La théorie de la dictature du prolétariat

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« En fin de compte », toute théorie a des racines pratiques. Mais si c'est vrai à l'égard de toute science, c'est « vrai au carré » en ce qui concerne les sciences sociales. Elles sont une force motrice que tout le monde voit, une force qui oriente, aussi prend-on bien, en l'espèce, la mesure de cette idée de Marx : « La théorie aussi, dès qu'elle s'empare des masses, devient une puissance matérielle »[1].

Mais pour qu'une théorie mette en mouvement les masses dans la bonne voie, elle doit elle-même être une théorie juste. Pour cela, elle doit satisfaire à certaines exigences « méthodologiques » générales.

C'est ainsi que les théories sociales sont confrontées à l'impératif de l'historicité. En d'autres termes, toute période de développement social doit être comprise en fonction de traits qui ne lui sont propres qu'à elle seule.L'esprit d'une science sociale authentique répugne à une répétition sans suite de « vérités éternelles », au rabâchage insipide, digne des vaches savantes du libéralisme.

Il n'en demeure pas moins que ni les savants bourgeois, ni les hâbleurs creux constitués des « cadavres vivants » de feu la IIe Internationale[2] ne sont en mesure d'assimiler ce point de vue dialectique révolutionnaire en sa nature profonde. Nous en avons un échantillon typique avec Kautsky .

Avec l'avènement de l'époque impérialiste, l'histoire a assigné à la classe ouvrière une tâche qui est d'abord de comprendre le nouveau cycle de développement, puis d'y réagir d'une façon ou d'une autre. Mais Kautsky s'est trouvé totalement désemparé, et ce lamentable balbutiement, cette eau de rose (empoisonnée pourtant) qu'il a servis au prolétariat allemand se sont avérés, au plan théorique, relever de la prostitution du marxisme, pour aboutir, en pratique, à un reniement total. Kautsky n'a absolument rien compris aux particularités de l'époque impérialiste, à son caractère spécifique. La seule et unique chose qu'il a vue dans l'impérialisme est son caractère historiquement fortuit, une sorte de « péché » du développement du capitalisme, un phénomène pathologique que l'on pouvait guérir par des incantations et des formules visant à instituer les cours arbitrales et à appeler au désarmement, des formules empruntées à un pacifisme bourgeois minable. On connaît le résultat. Qui d'autre, sinon Kautsky, a effrayé les ouvriers en brandissant le spectre d'une « invasion ennemie » et a donné sa bénédiction à la politique des adeptes de Scheidemann, politique veule de « défense » d'une patrie bourgeoise pratiquant le brigandage.

Nous abordons maintenant une nouvelle période historique. La courbe du développement impérialiste, qui avait toujours été ascendante, commence à chuter de façon catastrophique. Nous entrons dans une époque de dépérissement du capitalisme, que suivra irrémédiablement la dictature du prolétariat, née dans les souffrances de la guerre civile.

Cette période est encore plus « malcommode » pour les âmes lâches et timorées. Tout vole en éclats, tout ce qui est vieillot, putride, caduque. En l'espèce il ne peut y avoir de place ni pour la théorie ni pour la pratique de l'âne de Buridan[3]. L'essentiel est ici de choisir et d'agir.

Et une fois de plus, nous voyons ce même Kautsky, préoccupé pendant toute la guerre de lécher — modérément il est vrai — les bottes des généraux, de prôner la « prudence », absorbé aujourd'hui par une noble tâche qui consiste à tirer sur les bolcheviks et à déverser des seaux d'ordures sur la République soviétique. Heureusement, il y est fortement encouragé par ses chefs. Si l'on considère ses « vues » — sit venia verbo — sous l'angle de la logique, on découvrira une fois de plus une totale inaptitude à l'analyse historique de la question, à l'envisager non du point de vue des phrases générales, mais dans l'optique de la dialectique révolutionnaire.

La République soviétique est une conquête majeure du prolétariat, il faut la considérer comme une forme de dictature du prolétariat, comme une forme particulière de pouvoir d'Etat, qui surgit inéluctablement à une certaine période historique, que tous ces messieurs Dan, Kerenski, Kautsky et autres Scheidemann le veuillent ou non.

Mais pour comprendre la légitimité historique de la dictature du prolétariat il faut, comme le disent les Allemands, « ventiler » d'abord la question de l'Etat en général.

1. La théorie générale de l'Etat[modifier le wikicode]

Même si l'on s'en tient à des appréciations purement théoriques, on remarquera le pas immense en arrière accompli pendant la guerre, en ce domaine précisément, par nombre d'éminents « penseurs». Ce qui auparavant, et à juste titre, était qualifié de paroles creuses impardonnables, est aujourd'hui coté comme une très grande valeur à la bourse de la « science » belliqueuse. Des gens adultes bredouillent comme des gamins de deux ans. Les sons incohérents que profèrent aujourd'hui les Scheidemann et Dan de tous les pays en sont la meilleure preuve. Que notre lecteur veuille bien ne pas nous tenir rigueur de nous attacher avant tout à lui rappeler quelques « propos oubliés ». Il existe une infinité de «définitions» de l'Etat. Passons sur toutes les théories qui voient en l'Etat une sorte d'essence théologique ou métaphysique, un « principe supra rationnel », une « réalité de l'idée morale », etc. Peu nous importent également les multiples théories de ces juristes qui, envisageant les choses avec l'étroitesse de dogmes juridiques formels, tournent en rond pour chercher à définir l'Etat au travers du droit, et le droit au travers de l'Etat. Ces théories ne donnent aucune connaissance positive, parce que dépourvues de fondements sociologiques ; elles demeurent en suspens. De fait, on ne saurait comprendre l'Etat autrement que comme un phénomène social. Une théorie sociologique de l'Etat est donc indispensable. Le marxisme nous la donne.

Du point de vue du marxisme, l'Etat est l'organisation la plus générale de la classe dominante, dont la fonction principale est de défendre et d'étendre les conditions d'exploitation des classes asservies. L'Etat est un rapport entre les hommes, et nous ajouterons, puisque nous parlons des classes, un rapport de domination, de pouvoir, d'asservissement. Il est vrai que 2500 ans avant Jésus-Christ, on pouvait lire dans le fameux code babylonien d'Hammourabi[4] : « Le but du gouvernant est de garantir le droit dans le pays, d'anéantir tout ce qui est mauvais, malin, de façon que le fort ne nuise pas au faible »[5]. Ces stupidités idylliques nous sont servies aujourd'hui aussi sous leurs traits essentiels, et de la façon la plus sérieuse[6]. Cette « vérité » revient tout à fait à affirmer que l'objectif des syndicats patronaux est d'augmenter le salaire des ouvriers. En réalité, puisque l'organisation du pouvoir de l'Etat bénéficie d'une régulation consciente, et puisque l'on peut, par conséquent, évoquer d'une façon générale les objectifs que l'on assigne (ce qui présuppose déjà un certain niveau de développement de l'Etat et de la société), ces objectifs sont déterminés par les intérêts des classes dominantes, et par eux seuls. Ce que l'on appelle les « fonctions d'utilité générale » ne sont que la condition sine qua non, de l'existence de l'Etat ; de même que toute organisation syndicale patronale s'assigne pour objectif (nous soulignons précisément cet aspect des choses : les objectifs de l'organisation) non pas du tout la production an und für sich[7] , mais l'obtention d'un profit et d'un superprofit, bien que sans production, la société humaine ne puisse pas exister. Les fonctions « socialement utiles » de l'Etat bourgeois sont par conséquent les conditions d'une exploitation aussi durable et aussi réussie que possible des classes opprimées, et au premier chef du prolétariat. L'évolution de ces fonctions relève d'une double détermination : premièrement, l'intérêt immédiat des classes dirigeantes (sans chemins de fer, il ne peut être question de développer le capitalisme d'où la construction des chemins de fer ; une outrancière dégénérescence d'une nation prive l'Etat de la quantité nécessaire de soldats dont il a besoin, d'où les mesures sanitaires, etc.) ; secondement, des considérations de stratégies face aux classes opprimées (ce que l'on appelle les « concessions » sous la pression de la base) : la préférence est accordée, en l'espèce, au moindre mal du point de vue des hautes sphères. Dans l'un et l'autre cas, nous voyons agir le « principe de l'économie des forces » afin de créer les meilleures conditions pour un processus d'exploitation. Le pouvoir d'Etat a pour principe régulateur du comportement les intérêts de la classe dominante, masqués sous le pseudonyme d'intérêts de la « nation », du « tout », du « peuple » etc. Partout l'Etat est une organisation « de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée »[8].

