et la corruption de la presse française[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 1920, des enquêtes montrent que le gouvernement tsariste avait mis en place une véritable organisation de corruption de la presse française, avec des intermédiaires rémunérés, des comptes en banque secrets et des représentants quasi officiels à Paris. Parmi eux, Arthur Raffalovitch, représentant du ministère des Finances russe à Paris et correspondant de l'Institut[5]. L'enquête établit qu'il a distribué 6,5 millions de francs[6] (environ 23 millions d'euros de 2005), entre 1900 et 1914, à de nombreux titres de la presse parisienne, de manière à assurer le succès du placement des emprunts russes dans le grand public : c'est l'affaire Arthur Raffalovitch. Dans une lettre adressée le 2 novembre 1904 au ministre des Finances russe, il écrit : « J'ai l'honneur de remettre à Votre Excellence les chèques payés par l'agent Lenoir pour le concours donné par la presse française durant le mois de septembre. J'y joins une sorte de clef, c'est-à-dire le numéro du chèque en face du journal qui a touché. »

La liste des journaux bénéficiaires inclut tout l'éventail politique dont en premier lieu la presse conservatrice de droite, et aussi des journaux d'opposition de gauche, comme L'Événement, La Lanterne, Le Rappel, La France, et Le Radical.

2.4 Entre-deux-guerres[modifier | modifier le wikicode]

La question de la dette russe est une question redondante dans les relations commerciales et diplomatiques entre le gouvernement français et le gouvernement soviétique durant l'Entre-deux-guerres.

3 Après 1991[modifier | modifier le wikicode]

En 1996-1997, les gouvernements russe et français négocient un accord aux termes duquel chaque gouvernement s'engage à ne plus présenter à l'autre ses créances nées avant 1945, et à ne plus soutenir devant l'autre les créances de ses ressortissants nées avant 1945. Cet accord s'accompagne du versement par la Russie à la France de 400 millions de dollars.[7]

Mais de nombreux français porteurs de titres continuent de réclamer le remboursement des emprunts russes. 316219 porteurs français, recensés par le Trésor public en 1999, ont conservé leurs titres (près de 9 millions de coupures en 1999).

L'association de porteurs AFPER mène, de 2002 à 2005, des actions devant les juridictions françaises, et tentent notamment de faire saisir des biens russes en France. Deux autres associations sont créées en 2008, « La Voix des emprunts russes »[8] et l'Association fédérative internationale des porteurs d'emprunts russes (AFIPER).

À la suite d'un jugement rendu le 20 janvier 2009 donnant à l'État russe la propriété intégrale de la cathédrale Saint-Nicolas à Nice, l'association affirme vouloir faire saisir le bâtiment orthodoxe[9].

4 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Ouvrages et articles[modifier | modifier le wikicode]

  • René Girault, Emprunts russes et investissements français en Russie, 1887-1914, CHEFF, 1999 (ISBN 2-11-090945-5)
  • Oosterlinck Kim, Hope Springs Eternal. French Bondholders and the Repudiation of Russian Sovereign Debt, Yale University Press, 2016 (ISBN 9780300190915)
  • Alfred Colling, La Prodigieuse Histoire de la Bourse, Société d'Éditions Économiques et Financières, 1949
  • http://www.scripophilie.com/temoignages/emprunts_russes.htm

4.2 Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Hubert Bonin, Histoire de la Société générale: Tome 1, 1864-1890 La naissance d'une banque moderne, Librairie Droz, 2006
  2. Landon-Lane J., Oosterlinck K., (2006),
  3. Trotski, La nouvelle politique économique des Soviets et la révolution mondiale, 14 novembre 1922
  4. Léon Trotski, Ma vie, 1930
  5. http://www.jdf.com/histoire/2007/04/21/04015-20070421ARTHBD00105-le-jdf-celebre-ses-ans.php
  6. Laurent Martin, La presse écrite en France au XXe siècle, éditions Le Livre de poche
  7. Décret no 98-366 du 6 mai 1998 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945
  8. http://www.empruntsrusses.winnerbb.com
  9. Les porteurs d'emprunts russes veulent s'emparer de la cathédrale Saint-Nicolas de Nice, Ségolène Gros de Larquier, LePoint.fr, 8 février 2010