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Special pages :
Remarques d’un lecteur IV
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 16 mars 1916 |
Publié dans La Guerre et la Révolution. Paris 1974, pp. 146-148
Cervantes et Swift
Trois cents ans se sont écoulés depuis la mort de Cervantès. Cela provoque de nombreux articles dans les journaux des camps belligérants. On pourrait y voir la force des questions culturelles et historiques de l’humanité si… c’était possible… On regarde Cervantès à peu près comme on le fait pour les « hauts » monuments de l’Art; on les estime maintenant du point de vue suivant : que valent-ils comme observatoires, sont-ils bons pour obtenir un bon pointage ?
Le créateur de Don Quichotte a été mobilisé en qualité d’agitateur au bénéfice des journaux des Puissances en guerre. Si les chrétiens des deux camps hostiles se coiffent du casque au nom du Sauveur, pourquoi les motifs manqueraient-ils aux historiens d’épargner Cervantès ? Mais l’affaire ne s’est pas limitée à la littérature historique. Le ministre des Affaires étrangères allemand a passé une nuit blanche en se « penchant » sur les aventures du Chevalier de la Manche, et le lendemain a convoqué le correspondant espagnol pour lui confier ses impressions – qui font autorité – sur les qualités supérieures de l’œuvre de Cervantès. Le Junker-diplomate n’ignore rien de la signification du facteur subjectif à côté d’autres moyens plus matériels et il estime indispensable de flatter la vanité nationale du « fier hidalgo ». En apprenant cette interview diplomatico-littéraire, la presse française est devenue verte d’envie ! Parmi les ministres « capables », sans portefeuille (ce qui ne les surmène pas), il y en a qui ont assez bonne mémoire pour supporter une interview au sujet de Don Quichotte…
Mais il faudrait aussi rafraîchir leurs mémoires quant à l’auteur de Gulliver, Jonathan Swift, ce contempteur de la bassesse humaine. L’an prochain, il y aura 250 ans que Swift est né. Tous ces diplomates et ministres si cultivés savent que Swift a lutté pour les droits des Irlandais, qu’il est né et mort à Dublin. Il serait intéressant de savoir si les canons de Lloyd George ont démoli les maisons que Swift habita. Nous n’osons affirmer que cela influencera la destinée lointaine du « Home Rule », mais nous ne doutons pas que l’esprit misanthropique de Swift pourra s’y exercer à l’aise. Faites vos jeux, messieurs !
« La loi de la mécanique »
La guerre des Balkans (elle aussi est appelée libératrice) a débuté par l’établissement de la censure; les bouches à feu reçoivent la faculté de proclamer les commencements de la liberté, seulement quand les bouches humaines sont munies de solides bâillons. Le gouverneur de Sofia (la Bulgarie, elle aussi, mène la lutte de la civilisation contre la barbarie) a frappé la table de sa cravache en criant au rédacteur du Rabotchi Viestnik : « Je te rédigerai le journal sur le dos… » Ce gouverneur est un voleur bien connu, ce qui ne l’empêche pas de mettre la « guerre libératrice » à l’écart de toute critique socialiste en particulier et de tout effort de la cervelle humaine en général. Quand on voit que la presse et « l’opinion générale » s’inclinent devant la censure à cravache, on ne peut que considérer avec méfiance la démocratie-chrétienne. Nous avons donc énormément appris, [Ici vingt lignes censurées…]
Si quelqu’un dans la presse française mène le combat contre les « bouches bâillonnées », c’est bien Clemenceau. Il se regarde comme membre de la corporation qui est appelée à bâillonner les autres et il éclate en fureur quand un des fonctionnaires, qui demain lui seront subordonnés, censure ses articles. (Remarque : il est plus facile de censurer que d’écrire.) Quand Clemenceau est furieux, rien n’est sacré pour lui. Quand Viviani ferma Goloss, appliquant les décrets de sa propre censure, Clemenceau ne broncha pas. Il ne souleva pas une seule fois la question de la censure au Sénat, ne désirant pas que les parlementaires lui fassent des difficultés à l’avenir. Mais on ne peut nier que Clemenceau, l’Homme enchaîné, et qui cherche à enchaîner les autres, ne jette à la face des puissants du jour quelques avertissements bien mérités.[1]
