L'expérience de la grande grève belge

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L'article du camarade Radi dans le dernier numéro des Cahiers donne un aperçu général du récent mouvement gréviste en Belgique. Il importe maintenant de tirer quelques enseignements concrets de ce grand mouvement, qui a fait trembler la bourgeoisie belge et ses serviteurs socialistes.

Comme notre article doit compléter celui du camarade Radi, nous ne soulèverons plus les questions touchées par lui.

La préparation[modifier le wikicode]

Emile Vandervelde, président de la IIe Internationale et leader du P.O.B., tentant par tous les moyens de minimiser le rôle que le Parti communiste de Belgique et les organisations révolutionnaires ont joué pendant les événements de juin juillet, a baptisé tout le mouvement " vague de fond ". Ainsi, d'après lui, tout s'explique. Les ouvriers ont subitement compris leur misère, sont partis en grève sans mot d'ordre, sans direction, c'est pourquoi ils ont commis quelques " barbaries " (incendié le château du directeur de l'usine métallurgique " La Providence " à Marchienne-aux-Ponts), ont employé la violence (lutte contre les jaunes et les gendarmes), etc. Et seulement l'intervention " salutaire " des chefs réformistes et socialistes a donné aux ouvriers une direction et des mots d'ordre clairs.

Les choses, ainsi expliquées, sont une déformation de la réalité.

Dès le début du mois de juin notre Parti frère et les organisations révolutionnaires ont appelé les mineurs à préparer la lutte contre la nouvelle diminution des salaires, annoncée par les barons de la houille. Dans toutes les régions minières les meetings et réunions, organisés: par la Centrale Révolutionnaire des Mineurs et l'Opposition Syndicale, attiraient des milliers de mineurs. Les mots d'ordre étaient clairs: contre toute diminution des salaires, contre le rapport Franqui (proposant une attaque contre les assurances sociales, les pensions de guerre, de vieillesse, etc.), contre la rationalisation capitaliste. Les moyens et les méthodes de lutte préconisés par les organisa' révolutionnaires: réalisation du front unique de lutte de tous les ouvriers, sans distinction de parti, en créant des comités de puits de mineurs.

Le Parti s'est posé quelques objectifs précis : organiser la résistance dans quelques puits, qui entraîneraient, par la suite, les autres régions. Dès la publication de la diminution des salaires de 5 %, décidée pour le 19 juin par la Commission nationale mixte des mines à l'unanimité, DONC AVEC LE CONSENTEMENT DE DELATTRE, MESTER ET AUTRES CHEFS RÉFORMISTES, les organisations révolutionnaires ont concentré leur effort surtout dans la région du Borinage, et le 20 juin, déjà, quelques puits étaient en grève. Une large distribution d'affiches, de papillons, de tracts, un nombre considérable de meetings et réunions devant les puits ont permis à nos militants de mobiliser les mineurs pour la lutte. Cela était donc le premier résultat de l'activité du Parti communiste et des organisations syndicales révolutionnaires.

Après quelques jours de bataille les grévistes rentrent au travail, pour en sortir, par la suite, en masse plus compacte. En juillet tout le bassin du Borinage, cette forteresse des socialistes où 85 % des mineurs sont syndiqués, était en grève.

La direction indépendante de la lutte[modifier le wikicode]

Dans quelle mesure notre Parti frère a-t-il réussi à réaliser la direction de la lutte par les ouvriers eux-mêmes? Des organes de direction de lutte indépendante sont les comités de grève d'usine ou de puits élus par tous les ouvriers, sans distinction de parti. Les communistes doivent être les animateurs, l'âme d'une telle direction.

A l'initiative du Parti communiste et des organisations syndicales révolutionnaires, des comités de grève ont surgi un peu partout. Organisés chaotiquement, au début surtout à la base du lieu d'habitation, les comités de grève se transforment par suite, en différents endroits (Liège, Charleroi, Centre) en comités de grève par puits, qui dirigent la grève (organisation de piquets de grève, récolte des fonds, discussion sur la situation, etc.) Le comité régional de grève dirige le mouvement dans le bassin. La Conférence nationale des comités de grève, tenue à Seraing, a élu un Comité central de grève, élargi ensuite à la deuxième et troisième conférence de Charleroi.

De telle façon on avait abouti à une direction centrale de la grève. Ce fait mérite d'être retenu par nos militants. Dans les batailles qui approchent, une direction centrale, comme émanation des comités de grève d'usine et de puits, exprimant les aspirations des travailleurs par des mots d'ordre justes, peut décider du résultat de la lutte. Les communistes, répétons-le, doivent être les animateurs, les premiers sur la brèche, dans une telle direction.

