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Special pages :
Problèmes d’état civil
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 12 avril 1939 |
Chers Amis
Je vous ai envoyé copie de ma lettre à Gérard[1]. Nous avons ramassé, avec Van, toutes les preuves à notre portée. Les coupures allemandes sont doublement importantes à cause du communiqué de la préfecture de police basé sur les documents soviétiques. « Volkova, née Bronstein », cela épuise les deux questions, c'est‑à‑dire la légitimité des deux mariages. Il y a naturellement dans les coupures des fautes de détail, comme toujours dans la presse, mais l'essentiel est indéniable. D'autre part, les mêmes coupures racontent comment le consulat soviétique a confisqué le passeport de Zinaida. La vérification à Berlin, par la voie diplomatique, serait en cas de nécessité absolue tout à fait possible. Van suggère que l'on pourrait tout simplement demander à Berlin le certificat de décès de Zinaida ; on aurait ainsi un document authentique.
La question de la légitimité de mon mariage avec Natalia n’est pas en cause, mais Jeanne Molinier, en d'autres occasions, a essayé aussi de mettre en discussion la question de savoir si Léon Sedov était mon fils légitime. Cela peut avoir peut‑être de l’importance, en liaison, sinon avec Siéva, du moins avec les archives. Je tiens donc à souligner que Léon est né, certes, lorsque nous n'étions pas mariés officiellement, que c'est pourquoi lui, comme Serge, portaient le nom de Sedov, mais que, sous le régime soviétique, notre union fut légalisée et que, pour ne pas faire changer les enfants de nom, je pris pour nom civil le nom de ma femme, Sedov, ce qui était absolument en accord avec la législation soviétique[2]. Tout cela est prouvé par les passeports qui nous ont été délivrés à Moscou lors de notre déportation, avec les noms de Léon Sedov, Natalia Sedova, et Léon Sedov fils.
Vous me demandez la date et le lieu du mariage de Zinaida, ainsi que la législation soviétique en la matière. Pour ce qui est de la législation, elle était extrêmement simple. Chaque soviet avait une section pour l'inscription des actes de l'état civil (Z.A.G.S.). Pour le divorce comme pour le mariage, il suffisait que le couple s'identifiât et déclarât sa volonté de divorcer ou de se marier. L'inscription dans les livres des actes d'état civil était, avec les signatures, la seule formalité. C'est précisément à cause de la simplicité de cette procédure que ni la date ni le lieu ne sont restés ni dans ma mémoire ni dans mes papiers. D'ailleurs, peu après le mariage, le couple[3] quitta Moscou pour la Crimée. Mais je suppose que la police allemande a dû inscrire dans ses registres toutes les indications nécessaires. Vous écrivez que tout la construction de Jeanne Molinier ou, pour mieux dire, de ses inspirateurs, est basée « sur l'illégitimité des unions de L.D. et de sa famille ». Le plus curieux, c'est que la seule union qui n'ait pas été légalisée est celle de Léon et de Jeanne et c'est Jeanne précisément qui s'érige en justicière contre notre famille « illégitime ».
Nous avons fait le possible pour que Natalia puisse aller à Paris et ramener Siéva. Avant‑hier, Bonnet[4] nous a répondu par la négative. Il serait trop dangereux de laisser le petit attendre jusqu'au mois d'août, c'est‑à‑dire jusqu'au congé de Marguerite. Il ne reste qu'à trouver une personne absolument sûre pour le voyage. Je ne doute pas que toutes les mesures de précautions contre le gangstérisme seront prises. Le moment le plus délicat est celui de l'embarquement. Je crois qu'il faut une solide escorte. Vous déciderez vous-mêmes des modalités du voyage. S'il arrivait qu'il y ait manque d'argent, télégraphiez à New York à l'adresse suivante : Kluger[5], Apt LJ7, 10 Monroe Street, New York, en indiquant la somme nécessaire.
Natalia avait caressé l'espoir de vous revoir bientôt. Mais son voyage est maintenant impossible. Nous considérons votre venue en août comme absolument sûre. Août et septembre sont encore des mois de pluie, mais le climat est néanmoins bon et, malgré un confort assez relatif, vous pourrez, nous l'espérons, bien vous reposer tous deux, sans parler de la joie de nous revoir encore une fois. Espérons que, malgré tout, la guerre n'éclatera pas avant août. Il semble malheureusement qu'elle puisse éclater chaque jour. C'est une raison de plus pour envoyer le petit aussi tôt que possible.
J’ai tant d'amis connus et inconnus à remercier. Premièrement, la famille où se trouve le petit. Vous me la nommerez à temps pour que je puisse au moins écrire. Remerciez aussi chaleureusement en mon nom Daniel Martinet[6]. Je revois toujours Marcel[7] tout jeune, avec sa barbe rougeâtre, et voilà que son fils chirurgien examine mon petit‑fils.
J'avais oublié de mentionner que nous avons envoyé il y a deux jours un câble dont je vous joins le texte.
- ↑ Voir lettre du 10 avril 1939.
- ↑ La loi soviétique instituée au lendemain de la révolution d'Octobre permettait aux parents de prendre et de donner aux enfants le nom de l'un ou l'autre des conjoints, et, plus tard, aux enfants de confirmer ou infirmer ce choix.
- ↑ Il s'agit du couple Volkov, Platon et Zinaida.
- ↑ Georges Bonnet (1889‑1973), radical‑socialiste, était ministre des affaires étrangères du gouvernement Daladier.
- ↑ Pearl Kluger (née en 1912) avait joué un rôle important dans la défense de Trotsky et le travail de la commission d'enquête.
- ↑ Daniel Martinet (1913‑1976) était le fils du poète Marcel Martinet.
- ↑ Marcel Martinet (1877‑1944), écrivain et poète, avait été membre du au de La Vie ouvrière et du premier noyau communiste ; diabétique, il avait dû abandonner toute activité réelle en 1923 mais avait « repris du service » au moment des procès de Moscou.