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Special pages :
Vive la République des Soviets !
Auteur·e(s) | Amédée Dunois |
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Écriture | 3 novembre 1921 |
Dans quelques jours — dimanche, 7 novembre — la République des Soviets entrera dans sa cinquième année d'existence.
Je m'en voudrais de distraire aujourd'hui ma pensée de cet anniversaire, dont l'Internationale Communiste nous recommande justement de faire comme le « motif central » de la Semaine de Recrutement et de Propagande qui, dans tous les pays, commence à l'heure où j'écris.
Quatre ans ! La République des Soviets a vécu quatre ans ! Quel annaliste documenté, ordonnant le chaos des matériaux épars, nous offrira de cette olympiade prodigieuse une histoire digne d'elle ? Car les événements vont si vite, se succèdent à flots si pressés que les quelques ouvrages dont les Français disposent sont dès maintenant dépassés : je songe aux Notes de Sadoul, aux vibrants reportages de Ransome[1] et de Lansbury[2], à l'exposé loyal d'Etienne Antonelli[3]. A l'heure qu'il est, tout cela date. Alfred Rosmer, qui rentre de Russie avec un énorme bagage de matériaux et d'impressions, ne voudra-t-il pas être cet historien ? Il n'est pas défendu de l'espérer.
Ce qu'a été pour nous, depuis quatre ans, la Révolution russe, il faudrait, pour le dire, des mots qui n'aient jamais servi, des mots neufs et purs comme le printemps, des mots qui jailliraient du cœur comme de l'onde amère la divine Astarté... Elle a été comme le pain quotidien dont nous nous sommes nourris. Nous avons participé, par l'allégresse ou par l'angoisse, à toutes les vicissitudes de son destin.
Avons-nous fait suffisamment pour elle ? Lui avons-nous prêté cet appui absolu qu'elle attendait de nous? Avons-nous assez fortement compris qu'à cette heure, en quelque lieu que nous soyons, la préoccupation de son salut, de sa victoire, doit primer tout et qu'auprès d'elle, il n'y a eu il ne peut rien y avoir, sinon des intérêts dérisoires ou des entraînements subalternes ?
Avons-nous assez réfléchi à ce que serait pour nous l'étendue du désastre, l'immensité sinistre de la nuit, si demain cette torche grandiose qui brûle à l'Est de l'Europe, au centre de l'ancien monde, venait tout à coup à s'éteindre ? Nous sommes-nous assez dit que la particularité sublime de la Révolution russe, c'est de n'être pas russe, mais mondiale et que, semblable au Christ de la légende, mort pour l'humanité tout entière et non pour un seul peuple élu, c'est pour les prolétaires de tous les pays et de toutes les races que souffrent, combattent et succombent les prolétaires de la Russie soviétique ? Prolétaires de tous les pays, réentendez le cri de Marx : Unissez-vous ! Unissez-vous d'abord autour de la Révolution russe, brasier incandescent et crépitant d'où jaillira dans l'avenir l'étincelle sacrée qui portera l'incendie sur tous les points de ce vieux monde.
Il n'y a un an à peine — un mois ou deux avant Tours — deux de nos camarades, guesdistes de vieille date, acquis à la 3e Internationale, allèrent voir à Passy le vieux Guesde solitaire et aigri. Ils ne purent le gagner à leur cause, s'ils tentèrent toutefois de l'y gagner. Mais ils obtinrent de lui ce mot frappant que je voudrais redire : Il faut monter la garde autour de la Révolution russe. Par quoi le vieux lutteur entendait signifier ceci : que, soldats détachés de la révolution russe, nous en tenons le front de France, comme d'autres le front d'Italie, d'autres le front d'Allemagne, le front d'Angleterre ou des Etats-Unis...
Pourquoi les communistes sont-ils tout seuls à le tenir, ce front de France, tout seuls à la monter, cette garde que le vieux Guesde réclamait impérieusement de tous ? Pourquoi faut-il que de trop nombreux socialistes soient, dans tous les pays et notamment en France, au premier rang des ennemis de la Révolution russe ? Pourquoi ne peut-on s'empêcher de penser que si elle était vaincue, ils seraient aussi les premiers à danser autour d'elle l'horrible danse du scalp ?
Ce n'est pas aux formules qu'il faut juger les hommes. Ni les hommes ni les idées. Ce n'est point sur le fait qu'ils récitent par cœur la formule d'Amsterdam — vous savez : « la tactique éprouvée et glorieuse basée sur la lutte de classe ! » — qu'un Renaudel et un Thomas, un Léon Blum et un Boncour[4], un Jean Longuet et un Paul Faure doivent être finalement jugés. C'est sur ce qu'ils ont fait, depuis Tours, pour la Révolution russe. Ce qu'ils ont fait pour elle ? Néant. Ce qu'ils ont fait contre elle ? Voyez le Populaire, cet égout collecteur de toutes les calomnies, de toutes les diffamations contre les Soviets...
Si les soviets n'avaient contre eux que les Etats capitalistes, et s'ils avaient pour eux le prolétariat universel, nous pourrions être assez tranquilles. Mais jusque dans son attitude à l'égard du gouvernement ouvrier, le prolétariat a été criminellement divisé. Qui donc l'a divisé, sinon les social-traîtres et les centristes qui par haine du communisme et de la 3e Internationale, se sont jetés dans les bras de la réaction ?