Les nouvelles méthodes de lutte[modifier le wikicode]

Une des caractéristiques du mouvement gréviste de juin juillet est la rapidité foudroyante de son élargissement. Parti du Borinage il s'étend à la région du Centre et fait ensuite " tache d'huile " sur le bassin de Charleroi. Peu après l'importante région industrielle de Liège se joint au mouvement. La vie industrielle de Belgique (mines, métallurgie, carrières, une partie du transport et de l'électricité) était arrêtée.

Comment était-il possible en deux jours d'élargir le mouvement?

Tandis que les chefs réformistes étaient en pourparlers avec les barons des mines dans la Commission régionale des mines de Mons pour aboutir à un accord de trahison qu'ils qualifiaient de c victoire ", les militants révolutionnaires organisent l'envoi d'une délégation dans le proche bassin du Centre. Quelques dizaines de grévistes se sont donc rendus à vélo dans le Centre où un meeting enthousiaste a eu lieu devant la Maison du Peuple (socialiste). A l'unanimité les mineurs, les métallurgistes et autres ouvriers présents acclament la grève sous les mots d'ordre du Parti communiste. (Fait caractéristique : les bonzes réformistes, avec un député socialiste en tête, devant la poussée des masses, se déclarent d'accord avec la grève et contre la diminution de 5 % du 19 juin, qu'ils ont acceptée à la Commission régionale des mines. Le Peuple socialiste, du lendemain, fut même obligé de publier l'ordre du jour de ce meeting, dirigé nettement contre la politique de trahison des chefs socialistes).

Après le meeting une manifestation de plusieurs milliers de grévistes parcourt toutes les localités environnantes et arrête partout le travail dans les usines et puits. Les directeurs et ingénieurs affolés supplient les ouvriers de rester au travail encore un jour pour régler le " conflit ", mais les manifestants sont irréductibles. Même le fameux baron Boël, qui n'a, d'habitude, que du dédain pour les délégations ouvrières, demande humblement une " trêve " ou au moins, de laisser au travail les ouvriers des hauts fourneaux. Rien n'y fit. " Grève partout ".

Le lendemain toute la région du Centre était en grève. Même les tramways s'étaient joints au mouvement.

Le même jour, à l'initiative de militants révolutionnaires, une " excursion " de 1.000 cyclistes se rend dans la région de Charleroi. Partout, sur leur parcours les mineurs, les métallurgistes et autres quittent le travail et se dirigent en masse vers Charleroi. Là, déjà, la police était mobilisée, mais les manifestants ont vite eu le dessus et purent marcher vers la ville. Une première bagarre sérieuse a eu lieu devant l'usine métallurgique la " Providence ", à Marchienne-aux-Ponts, où les gendarmes gardaient l'entrée. Les manifestants, exaspérés, ont mis le feu au château du directeur de la " Providence ", qui est connu pour sa brutalité envers les ouvriers.

Comme on voit, le vélo, ce moyen populaire de locomotion, a beaucoup contribué â l'élargissement de la lutte. Le gouvernement l'a bien compris et sa première mesure, après l'envoi de gendarmes dans les régions en grève, était d'interdire l'emploi de vélos et motocycles.

La lutte contre les jaunes[modifier le wikicode]

Dans ce domaine également nous pouvons apprendre quelque chose des grévistes de Belgique. Au Borinage cette lutte était implacable et efficace. Les maisons des porions briseurs de grève étaient constamment badigeonnées de goudron, les vitres volaient en éclat, les récidivistes étaient sérieusement contusionnés.

Des piquets de grève de masse (surtout au Borinage) surveillaient étroitement les abords des puits et tous les chemins y menant. A Charleroi, écrivaient les journaux, les grévistes avaient déshabillé un jaune et l'ont frappé avec des orties. Ce briseur de grève, évidemment, n'est pas revenu le lendemain au travail. Ailleurs les manifestants parcourent la ville avec, au milieu, un jaune, portant une inscription: " Je suis un lâche, un traître ". Ce " lâche " n'a plus recommencé.

Il faut noter que les patrons essaient toujours pendant une grève avec l'aide des jaunes de mettre en marche une petite partie de l'usine pour impressionner ainsi les grévistes et briser la lutte. C'est pourquoi la lutte implacable contre les briseurs de grève revêt une si grande importance.

