Lettre à Kliment Vorochilov, 3 septembre 1936

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J'ai reçu ton affreuse lettre. Ma lettre se terminait par « Je t'embrasse ». La tienne se termine par « salaud[1]». Que puis-je écrire après ça ?

Chacun a - ou devrait avoir - sa fierté. Ce que je voudrais, c’est effacer un malentendu politique.

Je t'ai écrit une lettre personnelle (ce que je regrette aujourd'hui). J'étais dans un état intérieur tourmenté ; calomnié, je t'ai écrit parce que tu es un grand homme ; je devenais fou à la seule pensée que quelqu'un puisse croire que j'étais coupable.

Et voilà, en criant mon innocence, j'écrivais :

Si vous croyez que je « n'étais pas sincère » (que je n’étais pas sincère quand j'écrivais les articles sur Kirov), et si vous me laissez en liberté, alors nous n’êtes que des lâches, etc.

Et plus loin, j'écrivais: « Et si vous-mêmes, vous ne croyez pas ce qu'a raconté Kamenev, etc ». Penses-tu vraiment que je crois que vous êtes des lâches ou que je qualifie de lâche la direction du Parti ? Mais non, je dis le contraire. En écrivant ça, je dis: « Comme tout le monde sait que vous n'êtes pas des lâches, donc vous ne croyez pas que j'aie pu écrire des articles qui n'étaient pas sincères ». On ne peut pas comprendre différemment ma lettre !

Et si j'ai écrit ce que j'ai écrit de manière si confuse que tu as pu croire que j'attaquais la direction - alors sache que je retire tout ce que j'ai écrit, plutôt trois fois qu'une, et sache que je ne voulais pas dire ce que tu as pensé.

Je considère la direction du Parti remarquable. Dans ma lettre, sans exclure la possibilité que vous vous trompiez à mon égard, je t'ai écrit: « Il existe des cas, dans l’Histoire, où des gens remarquables et des hommes politiques excellents commettent des erreurs d'ordre privé ». Est-ce que je ne t'ai pas écrit ça ? C'est ainsi que je réagis vis-à-vis de la direction. J'ai reconnu depuis très longtemps mes erreurs et cette réalité, et je le répéterai autant qu’il le faudra. Et j'ose croire qu'au cours des dernières années j'ai démontré amplement ma loyauté.

En tout cas, je te demande d'effacer ce malentendu-là. Je te prie de m'excuser pour ma dernière lettre et désormais je ne t'importunerai pas avec d'autres lettres. Je suis à bout de nerfs. C'est ce qui explique ma dernière lettre. Et pourtant, il me faut attendre la fin de l'instruction avec le plus de sang-froid possible. Je suis convaincu que l'instruction démontrera que je n'avais rien à voir avec ces bandits. Car telle est la vérité. Adieu.

Boukharine

  1. En réponse à la lettre de N. Boukharine du 31 août 1936, K. Vorochilov envoya à N. Boukharine, le 3 septembre, ces quelques lignes : « Au camarade Boukharine. Je te renvoie ta lettre, dans laquelle tu t’es permis d'ignobles attaques contre la direction du Parti. Si tu voulais par ta lettre me convaincre de ton innocence, tu ne m’as, pour l'instant, convaincu que d'une chose - me tenir le plus loin possible de toi, indépendamment des résultats de l’instruction engagée à ton encontre. Si tu ne retires pas, par écrit, les qualificatifs exécrables que tu as proférés contre la direction du Parti, je considérerai, en plus, que tu es un salaud ». K. Vorochilov. K Vorochilov envoya, le 4 septembre, les deux lettres de Boukharine et la réponse qu'il lui avait faite à Staline. Celui-ci, le même jour, envoya ces documents à Molotov avec le commentaire suivant : « Cam. Molotov. Je trouve la réponse de Vorochilov excellente... ». Le 7 décembre 1936, K.Vorochilov écrivit à Staline : « A la réunion du Plénum du CC, le cam. Molotov a mentionné la lettre que m'avait envoyée Boukharine et a fait état de ma réponse. Je vous prie d’envoyer à tous les membres du CC une copie de cette correspondance, pour information ».