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Special pages :
Préface à la brochure de Lénine « Des amendes »
Auteur·e(s) | Solomon Lozovski |
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Écriture | 12 janvier 1934 |
La présente brochure a été écrite par Lénine il y a 38 ans, à l’aube du mouvement ouvrier marxiste de Russie.
C’est un excellent exemple de vulgarisation d’un problème complexe, et c’est aussi la divulgation magistrale des chicanes juridiques.
Pas à pas, Lénine explique les différents chapitres et paragraphes de la loi, les raisons qui l’ont fait naître, les formes et les méthodes de son application par les capitalistes et le gouvernement tsariste. Que but Lénine s’était-il proposé en écrivant cette brochure de vulgarisation, cet ouvrage illégal ? Inciter les ouvriers à méditer sur le caractère de classe du contenu de la loi, sur ses origines, et aussi sur le fait que le gouvernement, en la promulguant, s’est préoccupé des capitalistes et uniquement d’eux.
La brochure, écrite en un style extrêmement simple, populaire, sans phrases grandiloquentes, s’assigne comme tâche d’éclairer l’ouvrier illettré ou semi lettré sur la nature sociale de la législation des fabriques, au temps du tsarisme. Le contenu des lois tsaristes a évidement vieilli. Certes, la législation est plus progressive en France qu’elle ne l’était en Russie tsariste il y a trente-huit ans. Mais si l’on examine à fond la législation française du travail, on verra combien d’expédients elle permet, quelle tromperie éhontée et que de chicanes juridiques se cachent au fond de la législation ouvrière de la IIIe République.
Au surplus, il faut tenir compte de l’énorme quantité d’éclaircissements de toutes sortes apportés par le Conseil d’État et tous les autres organes de la justice française. La bourgeoisie a amoncelé des lois où chaque ligne, faisant bénéficier les ouvriers d’un droit quelconque, est suivie par des centaines d’autres lignes qui en limitent l’application.
Notre littérature du Parti, notre littérature syndicale possèdent elles en France beaucoup de brochures à la portée des grandes masses, traitant d’une façon claire, précise, ces questions concrètes ? Très peu. Cela tient à ce que beaucoup de nos journalistes, de nos littérateurs, s’imaginent qu’il est au-dessous de leur mérite de communiste de traiter des questions aussi simples, preuve que ces camarades n’ont pas une idée bien exacte des méthodes et des formes léninistes de la lutte pour la conquête des masses.
Les questions relatives à la législation ouvrière touchent de près les intérêts des ouvriers. Le Parti et les syndicats doivent sans relâche expliquer aux ouvriers ce qu’est en réalité telle ou telle loi dite ouvrière, ainsi que la façon dont les capitalistes tournent et mettent à profit la législation du travail.
Si nous prenons une usine française d’aujourd’hui, nous voyons que le pouvoir absolu du patron et de ses agents s’appuie sur tout un système ramifié d’espionnage et de provocations, sur des menaces de renvoi, sur la répression policière. Le règlement intérieur dans des usines comme Citroën, Renault, dans les fabriques textiles du Nord ou les usines sidérurgiques de l’Est, n’est autre chose qu’une camisole de force. Chaque paragraphe frappe les ouvriers.
Nos syndicats s’occupent-ils du règlement intérieur ? Ont-ils étudié cette question ? Possédons nous des brochures qui nous éclairent sur ce point ? Toutes ces créations du génie capitaliste ont-elles été mise à jour devant les masses ouvrières pour être clouées au pilori et afin d’alerter les ouvriers pour la lutte ?
Évidemment, les matériaux existent, mais ils sont pauvres. Nos militants des syndicats ne prêtent pas attention à ce coté de la question. S’occuper du règlement intérieur des usines, veiller jour par jour à la situation des ouvriers, ne pas se laisser entortiller par le système complexe des salaires, lutter pour l’augmentation de ces derniers, tout cela leur paraît du réformisme. Il leur semble que les révolutionnaires ne doivent pas s’occuper de questions prosaïques de ce genre.
Cette brochure de Lénine montre comment les vrais révolutionnaires s’occupent des petites questions quotidiennes de la vie ouvrière. Personne ne soupçonnera Lénine d’oublier les intérêts généraux de classe ; personne ne prétendra qu’il s’occupe des menus problèmes aux dépens de ceux dont l’importance est générale, parce que les multitudes savent comment Lénine combinait la bataille pour les revendications quotidiennes et la lutte pour le but final.
Lénine savait que la tâche primordiale est d’expliquer à l’ouvrier sa situation, d’attirer constamment son attention sur ce qui le tourmente le plus, de faire sortir de l’immense arsenal asservisseur de la bourgeoisie ce qu’en ce moment précis l’ouvrier a le plus grand mal à accepter, et de montrer le lien qui rattache ce fait isolé à la nature de classe de la société donnée.
La loi sur les amendes, c’est déjà de l’histoire ancienne pour la classe ouvrière de l’URSS. Mais la méthode léniniste de traiter les masses n’a pas le moins du monde vieilli. C’est ce qui, précisément, manque à nos camarades dans les pays capitalistes, où l’on penche tantôt d’un coté, tantôt de l’autre, à savoir : ou bien seulement la bataille pour les revendications immédiates, ou bien seulement la lutte pour le but final du prolétariat. Or, ces « ou bien » entravent sensiblement le progrès du mouvement syndical révolutionnaire.
La présente brochure de Lénine montre comment les grands révolutionnaires savent combiner la bataille pour les revendications de tous les jours avec la lutte pour le but suprême.
Et c’est la raison pour laquelle nous croyons utile d’éditer cette brochure en France, trente-huit années après sa parution en Russie.