Le rôle des femmes[modifier le wikicode]

Les femmes ont joué un rôle héroïque dans le mouvement. Partout elles étaient l'élément stimulant de la lutte. Elles marchaient à la tête des manifestations, luttaient contre les gendarmes, dirigeaient parfois les piquets de grève.

Ainsi au Borinage les femmes des mineurs restaient toute la nuit avec leurs maris devant les puits pour empêcher les jaunes de se rendre au travail. Des femmes se mettaient sur les rails des tramways pour empêcher la circulation. Les femmes organisaient même des réunions spéciales pour discuter de la grève, provoquant les foudres et la fureur des chefs réformistes qui clamaient que la place des femmes est " aux casseroles, elles ne doivent pas s'occuper de politique ".

La bourgeoisie a autrement exprimé sa fureur pour l'activité des femmes pendant la grève. Des dizaines de ces héroïques femmes ont été durement frappées par la justice bourgeoise. Une d'elles, Madeleine De Wulf, a été condamnée par le tribunal de Charleroi à plus de deux ans de prison.

Nous avons, jusqu'ici, totalement sous-estimé le rôle important que la femme peut et doit jouer dans les luttes ouvrières. Que les luttes héroïques de Belgique soient pour nous un exemple et un avertissement !

Les chefs réformistes[modifier le wikicode]

Surpris et affolés par l'explosion de la colère ouvrière, les chefs socialistes et réformistes ont perdu la tête au début. Les dirigeants, à Bruxelles, se demandaient anxieusement comment cela finira-t-il. Ceux de régions en grève tremblaient pour leur peau. En effet, de violentes bagarres ont eu lieu devant le Palais du Peuple de Charleroi entre une énorme foule de grévistes et les gendarmes appelés par les chefs réformistes enfermés dans le Palais. Le Conseil général du Parti ouvrier belge avait dépêché sur place Vandervelde en personne pour " calmer les esprits ".

Le président de la IIe Internationale voulait parler du haut du balcon du Palais du Peuple. Les " émeutiers " – comme disait le Peuple – l'ont empêché de parler et l'ont engagé de venir dans leurs rangs se battre avec la police, s'il est vraiment avec les ouvriers, comme il prétendait. Le ministre d'Etat " socialiste " préférait faire appel à la police pour dégager le Palais du Peuple des ouvriers, avec l'argent desquels ce Palais était construit.

Mais les gens du P.O.B. se sont vite ressaisis. Ils ont élaboré un plan de trahison, méthodiquement appliqué par la suite. Leur tactique variait d'une région à l'autre. Ainsi, dans le Centre, comme nous l'avons déjà mentionné, ils se sont déclarés d'accord avec les revendications et mots d'ordre dirigés contre la politique de la Centrale réformiste des mineurs. A Charleroi, ils ont proclamé la grève générale... quand toutes les usines et puits étaient déserts depuis deux jours déjà et les ouvriers se battaient dans la rue avec la police et les gendarmes.

Leur politique générale consistait en ceci : tout d'abord, rompre le front de bataille, ensuite épuiser ceux qui resteront encore en lutte. Il faut dire qu'ils ont dans une grande mesure réussi.

Les métallurgistes, se joignant aux mineurs en lutte, ont posé leur propre revendication : retrait de la diminution de 5 % (en deux paliers), dont 2 s/2 % étaient déjà affichés (toujours avec l'accord des dirigeants réformistes de la Centrale des métallurgistes). Devant la violence de l'attaque ouvrière, les patrons de la métallurgie ont été obligés de suspendre l'application de cette diminution. C'était une grande victoire, parce que, pour la première fois, les patrons ont suspendu une diminution des salaires, acceptée par les " ouvriers " (c'est-à-dire par les chefs réformistes) et affichée déjà.

Le Conseil général du P.O.B. et la Commission syndicale (C.G.T. belge) ont alors lancé le fameux manifeste déclarant la grève finie et appelant les ouvriers à rentrer au travail. Les métallurgistes sont donc rentrés, tandis que les mineurs décidaient de continuer la lutte. Les vaillants mineurs se sont trouvés ainsi, par la tactique criminelle des chefs socialistes et réformistes, isolés dans la bataille. Deux fois ont-ils encore par la suite crié " victoire " après avoir signé des pactes de trahison avec les barons des mines, mais les mineurs repoussaient chaque fois ces pactes.

Une période de sabotage de la grève et de manœuvres commence. Sabotage de la solidarité nationale et internationale (les bourgmestres (maires) socialistes de la région de Charleroi ont interdit l'action de solidarité du S.O.I.), sabotage de la lutte contre la répression féroce du gouvernement, calomnies sur les militants révolutionnaires, exclusion des éléments révolutionnaires des syndicats -- tout était mis en œuvre pour affaiblir la lutte, pour épuiser les mineurs et les obliger, par la faim, de prendre de chemin des puits.