Organisation la plus générale de la classe dominante, l'Etat, apparaît dans un procès de différenciation sociale. Il est le produit d'une société de classes. A son tour, le processus de différentiation sociale est une dérivée du développement économique, et nullement le simple résultat d'une violence non dissimulée qu'exerce un groupe de vainqueurs d'origine étrangère, comme l'affirment certains économistes et sociologues (Gumplovicz, Oppenheimer), qui au fond sur ce point ne font que répéter le fameux Dühring. Voilà comment Franz Oppenheimer définit l'« Etat historique ».

« En sa forme, écrit cet auteur, il (l'Etat) est une institution juridique imposée par le groupe vainqueur au groupe vaincu. Sa teneur est une exploitation régularisée (Bewirtschaftung) du groupe soumis »[9].

« Les classes sont créées à l'aide de moyens politiques et ne pouvaient être créées que par des moyens politiques »[10].

Par conséquent, pour Oppenheimer les classes ne sont que des groupes transformés de vainqueurs et de vaincus, et non pas du tout les rejetons légitimes du développement économique. Il lie leur apparition exclusivement à un « facteur extra-économique ».

Dans cette théorie de l'« origine de classes » et de l'Etat, une seule chose est juste : l'histoire concrète est celle de la violence et du pillage. Cela n'épuise nullement la question, car en réalité ni les « institutions juridiques », ni les rapports de production de type déterminé ne peuvent surgir ni se maintenir s'il n'y a pas pour cela de terrain nécessaire dans le développement économique de la société considérée. En particulier, pour que les classes apparaissent et se consolident en tant que catégorie sociale fondamentale, il faut une base, qui est la différentiation économique, liée à un essor de la division du travail et de la propriété privée[11].

En toute logique, la constitution des classes ne présuppose nullement de conquêtes, et l'histoire nous fournit des exemples où des classes se sont formées sans qu'il y ait eu aucune « conquête ». Ainsi, la formation de l'Etat en Amérique du Nord. Il est vrai qu'ordinairement on sous-estime les germes du féodalisme nord-américain et de la domination d'une aristocratie foncière[12]. Pourtant, si l'on s'en tient à la « théorie pure de la conquête » l'évolution des rapports capitalistes en Amérique devient tout à fait incompréhensible.

Le radicalisme apparent de constructions théoriques analogues a des racines tout à fait apologétiques : en l'occurrence, on n'attaque pas les bases de l'économie marchande, à savoir la propriété privée, mais uniquement la forme monopoliste de cette dernière, comme si cette forme, dans sa transformation monopoliste, n'était pas le prolongement logique et historique d'une forme élémentaire d'une simple production marchande.

En réalité, l'Etat comme les classes « n'est pas un pouvoir imposé du dehors à la société... Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement... »[13].

A voir le signe constitutif de l'Etat, son « essence » uniquement dans le fait qu'il est l'organisation la plus générale de la classe dominante, force est de reconnaître que l'Etat est une catégorie historique. Tel était le point de vue de Marx et d'Engels. Tout comme le capital, selon Marx, n'est pas une chose, précisément des moyens de production an und für sich, mais un rapport social exprimé dans les choses, l'« essence » de l'Etat participe non pas de son rôle technique et administratif, mais d'un rapport de domination qui se cache sous cette enveloppe technique et administrative[14].

Mais ce rapport de domination étant l'expression de la structure de classe de la société, l'Etat disparaît dès lors que disparaissent les classes. Par conséquent, l'Etat a non seulement son commencement historique, mais aussi sa fin historique. « Même des politiciens radicaux et révolutionnaires, écrivait Marx, soucieux de révéler le point de vue de leurs contemporains, cherchent la racine du mal non dans la nature profonde (Wesen) de l'Etat, mais dans une forme étatique déterminée, qu'ils veulent remplacer par une autre forme étatique »[15]. Engels avait des termes encore plus résolus : « Tous les socialistes, dit-il, sont d'accord que l'Etat politique et avec lui l'autorité politique disparaîtront en conséquence de la prochaine révolution sociale, à savoir que les fonctions publiques perdront leur caractère politique et se transformeront en simples fonctions administratives protégeant les véritables intérêts sociaux »[16].

Dans L'Anti-Dühring, Engels déclare que l'Etat doit « dépérir » (absterben). Dans L'origine de la famille, etc. il range l'Etat au musée des antiquités de la future société « à coté du rouet et de la hache de bronze ». Ces citations (que l'on pourrait multiplier) n'ont pas été reproduites, au hasard. Au contraire. On voit bien ressortir ici les particularités de la méthode marxienne qui envisage les phénomènes sociaux non comme des catégories éternelles et immuables, mais comme des phénomènes transitoires, surgissant et disparaissant à un certain stade du développement social. Il ne s'agit pas, par conséquent, d'une simple question de terminologie, comme veulent le faire croire certains critiques, tout comme il n'y a rien qui ressemble à une querelle idéologique dans la dispute autour du point de savoir si le bâton du sauvage est un capital ou simplement un bâton[17]. Pour Marx, le critère de la distinction, le fundamentum divisionis logique, tient aux différents types de relations entre les hommes et non pas à la « superficie des phénomènes » dénaturée et fétichisée. Comprendre le développement social en tant que processus continu de modification de ces types (des « structures économiques et sociales ») était à proprement parler la tâche que s'était proposée Marx. Il envisageait de la même façon la question de l'Etat en tant qu'expression politique d'une vaste catégorie sociale et économique : la société de classe. Et tout comme les économistes bourgeois, dont le point de vue est statique et non historique, ne peuvent comprendre les conceptions spécifiques de Marx à propos des catégories économiques, de même les juristes et les sociologues de la bourgeoisie sont imperméables à une vision marxienne de l'Etat. « La théorie de Marx, dit par exemple Gumplovicz, contient une interprétation nouvelle et à beaucoup d'égards juste de l'Etat ». Mais... « l'épouvantable erreur du socialisme prend racine dans le fait qu'il croit que l'Etat se rend superflu »[18]. Voilà les propos que tient le « radical » Gumplovicz. Ses autres collègues peuvent donc ex officio ne pas comprendre Marx[19].

Ainsi, la société communiste est une société sans Etat, parce qu'elle est une société sans classes. Mais si le communisme nie l'Etat, que signifie donc la conquête du pouvoir d'Etat par le prolétariat ? Que signifie la dictature de la classe ouvrière dont ont tant parlé et parlent les marxistes ? Nous répondons à cette question plus bas.

2. La dictature du prolétariat et sa nécessité[modifier le wikicode]

D'abord, une petite remarque préliminaire. On voit, à la lecture de la brochure spéciale que Kautsky a publiée contre les bolcheviks (Karl Kautsky : Die Diktatur des Proletariats, Wien, 1918, Verl. Ignaz Brand) à quel point extrême de reniement peuvent aboutir les anciens socialistes.

Dans ce « distillât » du reniement, nous trouvons entre autres cet endroit véritablement classique : « Ici (c'est-à-dire pour justifier leur dictature. — N. B.) ils se sont (les bolcheviks) rappelés fort à propos le petit mot sur la dictature du prolétariat que Marx avait une fois, en 1875, employé dans une de ses lettres »[20]. Pour Kautsky, toute la théorie de la dictature, en quoi Marx lui-même voyait la base de la théorie de la révolution, est devenue un « petit mot » vide de sens, fortuitement égaré « dans une de ses lettres » : S'étonnera-t-on que Kautsky voit dans la théorie de la dictature une théorie « nouvelle » ?

Pourtant, cette théorie « nouvelle », nous la trouvons presque en totalité chez Marx.

Ce dernier voyait parfaitement la nécessité d'une organisation étatique temporaire de la classe ouvrière, de sa dictature, parce qu'il jugeait inéluctable toute une période historique, toute une tranche de l'histoire qui aurait sa spécificité, qui la distinguerait de la période capitaliste et de la période du communisme en tant que société sans Etat rationnellement organisée.

Cette époque a ceci de particulier que le prolétariat, après avoir démantelé l'organisation étatique de la bourgeoisie, est tenu de prendre en considération sa résistance, qui persiste sous diverses formes. Et c'est précisément pour vaincre cette résistance qu'il est indispensable de disposer d'une organisation forte, solide, qui recouvre tout, en un mot, une organisation étatique de la classe ouvrière.