Tant qu'il a suffi de crier : vive la Révolution russe ! vive la République des soviets ! nos centristes ont crié à tue-tête ; le Populaire a fait un boucan infernal. Mais un jour est venu où les Russes ont demandé autre chose que des cris : des actes ! Quels actes ? L'exclusion des tièdes et des traîtres, le rejet des méthodes opportunistes, l'adhésion sans réserves à l'Internationale communiste. Mais c'était trop demander à ces petits-bourgeois enracinés de centristes. Mis en demeure de choisir entre l'opportunisme et la Révolution russe, ils ont choisi l'opportunisme, qui leur allait, ma foi, si bien que s'il n'avait pas existé, ils l'eussent à coup sûr inventé.
Ils s'en sont pris d'abord non pas à la Révolution russe elle-même, mais histoire de donner le change, au Communisme et à la 3e Internationale ; Zinoviev, à défaut de Lénine et de Trotsky, trop populaires, est devenu leur bête noire. Puis d'audace en audace, ou mieux de vilenie en vilenie, ils sont partis en guerre contre la Révolution russe elle-même. Il y a deux jours on l'accusait de s'être atrocement souillée de sang, alors que Pierre Pascal a démontré le contraire et que Georges Sorel[5] peut écrire que « la tolérance des bolcheviks a dépassé de beaucoup celle que l'on a rencontrée durant la guerre dans les nations de l'Entente ». Et pas plus tard qu'aujourd'hui le journal de Jean Longuet annonce, avec une sorte de joie sauvage, que « la locomotive communiste renverse la vapeur » que « Lénine a avoué la défaite des soviets sur tout le front économique » et que « comme tous les généraux vaincus, il opère sa retraite stratégique. »
Je ne sais rien de plus poignant que la sincérité profonde de ces chefs bolcheviks, d'un Lénine en particulier, qui, faisant publiquement l'examen de leurs erreurs, de leurs fautes et de leurs malchances, osent reconnaître qu'ils ont parfois devancé l'heure fatidique, que le pouvoir des soviets sur le terrain économique a subi « une défaite bien plus grave » que toutes ses défaites militaires et que le relèvement de la production a été empêché « par les réquisitions dans les villages et par l'introduction des méthodes communistes dans les villes... »
Pour oser dire de telles choses, pour ne pas reculer devant de tels aveux, il faut à un Lénine plus de viril courage qu'il ne lui en a fallu pour tenter contre toute espérance l'insurrection du 7 novembre. Mais le journal de Jean Longuet n'est pas sensible à de pareilles grandeurs. Tant la haine du bolchevisme peut éteindre, en certaines âmes, jusqu'au sentiment de la simple solidarité révolutionnaire !
Les prolétaires qui par le vaste monde répondent en ce moment à l'appel de l'Internationale, ne se demandent pas si la République des soviets a plus ou moins exactement réalisé le communisme. Leurs pères de 71 « n'attendaient pas de miracles de la Commune... Ils savaient — comme l'a dit Marx — que pour réaliser leur propre émancipation ils auraient à traverser de longues luttes et toute une série de progrès historiques qui transformeront les circonstances et les hommes ». Les prolétaires de 1921 n'attendent pas davantage de miracles de la dictature du prolétariat. Ils ne croient pas au miracle, mais à l'effort patient, au labeur héroïque des hommes et des idées. Ils savent que le communisme ne sera pas l'œuvre d'un jour, « qu'on ne l'introduit pas par des décrets du peuple », qu'il se réalise lentement au cours d'un processus créateur auquel s'appliquent à merveille les mots d'évolution révolutionnaire dont on s'est trop souvent, chez les opportunistes, servi sans rime ni raison.
Les prolétaires savent tout cela ; ils n'en chérissent pas moins la Révolution soviétique ; ils la chérissent parce qu'elle souffre et ils l'admirent parce qu'elle persévère. Ils s'identifient avec elle comme le sans-culotte de l'an II s'identifiait avec la République ; elle est comme la chair de leur chair et le sang de leur sang. Et les applaudissements qui iront à elle, au jour du quatrième anniversaire, feront justice des ricanements haineux et des exégèses perfides de ceux qui l'embrassaient hier et qui, s'ils le pouvaient, l'étoufferaient aujourd'hui.
- ↑ Arthur Ransome (1884-1967), écrivain britannique. Six semaines en Russie en 1919 avait paru en 1919 aux éditions Librairie de l'Humanité.
- ↑ George Lansbury (1859-1940), homme politique britannique. Député en 1910-1912 et 1922-1940. Leader du parti travailliste de 1932 à 1935. Un recueil, intitulé Ce que j'ai vu en Russie avait paru en 1920 aux éditions Librairie de l'Humanité.
- ↑ Etienne Antonelli (1879-1971), économiste et homme politique français, député SFIO en 1924. Auteur de La Russie bolcheviste, Grasset, 1919.
- ↑ Joseph Paul-Boncour (1873-1972), alors député socialiste.
- ↑ Georges Sorel (1847-1922), auteur de Réflexions sur la violence.