Ainsi la pratique a une fois de plus démontré la justesse de la caractéristique des chefs socialistes et réformistes se mettant à la tête des grèves pour les étrangler, caractéristique donnée par le Ve Congrès de l'I.S.R.

Nos faiblesses et nos fautes[modifier le wikicode]

Nous voulons indiquer brièvement quelques fautes et faiblesses commises par nos camarades belges pour en tirer des enseignements pour nous. D'après la résolution du C.C. du P.C.B., ces fautes se résument en ceci :

1. Sous-estimation du rôle de la main-d'œuvre immigrée. En effet, la main-d'œuvre immigrée forme une masse compacte en Belgique. D'après les journaux bourgeois, 25.000 ouvriers immigrés travaillent dans les mines (sur 138.000). Or, notre parti frère n'a pas accordé toute l'attention nécessaire à cette importante fraction de la classe ouvrière. Le matériel en langue étrangère manquait souvent, la lutte contre les expulsions était insuffisante.

En France, le problème de la M.O.I. revêt une plus grande importance encore vu le nombre et la concentration plus grande des ouvriers immigrés et vu le fait que les organisations fascistes sont plus fortes et plus nombreuses qu'en Belgique.

2. La lutte contre la répression, contre l'état de siège et le " complot " n'était pas menée avec assez de vigueur, surtout au début du mouvement. La réaction contre la subite mise en illégalité (en fait) du P.C.B. n'était pas assez violente.

La bourgeoisie tente, pendant chaque grande action de la classe ouvrière, de nous couper des masses. Il faut toujours prévoir cette attaque et prémunir nos organisations contre elle.

3. Un libéralisme pourri vis-à-vis des trotskistes a été constaté, surtout dans la région de Charleroi. Là, en effet, les trotskistes ont encore un syndicat (à Gilly). Ils menaient une campagne démagogique sous le manteau du " communisme " (leur leader a été arrêté pendant l'affaire du " complot ", mais peu après relâché). Ils profitaient de la sympathie des ouvriers pour le communisme pour les mener dans les bras de Vandervelde. Leur mot d'ordre était :

Faisons le front unique avec les chefs socialistes (qui étaient contre la grève !), alors on vaincra. A la fin, ils se sont complètement démasqués (à la troisième conférence des Comités de grève) comme des défaitistes et saboteurs de la grève.

4. Faible travail antimilitariste, quoique la situation exigeait son renforcement. Le gouvernement avait envoyé surtout des régiments flamands dans les régions en grève. Plusieurs cas de fraternisation entre grévistes et soldats ont été signalés. Mais, en général, notre parti frère et les J.C. de Belgique ont d'une façon très faible réagi sur ces faits, tandis que les Jeunesses socialistes les ont utilisés pour mener une campagne démagogique pacifiste de " gauche ".

Conclusions[modifier le wikicode]

Malgré ces fautes et faiblesses, la grande grève belge est, sans aucun doute, la bataille de classe la plus importante en 1932. Cette bataille a démontré aux prolétaires que, tandis que la politique réformiste de soumission aux exigences de la bourgeoisie apportait aux ouvriers la misère, les brimades, les diminutions de salaires, la lutte révolutionnaire, la lutte directe, la grève, sous une direction révolutionnaire et des mots d'ordre justes, en un mot la politique préconisée par l'Internationale communiste, peut seule mener le prolétariat à la victoire.

Le Parti communiste de Belgique et toutes les organisations révolutionnaires sont sortis de cette bataille renforcés, tant du point de vue idéologique que d'organisation. Des milliers de nouveaux militants, animés d'un enthousiasme révolutionnaire, sont venus renforcer les rangs des organisations révolutionnaires (dans la seule région du Centre, le nombre des membres du P.C.B. est passé de 51 à 550). Les éléments opportunistes, hésitants, habitués à la routine, sont battus en brèche. Les succès électoraux du Parti, surtout dans les régions de grève – Hainaut et Liège, où le parti a doublé ses voix depuis 1929 – montrent la poussée des masses vers le parti. Le Parti communiste mobilise les travailleurs pour les nouvelles luttes contre la politique de misère et de guerre de la bourgeoisie belge, soutenue par les chefs réformistes.

Nous devons étudier et approfondir les expériences du mouvement héroïque de la classe ouvrière de Belgique pour s'en inspirer pendant les luttes prochaines.