La situation du parti communiste français

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Discours prononcé à la séance du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste du 17 juin 1921

Zinoviev. — Camarades, je tiens avant tout à faire connaître aux membres de l'Exécutif quelle a été notre attitude envers le Parti Communiste français.

Il est exact que, l'ancien Exécutif avait décidé d'admettre ce Parti et l'avait maintes fois publié dans divers manifestes. Comme vous savez, Serrati nous a par la suite accusés, l'Exécutif, et moi-même, d'avoir fait de trop grandes concessions au Parti français. Mais concernant l'attitude du Parti socialiste italien, nous possédons un grand nombre de circulaires et de résolutions. Et l'on peut trouver dans les archives l'exposé des raisons pour lesquelles, en ma qualité de représentant de l'Exécutif, je devais agir autrement à l'égard du Parti français que du Parti italien, et pour lesquelles j'ai en quelque sorte conclu avec le Parti français un accord séparé. Serrati a écrit maint article pour demander que nous agissions de même façon à l'égard du Parti italien que du Parti français. Je crois de mon devoir de faire connaître ici notre position à l'endroit des camarades français et les mobiles qui nous l'ont fait adopter.

Il est vrai que nous avions l'intention d'être plus circonspects et plus conciliants à l'égard du Parti français qu'à l'égard du Parti italien, déjà adhérent à la 3e Internationale, et ce pour cette simple raison que la situation nous paraissait différente en France de ce qu'elle était en Italie. Lorsque Cachin et Frossard étaient à Moscou, nous avions en France un Parti qui n'avait pas encore fait sa première scission. Les Scheidemanniens français Renaudel et Thomas en faisaient encore partie. Nous devions compter avec la faiblesse du groupe communiste français au sein du Parti ; les chefs de ce petit groupe étaient presque tous emprisonnés. La situation était toute autre dans le Parti italien, déjà adhérent à la 3e Internationale, qui avait participé au 2e Congrès et pris des engagements qu'il ne tenait malheureusement pas. L'accord avec Renoult contenait un article où il était dit que si Jean Longuet souscrivait aux conditions du 2e Congrès, nous serions disposés à proposer au Congrès suivant de faire une exception en sa faveur. Renoult nous l'ayant demandé au nom de Loriot[1], nous n'avons pas balancé un instant à le lui accorder, mais c'est alors que Longuet prononça son discours resté fameux. Il devint évident qu'il ne pourrait en aucun cas souscrire à nos 21 conditions. Les camarades français insistèrent pourtant, voulant montrer aux travailleurs de leur pays que nous étions disposés à faire une exception en faveur de Longuet. Je crois que nous avons eu raison en cette occurrence et que Serrati a complètement tort d'affirmer qu'il aurait autant de raisons de rester dans le Parti. Longuet n'a pas souscrit à nos conditions et le Parti a rompu avec lui. Au dernier moment encore, quand Longuet venait de prononcer sa déclaration, Frossard le priait encore de ne pas s'en aller. Les camarades qui ont participé au Congrès de Tours se souviennent que l'Exécutif envoya au dernier moment au Congrès du Parti socialiste français un télégramme conçu en termes très nets contre Longuet, le qualifiant de réformiste, c'est-à-dire d'agent du capitalisme, et exigeant son exclusion.

Frossard tenta de s'excuser devant Longuet, pour l'Exécutif. « Oui disait-il, les Russes se servent d'un langage un peu brutal, mais qu'il ne fout pas prendre au sérieux. Ce télégramme est assurément un peu rude, mais Longuet, pourrait tout de même demeurer dans le Parti et militer avec lui. » Je ne sais pas si ce télégramme eut un rôle décisif. Nous pensons en tout cas qu'il produisit un certain effet. Frossard avait naturellement tort d'inviter encore à ce moment Longuet à ne pas quitter le Parti !

