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Special pages :
Lettre à Kliment Vorochilov, 31 août 1936
Auteur·e(s) | Nikolaï Boukharine |
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Écriture | 31 août 1936 |
CRCEDHC, fonds 329, inv. 2, dos. 6, pp. 10-13, in Istocnik, 1993, n°2, pp. 14-15.
Cher Klement Efremovitch,
Tu as sans doute déjà reçu la lettre que j'ai adressée aux membres du Politburo et à Vychinski, je l'ai envoyée cette nuit au secrétariat du cam. Staline avec prière de faire circuler. J'y ai écrit l'essentiel en rapport avec les accusations monstrueusement lâches de Kamenev à mon encontre. En t'écrivant, j'éprouve une sensation d'irréalité : est-ce un cauchemar, un mirage, une hallucination ? Suis-je dans un asile de fous ? Mais non, c'est bien la réalité.
Je voudrais vous demander une question simple : vous croyez vraiment tout ça ? Pour de vrai ?
Prenons par exemple les articles que j'ai écrits sur Kirov [1]. A ce propos, quand j'étais en disgrâce (d'accord, je l'avais mérité), je suis tombé malade à Léningrad, eh bien Kirov est venu me rendre visite et il est resté une journée entière avec moi, il s’est occupé de moi, m'a prêté son wagon spécial pour que je rentre à Moscou. Il a fait tout ça avec une telle gentillesse, que je m'en souviendrai jusqu’à la fin de mes jours. Alors, après ça, vous pensez vraiment que je n'étais pas sincère quand j'ai écrit ces articles sur Kirov ?
Posez honnêtement le problème. Si je n'étais pas sincère, alors il faudrait aussitôt m’arrêter et m’éliminer ; car on ne peut pas tolérer de salauds pareils au sein du Parti. Si vous pensez : « il n'est pas sincère », mais vous me laissez quand même en liberté, alors vous êtes des lâches, et vous ne méritez pas qu'on vous respecte.
Mais si vous ne croyez pas ce qu'a dit Kamenev, cet assassin cynique, ce type ignoble, cette charogne, alors pourquoi acceptez-vous des résolutions du type de celles que votent des organisations du Parti (comme celle de Kiev[2]) qui disent que «j'étais au courant » de je ne sais quoi ? A qui sert alors l'instruction, la légalité révolutionnaire etc ? En effet, si la direction régionale communiste de Kiev affirme : « il savait », comment le juge d'instruction pourrait-il dire: « il ne savait pas », puisque « le Parti a dit »: « il savait » ?
Je comprends que puisqu'une déclaration pareille a été faite publiquement lors du procès (encore qu'il est peu probable qu'une telle déclaration soit « apparue » soudainement - où était-elle au moment de l'instruction ? et pourquoi ne m'a-t-on pas convoqué alors ?), c'est qu’elle découlait de l'instruction. En ce cas, il faut la mener jusqu'au bout, ne pas se hâter et ne pas discréditer la légalité révolutionnaire.
Tu as dit que les « droitiers » prêtaient main-forte aux trotskystes-zinoviévistes (dans ton discours à propos de S. Kamenev [3]). Aujourd'hui, cette affirmation est devenue un slogan politique. Peut-être pour toi, ce n'est pas si simple, mais les masses, elles, ne comprennent pas toutes ces subtilités. Dis-moi, toi, tu crois vraiment à toutes ces monstruosités ?
Si vous croyez ces choses-là, ne traînez pas l'affaire et réglez-moi mon compte rapidement. Il y a dans l'Histoire de nombreux exemples où des gens remarquables et des politiciens excellents ont commis des erreurs fatales dans des « affaires privées ». Eh bien, je serai ce coefficient d'erreur. Sub specie historiae (du point de vue de l'histoire), c’est un point de détail, un sujet littéraire.
Je te dirai - tant que je garde un peu de jugeote - que du point de vue international, il est absurde d’élargir la base de ces salauds (ce serait aller au-devant des désirs de crapules du type Kamenev - ce qu'ils voudraient justement prouver, c'est qu’ils ne sont pas isolés). Mais, bon, je ne vais pas parler de ça, vous pourriez penser que j'essaie de plaider ma cause au nom des intérêts de la grande politique...