Marx posait la question de la dictature du prolétariat de façon plus abstraite que ne la pose la réalité concrète. Tout comme dans son analyse de la production capitaliste il considérait l'économie capitaliste sous sa forme « pure », c'est-à-dire non compliquée par des survivances des anciens rapports de production, par des particularités « nationales » de tous ordres, etc., de la même façon Marx posait la question de la dictature du prolétariat comme celle de la dictature de l'ouvrier en général, en un mot, de la dictature anéantissant le capitalisme sous sa forme pure.

On ne pouvait poser cette question autrement, sauf à la poser d'une façon abstraite et théorique, c'est-à-dire à donner la formule algébrique la plus large de la dictature.

Désormais, l'expérience de la lutte sociale permet de concrétiser la question dans les directions les plus diverses. Et surtout, cette expérience indique la nécessité de la dictature la plus résolue, une dictature réellement de fer, des masses ouvrières.

La révolution socialiste, révolution par la violence dont il était déjà question dans le Manifeste communiste, ne s'accomplit pas d'un seul élan, par un coup de baguette magique, dans tous les pays. La vie est beaucoup plus embrouillée et plus complexe que la « théorie immature ». L'enveloppe capitaliste ne craque pas simultanément partout, elle ne commence à s'effriter que là où le tissu de l'Etat bourgeois est le moins solide. Dès lors, le prolétariat vainqueur est confronté au problème de la riposte à l'ennemi extérieur, à l'impérialisme étranger, poussé par l'ensemble du développement à détruire l'organisation étatique du prolétariat.

L'un des plus grands mérites du camarade Lénine est qu'il est le premier, dans le camp marxiste, à avoir posé la question des guerres révolutionnaires du prolétariat[21].

Pourtant, c'est là l'un des problèmes les plus importants de notre époque. Il est clair que la grandiose révolution mondiale comportera des guerres défensives et offensives engagées par le prolétariat vainqueur : défensives pour repousser les assaillants impérialistes, offensives pour défaire totalement la bourgeoisie aux abois, pour pousser à l'insurrection les peuples encore opprimés, pour libérer de leur asservissement les colonies, pour conforter les conquêtes du prolétariat.

Le capitalisme moderne est un capitalisme mondial. Mais ce capitalisme mondial n'est pas une unité organisée, c'est un système anarchique de trusts capitalistes d'Etat[22] qui se font la guerre par tous les moyens. C'est cependant un système mondial, dont toutes les parties sont interdépendantes. C'est précisément la raison pour laquelle la guerre européenne s'est transformée en guerre mondiale. Mais, par ailleurs, le morcellement relatif de l'économie mondiale, lié à la situation différente des Etats impérialistes, a suscité une guerre mondiale : non pas phénomène simultané, mais processus d'implication progressive dans les hostilités d'un pays capitaliste après l'autre. L'Italie, la Roumanie, l'Amérique, sont entrées en guerre beaucoup plus tard. Mais c'est précisément cette intervention de l'Amérique qui a fait de ce conflit une guerre ayant embrasé les deux hémisphères, en un mot une guerre mondiale.

La révolution mondiale se développe de façon analogue. C'est un processus de dégradation du capitalisme et d'insurrection du prolétariat dans lequel s'engage un pays après l'autre. Ce faisant, les aspects les plus divers s'entrelacent de façon fantasque : la guerre impérialiste, les insurrections nationales séparatistes, la guerre civile à l'intérieur des pays et, enfin, la lutte de classes entre la bourgeoisie organisée en Etat (les Etats impérialistes) et le prolétariat organisé en Etat (les républiques soviétiques).

Pourtant, plus évoluent les événements et plus prend de relief l'aspect guerre de classes. La fameuse « alliance des peuples » dont les pacifistes bourgeois nous rebattaient les oreilles, toutes ces « sociétés des nations » et autres stupidités à propos desquelles font chorus les bandes de social-traîtres ne sont en fait rien d'autre que des tentatives de créer une sainte alliance des Etats capitalistes pour étrangler ensemble les insurrections socialistes[23] . Marx avait raison de dire que le parti de la révolution assure la cohésion du parti de la contre-révolution. Et cette idée est juste appliquée à la révolution mondiale du prolétariat : le processus révolutionnaire mondial ou, comme on le dit maintenant à très juste titre, le « bolchevisme mondial » assure la cohésion des forces du capital international.

Mais cette conjoncture « extérieure » ne peut pas ne pas avoir une immense portée « interne ». N'étaient les forces impérialistes à l'extérieur, la bourgeoisie nationale vaincue, renversée dans un affrontement ouvert des classes, ne pourrait caresser l'espoir d'une restauration bourgeoise. Le processus de déclassement de la bourgeoisie serait plus ou moins rapide, mais on verrait en même temps disparaître la nécessité d'une organisation spéciale de répression anti-bourgeoise, d'une organisation étatique du prolétariat, de sa dictature.

La réalité des choses est pourtant tout le contraire. La bourgeoisie, déjà renversée, défaite dans deux ou trois pays, a encore d'immenses réserves en la personne du capital étranger. Il en découle que sa résistance perdure. L'expérience de la révolution russe le confirme avec éclat. Le sabotage, les complots, les insurrections, les rebellions des koulaks, l'organisation de bandes sous la conduite d'anciens généraux, l'aventure tchécoslovaque[24], les innombrables « gouvernements » de la périphérie qui prenaient appui sur les baïonnettes et les bourses étrangères et, enfin, les expéditions punitives et les campagnes contre la Russie soviétique engagées par l'ensemble du monde capitaliste sont des phénomènes du même ordre.

De cette évolution parfaitement inéluctable et irréversible des événements historiques, on peut et l'on doit tirer deux conclusions : premièrement, nous vivons toute une période de lutte la plus acharnée à mort ; deuxièmement, pour que cette période s'achève au plus vite, il faut un régime de dictature du prolétariat armé. Les règles tactiques découlent en l'espèce d'une prévision scientifiquement fondée, pour laquelle nous disposons de toutes les données.

Bien sûr, on peut tout contester. Il y a de malheureux sophistes dont la destination est de se livrer à un jeu scholastique perpétuel et vain. Tel est précisément le cas de Kautsky. Il ne pouvait pas comprendre le sens de l'impérialisme. Maintenant, il est incapable de saisir le sens de la phase suivante : l'époque des révolutions socialistes et de la dictature du prolétariat. « Je m'attends, écrit ce guide « ouvrier », à ce que la révolution sociale du prolétariat prenne des formes tout à fait particulières comparée à la révolution de la bourgeoisie ; à ce que la révolution prolétarienne, contrairement à la révolution bourgeoise, lutte par des moyens « pacifiques » de caractère économique, moral, législatif partout où la démocratie s'est enracinée »[25].

Il est évidemment difficile de discuter avec des renégats qui ont retourné leur veste au point de voir dans les bottes militaires de Taft une démocratie.

Mais nous avons sous les yeux l'exemple d'un pays effectivement démocratique, ou la démocratie s'est effectivement « enracinée » : la Finlande. Et l'exemple de ce seul pays montre que dans les pays plus « cultivés » la guerre civile doit être encore plus cruelle, plus impitoyable, excluant toute possibilité d'ouverture vers des méthodes « pacifiques » et « législatives » (!!).

Kautsky tente d'établir que par la dictature Marx entendait non pas la dictature, mais tout à fait autre chose, car, à l'en croire, le mot « dictature » ne peut s'appliquer qu'à un individu, et non à une classe. Mais il suffit de citer ce qu'en pensait Engels, lequel voyait parfaitement ce que devait être la dictature du prolétariat, pour comprendre combien Kautsky s'est éloigné du marxisme. Engels écrivait contre les anarchistes :

« Ont-ils jamais vu une révolution, ces messieurs ? Une révolution est certainement la chose la plus autoritaire qui soit; c'est l'acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l'autre au moyen de fusils, de baïonnettes et de canons, moyens autoritaires s'il en est ; Et le parti victorieux, s'il ne veut pas avoir combattu en vain, doit maintenir son pouvoir par la peur que ses armes inspirent aux réactionnaires. La Commune de Paris, aurait-elle duré un seul jour, si elle ne s'était pas servie de cette autorité du peuple armé face aux bourgeois ? Ne peut-on, au contraire, lui reprocher de ne pas s'en être servi assez largement ? ».

Engels et Marx comprenaient parfaitement la situation à venir. Maintenant que nous avons sous les yeux la confirmation expérimentale de ce point de vue, il est tout simplement ridicule de parler de moyens « pacifiques » et « législatifs ».