« La pensée collective travaille lentement… les hommes sont au front, les vieux et les femmes sont réduits à la passivité… Mais quand nous arriverons au bout de cette guerre cruelle, nous aurons passé par des épreuves qui auront accru notre réceptivité. Qui peut prévoir les formes que prendra notre réaction à nos souffrances ? A leur retour, nos héros ne voudront-ils pas, en premier lieu, savoir et juger ? Les mères, les femmes, les enfants feront le compte des victimes, des morts et des mutilés. Ce sera l’heure de la prise de conscience et les bâillonneurs n’auront plus qu’à se terrer ! D’ici-là, quelque chose se produira dans les tranchées. L’accumulation des pensées, trop longtemps retenues, exige une explication au grand jour. La loi de la mécanique nous enseigne qu’à l’action succède la réaction. »
Clemenceau peut évidemment se tromper en spéculant sur le fait que la « loi de la mécanique » résoudra son problème majeur : prendre le pouvoir ! Mais lui au moins il prévoit l’écroulement catastrophique dans l’esprit des masses et en ceci réside sa supériorité sur de nombreux fantoches politiques.
Deux grandeurs… la troisième à part…
Dans un de ses articles de Prisiv, Plékhanov a « dégradé » Grimm en le nommant « monsieur », car ce dernier ne reconnaît pas la défense de la patrie, alors que Gustave Hervé est appelé « camarade » pour son refus viril des vieux préjugés de l’anti-patriotisme. Donc en France, Hervé devient le camarade de Plékhanov, de même que Mussolini en Italie et Heydemann en Angleterre, tous transfuges du Parti. Un point reste cependant obscur : qui est le camarade de Plékhanov en Allemagne ? Il est impossible qu’il ne se trouve pas, dans toute la Social-démocratie allemande, un homme ne possédant pas les droits au titre de camarade sur le même plan que Mussolini et Hervé. Il est vrai que le bras droit de Hyndman, Adolphe Smith, estime que l’Internationale doit se limiter aux « nations libres », excluant les socialistes vivant sous le joug des Hohenzollern : cela lui va bien à cet « authentique anglais » de se réclamer de ses ancêtres, de même qu’en France fleurit le parlementarisme ! Mais les ancêtres de Plékhanov ? En quoi ont-ils favorisé la liberté ? On peut, bien sûr, établir une notion de liberté telle qu’elle englobe Tachkent et exclut Berlin : mais le problème n’est pas aisé et proclamons l’ingrate vérité. Si l’on n’exclut pas les nations « non libres », qui peut-on appeler d’Allemagne pour rejoindre la cohorte des camarades de Plékhanov ? La réponse la plus exacte nous est fournie par Hervé lui-même. Dans sa série d’articles du mois d’avril, il rejette la responsabilité de la guerre sur la lutte des classes et prône le développement sauveur d’un authentique national-socialisme en France et en Allemagne. « Le seul moyen d’éviter cette épouvantable guerre aurait été la transformation de la Social-démocratie en un parti national-socialiste, tel que veut le faire Südekum avec l’appui de la majorité des socialistes allemands, lui qui est mille fois plus intelligent et réaliste que Haase. Ce parti aurait dû s’unir aux partis de gauche bourgeois pour établir un régime parlementaire… » (Victoire, n° 93.) Ainsi Hervé vient de reconnaître que son héritier spirituel en Allemagne est Südekum Du moment que Plékhanov regarde Hervé comme son émule, il s’ensuit que nous avons devant nous deux « géants », le troisième à part. Il s’ensuit que l’héritier spirituel de Plékhanov n’est autre que Südekum. Nos lecteurs savent que nous l’avions deviné. Nous en avons maintenant la confirmation mathématique.
- ↑ Clemenceau changea le titre de son journal, L’Homme libre, contre celui de L’Homme enchaîné, en guise de protestation contre la censure, qui en cette période ne le servait pas, mais lui était hostile.