Ce que je veux, c'est faire triompher la vérité. Et la vérité, elle est de mon côté. Même si j'ai péché devant le Parti, et Dieu sait si j'ai souffert des conséquences de mes péchés.
Mais je le crie et je le répète, tout au cours des dernières années, j'ai défendu avec une immense conviction intérieure la politique du Parti et la direction de Koba, et je l'ai fait sans flagornerie.
Que c'était merveilleux l'autre jour de voler au-dessus des nuages - moins 8 degrés, l'azur pur comme du diamant, la sérénité des espaces infinis...
Je t’ai peut-être écrit des absurdités. Ne te fâche pas contre moi. Peut- être, vu les circonstances, te sera-t-il désagréable de recevoir de moi une lettre - tout est possible.
Mais « à tout hasard », je voudrais te répéter, à toi (qui a toujours été très chic envers moi) : ta conscience doit être absolument en paix : je ne t'ai jamais compromis : en vérité, je ne suis coupable de rien, et, tôt ou tard, on le reconnaîtra, malgré tous les efforts qui sont faits pour salir mon nom.
Pauvre Tomski ! Il s’est sans doute « embrouillé » - je ne sais pas [4]. C'est possible. Il vivait seul. Si j'étais allé le voir, il aurait moins déprimé et il ne se serait peut-être pas « embrouillé ». Qu'elle est compliquée la destinée humaine !
Mais tout ça - c'est du lyrisme. Alors que ce qui est en jeu, c'est la politique, chose au demeurant fort peu poétique et plutôt cruelle.
Qu'on ait fusillé ces chiens - j'en suis très heureux. Ce procès signe l'arrêt de mort politique de Trotsky ; ce sera bientôt évident pour tous.
Si je suis encore en vie quand la guerre éclatera - je voudrais aller au combat (ce n'est pas des fanfaronnades), je te demanderai un dernier service - trouve-moi une place dans l'armée, même comme simple soldat (et tant pis si je suis tué par une balle zinovieviste)
Je te conseille de lire les pièces de Romain Rolland[5] sur la Révolution française.
Excuse-moi pour cette lettre confuse. Mes pensées galopent comme des chevaux fous, et je n'ai pas de rênes solides pour les retenir.
Je t'embrasse, car ma conscience est pure.
Nicolaï Boukharine
- ↑ Après l'assassinat de Kirov, N. Boukharine publia trois articles sur le disparu dans les Izvestia, les 2, 6 et 22 décembre 1934. Lors du premier procès de Moscou, Kamenev et Reingold, tout particulièrement, accusèrent Boukharine d'être au courant des préparatifs de l'assassinat de Kirov, organisé par le soi-disant « Bloc des trotskystes-zinoviévistes ». Ces déclarations constituèrent le prétexte qui permit au Procureur général A. Vychinski d'ouvrir une enquête sur les principaux dirigeants de l'ancienne opposition dite « de droite », Boukharine, Rykov, Tomski, Ouglanov, etc.
- ↑ La Pravda publia, le 23 août 1936, une résolution de l'organisation du Parti communiste de Kiev, dirigée par P. Postychev, stigmatisant la « complicité » de N. Boukharine avec les « assassins trotskystes-zinoviévistes »
- ↑ Il s'agit du discours prononcé par K. Vorochilov lors des funérailles du général S. Kamenev, membre du Conseil de Défense de l’URSS. Ce discours fut publié dans la Pravda du 28 août 1936.
- ↑ Mis en cause dans les déclarations de Kamenev et de Reingold, M. Tomski se suicida 22 août 1936. La Pravda annonça son suicide le lendemain, expliquant ce geste par le fait que «Tomski s'était embrouillé dans ses relations avec les assassins terroristes trotskystes-zinoviévistes ».
- ↑ Il s'agit sans doute des pièces de R. Rolland Danton, Le 14 juillet, Le Dimanche des Rameaux, Le Triomphe de la Raison.