L'époque des révolutions que nous avons abordée exige une orientation appropriée. Si cette époque est celle de batailles de classes sans précédent, aboutissant aux guerres de classes, il est tout à fait naturel que la forme politique de domination de la classe ouvrière revête un caractère militaire particulier. Il doit y avoir une nouvelle forme de pouvoir, le pouvoir dictatorial d'une classe « montée à l'assaut du ciel » comme le disait Marx des Communards de Paris.

Pour Kautsky, Marx évoquait dans ses écrits non pas une « forme de gouvernement » (Regierungsform), mais un « état de fait » (einem Zustande), lorsqu'il parlait de la dictature. Marx touchait à vrai dire à quelque chose de bien plus grand que la « forme de gouvernement » : un nouveau type d'Etat tout à fait original. Dans la même page où Kautsky « réfute » les thèses sur la dictature écrites par l'auteur de ces lignes[26], il rapporte une citation de Marx qui dit que la Commune était la « forme politique enfin trouvée » de la dictature du prolétariat, et non pas du tout un « état » fortuit.

Ainsi, il y a toute une période historique entre le capitalisme et le communisme. Durant ce temps, se maintient un pouvoir d'Etat sous forme de la dictature du prolétariat. Ce dernier est ici la classe dominante qui, avant de se dissoudre en tant que classe, doit écraser tous ses ennemis, rééduquer la bourgeoisie, refaire le monde à son image.

3. L'effondrement de la démocratie et la dictature du prolétariat[modifier le wikicode]

Il est une question fondamentale qui joue un très grand rôle pratique : celle du rapport entre la « démocratie » et la dictature des ouvriers.

Pour les marxistes les « formes de gouvernement » ne sont pas le produit d'une démarche de pensée rationaliste. Ils sont à l'affût des grandes tendances du développement, auxquelles ils confrontent leurs idéaux. C'est la seule façon d'envisager la question de la dictature.

Ce faisant, il faut se rappeler que la forme politique est une « superstructure » venant couronner une certaine structure économique ; elle exprime un rapport déterminé entre les classes et la coquille politique vole immanquablement en éclat faute de prendre appui sur la structure des rapports de classe.

Nous avons, plus haut, porté une appréciation générale sur l'époque qui vient de commencer. C'est une époque de guerres civiles allant croissant et débouchant sur une guerre de classes organisée. Aussi une première interrogation s'impose-t-elle : la guerre civile est-elle ou non compatible avec des formes démocratiques ?

Mais d'abord, une petite remarque préalable. Pour nos adversaires, et notamment Kautsky, la démocratie existe. C'est un mensonge flagrant. Il n'existe pour l'heure aucun Etat démocratique. Ce que nous observons aujourd'hui en Europe, en Amérique et au Japon, c'est une dictature du capital financier. C'est là le point de départ du développement.

Par conséquent, la question doit être posée ainsi : peut-on, à l'époque de la guerre civile, organiser un Etat prolétarien en reprenant les formes de la vieille démocratie bourgeoise, partout détruite par le capital financier ?

La démocratie, puisque nous sous-entendons par ce mot un certain régime politique, a jusqu'à maintenant été l'une des formes — la plus subtile — de domination de la bourgeoisie. Quelle était la condition première et fondamentale d'un régime démocratique ? L'existence d'un certain nombre de fictions très habilement utilisées pour duper systématiquement les masses. La principale de ces fictions était la notion de volonté du peuple tout entier, de la « nation », du « tout ». Le système des institutions démocratiques repose entièrement sur le concept du « pour-le-peuple-tout-entier ». Il n'est pas difficile de comprendre le sens de classe de ces normes valables « pour-le-peuple-tout-entier ». Il est clair qu'en réalité il y a des classes ayant des intérêts opposés et inconciliables ; il est clair qu'il n'est pas question de volonté « du-peuple-tout-entier », qui unirait les ouvriers et les capitalistes. Mais la bourgeoisie a besoin de cette fiction de la « nation tout entière », cela lui est indispensable. La bourgeoisie est une minorité gouvernante. Mais précisément parce qu'elle est une minorité, il lui faut, si elle veut maintenir les masses soumises, parler au nom de « toute la nation », car elle ne peut pas parler ouvertement au nom d'un petit groupe. C'est ainsi qu'apparaît le fétiche de la volonté du peuple tout entier et que la bourgeoisie se fait le porte-parole de la nation, du « pays » tandis que l'organisation étatique bourgeoise est donnée pour la « patrie » de tous.

La révolution prolétarienne marque cependant une rupture de la paix civile : c'est une guerre civile. La guerre civile révèle la physionomie authentique d'une société divisée en classes. C'est bien dans le feu de la guerre civile que brûle le fétiche de la nation toute entière, tandis que les classes se placent, les armes à la main, des deux côtés de la barricade révolutionnaire. Aussi n'est-il pas étonnant que la guerre révolutionnaire du prolétariat entraîne inéluctablement la dislocation de toutes les formes, de toutes les institutions et de toutes les administrations qui, en apparence, participent de la « nation toute entière ». Insistons une fois de plus sur le fait qu'il s'agit-là d'un processus tout à fait irréversible, historiquement inéluctable, que le veuillent ou non certaines personnes, certains groupes ou même certaines classes intermédiaires, car la guerre civile a sa logique interne. Une fois cette logique enclenchée, elle donne le branle à tout le processus de dislocation des vieilles formes où la bourgeoisie dominait à l'enseigne de toute la société.

Ces considérations, que quelques camarades avaient formulées avant la Révolution d'Octobre, ont maintenant reçu la sanction de l'expérience. Quel que soit le domaine envisagé, nous voyons partout la même chose : les institutions de toute la nation, les institutions « démocratiques générales » sont impensables, elles sont impossibles étant donné le rapport de forces actuel.

Considérons l'une des principales composantes de tout pouvoir d'Etat : l'armée. Qui n'est pas utopiste voit clairement qu'une armée nationale est désormais impensable. Le prolétariat ne peut laisser la bourgeoisie avoir accès à son armée, et la République soviétique est en train de mettre sur pied une armée rouge ouvrière et paysanne. Mais pour la bourgeoisie également il est toujours plus dangereux d'ouvrir son armée à des ouvriers et des paysans recrutés de force ; aussi est-elle contrainte d'organiser une garde blanche. Là où l'on essaie néanmoins d'organiser un appareil militaire « de toute la nation » sous la conduite de contre-révolutionnaires bourgeois (par exemple, l'« armée populaire » des gardes-blancs tchécoslovaques), cet appareil connaît inéluctablement un déclin et dépérit, parce que sa conception même est contradictoire par les temps qui courent.

Il se produit la même chose dans les autres domaines, jusque dans l'économie : dans une fabrique, une cohabitation « de classe » entre le bourgeois et le prolétaire est désormais impossible; les « comités d'immeubles » communs disparaissent et sont remplacés par des comités d'immeubles de la population pauvre. Les soviets généraux de paysans disparaissent, au profit de comités de paysans pauvres[27] ; dans les municipalités ne peuvent coexister ceux qui, dans la rue, se retrouvent face à face les armes à la main, aussi les municipalités sont-elles remplacées par des sections des soviets de classe ouvrière ; l'Assemblée constituante[28] ne peut exister pour la même raison ; les vieux parlements explosent en même temps que toute Constitution « de la nation tout entière ».

On me rétorquera, certes, que tous ces raisonnements comportent une erreur de logique, que tout cela n'est que petitio principii ; qu'en l'espèce, plutôt que de prouver la valeur des actions des bolcheviks, on se contente de les décrire.

Il n'en est rien cependant. Nos ennemis, les farouches partisans des Doumas et de l'Assemblée constituante, ne se montrent qu'en paroles favorables à des formules démocratiques générales. Parce qu'en fait d'Assemblée constituante, il n'y a qu'un secteur de droite, c'est-à-dire de classe, et dans toutes les Doumas et autres de la Sibérie et de la « Tchécoslovaquie » on a solennellement déclaré qu'il y avait le suffrage universel, mais qu'il n'y avait point de place pour les représentants des partis anti étatiques, en d'autres termes pour les bolcheviks et, par voie de conséquence, pour la classe ouvrière.

