Communauté des femmes
La « communauté des femmes », dans le sens de « mise en commun des femmes », est une revendication que l'on retrouve chez plusieurs penseurs et mouvements historiques, dont des courants socialisants. Il s'agit bien sûr d'une vision foncièrement patriarcale dans la mesure où l'avis des femmes n'est jamais demandé, mais il faut souligner que dans les contextes de ces époques, les femmes n'avaient généralement pas non plus leur mot à dire dans l'organisation dominante. Les défenseurs de la communauté des femmes ne se posaient en général pas du tout la question d'être pour ou contre la cause des femmes.
Par ailleurs, l'accusation de vouloir « socialiser les femmes » est une accusation qui a été lancée à de multiples reprises contre des mouvements égalitaristes.
1 Revendications de la communauté des femmes[modifier | modifier le wikicode]
1.1 La République de Platon (-375)[modifier | modifier le wikicode]
Dans son traité pour une cité idéale, La République, Platon prône la communauté des femmes et des enfants : « les femmes de nos guerriers seront communes toutes à tous : aucune d’elles n’habitera en particulier avec aucun d’eux ; de même les enfants seront communs, et les parents ne connaîtront pas leurs enfants, ni ceux-ci leurs parents ».
Platon savait que l'idée était choquante pour ses contemporains, puisqu'il fait de nombreuses périphrases avant d'arriver à exposer ce point, et admet aussitôt qu'elle serait très difficile à mettre en place. Mais il soutient que cette mesure est indispensable pour une cité idéale, pour réglementer les unions et des naissances, et pour que les citoyens soient « délivrés de toutes les querelles dont l'argent, les enfants et les proches sont l'occasion ».
1.2 Mazdakistes en Iran (5e-6e s.)[modifier | modifier le wikicode]
La dynastie des Sassanides dans l'Iran pré-islamique fut secouée par un mouvement de révolte populaire mené par Mazdak. Les richesses étaient très concentrées, et les femmes étaient également traitées comme des richesses : les puissants constituaient de grands harems, pendant que des paysans pauvres peinaient à trouver des épouses. Dans ce contexte, le mouvement mazadakiste, au milieu de ses revendications égalitaires, aurait prôné la communauté des femmes.
1.3 Tommaso Campanella (1623)[modifier | modifier le wikicode]
Le religieux Tommaso Campanella est l'auteur d'une utopie rédigée en 1623 (La Cité du Soleil), influencée par Platon. Il reprend l'idée d'une communauté des femmes et d'une stricte réglementation des unions, allant de pair avec la communauté des biens.
1.4 Nicolas de Bonneville (1789)[modifier | modifier le wikicode]
L'intellectuel Nicolas de Bonneville, actif pendant la révolution française, prônait un retour au christianisme primitif, qui selon lui incluait la communauté des biens et des femmes.
2 L'accusation[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Historiens musulmans[modifier | modifier le wikicode]
Chez beaucoup d'historiens musulmans traitant des mouvements égalitaires paysans du Moyen-Âge revient l'accusation de vouloir mettre en place la communauté des femmes.
Nâzım Hikmet, un des fondateurs du socialisme en Turquie, a dédié un poème à un idéologue médiéval égalitariste, Badr-ed-Dîn (1358-1416), dont la conclusion renie l'accusation :
les hommes avaient ouvert cette terre sans murs et sans limites comme une table de frères...
les dix mille avaient donné leurs huit mille pour pouvoir
chantant tous en chœur
tirer tous ensemble les filets des eaux
travailler le fer comme une dentelle labourant la terre en chœur manger tous ensemble les figues emplies de miel être ensemble en tout et partout sauf sur la joue de la bien-aimée.[1]
2.2 Grand réveil (17e s.)[modifier | modifier le wikicode]
Pendant le mouvement du Grand réveil, James Davenport fut accusé par le conservateur Charles Chauncy de vouloir mettre en application le communisme du Livre des Actes, de vouloir détruire la propriété privée et rendre « toutes choses communes, les femmes comme les biens ».
2.3 Manifeste communiste (19e s.)[modifier | modifier le wikicode]
Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels écrivent :
Les déclamations bourgeoises sur la famille et l'éducation, sur les doux liens qui unissent l'enfant à ses parents deviennent de plus en plus écœurantes, à mesure que la grande industrie détruit tout lien de famille pour le prolétaire et transforme les enfants en simples articles de commerce, en simples instruments de travail.
Mais la bourgeoisie tout entière de s'écrier en chœur : Vous autres, communistes, vous voulez introduire la communauté des femmes !
Pour le bourgeois, sa femme n'est autre chose qu'un instrument de production. Il entend dire que les instruments de production doivent être exploités en commun et il conclut naturellement que les femmes elles-mêmes partageront le sort commun de la socialisation.
Il ne soupçonne pas qu'il s'agit précisément d'arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de production.
Rien de plus grotesque, d'ailleurs, que l'horreur ultra-morale qu'inspire à nos bourgeois la prétendue communauté officielle des femmes que professeraient les communistes. Les communistes n'ont pas besoin d'introduire la communauté des femmes ; elle a presque toujours existé.
Nos bourgeois, non contents d'avoir à leur disposition les femmes et les filles des prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier mutuellement.
Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les communistes de vouloir mettre à la place d'une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste, qu'avec l'abolition du régime de production actuel, disparaîtra la communauté des femmes qui en découle, c'est-à-dire la prostitution officielle et non officielle.
De même Kautsky répond à cette critique en 1892.[2]
3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- Jacques Droz, Histoire générale du socialisme, 1972
- ↑ Nâzım Hikmet, Anthologie poétique, Paris, 1951
- ↑ Karl Kautsky, Le programme socialiste, 1892