Après le Congrès de Tours, nous nous demandâmes quelle attitude observer ultérieurement à l'égard du Parti français. Il était pour nous bien évident que ce Parti était encore loin d'être un vrai parti communiste. Il y demeure encore des personnalités isolées, centristes ou à demi-centristes qui continuent partout dans le Parti, dans la Presse, au Parlement l'ancienne tradition. Et pourtant nous considérons encore que nous devons agir différemment à l'égard du Parti français, qu'à l'égard du Parti italien, affilié depuis deux ans à l'Internationale Communiste. Nous avons conclu avec les camarades du groupe communiste français agissant au sein du Parti français, un accord tacite : nous leur donnons quelques mois pour opérer le regroupement du Parti et pour leur tâche d'organisation. Nous ne les avons pas pressés. Loriot citait hier un article dans lequel j'aurais dit que le Parti français était dans la bonne voie. Je le confirme. Il s'agit du télégramme envoyé par l'Exécutif à propos du dernier Congrès organisateur du Parti français. L'Exécutif y saluait le Congrès et déclarait vouloir discuter avec les membres du Parti français les modifications à apporter à leur politique.

Nous devons nous faire une opinion nette sur ce Parti et discuter son organisation. Nous en avons parlé hier et aujourd'hui au cours de ces débats. Je crois que l'Exécutif a eu raison d'être au cours du dernier semestre extrêmement circonspect et indulgent à l'égard du Parti français. Ce qui ne veut pas dire tout de suite ce que nous croyons devoir dire. Je suis d'avis que ce qu'on appelle : « La maladie infantile de la gauche » n'est pas bien grave pour le Parti français. Si nous examinons la situation générale de ce dernier, nous reconnaîtrons tous qu'il s'agit plutôt de le prémunir contre le danger opportuniste que contre le danger de gauche. (Applaudissements.) Le mouvement des Jeunesses est faible en France. S'il commet des fautes, il faut le lui dire. Il va de soi que si le Parti est opportuniste, la jeunesse, son avant-garde, ne doit pas l'être. L'attitude des Jeunesses sera bien utile au Parti, qu'elle contribuera à assainir. Je crois que les vieilles traditions, apportées au Parti par quelques députés, seront en France particulièrement dangereuses et que nous devrons les combattre. On a dit ici, hier et aujourd'hui, que l'Humanité n'est pas tout à fait un organe communiste. Mais on vient de laver la tête au camarade Bela Kun et je n'ai pas l'intention d'empoisonner à mon tour son existence. Son affirmation que l'Humanité vaut moins encore que la Freiheit[2] me paraît pourtant exagérée. La Freiheit est un journal tout à fait contre-révolutionnaire, l'Humanité, en mettant les choses au pis, n'est pas encore un journal révolutionnaire. L'Humanité se développe, la Freiheit rétrograde. Frossard progresse, lentement, avec des hésitations et des récidives, mais il progresse. L'Humanité est sincèrement avec la Russie, tandis que la Freiheit fait sous le manteau...

Frölich : Ouvertement.

Zinoviev : ...une vilaine propagande contre le seul Etat prolétarien. Elle fait l'œuvre des briseurs de grève. Mais nous devons pourtant insister pour que l'Humanité devienne un organe révolutionnaire, en voie de développement révolutionnaire. Dans son discours d'hier, le camarade Trotsky nous a donné divers exemples frappants. L'Humanité a complètement négligé quantité de questions. D'une façon générale, les camarades français le reconnaissent, tant dans leurs rapports officiels que dans les conversations privées. Loriot le disait sans façons aujourd'hui : « Nous savons parfaitement que notre organe et notre fraction parlementaire sont opportunistes. Nous savons que nous faisons encore bien des choses qui sont loin d'être satisfaisantes ». L'Exécutif pense que le moment est venu d'intervenir et de dire nettement ce que nous attendons du Parti français.

Le camarade Lénine a eu raison de dire que la question des rapports avec les syndicats français est en bonne voie et que l'on peut constater dans les syndicats un pas en avant. Mais quand il ajoute que c'est là le résultat du travail du Parti français, je dois bien dire que le camarade Lénine n'a pas suivi d'assez près cette question. Les camarades français ne sont pas aussi affirmatifs. Loriot lui-même a dit que le Parti ne travaillait pas bien dans les syndicats et suivait une politique imprécise. Si les syndicalistes sont la majorité au prochain Congrès, ils ne sauront que faire de leur majorité et le Parti ne le saura pas non plus. Oui, nous pouvons constater que le mouvement progresse dans les syndicats en dépit des hésitations et de l'imprécision de l'attitude du Parti. Le Parti n'a pas encore de ligne de conduite définie dans cette matière et c'est pourquoi les syndicalistes n'en ont pas non plus. C'est ce qui a pu créer une situation dans laquelle nous voyons les syndicalistes français tendre consciemment à former leur propre parti politique.