Il serait ridicule de penser que tout cela relève uniquement de phénomènes fortuits, « pathologiques ». En fait, il se produit ici un éclatement de ce qui n'avait d'unité qu'à une condition : que le prolétariat soit sous l'hypnose de l'idéologie bourgeoise, qu'il n'ait pas conscience de lui-même en tant que classe appelée à renverser la bourgeoisie ; qu'il se considère comme partie d'un tout non sujet à changement. La victoire du prolétariat, totale et définitive, sa victoire mondiale, rétablira au bout du compte l'unité de la société sur de nouveaux principes : ceux d'une société sans classes. Alors seulement prendra corps le communisme sans Etat. Mais avant que cela ne survienne, il faudra franchir toute une période de lutte cruelle, qui n'accepte pas d'autres formes que la dictature : si la classe ouvrière triomphe, ce sera la dictature des ouvriers : si la bourgeoisie l'emporte, ce sera la dictature de la bourgeoisie et de ses généraux.

On peut envisager cette question sous un angle quelque peu différent, même s'il est question au fond de la même chose. On peut mettre en évidence les principales forces de classe et voir qui sera le détenteur du pouvoir. En 1905-1906 Kautsky, dans ses écrits, évoquait la révolution russe comme une révolution non pas bourgeoise mais « originale ». Maintenant douze ans après la constitution en Russie d'un capital financier, il parle de la révolution d'Octobre, cent fois plus mûre, comme d'une révolution bourgeoise. Mais si, pour Kautsky, le développement historique suit le même cours que Kautsky lui-même, en un mot s'il fait marche arrière, il est évident que la bourgeoisie doit être au pouvoir. Mais la bourgeoisie veut la dictature militaire des généraux, ce que refuse absolument le prolétariat. La petite bourgeoisie, l'intelligentsia et les autres ne peuvent constituer un pouvoir : c'est l'abc pour un marxiste. La paysannerie est aujourd'hui différenciée, résultat d'une révolution à la campagne. Mais aucune couche de la paysannerie ne peut jouer un rôle autonome. Seul demeure le prolétariat. Le pouvoir du prolétariat, toutefois, fait se dresser sur leurs ergots non seulement la grande bourgeoisie, mais aussi les « couches moyennes ». Le prolétariat est néanmoins suffisamment fort pour défaire ses ennemis en entraînant à sa suite les paysans pauvres. Dans une telle situation, il n'y a pas d'autre issue que la dictature du prolétariat.

Les traîtres au socialisme craignent par-dessus tout les « troubles ». Ainsi Kautsky. Il prônait un capitalisme « pacifique » lorsque ce capitalisme tuait des dizaines de millions d'hommes sur les champs de bataille. Aujourd'hui il prône « une révolution pacifique » pour éviter que les prolétaires ne s'insurgent contre le capital. Il évoque le plus sérieusement du monde la « sécurité et la quiétude » nécessaires à l'édification révolutionnaire, aussi proteste-t-il tant et plus contre « la plus effrayante » des guerres, la guerre civile. Le présupposé de cette critique véritablement monstrueuse dans son reniement, c'est la soif de quiétude petite-bourgeoise. La démocratie, en un mot une forme de domination de la bourgeoisie qui préserverait au mieux contre l'indignation du prolétariat : voilà l'idéal final.

Une remarque montre que telle est bien la matière de ce raisonnement : « Dans les batailles pour... les droits politiques surgit une démocratie moderne, le prolétariat mûrit, en même temps qu'apparaît un facteur nouveau : la défense de la minorité, de l'opposition dans l'Etat. La démocratie signifie la domination de la majorité. Mais elle signifie tout autant la défense de la minorité »[29]. Telles sont les raisons qu'invoque désormais Kautsky à l'appui d'un besoin de démocratie.

Il suffit de considérer ce magnifique raisonnement pour voir que Kautsky ne comprend rigoureusement rien aux événements actuels. Peut-on, en effet, conseiller au prolétariat russe de défendre les droits de la « minorité », entendons par là ceux de la contre-révolution, que le bon papa Kautsky qualifie gentiment « d'opposition » ? Il faut être un imbécile ou un charlatan politique pour vouloir défendre les droits des Tchécoslovaques, des agents de l'okhrana tsariste, des généraux, des spéculateurs, des popes, de tous ceux qui, une bombe et un revolver à la main, marchent contre le prolétariat. Ce ne peut être le fait que d'un petit bourgeois obtus, soucieux de réconciliation des classes, et incapable de comprendre que la grande bourgeoisie, qu'il soutient, le dévorera, lui aussi, son auxiliaire, après avoir réglé son sort au prolétariat[30].

Tout Etat est un instrument de violence. Au moment des plus âpres batailles de classe, cet instrument doit agir avec une intensité particulière. C'est pourquoi à l'époque de la guerre civile, le type de pouvoir d'Etat doit inéluctablement être une dictature. Cette définition est évidemment formelle. L'important, c'est le caractère de classe du pouvoir d'Etat. Aussi doit-il absolument, puisqu'il est aux mains du prolétariat, revêtir jusqu'à la victoire décisive de ce dernier dans le monde entier, le caractère d'une dictature[31].

Le prolétariat non seulement ne donne aucune « liberté » à la bourgeoisie, mais il applique à son encontre les mesures de la répression la plus dure : il ferme sa presse, ses unions, il fait échec par la force à son sabotage, etc., etc., exactement de la même façon que le faisait en son temps la bourgeoisie à l'encontre des agents du régime tsariste et des propriétaires terriens. En revanche, le prolétariat accorde non en paroles mais en fait les libertés les plus larges aux masses travailleuses.

C'est là un point qu'il faut tout particulièrement souligner. Toutes les « libertés démocratiques » sont de caractère formel, purement déclaratif. Telle est, par exemple, l'« égalité démocratique de tous devant la loi». Cette « égalité » prend merveilleusement corps dans l'« égalité » formelle de l'ouvrier vendeur de sa force de travail, et de celui qui l'achète : le capitaliste. Egalité hypocrite, qui masque un asservissement de fait. En l'espèce, l'égalité est proclamée, mais au fond l'inégalité réelle, économique, fait de l'égalité formelle un fantôme. La liberté de la presse, etc., que la démocratie bourgeoise donne aux ouvriers ne vaut guère mieux. Elle est en l'occurrence proclamée, mais les ouvriers sont dans l'incapacité de l'exercer : le monopole de fait du papier, de l'imprimerie, des machines, etc., qu'exerce la classe des capitalistes, réduit pratiquement à néant la presse de la classe ouvrière. Cela rappelle les procédés de la censure américaine : souvent, « tout simplement », elle interdit à la poste de les distribuer. De cette façon, la « liberté de la presse » formelle revient à l'étrangler totalement.

Il se produit la même chose avec les réunions ouvrières. Les ouvriers ont le « droit » de réunion, mais on ne leur donne aucun local à ces fins. Quant aux réunions dans la rue, elles sont interdites sous prétexte de « liberté de la circulation ».

La dictature de la classe ouvrière met en pièce l'égalité formelle des classes, mais par la même, elle libère la classe ouvrière de tout asservissement matériel. La « liberté de contrat » disparaît avec la « liberté de commerce ». Mais cette violation de la « liberté » de la classe capitaliste donne une garantie de liberté effective aux masses travailleuses.

Le centre de gravité est transféré précisément à ces garanties. Le pouvoir soviétique ne se contente pas de proclamer la liberté de réunions ouvrières, il met à la disposition des réunions ouvrières, des organisations de la classe ouvrière, etc., les meilleures salles des villes, tous les palais et les théâtres. Il ne se contente pas de proclamer la liberté de la presse ouvrière, il met à la disposition des organisations ouvrières tout le papier, toutes les imprimeries, toutes les machines, confisqués à leurs anciens détenteurs capitalistes. Une simple comptabilisation de toutes les maisons qui ont été données à des organisations ouvrières et paysannes, que ce soit le parti, les Soviets, les unions professionnelles, les comités de fabriques et d'usines, les clubs, les établissements culturels et éducatifs, les clubs littéraires etc., dont on n'avait jamais vu un tel foisonnement, montre ce que fait le pouvoir soviétique pour cette liberté effective et pour cet affranchissement effectif des masses travailleuses.

Il est au plus haut point caractéristique que Kautsky, qui critique nos thèses, coupe frauduleusement une citation précisément à l'endroit où l'on parle de ces garanties de la liberté offertes à la classe ouvrière. Kautsky a omis l'essentiel pour pouvoir une fois de plus duper le prolétariat.

Il nous reste à examiner ici encore une question, et plus précisément celle de savoir pourquoi les communistes, auparavant favorables à la démocratie bourgeoise, y sont aujourd'hui hostiles.

