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Special pages :
Lettre à la SDN, 21 mars 1938
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 21 mars 1938 |
Tribunal contre le terrorisme
Le 22 octobre 1936, par l’intermédiaire de mon avocat norvégien, feu Michael Puntervold, j’ai eu l’honneur de faire appel à vous dans une lettre dont vous avez bien voulu m’accuser réception dans votre réponse n° 3 A-15105-15085. Je n’ai aucune information sur l’état actuel de la question de la création d’un tribunal sous l’égide de la Société des nations contre les terroristes. Je ne sais pas s’il existe déjà ou si on prévoit qu’il va commencer à fonctionner dans un proche avenir. En tout cas, j’estime de mon devoir, non seulement de répéter les considérations que j’ai eu l’honneur de porter à votre attention il y a presque un an et demi, mais aussi d’y ajouter une nouvelle proposition tout à fait concrète.
C’est le gouvernement soviétique qui est à l’origine de la création sous l’égide de la Société des Nations d’un tribunal contre le terrorisme. Le commissaire du peuple aux affaires étrangères de l’U.R.S.S., M. M. Litvinov, a manifesté lors des séances de la S.D.N. un vif intérêt, qui pouvait sembler alors inexplicable, pour cette question. La question était pourtant claire pour les gens informés même à cette époque. Préparant depuis plusieurs années le procès contre les « terroristes trotskystes », le G.P.U. était pleinement convaincu que les monotones « aveux » des accusés persuaderaient le monde entier, y compris le futur tribunal de la S.D.N., de la justesse des accusations et lui donnerait ainsi une chance légale que moi-même et mon fils Léon Sedov lui soyons livrés. C’était là l’objectif immédiat et direct de l’initiative de Moscou sur la question du tribunal international.
Dans ma lettre du 22 octobre 1936, j’ai exprimé l’idée qu’un tribunal destiné à la défense des gouvernements de différents pays contre les terroristes ne pouvait par ailleurs refuser de défendre des personnes individuelles si, du fait de motifs purement politiques, elles se trouvaient faussement accusées de terrorisme par un gouvernement mal intentionné. Je considérais alors et je considère toujours que j’ai le droit de plaider un examen de mon cas par le futur tribunal sous la S.D.N. en dépit du fait que le gouvernement soviétique a apparemment définitivement renoncé à l’idée de chercher du secours à Genève contre mes prétendues « conspirations ».
La commission internationale impartiale dirigée par le philosophe et éducateur américain bien connu, John Dewey, après presque neuf mois de travail, a conclu finalement, sur les procès de Moscou, que ces derniers constituaient des impostures délibérées. Armé des preuves nombreuses et irréfutables dont dispose la commission en question, je suis prêt à tout moment à comparaître devant le tribunal de la Société des Nations pour transformer une fois de plus et définitivement mes accusateurs en accusés.
Mais je me permets de penser qu’à présent il est déjà impossible de se contenter de cette initiative. Pendant les six derniers mois, le monde a été le témoin d’actions terroristes réelles accomplies dans différents pays selon un plan général et conformément à un objectif unique. Je pense non aux assassinats légaux et extra-légaux en U.R.S.S. où il s’agit d’une façon ou d’une autre d’actions légalisées de l’appareil d’État, mais d’actes de banditisme pur et simple sur l’arène internationale.
Le meurtre d’Ignace Reiss, ancien agent du G.P.U., le 4 septembre 1937, près de Lausanne en Suisse, ne peut d’aucune façon être considéré comme une action légale. Les autorités suisses et françaises disposent de données complètes et exhaustives qui révèlent le véritable organisateur du meurtre, le G.P.U., la police secrète de l’U.R.S.S.
Pendant l’enquête judiciaire sur le meurtre d’Ignace Reiss, il a été révélé au passage que la même bande, qui espionnait systématiquement mon fils Léon Sedov, a tenté de le tuer à Mulhouse en janvier 1937. Quel rôle le G.P.U. a-t-il joué dans la mort soudaine de mon fils le 16 février de cette année? Une enquête est en cours.
Parmi les documents trouvés chez le principal meurtrier d’Ignace Reiss, un soi-disant Rossi, qui a réussi à temps à s’enfuir, on a trouvé des preuves de ses tentatives de pénétrer au Mexique pour des objectifs pas difficiles à comprendre sur la base des circonstances mentionnées plus haut. Le véritable nom de ce tueur professionnel au service du G.P.U. est Roland Abbiatte.
Des témoins à l’autorité inattaquable peuvent raconter au tribunal la préparation, par des agents du G.P.U., d’actions terroristes dirigées contre moi pendant mon séjour en Europe et au Mexique. Je peux de plus mentionner l’enlèvement en Espagne de mon ancien collaborateur, Erwin Wolf, un citoyen tchécoslovaque qui a disparu sans laisser de trace, les actions terroristes en Espagne contre le révolutionnaire catalan Andrés Nin, l’émigré autrichien Kurt Landau, le fils d’un émigré russe, Marc Rein7 et bien d’autres individualités, qui ont reçu une publicité mondiale. La seule partie de l’instruction légale ou illégale qui a été jusqu’à présent accessible à l’opinion publique suffit entièrement pour justifier l’intervention d’un tribunal international contre une mafia centralisée de terroristes à l’œuvre sur le territoire de plusieurs États étrangers.
Au moyen de documents, témoignages et d’irréfutables considérations politiques, je me fais fort d’apporter la preuve de ce dont l’opinion publique ne doute plus depuis quelque temps, à savoir que le chef de cette bande criminelle ®st Joseph Staline, secrétaire général du parti communiste de l’U.R.S.S.
Dans la mesure où le commissaire du peuple aux affaires étrangères, M. Litvinov, a insisté avec beaucoup d’éloquence sur la nécessité pour les gouvernements de s’engager mutuellement à l’extradition des terroristes, nous pouvons espérer qu’il ne refusera pas d’employer son influence pour mettre le susnommé Joseph Staline, en tant que chef d’une bande internationale de terroristes, à la disposition de la Société des Nations.
Pour ma part, je suis prêt à mettre toute mon énergie, mes informations, mes documents et mes relations personnelles à la disposition du tribunal afin que la vérité puisse être totalement révélée.