Je voudrais dire quelques mots du discours du camarade Schwab[3]. L'exemple de la France, nous a-t-il dit, nous montre que les résolutions du 2e Congrès sur la question syndicale n'ont pas été adéquates. Au contraire, l'exemple de la France montre, mieux que tout autre, combien nous avions raison de préconiser la formation de noyaux communistes dans les syndicats. Si nous avions suivi le conseil du camarade du K. A. P. D., où serions-nous aujourd'hui ? Nous serions plus loin encore du but, et nous ne ferions qu'apporter de la farine au moulin de Jouhaux. Notre conseil fut celui de communistes. En dépit de la fâcheuse situation du Parti, en dépit du moment défavorable, nous avons en France, avec nous, de nombreux syndicats. Bien que cette situation soit assez chaotique nous espérons que le Parti trouvera le moyen d'aborder les syndicalistes et les syndicats. Et c'est précisément l'exemple de la France qui montre combien le 2e Congrès avait raison d'exiger des Partis qu'ils consacrassent la plus grande attention aux syndicats.

J'affirme que malgré toutes ces faiblesses, malgré les fâcheuses habitudes que Cachin a conservées du vieux Parti, nous devons faire crédit au Parti français. En France précisément on ne pouvait pendant la guerre avoir confiance au Parti ouvrier et nous savons que les travailleurs français s'en défiaient eux-mêmes. Mais puisqu'il y a maintenant, au Parlement et dans les syndicats, un groupe communiste, nous pouvons dire sans exagérations que la confiance nous revient à l'endroit du drapeau et de l'idée communiste en France.

C'est évident. Nous avons déjà dans ce pays un Parti de plus de 100 000 membres, animés d'un nouvel esprit. Nous voyons toutes ses faiblesses et son ambiguïté. La tendance opportuniste reste notre pire ennemi. Mais nous devons reconnaître que nous avons fait un grand pas en avant et reconquis la confiance des ouvriers français. Un petit groupe parlementaire, faible mais communiste et internationaliste siège au Palais-Bourbon. La situation n'est pas brillante, mais s'améliore de jour en jour. Nos camarades français déclarent eux-mêmes reconnaître leurs fautes. Ils feront donc bon accueil au conseil de l'Exécutif. L'Exécutif doit nettement dire dans une résolution ou dans un message au Parti français tout ce qu'il a à dire. Il va de soi qu'il ne peut même être question d'envisager l'exclusion de Frossard. Semblable proposition ne mérite pas d'être prise au sérieux. La France va de l'avant, mais l'opportunisme, notre ennemi, y subsiste encore. Nous avons à le combattre. Nous avons à dire aux ouvriers français où est le fond de la question. Peut-être le Parti français perdra-t-il encore quelques membres, peut-être verrons-nous quelques groupes entiers s'en détacher au moment de l'action décisive, peut-être même lui arrivera-t-il de traverser une crise pénible. Les communistes français nous confirment ces possibilités. Nous voulons pourtant aider et soutenir leur Parti et qu'il demeure un Parti de masses. Les événements ont démontré que la tactique que nous avions adoptée au 2e Congrès était ici bonne, non seulement contre les sottises de gauche, comme disait aujourd'hui le camarade Lénine, mais encore et surtout contre les sottises opportunistes. La ligne de conduite que nous avons adoptée au 2e Congrès doit maintenant être confirmée par le 3e Congrès.

  1. RECTIFICATION
    Le discours de Zinoviev, publié ci-dessus, contient une erreur de fait qu'il est indispensable de signaler.
    Zinoviev prétend, en effet, qu'à Berlin, Renoult lui a demandé, au nom de Loriot, de faire au Congrès de Tours une exception en faveur de Longuet.
    J'ignore si le camarade Renoult a agi comme le déclare Zinoviev, et il lui appartient de le dire.
    Quant à moi, je déclare que j'ai ignoré le départ de Renoult à Berlin et que je ne lui ai donné aucun mandat de parler en mon nom.
    F. LORIOT.
  2. Journal des Indépendants allemands (USPD).
  3. Alexander Schwab, (1887-1943). Membre de l'USPD en 1917 et spartakiste en 1918. Cofondateur du K. A. P. D. qu'il représente au 3e congrès de l'Internationale Communiste en 1921.