Ce n'est pas difficile à comprendre, si l'on professe un point de vue marxiste, ce qui revient à nier tous les absolus. C'est un point de vue historique. Il est donc parfaitement clair a priori que les mots d'ordre et les objectifs concrets du mouvement dépendent totalement du caractère de l'époque où le prolétariat en lutte est appelé à agir.

L'époque passée était celle d'une accumulation des forces, de préparation de la révolution. L'époque actuelle est celle de la révolution même. De cette différence fondamentale découle une distinction profonde dans les mots d'ordre et les objectifs concrets du mouvement.

Le prolétariat avait auparavant besoin de la démocratie, parce qu'il ne pouvait encore réellement songer à la dictature. Il avait besoin de la liberté de la presse ouvrière, de réunions ouvrières, d'associations ouvrières, etc. A l'époque, la presse capitaliste, les unions capitalistes noires, les assemblées de lock-outeurs étaient pour lui nuisibles. Mais le prolétariat n'avait pas la force de revendiquer la dissolution des organisations bourgeoises : pour cela, il lui fallait renverser la bourgeoisie. La démocratie était précieuse pour autant qu'elle permettait au prolétariat de s'élever d'un degré dans sa prise de conscience. Mais le prolétariat était à l'époque contraint d'habiller ses revendications de classe sous une forme « démocratique générale »: il était obligé de revendiquer non pas la liberté de réunions ouvrières, mais la liberté des réunions en général (et, par conséquent, la liberté de réunions contre-révolutionnaires) ; la liberté de la presse en général (et, par conséquent, de la presse cent-noire), etc. Mais il ne faut pas faire de nécessité vertu. Avec l'avènement de l'ère de l'assaut direct de la citadelle capitaliste et de la répression des exploiteurs, seul un petit-bourgeois miteux peut se contenter de raisonnements sur la « défense de la minorité »[32].

4. Le pouvoir soviétique en tant que forme de la dictature du prolétariat[modifier le wikicode]

Nous avons noté plus haut que, la guerre civile se prolongeant, cela exigeait non pas simplement des mesures ponctuelles contre la bourgeoisie, mais aussi une organisation étatique appropriée. Nous envisagions cette organisation uniquement comme une dictature, en d'autres termes comme la forme du pouvoir exprimant le plus fortement le caractère répressif de classe de ce pouvoir. Maintenant, il nous faut élucider les particularités de la dictature du prolétariat comme type d'Etat tout à fait nouveau.

Marx et Engels comprenaient parfaitement la nécessité d'un nouveau type d'Etat. C'est bien pourquoi ils ne prônaient pas uniquement la conquête d'un Etat bourgeois (et notamment de la démocratie, citoyen Kautsky !). Ils prônaient aussi l'explosion (Sprengung), la cassure (Zerbrechen) de la machine d'Etat. Ils affichaient le plus grand dédain pour le « chaos étatique », l'« Etat populaire » (Volksstaat), si chers aux opportunistes[33].

Quelles sont les particularités d'un nouveau type d'Etat ?

Elles dépendent de deux causes :

Premièrement, l'Etat prolétarien est une dictature de la majorité sur la minorité d'un pays, alors que toute autre dictature était celle d'une petite poignée d'individus[34] ; deuxièmement, tout pouvoir d'Etat antérieur se fixait pour objectif de maintenir et de consolider un processus d'exploitation. Au contraire, il est parfaitement clair que la majorité ne peut vivre au compte d'une petite poignée d'individus et que le prolétariat ne peut exploiter la bourgeoisie. L'objectif de la dictature du prolétariat est de faire pièce aux anciens rapports de production et d'organiser de nouveaux rapports dans le domaine de l'économie publique, c'est une « violation despotique » (Marx) des droits de propriété privée. Le sens fondamental de la dictature du prolétariat tient précisément au fait que c'est un levier de la révolution économique.

Si le pouvoir d'Etat du prolétariat est un levier de la révolution économique, il est clair que l'« économie » et la « politique » doivent ici fusionner. Nous avons une fusion de ce type sous la dictature du capital financier, en sa forme achevée classique, à savoir le capitalisme d'Etat. Mais la dictature du prolétariat renverse tous les rapports du vieux monde : en d'autres termes, la dictature politique de la classe ouvrière doit inéluctablement être sa dictature économique.

Tout ce qui a été dit plus haut confirme avant tout cet aspect du pouvoir soviétique : il est un pouvoir des organisations de masse du prolétariat et de la paysannerie pauvre. Dans la « démocratie » si chère à Kautsky, toute la participation de l'ouvrier et du paysan pauvre à la vie d'Etat se réduisait à ceci qu'une fois tous les quatre ans ils mettaient un bulletin dans une urne, avant de retourner dormir. Ici, on voit une fois de plus avec une très grande clarté la duperie bourgeoise des masses, qui consiste à leur inculquer systématiquement des illusions multiples. Les ouvriers prennent part en apparence à la gestion de l'Etat ; en fait, ils sont exclu de quelque participation que ce soit à la direction de l'Etat. La bourgeoisie ne saurait la tolérer, mais elle se doit en toute circonstance de créer cette fiction. Voilà pourquoi toute forme de gouvernement de la minorité, qu'il s'agisse de l'Etat des hobereaux féodaux, de celui du capitalisme marchand ou du capitalisme financier, doit immanquablement être bureaucratique. Ce gouvernement est toujours, en toutes circonstances, coupé des masses, lesquelles en sont à leur tour coupées.

Toute autre chose est la République soviétique. Les Soviets sont une organisation de classe directe. Ce ne sont pas des institutions blindées, car il existe un droit de rappel de tout député : or ceux-ci sont les masses mêmes en la personne de leurs élus ouvriers, soldats et paysans.

Mais il s'agit d'autre chose aussi que des Soviets qui constituent en quelque sorte le couronnement de tout l'appareil de l'Etat. Toutes les organisations ouvrières deviennent élément de l'appareil du pouvoir. Il n'y a pas une organisation de masse qui ne soit en même temps organe du pouvoir. Les unions professionnelles d'ouvriers sont des organes très importants de la dictature économique, ils gèrent la production et la distribution, ils établissent les conditions du travail, ils jouent un rôle très important à l'institution centrale de la dictature économique : le Conseil supérieur de l'économie nationale[35] ; ce sont eux qui, de fait, s'attachent à promouvoir l'œuvre du Commissariat au travail ; les comités de fabriques et d'usines sont les cellules de base de la régulation étatique ; les comités de paysans pauvres sont l'un des organes essentiels du pouvoir local, en même temps que de l'appareil de distribution du pays ; les coopératives ouvrières sont de la même manière des cellules de ce dernier. Tous ces organes préparent l'élaboration de multiples projets, décisions et résolutions qui passent ensuite par l'appareil central : le Comité exécutif central ou le Conseil des Commissaires du peuple[36].

Dans l'une de ses brochures les plus remarquables[37] le camarade Lénine écrivait que la tâche de la dictature du prolétariat consistait à apprendre à chaque cuisinière à gérer l'Etat. Cela n'avait rien d'un paradoxe. Par le biais des organisations de prolétaires en ville et de paysans pauvres, organisations qui englobent de plus en plus profondément toute l'épaisseur des masses populaires, ces masses qui craignaient jadis de songer à leur propre pouvoir commencent à travailler en tant qu'organes de ce pouvoir. Aucun Etat n'a jamais été nulle part si proche des masses. La République soviétique est au fond une immense organisation des masses elles-mêmes.

Nous soulignons ici un autre aspect de la chose, et plus précisément le fait que c'est une organisation principalement des travailleurs et une organisation qui travaille. Dans les « républiques démocratiques », l'organe suprême est le « parlement », ce qui, traduit en russe, veut dire la « parlotte ». Il y a un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif. En mandatant (une fois tous les quatre ans) des députés ouvriers au parlement, on crée une fois de plus la fiction que les ouvriers prennent part au travail de l'Etat. En réalité, les députés ne le font même pas, parce qu'ils parlent. Les actes sont l'œuvre d'une caste bureaucratique qui chapeaute tout.

Dans la République soviétique, le pouvoir législatif est indissociable du pouvoir exécutif. Tous ses organes, du sommet à la base, sont des collèges œuvrants, liés aux organisations de masse, s'appuyant sur elles et faisant participer à travers elles toute la masse à l'œuvre de l'édification du socialisme.

Par conséquent, toutes les organisations ouvrières deviennent des organisations gouvernantes. Leur signification fonctionnelle change. Il ne peut en être autrement en période de dictature du prolétariat, où le maître de la situation est la classe ouvrière, où l'Etat même est une organisation ouvrière.

Il faut avoir l'esprit irrémédiablement obscurci de nos mencheviks ou de Kautsky pour protester contre la transformation des Soviets en organe du pouvoir. Leur « théorie » tient d'un conte absurde. Que les Soviets soient des organes de lutte contre la bourgeoisie gouvernante. Mais ensuite, lorsqu'ils auront triomphé ? Alors, qu'ils se dissolvent en tant qu'organes du pouvoir, et, qu'ils recommencent à lutter « pour... ne pas triompher, surtout ».

Mais ces objections contre le pouvoir des Soviets, contre le fait que les syndicats deviennent des institutions « officielles », etc., comportent un autre aspect. Ni Kautsky, ni les mencheviks ne veulent que les organisations de masse gèrent l'Etat et prennent une part active à l'édification de l'Etat. En fait, ils sont favorables, quoi qu'ils déclarent, à une combinaison de « parlotte » et d'une bureaucratie détachée des masses. Leur horizon ne va pas plus loin que ces débris.

Ainsi, la forme soviétique d'Etat c'est l'autogestion des masses, où toute organisation des travailleurs est un élément de tout l'appareil. Des collèges centraux du pouvoir partent des fils organisationnels vers les organisations locales, dans les directions les plus diverses, et de là vers les masses, dans leur concrétude immédiat. Ce lien, ces fils organisationnels ne sont jamais rompus. Ils sont un « phénomène normal» de la vie soviétique. C'est l'élément fondamental qui distingue la République soviétique de toutes les formes d'existence de l'Etat.

Le lien entre la politique et l'économie, entre le gouvernement des hommes « et le gouvernement des choses » s'exprime non seulement dans la coopération la plus étroite possible entre les organisations politiques et économiques des masses, mais aussi dans le fait que même les élections aux Soviets se font non pas dans le cadre de circonscriptions territoriales purement artificielles, mais dans le cadre des unités de production suivantes : les fabriques, les usines, les mines, les villages, les lieux de travail et de lutte. De la sorte, on obtient un lien vivant et permanent entre le collège des représentants, des « députés ouvriers » et ceux qui les mandatent, c'est-à-dire la masse même, unie par des efforts laborieux communs, par la technique la plus concentrée de la grande production.

L'initiative des masses : voilà le principe fondamental de toute organisation du pouvoir soviétique. Il suffit de considérer le rôle qu'ont joué les ouvriers de Petersbourg, de Moscou et d'autres villes dans l'organisation de l'Armée Rouge, de voir avec quel immense enthousiasme ils ont envoyé au front des milliers de camarades : organisateurs, propagandistes, combattants, qui ont refait l'armée, qui l'ont consolidée ; ou encore il suffit de considérer les ouvriers qui ont grandi de plusieurs fois, qui se sont éduqués dans un travail pratique, dans différentes organisations économiques soviétiques, pour comprendre quel colossal pas en avant a fait, la Russie depuis la victoire d'Octobre[38].

C'est aux Soviets qu'appartient l'avenir : même leurs ennemis ne peuvent le nier. Mais ces derniers se trompent cruellement lorsqu'ils pensent que les Soviets à l'étranger s'assignent des tâches qui ne seraient que celles de laquais, et qu'ils ne peuvent que coller aux basques de Monsieur le Capital. Les Soviets sont une forme parfaite, inaugurée par la révolution russe, de dictature du prolétariat. Et puisqu'il en est ainsi, — et il en est incontestablement ainsi — nous sommes au seuil d'une transformation des vieux Etats brigands de la bourgeoisie en organisations de la dictature du prolétariat. La IIIe Internationale, à propos de laquelle on a dit et écrit tant de choses, viendra. Ce sera une République socialiste Soviétique Internationale.

  1. K. Marx: Critique du droit politique hégélien, Editions Sociales, Paris, p. 205.
  2. La IIe Internationale : association internationale des partis socialistes, fondée à Paris en 1889. Créée avec le concours actif de F. Engels, elle a contribué à la diffusion du marxisme et à l'établissement de liens entre les partis ouvriers. Après la mort d'Engels (1895), la IIe Internationale a connu un renforcement des tendances opportunistes de droite, qui l'ont emporté avec le développement de l'impérialisme. Dans la IIe Internationale, à l'orientation opportuniste (le révisionnisme, le centrisme) s'opposait une orientation révolutionnaire, dont la force principale était le parti des bolcheviks, conduit par Lénine. Au début de la Première Guerre mondiale (1914-1918), les chefs opportunistes de la IIe Internationale ont pris la défense de la politique impérialiste de leurs gouvernements bourgeois. Lénine, analysant l'action de la IIe Internationale à cette période, a montré que ses chefs avait subi une déroute idéologique et politique.
  3. « L'âne de Buridan . Cette image (que l'on attribue au philosophe français Jean Buridan, dans la première moitié XIVe s.) symbolise une indécision extrême, l'absence de tout libre arbitre.
  4. Le Code de lois babylonien, créé vers 1760 avant J.-C. est un des témoignages historiques majeurs du droit esclavagiste antique. Il reflétait un degré relativement élevé de développement de la différenciation de classe et sociale. Ces lois mettaient tout particulièrement l'accent sur la consolidation du pouvoir des maîtres d'esclaves, sur la propriété privée en général, ni sur la sauvegarde des intérêts des gens au service du souverain, Ce Code est la preuve d'un important développement des rapports marchandises-monnaie à Babylone.
  5. L. Gumplovicz : Geschichte der Staatstheorien, Innsbruck 1905, p. 8. (note de Boukharine)
  6. Voir par ex. Loening : « Der Staat » in Handwörterbuch der Staatswissenschaften ; Wygodzynsky : « Staat und Wirtschaft »in Handbuch der Politik, etc. Ou, parmi les nouveaux livres : Jerusalem : Der Krieg in Lichte der Gesellschaftslehre, p. 61. (Note de Boukharine)
  7. En elle-même (N.D.L.R.).
  8. F. Engels : Der Ursprung der Familie, des Privateigentums und des Staats, 3ème édition, 1889, p. 137. « La politique n'est qu'une méthode de persistance, un instrument de conservation et d'extension de la propriété » (Loria Achille : Les bases économiques de la constitution sociale, 2ème éd., Paris, 1903, p. 362). (Note de Boukharine)
  9. F. Oppenheimer : « Staat und Gesellschaft » in Handbuch der Politik, p. 117. Voir également, du même auteur : Der Staat. Sur le développement de la politique et de l'économie voir son ouvrage : Theorie der reinen und politischen Oekonomie, 2ème édition., Berlin, 1911. (Note de Boukharine)
  10. F. Oppenheimer : « Staat und Gesellschaft », p. 115 ; Der Staat, S. 9. (Note de Boukharine)
  11. F. Oppenheimer : « Staat und Gesellschaft », p. 115 ; Der Staat, S. 9. (Note de Boukharine)
  12. Voir à ce propos Mayers : The History of great American fortunes. (Note de Boukharine)
  13. F. Engels : Der Ursprung …, p. 135. Que l'émergence d'une théorie à la Oppenheimer ait ce sous-texte social dont nous avons parlé plus haut, c'est ce que montrent et le « système » de revendications pratiques d'Oppenheimer et son « socialisme libéral » qui, en réalité, n'est rien d autre qu'un retour à une simple économie marchande, avec un système d achat-vente « équitable », « selon le travail fourni ». (Note de Boukharine)
  14. A propos, M. Renner est l'un des plus éminents représentants de ce que l'on appelle « marxisme autrichien ». Dans ses articles extérieurement brillants publiés dans le Kampf il a sans doute battu tous les records de falsification de la doctrine de Marx, puisqu'il justifie la consigne « d'autodéfense » par le fait que le capital, d'après Marx, est un rapport entre deux pôles indispensables à un même titre de la société : les ouvriers et les capitalistes. Renner oublie simplement ce tout petit détail que Marx n'a jamais songé une seconde à perpétuer ces rapports, qui plus est sous une formule limitée à un Etat donné. (Note de Boukharine)
  15. K. Marx, « Kritische Randglossen », etc. Nachlass, vol. II, p. 50.
  16. F. Engels : « Dell'Autorità » in Neue Zeit, XXXII, I,p. 32.
  17. Adolph Wagner écrit, par exemple (« Staat in nationalökonomischer Hinsicht » in Handw. der Staatwissenschaften) que l'« Etat » socialiste manifeste tous les signes d'un Etat « au plus haut degré » (in höchster Potenz), parce que les velléités de classe de l'Etat moderne ne sont que des « excès » et « abus ». Tout ce galimatias traduit une complète analogie avec les constructions théoriques des économistes bourgeois (Böhm-Bawerk, Clark et C°) ; le capital, selon eux, n'est pas un rapport de domination, mais simplement un moyen de production ; les « abus » (le phénomène usurier, p.ex.) n'ont aucune importance. La société future aura aussi le capital, le profit, etc... (Note de Boukharine)
  18. L. Gumplovicz : Op. cit., p. 373. (Note de Boukharine)
  19. Voir par ex. Jellinek : Allgemeine Staatslehre, 3 Aufl. Berlin, 1914, pp. 89, 194,195, etc. Curieux aveu qui consiste à dire que la « Machttheorie » inspire « folie et horreur » car « sie öffnet der permanenten Revolution die Wege » (« elle fraie la voie à la révolution permanente », p. 196), et à ajouter que « die praktischen Konsequenzen des Machttheorie bestehen nicht in der Begründung, sondern in der Zerstörung des Staates » (les conséquences pratiques de la théorie de la force participent non pas d'une justification, mais d'une destruction de l'Etat », p. 195). (Note de Boukharine)
  20. K. Kautsky : Die Diktatur des Proletariats, p. 60 : « Da erinnerte man sich rechtzeitig des Wörtchens von der Diktatur des Proletariats, das Marx einmals 1875 in einem Briefe gebraucht hatte ». (Note de Boukharine)
  21. Voir les articles parus pendant la guerre dans Le Social-Démocrate, Communiste et le recueil du Social-démocrate. On les a réimprimés dans une édition du Soviet de Petrograd : Zinoviev et Lénine. « A contre-courant ». (Note de Boukharine)
  22. Voir l'analyse de la structure du capitalisme mondial dans notre ouvrage L'économie mondiale et l'impérialisme (Saint-Pétersbourg, Ed. « Priboï ») (note de Boukharine) [dernière édition française : Anthropos, Paris, 1967].
  23. C'est ce qu'a dit très franchement un jour mister Taft, un impérialiste américain de first class, en même temps que l'un des fondateurs de la ligue des pacifistes. Par « paix », il entend d'abord la paix civile, aussi est-il prêt à noyer dans le sang ceux qui la troublent, à savoir les ouvriers. (Note de Boukharine)
  24. Il s'agit de l'intervention contre-révolutionnaire du corps d'armée tchécoslovaque, constitué d'anciens prisonniers de guerre qui se trouvaient en Russie. Cela s'est passé en mai-août 1918 dans la région de la Volga, dans l'Oural et en Sibérie. Cette flambée contre-révolutionnaire avait été provoquée par l'Entente.
  25. K. Kautsky : Op. cit., p. 18. (Note de Boukharine)
  26. « Thesen uber die sozialistische Revolution und die Aufgaben des Prolätariats während seiner Diktatur in Russland » Verl. Freie Jungend, Zurich («Thèses sur la révolution socialiste et tâches du prolétariat pendant cette dictature en Russie », Ed. Jeunesse libre, Zurich, 1918, N.D.L.R.). Paru également en traduction polonaise, finnoise et autres. (Note de Boukharine)
  27. Les comités de paysans pauvres (Kombeds) étaient des organisations de paysans pauvres, des points d'appui de la dictature du prolétariat à la campagne, institués par décret du CEC de Russie du 11 juin 1918. Dans de nombreux districts, ils sont devenus de fait des organes du pouvoir d'Etat : ils distribuaient la terre et les outils agricoles, ils confisquaient le blé des koulaks, opéraient le recrutement dans l'Armée Rouge, tranchaient les questions courantes de la vie des campagnes. A la fin de 1918, les comités de paysans pauvres ont transmis leurs fonctions aux Soviets ruraux.
  28. L'Assemblée constituante de Russie est une institution représentative, convoquée sur la base du suffrage universel et destinée à établir des formes de gouvernement et à élaborer une constitution. Lénine avait déterminé la forme d'Etat de la dictature du prolétariat comme devant être une république des Soviets. Par comparaison, une république parlementaire qu'aurait pu proclamer l'Assemblée constituante aurait marqué un recul dans le développement politique de la Russie. Mais le mot d'ordre de l'Assemblée constituante était populaire auprès des masses petite-bourgeoises, aussi les bolcheviks ne l'ont-ils pas récusé. En novembre 1917, ont eu lieu des élections à l'Assemblée constituante. Elle a inauguré ses réunions le 5 janvier 1918. La majorité contre-révolutionnaire de cette institution a refusé de discuter la « Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité » proposée par Y. Sverdlov au nom du CEC de Russie et adoptée par le IIe Congrès des Soviets. Elle n'a pas non plus reconnu les décrets du Pouvoir soviétique. L'essence contre-révolutionnaire de l'Assemblée constituante était évidente. Le 7 (20) janvier, le CEC de Russie, après un rapport de Lénine, a pris la décision de la dissoudre.
  29. K. Kautsky : Op. cit., p. 15. (Note de Boukharine)
  30. La soif de paix sociale est tellement forte chez Kautsky qu'il « explique » la guerre civile entre les bolcheviks et les S. R. de droite non par une différence de classe et de groupes mais par une distinction de « méthodes tactiques ». Tous les « socialistes russes » à son avis, « veulent la même chose». Cela rappelle les raisonnements des vieux libéraux qui assuraient vouloir le « bonheur de l'humanité », mais simplement par d'autres voies... (Note de Boukharine)
  31. Cette nécessité de réprimer les exploiteurs était claire non seulement pour Marx et Engels. Plekhanov a dit un jour que nous abolirions le suffrage universel si la révolution l'exigeait. Ce même Plekhanov, dans certaines conditions, était favorable à la terreur massive et contre toute liberté pour les classes renversées. Voir sa brochure sur le « Centenaire de la Grande révolution ». C'est un texte que devrait connaître chaque camarade. (Note de Boukharine)
  32. Voir plus haut. (Note de Boukharine)
  33. Cet aspect particulièrement essentiel de la chose a été brillamment exposé par le camarade Lénine dans l'Etat et la révolution. (Note de Boukharine)
  34. Toutes les stupidités de caractère factuel que l'on trouve en abondance chez Kautsky, et que développent tant et plus les calomniateurs mencheviques, ne valent évidemment pas la peine qu'on les réfute. (Note de Boukharine)
  35. La question de la création d'un Conseil supérieur de l'économie nationale (CSEN) a été posée aussitôt après la victoire de la révolution d'Octobre. Le 26 ou le 27 octobre (8 ou 9 novembre) 1917 une conférence du Conseil central des comités de fabriques et d'usines de Petrograd, à laquelle participait Lénine, a discuté un projet de création d'un organisme économique directeur. Le « Décret sur le Conseil supérieur de l'économie nationale » a été approuvé et publié le 5 (18) décembre. Une fois achevée la nationalisation de la grande industrie, le CSEN est devenu un organisme de gestion de l'industrie d'Etat du pays des Soviets.
  36. L'appellation complète est : Comité exécutif central des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie. Elu par le premier Congres panrusse des Soviets des députés ouvriers et soldats [3-24 juin (16 juin-7 juillet) 1917], où étaient majoritaires les représentants des partis petit-bourgeois. Le CECR des Soviets menchevique et S-R soutenait le Gouvernement provisoire bourgeois. Après la victoire de la révolution d'Octobre, le IIe Congrès panrusse des Soviets des députés ouvriers et soldats [25-27 octobre (7-9 novembre) ] élut un nouveau CECR des Soviets qui est devenu l'organe suprême du pouvoir d'Etat soviétique dans la période entre les congrès.
    Le Conseil des Commissaires du peuple (Sovnarkom, SNK) est le gouvernement soviétique constitué au IIe Congrès pan-russe des Soviets des députés ouvriers et soldats le 26 octobre (8 novembre) 1917. C'est Lénine qui a été élu président du Conseil des Commissaires du peuple.
  37. Voir V. Lénine : Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ? (Note de Boukharine)
  38. Kautsky, faute de comprendre quoi que ce soit, parle de l'effrayante « apathie des masses » comme d'une conséquence inéluctable de la dictature soviétique. Mais on sait depuis longtemps qu'ignorantia non est argumentum. (Note de Boukharine)